Principaux vocables et statuts actanciels anatomiques, dans la Chanson de Roland : réflexions sur une symbolique du geste au Moyen Âge
Du début de la Chanson à la mort de Roland, vv 1 à 2396
p. 571-587
Texte intégral
1Au Moyen Age, geste évoque une action en général ou un haut fait en particulier. Mais le mot s’applique, en outre, au récit historique puis à la race et à la famille1. C’est donc la notion de comportement, ponctuel ou dans le temps, individuel ou collectif, que le terme met en cause. Pour qui s’intéresse aux manifestations et expressions du geste, voire des gestes à cette époque, choisir la Chanson de Roland afin d’y étudier la symbolique du corps dans la matière épique, sera donc une démarche fondée. Dans cette perspective, nous travaillerons sur le texte édité par J. Bédier2, et sur les 2396 premiers vers du poème3. Nous y interrogerons les substantifs cors, chiefs, teste, vis, visage, main, puing, brac, brace et pié dans leur application aux Français et aux Sarrasins4. Nous enregistrerons alors quarante-neuf occurrences du premier, seize du second, quatorze du troisième puis, respectivement, neuf, six, vingt-deux, douze, cinq, deux et dix-neuf des autres. Or il conviendra de lire attentivement la manière dont se répartissent ces occurrences.
2Puis l’on constatera que, pour chaque mot - à l’exception de teste, majoritaire chez les ennemis et de puign, aussi fréquent chez les uns que chez les autres5 -, le régime distributionnel s’effectue toujours au bénéfice des Français. Cette tendance atteint son paroxysme avec brac et brace, refusés aux Sarrasins. L’on observera également la prédominance, pour les uns et les autres, des cinq mots cors, chief, vis, main et pié, comme la fréquence d’emploi, quasiment identique, de pié, main et chief chez les Sarrasins ou de cors, main, pié et chief chez leurs adversaires. Or ces caractéristiques dictent deux lectures convergentes et cruciales car à la base de tout notre développement, des données chiffrées recensées : une première lecture, horizontale, selon laquelle cors, chief, vis, main et pié s’avèrent termes majeurs ; une lecture verticale, selon laquelle, sous trois de ces substantifs, s’agglomèrent d’un à trois vocables définis comme termes mineurs. De la sorte et dans un premier temps, deux dénominations se détacheront. Complémentaires, elles représenteront, chacune et dans les deux armées, un ensemble mono-lexical. Il s’agira de cors et piè, respectivement appliqués à la constitution et aux membres inférieurs, de telle manière que seront ainsi matérialisées les deux bornes de notre corpus. S’intercaleront trois autres groupes, de volume variable : les signifiants réservés au haut du squelette avec chief et teste, à la face avec vis et visage, aux membres supérieurs avec main, puign, brac et brace. Mais dans un deuxième temps, ces réflexions inviteront à formuler le double postulat qu’aux niveaux sémantique et symbolique existeront des liens internes dans au moins trois de nos groupes et que, dans une appréhension globalisante, pour les Français comme pour les Sarrasins et cette fois sans exclusive, d’autres relations naîtront entre ces groupes eux-mêmes. Afin de le vérifier, nous engagerons donc l’analyse sous l’angle linguistique.
PREMIER VOLET. ETUDE SEMANTIQUE.
1- De cors à pié : un conditionnement syntaxique.
3Ce sera l’occasion de mentionner deux phénomènes contrastés : la disponibilité grammaticale des mots quand ils visent les chrétiens, et leur relatif manque d’élasticité lorsqu’ils réfèrent à leurs rivaux. Sur la foi de nos dépouillements, il apparaît en effet que, si puing se prête à huit genres de fonctions dans les deux camps, il n’en va pas de même pour les autres vocables : le cors des Français se retrouve dans vingt-neuf positions syntaxiques, et celui des Sarrasins dans dix-huit seulement. De même remarque-t-on la présence de main dans dix-huit fonctions chez les soldats de Charlemagne, et dans sept chez ceux de Marsile. Si, maintenant, les chief, visage et pié des chrétiens se manifestent dans onze types de cas, le pié des musulmans intervient juste dans six sortes de situations, tandis que les noms chief et visage ne sont respectivement admis que dans cinq et trois statuts. L’examen de teste est sans surprise, le substantif faisant l’objet de neuf gemes d’emploi chez nos chevaliers, pour sept dans les rangs ennemis. Vis, à son tour, endosse neuf positions grammaticales à propos des Français, et trois par allusion aux Sarrasins. Or ces comportements syntaxiques influenceront l’envergure dénotative de tous les mots considérés.
2- De cors à pié : un conditionnement dénotarif.
4Nous en fournirons les premières preuves avec cors. Fidèle à ses valeurs médiévales6, ce nom revêt d’abord l’acception d’enveloppe chamelle, qu’il vise des Sarrasins ou des Français. A titre d’attestation, nous parcourrons deux extraits. Aux vers 2156-2159 mettant en cause des vassaux de Charlemagne, le substantif entre en collocation avec escu, osberc et devient le régime d’adeser ou toucher, atteindre. Aux vers 1370-1372 visant des païens, il s’entoure de bronie tout en étant régime de tranchier :
« L’escut Rollant unt irait e estroet
E sun osberc rumput e desmailet,
Mais enz el cors ne l’unt mie adeset ». (vv 2156-2159).
« Fiert (Olivier) un paien, Justin de Val Ferree.
Tute la teste li ad par mi sevree,
Trenchet le cors e la bronie safree ». (vv 1370-1372).
