Témoignage : « On ne voit bien qu’avec le cœur1 »
p. 119-120
Texte intégral
1Je suis heureux de pouvoir ajouter ici le témoignage d’un chef d’orchestre interprète d’Henri Tomasi et l’un de ses amis intimes. C’est pour moi l’occasion d’exprimer un sentiment que je porte en moi depuis des années.
2Le milieu musical français a une lourde dette concernant de nombreux compositeurs, notamment Henri Tomasi. Ils ont été victimes de l’ostracisme des « bien-pensants » de la musique contemporaine, en particulier des tenants du sérialisme post-viennois, ou des avant-gardes de toutes chapelles ! Destruction du langage harmonique et de la mélodie, accusée d’être une forme d’expression décadente. Henri Tomasi a su refuser tout endoctrinement en raison de sa conception de la musique et de l’art, sans ignorer cependant les chemins de l’évolution contemporaine. Il fut toujours un artiste sans concession, tant sur le plan moral que créatif.
3Des œuvres telles que son Requiem, Le Silence de la mer et L’Atlantide, ont confirmé son immense talent, mais je voudrais souligner, parmi ses œuvres-maîtresses, son Miguel Mañara que j’ai eu le bonheur de diriger à l’Opéra de Marseille en 1988, et qui remporta un immense succès. Le langage en est d’une grande beauté dramatique, poétique et empreint d’un mysticisme qui caractérise la période liée à ses séjours à l’Abbaye de la Sainte-Baume.
4Corse et méridional dans l’âme, il fit partie d’un groupe de musiciens « marseillais-parisiens » qui, comme mon père2 – hautboïste à l’Opéra de Paris, Zino Francescatti, Félix Passerone3 et bien d’autres devinrent des complices inséparables. Que ce soit chez Jean Molinetti, son fidèle compagnon de jeunesse à Marseille, ou chez mes parents à Paris, Tomasi savait engendrer la bonne humeur, même sur des sujets quelquefois très politiques ! Tomasi pouvait passer de l’ombre à la lumière, et son ton mordant mais toujours généreux nous réjouissait. Notre Provence était là, présente avec ses musiciens, mais aussi avec Giono, Bosco, Mistral… accompagnée, cela va sans dire, des saveurs qui d’Homère jusqu’à notre temps ont fait partie intégrante de l’âme de notre Midi.
Notes de bas de page
1 Antoine de Saint-Exupéry, Le petit Prince, Paris, Gallimard, 1946, p. 31.
2 Étienne Baudo (1903-2001), hautboïste et professeur au CNSM de Paris.
3 Félix Passerone (1902-1958), professeur de percussion au CNSM de Paris, timbalier solo de l’Orchestre de l’Opéra de Paris et de l’Orchestre de la Société des Concerts du Conservatoire.
Auteur
Chef d’orchestre
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