Chapitre 3. Genèse d’un cimetière nouveau dans le dernier tiers du XVIIIe siècle
p. 65-91
Texte intégral
1La campagne hygiéniste qui va conduire à la déclaration royale de 1776, le seul grand texte de législation funéraire pris par la monarchie d’Ancien Régime, dénonce un double danger pour la santé des populations, qui est constitué par l’inhumation à l’intérieur des lieux de culte et par la présence des cimetières à l’intérieur de l’agglomération. Dans les deux cas, on le sait, le risque serait le même : l’air confiné de l’édifice sacré ou du cimetière encastré dans le tissu urbain se charge de miasmes, se corrompt, émet une « odeur méphitique » qui s’insinue dans les organismes par les pores de la peau et la respiration et provoque des maladies grave. Agissant par contamination simultanée d’un grand nombre de personnes, il est cause d’« épidémies » au sens de l’époque. Le danger des « odeurs méphitiques » (exhalaisons puantes et dangereuses) ou des « miasmes » cadavériques prend dès lors allure d’une vérité médicalement démontrée, ce qui revient à faire de la question de la présence des morts dans les églises et de celle des cimetières dans les agglomérations un des enjeux des politiques naissantes d’assainissement et d’hygiène, au moment où la ville est perçue comme « délétère » à cause en particulier de la corruption de l’air qui y stagne1.
Les arrêts des parlements de Rennes et Rouen
2Deux parlements provinciaux de la France de l’ouest prirent les premières mesures visant à restreindre les sépultures dans les églises.
3En 1719, une épidémie de scarlatine particulièrement meurtrière conduisit le parlement de Bretagne à rendre le 16 août 1719 un arrêt qui interdit précocement d’inhumer dans les églises de Rennes et de la province. Alain J. Lemaitre a montré que l’arrêt ne fut efficace que dans la ville et sur le moment seulement et qu’il se heurta à de fortes résistances en zone rurale2.
4Le 21 décembre 1754, le parlement de Rouen prit un arrêt de règlement qui « fit défense d’enterrer dans les églises, exceptés ceux qui y avoient droit de sépulture, et enjoignit en même temps d’observer quatre pieds de profondeur pour les fosses et une distance de deux pieds entre chacune d’elles »3. Le parlement n’allait guère plus loin que les évêques dans la restriction des sépultures ; au reste il semble reprendre le mandement de l’archevêque qui avait en 1721 réduit l’inhumation dans les églises aux prêtres et aux bienfaiteurs (voir chapitre 2). Plus novatrice est la réglementation des fosses des cimetières. Il n’est point assuré cependant que la cour se soit souciée de vérifier son application avant 1763. Cette année-là, le parlement, toutes chambres assemblées, rendit le 20 juillet 1763 « un arrêt qui ordonna que dans trois mois, il seroit dressé procès-verbal de chaque cimetière étant dans l’enceinte des limites de la ville de Rouen et autres villes du ressort où il y évêché ou baillage », par les commissaires de quartier ou fabrique paroissiales ou les corps et communautés dont dépendaient ces cimetières. Cette enquête est inspirée de celle qui venait d’être ordonnée par le parlement de Paris, par arrêt du 12 mars 1763 sur l’état des cimetières paroissiaux parisiens : elle en reprend les principaux critères. Il n’est pas certain qu’elle fut entièrement menée à bien car lors de l’enregistrement de la déclaration du 10 mars 1776, le procureur général Godard de Belbeuf fera surseoir à son exécution pendant un an pour les paroisses intra-muros de Rouen, le temps de procéder à l’examen de leurs cimetières.
L’intervention du parlement de Paris
5Indice de la diffusion des théories aéristes hors des cercles de spécialistes, dans certaines villes, des notables habitant en général à proximité de cimetières encastrés dans le tissu urbain dénoncent leurs odeurs, les risques qu’ils font courir à la population et demandent leur transfert hors des murs, en s’adressant aux autorités communales et, s’il le faut, aux parlements. Les autorités civiles commencent dès lors à intervenir directement dans la gestion des sépultures. À Paris, le projet de création d’un nouveau cimetière pour la paroisse Saint-Sulpice à la rue Férou est autorisé par lettres patentes de février 1760. Mais lorsque le curé et les marguilliers sollicitent leur enregistrement par le parlement, ils suscitent de telles oppositions de la part des voisins du terrain choisi, et en premier lieu du prince de Condé, propriétaire du palais du Petit Luxembourg, qu’ils se désistent de leur demande. Le parlement ordonne néanmoins par arrêt du 12 mars 1763 sur la demande du procureur Joly de Fleury une enquête sur l’état des vingt-cinq cimetières paroissiaux parisiens4. L’arrêt ne fait aucune allusion à la discipline ancienne de l’Église, comme J. Thibaut-Payen l’a observé, il ne mentionne que l’exemple de l’Antiquité romaine et avance avant tout des raisons de salubrité publique, non sans marquer une certaine prudence dans l’énoncé des risques : par suite de la densification du réseau urbain,
les exhalaisons impures se perdoient autrefois dans le vague de l’air ; elles sont aujourd’hui concentrées par des édifices qui empêchent les vents de les dissiper. Elles s’attachent aux murailles qu’elles imbibent d’un suc infect ; qui sçait même si, pénétrant dans les habitations circonvoisines avec l’air qu’on y respire, elles n’y portent point des causes inconnues de mort et de contagion.
6À la suite de ces enquêtes5, le parlement prit l’arrêt de règlement du 21 mai 17656. Après avoir souligné que
dans la plupart des grandes paroisses, et surtout de celles qui sont au centre de la ville, les plaintes sont journalières sur l’infection que répandent aux environs les cimetières de ces paroisses, principalement lorsque les chaleurs de l’été augmentent les exhalaisons, qu’alors la putréfaction est telle que les aliments les plus nécessaires à la vie ne peuvent se conserver quelques heures dans les maisons voisines sans s’y corrompre, ce qui provient ou de la nature du sol trop engraissé pour pouvoir consommer les corps, ou du peu d’étendue du terrain pour le nombre des enterrements annuels, ce qui nécessite de revenir trop souvent au même endroit, et peut-être aussi du peu d’ordre de ceux qui, préposés au soin d’enterrer les morts, n’ont ni l’attention ni l’exactitude nécessaires pour ne pas ouvrir top tôt les mêmes sépultures. [… ]7
7Le parlement restreint fortement les possibilités d’inhumation dans les églises. Son article III les réserve aux curés et supérieurs de communautés religieuses et pour « les chapelles et caveaux », à leur fondateurs, leurs représentants et « pour ceux des familles qui en sont propriétaires, ou sont dans une possession longue et ancienne d’y avoir leurs sépultures », à condition que les corps y soient mis « dans des cercueils de plomb ». Des exceptions étaient cependant prévues, à condition de « payer à la fabrique la somme de deux mille livres à chaque ouverture en icelles [églises] », soit un montant considérable.
8Sont posés deux principes d’avenir : le transfert des cimetières paroissiaux hors de l’enceinte d’abord. Un arrêt du 3 septembre 1765 viendra ajouter qu’aucun bâtiment ne sera élevé sur les parcelles adjacentes aux cimetières « à moins de 20 toises [environ 39-40 mètres] au moins de distance des murs de clôture desdits cimetières ». On retrouvera pareille distance dans l’article 2 du décret de prairial an XII. Le second principe est celui du regroupement des cimetières paroissiaux par création de cimetières communs à plusieurs paroisses. L’article 12 les répartit en « 8 arrondissements » qui correspondent chacun à un cimetière à créer8. Les articles 6 à 10 organisent le transport des corps dans ces cimetières : seraient crées dans chaque arrondissement des « dépôts ou chapelles mortuaires » (art. 6), dits aussi « entrepôts » à l’article 10, communs aux paroisses de l’arrondissement, où seraient apportés les bières après la cérémonie religieuse. Selon l’article 9,
Tous les jours, à deux heures du matin, depuis le ler avril jusqu’au 1er octobre, et à quatre heures du matin depuis le 1er octobre jusqu’au 1er avril, on ira lever les corps qui auront été portés audit dépôt et ils seront transportés dans un ou plusieurs chars couverts de draps mortuaires, attelés de deux chevaux, allant toujours au pas, au cimetière commun de l’arrondissement.
9Mais les articles 13 et 14 prévoient que tous les frais d’acquisition, d’aménagement et de fonctionnement seront assumés par « les paroisses, à proportion du nombre de sépultures annuelles qu’elles peuvent avoir ». Ce qui aurait impliqué que les fabriques des paroisses situées dans chaque arrondissement s’accordent pour définir les principes de la répartition de la charge financière de l’achat et de l’aménagement des terrains, et ensuite de leur entretien, de l’achat des chars nécessaires au transport des corps depuis les « dépôts » et enfin du salaire des personnels.
10On n’a guère souligné jusqu’ici la possibilité offerte par l’article XV d’obtenir une fosse particulière, contre le versement de 300 lt. Sera réservé à cet effet « un terrein de huit pieds au pourtour intérieur des murailles de chaque cimetière, dans lequel espace ne pourra être ouverte aucune fosse commune ». L’article V interdit de « mettre dans l’intérieur [du cimetière] aucune épitaphe, si ce n’est sur lesdits murs de clôture et non sur aucunes sépultures ». C’était en général sur les murs, en particulier sur ceux des charniers, que subsistaient dans certains cimetières des plaques avec épitaphes des générations précédentes. Ce sera aussi la disposition que l’on retrouvera en maints cimetières créés par la suite, où les concessions seront accordées le long des murs d’enceintes. En fait cette disposition existait déjà dans le cimetière de la paroisse Sainte-Marguerite, que les commissaires du parlement avaient jugé exemplaire en 1763 : outre l’utilisation de deux lisières (couvertes depuis 1722 d’une galerie de charnier) et des alentours de la croix pour des « fosses particulières », la surface du cimetière était divisée en 34 carrés d’environ 5 mètres de côté séparées par des bandes de terre soutenues par des madriers, faites pour recevoir chacune 800 corps, qui permettaient une gestion rationnelle de sa superficie9.
11Les cimetières paroissiaux existants, en théorie inutilisés à partir du 1er janvier 1766, seraient examinés cinq ans plus tard par officiers de police et médecins et l’éventualité d’une remise de leur terrains « dans le commerce », après exhumation des ossements, était explicitement envisagée (art. 2). L’arrêt complémentaire pris le 3 septembre 1765 apportait quelques retouches au précédent et ajoutait cette disposition :
Ordonne au surplus qu’il ne pourra être élevé par la suite aucun bâtiment sur les terrains adjacents aux dits lieux ès quels les nouveaux cimetières seront établis, s’ils ne sont à vingt toises au moins de distance des murs de clôture des dits cimetières10.
12L’arrêt ne portait que sur les cimetières paroissiaux. Son article 19 et dernier excluait de ces mesures les hôpitaux et les maisons religieuses.
