Chapitre 2. Inhumer les morts hors des églises et des villes ?
p. 39-64
Texte intégral
1La pratique des inhumations dans les églises ne pouvait guère se justifier que par un état de fait pluriséculaire, d’autant que des conciles du premier millénaire l’avaient condamnée. Le droit d’être inhumé dans un lieu de culte constituait un avantage spécifique à certaines personnes mais susceptible d’être potentiellement étendu à toute la population, qui ne pourrait être réformé qu’à partir du moment où s’établirait pour le faire un assez large consensus, ce qui n’arrivera que dans la seconde moitié du xviiie siècle. Les nuisances olfactives qu’elle occasionnait, et celles nées de la présence de cimetières à l’intérieur des enceintes urbaines, pouvaient être jugées pénibles ou regrettable. Il est vraisemblable qu’elles ont augmenté en certaines villes au cours du siècle avec la croissance démographique et la baisse tendancielle de l’inhumation ad sanctos. L’affirmation de leur forte dangerosité par l’autorité médicale va convaincre les autorités et les élites de la nécessité d’y mettre fin.
Les réserves du clergé1
2La contestation de l’inhumation à l’intérieur des lieux de culte a d’abord été le fait de gens d’Église. L’inhumation dans les églises est suffisamment entrée dans les moeurs depuis la fin du Moyen Âge, du moins dans les villes, pour que le Rituel romain indique : « Il faut conserver l’usage d’ensevelir les morts dans les cimetières ou le rétablir, s’il est possible ». Or la plupart des ouvrages des xviie et xviiie siècles qui consacrent un développement aux sépultures rappellent l’interdiction antique de l’inhumation dans le périmètre des villes et certains mentionnent les canons de conciles du premier millénaire qui proscrivaient des églises les tombes des fidèles. C’est le cas en particulier de titres fréquemment cités par les auteurs du temps, tels que l ’Ancienne et nouvelle discipline de l’Église de l’oratorien Louis Thomassin, des Loix ecclésiastiques de Louis de Héricourt ou de l’Abrégé du recueil des actes […] du clergé de France composé par l’abbé Marc du Saulzet. Ces trois auteurs ont tenu à ouvrir le chapitre qu’ils ont consacré au droit funéraire par un historique « de l’usage d’accorder aux laïques la sépulture dans les églises », pour reprendre le titre de Du Saulzet2. Ils dégagent les principales étapes d’une évolution : les fidèles veulent d’abord se faire enterrer auprès du tombeau des martyrs, ce qui conduit à créer des cimetières autour d’églises urbaines qui les renfermaient. Puis empereurs, évêques et prêtres se font enterrer à l’intérieur des églises et enfin de « simples fidèles ». Les auteurs ne contestent pas cet « usage » mais n’ignorent pas qu’il contrevient aux règles de la primitive Église. Aussi professent-ils des jugements de valeur. Thomassin écrit en 1678 :
Ce fut là le dernier degré où la vanité des hommes se porta. La piété rechercha autrefois pour d’autres fins d’être enterrez dans les églises ; scavoir afin d’y être assisté des prières des saints, qui y sont honorez, ou des fidèles mêmes qui y venoient prier. La vanité succéda à la piété et l’on se fit un honneur de n’être point mêlé à la foule dans le cimetière. Lorsque les églises furent devenues communes à un grand nombre de fidèles qui y étoient inhumez, on affecta de se distinguer par des tombeaux éminents. On ajouta enfin les trophées d’une vanité que la mort même n’a pu faire mourir.
3Thomassin juge que « cette gloire vaine et ridicule qui cherche à se distinguer même par les lieux de la pourriture » est un « abus » dont il explique l’extension progressive aux fidèles par « les occasions d’un gain sordide » qu’il pouvait procurer aux clercs :
Comme il n’étoit pas ordinaire d’enterrer dans les églises, ceux qui désiroient d’avoir cet avantage […] offraient des sommes considérables pour l’obtenir. Ce qui ne fut d’abord qu’une libéralité gratuite devint dans la suite un tribut et une exaction3.
4À la suite des conciles provinciaux post-tridentins (Bordeaux, Tours, Reims) de la fin du xvie siècle, nombre de recueils d’ordonnances synodales et la plupart des rituels diocésains publiés aux xviie et xviiie siècles renferment également des considérations parfois sévères au sujet de l’inhumation des fidèles dans les églises. Certains énumèrent les raisons qui devraient faire préférer le cimetière. Ainsi le Rituel de Bourges de 1666 rappelle au clergé paroissial qu’il ne convient pas d’influencer les malades souhaitant faire leur testament ; si cependant ils sollicitent l’avis d’un prêtre, « on peut leur conseiller de se faire enterrer dans les cimetières et défendre dans leur testament qu’on les enterre dans l’église ». Suit un argumentaire en six points :
On peut se servir de ces considérations pour porter les malades à vouloir être enterrez dans le cimetière :
1. Que le cimetière de la paroisse est le dortoir des chrétiens et l’église leur réfectoir (sic).
2. Qu’il y a une bénédiction particulière pour ceux qui y sont enterrez et n’y en a aucune dans la consécration ou dédication des églises […].
3. Que se faire enterrer dans l’église, c’est contre la coutume ancienne de l’Église […].
4. Que […] le lieu le plus proche de l’église étoit marqué dans le cimetière pour la sépulture des petits enfans, de la sainteté desquels on ne peut douter […].
5. Que l’intérêt propre doit faire désirer à chacun de n’être pas inhumé à l’église, car si l’on est damné, la peine sera incomparablement plus grande tandis que ce maudit corps sera en présence du Saint Sacrement.
6. Que comme ceux qui se font enterrer à l’église le font souvent par un esprit de superbe, n’estimant la sépulture des cimetières que pour les pauvres et les misérables, il est bien à craindre que n’ayant pas voulu être avec les pauvres et les petits sur la terre, ils n’y soient peut-être pas non plus dans le ciel4.
5Beaucoup d’évêques du xviiie siècle avancent aussi ou surtout des raisons pratiques : l’ensevelissement à même le sol avait pour effet de bosseler la terre de la nef, lorsque cette dernière n’avait qu’un sol de terre battue, ou sinon de « gâter le pavé », lorsqu’elle était carrelée ; les dalles d’ouverture des caveaux rendaient le pavement inégal et pouvaient, lorsqu’elles étaient disjointes ou cassées, causer des chutes. Les sépultures dans les églises étaient surtout jugées préjudiciables à la dignité du culte par leurs odeurs putrides. Ainsi en 1759 l’évêque de Grasse en visite pastorale à Opio constate-t-il dans ce très modeste village dépourvu de cimetière où tous les morts sont déposés dans les caveaux de l’église que « les mauvaises odeurs qui s’en exhalent […] ne permettent point aux ministres d’y célébrer le service divin » – on ne fera d’ailleurs pas pour autant les frais de l’établissement d’un cimetière dans cette communauté très pauvre5. Certes, le niveau de tolérance d’une odeur jugée désagréable à un moment donné connaît de fortes variances socio-culturelles. Il n’est pas certain que cette odeur ait paru insupportable à tous les fidèles des églises où elle est dénoncée. L’odeur corporelle des vivants assistant à la messe devait être forte. La paysannerie fabriquait à même la rue ou dans les cloaques un maigre fumier végétal, l’artisanat des tanneries existait dans les villes.
6Si une large partie du clergé ne semble pas avoir été hostile au principe de l’inhumation ad sanctos – l’enterrement dans le sanctuaire était pour les clercs un privilège qu’ils n’entendaient guère perdre eux-mêmes et que les évêques ne perdirent d’ailleurs pas – elle condamnait avant tout son extension à une trop large partie de la population. Mgr Louis Aubert de Villeserin, évêque de Senez, petit diocèse des Préalpes de Castellane en Haute-Provence, conclut ainsi dans son copieux recueil d’ordonnance un long exposé sur les sépultures :
La complaisance et la lâcheté de la pluspart des prieurs, vicaires, curés et recteurs des églises paroissiales et chapelles de ce diocèse est venue jusqu’à ce point que d’ensevelir indifféremment dans lesdites églises et chapelles, les corps de tous ceux qui sans aucune possession ny aucun droit ou raison portée par les saints canons le désirent ainsi, ou dont les héritiers et les parens le demandent par des motifs et vanité tout à fait opposéz à l’esprit du Christianisme et qu’ils n’obtiennent que par des moyens qu’il est beaucoup plus séant de taire que de particulariser ; rendant lesdits ecclésiastiques par cette pratique, qui tient plus de l’avarice que de la charité, les églises et chapelles très dangereuses à donner des maladies populaires en cette province, tant par les mauvaises odeurs et infection de l’air, et incommodes pour le public par la destruction et l’inégalité du pavé que l’on néglige de réparer ; que par diverses autres considérations, qui donnent lieu très souvent à des jalousies et à des divisions très funestes, surtout dans les petits lieux.
7Comme nombre de ses confrères, l’évêque interdit donc l’inhumation dans les églises et chapelles,
à la réserve toutefois de ceux des ecclésiastiques, seigneurs des lieux, magistrats, fondateurs desdites églises et chapelles et des autres qui par une légitime possession, ou autre titre canonique, y auront ou pourront acquérir droit de sépulture6.
8En fait, nombre de tombes de famille avaient été régulièrement concédées par les autorités responsables de l’édifice. Mais ces caveaux familiaux n’étaient ouverts que de temps en temps pour recevoir un corps dans un cercueil cloué. Leurs dalles étaient parfois aussitôt scellées au mortier. L’interdiction, pour autant qu’elle ait été effective, frappait avant tout les caveaux communs, où l’on déposait au hasard des décès des corps parfois simplement enveloppés d’un suaire et dont les dalles d’accès, fréquemment soulevées, étaient posées sans scellement et parfois disjointes ou cassées. Tout aussi vaine fut la tentative de certains évêques de prohiber les sépultures dans les églises pendant l’été, ou d’imposer un délai à la réouverture d’un caveau, qui allait au demeurant à l’encontre du droit des détenteurs de tombes de famille. L’archevêque de Rouen ordonna dans un mandement du 21 mai 1721 d’augmenter fortement les droits d’inhumation, dans l’espoir de réduire « un abus si contraire à l’ancienne discipline, (qui) ne tend à rien moins qu’à diminuer le respect dû à ces lieux sacrez, à en éloigner les fidèles, par la crainte du mauvais air qu’on y respire, et peut avoir des suites fâcheuses qu’il convient de prévenir7 ».
