Brehus sans pitié : portrait-robot du criminel arthurien
p. 525-542
Texte intégral
1Faire un portrait-robot signifie en général fournir une description physique d’une personne qui permette de la reconnaître. Or, dans le cas de Brehus sans Pitié, c’est une entreprise difficile, car les armoriaux des chevaliers arthuriens, d’habitude si prolixes en informations sur la couleur des cheveux, la corpulence et l’expression du visage des héros de la Table Ronde, restent silencieux au sujet de Brehus, comme si le personnage était frappé d’anathème1. Il faut donc se tourner vers d’autres sources, qui, du coup, ont tendance à décrire plus amplement le caractère que le physique. Ce qui va suivre est donc un portrait-robot moral.
2Vers 1230, dans le Tristan en Prose, le caractère de Brehus sans Pitié est forgé. Il incarne en effet tout ce qui est contraire aux valeurs de la cour arthurienne. Il est parjure et lâche, poursuit les femmes, qu’il viole et assassine, massacre les vieux et s’attaque à tous ceux qui sont plus faibles que lui. Tel un mauvais esprit, il traverse le monde arthurien et surgit tantôt sur le petit sentier abandonné au milieu d’une forêt, tantôt sur la grande route. Toujours seul, se mouvant en dehors des contraintes sociales, sur son cheval rapide qui lui permet d’échapper aux justiciers de la Table Ronde, il est insaisissable, omniprésent, toujours là où on ne l’attend pas, toujours prêt à faire du mal sans qu’on sache pourquoi2.
3Comme d’autres personnages du Tristan en Prose, Brehus sans Pitié n’a pas été créé ex nihilo mais à été élaboré à partir d’éléments existant ailleurs dans la tradition arthurienne. Dans la première partie de ma communication, je donnerai un bref aperçu des textes antérieurs au Tristan en Prose mettant en scène Brehus sans Pitié. Dans la seconde partie, je suivrai le personnage dans une série de textes qui transforment à leur tour le legs de la Vulgate du Tristan en Prose, comme notamment Guiron le Courtois, les Prophéties de Merlin, et une version particulière du Tristan en Prose conservée dans le manuscrit de PARIS, BN fr. 24400.
1. Brehus avant le Tristan en Prose
4Une remarque préalable s’impose à propos de la forme du nom. Le personnage que nous appelons, à la suite de la Vulgate du Tristan en Prose, « Brehus » ou « Breüs », apparaît dans les textes également avec la graphie « Bruns »3. C’est en effet sous cette forme qu’il semble faire son entrée dans les romans arthuriens, l’occurrence la plus ancienne se trouvant dans le manuscrit A (copie Guiot) de la Première Continuation du Conte du Graal. Il s’agit donc de la rédaction dite « courte », sans doute la plus ancienne de toutes, que l’on date d’avant 1200. Brun sans Pitié y apparaît dans une liste de chevaliers de la Table Ronde qui se mettent en marche contre le Château Orgueilleux pour libérer Girflet, prisonnier dans ce château.
Li conestables Bedoër
I fu, et Guivrez li Petiz
Et Coverox et Galentiz,
Bruns Sanz Pitié et Sagremors,
Et Guingamuer o le gent cors.4
5Par la suite, la chronologie, même relative, s’embrouille pour qui veut suivre les traces du personnage dans la littérature française médiévale. De façon indirecte, Brun réapparaît dans la Continuation Perceval attribuée à Wauchier de Denain (mort en 1212) où une demoiselle explique à Perceval pourquoi elle a dû le quitter la veille. Elle avait en effet promis à un chevalier qu’elle n’accompagnerait personne d’autre avant son retour. Mais, depuis, ce chevalier a disparu. Perceval, qui voudrait bien aider la demoiselle à retrouver son chevalier, lui demande alors le nom de celui qu’elle attend.
« Sire, fait elle, il iert clamez,
Am bautesme Bruns sans Pitiez ;
Boens chevaliers et resoigniez
Iert durement, je le vos di. »
- « Belle, fait il, bien ai oï
De lui parler. Se le veoie.
Je cuit que bien le connoistroie5
6La Continuation du Perceval due à Gerbert de Montreuil6, où Brun sans Pitié apparaît par deux fois, est à peine plus éloquente. Les deux occurrences se situent dans la « partie tristanienne », où lors d’un tournoi arrive tout un groupe de chevaliers pour renforcer le parti du roi Marc. Parmi eux, on en reconnaît certains qui appartiennent sans doute à la cour d’Arthur, comme Beduiers (v. 3987) ou Ydres, li fius Nu, (v. 3976), mais aussi d’autres, qui, comme Dinas (v. 3987), sont en général associés à la matière tristanienne. Dans ce groupe, où chevauchent également des personnages par ailleurs inconnus, se trouve aussi Bruns sans Pitié (v. 3981 et v. 4247) qui est mentionné de façon neutre, juste comme un nom parmi d’autres. Tout ce qu’on peut tirer de toutes ces occurrences, c’est que Brun n’est pas encore un être réprouvé par la cour arthurienne mais qu’il semble au contraire faire partie, au même titre que d’autres, de la société « courtoise ». La même chose est encore valable pour le Conte du Mantel mal taillé, qui date sans doute du début du xiiie siècle. Dans ce texte, Brun sans Pitié est présent à la cour d’Arthur comme d’autres chevaliers arthuriens et abreuve Keu de sarcasmes quand Andriete, la bien-aimée de Keu, se retrouve les genoux découverts après avoir revêtu le manteau enchanté7.
7Dans tous ces textes, Brun sans Pitié n’est qu’un nom de plus parmi les chevaliers arthuriens. On ne sait donc rien du personnage, sauf qu’il fait partie de la cour d’Arthur et peut-être même de la Table Ronde (Continuation Gauvain, Conte du Mantel, Gerbert de Montreuil), ou que tout au moins Perceval le connaît de vue (Continuation Perceval). Rien ne permet en apparence de déceler dans ces rapides évocations les traits négatifs qui feront la triste réputation du personnage dans les textes du xiiie siècle - si ce n’est une attitude légèrement possessive à l’égard de sa bien-aimée (Continuation Perceval).