13Plusieurs des principes posés en 1765 par le parlement de Paris se retrouveront dans la législation ultérieure, inspireront même les projets d’éloignement des cimetières des villes avec regroupement des corps pour leur transport qui seront publiés ensuite. Parmi les traits remarquables de l’arrêt, signalons le principe (théorique) de l’immatriculation des « bières ou serpillères » avec report de cette marque sur l’extrait mortuaire (art. 7), les premiers éléments d’une gestion des fosses (art. 16 et 17) et enfin l’article 18 : « Qu’il soit défendu au concierge et à tous autres, de planter aucuns arbres ou arbrisseaux dans lesdits cimetières », prescription inspirée par l’aérisme, qui fera ensuite débat.
14La mise en application du texte posait toutefois deux problèmes : d’une part il modifiait dans une certaine mesure le rituel funèbre, d’autre part il faisait reposer le financement de la nouvelle organisation funéraire sur les fabriques, sans qu’une contribution du corps municipal soit prévue. En fait ces arrêts, qui suscitèrent des protestations du clergé et des marguilliers paroissiaux, n’eurent guère dans l’immédiat qu’une conséquence indirecte : les riverains du cimetière de la paroisse Saint-Louis de Versailles, entouré de maisons, lancèrent avec succès une campagne d’opinion pour obtenir son transfert hors de l’agglomération. Elle fut d’autant plus remarquée que Voltaire y participa, par une lettre envoyée du « château de Ferney, ce 3 octobre 1768 », où il déclarait : « J’attends avec impatience un édit qui me permettra d’être enterré en plein air. C’est une des choses pour lesquelles j’ai le plus de goût ». Il assurait aussi : « Il n’y a que les ennemis des vivants et des morts qui puissent (s’y) opposer11. » Le transfert fut ordonné par arrêt du conseil du 24 février 1769 sur un terrain offert par le roi dans la plaine de Satory12. Le transfert de l’autre cimetière versaillais, celui de la paroisse Notre-Dame, fut alors demandé par le voisinage13.
15Les auteurs du début des années 1770 signalent quelques cas de transfert de cimetières hors des murs. H. Maret indique ainsi en 1773 ceux de Dôle et Laon14. Il précise : « On a réservé tout le pourtour du cimetière de Dôle pour des tombeaux particuliers et c’est dans le centre que le peuple est inhumé. » L’inspiration vient très vraisemblablement de l’article XV de l’arrêt du parlement de Paris du 21 mai 1765, bien que la ville ne soit pas située dans son ressort15.
La déclaration royale du 10 mars 1776
Le précédent toulousain
16La déclaration royale de 1776 a pour origine l’arrêt de règlement du parlement de Paris du 21 mai 1765 et aussi celui du parlement de Toulouse du 3 septembre 1774, « portant règlement pour les enterrements dans toutes les églises du ressort de la cour ». Les magistrats, agissant en tant que « pères de la patrie qui veillent aux besoins de leurs concitoyens », entendent, par souci du « bien général », prévenir « les funestes événemens qui résultent tous les jours de l’ouverture des tombeaux ». Ils mêlent des considérations morales (combattre un « abus intolérable » dû à « l’orgueil, la vanité ») au souci de « faire revivre l’ancienne discipline de l’Église » et à des arguments hygiénistes : « Les médecins nous assurent que les vapeurs putrides qui s’exhalent des cadavres chargent l’air de sels et de corpuscules capables d’altérer la santé et de causer des maladies mortelles. » Cependant l’arrêt est moins radical que celui de Paris, dix ans plus tôt. Il restreint les futures inhumations dans les églises au clergé paroissial, aux patrons, fondateurs et seigneurs hauts justiciers et à ceux qui pourront justifier de leur droit de sépulture soit par la possession d’un monument dans l’église soit par les registres paroissiaux. Le parlement interdit donc avant tout les inhumations dans les tombes communes et les tombes de confréries. De nouvelles concessions de tombeaux de famille ne pourront plus être faites à l’avenir. Dès lors, les églises « n’exhaleront plus ces odeurs infectes qui corrompant la salubrité de l’air, sont peut-être une des principales causes des maladies affligeantes qui depuis quelque années désolent nos provinces ». Enfin « les paroisses qui n’ont point de cimetière ou qui n’en ont qu’un incommode ou trop petit au centre des villes, bourgs et villages » devraient s’en procurer un « incessamment » dans « un lieu propre et convenable », au dehors de l’habitat. À noter que les communautés religieuses étaient autorisées à ouvrir des cimetières dans leur clôture où pourraient faire élection de sépulture ceux qui n’avaient pas de titre à faire valoir pour être inhumés dans leur église16.
17Les magistrats affirment que « les évêques du ressort ont rendu des ordonnances à ce sujet, dont ils ont demandé l’homologation. Quelques-uns l’ont obtenue, d’autres la sollicitent, tous désirent un règlement ». En fait, ils précisent et renforcent ce que prescrivaient déjà nombre d’ordonnances synodales.
18L’archevêque de Toulouse, Étienne-Charles de Loménie de Brienne (1727-1794), allait publier le 23 mars 1775 une ordonnance beaucoup plus radicale puisqu’elle prohibait toute inhumation dans les églises de son diocèse, même pour lui-même et ses successeurs, qui seraient inhumés « dans la chapelle ouverte attenante au cloître de notre église cathédrale17 ».
19Puis, lors de l’Assemblée du clergé de France tenue à Paris peu après, il proposa à la 27e séance, le samedi 29 juillet 1775, d’élaborer un règlement général sur la base de son ordonnance « pour la décence du culte et contre la contagion que des cadavres accumulés répandent dans nos temples ». L’Assemblée du clergé se borna à former une délégation chargée d’en conférer avec le garde des sceaux A.-T. de Miromesnil. La demande était, selon Loménie de Brienne « faite expressément par les provinces de Tours, d’Aix et de Toulouse18 ». Soit par lui-même, par Jean de Dieu-Raymond de Boisgelin de Cucé, archevêque d’Aix, qui avait d’abord été évêque de Lavaur et donc son suffragant, et par François Mamert de Conzié, archevêque de Tours depuis quelques mois. Miromesnil assura à E.-C. de Loménie de Brienne « qu’il recevra (it) avec plaisir le projet de règlement dont on conviendrait dans l’Assemblée et qu’il prendrait à ce sujet les ordres du roi ».
20La déclaration royale qui en résulta est datée du 10 mars 177619. Son texte semble assez fortement inspiré par l’ordonnance de Loménie de Brienne : Philippe Ariès a pertinemment observé qu’il « reprend les idées et parfois jusqu’aux mots de l’ordonnance de Toulouse20 ». Cependant le texte royal est nettement moins audacieux que le mandement toulousain puisqu’il prévoit un faible nombre d’exception. Rien n’indique en revanche que Turgot soit intervenu en quelque manière dans sa rédaction, comme on l’a parfois suggéré ou supposé. Le contrôleur général avait au printemps 1776 d’autres soucis21.
21La déclaration statue à la fois sur l’inhumation dans les églises et la localisation des cimetières dans leur rapport avec l’habitat. Depuis l’abbé Porée, tous les auteurs n’avaient cessé de lier ces deux questions et l’arrêt du parlement de Paris de 1765 faisait de même ; il n’avait cependant consacré que le troisième de ses dix-neuf articles à l’inhumation dans les églises, alors qu’elle constitue l’objet principal de la déclaration royale.
22Six de ses huit articles réglementent en effet les sépultures. L’inhumation dans l’ensemble des lieux de culte était désormais interdite, des exceptions étant cependant admises pour « les archevêques, évêques, curés, patrons des églises et hauts justiciers et fondateurs des chapelles », sous une double condition : qu’ils soient inhumés dans l’édifice qui était le siège de leurs fonctions ou de leur droit et pourvu qu’ils y fassent réaliser
des caveaux pavés de grandes pierres, tant au fond qu’à la superficie ; lesdits caveaux auront au moins soixante-douze pieds quarrés en dedans d’œuvre ; et ne pourra l’inhumation y être faite qu’à six pieds en terre au-dessous du sol intérieur, sous quelque prétexte que ce soit.
23Pour avoir au minimum 72 pieds2 (7, 59 m2), les caveaux devaient mesurer au moins 9 pieds de longueur (2,92 m) sur 8 de largeur (2,60 m). Un passage d’une lettre du procureur général au parlement de Paris Joly de Fleury en 1777 tend à le confirmer : il écrit au procureur du roi à Laon qu’il ne doit tolérer d’enterrement dans les églises « sinon dans des caveaux qui aient neuf pieds en quarré », soit 9 x 9 pieds, et il se réfère à l’article l2 de la déclaration22. Ces caveaux auraient une hauteur minimale de 6 pieds (1,95 m).
24Ces exceptions correspondaient aux quelques catégories de la population qui étaient susceptibles de contester l’interdit, les chefs de diocèses et de paroisses parce qu’ils devaient avoir une sépulture « plus honorable » que leurs fidèles, les détenteurs d’un juspatronat sur une église ou une chapelle parce qu’ils étaient les descendants en titre de leurs fondateurs et propriétaires initiaux. Pour les fondateurs de chapelles, pareil droit ne pourrait à l’avenir être reconnu en cas de fondations nouvelles. En revanche, l’article 3 posait le principe de la pérennisation des droits acquis : les fondateurs dont la postérité se diviserait en plusieurs branches pourraient augmenter la dimension des caveaux « en proportion du nombre desdites familles ».
25Deux compensations étaient prévues pour « les autres personnes qui ont actuellement droit d’être enterrées dans les églises » : selon l’article 4, elles pourraient être enterrées dans des caveaux établis dans « les cloîtres et chapelles ouvertes y attenantes » lorsque les églises en seraient pourvues. Cette idée dérivait directement du mandement de Loménie de Brienne qui précisait au sujet de ces dernières : « les chapelles ouvertes et non fermées attenant auxdits cloîtres ». On sait que l’archevêque de Toulouse prévoyait d’ailleurs d’aménager sa sépulture et celle de ses successeurs dans une telle chapelle23. Selon l’article 5, lorsque les églises seraient dépourvues de ces annexes, ce qui était ordinairement le cas des églises paroissiales, on pourrait choisir « un lieu séparé » dans le cimetière paroissial et « y construire un caveau ou monument, pourvu néanmoins que ledit terrein ne soit pas clos et fermé ». Telle possibilité ne figurait pas dans le mandement de Loménie de Brienne. Dans les deux cas, seuls les possesseurs de tombes d’église à la date de la déclaration pourraient obtenir pareille concession. L’article 6 prévoyait que les religieux et religieuses devraient faire réaliser dans leur cloître ou une autre partie de l’enceinte de leur maison un caveau satisfaisant aux critères de l’article 2, « proportionné au nombre de ceux qui doivent y être enterrés ».
26Les deux derniers articles de la déclaration concernent les cimetières. Ceux qui seraient trouvés insuffisants devaient être agrandis et ceux qui « placés dans l’enceinte des habitations, pourraient nuire à la salubrité de l’air » devaient être transférés hors de l’enceinte, « autant que les circonstances le permettront ». Cette référence à « l’enceinte » n’était pas sans ambiguïté : comprise de façon limitative, elle pouvait réduire l’effet de cette prescription aux seules « villes murées » soit à l’époque les agglomérations urbaines et une partie des gros bourgs. La déclaration faisait cependant explicitement référence dans son préambule aux « enceintes des villes, bourgs ou villages » et l’article 8 concernait les « villes et communautés qui seront tenues de porter ailleurs leurs cimetières ». On pouvait dès lors considérer que l’expression « enceinte des habitations » de l’article 7 englobait les habitats groupés dépourvus de murs défensifs mais dont les maisons serrées, entourant le cimetière, formaient un obstacle à la circulation de l’air.