9L’odeur cadavérique dans ces espaces confinés pouvait être également jugée par certains membres du clergé malsaine, voire dangereuse pour la santé. On a cependant observé l’absence d’un tel argument dans certains des textes qui viennent d’être cités, les deux derniers exceptés. Avant que les médecins ne commencent à s’emparer de la question, au milieu du xviiie siècle, cette considération restait imprécise.
10Des curés et vicaires paroissiaux pouvaient attirer l’attention de l’évêque sur le problème de l’odeur des sépultures lors de sa visite pastorale. Les évêques s’efforçaient d’y remédier dans leurs Ordonnances synodales. En général, ils proscrivaient l’inhumation en fosses dans l’église et édictaient des normes de fermeture étanche et de dimensions des caveaux8. Des membres du clergé paroissial s’efforçaient au reste de lutter depuis longtemps contre ces odeurs, avec l’aide des marguilliers des conseils de fabrique ou, dans le Sud-est, de ceux de la confrérie du Saint-Sacrement, dans les deux cas gestionnaires de l’église paroissiale. Ainsi le prix fait du lotissement en caveaux d’une des nefs de la cathédrale d’Aix, passé en 1631 entre les prieurs de la confrérie du Saint-Sacrement et trois entrepreneurs, prévoit-il une précaution intéressante. Chaque caveau aura « (sa) trappe, chacune de trois pans de large avec deux battants pour y pouvoir mettre deux couvertes, la première de bois et l’autre de pierre de taille et [le maçon] laissera un jour entre les deux trappes d’un pan et demi pour y pouvoir mettre de [la] terre ou chaux pour garder [de] la putréfaction des corps9 ».
11Une autre solution n’a guère été signalée jusqu’ici alors qu’elle mériterait une enquête à travers la France : il s’agissait de séparer le monde des morts de celui des vivants en établissant sous certaines églises urbaines des « cryptes » ou « catacombes » à usage funéraire, soit des « souterrains profonds et bien voûtés », pour reprendre l’expression de l’abbé Marc-Antoine Laugier10. Une brochure parue à Caen en 1745, qui pourrait être de l’abbé Porée, en définit les avantages :
Dans plusieurs églises du royaume, on pratique des souterrains où l’on dispose les morts. On pourroit faire la même chose ailleurs ! Par ce moyen, on maintiendroit le pavé toujours égal, toujours uni, et on ne seroit point affligé par l’odeur des cadavres.
12Mais l’auteur, très hostile à l’inhumation dans les églises, observe qu’il faut cependant ouvrir fréquemment la porte pour descendre les corps et qu’il y a des soupiraux11.
13Ces cryptes funéraires étaient soit établies dans le sous-sol d’édifices préexistants par creusement en sous-oeuvre – ce fut par exemple le cas de celle réalisée à l’initiative de Mgr de Mesgrigny sous les trois nefs de la cathédrale romane de Grasse entre 1714 et 1717 – soit prévues lors de la construction ou la reconstruction de l’édifice. De tels aménagements étaient proches des terre sante napolitaines. Ces « cryptes » sont, par exemple, signalées en 1777 dans dix églises lyonnaises. Dans certaines paroisses du centre ancien de cette ville, Olivier Zeller a calculé qu’elles représentaient plus de 40 % de la superficie disponible pour l’inhumation paroissiale, le reste étant constitué par le sol du cimetière12. L’église Saint-Sulpice de Paris présente également une telle « crypte », réalisée dès sa construction, qui constitue une véritable église inférieure à usage funéraire. La crypte du Panthéon en est un autre exemple : elle était initialement destinée aux sépultures des génovéfains dont l’édifice devait être le nouveau sanctuaire. Ces aménagements semblent trahir la recherche au cours du xviiie siècle d’une formule s’efforçant de concilier à la fois l’inhumation dans l’église avec une relative hygiène et la décence du culte.
14La première expertise en 1737 du cimetière des Saints-Innocents à Paris, lieu de sépulture exceptionnel déjà cité (chapitre 1) contraste par ses conclusions avec celle qui sera réalisée quarante ans plus tard (voir chapitre 3). L’infection dénoncée par le voisinage provoqua une inspection par acte du parlement du 9 juillet 1737 qui ne conclut pas à un danger dû aux odeurs émanant du cimetière : les auteurs du rapport distinguaient pour cause première « les matières fécales que les habitants des maisons voisines jettent dans le cimetière » et ensuite « l’infection des fosses dans le temps qu’on les creuse et qu’on les remplit ». Une série de précautions furent définies, telle qu’interdire le jet d’immondices depuis les maisons voisines. On tenta de rationaliser la gestion des fosses : « aplanir le terrain, le diviser en carrés, l’exploiter en diagonale opposée avec celui exploité auparavant, et ne le rouvrir qu’après dix années révolues » ou « couvrir les corps de huit pouces à un pied de terre, suivant les saisons ». Un échange de terre avec le terrain des Porcherons, acquis par le chapitre fut aussi prévu13.
De la nocivité des « odeurs méphitiques14 »
15La dénonciation des méfaits puis des risques vite réputés considérables que la putréfaction des corps morts fait courir aux vivants par altération de l’air, surtout s’il est confiné15, va être en fait l’objet d’un nombre réduit d’études, dont les arguments et les anecdotes sont repris et vulgarisés par bien d’autres publications du temps.
16Le premier est le fait d’un ecclésiastique provincial, l’abbé Charles-Gabriel Porée (Caen 1685-Caen 1770), retiré avec un canonicat dans sa ville natale dont il était membre de l’académie et frère du jésuite Charles Porée (1675-1741), avec lequel il a été parfois confondu16.
17Dans ses Lettres sur la sépulture dans les églises, brochure publiée à Caen en 1745, rééditée en 174917, l’abbé Porée insiste longuement en des lettres dialoguées sur les « vapeurs empestées » exhalées par les fosses, l’inégalité du pavé et la malpropreté des églises paroissiales. Autant de thèmes déjà mentionnés par des évêques dans leurs ordonnances synodales ou pastorales, de même que les références de l’auteur à la primitive église et l’énumération des canons conciliaires. La nouveauté réside dans l’aspect scientifique de sa dénonciation véhémente de la nocivité des corps en décomposition : l’abbé Porée affirme l’infiltration des fluides du corps par l’air vicié :
Jugez de l’abondance des écoulements qui sortent des cadavres entassés les uns sur les autres, surtout quand on vient à r’ouvrir des fosses où les corps ne sont qu’à demi-pourris. Ce sont alors des torrents de vapeurs et d’exhalaisons dont l’air environnant se retrouve tout imprégné […]. Quel mélange effrayant se fait-il alors des morts et des vivants ? Oui, les morts entrent dans l’air que nous respirons, dans les aliments dont nous nous nourrissons. Ils s’insinuent par les pores, ils s’allient à notre sang, ils pénètrent toutes nos humeurs18.
18Il propose non seulement l’interdiction d’inhumer dans les églises mais aussi de transférer des cimetières hors des villes, en des « endroits élevés ». En des enclos spacieux, « environnés de murs exhaussés et bien solides », les fosses ne seraient renouvelées « qu’après que les corps y auraient été consumés » et le vent disperserait « les vapeurs et exhalaisons des tombeaux ». Des lors, les cimetières offriraient une grande leçon :
Il est du plus grand intérêt des mortels d’écouter les leçons que leur font les morts. C’est sur les tombeaux qu’il faut aller se convaincre de la fragilité de toutes choses humaines : les sépulchres sont des écoles de sagesse.
19Bien plus, « les visites que nous leur rendrions deviendraient touchantes ». L’on formerait « une architecture funèbre ». Les épitaphes renaîtraient : « placées dans les cimetières publics, où l’on aurait la liberté de les multiplier, elles serviraient d’instruction à ceux qui iraient prendre dans une si excellente école, des leçons de morale19 ».
20Des Observations sur les sépultures dans les églises... parues chez le même libraire peu après les Lettres et qui pourraient être de la même main, soulignent fortement, sans doute en réponse aux premières objections, que « l’auteur des Lettres a prouvé que l’air infecté par des corpuscules cadavéreux corrompt notre sang et affecte nos viscères20 ». Quant au fait que dans son projet de cimetière, « les riches se trouveraient confondus avec les pauvres », outre que la mort est égale pour tous, la solution sera de leur assigner dans les cimetières publics « un canton d’où les pauvres seront écartés ». Mais ce « privilège » ne leur sera accordé qu’à prix d’argent. En revanche, ces égards pourraient être « légitimement dus aux personnes qui ont occupé un rang distingué dans l’État ou qui ont rendu d’importants services à leur patrie ».
21M. Vovelle a justement défini l’apport de cette brochure :
L’abbé Porée par qui s’effectue la transition du discours traditionnel à celui des Lumières a lancé le maître mot : celui de l’interdit et de l’exil des morts, non point comme moyen de s’en débarrasser mais si l’on peut dire, de les aimer21.
22L’abbé Porée envisage également un service de chariots publics pour le transport des morts entre l’église et les nouveaux cimetières éloignés des habitations. Il suggère qu’une assemblée du clergé de France examine ces questions. Une telle prescience étonne puisque le projet de cimetière qu’il propose sera réalisé deux générations plus tard. L’auteur pourrait faire la synthèse de remarques et propositions diffuses dans les écrits contemporains, en particulier ceux qui traitent des « sépultures de tous les peuples » et comparent les pratiques antiques à la situation de leur temps.
23On retiendra moins dans l’immédiat cependant cette anticipation funéraire que la caution apportée par la science à l’idée de la nocivité des odeurs cadavériques. Ces affirmations pourraient faire écho au traité de l’anglais John Arbuthnot, Des effets de l’air sur le corps humain, paru en 1732 et traduit en français en 1742, qui est à bien des égards le premier des manuels de ce que les historiens ont appelé l’aérisme22. Il lie étroitement l’état physiologique de l’homme à la météorologie et au climat et explique que le corps ne cesse d’absorber l’air ambiant par ses pores et sa respiration. Dès les siècles précédents, la médecine hippocrato-galénique avait posé le principe du caractère malsain de l’air accumulé en des lieux confinés où s’assemble le public, la preuve de sa corruption étant son odeur. Le changement qui se manifeste alors, en lien avec les recherches sur la nature et les propriétés de l’air (la « pneumatique ») et ses rapports avec le corps23, est que cette nuisance se mue en danger collectif, l’état de l’air tendant à devenir le principal facteur des conditions pathologiques. Ce qui revient à faire de la question de la présence des morts dans les églises, voire dans des cimetières intra-muros un problème de salubrité publique24.
