Chapitre 5. Le décret de prairial précisé (1804-1870)
p. 131-158
Texte intégral
1Le décret de prairial an XII avait posé le cadre juridique général qui allait favoriser au cours des quatre premières décennies du xixe siècle, la création de nouveaux cimetières, en particulier dans les villes1. Le succès du Père-Lachaise, qui devint le modèle du cimetière du nouvel âge, a cependant orienté à terme l’esprit du décret2. Un espace que Chaptal avait avant tout conçu en termes d’hygiène, comme un lieu sanitairement instable, potentiellement dangereux, où doit s’accomplir en cinq ans la dissolution des chairs, est devenu un espace quotidiennement ouvert au public, accessible à tous, où le développement des concessions affirme la permanence des restes et où épitaphes et tombeaux dispensent des leçons de vertus familiales et civiques. La société post-révolutionnaire vient sous l’Empire et la Monarchie constitutionnelle y déchiffrer ses valeurs morales et bientôt religieuses réaffirmées et ses hiérarchies renouvelées. L’auteur d’un de ces guides des cimetières parisiens à l’usage des visiteurs qui sont alors publiés, François-Marie Marchant de Beaumont écrit : « Rien de plus magnifique que cet asile mortuaire sans cesse fréquenté des curieux, sans cesse traversé de pompes funèbres ». Il observe que « ce lieu superbe n’a rien du caractère sombre des anciens cimetières de Paris, où de toutes parts s’offrait aux coeurs oppressés l’affreuse image de la destruction et de la mort […]. Nulle exhalaison putride ne s’exhale de ce beau lieu ». Il conclut que ce « palais de la mort […] proclame de toutes parts les soins religieux des vivants pour les morts3 ». Ces guides et les recueils de gravures des principaux monuments qui sont alors édités diffusent des éléments de la modernité funéraire en « province » et à l’étranger.
2Ce modèle du nouveau cimetière urbain va être repris « en province » dans les deux premiers tiers du xixe siècle, à la suite en particulier de translations et de la création de nouveaux enclos. Le cimetière est librement accessible à la visite aux tombeaux des siens ou à ceux des grands hommes, voire à la promenade méditative. Des usages sociaux inusités y apparaissent et se diffusent, tel le dépôt de couronnes de fleurs sur les tombes, pratique de l’Antiquité apparemment ressuscitée et implantée dans la culture collective par les cérémonies révolutionnaires4. Le cortège y pénètre désormais et ses participants assistent à l’inhumation et repèrent l’emplacement de la sépulture. Un rite nouveau apparaît, celui des derniers adieux en forme d’éloge funèbre prononcé devant la fosse. Aussi, un urbanisme funéraire s’esquisse et se précise : les espaces de circulation sont de plus en plus nettement distingués des espaces d’inhumation. Le principe de viabilisation du cimetière n’était pas prévu par le décret de prairial. Il va être posé en principe dans l’article 4 de l’ordonnance du 6 décembre 1843 qui précise que la commune devra fournir le terrain nécessaire « aux séparations et passages » entre les concessions. Dans les plus anciens carrés du Père-Lachaise, les terrains destinés à l’inhumation, délimités par des chemins et allées, forment des « pièces » qui deviendront ensuite des « divisions » et seront couramment appelées « carrés » ailleurs qu’à Paris. Mais la circulation interne y est encore interstitielle, les tombeaux n’étant pas jointifs. Une meilleure rationalisation de l’espace des morts conduit ensuite au tracé de divisions où des tombeaux contigus sont alignés en « rangs », irrigués par un réseau de dessertes secondaires désenclavant chaque concession, permettant aussi l’ouverture des dalles des caveaux en forme de cryptes ou le soulèvement de la dalle, dans le cas des caveaux-puits. Ce modèle sera suivi dans les autres cimetières urbains français.
3Au Père-Lachaise, les frondaisons des allées et les bosquets de l’ancien parc avaient été conservés. Sur ce modèle, les cimetières des grandes villes sont plantés d’arbres le long de leurs allées principales et aussi autour des murs et en lisière des carrés. Les feuillus peuvent protéger les visiteurs du soleil. Les conifères – avant tout les ifs dans le Nord et les cyprès dans le Midi –, plantés en haies, permettent de cacher l’intérieur du cimetière ou du carré à la vue ; toujours verts, ils donnent l’illusion d’une vie perpétuelle qui ne connaît pas la mort des feuilles. Ils ont les pieds plantés « dans l’empire des morts » et montent d’un seul jet en direction des cieux.
4Le nouveau paysage du cimetière qui se met en place à Paris puis dans les grandes villes est au total composé par l’initiative publique et privée à la fois : l’administration communale approuve le tracé des voies, établit les plantations et décide des emplacements de concessions, de leur surface minimale ou maximale parfois, de leurs tarifs et leur attribution. L’initiative privée couvre ensuite les espaces d’inhumation de monuments – et pas seulement sur des concessions : beaucoup sont des « signes indicatifs » posés sur des fosses communes, avec la complicité intéressée des concierges des cimetières qui, à Paris, vendent initialement les pierres et les croix5.
Compléments au décret du 23 prairial an XII
L’inhumation en propriété privée et les transferts de corps
5La circulaire du 26 thermidor an XII (14 août 1804) peut-être commencée par Chaptal, signée par Portalis qui exerce alors l’intérim du ministère de l’Intérieur6, rappelle la possibilité d’inhumer dans les propriétés privées conformément à l’article 14 du décret de prairial. Les premières décennies du xixe siècle voient se créer des tombes isolées voire de petits cimetières privés qui ne sont pas seulement le fait de protestants reconduisant la pratique de leurs ascendants de l’époque du Désert ou ne disposant pas d’un cimetière de leur confession dans le lieu de leur résidence – au demeurant, dans les principales zones de sépultures de ce type existant aujourd’hui en France, celles des Charentes, des Cévennes, du Diois ou du Luberon sont essentiellement protestantes mais celles de Corse quasi uniquement catholiques. Leurs initiateurs sont, dans le cas de familles catholiques en général des notables qui souhaitent préserver les restes des leurs de l’anonymat des fosses communes villageoises et ne peuvent établir de tombeau dans le cimetière communal, soit parce qu’il n’est pas conforme au décret de prairial et que son transfert est prévu à terme, soit parce qu’aucune concession n’y est prévue ou permise par le conseil municipal. La création d’enclos funéraires peut aussi permettre la réalisation de tombeaux très importants, occupant une surface au sol que les modestes cimetières ruraux n’auraient pu en général fournir – c’est le cas de certains mausolées corses7. Ces sépultures s’avérèrent cependant poser de nombreux problèmes lors des mutations de propriété, puisqu’il fallait prévoir une servitude de passage pour les descendants de ceux qui y étaient ensevelis8 et dès les années 1840-1850, l’administration adopta une attitude restrictive à leur égard. L’avis du Conseil d’État du 12 mai 1846 précise que l’autorisation ne confère pas aux membres de la famille de la personne inhumée le droit de l’être eux aussi : chaque inhumation devait être soumise à l’autorisation du maire (article 16 du décret) – à celle du préfet depuis le décret du 15 mars 19289. Néanmoins ces inhumations en terrain privé ont subsisté jusqu’à nos jours10.
6Précisons par ailleurs que des hôpitaux pourront exceptionnellement créer au cours du siècle des cimetières spéciaux sur autorisation du gouvernement et même y accorder des concessions. Les congrégations religieuses ont pu également en créer dans leur enclos, sur autorisation du gouvernement. Un avis du Conseil d’État du 4 juillet 1832 leur reconnait ce droit, un autre du 12 mai 1846 allait en sens inverse et l’attitude de l’administration et du Conseil d’État sera nettement réservée à partir de 1860. Il fut en revanche admis que le maire pouvait autoriser de telles inhumations sur demande formulée à chaque décès en application de l’article 14 du décret de prairial à condition que le terrain prévu dans l’enclos de la maison conventuelle respecte les conditions légales11.
7La circulaire du 26 thermidor an XII (14 août 1804) ajoute que « les citoyens ont encore la faculté, dont ne parle pas le décret, de faire transférer d’un département dans un autre les corps de leurs parens et amis » et elle détermine les formalités et les mesures de salubrité à prendre12.
La désaffectation des cimetières
8Les translations de cimetières qui sont réalisées au cours des premières décennies du siècle posent la question du devenir des cimetières désaffectés. Le décret de prairial s’était sur ce point situé en retrait de la pratique de la fin de l’Ancien Régime. L’article 9 ne prévoyait pas leur vente, il se bornait à indiquer que cinq ans après la dernière inhumation, ils pourraient être affermés par les communes avec des clauses d’utilisation très restrictives « jusqu’à ce qu’il en soit autrement ordonné ». Ces derniers mots laissaient entendre que le législateur considérait que cet article pourrait être complété ou amendé. On sait que les conseillers d’État avaient explicitement redouté en l’an XII l’ouverture des fosses des suppliciés de la Terreur. Telle inquiétude ne pouvait concerner que quelques cimetières urbains et dès le 13 nivôse an XIII (3 janvier 1805), un avis du Conseil d’État définissait la doctrine qui est toujours en vigueur. Il combinait les articles 8 et 9 du décret de prairial avec un texte antérieur dont l’existence a pu avoir été omise au moment de son élaboration, l’article 10 du décret du 6-15 mai 1791, qui statuant sur le devenir des cimetières désaffectés à la suite de la réorganisation religieuse de la France prévoyait qu’ils ne pourraient être mis dans le commerce « qu’après dix ans à compter depuis les dernières inhumations » (voir chapitre 4). Les cimetières désaffectés devront rester en l’état pendant cinq ans à dater de la dernière inhumation, puis pendant cinq ans ne pourront être qu’ensemencés et plantés et à l’expiration du délai décennal, leur vente ou échange avec faculté de les fouiller ou d’y élever des constructions deviendra possible13.
9Un avis du Conseil d’État du 20 décembre 1806, approuvé le 25 janvier 1807 avait prévu que dans les communes où l’ancien cimetière contigu à l’église serait affermé ou aliéné, il conviendrait de réserver devant et autour des églises une place et un chemin de ronde de dimension convenable14.
Le rayon de distance autour des cimetières
10Le décret du 7 mars 1808 instaure une servitude de voisinage autour des cimetières transférés : il interdit, à moins d’une autorisation préalable accordée par le préfet, la construction, la restauration et l’agrandissement des habitations et le creusement des puits « à moins de cent mètres de distance des nouveaux cimetières transférés hors des communes ». Les puits existants pourront être comblés par décision préfectorale15.
11On a parfois jugé cette mesure hygiéniste en contradiction avec l’article 2 du décret de prairial. André Bertrand a observé que la distance de 35 à 40 mètres s’impose à l’administration et les servitudes des terrains situés à moins de cent mètres de l’enceinte à des particuliers16. Ce texte est toujours en vigueur (actuel article L. 2223-5 du CGCT). L’extension urbaine et une meilleure estimation des risques éventuels qu’un cimetière pourrait faire courir à la santé publique ont ultérieurement conduit les préfets à autoriser les voisins de nombre de cimetières à réaliser les travaux mentionnés dans le décret. Il ne s’applique pas aux cimetières non-conformes au décret de prairial qui n’ont pas été transférés et sont encore en activité17.