8Le premier « dérapage » dans le comportement de Brun dont rende compte un roman en vers se trouve dans l’Atre Périlleux8 : quatre fois par semaine, Brun, le roi de la Rouge Cité, accompagne une jeune fille à une fontaine. Là, il oblige la fille à entrer dans l’eau glaciale et à y rester jusqu’au soir. Tous ceux qui ont essayé de convaincre Brun de se raviser ont été décapités. Cinquante-quatre têtes sont déjà fichées sur des pieux près de la fontaine et Brun n’est pas près d’entendre raison. Il veut en effet punir la demoiselle qui a osé affirmer que les chevaliers de la Table Ronde étaient sans doute plus vaillants que lui. Dès que Gauvain est mis au courant de ce fait, il décide de se battre contre Brun, et il le vainc au terme d’un combat acharné. Il lui demande alors son nom. Quand il apprend que son adversaire s’appelle Brun sans Pitié, Gauvain s’exclame
- Vous n’est de riens sournommé,
Fait.G.[auvain], che sachiés de voir.9
9« Vous n’avez pas volé votre nom, sachez-le ». Apparemment, Brun sans Pitié est encore inconnu des chevaliers de la Table Ronde au moment où se déroule l’action de l’Atre Périlleux. Mais ce qui est important, c’est que, bien que d’un naturel cruel, Brun est encore « récupérable », car à la fin du récit (v. 6614) sa demoiselle et lui seront bien reçus par le roi.
10Cet épisode de l’Atre Périlleux mérite qu’on s’y attarde un instant. Conservé par un seul manuscrit, le MS de PARIS, BN fr. 1433 où de surcroît il n’est pas à sa place, il a été considéré par son éditeur, sans doute à juste titre, comme une interpolation10. On peut cependant aisément s’imaginer ce qui a amené le copiste11 à insérer là l’épisode de Brun sans Pitié, roi de la Rouge Cité. A la fin du récit (v.6614) -et cela dans tous les manuscrits- apparaît en effet un personnage qualifié de roi de la Rouge Cité pour se constituer prisonnier à la cour d’Arthur. Comme on ne comprend ni d’où il vient ni qui il est, le copiste a eu le bon réflexe de rapporter les événements qui expliquent la présence de ce personnage à la fin de son roman. Il a utilisé pour cela l’épisode du chevalier cruel qui oblige une demoiselle à rester dans l’eau glacée d’une fontaine, qui existe aussi ailleurs dans la littérature médiévale12. Ce qui est nouveau c’est que le protagoniste s’appelle Brun sans Pitié. Pourquoi lui a-t-on attribué nommément le rôle du méchant ?
11On ne prête qu’aux riches. Il est vraisemblable que vers le milieu du xiiie siècle, et a fortiori au moment de la rédaction du manuscrit de PARIS, BN fr. 1433 qui nous conserve l’épisode en question, un pas décisif dans l’élaboration d’un « mauvais » Brun sans Pitié a déjà été franchi, car entretemps la première partie du cycle du Lancelot-Graal avait été rédigée, partie dans laquelle le personnage gagne en ampleur et en profondeur13.
12C’est surtout Gauvain qui s’y trouve constamment aux prises avec Brun sans Pitié. Dans un long épisode Brun ne cessera, par tous les moyens imaginables, de harceler le neveu du roi, qui pourtant avait été averti. Examinons la première rencontre entre Gauvain et ce Brun sans Pitié nouvelle manière.
13Une rencluse, à laquelle Gauvain et la demoiselle qu’il mène en son conduit demandent si elle a des nouvelles de Lancelot, répond assez sèchement au neveu du roi qu’elle ne sait qu’une chose : c’est qu’il va avoir des ennuis s’il continue ceste voie, car il y a là un chevalier qui lui prendra la demoiselle et le tuera. Qui est il ? fait mesire Gauvain. –Ch’est, fait ele, Bruns sans Pitié. - Sire, fait le puchele, alons autre voie.14 Naturellement, Gauvain choisit de ne pas suivre le conseil des deux dames, qui semblent déjà bien connaître le personnage en question, et peu après retentit pour la première fois le cri de Brun qui deviendra quasi emblématique dans les textes postérieurs : « Vous me lairés la damoisele u vous le comperés moult chier »15. Le combat est inévitable et Gauvain réussit à battre son adversaire. Mais même vaincu par les armes, Brun n’est pas du genre à lâcher prise et il réussit à amadouer Gauvain en lui promettant de lui donner des nouvelles de Lancelot s’il revient au même endroit dans quinze jours. Au jour convenu, Gauvain retrouve Brun et s’engage à lui donner ce qu’il voudra, se ch’est chose que je le vous puis douner et doie.16 Brun le conduit alors à la Douloureuse Garde où séjourne en effet Lancelot, car Brun sait tout sur tout et, en outre, il seit miex les voies que nus17. Quand Gauvain, accompagné d’une demoiselle, ressort de la Douloureuse Garde, Brun se trouve à l’extérieur. « Sire Gauvain, fait il, or vous déniant je mon don. - Quel ? fait il. - Chele pucele que vous avés laiens trovee. - Brun, fait il, je ne la puis pas douner, car ele n’est pas moie, ne je ne vous promis chose se che non que je vous poroie douner et devroie. - Il n’y ot nul arest, fait Bruns. - Si ot, fait mesire Gauvain.18
14Dans cet épisode apparaît un autre trait qui deviendra constant dans le portrait de Brun : s’il n’arrive pas à obtenir ses pucelles par la force, il cherche à les avoir autrement, ici, par exemple, en échange des informations fournies à Gauvain. En l’occurrence, il n’hésite pas à fausser le sens d’une promesse donnée, ailleurs il préfère se réfugier derrière les coutumes de Logres (ou en inventer de nouvelles), que ses adversaires respectent, tandis que lui, libre de toute contrainte éthique, les interprète comme cela l’arrange. Quand il sait, comme ici, qu’il ne parviendra pas à son but par la force, il n’insiste pas, il sait attendre son heure. Ne poursuivant pas plus longtemps la discussion avec Gauvain, Brun se contente d’accompagner le neveu du roi et les deux pucelles. Il sait que rien ne presse, car Gauvain empêchera tout autre candidat de se saisir des pucelles19. Le soir, ils logent tous chez un vavasseur. Le lendemain, après leur départ, Gauvain est attaqué et mis à mal par deux chevaliers. Naturellement, Brun ne songe même pas à l’aider, puisque c’est lui-même, comme on l’apprend après, qui a tout manigancé, faisant croire au vavasseur hospitalier que Gauvain était un criminel, des griffes duque il fallait tirer les demoiselles. Par la suite, Brun fera encore deux autres tentatives pour entrer en possession de la pucelle20 avant d’être blessé par Gaheriet, le frère de Gauvain. Même blessé, Brun reste en quelque sorte maître du jeu, manipulant les autres. Lui, qui n’avait pas hésité à foncer avec dix chevaliers sur les deux frères et un troisième compagnon s’écrie, scandalisé, qu’il ne se combatera mie a aus.III.21 Puis il demande un combat singulier avec Gaheriet à la cour d’Arthur, auquel, cela va sans dire, il ne se présentera jamais. Après avoir quitté les trois compagnons, il disparaît en effet du roman entier.