5Les termes soulignés matérialisent bien une épaisseur de chair, meurtrie et transpercée ainsi que le rappellent en particulier bronie et osberc appliqués à des cottes de mailles. Toutefois l’acception initiale de cors est illustrée vingt-deux fois pour les Français, et seize pour les musulmans7. Ensuite, et par métonymie, cors traduit le concept de personne8. Mais, si nous enregistrons six exemples de cette valeur pour nos chevaliers, il en existe trois pour ceux de Marsile. Enfin, le mot prend le sens de cadavre en 1980, mais pour le seul Olivier. Le spectre dénotatif de cors souffre d’une certaine limitation à propos des païens, et à laquelle se heurteront chief et teste.
6Teste désigne ainsi, avant tout et parce que ses environnements contextuels révèlent son orientation concrète, l’ensemble formé par le crâne, le front et la face. S’agissant de nos chevaliers, nous compterons avec trois avatars de semblable acception, plus usuelle chez les païens où on l’y rencontrera sept fois9. Métonymiquement, le substantif s’appliquera en second lieu au crâne, à l’exclusion de tout autre organe. Nous relèverons cette signification en 2011 pour Olivier, et en 2289 pour un adversaire anonyme. Cependant, le teste français prendra encore les acceptions de sommet du crâne en 2356 et de front en 2101, inconnues du teste sarrasin. Si, à présent, nous interrogeons chief, nous voyons qu’il est, en partie, synonyme de teste. I1 en reconduit le sens de base en 209, 491, 117, 2170 et 2391 quant aux chrétiens, comme en 1555, 2094, 44 et 482 quant à leurs rivaux. Il épouse également le sens très matériel de crâne en 2078 et 2290, vers relatifs à Turpin de Reims et un païen. Mais là cessent les similitudes entre chief et teste. Plus adéquat dans l’expression de significations abstraites10, le premier complète le second en désignant quatre fois le siège des facultés intellectuelles. En 138,139, 214 et 771 où l’on décrit l’empereur, le mot s’emploie alors comme régime de tenir embrunc ou enclin. Enfin, chief révèle ses affinités avec cors en 799, où Charlemagne, en formule de jurement, lui donne le sens de personne. Mais ces deux derniers sèmes n’ont pas cours parmi les rangs ennemis. C’est pourquoi, cela précisé, nous aborderons les dénominations de la face11.
7En collocation avec chief et soi redrescier, vis dénotera alors la partie antérieure de la tête, et répondra à l’acception de face :
« Li empereres en tint sun chief enclin.
De sa parole ne fut mie hastifs :
Sa custume est qu’il parolet a leisir.
Quant se redrecet, mut par out fier lu vis ;
Dist as messages : ‘Vus avez mult ben dit’ ». (vv 139-143).
8Ce sera de nouveau le cas en 2025 par allusion à Olivier, en 2376 par référence à Roland, en 626 et 633 pour le païen Valdabron et Ganelon, tout en visant là le haut du visage à l’exclusion de la bouche, vis n’est pas non plus étranger à des significations métonymiques. Chez les Français et leurs rivaux, le substantif devient ainsi l’objet d’un verbe avoir subduit, et se voit caractérisé de riant et cler pour nos chevaliers, ou de cler et fier pour les ennemis. Moyennant quoi, vis trahit une expression de la face et se traduit par allure, apparence, au vers 1159 qui met en scène Roland, puis au vers 895 qui nous décrit un musulman de Balaguer. Mais il est nécessaire d’insister sur deux faits : d’abord, vis ne se prête pas aisément à ce type de dénotation puisque, chez les Français surtout, celui-ci ne couvre pas même le tiers des emplois ; ensuite, le sémantisme du mot reste pauvre quand, dans le sillage des précédents termes, on utilise vis pour parler des troupes de Marsile. Dans de telles conditions, visage ne sera pas épargné. Déjà peu présent dans le registre sarrasin, le nom ne revêt qu’une signification. Rigoureusement distinct de cors et dans un extrait où un païen se macule de sang de bas en haut, le vocable s’applique ainsi, en 2276, à la partie antérieure de la tête. Il manifeste de la sorte une certaine parenté avec vis, et que nous retrouvons aux vers 1636-1642 à propos des chrétiens. Mais, phénomène qui ne se produit pas pour les païens, visage adopte, chez les Français, une palette d’acceptions métonymiques suffisamment nuancées pour combler les défaillances de vis en ce domaine. Aussi est-il logique que le substantif entre en collocation, à quatre reprises, avec les qualificatifs fier attribut, teint, pers, desculuret, pale ou avec la locution verbale perdre culur. De la sorte, le mot rend compte de diverses souffrances physiologiques en 283, 1978, 2218 et 2299, empruntant à vis pour le traduire de manière plus marquée, son sens d’air.
