Le langage de Tomasi
D’un concerto l’autre
p. 85-98
Texte intégral
1C’est au répertoire des concertos que sera consacrée notre étude. Celui-ci, en effet, a le double avantage, d’une part, d’être singulièrement fourni, riche : il constitue un petit répertoire à lui seul (nous comptons 14 concertos, 4 œuvres concertantes rattachées à d’autres genres et transcriptions d’œuvres initialement conçues pour d’autres dispositifs) ; et d’autre part de permettre un « carottage » intéressant, étalé sur plus de quarante ans, entre Obsessions (1927), pour violoncelle et orchestre, et le Concerto pour contrebasse (1970). C’est donc un échantillon apte à mettre en évidence les éventuelles évolutions du style. On supposera finalement que ce style, concertant, reflète plus généralement la manière instrumentale, voire le style en général du musicien, pour peu que le concept de style soit encore valide au xxe siècle, et il le demeure sans doute davantage dans le cas d’un compositeur qu’on pourrait commencer par considérer « néoclassique ». Par ailleurs, on s’intéressera surtout aux concertos d’après-guerre (soit à la majorité d’entre eux). On considérera ainsi que ce « style » y aura trouvé une fixation plus solide – et fidèle à l’identité du musicien ? – que dans les œuvres sinon de jeunesse, du moins de « plus grande jeunesse ».
L’empreinte du Stravinski néoclassique
2Des diverses influences du compositeur, c’est sans doute celle de Stravinski qui est, quand elle apparaît, la plus évidente. C’est le Tomasi ostinato, celui qui répète, couramment, jusqu’aux accords rogues du soliste dans le Concerto de guitare à la mémoire d’un poète disparu, Federico García Lorca (1966). Une œuvre qui est en quelque sorte un concerto grosso, pour trio d’anches et orchestre à corde (avec harpe ou piano), souligne cet aspect peut-être davantage que toute autre. Elle possède également l’avantage de se situer au début de notre période d’étude (1945-1970). Il s’agit du Divertimento Corsica (1951).
3On y découvre un ostinato par couches. Chaque strate apparaît puis demeure à l’arrivée de la suivante. Une première couche, occupant le registre grave, est campée par la harpe, les alti et les cordes graves. Elle procède par unissons ou octaves décalés (donc par hétérophonie), dans une tonalité qui pourrait être do dièse mineur (les seules notes présentes, do dièse, mi, do dièse, ré dièse et fa dièse ne peuvent nous renseigner complètement à ce sujet). Cette couche d’une mesure, comme le feront les suivantes, se répète dès son apparition ostinato.
4Une seconde strate apparaît à la troisième mesure (donc à la troisième répétition de la première « couche »). Elle occupe les violons I et II, à l’unisson, déployant un motif bientôt lui aussi répété ostinato. Ce dernier se déploie, lui, en sol majeur. Il y a donc à la fois polytonalité et ostinato, soit les deux piliers du langage de Stravinski tel que déployé dans « l’accord du Sacre1 ».
5Or, le Stravinski ici convoqué serait plus particulièrement le néoclassique : celui qui se permet, à partir de 1920, des déploiements mélodiques plus amples pour rappeler plus fidèlement le référent classique ou baroque. Ainsi, la seconde strate, « facile », conjointe, se déploie sur un ambitus de septième mineure. Cet ambitus, sans être ample, apparaît moins serré que dans la plupart des ostinati du Sacre du printemps (1913) ou des pièces de guerre (dont Histoire du Soldat ou Noces). Et la mélodie en est tonale et diligente : elle pourrait appartenir au style classique.
6Plus tard dans ce même mouvement, le Stravinski néoclassique est plus précisément rejoint encore. Ceci concerne sept mesures rapides2. Le trio d’anches y exécute de rapides accords parfaits3 parallèles, globalement descendant puis remontant, qui sonnent notamment comme des doubles tierces parallèles en cascades (tierces entre basson et clarinette en si bémol d’une part, et entre cette dernière et le hautbois d’autre part). On entend donc du Mozart (les tierces parallèles typiques du style classique, surtout dans ce vif allegro, dynamisme habituel à la fin du siècle des Lumières) cependant « modernisé » par les parallélismes de quinte (entre voix extrêmes, c’est là un parallélisme au moins debussyste, celui du début du Martyre de saint Sébastien, 1910-1911, ou ravélien, celui de l’amorce, aux deux hautbois en quintes, de L’Enfant et les Sortilèges, 1919-1925). Le style est donc néoclassique, c’est-à-dire à la fois classique (les tierces parallèles) et moderne (les quintes parallèles).
7Les cascades descendantes, par ailleurs, sont parfois tronquées avant de recommencer leurs descentes de façon plus complète. Ainsi, le mouvement de descente4 est interrompu, recommence à la mesure suivante et se déploie cette fois complètement jusqu’à sa remontée. Ceci rappelle certaines répétitions de Petrouchka (1911), du Sacre et des pièces ultérieures du Russe, également couramment « tronquables5 ». Le néoclassicisme est donc ici précisément stravinskien.
Impressionnisme : Debussy ou Bartók ?
