Chapitre 1. Le cimetière ancien : les morts parmi les vivants
p. 13-38
Texte intégral
1L’immédiate proximité des morts et des vivants semble exister dans la plupart des régions de l’Europe occidentale dans le second tiers du xviiie siècle, sous deux formes : les cimetières sont souvent proches des lieux de culte et des habitations, fréquemment établis à l’intérieur des enceintes urbaines. Une partie des cadavres est inhumée à l’intérieur des lieux de culte1.
2Un clivage était cependant constitué par la confession prédominante. Les régions protestantes sembleraient avoir connu une moindre invasion des lieux de culte. Dans les régions de l’Europe acquises aux réformes du xvie siècle, l’inhumation dans les lieux de culte selon des formes variées marque un statut social et les cimetières continuent souvent d’accueillir des tombes individuelles et des tombeaux. En conséquence, on se soucie davantage de les proportionner à la statistique mortuaire du lieu. Ainsi s’explique sans doute que les lois qui chasseront les morts de l’entourage des vivants paraissent tardives dans ces régions. A contrario, le modèle napolitain, caractérisé par l’inhumation de la quasi totalité de la population catholique dans les sous-sols de nombreux lieux de culte, pourrait porter à son état extrême un modèle urbain italien. Le modèle français est fondé sur une large diffusion des tombes d’église dans les villes, d’étroits cimetières constitués de fosses communes et peut-être une relative parcimonie du nombre des tombeaux (épitaphes et monuments) – encore que la vente des biens nationaux, la déchristianisation et aussi le réaménagement concordataire des églises aient fait disparaitre l’essentiel de ce patrimoine d’Ancien régime.
L’inhumation en terre bénite
3L’ancien droit français de la sépulture forme un cadre très général. Il est sous l’Ancien Régime fondé sur le droit canon comme dans les autres régions catholiques d’Europe et ses principes essentiels ont été posés au Moyen Âge2. Le seul texte juridique émanant de l’autorité séculière antérieurement à la législation de Louis XVI est l’article 22 de l’édit de 1695 qui prescrit : « Seront tenus pareillement les habitants desdites paroisses d’entretenir et de réparer la nef des églises et la clôture des cimetières et de fournir aux curés un logement convenable ». Ces frais d’entretien incombaient, selon les régions, soit aux fabriques paroissiales là où elles existaient, soit à la communauté des habitants. Une délibération de cette dernière à partir des devis préalablement établis était de toute façon nécessaire avant d’engager les travaux et a fortiori si, sur ordonnance de l’évêque, il convenait de faire l’acquisition et l’aménagement d’un nouveau cimetière3. La police des sépultures est précisée au cours des Temps modernes par des arrêts du conseil, la jurisprudence des tribunaux et l’interprétation que les évêques en donnent pour leurs diocèses. Ces grandes règles sont rassemblées dans les recueils canoniques ou les dictionnaires de droit canon4. Encore convient-il de confronter leurs principes aux sources d’archives et en particulier aux procès-verbaux et ordonnances des visites pastorales, qui permettent de mesurer les écarts entre la doctrine et la pratique.
4Trois principes essentiels s’en dégagent. Le premier définit le statut canonique du cimetière qui est un espace sacré, comme l’église. Le second, la liberté des fidèles de faire élection de sépulture dans l’espace sacré de leur choix. Un troisième principe n’apparaît guère dans les textes normatifs, sinon comme une évidence : la licéité de l’exhumation, du transfert et de la réduction des restes. Il constitue pourtant une originalité majeure du système funéraire chrétien, puisque de nombreuses aires de civilisations interdisent toute exhumation des morts5, et il est un élément essentiel de la gestion des sépultures de l’aire occidentale.
Un espace sacré et ses exclus
5Le catholicisme définit comme sacrés les lieux et objets qui ont reçu ou plutôt qui sont éventuellement susceptibles de recevoir une consécration : les loca sacra sont les églises et les cimetières6. La consécration de l’église entraîne par contiguïté celle du cimetière s’il lui est attenant. Sinon le cimetière reçoit une bénédiction avant sa mise en service. Il est en effet exceptionnel aux Temps modernes qu’un cimetière fasse l’objet d’une cérémonie de consécration.
6« Aucun chrétien mort dans la communion des fidèles ne doit être enseveli ailleurs que dans une église ou un cimetière béni ». Ce précepte du Rituel romain de 1614 semble à ce point évident qu’il est rappelé uniquement pour préciser la conduite à tenir s’il est momentanément impossible de satisfaire cette exigence7. Le rituel prévoit dans ce cas qu’« il faut faire en sorte de transporter au plus tôt le corps dans un lieu sacré et en attendant il doit toujours y avoir une croix sur la tête pour marquer qu’il s’est endormi en Jésus-Christ ».
7Selon sa définition canonique, le cimetière est une terre bénite où reposent les restes des fidèles morts dans la communion de l’Église dans l’attente de la résurrection. Plusieurs ordonnances des évêques des Temps modernes avancent que le cimetière est chargé d’une double sacralité : par la bénédiction qui en a fait un locus sacer et aussi parce qu’il peut contenir les restes de saints inconnus dont l’âme est au ciel.
8A contrario, c’est hors de l’église et de la terre bénite du cimetière que doivent être inhumés ceux auxquels l’Église refuse la sépulture ecclésiastique. Le Rituel romain en fournit une liste théorique qui rassemble des cas très différents par leur nature et leur éventualité. L’essentiel des exclus se partage en trois groupes8. Le premier était constitué par les populations n’appartenant pas au catholicisme ou en ayant été rejetés :
Negatur igitur Ecclesiastica sepultura paganis, iudeis et omnibus infidelibus, haereticis et eorum fautoribus, apostatis a Christiana fide, schismaticis et publicis excommunicatis majori excommunicatione, interdictis nominatim, et iis qui sunt in loco interdicto, eo durante.
La sépulture de l’Église sera refusée aux païens, aux juifs, et à tous les infidèles aux hérétiques et à leurs fauteurs, aux apostats, aux schismatiques, à ceux qui sont notoirement frappés d’excommunication majeure, ou nommément interdits, à ceux qui meurent dans un lieu interdit, tant que l’interdit n’est pas levé.
9Il s’agit avant tout des membres de la « religion prétendue réformée », les protestants, du moins lors des périodes où ils sont officiellement tolérés, entre 1598 et 1685 puis à partir de 1787. S’ils sont en nombre suffisant en un lieu, ils peuvent alors posséder des cimetières particuliers. S’ajoutent les « étrangers non-catholiques », ordinairement protestants, morts au cours d’un séjour en France, pour lesquels la question d’un lieu de sépulture semble avoir été résolue cas par cas, en fonction de la commune du décès – les principaux ports possédaient ainsi au xviiie siècle des « cimetières des négociants protestants étrangers » (voir chapitre 3). Les juifs disposaient de cimetières propres, là où ils étaient tolérés, en Alsace, à Bordeaux, Bayonne ou dans les états pontificaux du bord du Rhône – qui n’étaient pas alors français. Les « esclaves musulmans » des arsenaux des galères de Marseille et Toulon avaient aussi un petit cimetière9.
10Les autres cas de refus de la sépulture ecclésiastique concernaient des individus baptisés dans la religion catholique mais qui se trouvaient notoirement exclus, par leurs actes ou leur conduite, de la communion de l’Église. Le refus devait être opposé d’abord
Seipsos occidentibus ob desperationem, vel iracundiam (non tamen si ex insania id accidat) nisis ante mortem dederint signa poenitentiae.
À ceux qui par désespoir ou par colère (mais non pas par folie), se sont donné la mort, à moins qu’avant de mourir ils aient donné des signes de pénitence.
11Le suicidé relevait également de la justice et son cadavre était mis « à la voierie10 ». Ensuite « Morentibus in duello, etiamsi ante obitum dederint poenitentia signa » (à ceux qui meurent en duel, quand bien même ils auraient donné avant la mort des signes de repentir). L’on peut ajouter « Manifestis et publicis peccatoribus, qui sine penitentia perierunt » (aux pécheurs manifestes et publics, qui sont morts dans l’impénitence). Enfin,
Iis de quibus publice constat, quod semel in anno non susceperint Sacramenta Confessionnis et Communionis in Paschate et absque ullo signo contritionis obierint.
À ceux qui s’avèrent publiquement n’avoir pas satisfait [au précepte] de la confession annuelle et de la communion pascale, et qui n’ont donné aucun signe de contrition avant leur mort.
12Autant de cas particuliers qui devaient être publiquement connus. Durand de Maillane observe à leur sujet : « Dans notre pratique […] tout se réduit à des questions de notoriété11 ». Dans le cas du suicide en particulier, les familles de notables avaient davantage de possibilités que les autres de le dissimuler ou de plaider avec efficacité la folie passagère, voire d’affirmer que son auteur avait donné avant d’expier quelques signes de repentir. G. Minois a montré combien le suicide sans sanctions religieuses et pénales était aux xviie et xviiie siècles « un privilège noble et clérical ».
13Enfin, la sépulture religieuse était interdite « infantibus mortuis absque baptismo » (pour les petits enfants morts sans baptême). Leur cas était particulier puisqu’ils ne sauraient être tenus pour responsables de leur exclusion. Aussi les évêques des xviie et xviiie siècles prescrivaient-ils ordinairement dans leurs ordonnances synodales qu’une annexe du cimetière, soustraite à la bénédiction, leur soit réservée.
14Différente est la question de la sépulture des suppliciés. Bien que leur cas ne figure pas au nombre des exclusions canoniques s’ils avaient fait acte de repentance avant leur supplice, les exécutés continuaient de faire l’objet d’une semi-exclusion puisque leurs restes n’étaient pas ordinairement mêlés à ceux des autres fidèles mais inhumés à part dans un cimetière qui leur était réservé ou éventuellement dans un caveau particulier d’une chapelle des confréries de pénitents qui assuraient à titre charitable leurs obsèques dans le Midi. Certaines formes de condamnation aggravées impliquaient la privation de la terre bénite : ainsi les corps condamnés à être brûlés avec dispersion des cendres, les corps fragmentés pour être exposés en divers lieux publics12.
15Le dépouillement des registres de catholicité confirme que le clergé n’accepte de donner une sépulture religieuse à ceux qui sont morts sans sacrements qu’après avoir effectué une brève enquête afin de vérifier leur appartenance au catholicisme. Les cadavres d’inconnus qui n’ont pu être identifiés, découverts sur les routes ou noyés, sont fouillés afin de découvrir quelque marque de catholicité. À la suite de la déclaration royale du 9 avril 1736, l’autorisation d’inhumer après enquête releva du juge de police du lieu13. Ainsi parmi bien d’autres exemples, ce « pauvre passant pris de froid que des gens charitables apportèrent hors de connaissance » le 4 février 1744 à l’hôpital des pauvres passants et convalescents de Marseille où il mourut le lendemain sans avoir repris connaissance. L’aumônier nota dans son acte mortuaire que l’on avait trouvé « un chapelet dans ses poches » et il fut enseveli dans l’église14.