24Même si l’impact immédiat de ce mince ouvrage publié par un libraire provincial est fort difficile à mesurer, l’éventualité d’une contagion que pourraient occasionner les cadavres cède avec lui la place à l’affirmation du danger permanent que constitue l’imprégnation de l’organisme par leurs miasmes ; la question dépasse donc le problème de l’inhumation ad sanctos pour remettre en cause l’existence des cimetières dans les villes.
25Le débat prend une réelle ampleur lorsque des médecins y interviennent. Le docteur Henri Haguenot (1687-1775), professeur de chirurgie et pharmacie à la faculté de Montpellier, jansénisant25 et donc proche d’une mouvance hostile à l’inhumation ad sanctos, prononce en 1746 devant la société royale de médecine de Montpellier une communication sur le danger des sépultures qui sera reprise tardivement en volume26 mais avait été publié auparavant en extrait dans le Journal des savants en 174827. Il y expose une « étude de cas » qui va devenir classique, un accident survenu dans l’église Notre-Dame28 lors de l’inhumation le 17 août 1744 d’un pénitent blanc dans un caveau commun, qui aurait causé le décès quasi-immédiat d’un porteur du corps descendu dans le caveau et de deux personnes venues lui porter secours ; deux autres, extraites à temps furent malades mais survécurent. Le professeur Haguenot s’est livré dans cette « cave », à la demande de l’intendant, à plusieurs expériences entre les mois d’août et de novembre, qu’il rapporte soigneusement. Selon lui, non seulement l’air qui y stagne perd sa qualité physique d’élasticité, mais il est infecté : à chaque ouverture du caveau, « il s’en est élevée une vapeur puante qui dans peu se répandait au loin », qu’Haguenot classe parmi les méphitis (exhalaisons puantes et dangereuses). Il affirme :
Le plus grand danger de ces caves consiste en ce que les vapeurs subtiles qui en sortent, après avoir infecté l’air des églises, se répandent au-dehors et peuvent rendre impur l’air d’une ville entière, que sais-je, de tout un pays […] aussi je ne puis douter que la vapeur infectée des caves se répandant au dehors ne puisse être la cause qui occasionne, ou du moins qui entretient et irrite les maladies épidémiques29.
26Haguenot a également conduit une enquête auprès de fossoyeurs et d’ecclésiastiques de la région de Montpellier. Il en conclut que « toutes les précautions qu’on pourrait prendre pour en empêcher les mauvais effets sont inutiles et qu’il est par conséquent d’une bonne police et de l’intérêt public d’en interdire l’usage ». Sa condamnation comprend les caveaux ouvrant dans le sol des lieux de culte et aussi les cryptes funéraires :
Non seulement les caves communes mais même toute sorte de lieux souterrains ou creusés dans les églises dans lesquels on ensevelit les morts ; quoique moins dangereux que les caves communes, [ils] le sont cependant assez pour être défendus.
27Le professeur Haguenot attend donc de l’autorité publique « l’abolition de cette forme de sépulture » et la création de cimetières « spacieux, bien aérés, isolés et ouverts aux quatre vents, ceints de bonnes et hautes murailles », afin de « rétablir l’honneur des cimetières », dans l’espoir que les « gens de bien » acceptent d’y être enterrés, conformément « à l’ancienne discipline de l’Église30 ». Il conclut :
Sans faire ici d’inutiles recherches, sur la nature de ces exhalaisons, et leur manière d’agir, on peut assurer que les corpuscules contagieux qui se dégagent dans les premières instants de la corruption du cadavre sont toujours redoutables31.
28L’analyse et les conclusions d’Haguenot telles qu’elles sont présentées dans le Journal des savants de 1748 font dès 1752 l’objet de longues citations dans un ouvrage dont le retentissement fut important dans le corps médical et l’opinion éclairée, les Lettres sur la certitude des signes de la mort du chirurgien Antoine Louis32. Cependant le mémoire d’Haguenot ne sera donné en volume qu’en 1769, après que l’arrêt du parlement de Paris de 1765 aura fortement attiré l’attention sur la question des cimetières urbains (voir chapitre 3). L’histoire de la mort des trois Montpelliérains asphyxiés par les « vapeurs méphitiques » d’un caveau sera ensuite souvent reproduite, de Maret puis Vicq d’Azyr jusqu’à Philippe Ariès.
29Néanmoins, si l’on excepte des brochures publiées dans quelques villes pour dénoncer l’état des cimetières locaux – à Versailles en particulier33 –, les textes sur ce sujet publiés par des médecins au cours des années suivantes sont finalement peu nombreux. En 1771 paraît le livre du Provençal Olivier, docteur de Montpellier, médecin à Saint-Tropez, qui dénonce, dès son titre, « les effets de la putréfaction sur l’air et sur nous ». Une de ses particularités est un long historique de l’évolution des pratiques funéraires depuis l’Antiquité afin de montrer qu’il serait possible de revenir à celles des Romains ; une autre, l’hypothèse de « souterrains voûtés, fermés par une grille de fer du côté qu’ils recevraient et laisseraient couler l’eau, qui irait se perdre dans quelque ruisseau. Nous verrons que l’eau froide renouvelée empêche la putréfaction34 ». C’est là une des premières utopies funéraires qui vont fleurir à la fin du xviiie siècle.
30En 1773 le Mémoire d’Hughes Maret, autre docteur de Montpellier, secrétaire perpétuel de l’académie de Dijon et membre de trois autres académies, résulte d’une expertise que les officiers municipaux de Dijon lui ont demandé au sujet du risque constitué par la trop rapide ouverture des fosses dans un des cimetières de la ville ; élargissant son propos, il conclut « qu’il faudrait également réformer tous les cimetières des différentes paroisses de cette ville, les construire hors des murs et ne pas permettre qu’on enterrât dans les églises35 ». Persuadé « qu’aucun médecin n’ignore que les sépultures faites dans des lieux peu aérés sont dangereuses », il souhaite « éclairer le public sur cet objet important ». Il compile divers récits qui sont autant de preuves de la nocivité des « exhalaisons qui se mêlent à l’air ». Le docteur Maret narre longuement en particulier un drame survenu à Saulieu, qui avait été signalé par un article de la Gazette de France du 25 juin 1773. Maret bénéficie du témoignage d’un de ses confrères, le docteur Bauzon. Son récit sera souvent cité ensuite. On aurait enterré deux morts atteints de « fièvre catarrhale épidémique » le 3 mars puis le 20 avril dans une fosse de l’église qui serait restée ouverte pendant dix heures, le temps que le curé prépare cent-dix enfants à la première communion dans l’église et célèbre deux mariages ; certains enfants se plaignirent à leurs parents « de ce que l’on sentait très mauvais à l’église ». 170 personnes furent « exposées à respirer et avaler les miasmes qui s’exhalaient dans l’église », 149 auraient été atteintes de fièvres et 25 en moururent – dont le curé, un vicaire, un chantre, un fossoyeur, un des communiants36. Il consacre un développement à la question « du délai de destruction des chairs » qui sous-tend l’étendue des cimetières à créer. Il s’efforce de l’établir en fonction de la profondeur des fosses. (3 ans pour des fosses de 4 à 5 pieds de profondeur, 4 ans si elles en ont 6 ou 7). Il tente aussi de déterminer les intervalles à respecter entre les fosses. On notera qu’il pose implicitement en principe que l’on ne superposera pas les corps et que chacun sera déposé dans une fosse particulière. Autant de points qui seront fixés par le décret de prairial une génération plus tard37. Gwen et Caroline Hannaway ont noté qu’il connaissait l’étude du Dr Priestley sur l’effet purificateur des végétaux, parue en 1772 et traduite l’année suivante dans le Journal d’observations… de l’abbé Rozier. Mais il souligne que « les arbres empèchent la dispersion des vapeurs38 ».
31En 1775 paraissent les Réflexions sur les dangers d’exhumations précipitées et sur les abus des inhumations dans les églises du Champenois Pierre-Toussaint Navier, membre de l’académie de Chalons-sur-Marne, qui dit les avoir lues devant cette compagnie le 7 janvier 1767 et les avoir ensuite mises à jour et augmenté39. Il affirme d’abord l’extrême nocivité de « ces poisons subtils et léthifères » (sic) nés de la décomposition des corps :
Si le monstrueux mélange qui résulte de la putréfaction vient à s’élever dans l’athmosphère (sic) sous la forme d’évaporations ou d’exhalaisons infectes, il pénètre jusque dans la substance intime des organes tendres et délicats des corps animés, où il porte infailliblement des principes de destruction très dangereux et souvent mortels40.
32Comme ses prédécesseurs, il compile diverses preuves imprimées de la nocivité des exhalaisons cadavériques et fait état de sa propre expérience locale. Il dit n’avoir pu voir ni le mémoire de Maret ni celui d’Olivier mais narre l’affaire de Saulieu d’après la Gazette de France du 25 juin 1773. Il se flatte d’avoir « fait détruire le charnier du cimetière de Notre-Dame, la plus grande paroisse de la ville » et d’avoir suggéré (en vain) de fixer à un prix élevé les inhumations dans les églises – il ne faisait que reprendre à son compte un article de l’arrêt du 21 mai 1765 du parlement de Paris (voir chapitre 3). Il propose une large utilisation de la chaux vive sur les cadavres et aussi d’établir des feux ou même de tirer au canon près des cimetières pour « créer des courants d’air ». Comme l’était déjà Maret, il est hostile aux « plantations d’arbres que l’on fait dans beaucoup de cimetières où nombre de personnes vont se promener » (sic). Non seulement les arbres réduisent la surface d’inhumation mais leurs branches font obstacle à la circulation de l’air. Il s’agit de la dernière publication importante sur ce sujet avant la déclaration royale de 1776. Sa préface annonce d’ailleurs que l’assemblée générale du clergé de France se dispose à examiner ces questions.