15Mais il est trop tard, car le mal est fait. Brun sans Pitié est désormais un personnage à part entière alors qu’il n’était qu’un nom dans les romans en vers qui précédaient le Lancelot propre. A partir de ce noyau du Lancelot propre, Brun, perfide persécuteur de pucelles, commencera ses incursions dans d’autres textes, d’abord au sein du cycle du Lancelot -Graal même, s’infiltrant en amont dans la Suite du Merlin22 (mais pas dans la Suite-Huth23) et le Livre d’Artus24, puis aussi dans le Tristan en Prose.
2. Brehus dans le Tristan en Prose
16Brun (ou « Brehus », suivant la forme qui semble s’imposer à partir du Tristan) sans Pitié apparaît dès le premier volume25, toujours avec les caractéristiques qui étaient les siennes dans le Lancelot-Graal. Entre autres, son inimitié à l’égard de Gauvain a été conservée, de sorte qu’il proteste, grincheux, quand Tristan lui impose de se rendre en guise de punition auprès du neveu de roi : « mes ce me pert mout grieve chose, car Gauvens est l’ome ou monde qui plus me het »26. On apprend par ailleurs qu’il est très habile à la joute, plus habile même que Gauvain27, et que Mordret et Agravain le craignent pour sa valeur guerrière28.
17Brehus fait maintenant partie du monde arthurien, comme la forêt et les bêtes sauvages, de sorte que Tristan, quand il va à la chasse, ne part jamais complètement désarmé, de peur de rencontrer Brehus sans Pitié29, qui en effet ne cesse de parcourir les forêts querant u il pora trouver mal a faire, car a nule autre cose ne met il onques s’entente.30 La triste renommée de Brehus est telle qu’on le connaît même en dehors de Logres, comme en témoigne la réaction d’une demoiselle de Cornouaille, passée dans le royaume d’Arthur pour délivrer un message à Tristan. Lorsqu’elle apprend qui est le chevalier auquel elle a échappé grâce à l’aide de Lancelot, elle s’exclame « fu ce donc Breus sans Pitié ki me cachoit, li cevaliers desloiaus ki les dames et les damoiseles vait ochisant par le roiaume de Logres ? »31
18Dans le Tristan, comme dans le Lancelot, le personnage de Brehus est caractérisé par le fait qu’il ne respecte ni l’éthique chevaleresque ni l’ordre social32. Je dirais presque qu’il est contre l’ordre tout court. Brehus est le contraire de tout ce qui est stable, fiable, acquis. Le seul élément constant en lui -et c’est ce qui fait l’essence de son personnage-c’est l’absence de pitié.
19Plusieurs éléments, me semble-t-il, servent à mettre en évidence que Brehus l’insaisissable se situe en dehors de tout système : alors que l’onomastique arthurienne souligne pour d’autres chevaliers leur provenance, leur appartenance à un lieu (même inexistant) ou un lignage (Perceval le Gallois, Lancelot du Lac, Girflet filz Do, etc.), Brehus se caractérise précisément par le fait qu’il est de nulle part et de partout33. Il possède en effet plusieurs rechets, cachés dans la forêt, et il semble régulièrement changer de gîte34. Il est constamment en mouvement. Un autre facteur qui contribue à créer à la fois une impression d’ubiquité et d’imprévisibilité autour de ses déplacements, apparitions et disparitions est précisément la rapidité de son cheval, évoquée presque chaque fois qu’il est mentionné, et qui lui permet de sortir indemne de tous les combats qui risquent de se terminer mal35. Brehus dépend si étroitement de sa monture est telle qu’il a même un peu tendance à paniquer s’il se retrouve désarçonné36. A ces déplacements fiévreux, cette horreur du repos et du stable, correspond l’usage que Brehus fait des armoiries. S’il est de coutume, dans le royaume de Logres, que les grands héros chevauchent sans se faire reconnaître, c’est-à-dire l’écu recouvert d’une housse qui empêche de les identifier, Brehus passe à la vitesse supérieure : il change régulièrement ses armoiries pour ne pas être reconnu37. Or, les travaux de Michel Pastoureau ont montré combien l’héraldique, par un système de rappels et de renvois internes, permettait de situer l’individu par rapport à son lignage et le lignage par rapport à la société. Par le refus de porter ses armes, Brehus refuse en même temps de prendre sa place dans la société38. Mais la dissimulation, chez Brehus, va encore plus loin. S’il est fréquent qu’un chevalier errant refuse de révéler son identité, Brehus le fait de façon systématique, un des épidoses les plus réussis à cet égard étant sans doute quand il arrive à faire croire à Erec, Hector et Perceval qu’il est lui-même poursuivi par Brehus sans Pitié. Les trois compagnons se ruent alors sur Blioberis, qui était à sa poursuite et qui avait failli l’atteindre, sauvant ainsi le véritable coupable39.
20Brehus, dans le Tristan en Prose est décidémment le « mauvais garçon » du royaume de Logres. Il refuse de s’intégrer dans l’ordre social et n’obéit qu’à ses propres pulsions qui sont exclusivement destructrices : haine, cruauté et violence. C’est ce portrait-là qui fera la fortune littéraire du personnage40. Mais les textes postérieurs, tout en conservant cette image, ne manqueront pas de l’enrichir à leur tour. En schématisant, on peut dire que les « compléments » vont dans deux sens. D’une part, les auteurs se posent la question de savoir pourquoi Brehus a autrefois été admis à la cour d’Arthur et pourquoi il est devenu si hargneux à l’égard des demoiselles. D’autre part, laissant de côté le problème des mobiles et focalisant l’attention sur la méchanceté du personnage, on l’associera aux autres « méchants » des romans en prose qui oeuvrent à la destruction du monde arthurien, notamment à Morgue, Mordret et Agravain. Brehus le solitaire se trouve ainsi absorbé par une sorte d’organisation, une sorte de ligue des « méchants » qui ont des comptes à régler avec la société arthurienne.