16Jusqu’aux temps des législations hygiénistes, un lieu de sépulture peut être improvisé dans un jardin, un champ, une friche, voire un interstice du tissu urbain. C’est ainsi qu’est ordinairement résolu le problème de l’inhumation des exclus de la sépulture catholique. Les juifs qui meurent pendant un séjour clandestin à Paris au xviiie siècle sont enterrés onéreusement dans le jardin de l’auberge « du sieur Camot », dans l’actuelle rue de Flandre. À la fin de l’Ancien Régime, les juifs portugais créèrent un petit cimetière dans un jardin voisin, qui subsiste encore15. Il en est de même des protestants opiniâtres après la révocation de l’Édit de Nantes en 1685 et la suppression des cimetières des réformés français. Louis de Héricourt observe : « Depuis la révocation de cet édit, les prétendus réformés n’ont plus de lieux fi xes pour inhumer les corps ; on les enterre ou dans les fossés [des enceintes] ou à la campagne ». Des catholiques avérés peuvent être également inhumés dans des lieux de sépulture improvisés, lorsqu’il s’avère impossible de faire transporter leur corps dans un cimetière. L’exemple le plus net est celui des cimetières créés lors des pestes16. Ce pouvait être aussi le cas de cadavres d’inconnus, découverts dans la campagne ou sur la plage, si leur transport se révélait difficile ou si aucune institution charitable ne l’assumait. Ainsi un cadavre non identifié fut-il découvert en août 1741 dans le terroir de La Cadière d’Azur (Var) dans un tel état de putréfaction qu’il était « hors d’état par conséquent de pouvoir le remuer pour le transporter dans ledit lieu de la Cadière sans qu’il tomba (t) en pièce ». Un prêtre vint bénir « l’endroit où il était et la terre qui l’entourait » et il fut enseveli sur place17.
Pollution et réconciliation du cimetière
17Lieu bénit, le cimetière peut être canoniquement pollué et dès lors l’on doit cesser d’y faire des inhumations jusqu’à ce qu’il soit réconcilié. La pollution d’une église entraîne d’ailleurs celle du cimetière s’il est contigu (la réciproque n’étant point vraie)18. Les cas principaux de pollution étaient selon le droit canon : « l’effusion du sang humain faite par blessure injurieuse » par des personnes capables de raison, en cas d’assassinat ou de duel. Puis une autre effusion que les bons auteurs citent ordinairement en latin : « voluntaria effusio seminis humani, sive contra naturam, sive per viam ordinarium sive copula licita sive illicita19 ». Parmi les liquides du corps, le sang et le sperme, principes vitaux, polluent canoniquement le cimetière et non les excréments, dont l’effusion est apparemment plus fréquente si l’on en juge par les mentions diversement allusives des visites pastorales, mais qui semblent relever, comme les chairs, du domaine de la pourriture des restes. Ainsi Mgr de Mesgrigny estime-t-il en 1712 que le cimetière de Grasse (Alpes-Maritimes) est dans une situation « tout à fait contraire à la vénération que l’on doit avoir pour des lieux saints », car « les lieux communs de la maison de ville se deschargent dedans », ce qu’il ne considère pas comme un cas de pollution canonique. Il s’agit en revanche à ses yeux d’une inconvenance20.
18L’enterrement d’un excommunié et surtout d’un non-catholique était un autre cas de pollution. Héricourt précise qu’avant de réconcilier l’église ou le cimetière ainsi pollués,
il faut en tirer le corps ; en cas qu’on puisse le distinguer des corps de ceux qui sont morts dans la communion de l’Église ; si l’on ne peut le distinguer, il faut le laisser dans l’église ou dans le cimetière, de peur qu’on n’enlève le corps d’un fidèle au lieu de celui d’un excommunié21.
19La réconciliation était faite ordinairement par un vicaire général ou un membre du clergé paroissial sur autorisation de l’évêque en présence des fidèles assemblés. La cérémonie est fixée par le Pontifical romain.
L’élection de sépulture
20Le libre choix par un fidèle du lieu de sa sépulture est un principe souligné par les juristes à cause de ses conséquences sur les droits curiaux. Il implique qu’existe une multiplicité de lieux de culte susceptibles d’accueillir potentiellement cette sépulture, ce qui est le cas des sites urbains jusqu’aux législations hygiénistes. Ces dernières restreindront considérablement ces possibilités. Les plus radicales supprimeront même toute possibilité de choix.
21C’est aux Temps modernes une faculté reconnue à chaque catholique « adulte et capable de discernement » que de pouvoir choisir le lieu de sa sépulture à condition qu’il s’agisse d’un espace béni ou consacré. Le droit funéraire d’Ancien Régime a dû progressivement concilier cette affirmation de l’individualisme avec les schémas communautaires : celui de la communauté paroissiale et surtout de la communauté familiale, éventuellement de la communauté élective ou corporative des tombes confraternelles. Selon Louis de Héricourt,
De droit commun, un défunt doit être inhumé dans l’église ou dans le cimetière de la paroisse sur laquelle il est mort. Cette règle générale n’a point lieu quand le défunt était d’une famille qui a un sépulcre destiné pour les personnes de sa famille dans une autre église ; quand le défunt a demandé d’être enterré ailleurs qu’en sa paroisse, ou quand il a destiné un endroit pour sa sépulture, comme s’il a fait faire une tombe sur laquelle il a fait graver son nom22.
22La doctrine qui affirmait que « le vrai esprit de la Religion est que les fidèles reposent après leur mort dans le même lieu où ils ont reçu les secours spirituels pendant leur vie »23 était donc contrariée par deux principes. Si un défunt intestat possédait un tombeau de famille, il convenait qu’il reposât « in tumulo majorum si locus certus sit » (au tombeau de ses ancêtres, si l’emplacement en est assuré)24 – cette dernière condition n’allait pas sans contestations. Un fidèle pouvait également décider de reposer en un autre lieu que sa paroisse ou bien refuser d’être inhumé dans son tombeau de famille. Cette élection de sépulture était ordinairement exprimée au moyen d’un testament. Héricourt signale aussi l’éventualité d’une élection de sépulture manifestée par l’aménagement d’un tombeau doté d’une épitaphe au nom de son destinataire. Ce cas est illustré par un arrêt notable du parlement d’Aix du 18 mai 1673 qui conclut que lorsque l’auteur d’un testament comportant une élection de sépulture fait ensuite construire un tombeau dans une autre église que celle qu’il avait initialement choisie, ce fait suffit à infirmer le testament sur ce point25.
23Héricourt précise également que
quoiqu’une femme soit sous la puissance de son mari, elle peut choisir le lieu où elle souhaite d’être enterrée et elle n’a pas besoin pour ce choix de l’autorisation de son mari, même dans les coutumes où il ne lui est pas permis de faire son testament sans cette autorisation.
24Il ajoute que « l’usage que l’on observe en France est qu’un père puisse faire inhumer ses enfants mineurs où il lui plait26 ».
25Selon Durand de Maillane,
C’est un devoir de la part des curés et en même temps un droit de faire ensevelir tous leurs paroissiens dans l’église ou le cimetière de la paroisse, quand les paroissiens décédés n’ont pas choisi leur sépulture ailleurs27.
26Un devoir puisque tout catholique devait à condition de n’être pas interdit reposer en terre bénite. Un droit également : le curé recevait, outre une rétribution fixée par ordonnance épiscopale, ce que l’on appelait ordinairement les « oblations » ou en France du Nord les « louables coutumes », soit les offrandes volontaires des fidèles, devenues coutumières. Charles IX avait interdit par l’article 15 de l’ordonnance d’Orléans de 1560 ces oblations « nonobstant les prétendues louables coutumes et commune usance, laissant toutefois à la discrétion et volonté d’un chacun donner ce que bon lui semblera ». L’ordonnance de Blois prise par Henri II en 1579 pendant la tenue des États généraux les avait rétablies par son article 51 par dérogation à l’ordonnance de 1560 et l’édit d’avril 1695 en avait expressément reconnu la fixation aux évêques. Sous ce terme général d’oblations ou plus précis de « cierges, flambeaux et offrandes », il s’agissait, outre une « offrande » en numéraire ou en nature fréquemment remise au célébrant au cours de la cérémonie, des flambeaux de cire que le défunt par testament ou ses héritiers offraient pour ses obsèques et qui devaient, dès lors qu’ils en avaient franchi le seuil, rester dans l’église la cérémonie achevée. La « cire » comprenait en théorie les flambeaux « portés en main », ceux qui étaient placés autour du corps et les cierges de l’autel. En fonction de la coutume du lieu, le curé pouvait la partager avec la fabrique de l’église, qui percevait de son côté les droits « d’ouverture de terre » et de sonneries28.
27Lorsqu’une élection de sépulture ou une inhumation dans un tombeau de famille entraînait l’enterrement du défunt ailleurs que dans l’église ou le cimetière de la paroisse où il avait vécu et était mort, le clergé de cette dernière conservait ses prérogatives : c’est à lui qu’il appartenait de faire la levée du corps, de le bénir, de régler l’heure et la marche du cortège, d’inscrire le décès dans les registres paroissiaux. Le corps devait tout au moins lui être présenté avant d’être transporté au lieu d’inhumation, quitte à imposer au convoi un détour. Le clergé de la paroisse du défunt avait droit à la portion canonique, couramment appelée « quarte funéraire » (parfois orthographiée à dessein « carte »), soit une partie de la « cire » qui lui revenait en dédommagement du préjudice que son paroissien lui faisait subir29. Depuis le Moyen Age, un lacis complexe de transactions et de décisions de justice entre paroisses, communautés religieuses et confréries avait défini dans les villes les proportions et les limites du partage ; les cas douteux ou nouveaux donnaient lieu à procès. Ces derniers reprirent au xviie siècle avec l’installation des ordres nouveaux et des branches réformées des ordres médiévaux. Plusieurs parlements fixèrent alors des règles générales par arrêt de règlement : celui pris par le parlement de Paris le 27 mars 1646, rendu à l’occasion d’un litige entre le curé de Saint-Paul et les minimes de la Place royale, fixa que « les cierges et torches qui auraient servi au convoi (seraient) partagés également et par moitié entre le curé et les monastères ». J. Thibaut-Payen observe que ce partage semble avantageux pour le curé (ailleurs il recevrait le quart au sens strict) mais qu’en revanche l’arrêt ne lui attribue pas une part des legs faits par le défunt aux réguliers.