L’Essai sur les lieux et les dangers des sépultures, ou la politique par l’imprimé41
La superstition, le fanatisme, les préjugés résistent en vain : leur voix est étouffée, et n’empêche plus de méconnoître la nécessité impérieuse d’éloigner les inhumations du sein des villes […]. L’ouvrage de Vicq d’Azyr a donc contribué d’une manière efficace à l’une des plus belles époques de la police des nations modernes ; et la reconnoissance de la postérité doit lui attribuer les exhumations qui ont eu lieu dans la suite, et que ses vues généreuses et philanthropiques ont préparées et demandées avec tant de chaleur et d’éloquence.
33Ainsi s’exprime Jacques-Louis Moreau de la Sarthe dans le long « Discours » qui introduit son édition des Œuvres de Félix Vicq d’Azyr (1748-1794), publiées en six volumes en 180542. L’ouvrage en question est l’Essai sur les lieux et les dangers des sépultures, paru en 1778 à Paris, chez le libraire-imprimeur attitré de la Société royale de médecine, Pierre François Didot. Dans son texte, Moreau ne dit rien sur ce que l’on pourrait considérer comme la première version du livre, dont l’auteur n’est pas Vicq d’Azyr mais le Florentin Scipione Piattoli (1749-1809), religieux de l’ordre des piaristes dispensé de ses vœux en 1773, franc-maçon et, entre 1772 et 1782, professeur d’histoire ecclésiastique et de langue grecque à l’université de Modène. Ce n’est que dans le sixième et dernier volume de l’édition de Moreau, où l’Essai sur les lieux et les dangers des sépultures est inséré, que le lecteur apprend qu’il s’agit d’un « ouvrage traduit librement de l’italien de M. Scipion Piattoli43 » : le Saggio intorno al luogo del seppellire, publié anonymement à Modène en juin 1774.
34Moreau n’a pourtant pas complètement tort : ni dans l’attribution du livre à Vicq d’Azyr, ni dans l’usage de l’adverbe « librement » pour indiquer la nature de la traduction ; il exagère sans doute quand il met entièrement au crédit de cet ouvrage les « exhumations qui ont eu lieu par la suite », mais beaucoup moins quand il affirme que sa contribution a été efficace. Or aucun imprimé ne l’est par la seule puissance de son propos, détaché des conditions dans lesquelles l’écrit est produit et mobilisé comme une action. L’histoire de ce livre est celle d’une opération politique qui a consisté à se saisir d’un texte, le Saggio de Piattoli, lui-même composé au départ au service d’un enjeu politique, et à le transformer, l’étoffer, l’institutionnaliser, pour en faire un outil de propagande savante et promouvoir un programme de « police » funéraire conforme aussi bien à la doctrine médicale majoritaire qu’aux projets du pouvoir monarchique.
Une traduction « libre »
35Scipione Piattoli écrit son Saggio intorno al luogo del seppellire en quelques semaines, entre mai en juin 1774, en appui à l’action du duc de Modène Francesco III d’Este (1698-1780), qui en novembre 1771 avait décidé la construction d’un cimetière extramuros. L’emplacement choisi fut la localité de San Cataldo, et en juillet 1773 les travaux étaient terminés. Quelques mois plus tard, en mars 1774, le duc fit part aux membres du principal organe du gouvernement ducal, la Tavola di Stato, de sa volonté de n’admettre aucune sépulture dans les églises de la capitale en dehors de quelques exceptions : les princes de la maison souveraine, l’évêque et les communautés régulières. Il s’agissait d’une décision grave, qui « frappait en premier lieu – et directement – non seulement les privilèges du patriciat et de la noblesse, mais aussi une habitude et une mentalité consolidées44 ». Si des critiques à l’encontre du nouveau cimetière s’étaient manifestées dès 1772, la radicalisation extrême de la restriction au droit d’être inhumé dans la ville suscita des controverses plus vives et des résistances, à commencer par celles de la Tavola di Stato elle-même. Les médecins de la Magistrature de Santé, consultés par ordre du duc, se sont montrés réservés sur la possibilité d’enterrer un si grand nombre de corps à San Cataldo sans encourir de sérieux risques sanitaires, mais leurs objections furent en partie ignorées et en partie levées par l’aménagement de nouveaux espaces pour les sépultures.
36C’est dans ce contexte que paraît, quelques semaines avant l’impression de l’édit qui rendait publiques les dispositions du duc – le 2 juillet 1774 –, le Saggio intorno al luogo del seppellire. Anonyme, sans indication d’imprimeur ni imprimatur, l’ouvrage n’en avait pas moins été commandé par le duc ; quant à l’auteur, son identité était notoire malgré tout à Modène45. En 92 pages in-8°, Piattoli se livrait à une défense et illustration du bien-fondé de la politique funéraire de Francesco III, en recourant à des arguments historiques et scientifiques. Historiques, d’abord, en illustrant par des exemples et des citations d’auteurs grecs et latins, les usages des peuples anciens (les Celtes, les Égyptiens, les Hébreux, les Romains, les Grecs, les premiers chrétiens) qui consistaient à éloigner les morts, ce qui est bien, du reste, ce qu’« inspire » la nature46. Des arguments scientifiques ensuite, développant, souvent confusément, des considérations sur la fermentation, la putréfaction, l’altération de l’air et ses effets sur « l’économie animale », le tout tiré d’une littérature médicale abondamment évoquée – Piattoli cite ici, entre autres, Albrecht von Haller, Bernardino Ramazzini, Giovanni Maria Lancisi, Samuel-Auguste Tissot, John Pringle, mais aussi Hughes Maret et Henri Haguenot.
37Les critiques, fortes, à l’encontre du Saggio ne tardèrent à apparaître. Dès juillet 1774, un Supplemento alla critica del cimitero modonese, écrit par un religieux, Nicola Zannini, circule sous forme manuscrite et se veut un contrepoint à l’« operetta stampata […] che si attribuisce al padre Piattoli47 ». Au début de l’année 1775 mais daté de 1774 car more veneto, paraît à Venise l’attaque la plus dense et élaborée, présentée sous la forme de « notes critiques » au texte du Saggio, aussi bien sur sa partie historico-érudite que, dans une moindre mesure, sur son versant médical48. Piattoli voulut y répondre, mais face à la force et au détail des « notes », il lui fallait renforcer son argumentaire, l’affiner et l’étayer davantage. De son côté, le duc, rassuré quant à la cible des critiques – elles épargnaient son cimetière pour ne viser que la pièce rhétorique du jeune lettré – ne se montra guère enthousiaste quant à cautionner une réplique. Piattoli et son protecteur maçonnique à Modène, le comte Filippo Marchisio, procurent alors un soutien prestigieux capable de renforcer par son approbation le crédit passablement ébranlé du livre. En juillet 1775, celui-ci est entre les mains de Giovanni Battista Contri, chargé d’affaires du duc à Paris, à qui Marchisio avait écrit en lui demandant de présenter l’ouvrage, ainsi qu’une lettre l’accompagnant, au « celebratissimo letterato signor d ’Alembert49 ». L’objectif était de faire traduire et imprimer le Saggio en France, sous les auspices de d’Alembert, qu’il fallait convaincre. En septembre, le philosophe était convaincu : Contri informe Marchisio que d’Alembert avait lu « avec grand plaisir » le texte de Piattoli, et qu’il en avait donné à faire la traduction à « M. Vicq d’Azyr savant anatomiste et son confrère à l’Académie des Sciences50 ».
38La traduction ne fut publiée que trois ans plus tard. Dans l’« Avertissement » au lecteur, Vicq d’Azyr rappelle succinctement le circuit par lequel l’original était parvenu jusqu’à lui :
Le Traité italien sur les lieux et les dangers des Sépultures, m’a été remis par M. d’Alembert : c’est à sa sollicitation, & à celle de M. l’abbé Contrit [sic], Ministre de Monseigneur le Duc de Modène, par les ordres duquel il a été imprimé, que je me suis déterminé à en publier la traduction…
39– la publier, en effet, car le traducteur du Saggio de Piattoli fut principalement « M. Quillet, avocat, […] très-versé dans la connoissance de la langue italienne51 ». Ce n’est certainement pas à Monsieur Quillet qu’il faut imputer le temps que prit la transformation de l’opuscule modénais en un livre parisien trois fois plus long. L’épaisseur du volume n’en est pas la cause non plus, mais plutôt les activités et les multiples engagements de Vicq d’Azyr, ainsi que l’intérêt que le « savant anatomiste » a pu trouver seulement après-coup dans l’occasion qui s’offrait à lui par l’entremise de d’Alembert. Autrement dit, la situation en 1777 – l’ouvrage était terminé en octobre de cette année52 – avait considérablement changé par rapport à août-septembre 1775.
40Reçu docteur en médecine le 27 janvier 1774 à la faculté de Paris, Vicq d’Azyr est admis le 13 mars de la même année à l’Académie royale des sciences, où il intègre la classe des anatomistes. En mai, une épizootie se déclare dans le sud-ouest de la France : désigné par l’Académie et nommé commissaire par Turgot pour mener le combat contre la « peste bovine », Vicq d’Azyr parcourt les régions affectées – la Gascogne, la Guyenne et la Picardie pendant l’hiver 1774-1775, la Normandie, la Flandre et l’Artois l’hiver suivant. Il est chargé de conduire des expériences pour identifier les causes et les voies de transmission de la maladie, ainsi que de prendre les mesures requises pour endiguer le fléau. Soutenu par Turgot, en concertation avec les intendants des généralités touchées par l’épizootie, ayant sous son autorité les subdélégués et les syndics, il propose et obtient, le 30 janvier 1775, un arrêt « qui ordonne l’assommement » des bestiaux malades ou ayant été exposés à l’infection, dont l’application sera imposée aux paysans avec l’intervention de l’armée53. On comprend que la traduction du livre italien que d’Alembert lui transmet n’ait pas été à ce moment-là sa priorité. Elle le deviendra, mais en matière de publications, il en était une plus urgente, l’Exposé des moyens curatifs et préservatifs qui peuvent être employés contre les maladies pestilentielles des bêtes à cornes, un volume de plus de 700 pages paru à Paris chez Mérigot l’aîné en 1776.