9Or ces complémentarités et synonymies joueront encore pour les dénominations des membres supérieurs et inférieurs. C’est ainsi que, qualifié ou non de destre, brac réfère toujours, en 597, 727, 1711, 2391 et pour les chrétiens, à la partie du corps rattachée à l’épaule. Dans le même temps, le collectif brace implique les deux bras réunis en 1343 et 1721. De son côté, à présent, main dénote la partie terminale du bras. Témoin cet extrait, où les signifiés concernés, l’un replié, les autres tendus, contrastent au sujet de Roland, mort : « Desur sun braz, tencit le chief enclin ,/Juntes ses mains est alet a sa fin » (vv 2391-2392). Avec tendre, lever, joindre, asoudre, seignier, batre, main vise donc, dans neuf occurrences françaises et deux sarrasines, un appendice servant au toucher, que l’on atteigne virtuellement ou non son objectif. Dans l’entourage de porter, prendre, tenir et, au contraire, cheoir, il dénote aussi, huit fois chez les chrétiens et trois chez les musulmans, l’attribut anatomique de la préhension12. A première vue, c’est également l’acception de puign. La preuve nous en est donnée par ces vers, relatifs à l’empereur, et où le mot connaît une construction syntagmatique propre au précédent terme : « Sunjat qu’il eret al greignurs porz de Sizer,/Entre ses poinz teneit sa hanste fraisnine ». (vv 719-720) A y regarder de près, néanmoins, le vocable désigne la main fermée. Ainsi, lorsque Ganelon refuse d’abandonner Son épée : « Mais de s’espee ne volt mie guerpir ;/En sun puign desta ; par l’orie punt la tint ». (vv 465-466) Mais ce serait démontrable douze fois13, et pour des personnages de n’importe quel camp, ce qui nous autorisera à analyser le dernier de nos mots. Dans la Chanson de. Roland, piè, sans surprise, réfère donc à la partie du membre inférieur qui pose sur le sol, supporte le corps en station debout ou sert à la marche. Treize occurrences françaises et les cinq relevées pour les Sarrasins en attestent. Mais nous insisterons sur un exemple, où le vocable acquiert une acception métonymique cruciale14 :
Respunt li reis : ‘Ambdui vos en taisez !
Ne vos ne il n’i porterez les piez.
Par ceste barbe que veez blancheier,
Li duze per mar i serunt jugez !’ « . (vv 259-262).
10C’est que le roi l’utilise au sens de personne, non recensé pour les païens. Or l’absence de cette valeur confirme, dans le lexique sarrasin, la faiblesse dénotative de mots anatomiques dénués d’envergure et de parentés soulignées. A l’inverse, sa matérialisation ultime confirme, quant aux Français, la cohésion sémantique d’un lexique qui, autour d’une signification fondamentale, fait se rejoindre cors et pié via chief, dans une sorte de tautologie suffisamment révélatrice au niveau linguistique, pour trouver sa pleine raison d’être au niveau herméneutique.
DEUXIEME VOLET. ANATOMIE ET SYMBOLIQUE GESTUELLE.
1- Anatomie et rôles fonctionnels : bilans et interprétations.
11C’est que, mots génériques tout à l’heure, cors, chief vis, main et pié deviennent à présent, pour les chrétiens et leurs ennemis, les matrices archétypales d’une symbolique gestuelle aux expressions contrastées. Appliqué aux chevaliers français, cors illustre ainsi huit types différents de postures. Lorsqu’il vise les païens, le réceptacle ne se manifeste que cinq fois. Or dans le sillage de ces deux cors si différents, ébauchant deux canevas de schèmes actanciels voués à s’étoffer jusqu’à permettre à pié d’en parachever la mosaïque, chief, vis et main prépareront dans les deux armées, pour des teste, visage, brac, brace et puign élevés au rang de prototypes mineurs, trois séries de codes herméneutiques. Voici donc les deux grilles, synthétiques et antagonistes, auxquelles nous aboutissons15 :
POUR LES FRANÇAIS.
A- Angle de vue valorisant
- Posture gestuelle exallant le port noble d’un chevalier d’élite. CORS/vis/visage/rnain, CR d’avoir + gent, cler, riant, fier ; CR circ de recunestrc/batie. Sur CORS : 4 occ. 118, 284, 1159, 1640. Sur vis ; 1 occ. 1159. Sur visage : 2 occ. 283, 1640. Sur main : 1 occ. 1158.
- Posture gestuelle rehaussant le prestige d’une autorité royale dans l’exercice de ses fonctions. CHLEF/vis CR d’avoir + flurit/fier. Sur CHIEF : 1 occ. 117. Sur vis : 1 occ 142.
- Posture gestuelle exaltant les vertus combattantes d’une autorité royale. PUING, CR circ de tenir. 1 occ. 767.
- Posture gestuelle exaltant le prestige d’une autorité royale accordant une absolution. MAIN, CR circ d’assoudre/de seignier. 1 occ. 340.
- Posture gestuelle exaltant le prestige d’un chevalier portant assistance à un combattant en péril MAIN, CR de tendre. 1 occ. 2225.
- Posture gestuelle exaltant le zèle de chevaliers d’élite dans leurs préparatifs au combat, ou déjà prêts à se battre. CORS/main/pic [dét Par un possessif], CR [circ] d’adober/de metre/soi mètre. Sur CORS : 1 occ 1797. Sur main : l occ. 443 Sur pié : 1 occ. 1139.
- Posture gestuelle exaltant la vaillance guerrière d’un chevalier d’élite, en selle ou sans monture. CORS/brace/pié [dét. Par un possessif] CR de faire/cuntrevaloir/demener/travaillier ; CR de rcmaindre/estre. Sur CORS : 4 occ. 525, 540, 1607, 1984 Sur brace : I occ. 1343. Sur pié : 3 occ. 2138, 2163,2168.
- Posture gestuelle prise dans l’assertion de son propre engagement diplomatique et militaire. CHIEF, dét. Par un possessif. 1 occ 799.
- Posture gestuelle exaltant le zèle d’un chevalier prompt à défendre les intérêts royaux. PIE, CR circ de soi drescier. 1 occ. 195.
- Posture gestuelle exaltant le zélé d’un chevalier se préparant â une ambassade en territoire ennemi PIE, CR circ de fermer. 1 occ. 345
- Posture gestuelle affirmant la suprématie d’un chevalier d’élite sur l’ennemi. PIE, CR de cheoir/tresturner. 2 occ. 1356, 2291.
- Posture gestuelle révélant une conscience aiguë du service d’ost, chez un chevalier d’élite à l’agonie MAIN, CR circ de prendre. 1 occ. 2264.