Licéité des exhumations
28En droit romain, l’inhumation devrait être un acte définitif pour la paix du mort et celle des vivants. L’exhumation est interdite, sauf absolue nécessité car elle fait perdre au lieu de sépulture son statut religieux et le rend à l’état profane : c’est une profanation. La violation de sépulture est à la fois un crime contre la religion, un trouble à l’ordre social car elle nuit aux rapports entre les vivants et les morts, et elle porte atteinte aux droits d’un particulier, l’héritier du tombeau qui en a le jus sepulcri30.
29Cependant, le texte fondateur à bien des égards de la doctrine chrétienne de la sépulture est le De cura pro mortuis gerenda (Sur le soin que l’on doit avoir pour les morts) de saint Augustin, petit traité que l’évêque d’Hippone écrivit en 420-422, avant tout pour résoudre le problème suivant : est-il utile à un mort d’être enseveli auprès du tombeau d’un saint ? La réponse d’Augustin démarque fortement le christianisme des religions gréco-romaines à l’influence encore prégnante : « La sépulture ne procure aucun soulagement aux défunts. » Augustin pose ce principe : « Tout ce qui a rapport au soin des funérailles, à la condition des sépultures et aux pompes des obsèques est plutôt une consolation pour les vivants qu’un soulagement pour les morts. » Il est simplement de la piété des vivants de donner une sépulture décente aux morts et même s’ils le jugent bon, de les mettre auprès des corps des saints. Bien plus, les martyrs peuvent ne pas avoir reçu de sépulture, leurs restes peuvent avoir été détruits ou dispersés, ce ne sera pas un obstacle à leur résurrection et à leur vie céleste. Donc, « les fidèles ne souffrent en rien d’être privés de la sépulture, comme les infidèles n’ont aucune avantage à l’obtenir31 ».
30Par interprétation large des principes définis par Augustin, l’exhumation est admise par l’Église sous l’Ancien Régime à deux conditions : elle doit être faite avec l’autorisation de l’ordinaire du lieu (soit l’évêque ou le supérieur majeur pour les religieux exempts de l’autorité de l’ordinaire)32 et à condition, en théorie du moins, que le cadavre soit identifié de façon certaine (les prières liturgiques qui doivent être récitées lors de la réinhumation sont appliquées à un sujet certain). Mais cette dernière exigence semble n’avoir été observée que pour la réinhumation dans une sépulture privilégiée.
31En droit canon, l’exhumation est par ailleurs prescrite par l’Église en deux occasions très différentes33. En cas, on le sait, d’enterrement d’un excommunié dans une église ou un cimetière34 et aussi en cas de cause en béatification : le canon 2096 prescrit l’examen de la dépouille d’un « serviteur de Dieu » avant la clôture du procès s’il n’y a pas de miracle, avant l’enquête sur ce dernier s’il y a en a, car « l’état de cette dépouille pourrait constituer un fait merveilleux à soumettre aux experts ». C’est le problème des cadavres conservés plus ou moins intacts en conséquence du phénomène d’adipocire – par exemple de celui de sainte Roseline de Villeneuve aux Arcs-en-Provence (Var)35.
32La réalité s’avère assez différente de ces règles. Outre les exhumations involontaires mises en évidence par les archéologues, lorsque le creusement d’une fosse vient à recouper un ensevelissement antérieur, l’exhumation-réduction des restes est devenue la principale modalité d’utilisation des espaces funéraires, ces derniers n’étant pas extensibles dès lors que les cimetières sont dans le tissu urbain et que les sous-sols des églises urbaines se peuplent de caveaux. La « vidange » des fosses des cimetières et des caveaux communs, qui n’appartenaient pas à une famille, était ordonnée par l’autorité gestionnaire de l’église ou du cimetière et effectuée par les fossoyeurs sous sa surveillance. Les restes osseux ainsi évacués étaient transportés en des dépôts d’ossements plus ou moins organisés. Ainsi les ossuaires bretons, qui sont des bâtiments annexes de l’enclos paroissial ou les « charniers » (préaux à étage) des grands cimetières urbains de la France du nord, tels ceux du cimetière disparu des Saint-Innocents à Paris ou de Saint-Maclou à Rouen – ce dernier a été conservé. On pratiquait aussi l’entassement des restes osseux dans des caveaux communs de l’église ou parfois dans ses combles, entre la voûte et la toiture : le fait est attesté à Paris pour Saint-Gervais-et-Protais ou Saint-Germain l’Auxerrois ou pour des églises de Montpellier que le docteur Haguenot visita en 174636. Ou encore leur enfouissement ou leur accumulation autour des murs du cimetière ou dans une portion de son sol, séparée par un mur du reste de l’enclos.
33La définition par le droit canon de l’atteinte à la sépulture et au cadavre est fondée sur l’intentionnalité du geste. Elle n’interdit donc pas l’exhumation, à condition qu’elle ne relève pas d’une intention qui puisse être jugée intrinsèquement mauvaise et qu’elle soit exécutée avec respect.
Canon 2328 : « Qui cadavera vel sepulcra mortuorum ad furtum vel alium malum finem violaverit, interdicto personali puniatur, sit ipso facto infamis, et clericus praeterea deponatur ».
(Celui qui porterait atteinte aux cadavres ou aux sépulcres des morts pour les voler ou dans un autre but mauvais, qu’il soit puni d’interdit personnel, qu’il soit par là même infâme, et s’il est clerc, de surcroît qu’il soit déposé).
34Dans le cas des fosses communes d’Ancien régime où les morts sont entassés dans des tranchées collectives sans repères permettant de les identifier, la notion de tombe est floue et c’est le cimetière qui semble globalement perçu comme leur tombe collective. L’important est que leurs restes soient en un lieu béni dans l’attente de la résurrection des chairs, même si leur persistance n’est pas nécessaire pour Dieu, selon la position augustinienne, adoptée par les églises catholiques et protestantes. Le discours des clercs a su progressivement imposer cette conception eschatologique auprès des fidèles. C’est une des réussites de la pastorale catholique et protestante entre la fin du Moyen Âge et le xviiie siècle. Sous l’Ancien Régime, la vidange des caveaux et les reprises de fosses ne semblent pas poser de problèmes particuliers aux fidèles. Que les cimetières soient parfois encombrés d’ossements gène les évêques au nom de la conception qu’ils se font du respect dû aux morts ou de la « décence » des lieux sacrés, davantage, semble-t-il, que les habitants.
35Les fouilles de caveaux de famille d’époque moderne ont également révélé ce que nous appellerions des « réductions de corps », soit le rassemblement des ossements des morts les plus anciennement déposés en un coin du caveau37. Une variante est la réunion des restes des membres d’une famille en un même lieu, au prix d’exhumations et de transfert.
Désaffectation d’un cimetière
36La désaffectation partielle du cimetière est fréquemment prononcée par les évêques pour des motifs pratiques, par exemple lorsque certaines de ses portions peuvent difficilement être soustraites à un usage profane parce que, situées devant l’église, elles servent « au passage ». Les évêques procèdent alors stricto sensu à une exsécration (réduction d’un lieu ou d’un objet religieux à un statut profane)38. Les villes connaissaient déjà depuis longtemps l’exsécration de portions des cimetières : dès les xve et xvie siècles, des portions de certains cimetières urbains situées devant les portes des églises furent transformées en place. Le phénomène se poursuit en zone rurale aux xviie et xviiie siècles.
37Lorsqu’un évêque désaffecte un cimetière ou une portion de cimetière au xviiie siècle, il pose ordinairement pour condition que le seul monument qu’en général il renferme, la croix, soit enlevé et que les ossements que peut renfermer le sol soient transportés en terre bénite, dans un caveau de l’église ou d’une chapelle proche ou dans la portion subsistante du cimetière ou dans un autre cimetière. Lors de la visite de son diocèse de Fréjus en 1703, Mgr de Fleury prononça le transfert ou réduisit la superficie de onze cimetières. En cas de réduction, il ordonnait « de faire trier les ossemens qui sont dans l’autre partie du cimetière qui doit être abandonnée pour les enterrer dans celle qui doit subsister ». Ayant ordonné le transfert des cimetières du Muy et de Saint-Paul, il prescrivit que dans le premier cas, « le cimetière sera abandonné, les ossemens qui y sont en seront déterrés et transportés dans la chapelle voisine dudit cimetière où ils seront conservés dans un charnier qui y sera destiné » et dans le second, qu’ils seront transportés dans le nouveau cimetière39.
38Quelques ordonnances prévoient également le transfert de la terre du cimetière. Ces prescriptions semblent rares et nullement systématiques au xviiie siècle. Elles ne paraissent pas motivées par un souci de respect envers une terre imprégnée de la substance des morts, sinon la pratique serait générale. Parmi la quarantaine de communautés d’habitants provençales qui décideront de transférer leur cimetière en conséquence de la déclaration royale de 1776 (voir chapitre 3), deux seulement prévoiront un transfert des terres car le terrain choisi pour l’emplacement du nouveau cimetière ne présentait pas une couche de terre d’une épaisseur suffisante40.
39Qu’une parcelle de terre bénite et ayant servi à l’inhumation puisse retourner à l’état profane et à des usages mercantiles constitue une des originalités de l’Occident chrétien. Le caractère de terre bénite du cimetière est canoniquement perdu en cas de pollution ou de profanation. La pratique de l’exhumation et du transfert des restes achève de restituer à l’espace désaffecté un statut purement profane et par là même de le transférer sans difficultés juridiques particulières, du moins au xviiie siècle. Lorsqu’en application de la déclaration royale de 1776, des communautés auront créé un nouvel enclos hors-les-murs, il ne sera pas question de laisser subsister leurs anciens cimetières urbains, une fois le transfert des ossements effectué. Durand de Maillane indique : « Après le transport des ossements, l’ancien cimetière rentre dans le commerce et reprend sans autre formalité sa nature de lieu purement profane41. » La règle vaut également à la fin de l’Ancien Régime en cas de suppression d’une église : Mgr du Lau, archevêque d’Arles, interdit en 1777 l’église de Mouriès en mauvais état et transfère le culte dans une chapelle du village. Il autorise à démolir l’église et à se servir de son sol et de ses matériaux, à condition « d’observer scrupuleusement les solennités requises et accoutumées [et] singulièrement par rapport aux ossements qui pourraient avoir été inhumés tant dans le sanctuaire que dans la nef42 ».
40Ces exhumations furent-elles réellement faites lorsque le terrain était simplement transformé en voie publique voire en jardin ? Les fouilles archéologiques conduites autour de la cathédrale Saint-Sauveur d’Aix ont révélé des désaffectations de portions du cimetière qui ne s’accompagnèrent pas de transferts d’ossements : transformant l’ancien cimetière paroissial en jardin de leur palais épiscopal, les archevêques de la fin du xviie et du début du xviiie semblent s’être bornés à y faire porter une couche de terre arable43. En zone rurale, il n’est point certain que l’on ait volontiers remué les restes des ancêtres et les visites pastorales permettent incidemment d’entrevoir d’anciens cimetières remplis d’ossements. L’inexécution d’un certain nombre d’ordonnances épiscopales relève peut-être moins de la négligence ou de l’impécuniosité de la communauté des habitants que d’une forme de résistance passive.