8L’impressionnisme, celui de Debussy, se retrouve tôt dans le langage de Tomasi. C’est une affaire nationale, du moins a priori. Pour rester dans le répertoire des concertos, et cette fois sans entrer dans le détail d’un exemple, Cyrnos (1929), pour piano et orchestre, déploie des arabesques et déplacement d’octave debussystes (ceux par exemple de Ce qu’a vu le vent d’ouest, l’un des Préludes, 1909-1913), eux-mêmes en partie issus du romantisme. Or, plus tard, on retrouve régulièrement des traces impressionnistes dans le corpus, comme une pâte française dont il semble difficile, jamais, de s’affranchir définitivement. Cette pâte est justement une texture, une affaire qui se résume de plus en plus (c’est là le « néo-impressionnisme », on y reviendra) à des critères d’orchestration ou même d’instrumentation : La Flûte et le Chevrier (1941) reconduit l’effectif singulier, discret de façon homogène et caractéristique de la Sonate pour alto, flûte et harpe de Debussy (1915), auquel est ajoutée la voix d’alto. Mais l’œuvre la plus « française », du point de vue des textures, sera peut-être le Concerto pour violon, « Périple d’Ulysse » (1962).
9Remarquons les modes de jeu employés : harmoniques du violon solo (seconde partie de la mesure avant chiffre 4), puis des harpes, emploi du célesta. Ces procédés sont issus des orchestrations volontiers diaphanes de Debussy et de Ravel (surtout avant les années 1910 pour ce dernier). Le musicien ajoute un voilage également impressionniste, si l’on veut, c’est-à-dire sibyllin, aigu, subtil, cristallin, mais de sa propre facture : ce « rideau », ce « voile » que constitue le roulement de cymbale pianissimo. On retrouve ce procédé, l’une des petites signatures originales du compositeur (à notre sens), dans d’autres concertos dont celui pour harpe, Highland’s ballad (1966). Il engendre un souffle naturaliste qui remplace, si l’on veut, l’éoliphone de Ravel particulièrement présent dans Daphnis et Chloé (1912), ou plus tard encore, ce dernier aux côtés du géophone, dans le Messiaen des années 1970 (inauguré dans Des Canyons aux Étoiles, 1971-1974).
10Cette texture générale dure par l’ostinato, à la mesure, qui lui est associé. Elle concerne toutes les parties sauf le hautbois solo. Cet ostinato cristallin, aigu, impressionniste, se rencontrait parfois chez Bartók, qui garda toujours de ses premières amours parisiennes des éléments d’instrumentation debussyste : c’est l’arrivée typique du célesta, par essence aigu, ici ostinato, dans la fin du premier mouvement de Musique pour cordes, percussions et célesta (1936), souvent considéré comme le chef-d’œuvre du Hongrois par les milieux modernistes (notamment), et régulièrement dirigé par Boulez. Le passage évoqué est donc aussi emblématique que l’œuvre est célèbre. Tomasi ne peut que le connaître et d’après nous, l’exemple 2 en est clairement imprégné. On verra plus loin que le référent bartokien vient naturellement, à plusieurs titres, dans le cas de notre musicien corse.
11En fait, cette texture, quand elle est seule à s’installer au chiffre 4 puis à la mesure suivante, semble valoir « pour elle-même ». C’est l’orchestre « à effet » qui vaut également pour lui-même à chaque nouvelle porte ouverte du Château de Barbe-bleue (1918), unique opéra du même Bartók. Le violon solo semble pris dans l’engrenage de son ostinato sur quatre hauteurs. Il devient bientôt accompagnateur du hautbois ou plutôt tisserand, avec harpe, cymbale et célesta (également pris dans un ostinato à la noire), d’une atmosphère. C’est bien là le son comme nouveau paradigme de la musique, qui « remplace le langage », thèse, ou plutôt synthèse aussi récente que judicieuse de Makis Solomos6.
Total-chromatisme inattendu : le néoclassicisme infirmé
12Dans l’exemple 2 ci-dessus, il s’agit de remarquer le « néo-impressionnisme », c’est-à-dire un impressionnisme non plus harmonique (ni guère encore tonal). Seule la texture, l’instrumentation en sont reconduites. Finalement, la référence en devient seulement indirectement française et plus directement bartokienne. Or, Debussy est ici d’autant plus « dépassé » (quand il ne l’était pas encore totalement dans Cyrnos) que notre texture accompagne un solo de hautbois qui n’est pas à proprement parler tonal (et non plus debussyste).
13Les dernières mesures de l’exemple voient le déploiement de onze notes. Sur les onze, dix hauteurs différentes, parmi les douze sons du total-chromatisme, sont atteintes. Seul le mi est répété. Ne manquent que le ré et le fa naturels. II y a là un quasi dodécaphonisme. Le texte d’Étienne Kippelen, dans le présent ouvrage, montre que des séries peuvent figurer dans le langage du Corse. Ajoutons qu’il s’agit de séries « orthodoxes », c’est-à-dire associées à l’esthétique atonale, et non pas les tentatives plus ou moins sarcastiques de « tonaliser » le dodécaphonisme (ce qui est toujours possible). Jean-François Zygel s’essaiera, à l’instar d’autres bien avant lui comme Dallapiccola, à cet exercice, notamment dans La Ville (1993). Et l’on n’évoque même pas ici la fugue tonale à douze sons d’Also sprach Zarathustra de Strauss (1896).