Rapports entre la commune et le conseil de fabrique
12Deux lois allaient préciser les rapports entre la commune, propriétaire du cimetière et le conseil de fabrique, usufruitier18. La loi du 18 germinal an X avait établi dans les paroisses du culte catholique des conseils de fabrique chargés de leur gestion matérielle. Le décret du 30 décembre 1809 leur attribue, au titre de revenu, le « produit spontané des terrains servant de cimetière » (article 36 § 4). Ce dernier allait être défini comme « tout ce qui vient naturellement sans que la main de l’homme l’ait planté ou semé », qu’il s’agisse d’herbe, broussailles ou arbres. En revanche le produit des arbres plantés et cultivés dans le cimetière devrait revenir à la commune19. L’article 37 § 4, imposait aux fabriques « de veiller à l’entretien […] des cimetières ».
13En revanche, l’article 30 de la loi du 18 juillet 1837 sur l’organisation municipale indique : « Sont obligatoires pour les communes les dépenses suivantes : […] 17e la clôture des cimetières ; leur entretien et leur translation dans les cas déterminés par les lois et réglemens d’administration publique ». On notera que ce texte mettait l’entretien des cimetières à la charge des communes (et non des fabriques et consistoires) mais un avis du Conseil d’État du 21 août 1839 allait l’interpréter comme une simple obligation pour les commune à venir en aide sur ce point aux conseils de fabrique ou consistoires en cas d’insuffisance de revenus20. Le texte de loi ne prévoyait pas explicitement l’agrandissement des cimetières. Une décision du ministère de l’Intérieur confirmera en 1859 que « quand il n’a pour objet que de pourvoir à une insuffisance de terrain pour la sépulture des morts, (il) doit également être considéré comme une dépense obligatoire21 ».
L’ordonnance royale du 6 décembre 1843 relative aux cimetières
14Une génération après le décret de prairial l’ordonnance royale « relative aux cimetières » (et non plus aux « lieux consacrés aux sépultures »), prise le 6 décembre 1843 par Louis-Philippe, allait constituer le second texte majeur de la législation funéraire française du xixe siècle. Son principal auteur est le comte Tanneguy Duchâtel (1803-1867), ministre de l’Intérieur de mai 1839 à mars 1840 puis d’octobre 1840 jusqu’à la Révolution de février 1848. Par une circulaire du 20 juillet 1841, le ministre avait consulté les conseils généraux « sur les dispositions nouvelles qu’il y aurait lieu d’introduire dans les règlements qui concernent les cimetières22 ». Il y exposait en particulier les « inconvénients des concessions perpétuelles », s’interrogeait sur la possibilité de leur suppression, allant jusqu’à user d’un argument susceptible d’émouvoir une France majoritairement paysanne : « l’intérêt général de l’agriculture » aurait suggéré de tenir leur prix suffisamment élevés pour éviter « le prompt envahissement des cimetières dont l’agrandissement ne peut avoir lieu qu’aux dépends des terres productives ». Et aussi parce que « la possession d’une sépulture privée constitue au profit de la partie la plus riche de la population une sorte de privilège qui ne peut être justifié que par l’avantage que les communes et les pauvres en retirent, ce qui autorise à les faire payer d’autant plus cher ».
15T. Duchatel indiquera ensuite dans sa circulaire du 30 décembre 1843 avoir fait élaborer « un projet de règlement d’administration publique » dans « le sein d’une commission composée de hauts fonctionnaires, de savants et d’administrateurs éclairés » ; ce texte a été ensuite soumis « après mûres discussions » tant au comité de l’Intérieur qu’au Conseil d’État, en assemblée générale et enfin sanctionné par le Roi ». Il vaut la peine de reproduire le premier paragraphe de sa circulaire qui concerne les concessions de terrains pour sépultures privées :
Ma circulaire du 29 juillet 1841 avait, entre autres questions, posé celle de la suppression, pour l’avenir, du système des concessions perpétuelles. Bien que des considérations puissantes, qui ont été appréciées par un grand nombre de Conseils généraux, parussent justifier cette mesure au point de vue de l’intérêt purement administratif, des actions d’un autre ordre, mais non moins graves, et dont je n’ai pu me dissimuler la valeur, ont porté le conseil d’État à proposer le maintien du principe de la perpétuité, j’ai dû me ranger à son avis. Quelle que soit l’idée que l’on se fasse du caractère de la perpétuité par rapport aux choses d’instruction humaine, il faut reconnaître que, dans une matière aussi délicate, les habitudes et les sentiments ont leur empire auquel l’administration ne saurait se soustraire. Or, on ne pouvait admettre l’innovation proposée sans contrarier un usage consacré par la piété des familles et sanctionné par le temps, et sans porter atteinte, sinon aux droits acquis, du moins à un sentiment public digne de respect23.
Le régime des concessions
16Quatre articles sur neuf de l’ordonnance du 6 décembre 1843 sont consacrés aux « concessions de terrains dans les cimetières pour sépultures privées »24. Si les articles 10 et 11 du décret de prairial avaient posé le principe du tombeau privatif pérenne, les premières circulaires d’application du décret trahissaient la volonté, qui s’avérera vaine, de conserver aux concessions un caractère d’exception.
17Chaptal avait observé dans celle du 8 messidor an XII que
les pauvres et les hôpitaux peuvent trouver dans ces concessions un accroissement important à leurs revenus annuels ; mais quel que soit l’intérêt que leur situation inspire, il importe néanmoins de ne pas étendre les concessions de manière à rendre ensuite insuffisants, pour leur destination, les lieux de sépulture. Il importe surtout de veiller à ce que les tombeaux qui pourront être élevés sur les portions de terrain concédées ne puissent en rien nuire à la circulation de l’air.
18Les modalités d’application de ces articles avaient posé de nombreux problèmes et la procédure était fort lourde, puisqu’elle exigeait pour chaque concession une autorisation gouvernementale, donnée « sur l’avis des conseils municipaux et la proposition des préfets ». En fait, T. Duchâtel était confronté à une évolution que le législateur de 1804 n’avait que très partiellement prévue et nullement souhaitée. En quatre décennies, ce qui devait être une exception dépendant de l’étendue suffisante des cimetières et du bon vouloir des administrations municipales avait tendu à devenir une exigence revendiquée par une partie de la population. L’exemple du Père-Lachaise, où l’arrêté de Frochot avait d’emblée prévu un régime et un tarif de concessions, était d’autant plus prégnant que les tombeaux établis sur concessions constituaient une part importante de l’intérêt et même de l’attrait du cimetière aux yeux de ses visiteurs. Des recueils en diffusaient le modèle par le texte et l’image25. De plus, des familles aisées tiraient parti dans les cimetières du droit que leur reconnaissait l’article 12 du décret de prairial de faire placer sur la fosse d’un des leurs des « signes indicatifs de sépulture » sous forme de petits monuments, parfois en pierre.
19Ce phénomène de colonisation du cimetière par les notables est manifeste par exemple à Marseille, où un relevé effectué en 1818 signale que les cimetières de la ville renferment 407 monuments, dont 37 seulement semblaient antérieurs à la Révolution ; les dates qui y étaient gravées suggéraient que la plupart avaient été posés entre 1801 et le début de l’année 1818, tout particulièrement après 1810. Il s’agissait en majorité de plaques scellées sur les murs ou posées sur les fosses et aussi de plus d’une centaine de tombeaux, dont beaucoup de cippes et de stèles. « Les trois quarts de ces pierres portent ces mots : tombeau de la famille de M... », note le rédacteur du rapport qui signale que l’on avait parfois enterré côte à côte plusieurs parents : le tombeau de famille se reconstituait de facto, peut-être avec la complicité intéressée des fossoyeurs. Le conseil municipal décida, dans sa séance du 6 mai 1818, d’élaborer un tarif de concessions afin de mettre fin au peuplement désordonné du cimetière « par les pierres sépulchrales et autres signes distinctifs de sépultures ». Il tint donc à préciser que « toutes ces sommes devront être partagées par moitié avec les hospices ; les fonds versés dans un coffre particulier du Mont-de-piété pourvoiront à l’agrandissement du cimetière26 ».
20D’autres villes de province avaient déjà été autorisées à délivrer des concessions à partir d’un tarif, qui déterminait une fois pour toutes le montant de la donation nécessaire pour obtenir une concession dans leur cimetière et sa répartition entre la commune et les hospices27. Un avis du Conseil d’État du 10 février 1835 avait précisé que l’on ne pourrait faire de distinction entre les particuliers et que le tarif devait être le même pour les habitants de la commune et des concessionnaires qui n’y résideraient pas28.
21En conséquence les modalités d’obtention d’un titre de concession sont considérablement simplifiées par l’ordonnance de décembre 1843. Au lieu de devoir consentir une « fondation ou donation », le postulant doit verser un « capital », dont les deux tiers sont remis à la caisse communale et le dernier tiers est destiné « au profit des pauvres ou des établissements de bienfaisance ».
22Néanmoins le ministère de l’Intérieur restait fort soucieux de limiter la multiplication des concessions dans les cimetières, susceptible de geler d’importantes superficies et de rendre insuffisants les cimetières existants. Il crut y parvenir par la distinction de trois types de concessions : les perpétuelles, correspondant à celles qui avaient été délivrées jusqu’alors dans la mesure où le décret de prairial n’avait mis aucune borne à leur durée, les « trentenaires », et les « temporaires », ces dernières étant consenties « pour quinze ans au plus », d’où leur nom courant de « quinzenaires ». Les concessions trentenaires avaient à l’évidence la préférence de l’administration : elles sont indéfiniment renouvelables à l’expiration de chaque période de trente ans, moyennant, selon les termes de l’ordonnance, « une nouvelle redevance qui ne pourra dépasser la première » ; à défaut, le terrain ne pourra être repris par la commune qu’au terme de deux années révolues, au cours desquelles les concessionnaires pourront faire valoir leur droit au renouvellement. Les concessions temporaires ne pouvaient initialement être renouvelées.
23L’article 7 de l’ordonnance prévoit que « des tarifs présentant des prix gradués pour les trois classes de concessions énoncées en l’article 3, seront proposés par les conseils municipaux et approuvés par les arrêtés des préfets ». Le gouvernement devait approuver ceux des communes ayant plus de 100000 F de revenus, mais cette dernière clause fut supprimée par le décret du 25 mars 1852 sur la décentralisation administrative.
24Le titre II de l’ordonnance royale du 6 décembre 1843 a défini jusqu’à nos jours l’organisation des concessions dans les cimetières français. Il a été principalement complété d’abord par la loi du 3 janvier 1924, instaurant des concessions centenaires, laquelle a été abrogée par l’ordonnance du 5 janvier 1959 ; puis la loi du 24 février 1928 a créé des concessions cinquantenaires. D’autres retouches ont été apportées après la Seconde guerre mondiale, au profit en particulier des concessions temporaires, dont le renouvellement a été rendu possible29.