La multiplicité des lieux de sépulture urbains
41La lutte hygiéniste qui aboutira à chasser les morts de la proximité immédiate des vivants s’appuie sur des exemples qui sont uniquement urbains. On soulignera d’emblée combien la situation qu’ils décrivent en la généralisant était en réalité très minoritaire dans la France de Louis XV et Louis XVI. À la veille de la Révolution, le monde urbain entendu au sens le plus large ne renferme guère que 18 à 20 % de la population44.
42La ville française se caractérise jusqu’à la déclaration royale de 1776 par la multiplicité des lieux de sépulture à l’intérieur de l’espace aggloméré. Dans chaque paroisse, l’église est susceptible de recevoir des inhumations dans son sous-sol et est en général dotée d’un cimetière. Ainsi Tours, divisée en seize paroisses, comptait autant de cimetières, dont les superficies allaient de 57 m2, pour le plus réduit à 1,9 hectare pour le plus vaste. L’un d’eux, celui de Saint-Étienne, était commun à la paroisse et à l’Hôtel-Dieu. Un seul était situé hors de l’enceinte45.
43Outre les églises paroissiales, ce sont avant tout celles des branches masculines des ordres religieux mendiants qui ont reçu un grand nombre d’inhumations46. En revanche, les chapelles de collèges, de séminaires ou d’hôpitaux, en ont en général accueilli un petit nombre. Il en est de même, à quelques exceptions près, des églises des ordres religieux féminins. Quelques ordres ont eu une politique très restrictive à l’égard des sépultures : les chartreux, les capucins, les jésuites. Dans le cas de Marseille, un relevé des tombeaux effectué en 1778 fournit un total d’au moins 2388 tombes et les patronymes de 2237 possesseurs de tombes, la différence correspondant à des caveaux anonymes, des tombes collectives et des caveaux communs (ces derniers peut-être sous-estimés). La cathédrale et les quatre églises paroissiales urbaines totalisent 36 % des tombes, les 18 couvents d’hommes 60 %, les chapelles 4 %. Les six couvents mendiants établis dans la ville avant le xviie siècle ont 41 % du total et 70 % de l’ensemble détenu par les religieux47.
L’inhumation dans les lieux de culte
44Exceptionnel étaient les lieux de culte qui étaient interdits à l’inhumation des fidèles et même des clercs pour éviter que leurs restes soient confondus avec ceux des saints qui y reposaient. C’était le cas de la basilique Saint-Sernin de Toulouse ou de l’église des Saintes-Maries-de-la-Mer en Provence.
45Dans les églises paroissiales et conventuelles des villes importantes, un mouvement assez désordonné avait d’abord conduit à la multiplication de sépultures individuelles puis de caveaux aux derniers siècles du Moyen Âge en fonction des élections de sépulture testamentaires48. Au cours du xviie siècle, un lotissement rationnel du sous-sol de nombre d’églises urbaines a souvent été opéré à l’initiative des marguilliers et fabriciens paroissiaux, qui avaient droit de concession « des caves et épitaphes », ou bien des religieux qui les possédaient. Ont été alors réalisées des rangées de caveaux uniformes et jointifs qui peuvent quadriller entièrement le sol des nefs et du transept. Certaines églises en renferment plusieurs centaines.
46Ces caveaux étaient statutairement de trois types49. Des « caveaux communs » réunissaient les restes de ceux qui avaient élu sépulture dans l’édifice sans y posséder de tombe, ce qui n’excluait pas de relatifs regroupements familiaux : les registres d’inhumation les mieux tenus révèlent que des couples et parfois aussi leurs enfants étaient enterrés dans le même caveau commun. Certains de ces caveaux servaient aussi d’ossuaires pour les restes extraits d’autres caveaux ou du cimetière. Des « caveaux collectifs » pouvaient être réservés aux titulaires de certaines fonctions cléricales ou laïques ou aux membres d’une corporation ou d’une confrérie de piété. Une part variable mais souvent importante, voire majoritaire des caveaux appartenait à des familles. Certaines possédaient une tombe de fondation dans une chapelle funéraire fondée et dotée d’une chapellenie par un de leurs membres. Le fondateur et ses descendants légaux avaient seuls droit de sépulture dans la chapelle puisqu’elle leur appartenait et qu’ils en étaient les juspatrons. Ils pouvaient y faire peindre sur tout son pourtour intérieur une litre, bande noire pouvant être ornée de motifs macabres ou de leurs armoiries. Il pouvait s’agir de la chapelle latérale d’une église paroissiale ou conventuelle urbaine ou villageoise ; son équivalent sera au xixe siècle le cimetière privé.
47Les marguilliers paroissiaux et le clergé régulier des Temps modernes préféraient en général la concession d’une chapelle latérale en échange d’un don avec autorisation d’y établir un tombeau, d’y faire sculpter les armes du bénéficiaire, de l’orner et éventuellement d’y faire poser lors d’un décès une litre d’étoffe ou « ceinture funèbre », amovible et temporaire. La formule était aussi plus avantageuse pour la famille concessionnaire, qui était tenue d’entretenir la chapelle mais n’était pas obligée de la faire desservir et n’avait donc pas à y établir un bénéfice de chapellenie. Néanmoins la plupart des caveaux de famille se trouvaient dans les nefs et transepts ou dans des chapelles latérales appartenant à des confréries et avaient été concédés50.
48Le site privilégié par excellence est le choeur de l’église, en particulier devant le maître-autel, là où le prêtre se tient pendant la célébration de la messe. En théorie ne doivent s’y trouver que les tombes de membres du clergé ; en fait des notables ont obtenu aussi d’y avoir la leur.
Les cimetières paroissiaux urbains
49Sous l’Ancien Régime, le cimetière est essentiellement celui d’une paroisse ou d’un hôpital. Quelques couvents peuvent en avoir, en particulier si les statuts de leur ordre imposent l’inhumation des religieux à même la terre, mais en général le caveau prédomine et est souvent exclusif chez les réguliers, du moins pour les laïcs qu’ils admettent dans leur église ou leur clôture – il y a des caveaux sous les préaux des cloîtres.
50Les cimetières paroissiaux sont d’étude difficile car ils constituent un espace vide, en théorie enclos, du tissu urbain. Ils ne sont guère décrits que par l’évêque en visite pastorale, très sommairement en général, jusqu’à ce que les pouvoirs publics s’inquiètent de leur état dans la seconde moitié du xviiie siècle. Si l’on exclut quelques cas, ils n’ont guère fait l’objet de monographies et sont parfois médiocrement localisés dans les travaux érudits. Ils peuvent se trouver, dans les quartiers les plus anciens, encastrés dans la trame des îlots et environnés de maisons. Des portions ont pu en être retranchées au profit de chapelles latérales de l’église, de sacristies et presbytères, de chapelles de pénitents dans le midi, ou simplement, pour servir de passages et surtout de places, voire être transformées en jardin.
51Certains cimetières sont parfois dits significativement « cimetière des pauvres ». L’inhumation y est socialement dépréciée là où l’inhumation dans les églises est largement pratiquée. Elle ne l’est pas religieusement, et c’est par humilité que des notables demandent à y être inhumés, en particulier dans le cimetière des pauvres par excellence qu’est celui de l’hôpital. Citer le testament d’un notable demandant par humilité à être mis au cimetière ne suffit pas : encore convient-il de vérifier que cette volonté fut bien respectée. Ainsi Henri de Puget, évêque de Digne, fit-il par testament élection de sépulture dans celui de sa cathédrale, sous le seuil de l’édifice pour que sa tombe soit sans cesse foulée aux pieds par les fidèles. L’acte d’inhumation retrouvé dans les registres paroissiaux précise qu’il fut en fait inhumé dans le caveau des évêques de la cathédrale51.
52Le cimetière a souvent une double fonction d’inhumation à même la terre et d’ossuaire. On peut y transférer les restes extraits des caveaux communs et collectifs des églises lorsqu’on opère « la vidange », qu’on les vide pour les réemployer. Ces ossements s’ajoutent à ceux qui sont extraits des fosses creusées dans le cimetière. Dans les grandes villes, les fosses communes reçoivent au hasard des décès des cadavres sur plusieurs rangées superposées – c’est ce que l’on nomme à Lille des « saloirs ». Lorsque la terre est saturée de matières organiques, la solution la plus fréquente consiste en un apport de terre fraîche. Le niveau du sol du cimetière peut dès lors être plus élevé que celui des rues qui l’entourent. Lors de sa suppression en 1785, celui du cimetière parisien des Saints-Innocents était surélevé de deux mètres par rapport aux rues voisines.
53Certains de ces cimetières ont déjà pu faire l’objet de transferts en nombre de villes au cours des générations antérieures. Dès lors, ils ne sont plus au milieu du xviiie siècle à leur emplacement médiéval et ne sont plus contigus à l’église52. À Grenoble, le cimetière de la cathédrale a été dès 1694 transporté sur le glacis de l’enceinte, suivi, au cours du siècle suivant, par ceux des autres paroisses urbaines. De même, à Aix-en-Provence, les cimetières ont-ils été rejetés hors de la ville, dans les fossés du mur d’enceinte où trois cimetières paroissiaux sont contigus53.
Les tombeaux
54Les monuments funéraires et les longues épitaphes ne semblent caractéristiques de la ville d’Ancien Régime que par leur nombre et seulement au niveau de grandes villes. Aucune ville française n’atteignait sans doute à la veille de la Révolution le total des 5915 inscriptions recensées dans les treize volumes de l’Épitaphier du Vieux-Paris, dont une vingtaine à peine subsiste aujourd’hui dans les églises ou les musées54.
55François Lebrun ne peut citer que six tombeaux importants pour l’Anjou des xviie et xviiie siècles : deux à Angers, trois dans des églises de villages dont les destinataires étaient seigneurs et celui du marquis de Vaubrun dans la chapelle du château de Serran55. Une recherche patiente des inscriptions funéraires ou commémoratives (pour legs de fondations de messes) ayant existé ou subsistant, combinant enquêtes d’archives et de terrain, montre qu’elles n’étaient pas réservées aux villes56. Des villages, voire des abbayes sylvestres en ont renfermé jusqu’à la Révolution.