14Les intervalles sont ici volontiers dissonants et disjoints, signature du style viennois dans sa difficulté même selon Julius Briston7. On remarque les septièmes majeures (la dièse-si) ou autres octaves diminuées (sol dièse-sol bécarre) qui sonnent toutes deux comme des fausses octaves, archétypes de la dissonance écartelée viennoise. Il faut donc remarquer que de ce point de vue, et au moins ici, Tomasi ne peut plus être dit néoclassique.
15Or, ces total-chromatismes se retrouvent souvent dans le langage mélodique des solistes de ses concertos, au moins à partir du Concerto pour clarinette (1958)8. L’emprunt n’est donc pas rare ni fortuit. Le Corse a souhaité, de plus en plus, s’inscrire dans l’Histoire soupçonnée parfois d’être mieux écrite par les modernistes, sans renoncer cependant à ses autres chères influences. Peut-être s’est-il dit, si Stravinski, partant de son néoclassicisme persistant peu après guerre, a rejoint lui-même les rangs sériels à partir des années 1950, qu’il n’y a plus qu’à suivre son exemple de reddition. Certes la reddition se fera beaucoup plus incomplète dans le cas du Français de l’Île de Beauté. Mais ce dernier admire trop le Russe, ce que montre l’exemple 1, pour qu’il ne suive pas de près ses aventures esthétiques et qu’il n’en soit pas influencé, de près ou de loin.
16On peut dire, finalement, qu’il en développe un poly-stylisme tout à fait paradoxal, original, soucieux de ne rien ignorer de son temps, parfois risquant de flirter avec l’éclatement. Or, les bords extrêmes de cette synthèse curieuse sont d’une part Vienne et si l’on veut, de l’autre côté, le swing.
Jazz intact
17L’une des influences les plus intéressantes est peut-être le jazz. Car là, le compositeur ne fait qu’employer, sans aucun effort de documentation, un langage qu’il connaît sans doute « de l’intérieur », dès son adolescence, lorsqu’il gagne sa vie en jouant dans divers bars, cabarets, ou cinémas marseillais (et plus tard dans les cabarets de Pigalle même, voilà une originalité certaine, « populaire », qui aura des répercussions). On en retrouve déjà les souvenirs dans Boîte de nuit (1930). La connaissance de cette musique de cabaret, comparée au Bœuf sur le toit de Milhaud (1920), y apparaît moins documentaire, artificielle, mais organique, et c’est peut-être là que le musicien est le plus original et le plus en avance sur son époque : au-delà des grands emprunts de Stravinski ou même de Bartók (qui restent des emprunts, même dans le cas du folklore imaginaire du Hongrois), il prépare les futures fusions postmodernes (actuelles) des mondes populaire et savant9. Tomasi est fils de facteur : qui d’autre provient d’une telle couche populaire au sein de la société Triton10 ? Cela compte. La musique populaire ne l’encanaille pas mais résonne plus simplement avec sa classe sociale. Il est lui-même jazzman dans son cœur (car dans sa prime jeunesse), en quelque sorte, en tout cas davantage que ses camarades Milhaud et Honegger (sans parler de Schönberg, quasi-ennemi des musiques populaires)11. Il n’y a pas ici d’emprunt, de « pillage colonialiste lié au modernisme » (selon l’analyse de Nicolas Bourriaud)12. C’est cela qui, d’après nous, a notamment appuyé le succès relatif du Concerto pour trompette (1948).
18Celui-ci, loin de détourner le jazz au profit d’un langage hétérogène, comme dans Ebony concerto (1945) de Stravinski, le fait soudain survenir intact, dès la deuxième page (après une pétaradante introduction néoclassique et polytonale)13, dans une version certes music-hall, mais non moins pure, pastiche, et qui tranche absolument avec le reste du langage. Il s’agit d’une incursion, d’une percée. Cette fois Tomasi n’a plus trente ans de retard sur Stravinski mais seulement quatre (on fait allusion à Ebony concerto) et encore : le résultat est d’une catégorie supérieure, ou plutôt bien « ultérieure ». Car il n’est plus néoclassique mais déjà postmoderne en ce que le caractère « savant » lui-même, lors du passage, est remis en question. C’est aussi ce qui se passera au début du second mouvement de l’Open concerto (pour trio jazz et piano) de Frédéric Verrières (2003-2004) : les cordes, comme dans un arrangement « nocturne » et jazzy tinté de néoromantisme, accompagnent un microsillon passant la voix d’Ella Fitzgerald sur scène. La percée y est alors audible et même visible (le microsillon survenant derrière l’orchestre). Mais c’est alors typiquement postmoderne : fusionnel.
19C’est d’ailleurs un arrangement de cordes jazz néoromantique qui accompagne aussi la trompette dans sa percée. Cette dernière chausse la sourdine Robinson, typique du jazz, et cherche une sonorité « de velours », comme commence à le faire Miles Davis alors âgé de 23 ans. Ce velours est encore épaissi par la berceuse des cordes et la résonance du cor (jouant un mi, entendu la en pédale). Celles-ci oscillent non pas entre deux accords comme dans la fameuse berceuse Summertime de l’opéra Porgy and Bess de Gershwin (créé en 1935), qui hésite entre (ré fa la si) et (mi sol la do dièse) (la encore en pédale), pour figurer les deux positions d’un berceau pris dans son mouvement régulier, soporifique. Elles en utilisent trois différents (voir exemple 3) et balancent ainsi entre les accords I, II, III, II. L’effet reste celui d’une berceuse à l’américaine.