41Il convient de décrire brièvement cet ouvrage, en raison de son importance vis-à-vis de ce que sera l’Essai sur les lieux et les dangers des sépultures deux ans plus tard. L’Exposé des moyens curatifs et préservatifs réunit un ensemble hétérogène de textes : les observations de Vicq d’Azyr sur les moyens pour reconnaître la maladie, la description de ses expériences et de leurs résultats, un état des lieux de la littérature vétérinaire qu’il a compulsée, et un exposé détaillant les « remèdes employés et conseillés contre l’épizootie actuellement régnante ». À cela s’ajoute le recueil des avis et instructions qu’il a publiés – sur l’isolement des paroisses contaminées, sur la purification des étables, sur les moyens à employer pour préserver les animaux sains de la contagion, sur la désinfection des cuirs des bestiaux morts de l’épizootie – et des principaux arrêts et ordonnances du gouvernement concernant les maladies épizootiques depuis le début du xviiie siècle (1714, 1739, 1745, 1746, 1771), y compris ceux émis à partir de décembre 177454. L’opération éditoriale, comme on le verra un peu plus loin, est analogue à celle qu’il accomplit autour du Saggio de Piattoli, non seulement dans la construction du livre, mais aussi dans l’usage politique qu’il en fait.
La voix de l’État
42En effet, l’Exposé des moyens curatifs et préservatifs n’est pas étranger à la principale conséquence directe de la lutte contre la peste des bêtes à cornes des années 1774-1776 : la création de la Société royale de médecine. Un arrêt du Conseil d’État du 29 avril 1776 donne naissance au « nouvel établissement », placé sous l’autorité du Contrôleur général des finances et chargé de « tenir une correspondance avec les médecins de province, pour tout ce qui peut être relatif aux maladies épidémiques et épizootiques ». L’entreprise consistait à mettre en place un système permanent d’information sanitaire par l’établissement d’un réseau de correspondants couvrant l’ensemble du territoire du royaume. Il s’agissait d’encourager la réalisation de « recherches sur la température & sur les maladies particulieres à chacune de ses provinces », et c’était aux « Médecins qui les habitent » que cette mission devait revenir55. À 28 ans, Vicq d’Azyr avait réussi à obtenir un cadre institutionnel sous le patronage royal, dont il était au cœur. Co-présidée par le premier médecin de la reine, Joseph-Marie François de Lassone, et le premier médecin du roi, Joseph Lieutaud, la Société royale de médecine fut enregistrée au Parlement de Paris le 1er septembre 177856. Vicq d’Azyr en était le secrétaire perpétuel.
43La plus tardive des institutions savantes étatiques à faire son apparition sous l’Ancien régime fut l’expression de l’alliance de la médecine et du pouvoir de l’État, le levier de la mise en œuvre d’une intention politique, appuyée sur « une correspondance suivie entre tous les Médecins des provinces & ceux de la capitale, […] mettant sous les yeux des Ministres le tableau des réglements utiles qui peuvent être faits dans les provinces57 ». Avec une organisation calquée sur celle de l’Académie des sciences et le même lieu pour siège – le Louvre, signature spatiale de l’emprise politique – la compagnie animée par Vicq d’Azyr élargit très rapidement les objets de ses travaux à l’ensemble des questions relatives à la santé publique, et fut le bras spécialisé de l’État monarchique français en la matière : vérification des médicaments, eaux minérales, traitement des maladies épidémiques, météorologie, médecine vétérinaire, évaluation du magnétisme animal, enquête sur les sages-femmes. L’ensemble des questions sanitaires et médicales du royaume furent traitées par la Société, qui s’empara très vite des affaires liées aux inhumations et au méphitisme.
44Ainsi dans le compte-rendu des travaux de la compagnie publié dans le premier des volumes d’Histoire et mémoires qu’elle produisait à l’instar de l’Académie royale des sciences, on peut lire qu’
il y a dans nos villes & au milieu de nos temples des foyers d’où s’élèvent perpétuellement des vapeurs méphitiques très dangereuses. Ce sont les lieux destinés aux sépultures. Depuis long-temps la partie la plus éclairée de la nation fait des vœux pour qu’elles soient transportées hors des églises & de l’enceinte des villes. La Société a reçu plusieurs mémoires qui y sont relatifs, & ses correspondans se sont plaints un grand nombre de fois de cet abus58.
45Un rapport lu dans la séance de la Société du 2 septembre 1777 insiste sur la question, en rendant compte des conclusions d’une commission intégrée par Lassone, Étienne-Louis Geoffroy (1725-1810), Anne-Charles Lorry (1726-1783), Pierre-Louis Maloët (1730-1810), Jean d’Arcet (1725-1801) et Vicq d’Azyr, rédacteur du rapport. Ces deux officiers (Lassone et Vicq d’Azyr) et quatre associés ordinaires de la Société59 avaient été chargés par celle-ci d’examiner
1° les pièces qui lui ont été remises concernant les cimetières de la ville de Troyes ; 2° plusieurs autres lettres & mémoires, envoyés par les correspondans […] sur les dangers des sépultures dans les villes ; 3° un mémoire qui lui a été lu par M. Cadet, le jeune60, dans lequel il rapporte les expériences auxquelles il a soumis la terre du cimetière des saints Innocens & l’air de cette enceinte61.
46L’intérêt de la Société royale de médecine pour les enjeux sanitaires liés aux sépultures est bien évidemment dû aux missions qui sont les siennes et aux convictions doctrinales néo-hippocratiques et aéristes de ses membres ; or tout comme celui pour les épidémies et les épizooties, il fait aussi directement écho aux préoccupations explicites du pouvoir. Le 10 mars 1776, quelques semaines seulement avant l’arrêt du Conseil d’État créant la Société, une déclaration royale concernant les inhumations était donnée à Versailles. Enregistrée au Parlement le 21 mai, elle agréait les « représentations » de l’Assemblée du clergé de France réunie à Paris en juillet 1775, qui faisaient elles-mêmes suite à l’ordonnance publiée le 23 mars de cette année par l’archevêque de Toulouse, Etienne-Charles de Loménie de Brienne (1727-1794). Le règlement en huit articles contenu dans la déclaration du roi interdisait l’inhumation dans les lieux de culte, en y aménageant néanmoins quelques exceptions, et laissait en suspens le cas des cimetières parisiens62. La conjoncture était plus que propice pour mettre la Société, grâce au Saggio de Piattoli et à travers lui, au centre du jeu. Le secrétaire perpétuel en sera le maître d’œuvre. Il ne s’agira plus de se borner à une simple traduction de l’ouvrage italien, mais plutôt de s’en emparer comme matière première pour la production d’un document institutionnel. La Société, lit-on dans le premier volume d’Histoire et mémoires
a voulu qu’un de ses membres réunisse les différens rapports lus dans ses séances à ce sujet [les lieux destinés aux sépultures], avec les réglemens qui ont paru dernièrement en France sur la même matière. M. Vicq d’Azyr a été chargé de cet ouvrage, & le volume qu’il a publié a été répandu dans les différentes parties du royaume. La Compagnie espère que cet effort ne sera point sans succès & que les puissances ecclésiastique & civile se réuniront pour proscrire un abus qui nuit autant à la santé des peuples qu’il répugne à la majesté & à la pureté de nos temples63.
47On peut, sans audace excessive, supposer que Vicq d’Azyr fut à l’initiative de cette publication et, dans ce cas, qu’il n’eut guère de difficulté à la faire adopter au sein d’une compagnie qui, en août 1776 avait par ailleurs élu Hughes Maret et Pierre-Toussaint Navier comme associés régnicoles. Si nulle mention n’est faite au Saggio dans le passage de l’Histoire et mémoires cité, la page de titre de l’Essai indique bien qu’il est « traduit de l’italien », pour préciser ensuite qu’il est « publié avec quelques changemens & précédé d’un Discours préliminaire ». Dans celui-ci « on trouve, 1° l’extrait des ouvrages et les Réglemens qui ont paru en France sur les dangers des inhumations dans les villes & dans les églises ; 2° la manièe de purifier les lieux infectés par les émanations des cadavres en putréfaction ; 3° les procédés que l’on doit employer pour rappeler à la vie les personnes suffoquées par ces vapeurs ; 4° un Rapport lu dans une des séances de la Société royale de médecine, sur la nécessité d’éloigner les sépultures de l’enceinte des villes, & principalement de celle de Paris ». Le nom de Scipione Piattoli n’apparaît pas, mais bien la mention « Par M. Vicq d’Azyr » ; pour savoir qui est l’auteur du traité italien, il faut se reporter à la page vj, où une note, dans la dédicace « À son Altesse Sérénissime Monseigneur le duc de Modène », en informe le lecteur. Le duc, de son côté, s’est empressé d’adresser à Paris « des lettres patentes, signées de sa main, qui établissent une correspondance dont la forme est exactement déterminée entre des médecins de son duché, qu’il a nommés lui-même, & la Société royale de médecine64 ».
48Or dans le livre sorti des presses de Pierre-François Didot en mai 1778, l’empreinte modénaise s’est largement estompée. L’Essai sur les lieux et les dangers des sépultures comporte deux parties, la seconde étant la traduction du Saggio, dont le titre a été quelque peu modifié : il s’agit désormais de l’« Essai sur les dangers des sépultures dans les villes, & c. » Vicq d’Azyr y a introduit des divisions – en parties, en chapitres – dont l’original n’était pas pourvu, il a abrégé celui-ci par endroits – « j’ai retranché certaines longueurs » –, a ajouté une poignée de notes et une courte introduction, et, surtout, a corrigé, remanié ou réécrit des passages peu précis ou peu convaincants sur le plan médical. La traduction est en effet « libre », comme l’écrit Moreau de la Sarthe. Cette seconde partie occupe 136 pages in-12, alors que la première, sous le titre général de « Discours préliminaire » et avec pagination propre, s’étend sur 157.