25La circulaire du 30 décembre 1843 prescrivit donc pour la fixation des prix des concessions perpétuelles un taux très élevé par rapport aux autres dans l’espoir d’en limiter le développement :
Ces sortes de concessions ne devront être désormais accordées qu’à des prix très élevés. Il y a d’autant moins de raison de craindre de les taxer trop haut d’abord, qu’elles constituent un véritable privilège au profit des classes riches et en second lieu qu’il est désirable, vu les inconvénients inhérents aux concessions perpétuelles, que la préférence des familles se porte sur les deux autres classes de concessions30.
26Celle-ci semble refléter ce qui paraît avoir été la doctrine de l’administration de l’Intérieur, pour qui la norme était la fosse de durée quinquennale (dite de nos jours « en service ordinaire » dans un « terrain commun ») et les concessions un élément perturbateur de la bonne gestion de l’enclos. Ce principe est resté permanent dans le droit funéraire français : le ministère de l’Intérieur a encore reconnu en 1989 la faculté pour une commune de ne pas délivrer de concessions31. La préférence de l’administration centrale pour des concessions à durée limitée ne correspondaient guère apparemment aux souhaits des candidats à leur achat, dont les conseils municipaux semblaient tenir compte : pendant près d’une génération, les préfets vont rejeter des délibérations communales fixant un tarif de concessions pour la raison qu’il ne prévoit que les seules concessions perpétuelles alors que la loi précisait que les trois catégories devaient être tarifées32. Nous n’avons rencontré aucun exemple du cas inverse.
27La concession est une portion de propriété communale concédée à des fins privatives et non aliénée. Certes, le législateur répugnait à admettre qu’elle s’insère dans un circuit marchand où la spéculation aurait pu vite jouer des disharmonies entre l’offre de terrain et la demande, mais les juristes du xixe siècle ont eu les plus grandes difficultés à définir et justifier leur statut, exceptionnel en droit français, qui posa problème aux tribunaux, comme le suggèrent plusieurs jugements contradictoires rendus au cours du siècle33. Le refus de l’administration de considérer qu’elle pourrait constituer une forme de propriété a entraîné une longue discussion sur la domanialité du cimetière, tranchée presque toujours en faveur du domaine public, qui est inaliénable à la différence du domaine privé communal34. La doctrine du ministère de l’Intérieur fut que « les concessions, même à titre perpétuel, ne constituent pas des actes de vente et n’emportent pas un droit de propriété en faveur du concessionnaire, mais simplement un droit de jouissance et d’usage avec affectation spéciale et nominative35 ». Ce terrain ne pouvait donc être loué, aliéné, hypothéqué, partagé ni servir à une autre destination. En conséquence, le concours d’un notaire n’était pas jugé nécessaire par l’administration centrale, qui engageait les maires à délivrer eux-mêmes les concessions par voie administrative, soit sous la forme du contrat bilatéral, soit sous celle de l’arrêté municipal. Ces opérations ne furent pas enregistrées par les services du cadastre et les concessionnaires ont échappé jusqu’à aujourd’hui au paiement d’une contribution foncière annuelle36. Il en résulte l’incapacité de la plupart des services municipaux à identifier les ayants-droit actuels d’une concession, lesquels doivent en général apporter la preuve de leurs droits, soit par acte de filiation, soit par la possession du titre de concession. Ce dernier pouvant être renouvelé mais non dupliqué, sa conservation par un seul membre de la famille concessionnaire peut constituer un élément de discussions et de conflits entre parents parfois éloignés37.
28Une très large latitude était laissée aux conseils municipaux pour décider de l’adoption d’un tarif et de son montant, de l’éventuelle détermination d’une surface minimale ou maximale de concession, voire de certaines modalités d’utilisation, sous réserve de l’approbation préfectorale. La réglementation adoptée par certains conseils municipaux et entérinée par les préfets semble parfois outrepasser l’esprit et même les termes de la loi. On est ainsi surpris que les édiles de Draguignan – alors chef-lieu départemental du Var -, aient pu imposer aux titulaires de concessions perpétuelles de 2 m2 l’inhumation d’une seule personne et se soient aventurés à réglementer le nombre des morts qui viendraient occuper les caveaux des concessions de 9 m2 qu’ils appelaient « familiales », selon un distinguo qui paraît illégal. Ces clauses étaient en contradiction avec l’article 10 du décret de prairial, selon lequel les titulaires d’une concession pourraient y fonder « leur sépulture et celle de leurs parents ou successeurs », sans que le décret ni aucun texte ultérieur ait posé des limitations à cette utilisation par les membres d’une famille38.
29Par ailleurs, aux termes de l’article 12 du décret de prairial, « chaque particulier » pouvait « sans besoin d’autorisation faire placer sur la fosse de son parent ou de son ami une pierre sépulchrale ou tout autre signe indicatif de sépulture ». Ce libéralisme allait être tempéré par l’article 6 de l’ordonnance du 6 décembre 1843 qui soumettait le placement d’inscriptions sur « les pierres tumulaires ou monuments funèbres » à l’approbation préalable des maires. Cette restriction, d’ailleurs révélatrice du développement des épitaphes dans les cimetières urbains au cours des premières décennies du xixe siècle, semble avoir surtout permis un contrôle a posteriori de ces dernières39.
Extension de l’application du décret de prairial à toutes les communes
30On sait que le décret de prairial avait limité la translation des cimetières hors des enceintes aux « villes et bourgs » (articles 1, 2,14), ce qui soulevait la question de la définition de ces derniers. Dans sa circulaire d’application du 8 messidor an XII, Chaptal précisait :
J’ajouterai à ces réflexions que, quoique le décret ne parle que des villes et des bourgs pour la prohibition des inhumations dans leur enceinte, les autres dispositions que je viens de rappeler, tant pour l’étendue des cimetières que pour les règles à suivre, quant à la distance, à la profondeur et au renouvellement des fosses, n’en sont pas moins applicables à tous les lieux consacrés à l’usage des sépultures.
31La circulaire du 26 thermidor an XII (14 août 1804), déjà citée, tendait à étendre l’application du décret à toutes les communes dont le cimetière contrevenait à ses prescriptions.
Pour l’exécution de l’article 8 (sic, sans doute, pour l’article 2), il serait peut-être nécessaire de bien définir ce que l’on doit entendre par les noms de villes et de bourgs ; mais dans l’incertitude où vous pouvez être pour l’application de ces titres, je vous engage à ne considérer provisoirement comme tels que les communes qui sont ou peuvent être fermées par des portes ou des barrières établies sur des routes et chemins qui y conduisent.
32Pour celles qui sont « ouvertes de toutes parts, quoique réunissant un grand nombre de maisons en masse, au milieu desquelles il y aurait un cimetière », il conviendrait que le préfet en rende compte au ministre.
Vous remarquerez que le Gouvernement n’a pas entendu que l’article 2 s’appliquât aux communes rurales ; mais je dois vous faire observer que le principe établi par la déclaration du 10 mars 1776 est général ; on en doit conclure que la disposition du décret n’est pas, à la vérité, obligatoire, pour des communes rurales, mais que toutes les fois qu’elles pourront l’exécuter, il est à propos qu’elles le fassent. Il est surtout important que toutes les communes dont le cimetière se trouve placé autour de l’église s’occupent de chercher un autre terrain pour les inhumations, conformément aux règles établies par le décret.
33Le décret du 7 mars 1808 avait déjà instauré, on le sait, son rayon de distance autour des « nouveaux cimetières transférés hors des communes ». Il s’appliquait donc aux villages, même modestes, qui auraient transféré leur cimetière hors de l’espace bâti. L’ordonnance royale du 6 décembre 1843 étendit par son article 1 « à toutes les communes du royaume » les prescriptions du décret de prairial en matière de translation des cimetières.
Translation des cimetières
34La procédure à suivre pour la translation ou l’agrandissement des cimetières a été précisée par l’article 2 :
La translation du cimetière, lorsqu’elle deviendra nécessaire, sera ordonnée par un arrêté du préfet, le conseil municipal de la commune entendu. Le préfet déterminera également le nouvel emplacement du cimetière, sur l’avis du conseil municipal et après enquête de commodo et incommodo.
35La pratique allait être plus complexe. Il est assez rare qu’un préfet ou un sous-préfet soit à l’initiative d’un transfert, en dehors du chef-lieu départemental. Il peut leur arriver de faire des observations sur la nécessité de transférer un cimetière lorsqu’ils séjournent dans une commune, à l’occasion d’une de leurs tournées ou du conseil de révision. Le préfet peut aussi être alerté sur l’état d’un cimetière par une pétition, une lettre d’un habitant ou du curé – cette dernière transmise par l’évêque. L’administration préfectorale ne semble guère s’être inquiétée, dans la plupart des départements, de tenir une statistique de l’état des cimetières et de mener une politique volontariste pour les mettre en conformité totale avec le décret de prairial. Les bureaux de la préfecture ont eu essentiellement pour souci d’instruire les dossiers ouverts le plus souvent à l’initiative des municipalités. En théorie, le préfet pouvait imposer le transfert d’un cimetière à un conseil municipal. L’on ne voit guère qu’ils l’aient fait, sinon peut-être à la suite de l’enquête de l’an XII.
36La procédure, précisée par la circulaire du 30 décembre 1843, est la suivante40 : le conseil municipal, considérant la nécessité de transférer le cimetière, demande un « rapport circonstancié » à un ou des « hommes de l’art », susceptibles de « constater les dangers ou inconvénients résultant soit de la situation topographique, soit de l’insuffisance d’étendue, soit de la nature du sol ou de toute autre cause ». Il émet lors d’une de ses séances de délibérations un avis à partir de l’examen de ce rapport. Le préfet prend ordinairement avis du conseil départemental d’hygiène et de salubrité. S’il approuve la délibération, il prend un premier arrêté pour supprimer le cimetière existant, qui peut s’accompagner de mesures transitoires. Le choix définitif du nouvel emplacement est soumis à la formalité préliminaire de l’enquête de commodo et incommodo, conduite par un commissaire nommé par le préfet, au cours de laquelle les habitants viennent exprimer leur sentiment sur le choix du terrain. Cette enquête constitue l’occasion par excellence pour les opposants au projet de formuler leurs objections ou leur opposition de principe. Le conseil municipal, après avoir entendu le rapport de l’enquêteur, délibère sur ce choix et les modalités de financement de l’opération. Au vu de ces pièces et de cette délibération, le préfet, en général après avoir soumis l’état du dossier au conseil départemental d’hygiène et de salubrité, prend un nouvel arrêté déterminant l’emplacement sur lequel le cimetière sera transféré. On a déjà souligné que la décision appartient au préfet, et qu’il peut ainsi trancher les hésitations ou les polémiques que suscite parfois la localisation du nouveau cimetière. La loi du 3 mai 1841 sur la procédure d’expropriation pour cause d’utilité publique va lui permettre de débloquer des situations figées parfois depuis longtemps ; la circulaire d’application du 30 décembre 1841 l’y incite explicitement41. Le préfet joue un rôle actif dans les cas de transferts difficiles et contestés : il intervient en particulier en demandant à des personnalités présumées compétentes et impartiales des avis motivés sur l’état des cimetières existants ou les emplacements envisageables ; il peut s’agir de notables de la ville voisine, mais bien plus fréquemment de membres du corps médical ou de fonctionnaires des Ponts et Chaussées42.