20L’accord I, (si bémol ré fa la), est le truisme harmonique le plus simple et répandu de l’histoire du jazz : c’est l’accord de septième majeure (que les Américains appellent « delta ») utilisé de façon autonome et indépendante par le jazz, pour sa couleur (sans préparation ni résolution de sa septième comme le prévoient les règles d’harmonie de la musique tonale fonctionnelle des xviiie et xixe siècles). Le II, plus complexe, utilisant 6 sons différents, procède encore d’enrichissements harmoniques polytonaux que le jazz peut employer autant que la musique savante. Il colle un accord de fa majeur à un triton en ré (sol do dièse mi la). Le III est plus riche encore (sept sons). C’est un accord que le jazz appellerait « de 13ème » (do mi sol si bémol ré fa la). Il comporte en fait toutes les notes d’un mode myxolydien sur do et pourrait être nommé diatonisme verticalisé par Poulenc (qui l’emploiera aussi dans ce sens). Cette berceuse accompagne les errances mélodiques de la trompette bouchée, en forme de fausse improvisation. Le swing en est approché, par exemple, à la seconde mesure qui occupe la trompette, en liant le triolet à une blanche, pour donner une impression de rubato rythmique, comme si le fa blanche était anticipé, procédé le plus courant du swing (l’anticipation liée au conséquent).
21La veine jazzy est régulièrement exploitée. Tomasi pourra par exemple nous la rappeler de façon non moins « perçante », c’est-à-dire intacte, en forme de pastiche pré-postmoderne, dans l’amorce de la cadence du premier mouvement du Concerto pour clarinette (1953-1956). Là encore, le velours est cherché. La clarinette, pianissimo, joue de sa communauté d’emploi de l’anche simple avec le saxophone. Le son du « saxo alto » est proche. Les cordes organisent un autre nocturne new-yorkais, néoromantiques par leur résonance appuyée (ici même « infinie » grâce au caractère ad libitum : tenue d’un accord qui demeure durant presque toute la cadence). L’accord, mineur en son socle, « blue », ressemble à ceux qui peuvent conclure les mouvements lents du music-hall : fa dièse la do dièse, ré, sol dièse. C’est un accord de fa dièse mineur auquel est ajoutée une neuvième (sol dièse) et la sixte (ré) toutes deux naturelles en fa dièse éolien. La sixte, comme la neuvième, ajoutées sur des « triades » (comme disent les Américains) sont encore des truismes, c’est-à-dire des procédés que le jazz partageait dès ses tout débuts (notamment dans ses ragtimes) avec Debussy. La clarinette arpège, de façon rapide et ascendante, le même accord sur deux octaves et là encore le geste est un truisme de fin de ballade jazzy. On entend presque ici le générique d’une musique de film, celle d’un « polar » américain de l’époque (les années cinquante), par exemple sur une partition de Max Steiner bien plus encore que de Bernard Hermann. Le caractère populaire en est encore davantage appuyé et la musique « savante » ose y perdre encore de son prestige pour rejoindre un hédonisme cinématographique que le compositeur partage avec un public potentiellement large. Comprenons qu’il n’y pas là une facilité mais une simplicité d’écriture, gage de la réussite du passage. La virtuosité de la clarinette, dans la cadence, compense ce truisme harmonique initial, emblème simple car très économique : vertical, immédiat. Elle adopte d’ailleurs, peu à peu au cours de sa cadence, un langage de moins en moins jazzy et de plus en plus total-chromatique. Elle réalise ainsi une synthèse qu’Adorno, à l’époque, eût pensée impossible, celle de la « nouvelle musique » avec le jazz, voire avec l’industrie culturelle. Il ne s’agit pas d’une compromission mais d’une considération, d’une conscientisation de cette dernière, rarement effectuée de façon aussi lucide à l’époque. Elle est permise, d’après nous, par le fait que le musicien a pratiqué ce langage dès son adolescence et que son emploi en est devenu, pour lui, subtilement autant que secrètement personnel et légitime, peut-être davantage encore que la musique traditionnelle corse que le compositeur envisage comme Bartók la hongroise : avec une distance scientifique tout de même (ou géographique : l’Île vue depuis Marseille), ce que montre le présent texte de l’ethnomusicologue Éric Montbel.
Une influence de Britten ou un parcours parallèle ?
