Les orphelins de père dans l’œuvre romanesque de Jean Renart
p. 273-285
Texte intégral
1Pour ses deux romans, Jean Renart a choisi comme héros des orphelins de père. Dans Guillaume de Dole1, la mort du père précédant le début du récit, les héros sont orphelins de père dans l’ensemble du roman. Dans l’Escoufle2, l’absence du père est d’autant plus importante qu’elle survient dans le cours du récit après un mouvement ascensionnel dont l’acteur principal est précisément le père, Richard de Normandie : la mort du père y est non seulement narrée, mais - qui plus est - elle est présentée comme un moment-clé dans le roman, comme un événement qui entraîne un renversement de situation, comme l’événement sans lequel il n’y aurait pas eu de roman de l’Escoufle3.
2Dans cette communication, nous nous proposons d’étudier d’abord les conditions de vie des orphelins de père, de voir ensuite quelles sont les conséquences qu’entraîne la disparition du père (valorisation du personnage paternel, modifications dans les relations avec les autres membres de la famille, comportement adulte des enfants) et, finalement, de comparer de ce point de vue les romans de Jean Renart aux romans arthuriens pour y déceler les ressemblances et les différences dans le traitement de ce thème et dans la fonction attribuée à ce motif.
***
3Dans Guillaume de Dole, il n’est dit nulle part que les deux personnages principaux, Guillaume et Liénor, ont perdu leur père. Ils ne sont pas plus appelés orphelins que leur mère n’est appelée veuve. Dans sa description de la famille de Dole, Jean Renart n’insiste en rien sur ce qui pourrait être ressenti comme un manque - c’est-à-dire l’absence du père -, il se contente de nous énumérer les membres gui la composent : Guillaume, sa sœur Liénor et leur mère4. Et, pourtant, plusieurs indices nous montrent que cette famille sans père n’est pas épargnée de tout problème.
4Dès la présentation que Jouglet en fait, Guillaume est certes dépeint comme un seigneur5 ; mais, ce faisant le ménestrel insiste par deux fois sur la petitesse de son fief. Ainsi, Jouglet explique que le fils de la veuve de Dole se fait appeler "Guillaume de Dole" non pas parce que la ville soit soe (v. 782), mais parce que le surnom "de Dole", ville proche de son domaine, l’exhausse plus que celui du village, du plessis qu’il habite (v. 786). Nous pouvons en déduire que les terres du seigneur de Dole ne comprennent aucune ville. Le ménestrel nous apprend également que ses terres ne peuvent guère nourrir six écuyers. Voici ce que Jouglet dit à ce sujet :
[...]"Onques ne pot pestre
de sa terre .vi. escuiers..."
(vv. 763-64)
5Plus loin, Guillaume envoie une partie de l’argent que l’empereur lui donne pour subvenir aux besoins de sa famille qui doit paier la menue gent (v. 1934) et fere semer ses linieres (v. 1938). Cette précarité matérielle peut être rattachée, nous semble-t-il, à l’absence du père. Il va de soi que l’argent que Guillaume gagne au combat aurait pu être gagné par son père si celui-ci avait encore été en vie : au lieu d’être dans l’obligation de subvenir aux besoins de sa mère et de sa sœur, Guillaume aurait alors pu fonder une famille.
6Dans l’Escoufle aussi, le héros est, dès l’âge de douze ans, orphelin de père. En outre dans la mesure où Aélis et Guillaume ont grandi ensemble6, dans la mesure où le père du jeune homme était aussi un peu celui de la jeune fille, nous pouvons considérer cette dernière comme moralement orpheline de père. Dans ce roman-ci, où les héros sont plus jeunes, les problèmes matériels existen certes, mais la mère de Guillaume est là pour y faire face7. Les enfants souffrent davantage de leur faiblesse, de leur manque de pouvoir, ainsi que de la faiblesse et du manque de pouvoir de persuasion de l’empereur, qui - comme nous le verrons plus loin - fonctionne en quelque sorte comme leur "mauvais père". Alors qu’avant la mort de Richard, la fortune n’avait cessé de leur sourire, alors qu’ils avaient bénéficié de l’influence du comte normand pour se faire promettre en mariage, ils souffriront par la suite du manque de personnalité et de la faiblesse de l’empereur, leur "mauvais père" et devront désormais lutter seuls contre les envieux, mener leur propre vie et construire leur propre bonheur.