37L’article 5 de l’ordonnance royale du 6 décembre 1843 prescrivait :
En cas de translation d’un cimetière, les concessionnaires ont droit d’obtenir, dans le nouveau cimetière, un emplacement égal en superficie au terrain qui leur avait été concédé, et les restes qui y avaient été inhumés seront transportés aux frais de la commune.
38La circulaire du 30 décembre 1843 admit que les communes devaient faire aussi opérer le transport des matériaux des tombeaux existant dans l’ancien cimetière. En revanche, elles n’étaient pas tenues à la reconstruction des tombeaux dans le nouveau cimetière43. Un arrêt de la Cour de cassation du 25 octobre 1910 devait cependant faire prévaloir ultérieurement l’application à la lettre de l’ordonnance de 1843 et mettre les frais de transport des matériaux des monuments funéraires à la charge du concessionnaire44. En fait, la multiplication des concessions dans les cimetières rendra leur translation de plus en plus difficile aux yeux de l’opinion et onéreuse pour les communes. Ainsi la loi du 16 juin-3 novembre 1859 sur l’extension de Paris indique-t-elle dans son article 10 :
Les dispositions des lois et décrets qui interdisent les inhumations dans l’enceinte des villes ne deviendront pas, par le seul fait de la présente loi, applicables aux cimetières actuellement existants dans l’intérieur de l’enceinte nouvelle de Paris.
39Cet article fut introduit sur proposition du Corps législatif qui considérait « que leur déplacement serait une calamité publique »45. Une des rares entreprises de suppression d’un grand cimetière, celle du principal cimetière de Marseille, montra toutes les difficultés de l’opération. Moins d’une génération après sa création, le cimetière Saint-Charles se trouvait intégré au tissu urbain et un nouveau cimetière avait été ouvert en 1853 au quartier de Saint-Pierre. À la demande du voisinage, le préfet prononçait en décembre 1863 sa fermeture. Devant les protestations, le conseil municipal obtint la cassation de l’arrêté par le Conseil d’État en juillet 1866. Le 9 août, le nouveau préfet prit un arrêté fermant le cimetière « à titre provisoire ». Les inhumations cessèrent et les transferts des restes et des tombeaux dans le nouveau cimetière commencèrent. Plus de 4000 concessions avaient été délivrées à Saint-Charles. En mai-juin 1876, le conseil municipal puis le préfet décidèrent de la fermeture définitive. La municipalité n’osa pas alors disposer du terrain de peur de choquer l’opinion. La suppression de ce vaste enclos, envahi d’une végétation spontanée et semé de tombeaux en déshérence, ne fut réalisée qu’en 1893. L’opération posa problème pour les concessions perpétuelles abandonnées pour lesquelles aucune procédure de reprise n’avait été prévue par la loi46. Les restes extraits de chaque caveau furent placés dans des cercueils dotés de numéros d’ordre et inhumés dans un carré du cimetière Saint-Pierre, « afin de faciliter les recherches et d’en assurer la parfaite authenticité aux intéressés qui viendraient [en] demander le transfert ». L’espace ainsi libéré reçut des équipements collectifs d’enseignement, des locaux administratifs, et la partie centrale fut transformée en place47.
L’exhumation ou le silence persistant des textes
40André Bertrand observe dans la partie de sa thèse qu’il consacre à l’exhumation :
Aucun texte législatif ni réglementaire n’ayant édicté les règles qui doivent présider à l’exhumation, la pratique suivante s’est établie48 […]
41Alors qu’il fixe à cinq ans le délai nécessaire à la consumation des chairs, le décret de prairial n’emploie explicitement qu’une seule fois le mot « exhumation » :
Art. 17. Les autorités locales sont spécialement chargées de maintenir l’exécution des lois et règlements qui prohibent les exhumations non autorisées […].
42Les « exhumations non autorisées » impliquent que d’autres le soient. Dans le même décret, l’article 6 sous-entend pudiquement l’exhumation licite dans la mesure où le « renouvellement » des inhumations sur un même emplacement l’implique :
Article 6. Pour éviter le danger qu’entraîne le renouvellement trop rapproché des fosses, l’ouverture des fosses pour de nouvelles sépultures n’aura lieu que de cinq années en cinq années […].
43Les « exhumations » apparaissent tout aussi fugitivement dans l’ordonnance royale des 2-5 août 1823, « concernant le conflit élevé par le préfet de police contre un arrêt de la cour royale de Paris rendu au sujet d’une contestation existante entre le sieur Flamand-Guétry et la ville de Liège, relativement à la possession du cœur de Grétry49 ».
Considérant […] qu’on ne peut disposer de la dépouille mortelle de l’homme que conformément aux lois qui protègent les cendres des morts, l’honneur des familles, et qui assurent le maintien de la salubrité, de la décence et de l’ordre public, et que l’exécution des lois en cette matière appartient exclusivement à l’autorité administrative ; considérant que, si l’autorité judiciaire a le droit incontestable d’interpréter les actes ou les transactions qui peuvent intervenir à cette occasion, et de déclarer les droits qui en résultent pour chacune des parties, l’exercice de ces droits est essentiellement subordonné aux décisions d’autorité chargée de veiller au maintien de l’ordre et de la salubrité publique, en tout ce qui concerne les inhumations ou exhumations et la police des sépultures […].
44On a considéré que ce texte très conjoncturel déterminait les « compétences des autorités administratives et judiciaires en ce qui concerne les sépultures50 ». Notons que le prélèvement et le dépôt en un lieu privé ou public des cœurs, pratique héritée de l’Ancien Régime, n’est pas autrement encadré.
45L’ordonnance royale du 6 décembre 1843 relative aux cimetières légalise implicitement d’autres cas d’exhumations. Ils découlent de la création (article 3) des trois catégories de concessions, perpétuelles, trentenaires et temporaires. Soit la possibilité d’exhumer des restes d’une fosse commune vers une concession, à la demande du plus proche parent, et aussi l’exhumation qui résulte de la fin de la durée d’une concession à durée limitée et qui est une forme de reprise d’emplacement de la part de la municipalité. L’article 5 qui précise le cadre juridique de la translation d’un cimetière prévoit aussi, on le sait, le transfert des restes de l’ancien dans le nouveau aux frais de la commune.
46Dès lors deux types d’exhumations existent. D’une part, la plus ancienne, celle que l’on ne saurait apparemment désigner que par une litote, comme si elle était inavouable : le « renouvellement » des fosses communes ou la « reprise » des concessions venues à échéance, soit le déterrement des restes osseux et leur versement dans un ossuaire. Elle relève de la gestion municipale du cimetière et n’est pas autrement réglementée, sinon par les arrêtés qui l’annoncent. D’ailleurs, nombre de manuels de législation funéraire du xixe siècle ne la mentionnent pas. Parmi les auteurs qui l’indiquent, Alfred Campion commence en 1876 par affirmer : « En principe, les exhumations sont défendues […]. Mais il peut être dérogé à cette règle »51. Il énumère trois grands motifs, sur lesquels nous allons revenir, plus en fait un quatrième, en réalité le plus courant :
L’autorité municipale a le droit de procéder à la réouverture des fosses non concédées après cinq ans depuis l’inhumation en vertu de l’article 6 du décret du 23 Prairial an XII […].
47On notera qu’il ne compte pas cette opération parmi les cas d’exhumation. En fait, les trois cas explicites qu’il va indiquer impliquent tous une réinhumation. De plus, ce sont ceux pour lesquels la présence du commissaire de police ou de son représentant est obligatoire52 et les frais entraînés par ces opérations relèvent, comme l’on va voir, du monopole des fabriques et consistoires (c’est sans doute une autre raison de ne pas employer le mot d’exhumation pour l’extraction des restes des fosses et leur mise à l’ossuaire). À noter que le développement de l’auteur est quasiment vide de références juridiques et qu’il en est de même dans les pages de la thèse de Bertrand ou le manuel de Courcelle consacrées au sujet53.
48Le premier cas est d’apparition alors récente, c’est l’examen médico-légal des restes, « en vertu d’un ordre de justice, pour rechercher les causes de la mort d’un individu54 ».
49Le deuxième « en vertu d’une décision administrative » (Bertrand) concerne la normalisation d’inhumations non-conformes à la réglementation : « Par mesure d’administration, quand l’inhumation a eu lieu hors des endroits réservés aux sépultures et sans qu’aucune autorisation préalable ait été accordée ou lorsque les prescriptions concernant le dépôt du corps n’ont pas été observées et que la santé publique peut se trouver compromise » (Campion). Soit les cas d’inhumations clandestines (de victimes d’assassinats par exemple), ou bien improvisées par impossibilité de transporter le corps hors du lieu de décès.
50Le troisième, déjà mentionné, est l’attribution d’une sépulture privilégiée : « Sur la demande des familles, pour donner aux corps une sépulture qu’elles jugent plus convenable ». Ce sont les cas de transferts de la terre commune dans une concession, autorisés par le maire (le préfet de police à Paris).
51Le cas spécifique de la « réduction de corps » d’un caveau, réalisée à la demande du plus proche parent de la personne défunte sur autorisation du maire, marque cependant les limites incertaines de la définition de l’exhumation. Selon une réponse ministérielle de 1994, « aucun texte spécifique ne réglemente l’opération de réduction de corps, qui consiste à recueillir à la suite d’une exhumation, les restes mortels dans une boîte à ossements pour la déposer dans la même sépulture ». Mais le Conseil d’État refusera en 1988 de qualifier cette opération d’« exhumation » et annulera un jugement du tribunal administratif de Nice qui avait conclu dans ce sens, car le corps n’est pas toujours « physiquement sorti » de la sépulture55.
52À noter que pour éviter les inhumations provisoires suivies d’exhumations et réinhumations est née au cours du xixe siècle la pratique du dépôt temporaire d’un cercueil dans un « caveau provisoire », qui ne doit pas excéder un délai de six mois après la fermeture du cercueil. Certains, créés par des marbriers, sont encore visibles dans les grands cimetières parisiens. On observe aussi dans les cimetières de certaines communes des cases hors-sol, souvent abritées par un petit édifice souvent dit « dépositoire », qui semble ordinairement dater de la fin du xixe ou du xxe siècle.
53La notion de violation de sépulture est moins définie que sanctionnée dans le Code pénal de 1810 : titre II, « Crimes et délits contre les particuliers », paragraphe III, « Infractions aux lois sur les inhumations », article 360 :
Sera puni d’un emprisonnement de trois mois à un an et de seize francs à deux cents francs d’amende, quiconque se sera rendu coupable de violation de tombeaux ou de sépultures, sans préjudice des peines contre les crimes ou délits qui seraient joints à celui-ci.