22D’après Lionel Pons14, il n’est guère douteux que le musicien ait assisté à une représentation de Peter Grimes (1945), dont la création anglaise (et sans doute aussi, dans une moindre mesure, française) avait été triomphale et marquait une véritable renaissance de l’opéra anglais. Le langage de Britten ne lui serait donc pas inconnu, au moins à partir de cette époque. Sans parler d’influence précise (qui reste possible), une possibilité est que le Corse et le Britannique soient venus aux mêmes solutions, par le hasard ou si l’on préfère par quelque logique esthétique et technique commune, compte tenu du fait que l’une de leurs démarches, au départ, est similaire : accomplir la synthèse de très nombreuses tendances de la modernité (impressionnisme, styles viennois, bartokien et stravinskien, néoclassicisme et « folklorisme » compris). Les deux musiciens développeront un langage qui, de ce point de vue, peut souvent paraître composite, « protéiforme » (selon les termes d’Émile Vuillermoz)15, plus encore que celui de Bartók, déjà hétéroclite (et que nos deux compères ont dû assimiler en plus d’autres nouvelles influences), « impur ». Stravinski disait du Hongrois : « Ce n’est pas un compositeur, c’est un chimiste16. »
23Une certaine « linéarité polytonale », chez l’Anglais, se trouve justifiée par ce qu’on appelait dans un autre texte son « esthétique du fil17 », plus particulièrement par l’exemple des gamelans indonésiens (et de leur hétérophonie18 obligatoire, donc de leur monodie variée), qu’il connaît par l’ethnomusicologue et compositeur Colin McPhee. Il s’agit notamment de ce qu’on appelait des « arpèges polytonaux19 ». Au gré de leur empilement progressif et d’altérations qui changent sur une même note d’une itération à l’autre, les tierces changent de « tonalité possible ». Or, ce procédé brittenien précis (qu’on trouve par exemple quand les fées entonnent « All shall be well » dans Le Songe d’une nuit d’été, 1960) amorce aussi le Concerto pour basson (1958) de Tomasi, à la partie soliste et de façon d’autant plus claire que cette dernière est alors non accompagnée. Le basson exécute une montée sur ré fa la bémol do mi puis une redescente sur do la bécarre fa ré si sol dièse mi do dièse. On passe donc, avec une seule voix et dans une seule mesure, d’une tonalité possible de do mineur (le 7/5 barré initial), à une impression de do majeur (la fa ré si sol comme un 9/7+ en do majeur) puis de si majeur ou de do dièse mineur (si sol dièse mi do dièse, accord de septième mineure typiquement placé sur le second degré en si majeur, ou si l’on veut sur le premier en do dièse mineur). En une seule mesure, en somme, on module trois fois au minimum (les tonalités qui passent sont incertaines et potentiellement multiples) et sans le secours d’autre chose qu’une simple monodie. Voilà un minimalisme polytonal qui dépasse l’invention (la polytonalité) de Stravinski (à moins qu’on ne donne plus rigoureusement la primeur polytonale à l’Américain Charles Ives). Mais ce dépassement est dans la soustraction, l’économie des moyens.
24Les deux compositeurs développent un intérêt croissant, après-guerre, pour le hautbois et la harpe, notamment traités de façon éventuellement économique, voire amenés seuls (au sein d’œuvres qu’ils partagent avec d’autres instruments)20. La harpe aura finalement dans le corpus du Français, outre sa ballade concertante (1966), cinq autres pièces où elle apparaîtra soliste, le hautbois cinq en tout aussi (sans parler des trios d’anche).
25Les premières amours instrumentales de Tomasi vont davantage aux « instruments bourgeois » les plus employés, fleurons de la musique savante romantique, violoncelle (voir la première pièce concertante composée), piano (l’instrument où excelle le musicien lui-même), violon (notamment pour mettre en valeur son ami Zino Francescatti), voix (mélodies corses obligent) ; puis aux instruments rappelant le jazz (surtout saxophone : deux concertos en 1938 et 1949, et clarinette aussi dans une moindre mesure).
26Le hautbois se fera surtout une place après le Concerto (1958), comme s’il avait fallu au Français cette rencontre initiale pour mieux l’apprivoiser. L’un des passages les plus curieux du Concerto, à la fin du premier mouvement (fin de la cadence), est un ostinato « minimaliste » (économique), avec des chromatismes à accident d’octave sans doute issus de Bartók (voir exemple 4, au chiffre 47).
27Le hautbois, seul, triple piano et dans la minceur de ses médiums/aigus, semble improviser de maigres notes, rares, comme l’eût fait un chevrier de sa musette pour égayer sa solitude.
L’essor de la tendance minimaliste
28L’effet ci-dessus (dans l’exemple 4), même très limité dans le temps, est des plus originaux dans son économie drastique, surtout au sein d’une esthétique prétendument française et néoclassique qui ne se caractérise pas habituellement (au contraire), par la soustraction des paramètres musicaux. Ceci concerne davantage des modernistes radicaux, le Ligeti des deux premiers mouvements – respectivement sur un et deux sons – de Musica ricercata (1951-1953), et bien sûr le Cage de 4’33 (1952). Cette fois, en 1958, Tomasi n’est donc pas très « en retard » dans l’avancement, même épisodique, d’un nouveau « vide ». Le vide est ici de première génération, et non de seconde (en ce qui concerne l’ostinato) voire de troisième (pour les textures impressionnistes).