56La très grande majorité des tombes d’église ne s’accompagnaient pas de tombeaux57. Dans certaines églises, pour plus d’une centaine de tombes, l’on ne compte que quatre ou cinq tombeaux, consistant souvent en une plaque épigraphique avec des armoiries. Beaucoup sinon la plupart des caveaux collectifs ou familiaux ne portaient pas d’inscriptions, sauf parfois quelques marques ou armoiries ou un simple numéro d’ordre. Les tombeaux semblent avoir été assez peu nombreux dans les églises françaises, ordinairement individuels et souvent liés à l’exercice d’une charge ecclésiastique, régalienne ou seigneuriale. À presque 2400 caveaux dénombrés dans les églises de Marseille correspondaient une cinquantaine à peine de tombeaux, souvent réduits à des épitaphes avec les armes du défunt. À Paris, où près de 6000 épitaphes ont été dénombrées, Claire Mazel n’a retrouvé que 121 tombeaux monumentaux58.
57Y a-t-il des tombeaux dans les cimetières avant l’interdiction d’inhumer dans les églises ? C’est là une enquête qui reste à poursuivre. Il y en a eu, au Moyen Âge et au xvie. À partir des xvie-xviie siècles les tombeaux sembleraient s’être raréfiés dans les cimetières urbains français. Certains pourraient y subsister à la fin de l’Ancien Régime, en particulier dans les parties septentrionales ou occidentales de la France. C’est le cas par exemple de ceux du cimetière de la chapelle Saint-Hilaire de Marville (Meuse) qui a conservé, outre son ossuaire, de nombreux tombeaux établis entre le xve et le xviie siècle, période faste pour cette agglomération59. C’était aussi le cas à Paris du cimetière des Saints-Innocents, lieu de sépulture atypique car il recevait les corps des paroissiens et ceux d’au moins quinze autres paroisses dépourvues en général de cimetières, dont six avaient moins de huit morts par an. Il servait aussi à enterrer une partie des morts de l’hôtel-Dieu et de deux autres hôpitaux ainsi que les corps non identifiés de la basse geôle de Seine (la morgue). Il était sans équivalent dans Paris par son étendue, son statut, son libre accès et les activités profanes qui continuaient de s’y dérouler. Chaque travée des galeries de son charnier était concédée à une famille – trait qui semble s’être retrouvé dans d’autres cimetières parisiens à charniers. Plus de cinq cent plaques avec inscriptions (épitaphes ou fondations pieuses), pour l’essentiel des xvie et xviie siècles, et quelques tombeaux isolés s’y trouvaient60. Il semble avoir servi de modèle au rédacteur de l’Encyclopédie, l’architecte Jacques-François Blondel, pour sa définition des cimetières : « Terme d’architecture. L’on entend sous ce mot une grande place découverte assez généralement entourée de charniers (voyez charnier) où l’on enterre les morts et où l’on élève quelques sépultures ornées de croix, obélisques et autres monuments funéraires61. » Le fait n’est paradoxal qu’en apparence : le cimetière des Saints-Innocents va devenir un exemple d’insalubrité par sa situation urbaine et les effluves putrides qui en émanent ; mais son organisation et sa formule architecturale correspondent à l’image que les bons esprits du xviiie siècle ont d’un cimetière, comme le suggèrent les projets parisiens du dernier tiers du siècle (voir chapitre 3).
58Cependant, le cimetière de nombre de régions de France semble avoir eu, au moins à la fin du xviie et au xviiie, l’aspect d’un champ et sa caractéristique est l’absence de repères d’inhumation explicites. Peut être citée à l’appui la définition lapidaire de Jean-Baptiste Denisart (1713-1765), procureur au châtelet de Paris : « On nomme cimetières un terrein vague où l’on enterre les corps des fidèles62. » Dans le cas provençal, on ne rencontre aucune mention d’archive, telle qu’autorisation, dénonciation de leur existence de fait par l’évêque en visite pastorale, ou description des cimetières vers 1776, aucune découverte archéologique non plus. Ainsi les cimetières juifs d’Alsace renfermaient des stèles, alors que ceux des juifs du pape, dans le Comtat, n’en avaient aucune, comme les cimetières catholiques63.
Limites de l’inhumation dans les lieux de culte
59Contrairement à une idée reçue, l’inhumation dans les lieux de culte, loin d’être généralisée dans la France d’Ancien Régime, était sans doute minoritaire. Il s’agit en effet, en nombre de régions, d’un fait essentiellement urbain, parfois même limité aux paroisses intra-muros – ainsi à Nantes, Reims aussi bien qu’à Lyon, devient-elle phénomène très minoritaire voire infime dès les paroisses de faubourg64.
60Dans les petites villes et les bourgs d’entre 3000 et 1000 habitants, la situation semble fort contrastée. Il peut arriver exceptionnellement que la totalité de la population soit inhumée dans l’église, faute de cimetière. Dans certains cas, la majorité de la population est ensevelie à l’église – par exemple à Corancy en Nivernais65. En d’autres, une partie seulement y est enterrée et surtout dans des tombes de confréries de métier ou de dévotion. Dans certains bourgs, une faible minorité est enterrée dans l’église : le clergé, le seigneur et sa famille et un groupe étroit de gens du bel air s’y font épisodiquement ensevelir. C’est à ce niveau de la hiérarchie urbaine que se situe souvent la ligne de résistance du clergé paroissial à l’enterrement dans l’église. Des inhumations trop fréquentes bossèlent le sol, détériorent le pavé et provoquent surtout de mauvaises odeurs. De plus, la superficie de l’église est souvent insuffisante pour recevoir tous les morts de la communauté.
61Enfin dans les villages, en particulier en dessous de 500 habitants, seul le caveau du seigneur peut se trouver dans l’église, même si l’on enterre aussi dans cette dernière occasionnellement des prêtres et quelques membres de familles de notables imitant les modes urbaines. Au niveau des petits villages, en particulier montagnards, une résistance bien plus grande se devine, celle du partage de fait du cimetière entre les principales familles, qui permet à chacun de rejoindre ses ancêtres, en étant enterré « parmi les siens ou « à la tombe de ses prédécesseurs », dans ce que nous avons proposé d’appeler des « aires familiales », quasi insoupçonnées en général du visiteur, puisque rien ne les matérialise, à quelques exceptions près peut-être dans la France septentrionale. L’existence de ces « aires » a été démontrée pour l’époque moderne pour les Pyrénées et la Haute-Provence66. Et aussi en d’autres zones rurales, telle la Bourgogne, par les travaux des ethnologues67. Dans un texte daté de 1785, Louis de Fontanes décrivant « Le jour des morts » à la campagne les révèle incidemment en donnant en exemple aux citadins l’« usage pieux » qu’observent maintes familles en faisant halte sur « le gazon » qui recouvre « ses aieulx »68. Ces portions de l’espace du cimetière ont pu persister discrètement en de petits villages jusqu’à nos jours, n’étant indiquée par des croix ou des stèles qu’au cours du xxe siècle.
62Il convient cependant d’observer quelques nuances. À l’intérieur d’une même région d’abord. La carte qu’Alain Croix a pu réaliser pour la Bretagne des xvie et xviie siècles tend à suggérer en matière d’inhumations dans l’église de fortes différences entre l’ouest, où elle est majoritaire dans ses sondages, et l’est de la province où le cimetière l’emporte69. Serge Brunet montre pareillement le contraste entre Val d’Aran et Comminges, où le caveau d’église est le fait du clergé et de quelques familles de notables et Bigorre où l’essentiel de la population est enterré dans l’église, la chaise de chaque famille étant posée sur la tombe des siens70. Autre trait : l’existence de communautés rurales dépourvues de cimetières. Les visites et enquêtes pastorales révèlent que c’était le cas en Provence des très petits villages de Gréolières-Haute, Opio et Saint-Victoret, mais aussi d’un gros bourg tel que Le Muy, où à la suite de l’interdiction du cimetière par l’évêque, l’ensemble des morts a été enterré dans un lieu de culte pendant au moins deux générations, jusqu’à la déclaration royale de 177671.
63Ces cimetières villageois présentaient sans doute à travers la France une forte variété. À la différence des cimetières urbains, ils peuvent ne pas être entouré de maisons, soit que l’habitat soit très desserré, soit que le cimetière se trouve avec l’église hors de l’agglomération ou à sa lisière, par suite du glissement de l’habitat. Les évêques mènent un long combat pour obtenir qu’ils soient convenablement enclos et fermés de portes ; il ne sera entièrement gagné qu’au xixe siècle72.
Déclin de l’inhumation ad sanctos au XVIIIe siècle
64Entre la fin du Moyen âge et celle du xviie siècle, l’entrée parfois massive des morts urbains dans les églises paroissiales et conventuelles avait ouvert aux inhumations une superficie d’ensevelissement qui a pu être au total supérieure à celle de l’ensemble des cimetières d’une ville. La diminution du nombre des ensevelissements au cimetière avait parfois autorisé les réductions de superficie de ce dernier, jusqu’à sa transformation en espace interstitiel, voire sa disparition dans certaines paroisses urbaines. Dans un siège archidiocésain tel qu’Arles, à la population stagnante ou en baisse au xviiie siècle, suréquipé en lieux de culte, une seule des sept paroisses semble encore disposer en 1776 d’un cimetière en activité.
65L’inhumation dans les lieux de culte paraît avoir connu à Paris comme en Provence son apogée au cours du xviie siècle, au temps de la diffusion de la réforme catholique née du concile de Trente : l’évolution des courbes testamentaires traduit à Paris comme à Marseille l’augmentation des espaces d’inhumation, due à la création de nouveaux couvents. Anne Béroujon montre à Lyon « l’intrusion de nouveaux groupes urbains dans l’espace sacré » à travers les épitaphes des catégories marchandes et artisanales, avec des épitaphes en français à la différence de celles de l’élite nobiliaire, en latin et plus longues73. En contraste, le xviiie siècle semblerait connaître un reflux. À Paris, Rouen, à Marseille et aussi en de moindres villes, telle Nevers74, un renversement de tendance de la répartition des ensevelissements est manifeste, marqué dans la plupart des villes importantes par le nombre croissant des inhumations au cimetière paroissial. Le fait ne semble pas spécifique des villes. Les quelques testateurs des paroisses rurales du diocèse de Rouen choisissent pour la moitié d’entre eux une inhumation dans l’église à la fin du xviie siècle. Ils ne sont plus que le tiers dans la première moitié du xviiie et ces élections de sépulture disparaissent presque totalement des testaments des laïcs à partir des années 176075. L’évolution est certes moins nette dans le cas des églises des réguliers, aux nombreuses tombes de famille et qui bénéficient aussi d’une clientèle de « familiers », peut-être davantage attachée à l’élection de sépulture chez eux, convaincus aussi peut-être de la valeur de leur prière d’intercession76.