27Le dernier article de la déclaration de 1776 tendait à faciliter quelque peu ces transferts en les dispensant « de tous droits d’indemnité ou d’amortissement » sur les terrains acquis dans ce but. Mais la déclaration royale du 10 mars 1783 révoqua la remise du droit d’indemnité sur le sol destiné aux cimetières dépendant de la directe du roi24. Enfin le cas de Paris était disjoint : le roi se réservait d’y pourvoir après avoir examiné les mémoires que devraient lui remettre l’archevêque, le parlement, les curés « ou autres personnes intéressées ». Cette exception s’explique sans doute par l’importance de la ville, sans équivalent dans le royaume, et la complexité de la situation. Peut-être aussi par le souci de ne pas soulever un conflit avec le parlement.
28La sépulture ad sanctos était donc réduite à un faible nombre de privilégiés. La déclaration se situe sur ce point en net retrait du mandement de Loménie de Brienne et aussi des écrits médicaux, qui demandaient en général son interdiction totale ; elle est en revanche plus restrictive que l’arrêt du parlement de Paris de 1765 qui maintenait ce droit aux détenteurs de caveaux qui « sont dans une possession longue et ancienne d’y avoir leur sépulture », ce qui eût d’ailleurs posé de considérables problèmes d’application. De même l’obligation d’inhumer dans ce cas les corps « dans des cercueils de plomb et non autrement », posée par le même parlement, ne pouvait être suivie qu’en sites urbains. La réalisation de caveaux vastes, profonds, proportionnés au nombre potentiel des morts ne pouvait guère satisfaire les aéristes les plus alarmés. Mais elle évitait les exhumations précipitées, souci que P. Navier venait de développer amplement. À la différence de l’arrêt des parlementaires parisiens, la déclaration ne prévoyait pas la possibilité d’acheter le droit d’être enseveli dans les lieux de culte ou dans une fosse particulière. On a trop loué l’aspect novateur de ce texte pour ne pas souligner qu’il est aussi sous-tendu par une vision conservatrice, perpétuant des privilèges acquis sans permettre leur accès à d’autres à l’avenir. En revanche l’agrandissement et le transfert des cimetières, opérations difficiles et onéreuses, étaient prescrits de façon souple et progressive. Dans ce cas, « seront tenus les juges des lieux, les officiers municipaux et habitants d’y concourir chacun en ce qui les concernera ». La charge ne pesait pas sur les fabriques, à la différence de l’arrêt du parlement de Paris de 1765.
Le temps des législations funéraires
Principales législations étrangères
29À la date de 1776, l’intelligentsia de l’Europe occidentale est au fait des risques que la puanteur des cadavres ferait courir aux vivants. La déclaration royale du 10 mars 1776 s’inscrit dans un contexte européen.
30Elle a été particulièrement remarquée à cause du rayonnement politique et culturel dont jouit alors la France et aussi parce que la France est le premier grand royaume catholique à proscrire les sépultures à la fois des lieux de culte et des agglomérations. H. Maret croit pourtant pouvoir citer les précédents des Irlandais25 et des Danois. Le Mémoire […] concernant les cimetières de la ville de Versailles, publié en 1774 récapitule dans son Avertissement les lieux où l’« usage abusif » d’enterrer dans les villes aurait déjà été aboli selon ses auteurs : « […] une partie de l’Italie, le Danemark, la Suède, la Russie viennent de le proscrire ». En fait, la déclaration du 10 mars 1776 a été précédée d’abord par les mesures prises par Johann Friedrich Struensee (1737-1772), docteur en médecine, pendant la brève période où il fut ministre du cabinet privé de Christian VII de Danemark en 1770-1772, et surtout par celles de François III d’Este, duc de Modène, qui a fait aménager à partir de 1771 le cimetière de San Cataldo, premier exemple en Europe occidentale de grand cimetière extra-urbain destiné à recevoir l’ensemble des morts d’une ville26. Ultérieurement, les sépultures dans les églises seront prohibées en 1783 par Gustave III de Suède. Joseph II d’Autriche légifèrera en 1786. En Espagne, le décret du 3 avril 1787, pris par Charles III, interdit d’enterrer dans les églises et ordonne la création de cimetières hors des agglomérations27.
31Deux de ces législations prescrivaient des mesures extrêmes. Celle de Modène d’abord, marqués par la reconduction du modèle ancien du champ des morts, voire par des recherches égalitaristes radicales. L’utilisation de l’espace est rationalisée au maximum dans la gestion des fosses du cimetière de San Cataldo, qui est inaccessible au public : on dépose les corps en ville dans des entrepôts mortuaires d’où ils sont acheminés de nuit au cimetière et enterrés à la suite en tranchées. Que cette mesure soit inspirée de l’arrêté du parlement de Paris de 1765 est possible. Elle pourrait aussi venir d’une source commune – les Lettres de l’abbé Porée par exemple28.
32En Autriche, Marie-Thérèse avait déjà pris un décret fondé sur des raisons d’hygiène pour interdire les sépultures à l’intérieur de Vienne en 1772. Mais son application s’était heurtée à la difficulté de créer des cimetières hors de la ville. En 1782, son fils Joseph II interdit les inhumations dans les églises et dans le centre de la capitale et s’efforça de créer des cimetières dans les faubourgs, à des emplacements peu recherchés. En 1784, leurs travaux d’aménagement étaient suffisamment avancés pour que l’empereur puisse exiger par ses ordonnances sur les enterrements des 28 août et 13 septembre 1784 que tous les enterrements, ceux de la famille royale exceptée, aient lieu hors de la ville. Tous les cimetières situés à l’intérieur des agglomérations seraient fermés et d’autres seraient ouverts hors des agglomérations et à une distance raisonnable. Les corps des défunts seraient conduits à l’église ; après la cérémonie, le curé suivrait les convois au cimetière. Le transport s’effectuerait de nuit. Chaque corps, qu’il soit celui d’un riche ou d’un pauvre, devrait être dépouillé de tout vêtement et mis dans un sac de toile de lin que l’on fermerait en le cousant « de façon que rien de lui ne soit visible ».
33L’article 5 prescrivait de creuser au cimetière une fosse profonde de six pieds et large de quatre, où l’on déposerait le corps dans son sac après l’avoir sorti du cercueil. Si plusieurs cadavres arrivaient en même temps, ils seraient déposés ensemble dans la fosse. On verserait ensuite dans la fosse de la chaux vive et elle serait remplie de terre. Selon l’article 6, le curé ferait faire une série de cercueils communs de taille différente. Si le mort avait été porté à l’église dans son propre cercueil, à l’initiative de sa famille, il devait cependant n’être enseveli que dans son sac. Aucune fosse ne porterait de marque.
34Joseph II tenait à cette réforme. Pourtant, il allait devoir modifier les articles 5 et 6 dès le 20 janvier 1785. L’inhumation dans un sac était ce qui déplaisait le plus. Joseph II dut constater que ses sujets étaient « malheureusement encore trop matérialistes et qu’ils attachaient une immense importance à ce que leur corps pourrissent lentement après leur mort et restent plus longtemps des carcasses putrides ». Il ne voulait pas les forcer puisqu’ils n’étaient pas « rationnellement persuadés » de la pertinence des mesures qu’il avait ordonné ; en conséquence, il autorisa « chacun à faire ce qu’il veut au sujet de son cercueil et à prendre les dispositions qu’il jugera les plus acceptables pour son cadavre ». Il ajoutait cependant l’interdiction que le corps soit accompagné au cimetière par un cortège. Comme l’a observé D. Beales, « en 1791, les funérailles de Mozart furent faites selon ces règles. Que personne n’ait accompagné le corps au cimetière et qu’aucun tombeau n’ait marqué l’emplacement de son corps […] était la simple conséquence des décrets de Joseph II29 ».
Les états limitrophes de la France
35Nous indiquerons brièvement la situation des terres encore étrangères à la France mais qui allaient devenir ensuite françaises.
Les états pontificaux du bord du Rhône
36La déclaration royale de 1776 rencontra un écho presque immédiat dans les états pontificaux du bord du Rhône30. Dès le 25 février 1777, le chapitre de Saint-Didier d’Avignon soulignait le délabrement du pavé du sanctuaire et l’état médiocre des dalles de caveaux ; les chanoines ajoutaient que
dans la saison de l’été, on se trouvait, étant au choeur, assailli par quantité de grosses mouches noires et luisantes, très incommodes à la vue et à l’odorat et par conséquent à la santé, que lesdites mouches ne pouvaient provenir que des fentes desdits caveaux31.
37Lors de l’assemblée ordinaire des États du Comtat, tenue le 24 avril 1777, un mémoire du consul de Ménerbes exposa les dangers de « l’usage d’enterrer les morts dans les églises, coutume barbare qui convertit en charniers funestes l’auguste enceinte de nos temples ». Très au fait de la campagne médicale hostile aux inhumations dans les églises, et peut-être médecin lui-même, l’auteur explique :
Les exhalaisons cadavéreuses des morts dont nos églises sont jonchées, perpétuellement suspendues dans l’atmosphère de l’air chaud qui y est renfermé, contribuent à chaque instant à nous précipiter avec eux dans leur tombeau. Les miasmes putrides, avalés, respirés ou repompés par les corps vivants portent le poison le plus mortel dans toute l’économie animale des personnes qui y sont souvent exposées. Si l’air humide des marais produit au dehors des maladies dangereuses, que sera-ce lorsque l’air sera renfermé dans les lieux où il se trouve chargé de vapeurs caustiques et volatiles des cadavres, toujours accompagné d’un humide chaud favorable à la putréfaction. Ces vapeurs sont d’ailleurs tellement grasses et alcalines qu’elles absorbent l’acide de l’air nécessaire à la vie.
38L’assemblée pria en conséquence les évêques comtadins « de se servir de leur authorité si nécessaire pour que cette prohibition si désirée pût avoir son effet ». Si l’on en juge par la supplique adressée au pape par l’Assemblée des États de 1781, plusieurs obstacles s’élevaient : nécessité pour les communautés de se pourvoir « d’un local suffisant pour contenir tous les cadavres » et surtout problème des droits des réguliers bénéficiant de l’immunité, qui pourraient impunément continuer d’accepter des inhumations dans leurs églises et attireraient dès lors à leur profit les élections de sépulture. L’assemblée de juin 1781, sur l’impulsion des consuls de Valréas, pria donc le pape, souverain du Comtat, d’interdire par décret l’inhumation dans les églises « même des réguliers ». L’assemblée du 25 avril 1782 apprit le succès de ses démarches. La décision pontificale ne fut parfois cependant appliquée qu’avec retard, le temps de créer des cimetières d’une ampleur suffisante, et sans doute de vaincre les résistances qu’une telle mesure devait susciter. S. Gagnière cite ainsi le cas de Monteux, dont les consuls ne se soucient de réaménager dans ce but l’ancien cimetière de peste qu’en 1787 et où l’enquête de l’an XII (voir chapitre 4) révélera que l’on enterre encore à cette date dans l’église32.