29Le Concerto de guitare à la mémoire de Federico García Lorca (1966) fera culminer cette tendance. La vacuité est manifeste au début du mouvement lent, durant non moins d’une minute entière21 (ce qui est considérable à l’échelle musicale). La guitare y est seule. Ceci n’est certes pas encore minimaliste si l’on considère que le caractère relativement peu sonore de l’instrument ménage couramment ce genre de solitude dans les concertos du répertoire (et notamment dans le plus célèbre, le Concerto d’Aranjuez de Rodrigo, 1939). Mais dans ce long passage, la guitare est non seulement seule mais presque toujours monodique (sauf à la mesure 10 dans un ensemble de 18 mesures). Cette fois, c’est un cas discrètement extraordinaire pour un instrument harmonique, d’ailleurs traditionnellement accompagnateur (ce qui est universellement connu dans la musique populaire). Connaît-on beaucoup de concerti pour piano (instrument également harmonique) qui prévoient de telles cadences initiales du soliste, monodiques et qui plus est : lentes ? C’est dans le motif des mesures 3-4 (repris à la fin du passage, aux mesures 18-19) que le vide culmine : la monodie, prenant son temps, descend une gamme (la sol dièse fa dièse mi ré dièse do dièse) : elle vient s’écraser dans un extrême grave (qui demande visiblement à la guitare d’être désaccordée une tierce mineure en dessous de son mi grave) d’autant moins sonore que demandé pianissimo. Ce lamento est donc discret, mince, voire désertique. Il fonctionne par l’évocation évidente – efficace – et première dans le mouvement, d’une solitude. Il rappelle en ceci une autre complainte minimale et non moins monodique, la Complainte et danse de Mowgli (1953) pour flûte seule.
30D’où vient le vide, si original, progressivement développé, dans la vie de ce musicien ? Nous l’ignorons mais le symptôme de sa prégnance est sans doute dans la pertinence historique de sa manifestation musicale, son inventivité, sa venue dès les années 1950.
31On peut voir une souche de ce dépouillement dans l’ascétisme religieux, épisodique chez le compositeur, depuis la retraite de la guerre à la Sainte-Baume (où le musicien devient presque dominicain et menace de faire annuler son mariage) jusqu’aux autres retraites à l’abbaye Saint-Michel de Frigolet. Ou cela peut être l’expression politique, particulièrement vive et sensible, du dénuement des « damnés de la terre » pour cet « humaniste », auteur de la Symphonie du Tiers-Monde (1967) ou du Chant pour le Viêt-Nam (1968, d’après Sartre, autre « humaniste », compagnon de route du Parti). La solitude « de la guitare » est-elle celle de Federico García Lorca devant les rebelles anti-républicains qui s’apprêtent à le fusiller le 19 août 1936 ?
32Quoi qu’il en soit, cette économie, d’origine psychologique et/ou spirituelle et/ou politique est la bienvenue dans les œuvres des années 1950/60. Rappelons que « l’art minimal », bientôt si dominant dans le modernisme des arts plastiques américains (lesquels commencent à s’imposer dans l’esthétique mondiale), ne s’amorce que durant les sixties, dans l’Ad Reinhardt d’Ultimate painting n° 6 (1960) puis par exemple chez le Franck Stella de Mas o menos (1964) ou encore le Donald Judd de Stack (« Pile », 1972). On ne parle même pas des musiques dites « minimalistes » américaines (qui commencent à voir le jour dans l’In C de Terry Riley, 1965, ou au préalable dans Trio for strings, 1958, de LaMonte Young, d’ailleurs ici plus pertinent), tant ce minimalism est une affaire de procédé d’écriture plutôt que de rendu sonore, ce dernier pouvant exprimer, loin d’un vide, une furieuse et rapide stridence certes répétitive.
Conclusion
33C’est dans la connaissance intime et parfois exprimée du jazz, puis du « vide » et de son « humanisme » que le musicien français (ou corse), d’après nous, trouve les voies d’expression qui lui sont les plus personnelles. Qu’apporte vraiment l’ostinato stravinskien reconduit en 1951, ou un impressionnisme plus bartokien (donc plus galvaudé) que toujours debussyste ? Certes, appartenir jeune à la société de concerts Triton, avant-guerre, semblait une arme à double tranchant, celle de faire partie d’une prestigieuse communauté, susceptible aussi d’imposer ses différentes influences pour longtemps, influences d’ailleurs bien hétérogènes, éclatées, ne serait-ce que celles de ses membres d’honneur les plus prestigieux, aussi potentiellement divergents que des Honegger, Bartók, Schoenberg, Stravinski, Strauss ou Ravel. Dans l’exemple 3, les basses se serrent sur un chemin de quartes justes. Est-ce l’influence de Bartók, grand spécialiste des quartes empilées mélodiquement ou harmoniquement22, ou bien auparavant de la Kammersymphonie (1906) de Schoenberg ? Ce qui est sûr, c’est que ces quartes ne sont pas du pur Tomasi, en 1949. Ce dernier se devait, peut-être, de s’intéresser aux diverses moutures du modernisme dans leur éclatement même, jusqu’à employer, en 1954, des ondes Martenot dans la musique des Lettres de mon moulin de Marcel Pagnol23. Or, entre 1930 et 1955, 321 musiques de film français avaient déjà utilisé, dans leurs partitions non moins françaises, cette nouvelle lutherie nationale24, Honegger le premier, en 1930, pour La Fin du monde d’Abel Gance. C’est dire que ce n’est pas là non plus – dans l’emploi d’une nouvelle lutherie – que la veine la plus personnelle est à chercher, si l’on considère que cette veine « invente » et donc s’exprime historiquement tôt, à moins qu’elle ne constitue l’aboutissement d’un procédé dont les moutures plus anciennes apparaissent alors rétrospectivement comme des ébauches (comme tout contrepoint, en un sens, peut sembler l’ébauche du tardif contrepoint de Bach, par exemple).