54La jurisprudence a délimité la violation de sépulture plus largement que l’exhumation illicite car elle a estimé qu’elle commençait à l’insulte ou aux dommages faits au tombeau. « La jurisprudence admet d’ailleurs que tout acte qui tend directement à violer le respect dû aux restes des morts, bien qu’aucune atteinte ne soit portée aux restes eux-mêmes, tombe sous l’application de la loi pénale », écrit l’avocat Campion qui cite, outre des actes de destructions commis sur les tombeaux, « le fait d’avoir lancé volontairement des pierres contre un cercueil, au moment où il venait d’être descendu dans la fosse destinée à le recevoir, dans l’intention d’outrager les restes qu’il contient (Bordeaux, 9 décembre 1830) » et même celui « d’avoir frappé d’un bâton un tombeau en se servant d’expressions outrageantes pour la mémoire du mort qui s’y trouve enfermé (1839)56 ».
Le monopole des fabriques et des consistoires
55Le décret de prairial avait posé dans ses articles 22 à 26 le large principe que les fabriques et consistoires jouiraient du monopole des pompes funèbres, que l’article 22 définissait comme le « droit de fournir les voitures, tentures, ornements et de faire généralement toutes les fournitures quelconques nécessaires pour les enterrements et pour la décence ou la pompe des funérailles ». L’article 25 précisait d’autres prestations : « les billets d’enterrement, le prix des tentures, les bières et le transport des corps ». En fait, lorsque le décret est rédigé, les rites publics d’obsèques sont, on le sait, réduits à leur plus simple expression à quelques exceptions près.
Le décret du 10 février 1806 « au sujet des pompes funèbres des juifs »
56Par ce décret, d’une grande brièveté, Napoléon Ier décida que « les dispositions des art. 22 et 24 titre V de notre décret sur les sépultures, rendu le 23 prairial an 12, articles qui concernent les fabriques et les consistoires, ne sont pas applicables aux personnes qui professent en France la religion juive »57. Il ne portait donc que sur l’organisation des pompes funèbres et non sur les cimetières58. En 1805 l’entrepreneur des pompes funèbres chargé à Bordeaux de l’exploitation du monopole avait voulu imposer ses droits aux juifs de la ville. Ces derniers, héritiers d’une des rares communautés qui avait été officiellement autorisée en France du Sud sous l’Ancien Régime, refusèrent et l’affaire alla jusqu’au Conseil d’État59. Le judaïsme français n’était pas encore organisé mais Portalis entretenait des liens avec les dirigeants de la synagogue de Metz qui lui avaient écrit au début de 1804 pour lui rappeler qu’avant la Révolution les syndics des « nations juives » étaient en charge de tout ce qui concernait les rites et cérémonies du judaïsme. Napoléon venait d’avoir lors de son passage à Strasbourg les 23 et 24 janvier 1806 des entretiens au sujet des juifs avec le préfet et divers notables – qui lui rapportèrent cependant surtout des plaintes à leur égard60. Ce décret anticipe sur celui du 17 mars 1808 qui, à la suite de l’assemblée des notables tenue en 1806, organise le culte français et italien en créant des consistoires « israélites61 ». À signaler que dans son traité de législation sur les pompes funèbres, Bernard Gaubert, défenseur attitré et inlassable du monopole des fabriques (il était avocat de la régie des inhumations de Marseille), a avancé, à tort, que la loi du 8 février 1831 qui accordait un traitement versé par le trésor public aux « ministres du culte israélite » aurait assimilé ce dernier aux autres religions et donc abrogé ipso facto ce décret62. G. Baugey a cru pouvoir observer que les consistoires juifs, créés ultérieurement au décret, ne bénéficieront pas explicitement du monopole63. En réalité, les consistoires organisèrent les pompes funèbres juives au xixe siècle64.
Le décret du 18 mai 1806 et les services « intérieur » et « extérieur »
57Le décret du 18 mai 1806, « relatif au service des morts dans les églises et au transport des corps », allait définir plus nettement le monopole des pompes funèbres65. Deux de ses articles sont révélateurs de la réorganisation des lieux des cultes et aussi de la reprise de la pose de tentures dans leur chœur, voire leur nef, lors des enterrements – du moins ceux correspondant aux classes les plus onéreuses des tarifs.
58L’article 20 du décret de prairial avait indiqué qu’« il ne sera rien alloué [aux ministres des cultes et autres individus attachés aux églises et temples] pour leur assistance à l’inhumation des individus inscrits aux rôles des indigens ». L’article 4 du décret du 18 mai 1806 répétait que le service serait gratuit pour les indigents et ajoutait cette précision :
Article 5 : si l’église est tendue pour un service funèbre et qu’on présente ensuite le corps d’un indigent, il est défendu de détendre jusqu’à ce que le service de ce mort soit fini.
59L’article 13 interdisait d’établir « aucun dépositoire dans l’enceinte des villes » : il rendait en fait impossible ces rassemblements de corps en des « dépôts » situés en sites urbains pour les transporter ensemble au cimetière qu’avaient prévu nombre de projets conçus à la fin du siècle précédent et en dernier lieu l’arrêté du préfet Frochot (chapitre 4). Dans le cas en particulier du culte catholique, la cérémonie liturgique, simple absoute ou messe d’obsèques, aurait lieu dans une église et le corps serait ensuite aussitôt après transporté au cimetière et inhumé.
60Les articles 7 et 11 nuancent et précisent l’article 25 du décret de prairial66. Le monopole est divisé en deux parties nettement distinctes, qui vont prendre le nom courant de « service intérieur » et « service extérieur ».
Titre II, Services pour les morts dans les églises [service intérieur], Article 7 : Les fabriques feront par elles-mêmes ou feront faire par entreprise aux enchères toutes les fournitures nécessaires au service des morts dans l’intérieur de l’église, et toutes celles qui sont relatives à la pompe des convois […] Elles dresseront à cet effet des tarifs et des tableaux gradués par classes ; ils seront communiqués aux conseil municipaux et aux préfets pour y donner leur avis et seront soumis par notre ministre des Cultes, pour chaque ville, à notre approbation. Notre ministre de l’Intérieur nous transmettra pareillement, à cet égard, les avis des conseils municipaux et des préfets.
Titre III, Du transport des corps [service extérieur], Article 11 : Le transport des morts indigens sera fait décemment et gratuitement. Tout autre transport sera assujeti à une taxe fixe. Les familles qui voudront quelque pompe traiteront avec l’entrepreneur, suivant un tarif qui sera dressé à cet effet. Les règlemens et marchés fixant cette taxe et ce tarif seront délibérés par les conseils municipaux et soumis ensuite, avec l’avis du préfet, par notre ministre de l’Intérieur à notre approbation.
61La circulaire du ministre de l’Intérieur Champagny du 17 juin 1806 qui accompagne l’envoi du texte du décret souligne ce distinguo : « Vous y remarquerez que […] tout ce qui concerne le service des morts dans l’intérieur de l’église est du ressort du ministre des Cultes […] mais tout ce qui concerne le transport des corps reste dans les attributions de mon ministère »67. Ainsi les préfets devraient veiller à ce que les projets de tarifs soient scindés en « service à l’intérieur de l’église » qui, avec les fournitures nécessaires à la « pompe des convois », formait le service intérieur68 et « service extérieur ». Le tarif du premier était proposé par la fabrique et communiqué par l’évêque au conseil municipal. Dans les villes, il comprenait un service ordinaire et un service extraordinaire gradué par « classes », la première correspondant en général à la pompe la plus importante. Pour celui du second, le conseil municipal avait l’initiative – cette prérogative, qui lui avait été reconnue par l’article 25 du décret de prairial, était ainsi précisée69. Cette division semble reprendre la distinction entre « cérémonies intérieures » et « cérémonies extérieures » qu’avait ordonnée la loi organique du 18 germinal an X (8 avril 1802) « relative à l’organisation des Cultes », promulguant le Concordat et les articles organiques, aux articles 45 et 46 – l’article 18 du décret de prairial s’y référait d’ailleurs70. Dans la pratique, les conseils municipaux urbains nommaient une commission qui examinait le tarif du service intérieur et établissait parallèlement celui du tarif extérieur. Des commissions mixtes pouvaient être composées de fabriciens et conseillers municipaux71. Les deux tarifs étaient imprimés ensemble.
62Le monopole s’étendait tant aux dépenses des services intérieur qu’extérieur – pour ce dernier, il comprenait, outre le transport, les travaux d’inhumation dans les cimetières. Un arrêt de la Cour de cassation du 29 novembre 1859 confirma qu’il s’étendait aux exhumations, réinhumations et transport des corps et aux fournitures que ces opérations exigeaient72. Il comprenait encore les services commémoratifs, y compris ceux ordonnés par le gouvernement73.
L’exploitation du monopole
63Les fabriques avaient un « droit d’option absolu relativement au mode d’exploitation de leur monopole » (René Gouffier). Elles pouvaient soit exercer elles-mêmes directement ce monopole sous forme de régie simple (ce qui impliquait quelques compétences en matière de gestion et de finance de la part des fabriciens), soit l’affermer par la voie de l’adjudication publique (imposée en théorie par l’art. 7 du décret de 1806) ou par traité de gré à gré (admis par la jurisprudence) à un entrepreneur subrogé à leur droit, voire opter pour l’exploitation mixte en régie intéressée, faisant faire l’avance du matériel par un entrepreneur qui exécutait le service avec un profit limité et sous la surveillance d’un conseil d’administration. Leur choix devait être homologué par le préfet qui pouvait critiquer les clauses du contrat. Mais R. Gouffier assure en 1902 sans citer sa source que « la plupart de ceux-ci sont soustraits au contrôle du préfet74 ». Avec une restriction : l’article 8 du décret du 18 mai 1806 prescrivait que « dans les grandes villes, toutes les fabriques se réuniront pour ne former qu’une seule entreprise ». Dès lorsque que plusieurs paroisses d’une ville décidaient d’affermer leur monopole, elles devaient former un syndicat dont le règlement, approuvé par chaque conseil de fabrique, était transmis par l’évêque au gouvernement qui le sanctionnait par un décret. Le Conseil d’État jugea dans un arrêt du 10 avril 1867, que l’existence dans une ville d’un syndicat de régie n’empêchait pas les fabriques de cette ville qui n’en faisaient pas partie soit d’exploiter chacune à leur compte le monopole, soit d’affermer leur privilège – mais dans ce cas ces fabriques ne pouvaient traiter qu’avec le même entrepreneur75. À Paris, après la concession directe, la mise en adjudication et la régie intéressée, le monopole fut exploité à partir de 1878 en régie directe, sous forme d’un syndicat où l’administration des pompes funèbres représentait à la fois les fabriques catholiques et les consistoires calviniste, luthérien et juif76. Il fut également en régie directe à Marseille (décret du 10 septembre 1808) et à Bordeaux (décret du 17 février 1881) ; mais dans ces deux villes, le conseil d’administration qui dirigeait la régie ne représentait que les fabriques seules. Ailleurs, les fabriques purent ne faire porter l’exploitation en commun que sur les fournitures du service extérieur, ou bien un syndicat put n’affermer qu’une fourniture, en général celle des corbillards77.