39La mesure ne valait que pour le Comtat. Les églises paroissiales et conventuelles de la ville-État d’Avignon continuèrent de recevoir des inhumations. Pendant l’été 1789, les cahiers de doléances rédigés par plusieurs corporations demandèrent l’interdiction des inhumations dans les églises et le transfert des cimetières. Ce n’est que le 19 mars 1791 qu’une ordonnance du vicaire général Jean-François Malière, le siège étant vacant, interdit toute inhumation dans les édifices du culte. Les cadavres seraient enterrés dans les cimetières de la ville, de la banlieue et si besoin dans ceux du Comtat, dans l’attente de l’ouverture d’un grand cimetière dont le conseil général de la commune venait de décider la création par délibération du 18 février. Ce dernier, situé dans le tènement de Saint-Roch, au sud de l’ancien hôpital des pestiférés, fut béni le 6 octobre 1791. Il s’agissait en fait de l’ancien cimetière de peste, fondé par Clément VI en 1348 au lieu-dit Champfleury, qui avait encore servi lors de la contagion de 1721-1722. C’est dans ce cimetière que seront portés le 17 novembre 1791 les restes des victimes du massacre de la Glacière.
Les terres de la couronne de Savoie
40À Nice, Mgr Astesan avait interdit en 1774 d’enterrer dans la cathédrale « dont l’air était empesté ». Les sépultures furent vidées et les ossements, couverts de chaux, rassemblés dans un caveau central. Les patentes de Victor-Amédée III du 24 juin 1783 ordonnèrent de créer un cimetière hors de la ville, qui fut établi dans les ruines de l’ancienne citadelle. Il constitue la partie la plus ancienne de l’actuel cimetière du Château. Mgr Charles-Eugène Valperga di Maglione interdit le 30 juin l’inhumation dans les églises de la ville et de ses faubourgs à partir du 10 juillet 1783, ne faisant d’exception que pour les évêques, recteurs paroissiaux et religieux33.
41En Savoie, en 1778, l’inhumation dans la cathédrale de Chambéry fut restreinte aux seuls possesseurs de caveaux et l’usage d’inhumer dans les églises se serait progressivement réduit dans les années suivantes. Ces résultats sont attribués à l’action hygiéniste conduite à partir de 1774 par le docteur Joseph Daquin (1732-1815), médecin-chef de l’hôtel-Dieu de Chambéry34. Les chapitres de Sallanches en 1777 puis d’Aix-les-Bains en 1781 réclamèrent l’interdiction d’inhumer dans leurs collégiales et la création de cimetières « bien isolés ». Mais en 1792 l’administration républicaine devra interdire toute inhumation dans les églises et à l’intérieur de la ville d’Annecy et Moûtiers renoncera en 1793 aux sépultures autour de l’église paroissiale et à l’intérieur35.
Un début d’application
42La déclaration royale du 10 mars 1776 fut enregistrée au parlement de Paris le 21 mai, à celui de Toulouse le 19 août, avec cette clause : « Sans qu’en vertu de l’article 7 les évêques et archevêques puissent prétendre d’autres droits que ceux dont ils ont joui légitimement par le passé et jusqu’à ce jour », au parlement de Grenoble le 23 septembre, de Lorraine le 28 septembre, de Douai le 12 novembre. Le parlement d’Aix enregistra le 26 novembre la version destinée à la Provence, datée du 15 mai, qui ne différait de celle du 10 mars que par l’ajout au titre royal de celui de « comte de Provence, Forcalquier et terres adjacentes36 ».
43L’interdiction – ou plutôt l’extrême limitation du nombre des inhumations dans les églises –, semble avoir été, lorsque cela était possible, respectée. Non cependant sans lenteurs et même exceptions. Ainsi en 1788, une ordonnance des magistrats du bailliage d’Orléans interdisait le fait
que plusieurs paroisses de cette ville continuent d’inhumer dans les caves construites sous leurs églises, comme par le passé, et sans aucune espèce de distinction, toutes les personnes qui leur sont présentées, même décédées sur d’autres paroisses ; que quelques-unes se sont permis d’agrandir leurs anciennes caves, même d’en construire de nouvelles ; enfin que plusieurs autres déterminées par ces exemples se proposent d’établir de semblables caves37.
44L’application de l’article 1er de la déclaration royale s’avérait momentanément impossible dans les paroisses ou les localités dépourvues de cimetières. Enfin en nombre de petits villages, l’inhumation ad sanctos était très minoritaire et correspondait parfois aux exceptions prévues par la déclaration royale : ne furent en théorie proscrits des sous-sols de l’église que les secondaires (vicaires) mais non les curés, les seigneurs qui n’étaient pas haut-justiciers et n’avaient pas le juspatronat de l’église, les quelques notables susceptibles d’y posséder une tombe concédée.
45Certains fondateurs de chapelles semblent s’être souciés de conserver leur droit de sépulture en faisant aménager leurs caveaux pour les rendre conformes aux prescriptions de la déclaration royale. L’exemple de l’église des Minimes d’Aix, où plusieurs familles firent creuser leurs caveaux, est ainsi connu parce qu’il donna lieu à des découvertes archéologiques38. D’autres cas sont attestés dans les registres de catholicité par des actes d’inhumation dont le rédacteur précise parfois, que le corps a été déposé « dans (un) tombeau construit conformément à l’édit (sic) du roy concernant les sépultures dans les églises », pour citer un exemple toulonnais de 1788.
46En nombre de villes, l’application de la déclaration eut sans doute pour conséquence immédiate d’accentuer la surcharge des cimetières existants, qui recevaient désormais quasiment toutes les inhumations. Les rapports d’expertise de l’état des cimetières rédigés un an ou un an et demi après l’application de la déclaration, doivent souvent refléter cette situation.
47Dans le cas de Paris, où la déclaration royale ne s’appliquait pas, le roi n’avait pas légiféré mais l’arrêt de règlement de 1765 aurait dû être respecté. On peut noter des exceptions. En 1781, le curé de la paroisse parisienne de Saint-Germain-des-Noyers, fut condamné à l’amende par le parlement parce que le corps d’un marguillier de son église avait été enseveli dans la nef. Il avança pour sa défense « que les curés ses voisins faisoient journellement des inhumations sous les yeux des procureurs fiscaux sans être inquiétés en aucune manière39 ».
48Sous l’église Saint-Louis des Invalides se trouve une assez vaste crypte où avaient été jusqu’alors inhumés les gouverneurs et officiers de l’institution et leurs familles. En 1786 le corps du lieutenant-général de Guibert, gouverneur, y fut déposé. Le maréchal de Ségur dut interdire en 1788 ces inhumations. Autre entorse discrète à la loi, celle concernant les « grands hommes » dont le mérite ou le génie figurent parmi les valeurs montantes de la seconde moitié du xviiie siècle. Était-il concevable que leurs restes puissent disparaitre dans l’anonymat des cimetières alors qu’il convient que leur souvenir persiste dans la mémoire collective ? Une première réponse est donnée par les projets de cimetières qui vont alors fleurir : le prix proposé en 1785 par l’Académie a pour sujet par exemple « un monument sépulcral pour les souverains d’un grand empire, placé dans une enceinte dans laquelle on disposera des sépultures particulières pour les grands hommes de la nation ». D’ailleurs les décennies précédentes avaient connu d’assez nombreuses érections de monuments signalant la tombe d’un grand homme dans les églises parisiennes et provinciales. Où sont donc enterrées les célébrités mortes entre 1776 et 1790 ? Jacques Hillairet en a recensé dix-sept ; quinze auraient été enterrés dans une église et deux seulement dans un cimetière : le sculpteur Pigalle et le poète Gilbert, ce dernier mort, comme l’on sait, à l’hôpital. Une minorité semble avoir possédé une chapelle de fondation dans une église parisienne. Ce n’était certainement pas le cas de Madame Geoffrin, de Mably, de Diderot et d’Holbach, tous quatre réputés enterrés dans l’église Saint-Roch. Le corps de l’architecte Soufflot, qui avait souhaité être inhumé dans la nouvelle église Sainte-Geneviève en construction, fut déposé dans un cercueil de plomb dans le cloître des génovéfains, avant d’être transféré dans la crypte funéraire de l’église, devenue le Panthéon, où on peut voir encore son tombeau. Il semblerait que dans la plupart des cas, l’enterrement dans l’édifice soit réel, par dérogation tacite sinon à la déclaration royale, du moins à l’arrêt du parlement de 1765, et des monuments peuvent être placés ou du moins projetés. Ainsi voit-on toujours dans l’église Notre-Dame de Versailles celui de Vergennes, mort en 1787.
49Rappelons enfin que la déclaration royale ne mit pas fin aux élections de sépulture : une minorité de membres du clergé et de l’élite sociale conservait ses droits sur des tombes dans les églises et chapelles aux termes de la déclaration royale, quitte à les faire mettre en conformité avec les exigences de la nouvelle législation. D’autres avait droit au transfert de leur tombe dans les cloîtres ; les testateurs pouvaient continuer d’exiger d’être inhumés dans un autre cimetière que celui de leur paroisse et en particulier dans celui d’une communauté religieuse, à condition qu’il soit conforme aux exigences de la déclaration de 1776. Quelques couvents situés extra-muros continuèrent d’accueillir des inhumations dans leur cimetière établi dans leur enclos. Le parlement de Provence rendit un arrêt notable le 30 juin 1778 contre le curé de la paroisse de Barcelonnette et en faveur des Dominicains de cette ville « qui étaient dans l’usage d’enterrer les religieux ainsi que des laïcs dans leur cloître et qui en conséquence de la déclaration royale avaient créé un cimetière au bout de leur enclos, situé hors de la ville ». Le cimetière fut jugé conforme au souci de salubrité manifesté par la déclaration royale40.
Un début de transfert des cimetières
50La déclaration royale de 1776 allait poser pendant au moins deux générations le problème des lieux de sépulture en termes d’hygiène publique. On sait (article 7) qu’en conséquence des restrictions extrêmes apportées à l’inhumation dans les églises, les cimetières seraient agrandis s’ils étaient « insuffisans pour contenir les corps des fidèles » et transférés hors de « l’enceinte des habitations » si, placés à l’intérieur de cette dernière, ils étaient susceptibles de « nuire à la salubrité de l’air » – du moins, autant que les circonstances le permettront ». J. Thibaut-Payen a observé que cette « formule vague […] peut favoriser l’inertie41 ». Cette opération complexe et onéreuse n’est qu’engagée à la veille de la Révolution. Elle rencontre l’hostilité d’une partie de la population à un transfert qui peut impliquer un éloignement du cimetière et s’accompagne en général de l’abandon des cimetières précédents, où sont enterrés les aïeux et qui risquent d’être supprimés. On doit ajouter assez fréquemment les réserves du clergé paroissial sitôt que le terrain prévu lui paraît trop loin ou accessible par une route trop fréquentée, et aussi la résistance passive, voire l’opposition virulente des propriétaires de l’emplacement projeté pour le nouvel enclos et souvent de ses voisins. Le transfert est enfin fort onéreux par l’achat d’un terrain périurbain, sa clôture et son défoncement42.