7Si les problèmes qui se posent aux héros de l’Escoufle sont d’un autre ordre que ceux qui se posaient aux personnages de Guillaume de Dole, cela peut s’expliquer par le jeune âge des héros du premier roman. Toujours est-il que les deux romans ont comme héros ont couple d’orphelins de père.
8Pour Jean Renart, le thème de l’absence du père semble revêtir une certaine importance. Pour s’en rendre compte, il suffit d’étudier le passage de l’Escoufle8 dans lequel le romancier nous narre le décès du père. En intégrant cet événement au récit après avoir décrit un mouvement ascensionnel dont l’acteur était précisément Richard de Normandie, le romancier crée un contraste entre un avant et un après. Juste avant de nous raconter la mort du géniteur, Jean Renart fait assister ses lecteurs-auditeurs au conseil où l’empereur fait promettre à ses vassaux qu’Aélis épousera Guillaume et que celui-ci sera donc son héritier. Le romancier insiste sur la joie qui anime les enfants et leurs parents et fait ressortir ainsi plus nettement le malheur qui résultera de la mort de Richard. La phrase-charnière entre les deux moments montre clairement que le décès de Richard mettra fin à leur joie :
Mais ml’t naistra par tans grans deus
En cele joie, et grant tristece,
C’uns grans maus et une destrece
Est prise au conte, et ml’t soudaine.
(vv. 2384-87)
9Non seulement Jean Renart met l’accent sur l’opposition joie / douleur9, mais il rend la maladie qui emportera le père encore plus effroyable en insistant sur la soudaineté avec laquelle celle-ci se manifeste. Il en résulte un contraste d’autant plus marqué entre le moment où les enfant bénéficiaient de l’influence de Richard à la cour et le moment où ils seront privés de sa présence.
10Or, Jean Renart ne s’est pas limité à insister sur cette opposition. Lorsqu’il décrit le décès du comte normand, il y concentre une multitude d’images évoquant les angoisses fondamentales10, à savoir la peur des ténèbres, de la chute et de la déshumanisation. Ce faisant, il souligne la peur des personnages devant la mort du père.
11Les personnages qui assistent à la scène prennent symboliquement des couleurs de ténèbres, leurs visages perdent leur aspect lumineux, leur clarté pour être marqués par la noirceur : ils sont noircis, taints et estaints11.
12L’angoisse de la chute, se retrouvera, elle aussi, tout au long du passage. Il y a la pâmoison des personnes présentes (v. 2499) et, en particulier, celle de la veuve (v. 2582) ; cette ligne descendante se retrouve encore dans l’image des larmes qui coulent contreval les faces (vv. 2457, 2443). En outre, cette chute physique est associée à une chute morale, à la hautece abaissiés (vv. 2554-55), chute morale que Jean Renart traduit également par l’image stéréotypée de la roue de la Fortune :
"Las ! fait il, de com haute roe
m’a fait hui la mors trebuchier ! "
(vv. 2614-15)
13D’autre part, le "deuil" que mènent les personnages et la violence qu’ils s’infligent les déshumanisent :
cascuns se desache et tire (v. 2489)
cascuns des enfans s’esgratine (v. 2480)
14La détérioration volontaire du corps humain se traduit ici de façon stéréotypée. A ces images typiques, viennent s’ajouter une série d’images thériomorphes :
lors commencent li cri, li plor (v. 2476)
l’empereres brait comme uns ors (v. 2478)
[...] il em ploraissent a tex cris (v. 2509)
15Les cris proférés ici rattachent ceux qui les émettent à la condition animale.
16De l’analyse de cet épisode, il résulte que toutes les angoisses fondamentales apparaissent avec la mort de Richard. Les images étudiées transcrivent les multiples angoisses ressenties devant un monde subi, devant un monde que l’on ne maîtrise pas, monde qui sera celui où Guillaume et Aélis devront désormais évoluer.
17Pour eux, la mort du comte met fin à la vie insouciante. Maintenant qu’ils sont orphelins de père, leur entourage va se révéler angoissant et hostile : ils perdront leurs privilèges et seront contraints de montrer leur propre personnalité pour regagner la place dans la société qui leur avait été assurée par la présence persuasive de leur "bon père". Désormais, ils ont un handicap social qui les poussera dans un premier temps à fuir la cour de Rome et qui les fera ensuite peu à peu déchoir jusqu’à tel point qu’ils seront contraints de travailler pour vivre.