3. Brehus après le Tristan en Prose
21La première voie, celle de l’explication, est suivie par Guiron le Courtois. Ce vaste ensemble, rédigé après et d’après le Tristan, relate en effet les événements qui ont eu lieu à l’époque des « pères », et les vedettes en sont Meliadus, Le Bon Chevalier sans Peur, Guiron le Courtois, le Morhault (l’ancêtre de l’oncle d’Yseut), Ban, Lac et ainsi de suite. Il est donc naturel que l’on y trouve aussi des informations sur les Enfances de Brehus. Dans ce monde en transition entre l’époque d’Uterpendragon et celle d’Arthur la chevalerie est encore jeune, mais on a déjà des souvenirs. Ainsi, on se souvient du père de Brehus sans Pitié, qui s’appelait Brun, surnommé « le Félon »41. Déjà Brun le Félon avait la fâcheuse habitude de ravir les pucelles, ce qui lui a valu d’être décapité, à la suite d’une action particulièrement abominable, à la cour d’Uterpendragon42. C’est pour venger la mort de son père, qui, dans l’optique du jeune Brehus, a été tué à cause d’une demoiselle, qu’il s’acharne à son tour sur la gent féminine. L’auteur du Guiron cherche donc une explication, au sens clinique du terme, psychologique qui permette de rendre compte du comportement qui sera celui de Brehus dans le Tristan en Prose. Comme deux explications valent toujours mieux qu’une seule, il ajoute également le récit suivant43.
22Le Morholt a été pris plus ou moins en flagrant délit d’adultère avec la femme de Tarsin grâce à la complicité d’une demoiselle déloyale. Le Morholt et la femme attendent de mourir de mort honteuse sur la place publique lorsqu’arrive le jeune Brehus, à peine fait chevalier par Arthur44. Il tente en vain de libérer Le Morholt, mais succombe, gravement blessé, sous le nombre de ses adversaires. Comme il s’est vaillamment battu, on lui accorde d’échanger quelques paroles avec le prisonnier.
Il s’en retorne vers le Morhaut et li dist : « Sire, il m’en poise trop durement que ge ne vous puis délivrer. Se ge le peuisse fere por laissier une de mes membres ge le feïsse trop volentiers. -- Amis, ce dist li Morhaut, ge voi vostre volenté et conois tout clerement. Puisque jugié m’est a45 en tel guise morir injure, ge vaudroie ja estre mort, car il m’anuie que ge vif, puis que ge ne puis eschaper. Desloialté et traïson fist la damoisele qui ensint me trahi vilainnement, pour coi ge sui pris. -- Sire, sire, ce dist Brehus, se Dex me doinst bone aventure, encor comperront chierement vostre mort maintes damoiseles. Ge les haoie mortelment quant ge ving ceste part, et par droite raison, mais orendroit les hee ge plus. Des ore mes soient eles bien asseitr que eles auroient de Brehus le plus mortel anemi que ele aient el monde, »46
23C’est donc parce qu’il tient pour responsable de la mort du Morholt47 la desloyauté des demoiselles que Brehus sévit encore davantage contre elles. La misogynie de Brehus dans le Tristan en Prose se trouve de cette sorte expliquée. Elle sera d’ailleurs fortement développée dans Guiron et deviendra une source de comique, surtout quand Brehus tombe malgré lui amoureux d’une demoiselle qui est, elle, vraiment desloyale48.
24A côté de ces textes qui s’efforcent d’expliquer le caractère de Brehus tel qu’il figure dans le Tristan en Prose, il y en a d’autres, qui ne sont pas, comme Guiron le Courtois, étiologiques, se situant donc dans l’espace-temps des « pères », mais qui prennent place dans le cadre chronologique du Tristan en prose. Ces textes-ci reprennent et développent les aspects négatifs du personnage de Brehus. Je voudrais ici commencer par le MS de PARIS, BN fr. 24400, qui contient une version très particulière du Tristan en Prose49. Ce manuscrit, certes tardif, mais pas autant qu’on ne le dit50, continue en effet la narration des événements là où tous les autres manuscrits du Tristan en Prose s’achèvent. Il relate notamment une tentative de vengeance dirigée contre Marc par Dinadan et l’assassinat de ce dernier par Mordret et Agravain, qui est annoncé dans tous les manuscrits51, mais raconté uniquement ici. Le récit se termine sur une Mort Artu abrégée52, après avoir rapporté un certain nombre d’aventures qui ne sont conservées nulle part ailleurs. Brehus sans Pitié intervient de façon cruciale à deux reprises, causant d’une part la disparition d’un des derniers des « justes » de Logres et de l’autre, indirectement, la disparition du royaume. C’est en effet à cause de lui que meurt Dinadan. Celui-ci, aigri et transformé depuis la mort de son ami Tristan, avait, contre son habitude, pris une demoiselle en son conduit. Immanquablement, Brehus a surgi et Dinadan a été obligé de se battre. Couverts de blessures, les deux chevaliers interrompent le combat lorsqu’arrive une dame voilée (qui n’est autre que Morgue) qui repart avec Brehus53. Dinadan, fatigué et affaibli par le combat contre Brehus, n’aura plus la force de se défendre quand Mordret et Agravain se rueront sur lui un peu plus tard54. C’est Hector qui le ramènera, conformément à son dernier voeu, vers les compagnons de la Table Ronde, auprès de qui il rendra l’âme. Brehus a donc ainsi contribué à éliminer, après Tristan, Palamidés, Erec et tant d’autres, un des derniers survivants du roman de Tristan, réduisant de cette sorte les dramatis personae, en préparation de ce dernier acte que sera la Mort Artu, à celles du cycle du Lancelot-Graal.
25Mais Brehus, dans ce MS fr. 24400, fera encore pire, car c’est lui qui annoncera à Arthur la nouvelle de l’adultère de la reine. Les termes qu’il choisit sont suffisamment intrigants pour être cités ici. Ayant rencontré Arthur tout seul et sans armes lors d’une partie de chasse, Brehus, qui chevauche toujours armé, hésite à le mettre à mort et s’apprête à partir.