51Le déménagement des cimetières urbains – ou parfois leur agrandissement dans un premier temps – est une opération complexe et onéreuse, qui va durer deux à trois générations. En fait les problèmes essentiels seront ceux du nombre et de l’emplacement des nouveaux cimetières, et parfois de la nécessité de changer le mode du transport des corps à cause de la distance. En général cette novation soulève des résistances. À Lille et Cambrai, l’obligation d’utiliser un corbillard au lieu de porter les morts « à l’épaule d’hommes » provoque les émeutes de 1779 et 1786, étudiées naguère par Alain Lottin, qui restent exceptionnelles. Dans les deux cas les résistances viennent du petit peuple, soutenu par le clergé local et une partie des notables. Elles marquent moins peut-être l’inquiétude devant le « grand exil des morts » (Ph. Ariès) que le refus d’un projet de réorganisation des sépultures particulièrement radical43.
52Le fait que certaines paroisses ou certaines villes veuillent maintenir des distinctions entre cimetières paroissiaux en les transportant extra-muros pourrait être l’explication de certaines difficultés ou lenteurs. Les transferts les plus efficaces sont ceux des villes qui optent pour le regroupement des cimetières, en général parce qu’elles ont un nombre élevé de paroisses et sans doute parce que le clergé paroissial ne s’y oppose pas. Encore faudrait-il vérifier s’il s’agit de cimetières interparoissiaux ou bien d’enclos subdivisés entre les paroisses. À Angers, onze cimetières intra-muros subsistent, « littéralement cernés par les maisons » (F. Lebrun) ; existent en outre ceux des paroisses extra-muros. En 1777 un rapport de médecins et d’experts montre qu’il convient de les transférer. En 1780, un arrêt du parlement les remplace par quatre puis trois cimetières hors les murs, un pour les deux hôpitaux et trois paroisses, un second pour 7 paroisses, enfin un cimetière paroissial préexistant sera agrandi pour 6 paroisses. Ils sont réalisés en 1785-1786. Les anciens cimetières paroissiaux subsistent, inemployés. L’échevinage aurait voulu agrandir deux places à leur détriment mais le procureur général Joly de Fleury lui a interdit toute utilisation profane de leur emplacement avant quinze ans44. À Tours, l’archevêque, qui semble avoir pris l’initiative (il avait été l’un des trois prélats à prier le roi de légiférer), l’intendant et le corps de ville semblent vite s’accorder pour créer trois puis deux cimetières. Au terme de l’examen des emplacements possibles, les terrains sont choisis au printemps 1777 et les cimetières aménagés en 1777-1779 et bénits l’un en novembre 1780 et l’autre en avril 1781. À noter que chacun est intérieurement divisé en quartiers paroissiaux. Comme d’autres cimetières tôt transférés après la déclaration royale, ils étaient encore situés à l’intérieur de la ville et mal drainés45. À Rouen où subsistent une trentaine d’« aîtres » intra-muros, un arrêt du parlement décide en août 1780 la création de quatre cimetières hors de la ville, chacun desservant une portion urbaine selon des limites rectilignes que J.-P. Bardet a comparé à un decumanus et un cardo ; elles deviennent vite sinueuses pour tenir compte des circonscriptions paroissiales. En 1823-1828 viendra se surimposer à cette sectorisation des sépultures le cimetière monumental, ouvert aux habitants de tous les quartiers à condition qu’ils y acquièrent une concession46.
53Dans le Sud-Est47, le contraste est net entre Arles aux sept paroisses intra-muros où les consuls optent, avec l’appui de l’archevêque, seigneur de la ville, pour un cimetière unique hors les murs, sans aucune division paroissiale interne, béni en 1786 (et toujours en service), et Marseille qui s’obstine à tenter de créer un cimetière pour chacune de ses cinq paroisses urbaines et pour l’Hôtel-Dieu et la Charité ; à la veille de la Révolution, un seul cimetière paroissial est transféré hors des murs et on s’est aventuré à agrandir un cimetière intra-muros, celui de la paroisse Saint-Laurent qui n’a pas de territoire à l’extérieur de l’enceinte. Outre Marseille, quelques quarante-trois communautés provençales (sur environ six cents) ont décidé, selon les registres du parlement où leurs délibérations ont été enregistrées, de transférer leur cimetière pour la plupart, de l’agrandir dans trois cas, et pour trois qui en étaient dépourvues d’en créer un. Les trente-sept transferts de cimetières ont été décidés non sans difficultés : treize ont connu des protestations pouvant aller jusqu’à la requête devant les tribunaux et l’appel devant le parlement. Les six délibérations successives de Lorgues entre mars 1777 et février 1779 font entrevoir cinq emplacements successifs, tous choisis à la pluralité des voix seulement. Chacune a suscité l’opposition des propriétaires des terrains envisagés, des voisins, et dans un cas du clergé qui jugeait l’emplacement trop éloigné. L’application de ces décisions peut être ainsi appréciée : réalisation certaine, 15 communautés ; réalisation probable, 12 ; réalisation possible, 8 ; réalisation douteuse, 5 et enfin, réalisation postérieure au Consulat, 3. Parmi ces dernières, le conseil de Gréoux-les-Bains décida le 15 novembre 1778 le principe du transfert du cimetière, demandé par un notable, le docteur Guibert, en souhaitant que « les esprits se conciliassent sur l’emplacement d’un nouveau cimetière », lequel ne fut réalisé qu’en... 1859.
54À Paris, l’opération qui marqua le caractère irréversible de la nouvelle législation, fut la fermeture en décembre 1780 du cimetière des Saints-Innocents. Pourtant, ce cimetière aurait pu paradoxalement servir de prototype à ceux que l’on ambitionnait alors de créer. On sait (chapitre I) qu’il était commun à plusieurs paroisses et hôpitaux, qu’il renfermait des épitaphes et des tombeaux, enfin qu’il était entouré d’un charnier doté de galeries en rez-de-chaussée, dont chaque travée était concédée à une famille. On y signalait au xviiie siècle une « maison du gardien », bien visible sur le plan en perspective cavalière dit de Turgot (1739). Mais il était désormais situé au coeur du tissu urbain et ses terres, exhaussées et saturées, consumaient mal les corps, au prix d’importances nuisances olfactives que les aéristes jugeaient mortifères. Un débat médical fut soulevé au sujet de la nécessité d’exhumer et transférer les restes humains contenus dans le sol, qui ne prit en compte que des arguments sanitaires et non religieux. Il allait être tranché par Antoine-Alexis Cadet de Vaux « inspecteur général des objets de salubrité », qui avait quelques années auparavant présenté un premier rapport sur l’état du cimetière devant la Société de médecine et en lut un autre devant l’Académie royale des sciences en 1781. Se fondant sur « les connaissances nouvellement acquises sur la nature de l’air mettant à portée de prononcer plus positivement sur son insalubrité » l’auteur diagnostique « un méphitisme sans cesse renaissant, et dont un des caractères est de pénétrer à travers les pierres mêmes48 ».
55L’exhumation et le transfert des ossements en charrettes eurent lieu entre 1785 et 1787. Ils furent en partie accumulés dans d’anciennes carrières souterraines qui devinrent les Catacombes49. Les constats qui furent faits sur l’état des restes furent détaillés dans des rapports dus à Fourcroy et Thouret50, sur le principe de celui qui avait été édité peu auparavant à l’occasion des fouilles suscitées par la reconstruction partielle de l’église Saint-Éloi de Dunkerque par Louis. Son promoteur, Calonne, intendant de Flandre et d’Artois, avait souhaité par cette publication proposer une « méthode raisonnée » pour des exhumations aussi périlleuses : « le moindre oubli des précautions nécessaires ou la moindre négligence dans la manière de les diriger, occasionnerait des accidens sans nombre51 ».
56Le cimetière des Saints-Innocents étant situé à proximité des halles dans un quartier d’habitat dense et aux activités commerciales intenses, sa fermeture fut suivie à brève échéance de la conversion en marché du « terrein connu sous le nom de cimetière des Saints-Innocents », décidée par arrêt du conseil du roi du 9 novembre 1785. La fontaine des Saints-Innocents, (1550) jusqu’alors située à un angle extérieur du grand îlot qu’occupait le cimetière, fut restructurée et établie au centre de la place ainsi créée52.
57Paris avait été exclu, on le sait, de l’application de la déclaration royale dans l’attente de textes spécifiques qui ne furent pas pris avant la Révolution. Vicq d’Azyr avait lu le 2 septembre 1777 un rapport devant la Société royale de médecine dans lequel il citait le premier mémoire de Cadet de Vaux sur les Saints-Innocents et énumérait au moins seize autres cimetières qui « sont trop étroits et entourés de maisons (et) exigent absolument la même réforme53 ». La création de cimetières extra-urbains était donc nécessaire. Le sujet du prix d’émulation de l’Académie d’architecture de 1765, remis ensuite au concours en 1778, avait été un cénotaphe pour Henri IV entouré de galeries où des places particulières auraient été réservées aux hommes illustres de la France – intéressante apparition de l’idée qu’un cimetière doté de monument funèbres peut être une « école de vertu » (R. A. Etlin). Outre les projets des lauréats du prix d’émulation, Desprez, en 1765, Dufourny pour le prix de 1778, plus tard Moreau et Fontaine pour le Grand prix de 178554, divers autres projets avaient été conçus par des individus ou par des compagnies qui les adressaient au parlement. Se fondant sur l’arrêt de règlement de 1765, ils proposaient plusieurs cimetières situés à distance de l’enceinte, au-delà des faubourgs, sur les grands chemins. Les corps seraient rassemblés dans le dépôt (ou entrepôt) mortuaire doté d’une chapelle de chaque arrondissement et des chars les transporteraient pendant la nuit au cimetière de l’arrondissement. L’arrêt de règlement avait prévu huit cimetières. Ils sont réduits par la plupart des projets à quatre – l’un d’eux va même jusqu’à proposer deux cimetières généraux. L’essentiel du terrain serait occupé par des fosses communes, objet d’une gestion stricte de renouvellement périodique. Sur le pourtour, des concessions particulières seraient en général établies, souvent sous des colonnades ou des galeries55. Ce schéma reprend extra-muros l’organisation architecturale du cimetière des Saints-Innocents (l’étage de charnier en moins), dont on a déjà souligné (chapitre 1) qu’il correspondait à l’image-type du cimetière parisien – à cette nuance prés que les galeries n’étaient sans doute guère inspirées dans ces projets de celles en tiers-point des Saint-Innocents mais plutôt des portiques du Campo santo de Pise. Un des projets les plus audacieux est celui d’Alexandre-Louis de Labrière « architecte de Mgr le comte d’Artois » [frère du roi, le futur Charles X], intitulé « Projet d’un temple destiné à la sépulture de nos rois, environné de sépulchres pour les princes et seigneurs, et de tombeaux pour la noblesse et les habitants de Paris qui, sous quelque prétexte que ce fut, ne pourroient plus à l’avenir être enterrés dans le sein de la capitale », présenté à Calonne en 1787. Fondé sur la sécularisation du chapitre de Saint-Denis qui permettrait de raser l’abbaye et de réaliser dans son enclos « un des plus beaux, des plus grands et des plus utiles monuments qui ait jamais existé56 ».