- Posture gestuelle exaltant l’héroïsme d’un chevalier d’élite blessé, mais redressé dans la douleur. PIE, CR circ de soi drescier/soi mètre. 2 occ. 2234, 2298.
- Posture gestuelle révélant la protection divine dont jouit un chevalier d’élite au combat CORS/teste, CR de touchier/d’adeser, niés. Sur CORS : 2 occ. 1316, 2159. Sur teste : 1 occ. 1997.
- Posture gestuelle évoquée pour décrire un chevalier d’élite auquel on porte assistance. CHIEF, CR de deslacier 1 occ. 2170.
- Posture gestuelle exaltant le prestige d’un chevalier d’élite présentant une offrande au roi. MALN, CR circ de tenir 1 occ. 386.
- Posture gestuelle exaltant la piété de chevaliers d’élite descendus de monture pour ensevelir leurs pairs. PTE, CR circ de descendre. 1 occ. 1746.
- Posture gestuelle décrivant un chevalier d’élite à l’agonie ou déjà mort, en selle ou sans monture. CHIEF/main/brac/pié, CR de tenir enclin/tenir desur/crusier/tenir juintes ; descendre. Sur CHIEF : 1 occ. 2391. Sur main : 2 occ. 2250, 2392. Sur brac : 1 occ. 2391. Sur pié : 1 occ. 2013.
- Posture gestuelle exaltant le prestige d’une autorité royale plongée dans ses réflexions ou préoccupations. CHIEF CR de baissier ; tenir enclin/enbrunc. 3 occ. 138, 139, 214.
- Posture gestuelle exaltant la dignité d’un chevalier d’élite dans l’expression d’un deuil. CHIEF/visage, CR [circ] de tenir enbrunc/d’estre desculurez. Sur CHIEF : 1 occ. 771. Sur visage : 1 occ. 2218.
- Posture gestuelle exaltant la piété d’un chevalier d’élite â l’agonie, se confessant à Dieu. MAIN, CR circ de batre. 1 occ. 2368.
- Posture gestuelle exaltant la piété d’un chevalier d’élite à l’agonie, dans une prière à Dieu. MAIN, + juintes/CR de joindre. 2 occ. 2015, 2240.
- Posture gestuelle exaltant le prestige d’une autorité royale sollicitant une aide divine. MAIN CR de tendre/lever. 2 occ. 137, 419.
- Posture gestuelle exaltant le prestige d’un chevalier d’élite accordant sa bénédiction. MAIN CR de lever. 1 occ. 2194.
- Posture gestuelle évoquant l’élévation au Paradis d’un chevalier d’élite. MAIN CR circ de prendre. 1 occ. 2390.
- Posture, gestuelle évoquant un départ en ambassade interdit Pf£ CR de porter, nié. 1 occ. 260.
- Posture gestuelle évoquant des ébats amoureux BRACE CR circ de gésir. 1 occ. 1721.
B- Angle de vue dévalorisant
- Posture gestuelle évoquée dans la formulation d’une menace de mort CORS dét. Par un CR absolu/CR de trover. 1 occ 613.
- Posture gestuelle évoquée dans l’expression d’une menace de massacre physique. TESTE CR de porter, nié. 1 occ 935.
- Posture gestuelle évoquée dans le cauchemar d’un massacre physique. CORS/brac/puing, CR d’asaillir/de mordre/tenir/despecier. Sur CORS : 1 occ. 729. Sur brac : 1 occ. 727. Sur puing : 2 occ. 720, 837.
- Posture gestuelle prise dans révocation dans l’évocation d’un massacre physique. CORS/chief/testc/brac, CR [circ]/CS de mètre la mure, les pans, fer e fust, l’enseigne ; descudre, juster, nafrer, ferir, saisir, avoir, pendre, perdre. Sur CORS : 15 occ. 1539, 1576, 1602, 1621, 1946, 1980, 2020, 2080, 2084, 2247, 2280, 2052, 597, 1195. Sur chief : 3 occ. 491, 209, 2078. Sur teste : 1 occ. 2101. Sur brac 3 occ 597, 1195, 1711.
- Posture gestuelle évoquant la mort ou l’agonie d’un chevalier d’élite. TESTE7vis/visage, CR [circ] de descendre/perdre culur/turner. Sur TESTE : 2 occ. 2356, 2360. Sur vis : 2 occ : 2025, 2376 Sur visage (2 occ) : 1978, 2299.
- Posture gestuelle trahissant un comportement déraisonnable. CORS, CR circ d’entrer 1 occ. 747.
- Posture gestuelle dénonçant une entente coupable avec l’ennemi. VIS/main, CR de soi baisier/prendre. Sur VIS : 2 occ. 626, 633. Sur main : 1 occ. 509.
- Posture gestuelle dénonçant rengagement militaire coupable d’un combattant traître. PUING, CR circ de mètre. 1 occ. 466.
- Posture gestuelle dénonçant une défaillance comportementale dans le protocole épique MAIN, CR circ de cheïr. 1 occ. 770.
- Posture gestuelle dénonçant le mauvais choix d’une arme, au regard du protocole épique. PUING, CR circ de brisier. 1 occ. 1359.
- Posture gestuelle dénonçant une intervention déplacée dans les intérêts royaux. PIE, CR erre de soi drescier. 1 occ. 218.
- Posture gestuelle évoquant le châtiment physique infligé á un traître. PUIGN, CR circ de fraper. 1 occ. 1824.
POUR LES SARRASINS.
A Angle de vue valorisant.
- Posture gestuelle exaltant le port noble d’un chevalier d’élite. CORS/vis, CR d’avoir + gent/fier/cler Sur CORS : 1 occ 896. Sur vis : 1 occ. 895.