34Or, le minimalisme au sens large et littéral (non celui des musiciens américains), l’économie des moyens, forment une curiosité à la fois « ancienne » et expressive dans l’œuvre du Français. Cette caractéristique n’a plus rien à voir avec le langage d’un quelconque membre de la société Triton. On peut dire alors que, des anciens de ce groupe, le Corse deviendra le plus épisodiquement minimaliste et voilà enfin une caractérisation, d’après nous, claire et saillante. Il sera également, à l’époque, peut-être le premier Français d’après-guerre à creuser ce sillon à ce point dans des œuvres orchestrales (même épisodiquement, encore une fois, là n’est pas la question). Il annonce ainsi les vides enfin osés par Messiaen dans Désert, premier mouvement de Des Canyons aux Étoiles (1971-1974), plus désertiques que les « prétendus » Déserts de Varèse (1954). Il renoue avec la simplicité française appelée par Cocteau25, lequel en rêva sans doute après l’écoute prometteuse des limpidités béotiennes des Gymnopédies de l’ami Satie (1888). En ceci, il prépare de façon originale le futur postmodernisme qui se réclamera souvent (à travers Glass notamment, grand admirateur de ces prémisses français) de Satie et de Cocteau et qui prétendra, sous la plume de Michael Nyman, vouloir « composer une musique naïve, innocente et simple d’esprit26 ». Ce n’est certes pas le cas de Tomasi qui évolue encore, sans naïveté, à l’époque des idéologies (humanistes), des « grands récits27 » dirait Lyotard.
35L’intégration non (ou peu) distanciée de la musique populaire est également originale, inventive et augure aussi du postmodernisme, comme on le concluait déjà plus haut. Il y a là encore une surprenante originalité du musicien, naturelle : « sans effort », du moins sans autre effort que de rappeler les tendances nées du job d’étudiant. Là encore, parmi les musiciens de la société Triton, le Corse figure comme outsider et précurseur de bien d’autres esthétiques plus tardives (postmodernes).
36Enfin, l’aspect politique est plus original, de la part d’un compositeur contemporain, qu’on ne pourrait le soupçonner de prime abord. Certes, à l’aube de 1968, une politisation, dans la vie d’un artiste, commence à se faire pressante – parfois considérée obligatoire par certains. Car « tout est politique, camarade, même l’esthétique28 », dira le slogan. Aussi les œuvres « humanistes » sont-elles souvent proches de cette date et non pas seulement de la fin (1971) – de la pleine « maturité » – du compositeur. Mais les musiciens savants ne se sont que rarement distingués par des engagements célèbres. Pour terminer la comparaison avec les autres membres de la société Triton, seul Bartók, peut-être, aura montré un réel engagement à gauche, courageux, suffisant pour le faire quitter les éditions Universal en 1938, lors de l’Anschluss (annexion de l’Autriche par l’Allemagne nazie). Mais Bartók n’avait généralement pas mis l’accent sur ses convictions dans le titre de ses œuvres. Il ne faisait guère de propagande. Inutile de rappeler, à l’autre bord, les positions mussoliniennes de Stravinski, encore en 194129, malgré la publication italienne des lois raciales en 1938. En fait, là encore, c’est Britten dont la position semble proche, notamment dans une œuvre (d’ailleurs à cette même époque de réveil politique généralisé) comme le War Requiem (1966). Et le maître, quant aux engagements « humanistes » de l’après-guerre, restera sans doute Nono, inscrit au virulent Parti communiste italien depuis 1952, et qui n’aura de cesse de convertir ses auditeurs à la cause ouvrière. Cet engagement culminera sans doute dans l’opéra (est-ce un opéra ou une action théâtrale ?) Al gran sole carico d’amore (1972-1974) dont le livret poly-chronique synthétise quelques épisodes des plus marquants de la lutte des classes : la Commune de Paris, le Dimanche rouge de 1905 à Saint-Pétersbourg et la mutinerie du cuirassé Potemkine qui s’ensuit ; les grèves de 1950 à Turin (affrontements à l’usine Fiat entre syndicalistes d’extrême gauche et partisans du gouvernement chrétien démocrate anticommuniste) ; le siège, en 1953, de la caserne de Moncada (Cuba) par un Fidel Castro opposé à la dictature de Batista ; la mort en 1967, en Bolivie, de Che Guevara aux côtés de sa compagne Tania Bunke ; les massacres au Viêt-Nam à la fin des années 1960.
Notes de bas de page
1 Celui-ci se déploie selon l’ostinato le plus serré (répétition pure et simple d’un accord à défaut de tout autre phénomène sonore émergent). Par ailleurs il est constitué d’un collage polytonal entre une dominante de la bémol et un accord de fa bémol majeur.
2 Voir Divertimento Corsica, Paris, Leduc, p. 27, sept premières mesures.
3 Ou de quinte diminuée : des « triades » en général.
4 Partition, op. cit., au chiffre 9.
5 Ces dernières, omniprésentes, hoquettent par exemple dans les Symphonies d’instruments à vent, lors du premier grand tutti assigné aux cuivres, le motif entier étant constitué d’un tétracorde montant puis descendant, mais apparaissant couramment dans une version écourtée.