58Le procureur Joly de Fleury prépara au cours des années 1780 un projet de réquisitoire, qu’il n’a sans doute pas prononcé – ou qui, dans cette hypothèse, n’a pas eu de suite. Il prévoyait la création « hors la ville, au sortir des faubourgs, aux endroits les plus élevés » de quatre cimetières « de 68 toises en quarré sur chaque face », dont le pourtour serait doté d’« une galerie de trente pieds d’élévation, le comble compris, et de dix-huit pieds de largeur » ; il y aurait des « caveaux communs et particuliers ». On ne pourrait mettre d’épitaphes que « sur les murs tant intérieurs qu’extérieurs de ladite galerie donnant sur le cimetière et non sur aucune sépulture57 ». En attendant ces coûteux cimetières architecturés – qui ne devaient pas être réalisés, du moins en France –, on se servit des cimetières paroissiaux les plus vastes et les fabriques paroissiales prirent des mesures d’urgence. Celle de la paroisse Saint-Roch créa en 1784 un cimetière qui se trouva presque aussitôt enfermé par le mur des fermiers généraux. En revanche, celle de Saint-Sulpice en établit un en 1784, à Vaugirard, hors de l’agglomération, qui ne fut désaffecté qu’en 1863. L’hôpital de Sainte-Catherine ouvrit au faubourg Saint-Marceau un cimetière contigu à celui de Clamart, réservé exclusivement à l’hôtel-Dieu58. Il servit à inhumer les corps anonymes trouvés dans la rue ou ceux de noyés de la Seine et ceux des paroisses de la cité et de sept autres paroisses dépourvues de cimetières. Il fut fermé en 1824 lors de la mise en service du cimetière Montparnasse. Ces cimetières étaient des enclos au terrain nu.
59La possibilité de créer des concessions particulières distingue la France des pays où la législation funéraire a été radicale. On sait que la déclaration royale de 1776 prévoyait aux articles 4 et 5 une compensation pour « les autres personnes qui ont actuellement droit d’être enterrées dans les églises » et ne l’auraient plus désormais : elles pourraient être enterrées dans des caveaux établis dans « les cloîtres et chapelles ouvertes y attenantes » et lorsque ces églises seraient dépourvues de ces annexes, elles pourraient choisir « un lieu séparé » dans le cimetière paroissial et « y construire un caveau ou monument, pourvu néanmoins que ledit terrein ne soit pas clos et fermé ». Dans les deux cas, la déclaration précisait que seuls les détenteurs de tombes d’église à la date de la déclaration pourraient obtenir pareille concession. Cependant, à Orléans, où le principal cimetière intra-muros était entouré de galeries, lorsque les maires et échevins créent deux nouveaux cimetières faubouriens en 1786, ils décident de
concéder dans tout le pourtour des murs de clôture, des sépultures particulières, non seulement à ceux qui, aux termes de l’art. V avoient pour ce titre légitime, mais encore à tous ceux qui désireroient d’en obtenir, et ce gratuitement et sous la seule obligation de construire sur ladite sépulture une arcade ouverte, qui la sépare du terrein commun, sans interrompre la communication de l’air extérieur59.
60Cette clause a pu annoncer dès l’Ancien Régime le futur paysage des cimetières contemporains. Cependant, les cimetières urbains, même transférés, restent en général des terrains vagues semés de quelques tombeaux. On sait (chapitre 1) que les églises de Marseille renfermaient au moins 2400 caveaux de famille selon une tentative de dénombrement faite par un contemporain au lendemain de la déclaration royale. Les transferts au cimetière semblent avoir été très peu nombreux. Lorsqu’en 1818, la municipalité fera recenser les tombeaux existant dans les cimetières communaux, 38 sembleront antérieurs à la Révolution et il ne paraît pas s’agir d’un reliquat. Cà et là des notables semblent avoir pris l’initiative d’établir dans des cimetières urbains quelques tombeaux sans droit acquis, en les faisant placer d’autorité sur les fosses où leurs parents sont enterrés60. Ces premiers monuments établis en plein air sont des croix ou bien reprennent, en ces temps de néoclassicisme, les modèles inspirés de l’antiquité gréco-romaine : stèle, cippe, obélisque et sarcophage. Mais la Révolution et aussi les transferts et reconstructions de tombeaux du xixe siècle feront largement disparaître les témoins de cette première génération de monuments.
61D’autres solutions s’esquissent aussi dans les dernières années de l’Ancien Régime. Ainsi l’inhumation dans la propriété familiale, sur un modèle que les protestants pratiquaient avant même la Révocation de l’Édit de Nantes dans les lieux où ils ne disposaient pas de cimetière. Le tombeau, voire le cimetière familial, établi sur un terrain privé ou dans la chapelle privée d’un domaine, sera, jusqu’au Second Empire au moins, un trait de notable surtout ruraux, en particulier dans les communes villageoises où les cimetières ne seront que tardivement transférés et dotés d’un régime de concessions.
62Les jardins anglais que propage l’aristocratie peuvent s’orner à la fin de l’Ancien Régime de fabriques funéraires et en particulier de cénotaphes de grands hommes, et exceptionnellement de tombeaux. L’exemple le plus remarqué est évidemment celui du parc d’Ermenonville, aménagé par le marquis de Girardin pour le tombeau de Jean-Jacques Rousseau. Deux monuments vont s’y succéder dans l’ile des peupliers : un cippe surmonté d’une urne, puis vers 1780 un sarcophage à l’antique dessiné par Hubert Robert. Si l’on ajoute un obélisque dédié à quatre écrivains dans le parc, l’on retrouve les grands types de monuments timidement apparus dans les cimetières de la fin de l’Ancien Régime61.
L’édit du 19 novembre 1787 et les cimetières des « non-catholiques »
63Les articles 28 et 29 de l’Édit de Nantes en 1598 et l’article 45 des articles secrets avaient prescrit aux officiers royaux d’accorder aux réformés des cimetières dans « toutes les villes et lieux ». Mais en 1685, en conséquence de l’Édit de Fontainebleau par lequel Louis XIV révoquait celui de Nantes, ces cimetières furent supprimés. Commence alors « pour les protestants un temps de silence et de persécutions » (S. Molinié-Potencier)62. Pour les protestants opiniâtres, l’enterrement « dans les terres », pratique qui existait déjà en zone campagnarde, s’imposa en cas de refus de la sépulture ecclésiastique par le curé. Les règnes de Louis XIV et Louis XV connurent donc le développement discret de ces espaces voués à l’inhumation familiale. Leur emplacement que rien ne signalait n’était guère connu que des seuls descendants.
64Se posait cependant le problème du décès des négociants étrangers qui séjournaient en France. À la suite d’une clause de l’article 5 du traité d’Utrecht (1713) et de l’acte séparé signé avec les villes hanséatiques, un arrêt du Conseil d’État du 20 juillet 1720 ordonna la création à Paris d’un cimetière réservé aux protestants anglais et hanséatiques décédés lors de leur séjour dans la ville. Un autre arrêt du 24 mars 1726 établit officiellement à « Marseille, Bayonne, Bordeaux, La Rochelle, Nantes, Le Havre de Grâce, Rouen, Saint-Valéry et autres ports de mer du royaume fréquentés par l’étranger de la R.P.R., […] un plan d’étendue convenable pour l’inhumation des étrangers protestants qui décéderont dans lesdites villes », qui serait clos de murs, fermé à clefs et muni d’un gardien. Les inhumations devaient y être faites « sans aucune cérémonie et aux heures marquées par la permission […] ; aucun des sujets de Sa Majesté ne pourra y assister63 […] ».
65L’article 13 de la déclaration du 9 avril 1736 « concernant la forme de tenir les registres de baptêmes, mariages, sépultures »64 concerne « ceux auxquels la sépulture ecclésiastique ne sera pas accordée ». Ils seront inhumés par ordonnance du juge de police du lieu, rendue sur les conclusions du procureur du roi ou bien de celui du seigneur s’il est haut-justicier. Les greffes pourraient délivrer onéreusement des extraits de l’ordonnance Mais selon S. Molinier-Potencier, « cette procédure, fondée sur un contrôle de l’inhumation, réintroduit ce que le texte avait voulu éradiquer : la clandestinité ». Il convient d’ajouter que l’article précédent indiquait une procédure très proche dans les cas des « corps de ceux qui auraient été trouvés morts avec des signes ou des indices de mort violente ».
66À la fin du règne de Louis XV s’impose, de la part de l’administration et des élites, un début de prise en compte discrète de la permanence du protestantisme parmi les sujets du royaume (période dite du « second désert). Ainsi à Marseille, une lettre du procureur général du parlement Ripert de Monclar invita le 19 mai 1768 les échevins à accorder dans le cimetière des protestants étrangers la sépulture « à ceux qui décèdent hors du sein de l’Église, auxquels la sépulture religieuse ne peut être accordée ». Les échevins devaient se conformer à l’article 13 de la déclaration d’avril 1736 et indiquer « qu’il sera fait une aumône à l’Hôtel-Dieu [laissée] à la charité des familles ». Bien plus, en janvier 1770 l’intendant d’Aix appuyait la requête des recteurs de l’Hôtel-Dieu de Marseille qui arguait d’un précédent pour demander que « pour procurer quelque revenu à cette œuvre, il fût établi un cimetière pour les protestants, comme il y a un établissement semblable à Lyon ». Les registres mortuaires de l’hôpital indiquent les années suivantes l’existence d’un « cimetière des protestants de cet hôpital65 ».
67L’Édit du 19 novembre 1787 « concernant ceux qui ne font pas profession de la religion catholique » restitua un état civil aux réformés opiniâtres ou d’origine étrangère. Le mot « protestants » n’apparaît qu’une seule fois, dans le préambule. Selon son article 27,
arrivant le décès d’un de nos sujets ou d’un étranger demeurant ou voyageant dans notre royaume auquel la sépulture ecclésiastique ne devra être accordée, seront tenus les prévôts des marchands, maires, échevins, capitouls, syndics et autres administrateurs des villes, bourgs et villages de destiner dans chacun desdits lieux un terrain convenable et décent pour l’inhumation66.
68Des cimetières protestants furent crées dans les années suivantes dans des villes et villages où ils constituaient une partie de la population67.
69L’article 37 de l’Édit du 19 novembre 1787 précise qu’il ne s’applique pas aux « luthériens établis en Alsace », qui avaient conservé leurs cimetières, ni « à ceux de nos autres sujets auxquels l’exercice d’une religion différente de la religion catholique a pu être permis dans quelques provinces ou villes de notre royaume », c’est-à-dire les juifs de Bayonne, de Bordeaux, d’Alsace et de Lorraine. Ces derniers possédaient des cimetières, de même que les quatre communautés de « juifs du pape », d’Avignon et du Comtat, qui allaient devenir françaises à la Révolution. Dans les dernières années de l’Ancien Régime, l’installation de familles juives hors des terres pontificales conduit ces communautés naissantes à créer discrètement des cimetières à Marseille (1783), Montpellier (1784) et Nîmes (1785)68.