- Posture gestuelle évoquant les aptitudes exceptionnelles d’un chevalier d’élite à la course PIE, CR circ de cunr. 1 occ 890.
- Posture prise dans l’assertion de son propre engagement diplomatique et militaire CORS, dét. Par un possessif/CR de conduire ; jüer. 2 occ. 892, 901.
- Posture gestuelle exaltant le prestige d’un chevalier supposé se conformer au rituel, français, du serment vassalique. MAIN, CR circ de devenir 2 occ. 223, 696.
- Posture gestuelle exaltant le prestige de chevaliers d’élite venus délivrer un message de paix. MAIN, CR circ de porter. 3 occ. 72, 80, 93.
- Posture gestuelle exaltant la courtoisie de chevaliers sans monture venus saluer Charlemagne. PIE, CR circ de descendre. 1 occ. 120.
B- Angle de vue dévalorisant
- Posture gestuelle évoquée dans l’expression d’une menace de massacre physique. CORS, dét Par un possessif 1 occ. 492.
- Posture gestuelle évoquée pour décrire le châtiment dicté par un verdict judiciaire français. CHIEF, CR de perdre. 1 occ. 482.
- Posture gestuelle prise dans l’évocation d’un massacre physique. CORS/chief/tesle/puign/pié, CR [circ] de faire brandir, metre les pans ; espiei, mure/metre fors, passier, tranchier, perdre, pendre, sevrer, fruissier. Sur CORS : 14 occ. 1228, 1248, 1266, 1272, 1285, 1301, 1306, 1327, 1330, 1372, 1385, 1586, 1647, 1506. Sur chief 4 occ. 1555, 2094, 2290, 44. Sur teste : 8 occ. 1355, 1371, 1904, 1586, 1056, 2289, 57, 58. Sur puing : 3 occ. 1655, 1969, 1903. Sur pié : 1 occ. 1969.
- Posture gestuelle dénonçant une tentative de mystification. CORS/visage, CR de luer. Sur CORS : 1 occ. 2276. Sur visage : 1 occ. 2276.
- Posture gestuelle dénonçant une entente coupable avec l’ennemi. VIS/puing, CR [circ] de soi baisier/tenir. Sur VIS : 2 occ. 626, 633. Sur puing : 1 occ. 415.
- Posture gestuelle dénonçant la haie d’un païen prompt à dépouiller sa victime. PIE, CR circ de soi mètre 1 occ. 2277.
- Posture gestuelle dénonçant un violent désir de vengeance. PUING, CR circ de tenir guant. 1 occ. 874.
- Posture gestuelle dénonçant la couardise supposée de chevaliers, sans monture pour se battre. PIE, CR circ de descendre. 1 occ. 2071.
12Au bout du compte, la symbolique gestuelle de nos soldats s’exprimera à travers trente-neuf statuts actanciels et celle des Sarrasins, dans à peine quatorze. Certes, le document ci-dessus mentionne l’existence de douze types de circonstances négatives, dans la description des chrétiens. C’est ainsi qu’en 466, par référence à Ganelon et alors que, métriquement, main eût été envisageable, le poète opte pour puing :
« Mais de s’espee ne volt mie guerpir
En sun puign destre par l’orie punt la tint ». (vv 465-466).
13Pareil choix s’explique : sur le plan de l’interprétation connotative, le mot dénonce, par anticipation, l’attitude coupable d’un combattant prêt à défendre les intérêts militaires de l’ennemi. C’est que, « Selon le Canon bouddhique, la main fermée est le symbole de la dissimulation, du secret16 ». Pour s’en convaincre, il suffirait de parcourir les laisses XXXVII, XXXIX puis XLIII et suivantes, tout en accordant beaucoup d’attention aux vers 603-608 :
« Co dist Marsilies : [...]
La traïson me jurrez de Rollant’.
Co respunt Gucnes : ‘Issi seit cum vos plaist !’
Sur les reliques de s’espee Murgleis
La traïson jurat e si s’en est forsfait ».
14Dans le même ordre d’idée et parce qu’il met l’accent sur tout ce que Ganelon doit à son rang, Roland, à l’inverse, privilégie main au lieu d’un puing pourtant plausible, dans une réplique où il fustige une grave défaillance comportementale dans le protocole épique :
« Men escientre, nel me reproverunt
Que il [= un bâton] me chedet cum fist a Guenelun
De sa main destre, quant reçut le bastun » (vv 768-770).
15Mais a contrario, c’est main qui s’impose devant tout autre réceptacle dans tel extrait où l’on valorise le geste d’un chevalier d’élite portant assistance à un guerrier en péril parce que, plus encore que brac, pourtant noble, métriquement possible et herméneutiquement riche17, cet attribut anatomique protège18 :
« Li arcevesques, quant vit pasmer Rollant,
Dunc out tel doel unkes mais n’out si grant.
Tendit sa main, si ad pris l’olifan ». (vv 2223-2225).
16Dans d’autres passages, main, qualifie ou non de destre, est le seul apte à exalter la posture d’un roi accordant une absolution (vv 337-340), la démarche d’un chevalier faisant un don (w 363-391), la mansuétude de Turpin formulant une bénédiction (vv 2193-2197) :
« Sire, dist Guesnes, ‘dunez mei le cungied.
Quant aller dei, n’i ai plus que targer’.
Co dist li reis : ‘Al Jhesu e al mien !’
De sa main destre l’ad asols e seignet ». (vv 337-340).
[de son brac destre est substituable].