66On a pu objecter que le fait que les testateurs laissent le choix de leur sépulture « à la discrétion de leurs héritiers » pourrait correspondre à une confiance plus grande à l’égard de ces derniers, reflet des progrès de l’intimité familiale. Mais des recherches menées à travers les registres de catholicité, qui reflètent à la fois les élections de sépultures testamentaires et les choix des héritiers, permettent de douter du bien fondé d’une telle critique. Le cas de Toulon semble significatif. Le cimetière de la cathédrale y a été très précocement transféré hors de l’enceinte dès le milieu du xviie siècle et le cimetière de la seconde paroisse sera également, lors de sa création, établi extra-muros. Ces localisations hors de la cité auraient pu paraître répulsives aux Toulonnais. De sept coupes échelonnées entre 1685 à 1775 se dégage dans le cas de la cathédrale Sainte-Marie une évolution assez remarquable en faveur du cimetière, qui recevait environ le cinquième des inhumations de la paroisse en 1685 et 1700 (22 %) mais plus de la moitié lors du sondage de 1715 (53 %). L’incident majeur de la courbe est en revanche constitué par la très forte remontée des inhumations dans l’église en 1730 (95 %), alors que le cimetière est quasiment déserté (5 % des corps). L’on croit voir dans ce constat moins l’effet d’une montée soudaine de la foi toulonnaise que de l’état du cimetière, qui a été pestiféré en 1720 au point que l’on a cessé d’y ensevelir et que l’on a improvisé dans un terrain contigu un cimetière qui par défaut de clôture était très menacé par les méfaits « (d) es chiens et autres animaux ». L’on peut donc supposer que ne sont enterrés à cette date dans le cimetière paroissial de Sainte-Marie, particulièrement infecté, que ceux qui y ont fait explicitement élection de sépulture. La progression de l’inhumation au cimetière reprend ensuite avec le sondage de l’année 1745 (47 %), s’accentue encore en 1760 (59 %) et achève de devenir majoritaire en 1775. À la veille de la déclaration de mars 1776, plus des quatre-cinquièmes des décédés sont alors portés au cimetière (82 %).
67Le cas de la paroisse Saint-Louis de Toulon, s’avère fort instructif. La création d’une seconde paroisse correspondant au nouveau quartier tracé à la fin du xviie à la suite de l’agrandissement de l’enceinte sera si laborieuse qu’il faut attendre plus de deux générations la construction d’une église définitive : apparemment la très grande difficulté à créer des tombes dans une église provisoire n’a pas suscité une forte pression des paroissiens en faveur du lotissement du sol où l’édifice avait été prévu, ni provoqué non plus une ruée vers les tombes des couvents ou celles de la cathédrale : seuls quelques nobles sont enterrés dans ces derniers mais ils y possédaient peut-être des tombes de famille. Ce n’est que tardivement, lorsque la paroisse est hébergée dans la chapelle des pénitents, que l’inhumation dans le tombeau de la paroisse devient le fait de quelques familles d’officiers de Marine, tout en restant un phénomène étroitement limité, qui ne dépasse pas 2,5 % des décès de 1760. Le cimetière a quasiment triomphé dès les débuts dans cette paroisse ; on ne saurait prétendre qu’il y est réservé aux pauvres : on rencontre dès la fin du règne de Louis XIV les avant-noms de sieur et demoiselle voire messire donnés à des morts adultes. Apparemment les paroissiens de Saint-Louis se sont accommodés pendant deux générations de cette forme égalitaire et communautaire de repos des disparus de la paroisse, à l’exception d’une minorité, essentiellement noble, qui a gagné (ou regagné) les caveaux de la cathédrale et des couvents77.
68Il n’y a pas lieu d’étudier longuement ici les raisons profondes de telles évolutions. La part grandissante des inhumations au cimetière semble traduire une mutation des sensibilités collectives et sans doute un certain affaiblissement de la croyance en l’au-delà fondée sur la résurrection, soit une « déchristianisation » commencée dans le secret des consciences (M. Vovelle) avant même la Révolution. Entre le début et le second tiers du xviiie siècle l’importance respective de la vie terrestre et de la vie éternelle a été redéfinie au profit de la première, de plus en plus valorisée. Ce « contraste (entre) la ferveur du xviie siècle et la tiédeur du xviiie » (D. Roche), perceptible à travers les testaments, est une évolution majeure des cultures et des conduites de l’Occident, même si commence à émerger un catholicisme de conviction qui va devenir de plus en plus d’élection et si persiste une large et parfois forte religiosité78. La précocité française paraît nette, peut-être d’abord à cause de l’impact perturbateur de la querelle janséniste, qui semble démobiliser nombre de clercs et briser l’élan de la réforme tridentine. Bien plus, pour nombre de fidèles, confrontés à la controverse doctrinale, l’« absolu de la croyance se transforme en une simple opinion, discutable, dont rejetable » (Roger Chartier)79. Se serait parallèlement creusée la distance entre les exigences extrêmes des clercs et les besoins spirituels des fidèles, d’autant que l’austère clergé sorti des séminaires tridentins dévalorise tout ce qui ne lui paraît pas religion épurée, tout ce qui est donc suspect à ses yeux de superstition ou de « paganisme ». Le fait que les villes, et en premier lieu Paris, peuplées d’immigrés venus des campagnes, soient à l’avant-garde de ce mouvement de sécularisation des consciences est également sans doute significatif. M. Vovelle a ainsi montré que l’individualisation de la pratique hors des contraintes sociales et des usages locaux est plus forte dans la Basse Provence urbaine, décloisonnée, marquée par la mobilité géographique et sociale. Le négociant marseillais en est le symbole. L’effet déchristianisateur du déracinement, mis en évidence pour le xixe siècle, est sans doute antérieur à la Révolution. D’autres données interférent sans doute, en particulier les préoccupations hygiénistes qui se diffusent dans les catégories aisées à partir des années 1750.
69La principale conséquence de cette évolution semble être la surcharge des cimetières urbains. Une autre a pu être éventuellement parfois l’utilisation intensive des caveaux communs des églises, dès lors fréquemment vidangés. Les descriptions des médecins qui écrivent sur les sépultures dans la seconde moitié du xviiie siècle comme les rapports souvent très précis rédigés après la déclaration de 1776 posent en termes d’insalubrité au temps de la médecine aériste la question de l’inhumation dans les églises urbaines et de la présence des cimetières dans les enceintes. Pour citer deux exemples pris dans deux petites villes aux extrémités du royaume, les habitants d’Auray en Bretagne se plaignaient en 1773 que leur cimetière, trop petit et situé au centre de la ville, était « plein de cadavres » et dégageait, surtout « dans les temps de chaleur, une odeur cadavérique et infectante ». À Vinça, en Conflent, en 1775, l’évêque d’Elne ajoute, lors de sa visite épiscopale, le problème des usages profanes de cet espace enserré dans le tissu urbain :
Le cimetière se trouvant dans un endroit peu convenable, au milieu de la ville, entouré de maisons et de fenêtres où on jette journellement des ordures et des immondices, et pouvant même occasionner des maladies aux habitants, nous ordonnons qu’il sera fait ailleurs et hors la ville un autre cimetière à l’endroit qu’on jugera le plus convenable, ce qui sera fait dans un an pour tout délai, et voulons que ledit délai passé, si ledit cimetière n’est pas fait, celui où l’on enterre actuellement demeure interdit, avec défense d’y enterrer aucun mort80.
Notes de bas de page
1 Sur cette double évolution : Henri Galinié et Élisabeth Zadora-Rio éd., Archéologie du cimetière chrétien, actes du 2e Colloque de l’ARCHEA, Orléans, 29 septembre-1er octobre 1994, Tours FÉRACF/ La Simarre, 1996 (11e Supplément à la Revue archéologique du centre de la France). En particulier Henri Galinié, « Le passage de la nécropole au cimetière : les habitants des villes et leurs morts, du début de la christianisation à l’an mil », p. 17-30 et Christian Sapin, « Dans l’église ou hors de l’église, quel choix pour l’inhumé ? », p. 65-78.
2 Antoine Bernard, La sépulture en droit canonique du décret de Gratien au Concile de Trente, Paris, Domat-Montchrestien, 1933. Elsa Marantonio Sguerzo, Evoluzione storico-giuridica dell’Istituto della sepoltura ecclesiastica, Milano, A. Giuffrè, 1976. Michel Lauwers, Naissance du cimetière. Lieux sacrés et terre des morts dans l’Occident médiéval, Paris, Aubier, 2005. En dernier lieu Brigitte Basdevant-Gaudemet, Histoire du droit canonique et des institutions de l’Église latine : xve-xxe siècle, Paris, Economica, 2014, p. 400-403
3 [Daniel] J[ousse], Traité du gouvernement spirituel et temporel des paroisses, Paris, Debure père, 1769, t. I, p. 13-14. Jacqueline Thibaut-Payen, Les morts, l’Église et l’État. Recherches d’histoire administrative sur la sépulture et les cimetières dans le ressort du parlement de Paris aux xviie et xviiie siècles, Paris, F. Lanore, 1977, p. 87-90 (ouvrage essentiel pour ce chapitre).
4 [Abbé Marc du Saulzet], Abrégé du recueil des actes, titres et mémoires concernant les affaires du clergé de France..., Paris-Avignon, Desprez, 2e éd. (1re en 1752), 1771, 14 vol. en part. t. III, ch. IV ; Louis de Héricourt, Les loix ecclésiatiques de France dans leur ordre naturel et une analyse des livres du droit canonique conférés avec les usages de l’église gallicane, Paris, Libraires associés, nouv. éd., 1771 (en part. D III et G XII chap. XII). [Pierre-Toussaint] Durand de Maillane, Dictionnaire de droit canonique et de pratique bénéficiale, 3e éd., Lyon, J. Duplain, 1771, t. V, p. 280, art. « Sépulture ». Voir aussi [Philippe-Antoine] Merlin [de Douai], Répertoire universel et raisonné de jurisprudence, Paris, Garnery, 1827-1828, 5e éd., art. « Cimetière », t. II, p. 349-353.
5 Louis-Vincent Thomas, Le cadavre, de la biologie à l’anthropologie, Bruxelles, éd. Complexe, 1980.
6 Les res consacrae sont les autels, les calices et patènes, les cloches.
7 Rituel romain de Paul V, chap. De exequiis.
8 Ces divers cas sont longuement examinés avec exemples à l’appui par Thibaut-Payen, Les morts, l’Église et l’État..., op. cit., chap. II « Les réprouvés », p. 94-204.
9 René Moulinas, Les juifs du pape en France, les communautés d’Avignon et du Comtat Venaissin aux xviie et xviiie siècles, Toulouse, Privat, 1981, passim. Régis Bertrand, « Les cimetières des esclaves turcs des arsenaux de Marseille et Toulon au xviiie siècle », dans Mort et mémoire. Provence, xviiie-xxe siècles, Une approche d’historien, Marseille, La Thune, 2011, p. 237-248 et Jocelyne Dakhlia et Bernard Vincent dir., Les musulmans dans l’histoire de l’Europe I, Une intégration invisible, Paris, A. Michel, 2011, p. 288-291.