« -Et porcoi m’apargniez vos donc ? fait li roi. -Por ce, fait Breü, que je sai tos sertennemant qu ‘il n ‘ait orendroit an cest monde remet que. ij. chevalier tant soulemant : vos an estel li unz sant doute, a Lancelot si est li atre. Et que l’un de vos.ij. ociroit, il meteroit a mort tos li monde, car vos.ij. mainteneit le monde. Ne je ne vuel pait ansi faire com fist li roi Marc, qui d’un soulz cop mist a mort tos le monde et a destrusiont, bien savez de coi je vuel dire. Et nonporcant, se Diex me sal, si acun atre vos ocioit, mai que par mon porchait ne fut, il ne m’an chadroit grammant, car vos esteit li hons don monde que plus m’ai greveit tos adés. Mais par ma main ne morez vos ja, se Diex plait, par atru vos dont Diex la mort que par moi ! »55
26Mais Arthur insiste et poursuit Brehus, car il veut savoir à qui il doit sa vie. Quand il apprend que c’est Brehus, il en est ébahi. C’est alors que Brehus commence à lui parler en termes ambigus des bruits qui courent sur lui et la reine.
« Si qui plus met sont cuer an feme, si est si qui plus an est honit an la fin. Je connois tant le fait d’amor que li plus prudome de cest monde an est honit et aviliet dont tos. Et de sai honte yrait tos li monde parlant tant corn li siècle durerait. Et qant je voit que si prudome an est honit, vuel tu donc que je y mette mon cuer ? Nenil, voir ! Je ne l’i meterait mie, Dexm’an garde ! » Qant li roi antant cest parolle, il an devient tos esbahi. « Di voit, fait il, de eu dis tu qu’i est li plus prudome don monde ? -Serte, fait Breii, se es tu. Tu es li plus prudome don monde a li plus honis que je saiche. Onque li roi Marc de Cornuaille ne [235d] fut plus honit que tu es. Et ceu que je te voit disant seivent sertennemant preque tu si dont roiame de Logre. »56
27Ainsi, Brehus achève ce que Morgue avait essayé de faire lorsqu’elle écrivait une lettre anonyme à son frère pour dénoncer les amours coupables de Lancelot et Guenièvre. La complicité de Brehus et de Morgue ne fait pas de doute pour l’auteur du MS de PARIS, BN fr. 24000, comme l’illustre leur parfaite entente, fondée sur leur réputation réciproque, quand ils lient connaissance après le combat de Brehus contre Dinadan57 dont j’ai parlé plus haut. Pour terminer, j’aimerais examiner deux textes qui connaissent et développent cette complicité, intéressante pour notre propos, parce qu’elle montre comment le personnage de Brehus, cavalier solitaire qui n’écoute que son propre désir dans la Vulgate du Tristan en Prose, finit par s’inscrire dans une sorte de coalition avec un véritable objectif, qui est de nuire à Arthur58.
28Tous ces textes qui associent Brehus à Morgue prennent sans doute racine dans un bref passage contenu dans la Vulgate du Tristan en Prose, où l’on apprend que Brehus est au courant des prouesses de Tristan, car le jour devant avoit il esté chiés Morgain ki mout li voloit grant bien59. A partir de cette remarque, les Prophéties de Merlin60 et le MS de PARIS, BN fr. 1259961 rapprochent les deux personnages à un point tel qu’on peut se demander s’ils ne sont pas devenus amants. Ainsi, comme le rapporte ce dernier manuscrit, Morgue ne ménage pas ses efforts quand elle apprend que Brehus a été fait prisonnier par ses ennemis. Elle offre d’abord une rançon considérable comprenant son chastel et mil mars d’arjant et.xx. chars chargie(e)z de dras, que de laine que de soie62 et mène ensuite une opération magico-militaire pour libérer Brehus de sa prison.
Elle gieta ses ars et son enchantement dont il avint illec par senblant.iiij. lions que bien fu avis alfevre [= un forgeron qui était venu pour enchaîner Brehus] que il venissent por lui dévorer et lors se mist en fuie por sauver s’ame. Lo ciers63 comence a nercir et li vent et la tenpeste i vint si grant que nules des gardes que Breüz gardoi[en]t n ï osa demorer, ainz fuirent por garentir lors chevax de mort. Apres la tenpeste i vint la scurtez si grant dedenz lor porpris que [275c] nuns ne veoit l’un l’autre. Que vos diroie ? Lors descendi Morgaine et prist Brehuz et li deslia les piez et les mains, que encore estaient lieez d’une corde, et puis le fist monter sor un chevau fort et isnel, et en tel manière oissirent hors dou porpris de la tor.64
29Les Prophéties de Merlincontinuent à rapprocher Brehus et Morgue. Brehus entre et sort chez elle comme il veut, et c’est lui aussi qui soigne l’enchanteresse qui commence à ressentir le poids des ans lorsqu’elle se fait rosser de coups par Sebille, une jeune rivale, égalemement enchanteresse65. Brehus et Morgue ne semblent toutefois pas être amants, comme il résulte clairement de ce même passage : Morgue et Sebille s’étaient en effet disputées au sujet du beau Belengier, qu’elles convoitaient toutes les deux. Il est clair par contre, dans les Prophéties de Merlin, que les « méchants » resserrent les rangs et se réunissent eux aussi -comme des compagnons d’une Table Ronde maléfique- pour échafauder de sombres projets et se raconter de sinistres exploits. Ainsi, l’auteur des Prophéties de Merlin nous dit à propos d’un banquet auquel participent, outre Morgue et Brehus, les enchanteresses Sebille et la reine de Norgalles
Dont jou vous di certainement ke onques mais a celui tans ne fu une table ausi garnie de felounie comme cele estoit. Se Melyagans de Gorre, et li rois Mars de Cornuaille, et li rois Claudas de la Deserte, et Carados li grans jaiant de la Dolerouse Tour, et Agrevains li Orgeilleus i fust, et Brandis de la Dolerouse Cartre i fuissent assis a cele table, ele eiist esté si garnie de felounie que trestout le monde peiist on a celui tans cerkier, n’eiist on trouvet la moitiet de felounie ne de traïson corn il avoit illuec et en chiaus dont jou vous ai fait mentium chi devant.66
30Nous voyons ici la dernière transformation du personnage de Brehus sans Pitié. Le combattant solitaire qui dans le Tristan en Prose agissait exclusivement pour son propre plaisir, violent et asocial, a fini par s’insérer lui aussi dans un système, même si c’est une alliance de « subversifs » qui vise à miner le pouvoir du roi.