49Le « Discours » de Vicq d’Azyr proprement dit s’arrête en réalité à la page liij : il est essentiellement consacré à « faire connoître plus particulièrement quelques-unes des sources dans lesquelles l’auteur italien a puisé, & rendre ainsi à la nation françoise un hommage qui lui est légitimement dû, en prouvant […] que c’est à elle que l’on doit les premiers élémens de cette réforme65 ». Autrement dit, Piattoli avait été avare en développements sur les ouvrages de Haguenot, Maret et Navier, puisque c’est d’eux dont il est question. Vicq d’Azyr donne des extraits de leurs livres, ainsi que d’un autre, anonyme, paru en 1768, et du « Recueil de Pièces concernant les Cimetières de la ville de Versailles »66, ce à quoi s’ajoute une liste des « Auteurs qui ont le mieux écrit sur les sépultures ». Le reste de cette première partie de l’Essai se compose d’une suite de textes pour une bonne moitié normatifs. Ainsi sont transcrits, entre autres, l’arrêt du Parlement de 1763 « ordonnant & réglant les sépultures hors de Paris », ceux de septembre 1773 et septembre 1774, l’ordonnance de Loménie de Brienne de 1775, et la déclaration royale de 1776 (voir chapitre 3). On y trouve encore, de la main de Vicq d’Azyr, des « Réflexions » sur ces ordonnances et arrêts, avec des procédés pour purifier les lieux infectés par les vapeurs méphitiques, des « conjectures sur la nature des gaz qui s’exhalent des substances animales en putréfaction », des « moyens pour rappeler à la vie les personnes suffoquées par les vapeurs méphitiques » et un « plan de conduite » pour « le transport des cimetières hors de Paris ». Ce n’est pas tout : le rapport lu dans la séance de la Société du 2 septembre 1777 y est également transcrit, de même que le rapport que Daubenton et Antoine-Laurent de Jussieu (1748-1836) ont établi, au nom de la Société, sur l’ouvrage lui-même.
50D’une certaine façon, l’Essai sur les sépultures est un rapport, comme l’avait été l’Exposé des moyens curatifs et préservatifs à l’issue des épizooties de 1774-1776. Vicq d’Azyr, en tout cas, répétait l’opération, cette fois-ci en y associant l’institution dont il était la cheville ouvrière. Rapport mais aussi rappel, exhortation, argument d’autorité, étalage de preuves, voix savante de l’État inscrite dans un imprimé dont la vocation est double : la représentation et l’action. L’Essai est tout cela, superposé dans un montage construit à partir d’un pré-texte, dans les deux sens du terme : le Piattoli, convenablement digéré pour les besoins de la cause et devenu, désormais, le Vicq d’Azyr, tel que le considère en 1805 Moreau de la Sarthe. Reste à savoir à quel point cet ouvrage fut influent, pour reprendre encore le mot de Moreau, dans « les exhumations qui ont eu lieu dans la suite ». La question est difficilement décidable dans l’absolu, mais il est certain que le rôle que joua l’Essai est loin d’être négligeable. Il faut toutefois redire que ce rôle n’est pas dissociable de la place que ce texte occupe dans le dispositif institutionnel auquel il faut le rattacher. Distribué dans tout le territoire par les soins de la Société royale de médecine, le livre n’en visait pas moins principalement le cas parisien. L’hypothèse est plus que plausible qui verrait dans l’Essai une pièce pesant lourd dans le dossier de la fermeture du cimetière des Saints-Innocents, décidée en 1780. Quoi qu’il en soit, les affaires de méphitisme liées aux inhumations continuèrent d’occuper la Société royale de médecine, et en octobre 1785, elle nomma une commission composée de dix de ses membres67 pour « diriger les opérations nombreuses auxquelles la fouille du terrain [du cimetière des Saint-Innocents], & les exhumations des corps qu’il contenoit, devoient donner lieu68 ».
Les fortunes de l’Essai
51Vicq d’Azyr eut l’occasion de revenir sur ces questions dans les éloges de Navier et de Maret69. Le premier, lu le 6 mars 1781, soulignait la volonté de Navier de contribuer, par son ouvrage « sur les dangers des exhumations précipitées & sur les inconvéniens des inhumations dans les églises », à « remédier » à ces « abus » ; or malgré tous les efforts qui avaient été faits, il n’y avait, écrit Vicq d’Azyr, « qu’un très-petit nombre de villes, hors de l’enceinte desquelles on ait porté les sépultures. Si jamais cette révolution se fait d’une manière aussi complète qu’elle est nécessaire, M. Navier devra être compté au nombre de ceux qui y auront contribué70 ». Quand le moment vient de faire l’éloge de Maret, lu le 28 août 1787, la « révolution » est en marche. L’Essai sur les lieux et les dangers des sépultures, auquel Vicq d’Azyr renvoie à deux reprises, y est pour quelque chose ; l’action de la Société aussi, qui a soutenu et prolongé les travaux de Maret, en particulier sur le cimetière des Saints-Innocents. De fait, la plupart des questions à son sujet
sont éclaircies depuis que les Commissaires de la Société Royale [en] ont fait l’examen […]. Ils n’ont point visité sans profit ce réceptacle de tant de morts. Des montagnes d’ossements s’élevoient dans ses parvis ; une population plus forte que celle de la Capitale entière, s’étoit plusieurs fois engloutie dans son enceinte ; des générations nombreuses ne s’y distinguoient que par les nuances de leur destruction ; de plus nombreuses encore n’y laissoient aucune trace de leur existence passée, & les restes de tant de corps n’avoient soulevé le sol que de quelques pieds. Guidés par les Ministres de la Religion qui présidoient à leurs travaux, les Commissaires de la Société Royale ont parcouru tous les points de cet espace. Une immensité de cercueils & de débris amoncelés, une terre rassasiée de funérailles, & qui mal affermie s’ébranloit au loin sous leurs pas, tous les agens de la corruption réunis les ont forcés de dire qu’il falloit changer au plus tôt la surface de ce sol infect, l’exposer à l’action la plus libre de l’air, & la couvrir de pavés épais. Bientôt on la verra servir à d’autres usages71.
52Alors que les commissaires de la Société parcouraient les Saints-Innocents, l’Essai de 1778 connaissait sa première traduction, qui fut aussi une nouvelle métamorphose. En 1785, le mathématicien et architecte barcelonais Benito Bails (1730-1797), qui avait fait ses études à Perpignan et à Toulouse pour s’installer ensuite à Paris puis à Madrid dès 1761, publie chez l’imprimeur madrilène Joaquín Ibarra un volume intitulé Pruebas de ser contrario a la práctica de todas las naciones, y á la disciplina eclesiástica, y perjudicial para la salud de los vivos enterrar a los difuntos en la iglesias y los poblados. Il contient quatre textes : la « Disertacion sobre el lugar de las sepulturas, escrita […] por Scipion Piattoli », une « dissertation historique » de Ramón Cabrera, prêtre et licencié en droit canon, sur « la varia disciplina que ha observado la Iglesia de España sobre el lugar de las sepulturas », et deux lettres pastorales traduites : celle de Loménie de Brienne de 1775, et celle de l’archevêque de Turin, Francesco Luserna Rorengo di Rorà (1732-1778), publiée en 1777. Vicq d’Azyr n’est pas nommé, mais c’est son texte français et non pas l’original italien qui a fait l’objet de la version castillane, saupoudrée d’éléments faisant référence à l’Espagne.
53Au début du xixe siècle, l’Essai a traversé l’Atlantique. En 1812, paraît à Rio de Janeiro l’Ensaio sobre os perigos das sepulturas dentro das cidades, e nos seus contornos, sorti des presses de l’Impressão Regia et traduit par les soins de José Correia Picanço (1745-1826), baron de Goiania, médecin formé à la Faculté de Paris et dans l’université de Coimbra. De la cour impériale portugaise à Rio, le livre voyage ensuite vers New York, où il connaît deux éditions anglaises successives, en 1823 et 1824. Dans les deux cas, le texte est encore remanié. La première72 résume en quelques chapitres la partie historique de l’Essai, puis fait de même avec le « Discours préliminaire » de Vicq d’Azyr, reproduit encore l’ordonnance de Loménie de Brienne et les « legal acts scattered throughout the text of both writers », c’est-à-dire Vicq d’Azyr et Piattoli. Les quatre derniers chapitres, en revanche, sont originaux et le traducteur, qui a par ailleurs annoté l’ensemble, en assume la responsabilité73. Il s’agit de Félix Pascalis-Ouvière (1762-1833), médecin provençal établi d’abord à Philadelphie et ensuite à New York, où il devient censeur médical et membre de la New York City and County Medical Society. Quant à l’édition de 182474, sa préface indique qu’elle a été commandée par un comité du Board of Health, car l’ouvrage de Vicq d’Azyr est une « performance highly esteemed in Europe, and is spoken of in the Dictionary “Des Sciences Médicales”, printed in 1818 as “an excellent work” ». On retrouve ici aussi une traduction anglaise de la version française du Saggio de Piattoli, suivie de celle du « Discours préliminaire » stricto sensu et d’abrégés des arrêts, ordonnances et autres déclarations.
54De Modène à New York, en passant par Paris, Madrid et Rio de Janeiro, transformé à chaque fois dans la forme que l’on a donnée à son contenu, en y ajoutant de la matière ou en en retranchant aussi au gré des adaptations locales, en voyant dès lors se multiplier et s’imbriquer les interventions textuelles, partant les auteurs, l’Essai sur les lieux et les dangers des sépultures – gardons le titre en français – a une histoire qui est avant tout celle de ses usages : persuasifs, militants, politiques. Dans cette histoire de circulations et d’appropriations, le rôle déterminant reste celui de Vicq d’Azyr et du contexte dans lequel il a su se servir de l’opuscule de Piattoli pour en amplifier l’écho. Si le « libretto » italien fut une action d’écriture vouée à justifier une action de gouvernement, l’ouvrage français fut au contraire une action de gouvernement par l’écrit.
Notes de bas de page
1 Par Régis Bertrand.
2 Louis Thomassin, Ancienne et nouvelle discipline de l’Église touchant les bénéfices et les bénéficiers, extraite de la Discipline du R. P. Thomassin, prestre de l’Oratoire, par un prestre de la même congrégation [le p. Julien Loriot], Paris, J. Anisson, 1702 (l’ouvrage original, en trois volumes, parut en 1678-1679), p. 739-743. Louis de Héricourt, Les loix ecclésiatiques de France dans leur ordre naturel et une analyse des livres du droit canonique conférés avec les usages de l’église gallicane, Paris, Libraires associés, nouv. éd., 1771, t. II, p. 148. [Abbé Marc du Saulzet], Abrégé du recueil des actes, titres et mémoires concernant les affaires du clergé de France..., Paris-Avignon, Desprez, 2e éd. (1re en 1752), 1771, t. XIV, p. 1582-1583, table, début de l’entrée « Sépultures ».