10 Voir Georges Minois, Histoire du suicide. La société occidentale face à la mort volontaire, Paris, Fayard, 1995, p. 163 et sq., John Mc Manners, Death and the Enlightment. Changing attitudes to death among Christians and Unbelievers in Eighteenth-century France, Oxford, 1981, chap. 12, p. 409-437 et Robert Favre, La Mort dans la littérature et la pensée française au Siècle des lumières, Lyon, 1978, p. 469-496.
11 Durand de Maillane, Dictionnaire, op. cit., t. II p. 728.
12 Régis Bertrand, « Que faire des restes des exécutés ? », dans Régis Bertrand et Anne Carol dir., L’exécution capitale. Une mort donnée en spectacle xvie-xxe siècle, Aix, PUP, coll. « Le temps de l’histoire », 2003, p. 43-57.
13 R. Le Mée, « La réglementation des registres paroissiaux en France », Annales de démographie historique, 1975, p. 458. Edme de La Poix de Fréminville, Dictionnaire ou traité de la police générale des villes, bourgs, paroisses et seigneuries de la campagne, Paris, nouv. éd., 1771, art. « Cadavre », p. 149-155.
14 Acte reproduit dans Danielle Maure, Tout le portrait de son père. Des paroisses à l’état civil. Marseille 1586-1889. Répertoire des séries GG et E, Marseille, Arch. communales, 1991, p. 115. Denis Vincent, Une histoire de l’identité, France, 1715-1815, Seyssel, Champ Vallon, 2008, « Les corps trouvés dans la campagne », p. 342-355.
15 Jacques Hillairet, Les 200 cimetières du vieux-Paris, Paris, Éditions de Minuit, 1958, p. 277-280.
16 Bruno Bizot, Dominique Castex, Patrick Reynaud et al., La saison d’une peste : avril-septembre 1590. Le cimetière des Fédons à Lambesc, Paris, CNRS éd., 2005. Michel Signoli, Etude anthropologique de crises démographiques en contexte épidémique : aspect paléo- et biodémographiques de la peste en Provence, Oxford, Archaeopress, 2006.
17 Arch. Dép. Var, 7 E 29 reg 11 f° 18 r°.
18 Bernard, La sépulture..., op. cit. p. 48-49. Héricourt, Les loix ecclésiastiques, op. cit. p. 118. Mgr Louis-Albert Joly de Choin, Instructions sur le rituel [ouvrage dit couramment Rituel de Toulon], 1re éd. 1748 ; 2e éd., Lyon, frères Périsse, 1780, t. I, p. 68 observe que l’église peut perdre sa consécration (être exsécrée) à cause de sa ruine sans que le cimetière perde sa bénédiction, ce que l’on vérifie dans des visites pastorales qui indiquent dans le cimetière des sanctuaires qui sont « tombés ».
19 Héricourt, Les loix ecclésiastiques, op. cit., p. 117, n’indique pudiquement que « quelque impureté » mais prend soin de préciser les mots copula licita : « Quand même l’action aurait été permise en un autre lieu, comme si le mari avait rendu le devoir conjugal à sa femme ». Il précise aussi que dans ce cas il y a pollution si le fait est « notoire », ce qu’il définit par : connu de plus de « deux ou trois personnes ».
20 Arch. Dép. des Alpes-Maritimes. G 27 f° 4.
21 Héricourt, Les loix ecclésiastiques, op. cit., p. 117-118 et 127.
22 Héricourt, Loix ecclésiastiques..., op. cit., t. II, p. 149 ; même texte dans Joly de Choin, Rituel de Toulon, op. cit., t. I, p. 599.
23 Affirmée dans un factum de la Bibl. de Marseille, factum 316, pièce 1 p. 31.
24 Durand de Maillane, Dictionnaire, op. et loc. cit. François de Cormis, Recueil de consultations sur diverses matières, Paris, 1735, t. I, coll. 161. Bernard, La sépulture..., op. cit., p. 105.
25 Du Saulzet, Abrégé..., op. cit., t. III, coll. 452 citant Hyacinthe de Boniface, Arrêts notables de la Cour de parlement de Provence, Lyon, P. Bailly, 1708, t. III, p. 421-422.
26 Héricourt, Loix ecclesiastiques, op. cit., t. II, p. 149.
27 Durand de Maillane, Dictionnaire, op. cit. t. V, p. 280, art. « Sépulture ».
28 Du Saulzet, Abrégé, op. cit., t. III, p. 382-473. Thibaut-Payen, Les morts, l’Église et l’État. op. cit., p. 62 sq. Sur la signification religieuse de la « cire » : Catherine Vincent, Fiat Lux. Lumière et luminaires dans la vie religieuse du xiiie au xvie siècle, Paris, Cerf, 2004, chap. IX, p. 481 sq.
29 Durand de Maillane, Dictionnaire, op. cit., t. V, p. 58-62 article « Quarte funéraire ». Thibaut-Payen, Les morts, l’Église et l’État. op. cit., p. 72-74.
30 Ernest Bonduel, Droit romain, des res religiosæ et du jus sepulcri, droit français, inhumations et sépultures, Lille, V. Ducoulombier, 1886 p. 85.
31 Yvette Duval, Auprès des saints. Corps et âme. L’inhumation « ad sanctos » dans la chrétienté d’Orient et d’Occident du iiie au viie siècle, Paris, Études augustiniennes, 1988. Michel Lauwers, La mémoire des ancêtres, le souci des morts. Morts, rites et société au Moyen Âge (diocèse de Liège, xie-xiiie siècles), Paris, Beauchesne, 1997, en particulier p. 69-100 et Lauwers, Naissance du cimetière, op. cit.
32 Du Saulzet, Abrégé, op. cit., donne pour références le concile de Reims de 1583 qui défend d’exhumer les corps des fidèles sans la permission expresse de l’évêque (t. III, p. 405) et l’arrêt du conseil privé du 26 janvier 1644 entre l’évêque d’Amiens et son chapitre : à l’évêque seul appartient le droit de donner la permission d’enterrer les corps inhumés dans l’église cathédrale ou dans les églises paroissiales dépendantes du chapitre (t. VI, p. 375-378 et 1123).
33 Raoul Naz, Dictionnaire de droit canonique, Paris, Letouzey et Ané, « Exhumation », t. 5, 1953, coll. 667-668.
34 Du Saulzet, Abrégé, op. cit., cite t. III, p. 409 l’arrêt rendu par le parlement de Paris le 9 août 1611 qui permet l’exhumation du corps d’un catholique qui avait été enterré avec ceux de la R.P.R. pour le mettre en terre sainte dans la sépulture de ses pères à Poitiers ; et t. XII, p. 449-450, celui du 5 mars 1625, confirmant la sentence du juge du Mans : le successeur du fondateur d’une église étant de la R.P.R. ne pouvait être enterré dans le chœur de ladite église.
35 Michel Bouvier, « De l’incorruptibilité des corps saints » dans Jacques Gélis et Odile Redon éd., Les miracles, miroirs du corps, Vincennes, Presses univ. de Vincennes, 1983, p. 191-221. Piero Camporesi, La chair impassible, traduction de Monique Aymard, Paris, Flammarion, 1986 (éd. or. Milan, 1983). Raymond Boyer et Gilles Grévin dir., Une sainte provençale du xive siècle, Roseline de Villeneuve : enquête sur sa « momie », Paris, de Boccard, 2002.
36 Hillairet, Les 200 cimetières du vieux-Paris, op. cit., p. 65 et 71. Henri Haguenot, « Mémoire sur les dangers des inhumations dans les églises […] » dans Mélanges curieux et intéressans de divers objets relatifs à la Physique, à la Médecine et à l’Histoire naturelle recueillis par M..., docteur en médecine, Avignon, J. Roberty, 1769, p. 16-17. Sur ce mémoire, voir le chapitre 2.
37 Ainsi Patrick Hervieu, Gestion funéraire et paléobiologie de sépultures collectives : l’exemple des caveaux au Moyen Âge et à l’époque moderne, thèse dactylographiée (anthropologie biologique), Aix-Marseille Université, 2010.
38 Thibaut-Payen, Les morts, l’Église et l’État..., op. cit. p. 240 note 69, observe que l’on désigne cet acte au xviiie siècle par profanation, conformément au sens étymologique de ce mot.
39 Arch. Dép. du Var, 1 G 71.
40 Régis Bertrand, Les Provençaux et leurs morts. Recherches sur les pratiques funéraires, les lieux de sépultures et le culte du souvenir des morts dans le Sud-Est de la France depuis la fin du xviie siècle, thèse dactylographiée, Université de Paris I, 1994, t. III, p. 717-727. Voir aussi t. II, p. 425-432.
41 Durand de Maillane, Dictionnaire.., op. cit., art. « Cimetière », t. I, p. 282-283. Thibaut-Payen, Les morts, l’Église et l’État... op. cit. p. 273 sq.
42 Arch. Com. d’Arles GG 116.
43 Michel Fixot, Jean Guyon, Jean-Pierre Pelletier, Lucien Rivet, « Des abords du forum au palais épiscopal, étude du centre monumental d’Aix-en-Provence », Bulletin monumental, t. 144/III, 1986, p. 278-279.
44 Sur ce qui suit, Régis Bertrand, « Des morts à l’ombre de l’église paroissiale (xviie-xixe s.) », dans Anne Bonzon, Philippe Guignet, Marc Venard éd., La Paroisse urbaine, Paris, Cerf, 2014, p. 269-284.
45 Baumier Béatrice, Tours entre Lumières et Révolution. Pouvoir municipal et métamorphoses d’une ville (1764-1792), Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2007, p. 408, soit un total de 7,5 ha.
46 Ce que rappellent les petites inscriptions funéraires encore en place dans le carrelage du cloître des Jacobins de Toulouse par exemple.
47 Bertrand, Les Provençaux et leurs morts, op. cit., t. II, p. 387-401.
48 Jacques Chiffoleau, La comptabilité de l’au-delà. Les hommes, la mort et la religion dans la région d’Avignon à la fin du Moyen Âge (vers 1320-vers 1480), Rome, École française de Rome, 1980.
49 Du Saulzet, Abrégé, op. cit., t. V, p. 1644-1660 et l’intéressant commentaire de l’entrée « Sépulture » de la table, t. XIV, p. 1582-1194. Voir aussi Jousse, Traité, op. cit., p. 54- 56 et 69 : « De la concession des […] caves des paroisses », p. 70 : « De la concession des chapelles », p. 73-77 : « Des caves et sépultures ».
50 Régis Bertrand, « Le statut des morts dans les lieux de culte catholiques à l’époque moderne », Rives nord-méditerranéennes, n° 6, 2000, p. 7-19 et Les Provençaux et leurs mort, op. cit., t. II, p. 328-354.