« Er matin sedeit li emperere suz l’umbre,
Vint i ses niés, out vestue sa brunie,
E out predet dejuste Carcasonie ;
En sa main tint une vermeille pume :
Tenez, bel sire, dist Rollant a Sun uncle,
De trestuz reis vos present les curunes.
Li soens orgoilz le devreit ben cunfundre,
Kar chascun jur de mort s’abandunet.
Seit ki l’ociet, tute pais puis avriumes’ ». (vv 363-391).
[En sun puing tint... est substituable, surtout vu
la teneur des derniers vers, dus à Ganelon].
« Li arcevesque ne poet muer n’en plurt,
Lievet sa main, fait sa beneiçun,
Après ad dit : ‘Mare fustes, seignurs !
Tutes voz anmes ait Deus li Glorius !
En pareis les metet en sentes flurs !’ » (vv 2193-2197).
[Lievet sun puing/Lievet sun brac, sont substituables].
17C’est que le membre visé exprime, dans la tradition biblique et chrétienne, par-delà même époques et cultures puisque l’on retrouve cette valeur jusque dans l’iconographie hindoue, la générosité d’une offrande désintéressée19. Les termes que nous étudions ici ne sont donc pas employés arbitrairement. Partout où main aurait pu céder sa place à un vocable voisin, la substitution ne s’est pas opérée. Or, en dehors des contraintes dictées par la rime, la démonstration n’aurait en rien changé nos déductions avec teste et chief ou, moyennant de légers aménagements syntaxiques, visage et vis. Venant à l’appui de nos assertions, huit schèmes dénigrants obscurcissent la symbolique gestuelle des Sarrasins. En revanche, vingt-sept sortes de postures, flatteuses pour les guerriers français, révèlent leur couleur méliorative dans une sélection vigilante des termes retenus pour les brosser.
2- Approfondissements : complémentarités et iso-fonctionnalités remarquables.
18Certains mots, en effet, au regard de leur étymologie20et des dictionnaires de l’ancienne langue, sont, en raison de leur origine et/ou de leur richesse sémantique, honorifiques ou plébéiens. Appartiennent à la première série cors, chief vis, visage, main, brac, brace et pié. Entrent dans la seconde série teste et puign. Il est dès lors concevable que le poète s’abstienne de trop appliquer aux musulmans les cinq premiers noms cités et pié. Il est logique aussi que pié, chef et cors ne répondent pas, chez les Sarrasins, à leur acception de cadavre ou de personne selon le mot : on nie leur existence, ici-bas et dans l’au-delà. Nous comprenons mieux, alors, que brac et brace leur soient refusés, contrairement à puing et teste.
19Selon de tels paramètres et cette fois pour les Français, teste ne remplit que deux rôles parmi les réceptacles du haut du squelette. Parce que, dans l’ancienne langue, visage, malgré sa richesse, se situe en retrait de vis, on lui assigne trois statuts où il rend sensibles des mimiques faciales. S’agissant, ensuite, des noms réservés aux membres de la préhension, brac et brace occupent les second et troisième rangs derrière main et devant puing, présents dans trois et deux schèmes : c’est qu’en ancien français, les signifiants concernés ont moins d’étoffe que main, proche de cors. Quant au poing, on ne l’exhibe que dans trois occasions, dont deux exprès peu glorieuses de façon à préserver la crédibilité d’une symbolique qui s’apparente à un véritable système de signification.
20Dès lors, tous les prototypes mineurs que nous venons de citer joueront, dans leur groupe propre, des fonctions de complémentarité. De la sorte, brace enrichira la trame actancielle commencée par main d’un code pleinement positif, évoquant la posture d’Aude dans la peinture d’ébats amoureux refusés à Roland :
« Dist Oliver : ‘Par ceste meie barbe,
Se puis veeir ma gente sorur Alde,
Ne jerreiez ja mais entre sa brace ! ». (vv 1719-1721).
21Mais au sein de mêmes ensembles, des relations d’équipollence se noueront entre certains éléments anatomiques. A bien regarder nos tableaux en effet, l’on s’aperçoit que brac et main décrivent tous deux la posture gestuelle valorisante d’un chevalier d’élite à l’agonie ou déjà mort, en selle ou non :
« Li quens Rollant veit l’arcevesque a tere !
Defors sun cors veit gésir la buele.
Desuz le frunt li buillit la cervele ;
Desur sun piz. entre les dous furceles,
Cruisiedes ad ses blanches mains, les beles ». (vv 2246-2250).
« Desur sun braz [Roland] teneit le chef enclin ;
Juntes ses mains est alet a sa fin ». (vv 2391-2392).
22On assiste en fait à l’émergence de relations intra-systémiques, verticales ou paradigmatiques car réalisées au sein de chaque groupe, organisé en réseau de senefiance herméneutique. Mais ce sont surtout les liens inter-systémiques, horizontaux ou syntagmatiques car établis entre ces groupes eux-mêmes, qui dominent. Ceux-ci sont, d’abord, de nature complémentaire. C’est ainsi que, de cors aux dénominations de la tête, la symbolique actancielle du geste s’accroît de huit nouveaux schèmes. Les appendices de la préhension favorisent, eux, une extension considérable de cette trame, avec l’éclosion d’onze types nouveaux de postures. Or dans cette perspective, le réceptacle pié est décisif, qui permet la création de neuf schèmes ultimes et importants. A ce titre, on retiendra son rôle dans l’exaltation d’un chevalier blessé, mais héroïquement dressé dans une douleur transcendée :
Li quens Rollant revient de pasmeisuns :
Sur piez se drecet, mais il ad grant dulur » (vv 2233-2234).
23Parce qu’il illustre la notion de pouvoir, de chefferie, il dépeindra au mieux l’attitude d’un guerrier affirmant sa suprématie sur l’ennemi21 :
« Co sent Rollant que s’espee li tolt.