3 Thomassin, Ancienne et nouvelle discipline de l’Église, op. cit., p. 743 et 739. Philippe Ariès, L’homme et la mort, Paris, Le Seuil, 1977, p. 57 utilise une édition postérieure et fait un contresens en estimant que l’ouvrage reflète « l’opinion d’un prêtre éclairé, au temps des Lumières, étranger aux mentalités médiévales et populaires ». Voir plutôt l’analyse de Jacqueline Thibaut-Payen, « L’exil des cimetières et des morts à la veille de 1789 : l’exemple de la primitive Église », dans Jean-Louis Harouel dir., Histoire du droit social. Mélanges en hommage à Jean Imbert, Paris, PUF, 1989, p. 509-517.
4 Jean de Montpezat de Carbon éd., Rituel de Bourges, fait par feu l’Ill. et Rév. Messire Anne de Lévy de Ventadour, Bourges, Jean Toubeau, 1666, p. 498 sq.
5 Arch Dép. Alpes-Maritimes G 29 f° 15 et 18.
6 Louis Aubert de Villeserin, Instructions et ordonnances pastorales de Mgr l’évesque de Senez pour son diocèse, Senez (sic) 1678, p. 477-478.
7 Thibaut-Payen, « L’exil des cimetières et des morts… », op. cit., p. 510-511. L’auteur met en lien ce mandement, enregistré par le parlement dès le 29 mai 1721, avec la peste de Marseille.
8 Exemples dans Jean-Luc Laffont, « Autour de l’ordonnance épiscopale de Loménie de Brienne du 23 mars 1775. La question des sépultures dans le Midi toulousain sous l’Ancien Régime », dans J.-L. Laffont éd., Visages de la mort dans l’histoire du Midi toulousain, ive-xixe siècle, Aspet, Pyrégraph, p. 53-87.
9 Régis Bertrand, Les Provençaux et leurs morts. Recherches sur les pratiques funéraires, les lieux de sépulture et le culte du souvenir des morts dans le Sud-Est de la France depuis la fin du xviie siècle, thèse de l’université de Paris I, 1994, t. V, p. 1466-1467.
10 Abbé Marc-Antoine Laugier, Observations sur l’architecture, La Haye-Paris, Dessaint, 1765, p. 174. L’auteur consacre un paragraphe à l’inhumation dans les églises et les villes, qu’il juge « contre toutes les règles de la police ».
11 Observations sur les sépultures dans les églises et réflexions sur les Lettres écrites à ce sujet, Caen, Jean-Claude Pyron, 1745, p. 13. Sur l’abbé Porée, voir infra.
12 Olivier Zeller, « La pollution par les cimetières urbains. Pratiques funéraires et discours médical à Lyon en 1777 », Histoire urbaine, n° 5, juin 2002, p. 76-77.
13 Dr Félix Gannal, Les cimetières depuis la fondation de la monarchie française jusqu’à nos jours. Histoire et législation, t. I (seul paru) Les cimetières avant la Révolution, Paris, Muzard, 1884, pièces justificatives, p. 83-85. Gwen et Caroline Hannaway, « La fermeture du cimetière des Innocents », Dix-Huitième siècle, n° 9, 1977, p. 181-192.
14 Par Régis Bertrand.
15 Outre la bibliographie citée infra, Etlin Richard, « L’air dans l’urbanisme des Lumières », Dix-huitième siècle, n° 9, 1977, p. 123-34.
16 Ce dernier est connu pour avoir été le professeur de rhétorique de Voltaire au collège Louis-le-Grand. Notice sur C.-G. Porée dans Hoefer, Nouvelle biographie générale, t. XL, Paris, Firmin-Didot, 1862, p. 820-822.
17 [Abbé Ch.-G. abbé Porée], Lettres sur la sépulture dans les églises. À Monsieur de C..., Caen, Jean-Claude Pyron, 1745, 48 p. (in fine, permis d’imprimer daté du 15 mai 1745). rééd. 1749 (une édition de 1743, dont l’existence est souvent affirmée, est introuvable. Robert Favre, dans La mort au Siècle des lumières, Lyon, PUL, 1978, l’indique p. 252-254, mais accompagne cette date d’un point d’interrogation en bibliographie, p. 594).
18 [Abbé Ch.-G. Porée], Lettres sur la sépulture dans les églises, op. cit., p. 22-23.
19 Ibid., Lettres sur la sépulture dans les églises, op. cit., p. 40, 43, 44-46.
20 Observations sur les sépultures dans les églises et réflexions sur les Lettres écrites à ce sujet, Caen, Jean-Claude Pyron, 1745, 34 p. (in fine, permis d’imprimer du 25 mai 1745), p. 12.
21 Michel Vovelle, La mort et l’Occident de 1300 à nos jours, Paris, Gallimard, 1983, p. 463.
22 John Arbuthnot, Essai des effets de l’air sur le corps humain, traduit de l’anglois avec des notes par M. Boyer de Perandié, docteur en médecine de la faculté de Montpellier, Paris, Jacques Barois, 1742, p. 22-23 et 67. Frederick Sargent II, Hippocratic heritage : a History of Ideas about Weather and Human health, New York and Oxford, Pergamon press, 1982. Roselyne Rey, « Anamorphoses d’Hippocrate au xviiie siècle », dans Danielle Gourevitch éd., Maladie et maladies, histoire et conceptualisation. Mélanges en l’honneur de Mirko Grmek, Genève, Droz, 1992, p. 257-276.
23 René Taton dir., Histoire générale des sciences, t. II, La science moderne (de 1450 à 1800), Paris, PUF, 1958, p. 544-559. Jan Golinski, « Chemistry » dans The Cambridge history of science, t. IV, Roy Porter éd., Eighteenth-Century science, Cambridge university press, 2003, p. 375-396. John G. McEvoy, « La pneumatica », dans Sandro Petruccioli dir., Storia della scienza, vol. VI, L’Età dei lumi, Roma, Istituto della enciclopedia italiana, 2002, p. 113-121. Bernadette Bensaude-Vincent, Lavoisier, Flammarion, 1993, p. 50-66.
24 Alain Corbin, Le miasme et la jonquille. L’odorat et l’imaginaire social, xviiie-xixe siècles, Paris, Aubier-Montaigne, Collection historique, 1982. Favre, La Mort dans la littérature, op. cit., p. 244-259.
25 Selon Elizabeth A. Williams, A Cultural History of Medical Vitalism in Enlightenment Montpellier, Ashgate, 2003, p. 69-70.
26 Henri Haguenot, « Mémoire sur les dangers des inhumations dans les églises par M. Haguenot, professeur en médecine de l’université de Montpellier » dans Mélanges curieux et intéressans de divers objets relatifs à la Physique, à la Médecine et à l’Histoire naturelle recueillis par M..., docteur en médecine, Avignon, J. Roberty, 1769, XI+334 p. Le Mémoire est aux p. 1-50.
27 Claudio Milanesi, Mort apparente, mort imparfaite. Médecine et mentalités au xviiie siècle, Paris, Payot, 1991, p. 227, note 28.
28 Il s’agit de Notre-Dame-des-Tables, église aujourd’hui disparue. Cette précision sera apportée en 1773 dans son Mémoire, cité plus loin, par Hugues Maret, lui-même docteur de la faculté de Montpellier.
29 Haguenot, « Mémoire sur les dangers des inhumations… », p. 13 et 8.
30 Il fut enterré selon ses volontés dans le cimetière de l’hôpital général de Montpellier, quelques mois avant la déclaration de 1776 : Claudio Milanesi, Mort apparente, op. cit., p. 227, note 29.
31 Haguenot, « Mémoire sur les dangers des inhumations… », p. 49.
32 [Antoine] Louis, Lettres sur la certitude des signes de la mort, où l’on rassure les citoyens de la crainte d’ être enterrés vivans, avec des observations et des expériences sur les noyés, Paris, M. Lambert, 1752, p. 176-178 et 187.
33 Mémoire sur les sépultures hors des villes, ou recueil de pièces concernant les cimetières de la ville de Versailles, Versailles, Bloizot-Paris, Valade, 1774, 80 p. Significative y est l’utilisation des ouvrages qui sont ici étudiés : Haguenot est cité d’après Louis, Olivier et surtout Maret le sont directement. Sur l’affaire, voir Chapitre 3.
34 Olivier, Sépultures des anciens, où l’on démontre qu’elles étaient hors des villes, l’on donne les moyens de revenir à l’ancien usage et l’on expose les effets de putréfaction sur l’air et sur nous, Marseille, Jean Mossy, 1771, 139 p.
35 Hughes Maret, Mémoire sur l’usage où l’on est d’enterrer les morts dans les églises et dans l’enceinte des villes, Dijon, Causse, 1773, 6+68 p. La partie juridique de l’article « Cimetière » de l’Encyclopédie (t. III, p. 453) lui a été parfois attribué naguère mais on s’accorde aujourd’hui à la rendre à Antoine-Gaspard Boucher d’Argis.
36 Id., p. 31-34.
37 Id., p. 50-55.
38 Hannaway, « La fermeture du cimetière des Innocents », op. cit., p. 18§-187.
39 P. Navier, Réflexions sur les dangers d’exhumations précipitées et sur les abus des inhumations dans les églises, suivies d’observations sur les plantations d’arbres dans les cimetières, Amsterdam-Paris, Morin, 1775, VIII+79 p.
40 Id, p. 3-4.
41 Par Rafael Mandressi.
42 Jacques-Louis Moreau de la Sarthe, « Discours sur la vie et les ouvrages de Vicq d’Azyr », in Œuvres de Vicq d’Azyr recueillies… par Jacq. L. Moreau (de la Sarthe), t. I, Paris, L. Duprat-Duverger, 1805, p. 61-62.
43 Félix Vicq d’Azyr, Œuvres… recueillies… par Jacq. L. Moreau (de la Sarthe), t. VI, Paris, L. Duprat-Duverger, 1805, p. 258 ; l’Essai occupe les pages 258 à 358.
44 Massimo Bulgarelli, « La riforma delle sepolture nobiliari a Modena », Studi storici, 31/4, 1990, p. 999. Sur l’affaire du cimetière de Modène voir aussi, du même auteur, « L’affare delle sepolture a Modena nella seconda metà del xviii secolo. Questioni mediche, amministrative, tecniche, architettoniche, militari », Storia urbana, 51, 1990, p. 4-41. Sur Scipione Piattoli, on se reportera à l’étude classique d’Alessandro D’Ancona, Scipione Piattoli e la Polonia : con un’appendice di documenti, Florence, G. Barbèra, 1915. Cf. Grazia Tomasi, Per salvare i viventi. Le origini settecentesche del cimitero extraurbano, Bologne, Il Mulino, 2001, 107-130.