31La toute dernière transformation du personnage est celle que se réserve Brehus lui-même : quand une jolie fille, qui ne le reconnaît pas, veut savoir pourquoi il est à pied, il lui pose à son tour une question. Il lui demande si elle a déjà entendu parler de Brehus sans Pitié. Elle lui dit que oui, mais qu’elle ne sait pas ce qu’il est devenu, car certains disent qu’il est mort, alors que d’autres affirment qu’il est bien vivant. « Ils ont tort ceux-ci », réplique, toujours incognito, Brehus, il le sait avec certitude puisque c’est à cause de lui qu’il se retrouve sans cheval. Le scélérat « est mort et s’en vet jorz et nuit parmi ceste foreste ociant tos les chevaliers que il trove »67. Ainsi, Brehus sans Pitié continuera à nuire au-delà même de la mort, même trépassé, il continuera à effrayer les pucelles et attaquer les chevaliers, comme l’esprit du Mal, qui hante les romans arthuriens en prose.
Notes de bas de page
1 On apprend seulement, par le MS de CHANTILLY, Musée Condé 642, et une brève liste contenue dans un imprimé de Guiron le Courtois, qu’il porte de sable au dragon d’argent. Cf. Michel PASTOUREAU, Armoriai des Chevaliers de la Table Ronde, Paris, Le Léopard d’Or, 1983, p. 54. Il est fort probable que cette absence s’explique par le fait que le fait que Brehus est un personnage dévalorisé (un phénomène analogue s’observe par exemple aussi à propos de Claudas de la Deserte). Les armoriaux connaissent pourtant tous Brehus sans Pitié, car il est mentionné au moment où est introduit le lignage des Bruns : le MS de PARIS, BN fr. 1437, fol. 6r° dit à ce propos que Phebus le Fort en faisait partie, Phebus qui fut ensevely en une cave ou Brinenes [PARIS, BN fr. 12597, fol. 3r° : Bruns] sans Pitié entra unefoiz, mais de celluy ne vous parleray je plus.
2 La meilleure analyse du personnage de Brehus sans Pitié est celle d’Emmanuèle BAUMGARTNER, Le « Tristan en Prose », Essai d’interprétation d’un roman médiéval, Genève, Droz, 1975 (Publications Romanes et Françaises CXXXIII), pp. 198-99.
3 Cf. les deux répertoires de G. D. WEST, An Index of proper Names in Arthurian Verse Romances, 1150-1300, Toronto, Toronto University Press, 1969, (University of Toronto Romance Series 15) et An Index of proper Names in Arthurian Prose Romances, Toronto, Toronto University Press, 1978, (University of Toronto Romance Series 35), s. v. Brun, Brehu et les différents renvois.
4 The Continuations of the Old French « Perceval » of Chrétien de Troyes, vol. III, part 1, The First Continuation, edited by William ROACH, Philadelphia, American Philosophical Society, 1952, vv. 3788-92.
5 The Continuations of the Old French « Perceval » of Chrétien de Troyes, vol. IV The Second Continuation, edited by William ROACH, Philadelphia, American Philosophical Society, 1971, vv. 25766-772.
6 GERBERT DE MONTREUIL, La Continuation de « Perceval », t. I, éd. par Mary WILLIAMS, Paris, Champion, 1924, (CFMA 28).
7 « Veirement n’i avez vos per », / Ce li a dit Bruns sanz pitié ; / « Bien deit estre joian(z) et lié(z) / « Messire Keis li seneschaus [...] Le Conte du Mantel, éd. par F. A. WULFF, Romania XIV, (1885), pp. 343-88, vv. 414-17.
8 L’Atre Périlleux, éd. par Brian WOLEDGE, Paris, Champion, 1936, (CFMA 76). L’épisode en question ne se trouvant que dans un MS (sur trois), il a été relégué en appendice par l’éditeur.
9 L’Atre Périlleux, éd. cit., Appendice, vv. 559-61.
10 Brian WOLEDGE, « L’Atre Périlleux ». Etude sur les manuscrits, la langue et l’importance littéraire du poème, avec un spécimen du texte, Paris, Droz, 1930, p. 28 ss. Il y a effectivement un problème dans l’enchaînement de l’action tel que le passage se lit dans le MS de PARIS, BN fr. 1433. En outre, cet épisode se distingue du reste du texte par un certain nombre de traits linguistiques qui lui sont propres.
11 Sur ce manuscrit, on peut consulter Lori WALTERS, « The Création of a "Super Romance", Paris, BN fonds français MS 1433 », The Arthurian Yearbook I (1991), pp. 3-25.
12 A. DICKSON, Valentine and Orson. A study in late Medieval Romance, New York, Columbia University Press, 1929, pp. 80 ss. En outre, on peut ajouter l’épisode de Guiron le Courtois correspondant au § 198 de l’analyse de Roger LATHUILLIÈRE, « Guiron le Courtois ». Etude de la tradition manuscrite et analyse critique, Genève, Droz, 1966.
13 Les occurrences se situent toutes au début du roman (qui correspond au vol. VII de l’éd. Micha, Lancelot, roman en prose du xiiie siècle, éd. par Alexandre MICHA, Paris-Genève, Droz, 1980 (TLF 288). En voici la liste : XXXVa, 6 ; XXXVIIa, 1-4, 6, 8, 10, XXXIX, 1-5, 7 ; XLI, 4, 5.
14 Lancelot, éd. MICHA, op. cit., p. 396.
15 Ibid., p. 398.
16 Ibid., p. 399.
17 Ibid., p. 405.
18 Ibid., p. 403.
19 « Une chose voeil je que vous sachiés, fait il a mon signor Gauvain, que ches.Il. pucheles vous seroient ja moult fort a tolir, puis il ajoute malicieusement par si que je vous vausisse aidier. - C’est voirs, fait mesire Gauvain, et se vous ne m’aidisiés, vous sériés desloiax. », lbid., p. 406.