18Qu’ils soient défavorisés socialement ou financièrement, les orphelins de père sont donc des êtres faibles, des êtres qui souffrent d’un manque. L’importance de la disparition du père ressort - comme nous l’avons vu-clairement de la description que le romancier nous en fait. A ce propos, il faut encore noter que ce n’est pas la mort en tant que telle qui intéresse le romancier et encore moins la description des souffrances de l’agonisant. Ce qui l’intéresse, ce sont les craintes et les angoisses de ceux qui restent, c’est-à-dire la veuve et surtout les orphelins. La mort de Richard ne constitue pas un aboutissement, mais doit être considérée comme un nouveau départ, y compris comme un nouveau départ de l’action. Désormais l’avant de la scène sera occupée par les jeunes orphelins qui succéderont à Richard.
19Il ressort clairement de ce qui précède que ce n’est pas par hasard que Jean Renart a deux fois choisi comme héros des orphelins de père. Tout comme les contes de fées donnent souvent le rôle principal au jeune niais, tout comme la littérature arthurienne réserve souvent ce rôle à un jeune chevalier qui n’a pas encore fait ses preuves, notre romancier donne le rôle principal à des êtres faibles, orphelins de père en l’occurrence.
20Il résulte de ce choix que Jean Renart, lorsqu’il parle du personnage paternel, a tendance à le valoriser pour accroître ainsi davantage le handicap social des orphelins de père. Ceci est très net dans l’Escoufle, où Richard est non seulement le seul personnage à ne pas montrer de faiblesses, mais où l’on note aussi une valorisation lexicale du mot pere12.
21Sur les 58 occurrences de pere, 33 renvoient à Richard, le "bon père", une occurrence de peres renvoie aux deux pères, et le terme désigne 24 fois l’empereur. Jean Renart ne nous présente pas un père unique, mais un couple de pères dont l’un sera valorisé, tandis que l’autre ne le sera pas. Alors qu’Aélis peut parler de son pere (v. 2367), voire de son bon pere (v. 3087) lorsqu’elle s’adresse à Richard ou qu’elle l’évoque, le contraire n’est pas vrai : jamais Guillaume ne parle de l’empereur comme d’un père. Sur les 24 occurrences de pere désignant l’empereur, il y en a 21 qui sont précédées d’un possessif renvoyant à Aélis, comme si Jean Renart voulait insister sur le fait qu’il ne s’agissait que du père de la jeune fille. Lorsque le mot désigne Richard, par contre, seulement 24 occurrences sur 33 sont précédées d’un possessif. Ailleurs, Richard est appelé le père, comme si l’auteur voulait effectivement l’opposer à l’empereur. Ce dernier n’est présenté que comme le père de la jeune fille, alors que le comte normand est considéré comme celui qui veut le bien des deux enfants. Il faut noter enfin que Richard qui, de son vivant, est constamment dépeint comme sage, riche et puissant, est - après son décès - appelé sept fois le bon pere13. Par cette valorisation du père défunt, Jean Renart accroît l’importance que revêt pour le héros sa disparition.
22L’absence du père modifie également les relations avec la mère. Dans l’Escoufle, le dédoublement père faible / bon père va se retrouver dans le dédoublement du personnage maternel. L’impératrice sera dépeinte comme une mauvaise mère : elle se laissera influencer par ses serfs et écartera, sur leurs conseils, Guillaume de la cour. La dame de Gênes, la mère de Guillaume, par contre, se montrera bonne dans l’ensemble du roman. Elle sera d’ailleurs à quatre reprises appelée la bonne mere14, et ceci aussi bien avant la mort de son mari qu’après. Dans Guillaume de Dole, nous trouvons la même valorisation du personnage maternel, l’épithète bone y qualifiant deux fois le substantif mere15.
23Il pourrait donc sembler que Jean Renart ait valorisé le personnage de la mère autant que celui du père. Or, le rôle que jouent les mères dans les deux romans met en évidence que la mère en général - y compris la bonne mere - est un être faible. Pour bien comprendre ce rôle, il nous faut d’abord étudier les rapports que les mères entretiennent avec leurs enfants respectifs. La "bonne mère" de l’Escoufle est un personnage effacé, vivant à distance de ses enfants, qui fait tout ce que son fils lui demande pour aider les enfants à fuir. Son aide se limite toutefois à une aide financière. Elle disparaît ensuite pour ne réapparaître qu’à la fin du récit. L’autre mère, celle d’Aélis est - comme nous l’avons vu - la cause du malheur de ses enfants.