64Enfin, conformément à l’article 26 du décret de prairial, là où la fabrique ou un consistoire n’exercent pas leur droit, la commune se trouve substituée à eux pour le service extérieur et peut en confier l’exécution à un entrepreneur par voie d’adjudication ou de traité de gré à gré78.
65Le catholicisme étant la religion de la majorité des Français, la doctrine et la jurisprudence ont admis que c’était aux fabriques qu’il appartenait de faire les fournitures nécessaires des morts dont la religion était inconnue. Plus contestée fut, sous la IIIe République, l’extension de ce principe aux personnes n’appartenant à aucune religion – soit aux libres penseurs : dans le cas qui fit école du jugement rendu à Aix, le 18 août 1873, il fut jugé que la régie des inhumations de Marseille avait seule le droit dans sa ville de « faire procéder aux enterrements et de fournir les voitures, moyens de transport et objets nécessaires aux pompes funèbres, sans distinguer s’il s’agit d’individus n’appartenant à aucun culte ou qui en sont exclus79 ».
66Les fabriques avaient aussi le droit exclusif de procéder aux inhumations des personnes décédées dans les hôpitaux et hospices. Bénéficiant des sommes versées par les familles susceptibles de payer les frais d’obsèques, elles devaient en revanche assumer ceux de l’enterrement gratuit des indigents. La fabrique pouvait s’en décharger sur les commissions des hospices mais dans ce cas ces dernières effectuaient les enterrements de tous les morts décédés dans l’établissement, y compris ceux qui étaient payants. De même pour l’enterrement des enfants assistés et des militaires – pour ces derniers, l’État en supportait en fait les dépenses, les fabriques se concertant avec l’administration pour établir un tarif spécial de fournitures80.
67Les sociétés de secours mutuel se virent accorder par l’article 10 du décret du 26 mars 1852 que « dans les villes où il existe un droit municipal sur les convois, il sera fait à chaque société une remise des deux tiers pour les convois dont elle devra supporter les frais aux termes de ses statuts ». Cet article ayant été largement interprété, la circulaire ministérielle du 29 mai 1852 vint rappeler que « la société assure aux sociétaires, en cas de décès, un enterrement convenable dont tous les frais sont à sa charge »81.
Objets auxquels s’appliquait le monopole
68L’interprétation des articles 22 et 25 du décret de prairial et de l’article 17 du décret du 18 mai 1806 a suscité de nombreuses contestations, en particulier à cause de l’expression employée dans les deux cas : « les fournitures quelconques nécessaires… » et « toutes les fournitures nécessaires » et parce que le décret de l’an XII énumérait des fournitures mais non celui de 1806. De plus, le décret du 18 août 1811, portant règlement du service des pompes funèbres de Paris, avait distingué des « fournitures obligatoires » soumises au tarif gradué selon les classes d’enterrement, annexé au décret, et des « fournitures facultatives », portées au tarif des articles supplémentaires. Il fut dans un premier temps admis, en particulier par un arrêt de la Cour de cassation du 27 novembre 1816, que le décret de 1806 avait implicitement abrogé les articles correspondants du décret de prairial : le monopole ne portait dès lors que sur les articles nécessaires et la fourniture d’articles facultatifs n’en faisait pas partie. Le 27 aout 1823, la Cour de cassation posa le principe que les deux décrets devaient se combiner. Elle opta pour une interprétation extensive du monopole qui incluait toutes les fournitures, y compris celles qui ne figuraient pas dans les tarifs approuvés, ce que devait confirmer l’arrêt de la cour d’Aix du 13 juin 1872. Après un arrêt de la Cour d’appel de Paris du 11 avril 1850 et un arrêt de la Cour de cassation du 22 novembre 1859, la jurisprudence comprit la définition du monopole « sans aucune restriction » et l’étendit même en principe à la fourniture des couronnes mortuaires, mais ces dernières furent généralement laissées à l’industrie privée, d’autant qu’il eut convenu de distinguer entre couronne destinée à figurer à l’enterrement, seule incluse en théorie dans le monopole, et couronne destinée à être placée sur la tombe, qui n’en faisait pas partie.
69Le développement des pompes funèbres qui marque le xixe siècle allait multiplier les fournitures qui mesuraient la « classe » de chaque enterrement. Il est révélateur que la distinction entre service intérieur et extérieur ait rangé dans le premier ces éléments de gradation du faste des obsèques : à cette date, il s’agit avant tout des tentures de l’église, des ornements de l’autel, de l’érection d’un catafalque. Allaient s’ajouter au cours des décennies suivantes les tentures de la porte de la maison mortuaire, le dressage éventuel à l’intérieur de celle-ci d’une chapelle ardente. Le faste funèbre allait être aussi marqué dans le service extérieur par les corbillards, plus ou moins ornés et attelés d’une ou plusieurs paires de chevaux, caparaçonnés ou non.
70Parmi les fournitures qui firent question, la cire n’était pas explicitement citée dans l’article 22 du décret de Prairial. Elle constituait une fourniture bien particulière, vendue dans toutes les villes par des artisans spécialisés et divers détaillants. Comme sous l’Ancien Régime, le clergé et les fabriques cédaient son déchet aux ciriers et donc dépendaient d’eux dans une certaine mesure. De plus, la cire d’abeille destinée à l’église devait être pure de tout mélange de matières étrangères et la Congrégation des rites allait interdire par une décision du 17 septembre 1843 l’emploi de la stéarine (cire à base de suif animal). On a ordinairement considéré que la cire était comprise dans les « fournitures quelconques nécessaires pour les enterrements et pour la décence et la pompe des funérailles » et était donc incluse dans le monopole des fabriques82. L’article 1 du décret du 26 décembre 1813 « concernant le partage des cierges employés aux enterremens et aux services funèbres » régla la répartition de la cire restante après la cérémonie entre le clergé et la fabrique :
Dans toutes les paroisses de l’Empire, les cierges qui, aux enterremens et offices funèbres seront portés par les membres du clergé leur appartiendront ; les autres cierges placés autour du corps et à l’autel, aux chapelles et autres parties de l’église, appartiendront : savoir, une moitié à la fabrique et l’autre moitié à ceux du clergé qui y auront droit ; ce partage sera fait en raison du poids de la totalité des cierges83.
71Ce décret n’envisageait pas les cierges portés par les assistants, et l’attribution de ces derniers posa problème. La règle la plus fréquente fut que l’on devait s’en tenir aux usages locaux84. En fait, les oblations de cire allaient être remplacées au cours du siècle par l’offrande de fleurs.
72Les billets d’enterrement étaient explicitement indiqués par l’article 25 du décret de prairial mais celui du 18 mai 1806 ne les mentionnait pas. Ils n’ont pas été jugés au début du siècle nécessaires mais seulement facultatifs. Là aussi, l’arrêté de la Cour de cassation du 27 août 1823 fonda une jurisprudence nouvelle : il posa la doctrine que le décret de 1806 avait été rendu pour assurer l’exécution et le développement des règles de celui de l’an XII. Les billets devaient donc être soumis au monopole des fabriques et consistoires. Le ministère des Cultes le confirma par une circulaire du 4 novembre 183585. En dépit de jugements ultérieurs favorables aux fabriques, ces dernières ne semblent pas avoir exercé sur cet objet leur monopole en nombre de ville, à commencer par Paris. Par ailleurs, aucun droit n’était dû aux fabriques pour les avis de décès insérés dans les journaux, qui ne faisaient qu’informer du décès et n’avaient pas valeur de lettre d’invitation aux obsèques. Enfin Francis Messner cite l’arrêt de la Cour de cassation du 23 novembre 1877 qui signifia que le monopole ne faisait pas obstacle au droit des particuliers qui suivaient un convoi de le faire avec leurs voitures ou des voitures de place prises sur la voie publique86.
Notes de bas de page
1 Liste des principales études juridiques publiée pendant la période concordataire dans A[imable-Auguste] Grandin, Bibliographie générale des sciences juridiques, politiques, économiques et sociales de 1800 à 1925-1926, Paris, Recueil Sirey, 1926, t. 1, p. 730-731.
2 L’évolution qui est ici simplement rappelée est en particulier décrite par Michel Vovelle, La mort et l’Occident de 1300 à nos jours, Paris, Gallimard, 1983, « Sixième partie, Certitudes et inquiétudes : la mort bourgeoise au xixe siècle », p. 507 sq. Les étapes de la création et l’évolution des nouveaux cimetières sont reconstituées par Madeleine Lassère, Villes et cimetières en France de l’Ancien régime à nos jours : le territoire des morts, Paris, Éd. l’Harmattan, 1997, chap. III à VI, p. 97 sq. Voir également Thomas A. Kselman, Death and the afterlife in modern France, Princeton, Princeton university press, 1993, « Part 3, The material Culture of death », p. 165 sq. et Suzanne Glover Lindsay, Funerary Arts and Tomb Cult. Living with the Dead in France, 1750-1870, Farnham, Ashgate, 2012, « Reforming Funerary Cult in France, 1750-1870 », p. 21-56.
3 [François-Marie] Marchant de Beaumont, L’observateur au cimetière du Père La Chaise en 1822 […] augmenté d’une revue de deux cent cinquante nouveaux tombeaux […], Paris, chez l’auteur, 1822, p. 2 et 16.
4 Régis Bertrand, « Des fleurs pour les morts : aux origines des offrande florales contemporaines », Mort et mémoire. Provence, xviiie-xxe siècles. Une approche d’historien, Marseille, La Thune, 2011, p. 139-155.
5 Parmi les études monographiques qui abordent la plupart des aspects de l’histoire des cimetières « provinciaux », signalons Anne-Lise Thierry, Une Nécropole romantique : le cimetière des Chaprais à Besançon au xixe siècle, Paris, Les Belles Lettres, 1987 et Anne-Sophie Beau, « Le cimetière dans la ville : la Guillotière à Lyon au xixe siècle », Bulletin du centre Pierre Léon d’histoire économique et sociale, 1996-1/2, p. 7-24.
6 Circulaires, instructions et autres actes émanés du Ministère de l’Intérieur […], Paris, Impr. royale, 2e éd., 1821, t. I, p. 338-339.
7 Jean-Michel Pianelli, « Champs des morts corses », Monuments historiques, n° 124, décembre 1983-janvier 1983, p. 20-26. C’est aussi le cas à Orsonville (Yvelines) du mausolée de Louis-Gilbert Colbert de Chabanais, œuvre d’Eugène Train (1857-1871), auquel le célèbre recueil de Daly César, Architecture funéraire contemporaine […], Paris, Ducher et Cie, 1871, consacre ses planches 8 à 14.