20 Une première fois déjà, il a su organiser un guet-apens. Vingt chevaliers viennent attaquer Gauvain, d’autres, entretemps, lui dérobent les pucelles. Lorsque Gauvain proteste : « Signor, c’est moult vis chose et couardise que vous faites, que d’une part vous combates .XX. a moi et d’autre part me taut l’en mes puceles. » (p. 409) Brun dit que c’est de bonne guerre, puisque « vous vous estes desloiaument menés vers moi de mes convenences » (lbid. ). Gauvain réussit cependant à récupérer les demoiselles, ce qui donne lieu à une autre embuscade de Brun (p. 422).
21 Ibid. p. 423.
22 Il apparaît à plusieurs reprises dans la Suite-Vulgate (The Vulgate Version of Arthurian Romances, éd. par H. O. SOMMER, vol. II, L’Estoire de Merlin, Washington, Carnegie Institution, 1908, Carnegie Institution of Washington Publication 74 [réimpr. New-York, AMS Press, 1979]) : pour l’auteur de la Suite-Vulgate, Brehus est en personnage positif. Il apparaît, sire de Salerne, aux côtés de Clarion pour se battre contre les Sesnes (p. 177), puis est élu, avec le seigneur de la Dolereuse Tour pour garder un passage (p. 188). Plus loin, il apparaît à deux reprises parmi d’autres rois qui se battent contre les Saxons (pp. 94 et 294). Il y a là d’ailleurs un petit problème, car dans les deux listes il est question à la fois du sires de Salegne (p. 294, ligne 39) et de Brehus [ !] sans Pitié (p. 294, ligne 40). Page 297 on lit sires de Salergne (ligne 35) et Brun [ !] sans Pitié (ligne 33). En l’absence d’une édition critique de ce texte, toute conjecture serait hasardeuse.
23 Ce sont précisément les événements « historiques » de la Suite-Vulgate, où apparaissait Brehus, qui ont été éliminés de la Suite romanesque. Cf. Merlin. Roman en Prose du xiiie siècle, éd. par Gaston PARIS et Jacob ULRICH, Paris, SATF, 1886 (2 vol.).
24 Le Livre d’Artus (The Vulgate Version of Arthurian Romances, éd. par H. O. SOMMER, vol. VII, Supplément : Le Livre d’Artus, Washington, Carnegie Institution, 1913,) a été conçu pour remplacer et compléter la Suite du Merlin. On pourrait par conséquent s’attendre à ce que le rôle de Brun sans Pitié y soit assez semblable à celui qu’il joue dans la Suite-Vulgate. En vérité, les choses sont plus compliquées : p. 116 apparaît Branduz, un chevalier ennemi d’Arthur et avoit un suen cosin en sa compaignie qui tout ice li faisoit faire, la plus desleaux riens qui onques nasquist, et avoit non Bre[h]us sans Pitié. C’est Brehus qui propose de faire appel aux Sesnes pour combattre Arthur.
25 Le Roman de Tristan en prose, éd. par Renée L. CURTIS, tome I, Cambridge, D. S. Brewer, 1985, [Munchen, Huber, 1963], (Arthurian Studies XII), §§ 415-17.
26 Tristan, éd. CURTIS, op. cit., I, § 417.
27 Le Roman de Tristan en prose, publié sous la direction de Ph. MÉNARD, vol. II, éd. par Marie-Luce CHÊNERIE et Thierry DELCOURT, Genève, Droz, 1990 (TLF 387) § 90.
28 Le Roman de Tristan en prose, publié sous la direction de Ph. MÉNARD, vol. IV, éd. par Jean-Claude FAUCON, Genève, Droz, 1991, (TLF 408), § 151.
29 La prudence de Tristan s’explique pour ce que Brehus ne cevauchoit mie granment par la forest qu’il, a tout le mains, n’eiist III. cevaliers u .IIII. qui tout pensoient a deshonour et a honte faire a aucun cevalier preudomme s’il le trouvaissent desarmé. Le Roman de Tristan en prose, publié sous la direction de Ph. MÉNARD, vol. VI, éd. par Emmanuèle B-AUMGARTNER et Michèle SZKILNIK, Genève, Droz, 1993, (TLF 437), § 23.
30 Le Roman de Tristan en prose, publié sous la direction de Ph. MÉNARD, vol. V, éd. par Denis LALANDE avec la collaboration de Thierry DELCOURT, Genève, Droz, 1992, (TLF 416), § 147.
31 Le Roman de Tristan en prose, publié sous la direction de Ph. MÉNARD, vol. III, éd. par Gilles ROUSSINEAU, Genève, Droz, 1991, (TLF 398), § 9.
32 Il rejoint ainsi, bien que sur un autre niveau, les autres « misfits » Keu et Dinadan qu’évoquait Keith BUSBY, « The Likes of Dinadan : the Role of the Misfit in Arthurian Literature », Neophilologus 67 (1983), pp. 161-174. Brehus incarne tout ce qui est contraire à toutes les valeurs de la cour, alors que d’autres « misfits » les assument au moins en partie, même s’ils les critiquent.
33 II y a naturellement aussi d’autres chevaliers qui sont caractérisés par une qualité. Mais en général on sait d’où ils viennent et de quel lignage ils sont.
34 Ainsi, Palamidés et une demoiselle passent une fois devant une tour ki estoit uns des rechés du monde que Breus sans Pitié amoit plus et u il se reposoit plus volentiers, où ils trouvent Breiis, ki a chelui point estoit devant sa porte tous armés pour savoir s’il poroit trouver mal a faire. Tristan, éd. Ménard, vol. III, op. cit., § 201.
35 Il y a de très nombreuses occurrences dans le roman. Voici le relevé pour les VI premiers volumes de l’édition en cours de publication (la partie éditée par R. Curtis ne contient pas d’allusion à la rapidité de son cheval). Vol. II, § 89, III, § 8, IV, § 152, V, §§ 17 et 22.
36 Tombé de son cheval, il resaut sus mout vistement, espoentés de grant manière, car a ce k ‘il se voit a pié et entre ses anemis, il n ‘est mie très bien a seiir, anchois est une cose ki en grant doute le met. Il se drece mout vistement et vient a son ceval et monte si esranment que, avant que Dynadans fust retournés ne k’il eiist sa pointe parfurnie, fu il ja desus le cheval. Tristan, éd. MÉNARD, vol. IV, op. cit., § 152.