51 Marie-Madeleine Viré, « La sépulture de Mgr Henry du Puget, évêque de Digne de 1708 à 1728 », Chroniques de Haute-Provence, n° 362, 2009. p. 165. Complète et rectifie un article de l’auteur dans la même revue [alors Annales de Haute-Provence], n° 298, 1984, p. 3-13.
52 Philippe Ariès, L’homme devant la mort, Paris, Le Seuil, 1977, p. 314 a observé ce trait au sujet de Paris et a cru pouvoir en inférer « l’affaiblissement du lien église-cimetière » dans les « deux derniers siècles de l’Ancien Régime ».
53 Madeleine Lassère, « L’espace urbain et la mort : la création d’un cimetière communal à Grenoble (xviiie-xixe siècles) », Cahiers d’histoire, t. XXIX, 1994/2, p. 119-132. Bertrand, Les Provençaux et leurs mort, op. cit., t. II, p. 468-472.
54 Auxquels il convient d’ajouter 67 relevés du xixe donnés en annexes de l’index. Raunier Émile puis Prinet Max, Lesort André puis Verlet Hélène éd., Épitaphier du Vieux-Paris. Recueil général des inscriptions funéraires des églises, couvents, collèges, hospices, cimetières et charniers, depuis le Moyen Âge jusqu’à la fin du xviiie siècle, Paris, Impr. nat. puis Bibl. hist. de la ville de Paris, 1890-1918, t. I à IV ; 1974-1989, t. V1 et 2-VI ; t. VII-XII, 1994-1999 ; Index général paru en 2000.
55 François Lebrun, Les hommes et la mort en Anjou aux 17e et 18e siècles. Essai de démographie et de psychologie historiques, Paris-La Haye, Mouton, 1971, p. 473-475.
56 Celle de l’abbé A[lphonse] Angot, Épigraphie de la Mayenne, Laval-Paris, Vve A. Goupil et A. Picard, 1907 et rééd. 1985.
57 La tombe est le lieu où sont ensevelis un ou plusieurs morts, ou éventuellement le lieu destiné et préparé à cet usage, et le tombeau est à la fois le signal d’une tombe et un « monument élevé à la mémoire d’un mort dans le lieu même où se trouve sa tombe et de préférence au-dessus de celle-ci », Jean-Marie Pérouse de Montclos, Principes d’analyse scientifique. Architecture, méthode et vocabulaire, Paris, Imprimerie nationale, 1972, t. I, coll. 212. Cette distinction n’est cependant pas faite systématiquement par le langage courant.
58 Raunier, Prinet, Lesort, Verlet, Épitaphier, op. cit. Claire Mazel, La mort et l’éclat. Monuments funéraires parisiens du Grand siècle, Rennes Presses universitaires de Rennes, 2009.
59 F. Roussel, S. Collin-Roset et M.-F. Jacops, Marville, Meuse, Inventaire général des monuments et des richesses artistiques de la France, Région de Lorraine, Metz, 1988, et Philippe Martin, Figures de la mort en Lorraine, xvie-xixe siècle, Metz, éd. Serpenoise, 2007, passim. Signalons également Sandrine Boutet et Laëtitia Darnal, « Quelques remarques sur les stèles funéraires rochelaises des xviie-xviiie siècles » dans Cécile Treffort, Mémoires d’hommes. Traditions funéraires et monuments commémoratifs en Poitou-Charentes, de la Préhistoire à nos jours, La Rochelle, ARCADD, 1997, p. 120-123.
60 Hélène Verlet, Épitaphier du vieux Paris, t. VI, Les Saints-Innocents, Paris, Ville de Paris, 1989 ; Michel Fleury et Guy-Michel Leproux dir., Les Saints-Innocents, Paris, Délégation à l’action artistique de la ville de Paris, s. d. ; Christine Métayer, Au tombeau des secrets. Les écrivains publics du Paris populaire. Cimetière des Saints-Innocents, xvie-xviiie siècle, Paris, Albin Michel, 2000.
61 Diderot et d’Alembert dir., Encyclopédie ou dictionnaire raisonné des sciences, des arts et des métiers, Paris, Briassau et al., 1753, t. III, p. 455 (suit la jurisprudence par Antoine-Gaspard Boucher d’Argis). L’article « Charnier », également de Blondel, p. 213 (« portiques couverts et percés à jour ») donne pour exemple ceux des Saints-Innocents.
62 J.-B. Denisart, Collection de décisions nouvelles et de notions relatives à la jurisprudence actuelle, Paris, Desaint, 1766-1771, 5e éd., t. 1, p. 87.
63 Robert Weyl, « Les vieux cimetières » dans Freddy Raphaël et Robert Weyl, Juifs en Alsace. Culture, société, histoire, Toulouse, 1977, p. 157-179.
64 Alain Croix, La Bretagne aux 16e et 17e siècles. La vie, la mort, la foi, Paris, Maloine, 1981, t. II, p. 1008-1010. Robert, Benoit Vivre et mourir à Reims au grand siècle (1580-1720), Artois Presses Université, 1999, p. 40-41 (45 inhumations entre 1648 et 1708 dans l’église Saint-André-hors-les-murs) et Olivier Zeller, « La pollution par les cimetières urbains. Pratiques funéraires et discours médical à Lyon en 1777 », Histoire urbaine, n° 5, juin 2002, p. 67-83.
65 André Paris, « L’inhumation à l’intérieur de l’église paroissiale : sondages à partir des registres paroissiaux de Corancy [Nièvre] entre 1665 et 1750 », 109e congrès national des sociétés savantes, Dijon, 1984, Histoire moderne et contemporaine, t. II, Paris, Impr. nat. [Cths] p. 47-66. Autres statistiques dans Thibaut-Payen, Les morts, l’Église et l’État, op. cit. p. 35 note 109
66 Bertrand, Les Provençaux et leurs morts, op. cit., t. II, p. 526-530. Raymond Sala, Le visage de la mort dans les Pyrénées catalanes. Sensibilité et mentalités religieuses en Haut-Vallespir, xviie, xviiie, xixe siècles, Paris-Perpignan, Economica, 1991. Voir aussi pour la période antérieure Nicole Lemaitre, Le Rouergue flamboyant. Clergé et paroisses du diocèse de Rodez (1417-1563), Paris, Cerf, 1988, p. 192-198.
67 Françoise Zonabend, « Les morts et les vivants. Le cimetière de Minot en Châtillonnais », Études rurales, n° 52, 1973, p. 7-23, repris dans Tina Jolas et al., Une campagne voisine, Paris, Min. de la culture/ éd. de la Maison des Sciences de l’Homme, 1990, p. 425-443. L’auteur avance l’expression de « portion familiale », qui risque de faire croire à un partage distributif du sol du cimetière suivant une règle ou une autorité, alors que l’on ne peut que constater une répartition familiale de fait.
68 Cité par Favre, La mort […] au siècle des Lumières, op. cit., p. 515.
69 Croix, La Bretagne aux 16e et 17e siècles. op. cit., t. II, p. 1009. Carte reprise partiellement par Bruno Restif, La Révolution des paroisses : culture paroissiale et Réforme catholique en Haute-Bretagne aux xvie et xviie siècles, Rennes, PUR, 2006, p. 309-314, qui a tenté de la mettre en rapport avec la reconstruction ou la rénovation des églises.
70 Serge Brunet, Les prêtres des montagnes. La vie, la mort, la foi dans les Pyrénées centrales sous l’Ancien Régime, Aspet, Pyrégraph, 2001, p. 645-659.
71 Bertrand, Les Provençaux et leurs morts, op. cit., t. II, p. 447-450.
72 Étude de synthèse : Régis Bertrand, « Les cimetières villageois français du xvie au xixe siècles » dans Cécile Treffort éd., Le cimetière au village dans l’Europe médiévale et moderne, Actes de la 35e journée internationale d’histoire de l’abbaye de Flaran, 11-12 octobre 2013, Toulouse, PUM, 2015, p. 45-65.
73 Pour Paris : outre Pierre Chaunu, La mort à Paris, 16e, 17e,18e siècles, Paris, Fayard, 1978, Vanessa Harding, The Dead and the Living in Paris and London, 1500-1670, Cambridge, Cambridge University Press, 2002. Anne Béroujon, Les écrits à Lyon au xviie siècle. Espaces, échanges, identités, Grenoble, Presses universitaires de Grenoble (La pierre et l’écrit), 2009, p. 102-113.
74 Chaunu, La mort à Paris, op. cit., p. 435-442 ; Michel Vovelle, Piété baroque et déchristianisation, les attitudes devant la mort en Provence au xviiie siècle, Paris, Plon, 1973, p. 333-339 ; Philippe Goujard, « Échec d’une sensibilité baroque : les testaments rouennais au xviiie siècle », Annales, E.S.C., 36e an./1, 1981, p. 26-43. Gilles Camin, « La mort à Nevers au xviiie siècle », Mémoires de la soc. académique du Nivernais, t. 63, 1981, p. 25-42.
75 Philippe Goujard, Un catholicisme bien tempéré. La vie religieuse dans les paroisses rurales de Normandie 1680-1789, Paris, éd. du Cths, 1996, p. 366-384, en particulier p. 371.
76 Voir Dominique Dinet, Religion et société : Les réguliers et la vie régionale dans les diocèses d’Auxerre, Langres et Dijon (fin xvie-fin xviiie siècles), Paris, Publications de la Sorbonne, 1999, t. II, p. 544-552.
77 Bertrand, Les Provençaux et leurs morts, op. cit., t. I, p. 302-313.
78 Vovelle, Piété baroque et déchristianisation, op. cit. et la préface ajoutée à la réédition partielle, Paris, Seuil, coll. Point, 1978 ainsi que Michel Vovelle, La mort et l’Occident de 1300 à nos jours, Paris, Gallimard, coll. Bibliothèque illustrée des histoires, 1983 et rééd. 2000, Ve partie, « La mort en question au siècle des Lumières », p. 376 sq. Daniel Roche, La France des Lumières, Paris, Fayard, 1993, p. 523 sq.
79 Roger Chartier, Les origines culturelles de la Révolution française, Paris, Seuil, coll. L’univers historique, 1991, p. 116 sq. Jacques Le Goff et René Rémond, Histoire de la France religieuse, t. 3, dirigé par Philippe Joutard, Du roi très Chrétien à la laïcité républicaine, Paris, Seuil, 1991.
80 Claude Nières, Les villes de Bretagne au xviiie siècle, Rennes, PUR, 2004. p. 225. Aymat Catafau, Les celleres et la naissance du village en Roussillon (xe-xve siècles), Presses Universitaires de Perpignan-Editorial Trabucaire, 1998, p. 689.
Auteur
Aix-Marseille Université, UMR Telemme 7303 (AMU-CNRS)
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