Uvrit les oilz, si li ad dit un mot :
‘Men escientre, tu n’ies mie des noz !’
Tient l’olifan, qu’unkes perdre ne volt,
Sil fiert en l’elme, ki gemmet fut a or :
Fruisset l’acer e la teste e les os,
Amsdous les oilz del chef li ad mis fors,
Jus a ses piez si l’ad tresturnet mort ». (vv 2284-2291).
24Dans un deuxième temps d’autres relations, iso-fonctionnelles, renforceront l’armature de l’ensemble. Sur ce point, trois sortes de postures entraîneront chacune l’implication de trois membres différents, alors synonymiques. Cinq en concerneront jusqu’à quatre. Il conviendra de mettre en exergue trois de ces schèmes, singulièrement éloquents. Selon le premier, cors, main et pié s’unissent pour exalter l’attitude de chevaliers zélés dans leurs préparatifs au combat, ou déjà prêts à affronter l’ennemi. Selon le suivant, teste et cors s’équivalent pour évoquer la posture de guerriers jouissant, pendant l’assaut, d’une toute puissante protection divine. Selon le dernier, main, visage, vis et cors glorifient tous le port noble d’un soldat :
25■ Premier schème.
« Li empereres ad fait suner ses corns.
Franceis descendent, si adubent lor cors ». (vv 1796-1797).
« Li reis Marsilies ad la culur muee ;
De sun algeir ad la hanste crollee.
Quant le vit Gucnes, mist la main a l’espee ». (vv 441-443).
« Franceis se drecent, si se metent sur piez.
Ben sunt asols e quites de lur pecchez ;
E l’arcevesque de Deu les ad seignez,
puis sunt muntez sur lur curanz destrers ». (vv 1139-1142).
26■ Deuxième schème.
« L’escut Rollant unt frait e estroet
E sun osberc rumput e desmailet ;
Mais enz el cors ne l’unt mie adeset » (vv 2157-2159)22.
« Sil fiert amunt sur l’elme a or gemet,
Tut (Olivier, qui ne reconnaît pas Roland) li detrenchet d’ici qu’al nasel ;
Mais en la teste ne l’ad mie adeset ». (vv 1995-1997).
27■ Troisième schème.
« Mais sun espiet vait li bers [Roland] palmeiant,
Cuntre le ciel vait la mure turnant,
Laciet en su un gunfanun tut blanc ;
Les renges li batent josqu’as mains.
Cors ad mult gent, le vis cler e riant ». (vv 1155-1159).
« Desuz un pin, delez un eglenter,
Un faldestoet i unt, fait tut d’or mer :
La siet li reis ki dulce France tient.
Blanche ad la barbe e tut flurit le chef,
Gent ad le cors e le cuntenant fier ». (vv 115-118).
« E li quens Guenes en fut mult anguisables.
De sun col getet ses grandes pels de martre
E est remés en sun blialt de palie.
Vairs out les oilz c mult fier le visage ;
Gent out le cors e les costez out larges ». (vv 280-284).
28Il est indéniable, certes, que semblables jeux actanciels existent, quant aux païens23. Néanmoins, d’après nos tables récapitulatives qui les mettent en relief pour l’occasion, ils se concrétisent en priorité dans la matérialisation de schèmes dénigrants, la peinture de massacres physiques et de postures tourmentées impliquant ainsi les cinq réceptacles cors, chief, teste, puing et pié. Tandis que l’expression symbolique de la gestuelle sarrasine tend, en somme, vers une monosémie dévalorisante, les matrices actancielles pié, main et cors attribuées aux chrétiens, riches d’acceptions herméneutiques, installent tout le réseau de la symbolique gestuelle française dans une robuste polysémie étayée de synonymies ponctuelles, que souligne la récurrence de moules syntaxiques interchangeables repérés dans les passages ci-dessus, aussi bien que dans nos tableaux.
29Or, si les faits observés dans les rangs de la « gent averse » (v 2922, par exemple), nous reconduisent à la thématique sociale et littéraire de l’exclusion au Moyen Age, ceux que l’on examine parmi les Français confirment tous nos postulats et dépassent le cadre de la Chanson de Roland : éclairant les structures anthropologiques d’un imaginaire au demeurant médiéval de la gestuelle, ils proposent en réalité une mosaïque d’interprétations pluri-culturelles et intemporelles. Or cette seule conclusion suffit, nous l’espérons, à prouver le caractère instructif de l’étude tentée ici.
Notes de bas de page
1 F. Godefroy, Lexique de l’ancien français, Publié par J. Bonnard et Am. Salmon, Article « Geste », p 256 b, Champion, Paris, 1982.
2 Chanson de Roland, Publiée par J. Bédier, Edition Piazza, Paris, 1980.
3 Cette portion de texte suffit, pour ce que nous cherchons à démontrer ici A cet égard, la suite de la Chanson n’apporte aucun fait susceptible de remettre radicalement en cause notre raisonnement. Ainsi trouve-t-on une occurrence de brac, pour les Sarrasins, en 2829. Mais ce phénomène est à relativiser. Le mot vise des anonymes. De plus, et dans le même temps, on enregistre, aux vers 2552 et 3939, une occurrence de brac et une autre de brace, cette fois au bénéfice des Français. Si, maintenant, on note un avatar de puing visant à la fois un païen et un chrétien en 3868, il faut bien reconnaître que c’est un cas isolé, ne permettant pas de freiner un accroissement sensible, déjà perceptible dans le morceau du poème où nous puisons notre corpus, du même mot chez les Sarrasins. De fait, le poète l’utilise en 2678, 2701, 2719, 2795, 2809, 2830, 3845. A l’inverse, si l’on relève une occurrence de pié exclusivement attribuée aux musulmans en 2682, ceux-ci doivent en partager trois autres, en quelque sorte, avec leurs adversaires : l’émir et Charlemagne sont visés en 3575, tandis que Thierry et Pinabel le sont en 3884 et 3863. Quoi qu’il en soit enfin, jamais pié, de quelque manière qu’il puisse concerner la « gent paienor », ne produira l’acception de personne ; jamais non plus, du vers 2396 au vers 4002, le cors des païens ne produira le sens de cadavre, alors que celui-ci se matérialisera, en dehors de notre passage, en 2940 et 2967. Voy infra notre développement.