37 Ainsi, Tristan ne reconnaît pas Brehus quand il le rencontre près d’une fontaine, car souvent cangoit ses armes. Tristan, éd. MENARD, vol. V, op. cit.,§ 10.
38 II est vrai que Brehus, comme tous les autres chevaliers arthuriens, possède « ses » armes. Cf. supra, note 1. Dans les armoriaux, il s’agit d’un écu de sable au dragon d’argent. Dans les romans en prose, Brehus porte plutôt un escu noir a un lyon blanc (Tristan, éd. MÉNARD, vol. II, op. cit., § 94). Il est intéressant de constater que ces armes lui ont été en quelque sorte imposées. Telle est au moins la version des faits donnée par Guiron le Courtois. Brun le Félon, le père de Brehus, porte un écu qui ressemble par trop à celui du Bon Chevalier sans Peur, ce qui donne lieu à une série de quiproquos malencontreux. Le Bon Chevalier sans Peur finit par traquer Brun et lui interdit le port de son écu. Brun est obligé d’en prendre un autre qui est précisément de sable au lion d’argent (LATHUILLIÈRE, op. cit., § 170).
39 Tristan, éd. MÉNARD, vol. V, op. cit., §§ 9-23.
40 On peut voir, à ce sujet, l’emploi que fait du personnage Girart d’Amiens, (vers 1280) dans son roman arthurien en vers Escanor. Pour une rapide analyse, on pourra lire notre communication « De la Prose au Vers. Le cas Dinadan dans l’Escanor de Girart d’Amiens », Actes du XXe Congrès de la Société Internationale de Linguistique et Philologie Romanes, Université de Zurich, (6-11 avril 1992), publiés par G. HILTY en collaboration avec les présidents de section, Tübingen-Basel, Francke, 1993, t. V, pp. 401-12, en particulier p. 407.
41 Celle-ci semble être la généalogie « commune » de Brehus (LATHUILLIÈRE, op. cit., §§ 141, 170, 203) attestée par un bon nombre de manuscrits. Celle qui est donnée par le MS PARIS, BN fr. 340, signalée par BAUMGARTNER, op. cit., p. 199, note 37, qui fait de lui un fils de Merlin, semble isolée.
42 LATHUILLIÈRE, op. cit., § 141. Conservé dans le seul MS de LONDON, BL Add. 36880.
43 LATHUILLIÈRE, op. cit., §§ 15-16. Nous citons d’après le MS de PARIS, BN fr. 350.
44 MS BN fr. 350, fol. 24a : çou estoit Brehus sens Pitié, qui a celui tens avoit esté novel chevalier. Li roi Artus meesmes Vavoit feit novel chevalier corn ge l’ai devisé cha arieres en mon livre del Bret.
45 Le manuscrit porte et.
46 MS BN fr. 350, fol. 24b.
47 Le Morholt ne mourra d’ailleurs pas, car le Bon Chevalier sans Peur, informé et assisté par Brehus, parviendra à le libérer.
48 LATHUILLIÈRE, op. cit., §§ 107-11 et 172-74.
49 Un résumé des épisodes qu’il comporte se lit dans Eilert LOESETH, Le roman en prose de Tristan, le roman de Palamède et la compilation de Rusticien de Pise. Analyse critique d’après les manuscrits de Paris, Paris, 1890 (Bibl. de l’Ecole des Hautes Etudes LXXXII) [réimpr. Genève, Slatkine, 1974] §§ 571a-619 ; la seule interprétation du « sens » de cette suite est celle d’Emmanuèle BAUMGARTNER, op. cit., pp. 84-85.
50 On peut le dater à l’aide du filigrane, qui a été utilisé par des presses de Metz dans la deuxième moitié du xve siècle. Cette localisation est confirmée par la langue qui est fortement lorraine.
51 Tristan, éd. MÉNARD, vol. IV, op. cit., § 155.
52 Les MSS de Paris BN fr. 112 et 757 s’achèvent également sur une Mort Artu. Le premier à la suite d’une vaste compilation d’aventures tirées de toutes sortes de textes arthuriens (cf. Cedric E. PICKFORD, L’Evolution du roman arthurien en prose vers la fin du Moyen Age d’après le manuscrit 112 du fonds français de la Bibliothèque Nationale, Paris, Nizet, 1960), le deuxième à la suite du Tristan en Prose.
53 MS Paris, BN fr. 24400, fol. 226-27.
54 Ibid, fol. 229ss.
55 Ibid, fol. 235b.
56 Ibid., fol. 235d.
57 Ibid., fol. 227d.
58 Sur l’évolution du personnage de Morgue, on peut lire Fanni BOGDANOW, « Morgain’s Role in the Thirteenth-Century Prose Romances of the Arthurian Cycle », Médium Aevum, XXXVIII (1969), pp. 123-33.
59 Tristan, éd. MÉNARD, vol. II, op. cit., § 91.
60 Brehus apparaît à plusieurs reprises dans ce texte. Les passages auxquels renvoie le répertoire de WEST, op. cit., s. v. « Brehus » ne se trouvent pas dans l’édition Paton (Les Prophecies de Merlin, edited from MS. 593 in the Bibliothèque Municipale of Rennes by Lucy Allen PATON, New-York/London, Heath/Oxford University Press, 1926). West se réfère en réalité au résumé donné en annexe (pp. 371-448). C’est l’analyse des passages « narratifs » omis par le MS de base de l’édition Paton, mais qui se trouvent dans les MSS du « groupe I ». Le MS E de ce groupe a entretemps été édité : Les Prophesies de Merlin, (Cod. Bodmer 116), éd. par Anne BERTHELOT, Coligny-Genève, Fondation Bodmer, 1992 (Bibliotheca Bodmeriana. Textes VI).
61 Sur ce MS, on peut lire LATHUILLIÈRE, op. cit., pp. 754-77 et BAUMGARTNER, op. cit., pp. 63-67.
62 MS PARIS, BN fr. 12599, fol. 271a.
63 Pour ciels.
64 MS PARIS, BN fr. 12599, fol. 272b-c. La graphie du MS est fortement italianisante.
65 Prophesies Merlin, éd. BERTHELOT, op. cit., p. 211.
66 Ibid., p. 277. Pour faciliter la lecture, nous avons mis les signes diacritiques habituels et fait la distinction entre j et i.
67 MS PARIS, BN fr. 12599 fol. 276a.
Auteur
Université de Zurich
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