Notes de bas de page
1 Sabine Barles, La ville délétère. Médecins et ingénieurs dans l’espace urbain xviiie-xixe siècle, Seyssel, Champ Vallon, 1999.
2 Alain J. Lemaitre, « Espace sacré et territoire vital au xviiie siècle : la régulation des lieux d’inhumation en Bretagne », Annales de Bretagne et des pays de l’ouest, t. 90, 1983/2, p. 249-259.
3 [David] Hoüard, Dictionnaire analytique, historique, étymologique, critique et interprétatif de la Coutume de Normandie, Rouen, Le Boucher jeune, 1780-1783, 4 vol., t. I, notice « Cimetières », p. 232-242.
4 Texte de l’arrêt dans Dr Félix Gannal, Les cimetières depuis la fondation de la monarchie française jusqu’à nos jours. Histoire et législation, t. I (seul paru) Les cimetières avant la Révolution, Paris, Muzard, 1884, pièces justificatives, p. 44-47. Original imprimé reproduit dans Annabelle Iszatt-Christy, Les nécropoles de Paris et de sa banlieue : formation et transformation d’un espace urbain, thèse d’architecture de l’École polytechnique fédérale de Lausanne, 2012, p. 257- 263 – signalons une fois pour toute que l’intérêt de cet travail dépasse le cas parisien, souvent dérogatoire dans cette étude. Sur toute cette affaire voir avant tout Ségolène de Dainville-Barbiche, « Les cimetières de Paris au xviiie siècle : problèmes d’odeur et de salubrité publique », dans Jean-Luc Chappey éd., Ordonner et régénérer la ville : entre modernité et révolutions, 137e Congrès des sociétés historiques et scientifiques, Vanves, Cths, 2014 (éd. électronique), p. 51-68.
5 Les études qui résument les données de l’enquête et analysent l’arrêt sont : Dainville-Barbiche, « Les cimetières de Paris au xviiie siècle, op. cit., Jacqueline Thibaut-Payen, Les morts, l’Église et l’État. Recherches d’histoire administrative sur la sépulture et les cimetières dans le ressort du parlement de Paris aux xviie et xviiie siècles, Paris, F. Lanore, 1977, p. 209-219 (ouvrage essentiel pour tout ce chapitre) et Richard A. Etlin, The Architecture of Death. The Transformation of the Cemetery in Eighteenth-Century Paris, Cambridge et London, The M.I.T. press, 1984 et rééd. 1987, p. 22-39 et annexe p. 370-371.
6 Daniel Ligou, « L’évolution des cimetières », Archives des sciences sociales des religions, n° 39, 1975, p. 61-77, donne par erreur la date du 12 mars 1763, qui correspond à l’arrêt préliminaire ordonnant l’enquête sur l’état des cimetières parisiens. Date reprise par Philippe Ariès, L’homme devant la mort, Paris, Le Seuil, 1977, p. 476. L’origine de cette erreur est sans doute [Jacques-Antoine] Sallé, Nouveau code des curés, Paris, Prault, 1780, t. III (pièces justificatives), p. 547 sq. qui donne les arrêts à la suite l’un de l’autre.
7 Texte, outre Sallé cité supra, dans Gannal, Les cimetières depuis la fondation de la monarchie française, op. cit., pièces justificatives, p. 48-55 et Iszatt-Christy, Les nécropoles de Paris et de sa banlieue, op. cit., p. 264-274. L’arrêt est résumé dans H. Lemoine, « Les cimetières de Paris de 1760 à 1825 », Bulletin de la Société de l’histoire de Paris et d’Île de France, 1924, p. 78-110, aux p. 82-86.
8 Liste dans Thibaut-Payen, Les morts, l’Église et l’État, op. cit., p. 215-216. Carte de l’emplacement de ces cimetières dans Gannal, Les cimetières depuis la fondation de la monarchie française, op. cit., entre p. 38-39. Vingt toises équivalent à environ 39 mètres.
9 Etlin, The Architecture of Death, op. cit., p. 68 et p. 69, plan de 1763. Jacques Hillairet, Les 200 cimetières du vieux Paris, Paris, Éditions de Minuit, 1958, p. 137-141.
10 Résumé par Gannal, Les cimetières depuis la fondation de la monarchie française, op. cit., pièces justificatives, p. 56. Reproduit intégralement par Iszatt-Christy, Les nécropoles de Paris et de sa banlieue, op. cit., p. 276-282.
11 Lettre adressée « à l’auteur du Mémoire concernant le cimetière de la paroisse Saint-Louis », publiée intégralement dans le Mémoire sur les sépultures hors des villes, ou recueil de pièces concernant les cimetières de la ville de Versailles, Versailles, Blaizot-Paris, Valade, 1774, 80 p. à p. 47 et antérieurement dans le Journal encyclopédique de 1769. Voltaire avait précédemment condamné les sépultures dans les églises en 1748 dans un passage souvent cité alors de Le monde comme il va. Vision de Babouc écrite par lui-même, Voltaire, Romans et contes, éd. par Henri Bénac, Paris, Garnier, 1960, p. 69.
12 Thibaut-Payen, Les morts, l’Église et l’État, op. cit., p. 218-219 et « L’exil des cimetières et des morts à la veille de 1789 : l’exemple de la primitive Église », dans Jean-Louis Harouel dir., Histoire du droit social. Mélanges en hommage à Jean Imbert, Paris, PUF, 1989, p. 509-517.
13 L’arrêt du conseil d’État est publié par Gannal, Les cimetières depuis la fondation de la monarchie française, op. cit., pièces justificatives, p. 57.
14 Hughes Maret, Mémoire sur l’usage où l’on est d’enterrer les morts dans les églises et dans l’enceinte des villes, Dijon, Causse, 1773, p. 59 et p. 62 (note).
15 Le fait n’a guère attiré l’attention de l’histoire locale ; Annie Gay et Jacky Theurot, Histoire de Dole, Toulouse, Privat, 2003, ne le citent pas parmi les « aménagements et embellissements de la ville » contemporains, p. 162-168. Ils signalent en revanche l’action de l’architecte Antoine Attiret (1713-1783), qui pourrait être l’auteur du plan du cimetière.
16 Cité par Gannal, Les cimetières depuis la fondation de la monarchie française, op. cit., pièces justificatives, p. 58-61.
17 Jean-Luc Laffont, « Autour de l’ordonnance épiscopale de Loménie de Brienne du 23 mars 1775. La question des sépultures dans le Midi toulousain sous l’Ancien Régime », dans J.-L. Laffont dir., Visages de la mort dans l’histoire du Midi toulousain, ive-xixe siècles, Aspet, PyréGraph, 1999, p. 81-85. L’ordonnance est reprise dans Gannal, Les cimetières depuis la fondation de la monarchie française, op. cit., pièces justificatives, p. 62-76
18 Arch. nat. G8 699-700, 1er vol. f° 185 et 226. Passage publié par Gannal, Les cimetières depuis la fondation de la monarchie française, op. cit., pièces justificatives, p. 281-285. Pour replacer cette action dans son contexte : Michel Péronnet, « Les assemblées du clergé de France sous le règne de Louis XVI (1775-1788) », Annales historiques de la Révolution française, t. XXXIV, n° 167, 1962 p. 8-35.
19 Jourdan, Decrusy et Isambert, Recueil général des anciennes lois françaises, depuis l’an 420 jusqu’à la Révolution de 1789…, Paris, Belin-Leprieur et Plon, 1821-1833, t. 23, p. 391-394. Nous avons déjà signalé que la date est affectée dans cet ouvrage par la coquille d’imprimerie 1777, à l’origine de nombreuses datations fausses dans la bibliographie. Gannal, Les cimetières depuis la fondation de la monarchie française, op. cit., pièces justificatives, p. 77-80.
20 Ariès, L’homme devant la mort, op. cit., p. 487.
21 Rappelons que le lit de justice enregistrant les six édits de janvier 1776 fut tenu le 12 mars 1776.
22 Citée par Thibaut-Payen, Les morts, l’Église et l’État, op. cit., p. 255.
23 À noter qu’il faisait dans son mandement de ce ou ces caveaux une sépulture privilégiée pour le haut clergé et aussi les grands serviteurs du roi : « les corps de nos vénérables prévôts et chanoines seront déposés dans le même caveau […] et pourront pareillement être déposés dans les caveaux de ladite chapelle les corps des gouverneurs, commandants en chef, lieutenants généraux de cette province ainsi que ceux des premiers présidents du parlement qui viendront à mourir dans cette ville ou désireraient y être enterrés […] ».
24 Texte dans Gannal, Les cimetières depuis la fondation de la monarchie française, op. cit., pièces justificatives, p. 113-114.
25 Compte tenu du régime de l’Irlande à l’époque, il s’agit peut-être de l’interdiction faite aux catholiques irlandais d’inhumer dans leurs églises ? Ils étaient par ailleurs obligés d’enterrer leurs morts dans les cimetières protestants jusqu’à la création du cimetière de Glasnevin à Dublin en 1832.
26 Grazia Tomasi, Per salvare I viventi. Le origini settecentesche del cimitero extraurbano, Bologna, il Mulino, 2001. L’actuel cimetière de San Cataldo a été aménagé par Cesare Costa entre 1858 et 1876, il doit sa célébrité à son extension, réalisée par Aldo Rossi en 1971.
27 Voir ci-après chapitre 12. Selon Laura Bertolaccini, Città e cimiteri : dall’eredità medievale alla codificazione ottocentesca, Roma, Kappa, 2004 p. 20-21, la documentation réunie par les conseillers de Charles III, venait « de Rome, Turin, Venise, Parme, Florence, Vienne et Paris ».
28 Tomasi, Per salvare i viventi, op. cit., p. 73-106.
29 Derek Beales, Joseph II, vol 2, Against the World, 1780-1790, Cambridge, Cambridge Univ. Press, 2009, p. 324-326. Jean Bérenger, Joseph II, serviteur de l’État, Paris, Fayard, 2007, p. 348-349. Sur les mesures prises par Joseph II pour les Pays-Bas autrichiens, voir ci-après l’étude de X. Deflorenne, chapitre 10.
30 Précoce étude de Silvain Gagnière, « Les cimetières d’Avignon aux xviiie et xixe siècles », Mémoires de l’Académie de Vaucluse, t. IX, 1945-1947 (1948), p. 93-127, à p. 98-104. À noter que l’auteur se trompe sur la date de la déclaration royale française qu’il situe en 1777.
31 Arch. Dép. de Vaucluse, G X art. 9 f° 374.
32 Arch. Dép. de Vaucluse, 4 M 124.
33 Françoise Hildesheimer, dir., Les diocèses de Nice et Monaco, Paris, Beauchesne, 1984, p. 111 ; Henri Sappia, « Notre ancien cimetière », Nice historique, 1899, p. 230-251. Cuvier Jacqueline, L’art funéraire à Nice. Une histoire remarquable, un patrimoine méconnu, Fédération des associations du Comté de Nice, 2010, p. 14-16.