45 Massimo Bulgarelli, « La riforma delle sepolture nobiliari a Modena », art. cit., p. 1004.
46 « La Dissertazione che si offre al Pubblico […] tenta di presentare sotto un sol punto di vista le variazioni infinite delle pratiche risguardanti la scelta d’un luogo, ove porre gli estinti. La Natura c’inspirò l’attenzione di allontanarli da noi ; la Religione ne fece una parte di culto, e la Politica un dovere del cittadino” (Scipione Piattoli, Saggio intorno al luogo del seppellire, cit., p. v).
47 Cit. in Massimo Bulgarelli, « La riforma delle sepolture nobiliari a Modena », art. cit., p. 1003. Zannini avait déjà produit, en 1771, une Lettera apologetica al signor ispettore Francesco Zannini contre le projet de nouveau cimetière ; d’où le caractère de Supplément indiqué dans le titre du second texte.
48 Saggio intorno al luogo del seppelire, nuova edizione con note critiche che ne distruggono il fondamento, e l’oggetto, Venise, Francesco Sansoni, 1774 [i. e. 1775]. Les trois auteurs des « notes critiques », qui ne se font connaître dans leur texte que par des pseudonymes, ont vite été identifiés : il s’agissait de l’archiviste ducal Pellegrino Niccolò Loschi, du capucin Antonio Maria da Spilamberto et du fils du papetier Andrea Maria Pullera. Voir Grazia Tomasi, op. cit., p. 144.
49 Lettre du 13 juin 1775, cit. in Grazia Tomasi, op. cit., p. 150.
50 Ibid., p. 154.
51 Essai sur les lieux et les dangers des sépultures, cit., p. clxv-clxvii.
52 L’extrait des registres de l’Académie des sciences où son secrétaire perpétuel Condorcet atteste que la compagnie a jugé l’ouvrage « digne d’impression » est daté du 20 octobre 1777. Les rapporteurs en ont été Louis Daubenton (1716-1799), le chimiste et médecin Pierre-Joseph Macquer (1718-1784), associés libre et ordinaire de la Société royale de médecine respectivement, et le mathématicien Étienne Mignot de Montigny (1714-1782). L’extrait est inséré dans Essai sur les lieux et les dangers des sépultures, cit., p. clxi.
53 Sur la carrière et la pensée médicale de Vicq d’Azyr, voir Rafael Mandressi, « Félix Vicq d’Azyr : l’anatomie, l’État, la médecine. Une carrière scientifique entre ancien régime et Révolution », BIU Santé, collection Medic@ (http://www.bium.univ-paris5.fr/histmed/medica/vicq.htm), octobre 2004. Pour une étude spécifiquement consacrée à la campagne contre les épizooties de 1774-1776, voir Marion Thomas, « Entre médecine et politique : Félix Vicq d’Azyr et la lutte contre la peste bovine sous l’Ancien Régime », Bulletin d’Histoire et d’Epistémologie des Sciences de la Vie, 19/1, 2012, p. 97-126.
54 Quelques-uns de ces textes avaient déjà été publiés l’année précédente dans le Recueil d’observations sur les différentes méthodes proposées pour guérir la Maladie épizootique qui attaque les Bêtes à cornes ; sur les moyens de la reconnoître par-tout où elle pourra se manifester : Et sur la manière de désinfecter les étables, Paris, Imprimerie Royale, 1775.
55 Félix Vicq d’Azyr, Mémoire instructif sur l’établissement fait par le roi d’une commission ou Société et Correspondance de Médecine, s. l., s. d. [1776], p. 4.
56 Histoire de la Société Royale de Médecine. Année M.DCC.LXXVI. Avec les Mémoires de Médecine & de Physique Médicale, pour la même Année, Tirés des Registres de cette Société, Paris, Philippe-Denys Pierres, 1779, p. 17-24.
57 Félix Vicq d’Azyr, Mémoire instructif, cit., p. 6.
58 Histoire de la Société royale de médecine. Année M.DCC.LXXVI, cit., p. 10-11.
59 Il est utile de noter que tous les six étaient docteurs-régents de la Faculté de médecine de Paris ; Lassone, on l’a dit, était par ailleurs le premier médecin de la reine, Maloët l’était de Mesdames de France et Lorry du prince de Condé. D’Arcet était quant à lui lecteur royal de chimie.
60 Antoine-Alexis Cadet de Vaux (1743-1828), chimiste, fondateur en 1777 du Journal de Paris, traducteur en 1770 des Institutiones chemiæ (Strasbourg, Bauer, 1763) de Jacques Reimbold Spielmann (1722-1783), celui-ci étant associé régnicole de la Société royale de médecine. Sur ce rapport de Cadet de Vaux ainsi qu’un deuxième qu’il présenta en 1781 devant l’Académie des sciences, voir chapitre 3.
61 Le rapport de 1777 est inséré dans l’Essai sur les lieux et les dangers des sépultures, cit., p. cxli-clx (p. cxli-cxlii pour le passage cité).
62 Voir infra, chapitre 3 et le texte de la déclaration en annexe.
63 Histoire de la Société royale de médecine. Année M.DCC.LXXVI, cit., p. 11.
64 Histoire de la Société royale de médecine. Années M.DCC.LXXVII et M.DCC.LXXVIII. Avec les Mémoires de Médecine & de Physique Médicale, pour les mêmes Années, Tirés des Registres de cette Société, Paris, Philippe-Denys Pierres, 1780, p. 16. Et le texte, rédigé par Vicq d’Azyr, de souligner : « Parmi les liaisons qu’une correspondance étendue nous a procurées, aucune ne nous a plus flatté que celle dont monseigneur le duc de Modène a bien voulu nous offrir les avantages dans ses états » (Ibid.).
65 Essai sur les lieux et les dangers des sépultures, cit., p. x.
66 Mémoire sur les sépultures hors des villes, ou recueil de pièces concernant les cimetières de la ville de Versailles, Versailles, Blaizot-Paris, Valade, 1774.
67 Vicq d’Azyr, Lassone, Geoffroy, Colombier, Michel-Augustin Thouret (1748-1810), Antoine de Fourcroy (1755-1809), François Poulletier de la Salle (1719-1787), Antoine Poissonnier Desperrières (1722-1793), Jacques Dehorne (1720-1790 ?) et le duc Louis-Alexandre de La Rochefoucault (1743-1792), alors président de la Société.
68 « Rapport sur les Exhumations du Cimetière et de l’Église des Saints Innocents », in : Histoire de la Société royale de médecine. Années M.DCC. LXXXVI. Avec les Mémoires de Médecine & de Physique médicale, pour les mêmes Années, Tirés des Registres de cette Société, Paris, Théophile Barrois le jeune, 1790, p. 238-239. Entre-temps, la Société avait aussi produit, entre autres, un long Rapport sur plusieurs questions, proposées à la Société Royale de Médecine, … relativement aux inconvéniens que l’ouverture des Caveaux destinés aux Sépultures d’une des Églises Paroissiales de l’Isle de Malte pourrait occasionner, & aux moyens de les prévenir, … Lu dans la séance de la Société Royale de Médecine tenue au Louvre le 5 décembre 1780, Malte, aux dépens de la Religion, 1781. Le rapport, signé par Vicq d’Azyr, Geoffroy, Macquer, Desperrièes, Dehorne, Lorry et Michel, fut traduit en italien par le médecin napolitain Giovanni Vivenzio († 1819), premier médecin du roi des Deux-Siciles Ferdinand de Bourbon et associé étranger de la Société : Risposta a molte quistioni proposte alla Societa regale di medicina di Parigi in nome del gran maestro della Religione di Malta dall’ambasciadore della medesima. Tradotta dal franzese, e pubblicata da Giovanni Vivenzio cavaliere del sagro militar regal Ordine Costantiniano di S. Giorgio, Naples, Vincenzo Mazzola-Vocola, 1781.
69 En sa qualité de secrétaire perpétuel de la Société royale de médecine, Vicq d’Azyr était chargé, lors des séances publiques qui se tenaient au Louvre deux fois par an, de prononcer les éloges des membres disparus. Ces éloges étaient ensuite imprimés dans les volumes annuels d’Histoire et mémoires de la Société. Au total, Vicq d’Azyr produisit quarante-trois éloges de savants décédés, appartenant à toutes les catégories de membres de la Société. Rappelons que Pierre-Toussaint Navier est mort le 16 juillet 1779, et Hughes Maret le 11 juin 1786.
70 « Éloge de M. Navier », Histoire de la Société royale de médecine. Année M.DCC. LXXIX. Avec les Mémoires de Médecine & de Physique Médicale, pour la même Année, Tirés des Registres de cette Société, Paris, de l’Imprimerie de Monsieur, 1782, p. 71-72.
71 « Éloge de M. Maret. Précédé d’une Notice sur la Vie de MM. Blein, de Joubert et Mollin, Associés Correspondans de la Société Royale de Médecine », Histoire de la Société royale de médecine. Années M.DCC. LXXXIV & LXXXV. Avec les Mémoires de Médecine & de Physique médicale, pour les mêmes Années, Tirés des Registres de la Société, Paris, Chez Théophile Barrois le jeune, 1788, p. 146-147.
72 An exposition of the dangers of interment in cities ; illustrated by an account of the funeral rites and customs of the Hebrews, Greeks, Romans, and primitive Christians ; by ancient and modern ecclesiastical canons, civil statutes, and municipal regulations ; and by chemical and physical principles. Chiefly from the works of Vicq d’Azyr of France and Prof. Scipione Piattoli, of Modena, with additions by Felix Pascalis, New-York, W. B. Gilley, 1823.
73 « Chemical explanations of the causes that infect the atmosphere » (XII), « Topography of the city of New York in relation to public health » (XIII), « Refutation of the objections against the prohibition of internment » (XIV) et « Plan and description of a general cemetery or Polyandrium » (XV).
74 An essay on the danger of interments in cities, translated from a work entitled « Essais [sic] sur les lieux et des sepultures [sic] » & c. & c. by Vicq Dazyr, New York, Grattan, 1824.
Auteurs
Aix-Marseille Université, UMR Telemme 7303 (AMU-CNRS)
CNRS, Centre Alexandre Koyré
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