8 Voir André Bertrand, De la législation de la sépulture, Paris, A. Chevalier-Maresq, 1904, chap. 8, p. 148-162.
9 Jurisprudence dans A. Rousset, Code annoté de la législation civile concernant les églises, presbytères, cimetières, inhumations, exhumations, pompes funèbres, la police et les dépenses du culte […], Paris, Librairie administrative de Paul Dupont, 1865, p. 107-112. Ernest Bonduel, Droit romain, Des res religiosae et du jus sepulcri. Droit français, inhumations et sépultures, thèse de droit, Lille, impr. Victor Ducoulombier, 1886, p. 196-206. Émile Graille, Manuel de législation funéraire, Paris, publications administratives, 1950, p. 81-83. À noter l’intéressante analyse d’un grand juriste : Théophile Ducrocq, L’article 14 du décret du 23 prairial de l’an XII sur les sépultures, considéré au point de vue économique et social, Paris, impr. de Chaix, 1884, tiré à part de Association française pour l’avancement des sciences, Congrès de Blois, 1884. Séance du 5 septembre 1884. Et aussi les remarques de Philippe Ariès, L’homme devant la mort, Paris, éd. du Seuil, 1977, p. 513-517.
10 Jean-Yves Durand, « Entre paisibles jardins et patrimoine culturel, les cimetières familiaux des protestants du Diois », Terrain n° 20, 1993, p. 119-134. Charlotte Pon-Willemsen, « Un cimetière privé protestant à Negressauve (Deux-Sèvres) », dans Cécile Treffort éd., Mémoires d’hommes. Traditions funéraires et monuments commémoratifs en Poitou-Charentes, de la Préhistoire à nos jours, Poitiers, Arcadd, 1997, p. 104-108.
11 Louis Courcelle, Répertoire de police administrative et judiciaire, législation et réglementation, jurisprudence et doctrine, Paris, Berger-Levrault, 1896-1899, t. II, p. 2077. Graille, Manuel de législation funéraire, op. cit., p. 83-84.
12 Ces dernières précisées et complétées ultérieurement par la circulaire du 29 février 1856, celle du ministre de l’Intérieur du 8 août 1859 (« mesures de précaution et de salubrité » en cas de transfert d’un corps d’un département à un autre), elle-même modifiée par le décret du 13 avril 1861. Ce textes sont commodément rassemblés dans B[ernard] Gaubert, Traité théorique et pratique de législation, de doctrine et de jurisprudence sur le monopole des inhumations et des pompes funèbres, précédé d’un historique du monopole chez les Égyptiens, les Grecs et les Romains, Marseille, M. Lebon, 1875, t. II, p. 436-442.
13 Circulaires, instructions […] du Ministère de l’Intérieur, op. cit., 2e éd., p. 363. Rousset, Code annoté..., op. cit., p. 101-102.
14 Le Besnier, Législation complète des fabriques des églises, Rouen, É. Périaux, 1826, p. 123- 124. Édouard Hornstein, Les sépultures devant l’histoire, l’archéologie, la liturgie, le droit ecclésiastique et la législation civile, Paris, J. Albanel, 1868, p. 323.
15 Jean-Baptiste Duvergier, Collection complète des lois, décrets, règlements et avis du Conseil d’État, Paris, A. Guyot et Scribe, 2e éd., t. 16, p. 231.
16 Bertrand, De la législation de la sépulture, op. cit., p. 47-55. Voir aussi Courcelle, Répertoire, op. cit., t. II, p. 2078-2080.
17 Voir l’analyse de Théophile Ducrocq, Cours de droit administratif, Paris, E. Thorin, 1881, 6e édition, t. II, n° 865, p. 55.
18 Étude d’ensemble dans le chapitre VI de Bertrand, De la législation de la sépulture, op. cit., p. 116-135.
19 M.-A. Bost, Encyclopédie du contentieux administratif et judiciaire des conseils de fabriques et des communautés religieuses, Paris, chez l’auteur, 1869, p. 300-303.
20 Francis Messner, Le financement des églises. Le système des cultes reconnus (1801-1983), Strasbourg, Cerdic publications, 1984, p. 192.
21 Duvergier, Collection complète des lois, op. cit., t. 37, p. 242-244. A. Rousset, Code annoté, op. cit., p. 129.
22 Bulletin officiel du Ministère de l’Intérieur, op. cit., 1841, p. 259-267. Ce texte et les débats qu’il suscita dans les conseils généraux alsaciens fait l’objet d’une étude attentive de Frédéric Thébault, Le patrimoine funéraire en Alsace, 1804-1939. Du culte des morts à l’oubli, Strasbourg, Presses universitaires de Strasbourg, 2004, p. 134-139.
23 Bulletin officiel du Ministère de l’Intérieur, op. cit., 1843, p. 251-262. Texte repris en annexe d’Annabelle Iszatt-Christy, Les nécropoles de Paris et de sa banlieue : formation et transformation d’un espace urbain, thèse d’architecture de l’École polytechnique fédérale de Lausanne, 2012, p. 311-321.
24 Duvergier, Collection complète des lois, op. cit., t. 43, p. 582-583. On trouvera son texte en annexe. Elle est publiée et longuement commentée par Rousset, Code annoté, op. cit., p. 131-151.
25 C. P. Arnaud architecte-dessinateur, Recueil de tombeaux des quatre cimetières de Paris, avec leurs épitaphes et leurs inscriptions, Paris, Arnaud, 1813 puis Paris, Arnaud et G. Mathiot, 1817-1825, 2 vol. F[rançois] G[abriel] T[héodore Basset] de Jolimont, Les mausolées français. Recueil des tombeaux les plus remarquables par leur structure, leurs épitaphes, ou les cendres qu’ils renferment, érigés dans les nouveaux cimetières de Paris, Paris, F. Didot, 1821. Louis[-Marie] Normand aîné, Monuments funéraires choisis dans les cimetières de Paris et des principales villes de France, Paris, Normand, 1832 et 1847. [Ferdinand] Quaglia, Le Père Lachaise ou recueil de dessins aux traits et dans leurs justes proportions des principaux monumens de ce cimetière […], Paris, Quaglia, s. d. [1835].
26 Régis Bertrand, Les Provençaux et leurs morts. Recherches sur les pratiques funéraires, les lieux de sépultures et le culte du souvenir des morts dans le Sud-Est de la France depuis la fin du xviie siècle, thèse, Université de Paris I, 1994, dactyl., t. III, p. 915-926.
27 Selon Lassère, Villes et cimetières en France, op. cit., p. 149, Bordeaux avait voté un tarif de concessions en août 1809. À Lyon le conseil vote le tarif le 28 janvier 1811. Il est autorisé par le décret le 18 avril 1812. Henri Hours, Maryannick Lavigne-Louis, Marie-Madeleine Vallete d’Osia, Lyon. Le cimetière de Loyasse, Lyon, Préinventaire des mon. et richesses art., 1996, p. 21.
28 Raphaël Pelat, Des concessions de terrains ou des sépultures privées dans les cimetières publics communaux, Poitiers, Soc. fr. d’imprimerie et de librairie, 1915, p. 64.
29 Roger Vidal et Émile Graille, Guide pratique de législation funéraire, Paris, Librairie technique, 4e éd., 1985, p. 250. En dernier lieu, la loi 2008-1350 du 19 décembre 2008 relative à la législation funéraire a apporté de « notables modifications ». Damien Dutrieux, Le régime juridique des concessions funéraires, Territorial éditions, éd. de 2009.
30 Bulletin officiel du Ministère de l’Intérieur, 1843, n° 12, Paris, Duprat, p. 251-262.
31 Dutrieux, Le régime juridique des concessions funéraires, op. cit., p. 9.
32 Déjà, au cours des années précédant l’ordonnance, plusieurs avis du comité de l’Intérieur du Conseil d’État avaient repoussé de tels projets de tarifs qui ne prévoyaient que des concessions perpétuelles. Beau, « Le cimetière dans la ville.. ; », op. cit., p. 14.
33 Henri Serre, Les concessions de terrains dans les cimetières, Aix, Niel-Tournel, 1911, chap. III, p. 59 sq. en fournit un bon exposé. Voir aussi la thèse de Bertrand, De la législation de la sépulture, op. cit., p. 76-115.
34 Résumé par Serre, Les concessions de terrains, op. cit. p. 15-31. Voir aussi la thèse de Pelat, Des concessions de terrains, op. cit., qui fournit une analyse détaillée et très argumentée de tous les problèmes évoqués ici. Avis contraire : Ducrocq, Cours de droit administratif, op. cit., t. II, n° 1418-15419, p. 573-579 qui estime qu’il s’agit d’un domaine privé communal.
35 Circulaire du ministère de l’Intérieur du 20 juillet 1841 citée par Serre., Les concessions de terrains..., op. cit., p. 78.
36 Si l’on en juge par les séries O de nombre d’Archives départementales, l’administration préfectorale semble avoir tenu au xixe siècle à recevoir et conserver un exemplaire de ces titres de concessions, à l’exception de ceux des grandes villes, munies d’un service des cimetières. Néanmoins l’état de désordre dans lequel se trouvent en général ces liasses laisse penser que l’administration n’en fit aucun usage.
37 L’étude de la place de ce document dans les papiers de famille relève des travaux d’ethnologie urbaine. Il nous est arrivé d’être témoin de ces conflits lors de nos enquêtes dans les cimetières, tel détenteur du précieux titre n’acceptant pas de le confier momentanément aux proches parents de celui qui allait être inhumé et préférant les accompagner au bureau des formalités ou bien le leur arrachant des mains dès leur sortie de ce bureau ; familles mettant à profit leur réunion dans le cortège pour contester le droit d’un des leurs à le détenir, etc.
38 Arch. Dép. du Var 2 O 50 art. 17.
39 Rousset, Code annoté..., op. cit., p. 141-142, observe que « la plus grande latitude doit être laissée au pouvoir municipal », seul capable de juger si « une inscription, même inoffensive » peut devenir « une occasion de scandale et de trouble ». On trouve dans les archives çà et là trace de quelques cas de censure, souvent après gravure de l’inscription, soit à propos de fils naturels auxquels on avait attribué le nom de leur véritable père, soit à propos de communards dont l’épitaphe mettait en cause le régime ou comportait le terme de victime.
40 Description détaillée dans Courcelle, Répertoire, op. cit., t. II, p. 2081-2082.
41 Voir aussi Bonduel, Droit romain, Des res religiosae…, op. cit., p. 219-220. Un certificat du maire et du commissaire enquêteur doit cependant attester qu’il ne se trouve point dans le territoire d’autre emplacement pouvant être transformé en cimetière. Bertrand, De la législation de la sépulture, op. cit., p. 13-23.
42 Dans le cas de la translation laborieuse du cimetière de Gréoux-les-Bains (première décision en 1778, transfert effectué en 1859), la phase finale entre 1853 et 1859 fait ainsi intervenir un « paléographe » (sans doute pour lire la transcription très cursive des délibérations d’Ancien Régime dans les registres du parlement), le médecin-inspecteur de la station thermale, le maire de Valensole qui est également médecin, l’agent voyer. Arch. Dép. des Alpes-de-Haute-Provence 1 O 207.