34 Roger Devos, « L’espace des morts en Savoie, de la cohabitation à la ségrégation », dans M.-G. Martin-Gistucci dir., Traditions populaires, Genève, Slatkine (Cahiers de civilisation alpine, n° 1), p. 29-43. Anne Buttin, « Science et pouvoir sous la Révolution et l’Empire, l’exemple du docteur Daquin », dans Culture et pouvoir dans les états de Savoie du xviie siècle à la Révolution, id, 1985 (Cahiers de civilisation alpine, n° 4), p. 275-284.
35 Jean Nicolas, La Savoie au 18e siècle, noblesse et bourgeoisie, Paris, Maloine, 1978, t. II, p. 974- 975. Sur les mesures prises dans la capitale, Turin, voir ci-après l’étude de S. Nonnis-Vigilante, chapitre 13.
36 Jourdan, Decrusy, Isambert, Recueil général des anciennes lois françaises, op. cit., t. 23, p. 391, complété par plusieurs des études citées ici.
37 Citée par Thibaut-Payen, Les morts, l’Église et l’État, op. cit., p. 250-251. Texte complet dans Gannal, Les cimetières depuis la fondation de la monarchie française, op. cit., pièces justificatives, p. 231-237.
38 Aix, B. M. Ms 858 (1012) f° 37. Jean Pourrière, La Ville des tours d’Aix-en-Provence, Essai de restitution d’une ville morte du Moyen Âge, Aix, l’auteur, 1958, p. 104 note 11.
39 Gannal, Les cimetières depuis la fondation de la monarchie française, op. cit., pièces justificatives, p. 109-111.
40 L’affaire est exposée dans Janety, Journal du Palais de Provence..., Aix, A. Adibert, 1785, t. I (années 1775-1778), p. 387-393.
41 Thibaut-Payen, Les morts, l’Église et l’État..., op. cit., p. 264 sq.
42 Essentielle est l’analyse de Thibaut-Payen, Les morts, l’Église et l’État..., op. cit., , p. 358-427. Pour un bilan général : Lassère, Villes et cimetières en France, chap. I, p. 15-57. Le cas de Lyon, où l’importance du débat chez les élites contraste avec l’extrême modestie des réalisations avant la Révolution, est étudié dans Olivier Zeller, « La pollution par les cimetières urbains, Pratiques funéraires et discours médical à Lyon en 1777 », Histoire urbaine, n° 5, juin 2002, p. 67-83. Favre Robert, « Du médico-topographique à Lyon en 1783 », Dix-huitième siècle, n° 9, 1977, p. 151-159, Lassère Madeleine, « Des aîtres paroissiaux aux cimetières municipaux : l’exemple de Lyon au xixe siècle », Cahiers d’Histoire, t. 35, 1990/1, p. 23-44.
43 Alain Lottin, « Les morts chassés de la cité. “Lumières et préjugés”. Les émeutes à Lille (1779) et à Cambrai (1786) lors du transfert des cimetières », Revue du Nord, 1978, n° 236, p. 73-103. Repris dans A. Lottin, Être et croire à Lille et en Flandre, xvie-xviiie siècle, Arras, Artois Presses Université, 2000, p. 111-166.
44 François Lebrun, Les hommes et la mort en Anjou aux 17e et 18e siècles. Essai de démographie et de psychologie historiques, Paris-La Haye, Mouton, 1971, p. 484-485. Jacques Maillard, Le pouvoir municipal à Angers de 1657 à 1789, Angers, Presses de l’université d’Angers, 1984, t. II, p. 48-53. Thibaut-Payen, Les morts, l’Église et l’État..., op. cit., p. 399-403.
45 Béatrice Baumier, Tours entre Lumières et Révolution. Pouvoir municipal et métamorphoses d’une ville (1764-1792), Rennes, PUR, 2007, p. 407-415.
46 Jean-Pierre Bardet, Rouen aux xviie et xviiie siècles, les mutations d’un espace social, Paris, Sedes, 1983, t. II, p. 113-116. Madeleine Lassère, « La terre des morts : Rouen et ses cimetières au xixe siècle », Annales de Normandie, t. 43, 1993/3, p. 171-179. Jean-Pierre Chaline dir., Mémoire d’une ville. Le cimetière monumental de Rouen, Rouen, Soc. des amis des monuments rouennais, 1997.
47 Sur ce qui suit, Régis Bertrand, Les Provençaux et leurs morts. Recherches sur les pratiques funéraires, les lieux de sépultures et le culte du souvenir des morts dans le Sud-Est de la France depuis la fin du xviie siècle, thèse dactylographiée, Université de Paris I, 1994, t. III, p. 716 sq.
48 Publié dans le Journal de physique, t. XXII, 1783, p. 409 sq. Gannal, Les cimetières depuis la fondation de la monarchie française, op. cit., pièces justificatives. p. 86-96.
49 Madeleine Foisil, « Les attitudes devant la mort au xviiie siècle : sépultures et suppressions de sépultures dans le cimetière parisien des Saints-Innocents », Revue Historique, n° 510, 1974, p. 303-330. Gannal, Les cimetières depuis la fondation de la monarchie française, op. cit., procure dans ses pièces justificatives de nombreux textes sur ce cimetière, p. 83-159 et 286-294. Rappelons que Philippe Muray, Le 19e siècle à travers les âges, Paris, Denoël, 1984, chap I, p. 21 sq. a voulu dater du 7 avril 1786, jour de la bénédiction des Catacombes, les « trois coups » de ce qu’il appelle « la dixneuviémité ».
50 Michel Augustin Thouret, Rapport sur les exhumations du cimetière et de l’église des Saints Innocents lu dans la séance de la Société royale de médecine, tenue au Louvre le 3 mars 1786, Paris, impr. de Ph.-D. Pierres, 1786. Les deux Mémoires de Fourcroy sont repris dans Gannal, Les cimetières depuis la fondation de la monarchie française, op. cit., pièces justificatives, p. 253-274.
51 Recueil de pièces concernant les exhumations faites dans l’enceinte de l’église de Saint-Eloy de la ville de de Dunkerque, imprimé et publié par ordre du Gouvernement, Paris, de l’imprimerie de Monsieur, 1783.
52 Etlin, The Architecture of Death, op. cit., p. 34-37.
53 Cité par Gannal, p. 57. Le rapport est dans Vicq d’Azyr, Essai sur les lieux et les dangers des sépultures, Paris 1778, p. CXLI sq.
54 Etlin The Architecture of Death, op. cit., p. 41-65 et 101-108. Bertolaccini, Città e cimiteri, op. cit., p. 54-59. Iszatt-Christy, Les nécropoles de Paris et de sa banlieue, op. cit., p. 61 sq.
55 Gannal, Les cimetières depuis la fondation de la monarchie française, op. cit., p. 80-96 et pièces justificatives, p. 171-230. Sur les concours et les projets présentés au parlement, essentiel est Etlin, The Architecture of Death, op. cit., chap. 2 « Public and permanent Buildings (1765- 1785) » et chap. 3, « The Sublime (1785) », p. 41-99 et 101-159.
56 Gannal, Les cimetières depuis la fondation de la monarchie française, op. cit., pièces justificatives, p. 225-230.
Eltin, The Architecture of Death, op. cit., p. 218-222 et Bertolaccini, Città e cimiteri, p. 29-33.
57 Ce texte (BnF, Joly de Fleury 1182, f° 49-58) est en partie publié par A. Iszatt-Christy, Les nécropoles de Paris et de sa banlieue, op. cit., p. 283-288. C’est à tort que p. 52 elle le transforme en arrêt. Elle le date, après Richard A. Etlin, de l’été 1782 (Etlin, The Architecture of Death, op. cit., p. 86). S. de Dainville-Barbiche l’a plus sûrement daté de 1785 (Dainville-Barbiche, « Les cimetières de Paris au xviiie siècle, op. cit., p. 8).
58 Dainville-Barbiche, « Les cimetières de Paris au xviiie siècle, op. cit., p. 8-11 et les études monographiques d’Hillairet, Les 200 cimetières du vieux Paris, op. cit.
59 Gannal, Les cimetières depuis la fondation de la monarchie française, op. cit., pièces justificatives, p. 233, remarque de l’ordonnance du bailliage d’Orléans d’avril 1788 déjà citée.
60 Dans le cas d’Arles, voir le récit d’un contemporain dans Bertrand, Les Provençaux et leurs mort, op. cit., t. V, p. 1477-1479.
61 Etlin The Architecture of Death, op. cit., chap. 5, « Death in the Garden (1762-1789) », p. 199-228.
62 Voir pour l’ensemble de la période, Sylvie Molinier-Potencier, La sépulture des protestants de l’Édit de Fontainebleau à l’Édit de tolérance (1685-1792), thèse dactylographiée, université de Paris II, 1996,
63 Sur la genèse de cette décision, Thibaut-Payen, Les morts, l’Église et l’État..., op. cit., p. 185- 186. Armand Lods, « Les cimetières des protestants étrangers à Paris et dans les villes de province (1713-1792), Bulletin de la Société de l’histoire du protestantisme français, t. XLIV, 1895, p. 258-264.
64 Jourdan, Decrusy et Isambert, Recueil général des anciennes lois françaises, op. cit., t. 21, p. 405-416.
65 Régis Bertrand, Mort et mémoire. Provence xviiie-xxe siècles. Un parcours d’historien, Marseille, La Thune, 2011, p. 228.
66 Thibaut-Payen, Les morts, l’Église et l’État, op. cit., p. 158-195 et « Cimetières et sépultures protestantes de l’Édit de Nantes à la Révolution », Annuaire de l’École des Hautes-Études, 5e section, 1971-1972, t. 79, p. 414-415. André Encrevé et Claude Lauriol, éd., Actes des journées d’étude sur l’Édit de 1787, Bulletin de la société d’histoire du protestantisme français, 1988/2, p. 177-478.
67 Quelques exemples dans André Encrevé et Claude Loriol, éd., Actes des journées d’étude sur l’Édit de 1787, op. cit., p. 348-350 (Poitou) et surtout 375-380 (Saint-Jean-du-Gard).
68 René Moulinas, Les juifs du pape en France : les communautés d’Avignon et du Comtat venaissin aux xviie et xviiie siècles, Toulouse, Privat, 1981, p. 93-95. Frances Malino, « Les communauté juives et l’Édit de 1787 » dans Encrevé et Lauriol, éd., Actes des journées d’étude sur l’Édit de 1787, op. cit., p. 311-328. Isabelle Meidinger, L’État et les minorités culturelles en France au xixe siècle. L’administration des cimetières israélites de 1789 à 1881, thèse de l’EHESS, 2002, dactyl., t. 2, p. 398-402.
Auteur
Aix-Marseille Université, UMR Telemme 7303 (AMU-CNRS)
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Imaginaire d’un instant imperceptible. Peinture Littérature
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2020
Jusqu'à la nausée
Approche pluridisciplinaire du dégoût aux époques moderne et contemporaine
Laura Bordes (dir.)
2022