4 Nous aurions pu conserver des mots comme buche, oil, dent, dos, eschine et piz. Mais ils ne nous auraient apporté que des confirmations. Dans une analyse de ce genre, il nous a semblé plus judicieux de privilégier des termes offrant la possibilité de se représenter schématiquement l'anatomie humaine, leur rayonnement chez les païens mettant en lumière, en manière de repoussoir, des faits de langue et d'herméneutique décisifs chez les Français.
5 Nous verrons plus loin les raisons de ce double emploi
6 F. Godefroy, Op. Cit., Article « Cors », p 106 a. Voyez aussi G. Matoré, Le vocabulaire et la société médiévale, p 123, Paris, PUF, 1985.
7 Références pour les Français : 118, 284, 729, 1159, 1316, 1575, 1602, 1621, 1640, 1946, 2020, 2080, 2084, 2100, 2247, 2280, 2052, 597, 747, 1195. Références pour les Sarrasins : 895, 1203, 1228, 1248, 1266, 1272, 1285, 1301. 1306, 1327, 1330, 1385, 1586, 1647, 2276, 1506.
8 Références pour les Français : 613, 1607, 1797, 1984, 524, 540. Références pour les Sarrasins : 492, 892, 901. Sur l’emploi de cors comme substitut plus étoffé du pronom personnel, voyez P. Ménard. Syntaxe de l’ancien français, pp 75-76, Editions Bière, Bordeaux, 1988.
9 Références pour les Français : 935, 1997, 2360. Références pour les Sarrasins : 1371, 1904, 1586, 1956, 57, 58, 1355.
10 Sur cette question, voyez G. Zink, L’ancien français, p 115, Que sais-je ? n° 1056, Paris, PUF, 1990. Voyez aussi P. Le Gentil, Teste et chef dans la ‘Chanson de Roland’, in Romania, LXXI, 1950.
11 Voyez, dans ce domaine, J. Renson, Les dénominations du visage en français et dans les autres langues romanes, Etude sémantique et onomasiologique, Les Belles Lettres, Paris, 1962.
12 Références pour les Français : 443, 509, 2225, 2250, 2264, 2390, 386, 770. Références pour les Sarrasins : 72, 80, 93.
13 Références pour les Français : 720, 767, 837, 23, 1359, 1824. Références pour les Sarrasins : 415, 484, 874, 1655, 1903, 1909.
14 Il est clair que nous avons affaire ici à un cliché. Néanmoins, il reste que le sens implicite prêté ici au mot n’est jamais enregistré pour les musulmans.
15 L’écriture en lettres capitales signale les mots à l’origine de tel ou tel schème. L’écriture en lettres minuscules signale les mots synonymiques des précédents, dans l’expression de ces mêmes schèmes.
16 J. Chevalier et A. Gheerbrant, Dictionnaire des Symboles, Article « Main », p 600 a, Coll. Bouquins, Edition Laffont/Jupiter, Paris, 1982.
17 L’organe impliqué est, effectivement, la représentation « de la force, du pouvoir, du secours accordé, de la protection ». Voyez J. Chevalier et A. Gheerbrant, Op. Cit., Article « Bras », pp 146 b-147 a.
18 Voy. Ibid., Article « Main », p 602.
19 Voy. Ibid., p 600.
20 O. Bloch et W. von Vartburg, Dictionnaire étymologique de la langue française, Articles « Corps », p 159 b, « Chef », p 126 a, « Visage », p 675 a, « Bras », p 86 b, « Main », p 383 b, « Pied », p 484 a. Paris, PUF 1975.
- F. Godefroy, Op. Cit., pp 106 a, 84 a, 536 c-537 a, 313 c-314 a, pour, respectivement, cors, chief, visage, main. S’agissant de teste et puign, on consultera le premier ouvrage, aux pages 632 a et 495 b.
21 J. Chevalier et A. Gheerbrant, Op. Cit., Article « Pied », p 749 b.
22 Marsile connaîtra plus loin, lui aussi, Je privilège d'une présence providentielle Mais ce ne sera pas déterminant dans la mesure où il devra le partager avec Charlemagnc, son rival :
« Si se vunt ferir, granz colps s’entredunerent :
De lor espiez en lor larges roees.
Fraites les unt desuz cez, bucles lees ;
De lor osbercs les pans en desevrerent :
Dedenz cez cors mie ne s’adeserent ». (vv 3568-3572).
23 On leur reconnaît même une certaine prestance, inhérente à leur rang social Cette intention se manifeste, par exemple, dans l’emploi de main parfois chargé, à propos de Marsile, d’évoquer sur le mode de la complémentarité syntagmatique, la posture d’un chevalier supposé accepter le rituel français du serment vassalique (vv 223, 696). De même le poète admet-il que les Sarrasins puissent délivrer un message de paix, dans une attitude dont rend compte le même réceptacle, et sur le même mode (vv 72, 80, 93).
Auteur
Dr. de l’Université de Paris IV
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