43 Rousset, Code annoté, op. cit. p. 141.
44 Jean-Pierre Tricon et André Autran, La commune, l’aménagement et la gestion des cimetières, Paris, Berger-Levrault, 1979, p. 58-59.
45 Duvergier, Collection complète des lois, op. cit., t. 59, p. 371 voir aussi p. 365-366. Courcelle, Répertoire, op. cit., t. II, p. 2084.
46 La reprise sous certaines conditions des concessions perpétuelles abandonnées ne sera autorisée que par la loi du 25 avril 1924. Duvergier, Collection complète des lois, op. cit., Nouvelle série, Paris, lib. du Recueil Sirey, 1924, t. 124 (NS 24), p. 230-232.
47 Bertrand, Les Provençaux et leurs morts, op. cit., t. IV, p. 1153-1155.
48 Bertrand, De la législation de la sépulture, op. cit., chap. 7, p. 139. Voir aussi Courcelle, Répertoire, op. cit., p. 2074-2075.
49 Duvergier, Collection complète des lois, op. cit., t. 24, p. 380-381. Le neveu de Grétry refusait de remettre cette relique à la ville de Liège, conformément au voeu du musicien. La ville eut gain de cause. L’ordonnance donna raison au préfet de la Seine qui avait pris un arrêté de conflit contre un arrêt de la cour de Paris qui fut déclaré non advenu, ainsi que deux autres ultérieurs.
50 Selon Duvergier, Collection complète des lois, op. cit., Table générale, analytique et raisonnée, 1788-1830, t. II, 1838, p. 687
51 Alfred Campion, Manuel pratique de droit civil ecclésiastique, Caen, F. Le Blanc-Hardel, 1876.
52 L’ordonnance de police du 1er février 1817 qui précise les mesures à prendre à Paris pour une exhumation a été, à défaut d’autre texte, ordinairement suivie au xixe siècle selon Bonduel, Droit romain, Des res religiosae, op. cit. p. 190.
53 Bertrand, De la législation de la sépulture, op. cit., chap. 7, p. 138-147. Courcelle, Répertoire, op. cit., p. 2074-2075. Émile Faÿ, Traité pratique de législation sur les cimetières et la police des inhumations et exhumations, Amiens, typ. et lith. T. Jeunet, 1886, est un des rares auteurs à traiter p. 170-172 de la réouverture des fosses. Il signale qu’elle doit faire l’objet d’« arrêtés spéciaux notifiée administrativement aux personnes connues pour y avoir intérêt ». Il mentionne un arrêt de la Cour de cassation de 1862 qui condamne pour violation de sépulture un maire qui avait fait extraire des cercueils de plomb des fosses sans notification préalable « pour en appliquer le prix (de vente) à l’entretien du cimetière communal ».
54 Voir Amédée Dechambre, Léon Lereboullet et al., Dictionnaire encyclopédique des sciences médicales, Première série, Paris, A.-E. Masson, P. Asselin et al., t. 11, 1870, art. « Cadavre, médecine légale », p. 412-413 et t. 36, 1888, art. « Exhumation », p. 429-431. L’auteur de cette dernière (L. Lereboullet) ne cite que l’« exhumation générale » en cas de suppression du cimetière et l’exhumation particulière suivie de réinhumation. Il ignore donc la pratique la plus courante, celle de la « réouverture » des fosses et concessions à terme.
55 Damien Dutrieux, Le régime juridique des concessions funéraires, Voiron, Territorial éditions, mars 2009, p. 52. Situation actuelle : Claude Bouriot, « Les exhumations », Funéraire magazine, n° 96, juin 1999, p. 24-38.
56 Campion, Manuel pratique, op. cit., p. 524. Bertrand, De la législation de la sépulture, op. cit., chap. 9, p. 163-183.
57 Duvergier, Collection complète des lois, op. cit., t. 15, p. 299.
58 Georges Chaillot, Le droit des sépultures en France, Paris, Pro Roc, 2004, p. 433 affirme après nombre d’autres auteurs que ce décret « autorisait à conserver les cimetières spéciaux existants à cette date pour y réaliser les inhumations sans autorisation spéciale, sous réserve que la personne à inhumer soit réellement reconnue de religion juive ». On ne trouve pas cela dans le texte du décret.
59 Isabelle Meidinger, L’État et les minorités cultuelles en France au xixe siècle : l’administration des cimetières israélites de 1789 à 1881, Paris, thèse de l’EHESS, 2002, dactyl., p. 148-151.
60 Sur le contexte : Robert Anchel, Napoléon et les juifs, Paris, PUF, 1928, chap. II, p. 62 sq. (p. 75 pour le passage à Strasbourg). Simon Schwarzfuchs, Napoleon, the Jews and the Sanhedrin, London, Boston and Henley, Routlege & Kegan Paul, 1979, p. 37 sq.
61 Duvergier, Collection complète des lois, op. cit., t. 16, p. 248-252.
62 Gaubert, Traité théorique et pratique de législation, op. cit., t. I, p. 197.
63 Gorges Baugey, De la condition légale du culte israélite en France et en Algérie, Paris, A. Rousseau, 1898, p. 232. Néanmoins Arthur-Louis Beaufin Penel, Législation générale du culte israélite en France, en Algérie et dans les colonies à la portée de tous, Paris, V. Giard et E. Brière, 1894, p. 144 cite en dernier lieu un jugement de 1891 et un arrêt de la Cour de cassation de 1893 qui sont fondés sur ce monopole.
64 Étude très précise de Patricia Hidiroglou, Rites funéraires et pratiques de deuil chez les juifs en France xixe-xxe siècles, Paris, Les Belles lettres, 1999, p. 47-86.
65 Duvergier, Collection complète des lois, op. cit., t. 15, p. 362-363. Bulletin des lois, IVe série, t. 4, An XIV, n° 1550, p. 529-532. Le décret du 18 août 1811 a ensuite précisé le cas spécifique de Paris.
66 Ouvrages généraux : Gaubert, Traité théorique et pratique de législation…, op. cit.. Jurisprudence dans deux thèses de droit contemporaines de la loi qui va supprimer ce monopole, Joseph Pulby, Le monopole des pompes funèbres, Paris, Giard-Brière, 1904 et Baratte Léon, Rapports de l’autorité civile et de l’autorité religieuse en matière de sépulture (ancien droit et droit actuel), Le Mans, Association ouvrière, 1904, p. 186-194.
67 Circulaires, instructions […] du Ministère de l’Intérieur, op. cit., 2e éd., p. 453-454.
68 Conformément à l’article 20 du décret de prairial, le tarif des honoraires personnels du clergé était élaboré par l’évêque (ou le consistoire) et transmis par le préfet au ministre des Cultes pour approbation par le chef de l’État. René Gouffier, La législation des funérailles et des pompes funèbres, Paris, Pédone, 1902, p. 205-206.
69 Gaubert, Traité théorique et pratique de législation..., op. cit., textes dans t. II p. 453 sq., commentaire t. I, p. 190-205. Ultérieurement, l’article 1 du décret du 25 mars 1852 indiquera que les tarifs seraient désormais simplement soumis à l’approbation de l’autorité préfectorale ; mais la loi du 24 juillet 1867 annula ces dispositions pour les « grandes villes dont le revenu est de trois millions » : leurs tarifs seraient de nouveau soumis à l’homologation du chef de l’État. Ibidem, t. I, p. 202-203. Voir aussi Gouffier, La législation des funérailles, op. cit., p. 203-214.
70 A[médée] Vuillefroy, Traité de l’administration du culte catholique. Principes et règles d’administration, Paris, Joubert, 1842, p. 100-102 et 497-498. L’auteur considère que « le convoi, ou transport du corps de la maison du défunt à l’église et de l’église au cimetière, est un acte purement civil, qui intéresse essentiellement la police ».
71 Messner, Le financement des églises, op. cit., p. 129-130.
72 Courcelle, Répertoire, p. 2087.
73 Gouffier, La législation des funérailles, op. cit., p. 168-170.
74 Gouffier, La législation des funérailles, op. cit., p. 197-200.
75 Gouffier, La législation des funérailles, op. cit., p. 190 et 214-219. Voir aussi Gaubert, Traité théorique et pratique de législation..., op. cit.
76 Le cas de Paris est particulièrement intéressant. Les principaux textes sont les décrets du 18 août 1811, Duvergier, Collection complète des lois, op. cit., t. 17, p. 430-435 ; 11 septembre 1842-17 mars 1843, Duvergier, id., t. 43,, p. 67-87 ; 2-28 octobre 1852, Duvergier id., t. 52, p. 673-674 ; 4 novembre-8 décembre 1859, Duvergier, id., t. 59, p. 437-446 ; 27 octobre 1875, Duvergier, id., t. 75, p. 510. Voir Gouffier, La législation des funérailles, op. cit., p. 214-220 ainsi que Courcelle, Répertoire, op. cit., p. 2097-2133, qui procure aussi un intéressant exposé sur les cimetières de la ville. Voir aussi Iszatt-Christy, op. cit., et surtout Bruno Bertherat et Christian Chevandier, Paris dernier voyage. Histoire des pompes funèbres, Paris, La Découverte, 2008, p. 55-91.
77 Exposé détaillé de chaque système dans Gouffier, La législation des funérailles, op. cit., p. 190-203.
78 Gouffier, La législation des funérailles, op. cit., p. 202-203.
79 Ibid., p. 161-165. Pulby, Le monopole des pompes funèbres, op. cit., résume et commente longuement cette affaire aux p. 56-73 et y revient p. 124 et encore p. 214.
80 Gouffier, La législation des funérailles, op. cit., p. 165-167.
81 Ibid., p. 167-168.
82 Toutefois Gouffier, La législation des funérailles, op. cit., p. 176-177 signale que « d’après une très vieille coutume, il est admis que le luminaire peut être fourni par les parents du décédé, tant au grand autel qu’autour du cercueil et dans les chandeliers des choristes ».
83 Duvergier, Collection complète des lois, op. cit., t. 18, p. 398.
84 A. Bost, Encyclopédie, op. cit., art. « cire », en particulier p. 312-314.
85 Gouffier, La législation des funérailles, op. cit., p. 177-185.
86 Messner, Le financement des églises, op. cit., p. 128 note 256.
Auteur
Aix-Marseille Université, UMR Telemme 7303 (AMU-CNRS)
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Isabelle Luciani et Valérie Piétri (dir.)
2016
Résister corps et âme
Individus et groupes sociaux face aux logiques du pouvoir
Nicolas Berjoan (dir.)
2017
Aux origines des cimetières contemporains
Les réformes funéraires de l’Europe occidentale. XVIIIe-XIXe siècle
Régis Bertrand et Anne Carol (dir.)
2016
Le temps d’une décapitation
Imaginaire d’un instant imperceptible. Peinture Littérature
Marion Delecroix et Loreline Dourneau
2020
Jusqu'à la nausée
Approche pluridisciplinaire du dégoût aux époques moderne et contemporaine
Laura Bordes (dir.)
2022