6 Voir De la musique au son, Rennes, PUR, 2013.
7 Lors d’un entretien radiophonique avec Julius Briston (1930), Berg réfute que la voix, dans la nouvelle musique (celle des Viennois), soit affligée d’intervalles particulièrement « instrumentaux, confus, zigzagants, écartelés ». Il en était parfois de même dans la musique tonale, dit-il. Il en appelle à certains ambitus très importants parcourus rapidement dans un lied du cycle du Voyage d’Hiver de Schubert (1827) voire encore quarante ans plus tôt dans un air de Zerlina extrait du Don Juan de Mozart (1787). L’ambitus dans le chant n’a jamais été restreint, conclut Berg. Certes, semble objecter J. Briston, mais dans la musique tonale les grands écarts sont permis par la résonance que la nouvelle musique a rejetée (voir Alban Berg, Écrits, Paris, Christian Bourgois, 1985, p. 56).
8 L’exemple que l’on détaillera de cette œuvre ouvre la cadence où le langage se montre de plus en plus dissonant et passe pour ainsi dire, progressivement, du jazz à la « nouvelle musique » issue de Vienne.
9 Voir à ce sujet notre texte « La musique des années 2000 et l’obsession de la fusion », in L’art des années 2000. Quelles émergences ?, Aix-en-Provence, PUP, 2012, p. 37-48.
10 Cette société particulièrement composite, ressemblant plus à un syndicat qu’à une avant-garde organisée autour d’une esthétique précise, regroupe notamment, outre les principaux des Six et ne serait-ce que dans son comité d’honneur, des gens aussi divers que Roussel, Ravel, Schoenberg, Bartók, Stravinski, Falla ou encore Richard Strauss.
11 Le Viennois a beau avoir cité Oh du lieber Augustin dans son Second Quatuor, composé des « chansons de cabaret », il a surtout écrit que musiques savantes et populaires se mêlaient aussi bien qu’eau et pétrole.
12 « Faut-il regretter l’universalisme moderniste ? […] Inutile de revenir ici sur le colonialisme (inconscient ou non) qui lui est consubstantiel. […] Les cultures non occidentales ? Non historiques donc nulles. » Nicolas Bourriaud, Radicant. Pour une esthétique de la globalisation, Paris, Denoël, 2009, p. 14.
13 Le néoclassicisme est dans les arpèges détraqués par la polytonalité. Mais il se ressent aussi comme une allusion possible au néoclassicisme sculptural, lui-même en référence à l’Antiquité gréco-latine. Les arpèges de la trompette, rapides, forte, à la fois festifs et solennels, peuvent faire penser à des sonneries qui accompagnent les jeux du cirque à Rome, par exemple. Ils évoquent moins un tournoi médiéval pour des raisons subtiles, peut-être à cause de la rapidité de ces sonneries, ou de la non présence de quintes parallèles (très souvent associée au point d’en faire un truisme plus médiéval encore qu’antique). L’idée de marches militaires est également hors sujet : les arpèges sont trop décalés et incomplets. Ils empêchent la référence à cette musique « facile » : dans Histoire du soldat (1917), Stravinski, même dans sa polytonalité, ménage des « do mi sol do » (suivis de la fa dièse ré la) qui permettent d’entendre des arpèges caricaturaux, même rapidement, ce qui facilite mieux l’allusion.
14 Communication personnelle.
15 Voir le site officiel de l’Association Henri Tomasi (www.henri.tomasi.fr), dès l’amorce du §4 de la Notice des éditions Alphonse Leduc (section biographie).
16 Cité par Pierre Citron, Bartók, Paris, Seuil (Collection Solfèges).
17 « Benjamin Britten, parcours de l’œuvre », in Brahms, encyclopédie en ligne de l’IRCAM.
18 Pour une définition, voir notre texte, « Hétérophonie », in Théories de la composition musicale au xxe siècle, vol. 2, sous la direction de Laurent Feneyrou et Nicolas Donin, Lyon, Symétrie, 2013, p. 1199-1200.
19 Voir « Benjamin Britten », op. cit.
20 Quant à ce développement après-guerre dans l’œuvre de Britten, voir notre texte, idem.
21 La solitude initiale de la guitare dure 52 noires, au mouvement de 52 à la noire, ce qui, en principe, engendre exactement une minute de musique.
22 Voir notamment le plus emblématique de ces empilements au début du Finale de la Suite de danses (1923).
23 Signalé par Philippe Langlois dans Les cloches d’Atlantis. Musique électroacoustique et cinéma, Paris, mf, 2012, p. 119.
24 Idem, p. 130.
25 « L’esprit nouveau enseigne à se diriger vers la simplicité émotive. », Le Coq et l’Arlequin, Paris, Stock, 1979, p. 30.
26 “Against intellectual complexity in music”, Postmodernism. A reader, New York, Harvester Wheatsheaf, 1993, p. 206.
27 Voir La Condition postmoderne, Paris, Minuit, 1979, dès la p. 8.
28 Voir Emmanuel Wallon, « “Tout est politique, camarade, même l’esthétique” ! L’extrême gauche et l’art en France dans les années 1970 (quelques équivoques d’époque) », http://e.wallon.free.fr/IMG/pdf/Equivoques.pdf.
29 Telles que clamées au cours d’une conférence à Boston, cette année-là, peu avant Pearl Harbor (ce qui semble donc encore vaguement « légal » : avant l’entrée en guerre des États-Unis, plus tard Stravinski eût risqué d’être considéré espion sur le sol américain).
Auteur
Aix-Marseille Université, LESA, EA 3274
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