24La mère dans Guillaume de Dole est, elle aussi, responsable du malheur de sa fille : dans le discours qu’elle tient au sénéchal, elle lui dévoile une marque-jusqu’alors bien cachée - que sa fille a sur la cuisse, montrant ainsi qu’elle ne peut pas se taire lorsqu’elle fait l’éloge de la beauté de sa fille, mais donnant aussi par la même occasion au sénéchal l’unique moyen qui puisse disgracier sa fille auprès de l’empereur16. D’autre part, nous ne la voyons jamais agir pour aider ses enfants. Bien au contraire, lorsqu’un problème surgit, ce sont ses enfants qui doivent y faire face, et lorsqu’ils la quittent, Jean Renart nous fait assister à ses larmes, voire à sa pâmoison17. Dans ce second roman, la mère non seulement n’est pas dédoublée et n’apparaît donc jamais sous son aspect positif, mais le romancier nous a décrit une mère des plus faibles.
25Les personnages maternels montrent donc des faiblesses certaines, et ne pourrront par conséquent nullement remplacer le père disparu. Pour les enfants la perte du père se double donc d’un second malheur, la faiblesse de la mère.
26Il est cependant intéressant de constater que Jean Renart a terminé ses deux romans de la même façon. Dans l’Escoufle, Guillaume et Aélis font venir leur "bonne mère" à la cour lors de leur couronnement comme empereurs pour qu’elle partage leur joie, certes, mais aussi pour qu’elle vive désormais avec eux. A la fin de Guillaume de Dole, la mère rejoint également ses enfants à la cour impériale. On peut y voir la volonté de reconstituer la cellule familiale, la marque d’un amour filial sincère et une reconnaissance à l’égard de la veuve qui semble avoir fait tout ce qu’elle pouvait pour que ses enfants ne soient privés de rien, alors que ses conditions de vie n’étaient pas toujours des meilleures et que ses ressources étaient limitées, mais il faut également y voir une aide pour quelqu’un de faible.
27Le comportement des orphelins de père à l’égard de leur mère n’a - comme nous l’avons montré - rien de surprenant. Dans Guillaume de Dole, une autre relation entre parents, la relation entre le frère et la sœur, a cependant considérablement été modifiée par la suite du décès du père. Guillaume, qui empêche sa sœur d’être avec d’autres gens en son absence, semble vouloir se réserver le droit de marier sa sœur. Ce n’est pas à la mère que revient cette décision, mais à lui. A l’égard de sa sœur, il a donc d’une certaine façon un comportement paternel. D’autres personnages semblent d’ailleurs lui conférer ce rôle. Lorsque l’empereur lui parle de ses projets de mariage, il en parle comme s’il parlait au père de sa bien-aimée. En l’absence du père, le frère se sent responsable de l’avenir de sa sœur.
28Or, il faut noter que Guillaume aussi se montrera faible. Lorsqu’il apprend que l’empereur n’épousera pas sa sœur parce que celle-ci n’est plus vierge, Guillaume en sera abattu18 à tel point qu’il restera à la cour et que ce sera son neveu qui devra se rendre à Dole pour annoncer la nouvelle, et que Liénor elle-même devra se rendre à la cour pour plaider sa propre cause. Lienor commence donc à agir lorsque le seul être sur qui elle pouvait compter se montre à son tour faible. Guillaume rejoint effectivement les autres membres de la famille qui n’avaient pu aider la jeune fille : le père par son absence, la mère par sa faiblesse. Il est intéressant de constater que l’opposition entre un être faible et un personnage fort a été inversée chez les enfants : c’est Liénor qui joue le rôle principal, c’est elle qui prend le relais du père, et non son frère. Notons également que Liénor, à la fin du roman, accueille à la cour non seulement sa mère, mais aussi son frère, personnage devenu faible qui dépendra, lui aussi, désormais d’elle, dans sa description des préparatifs de départ de Liénor, Jean Renart a intégré une comparaison pour le moins révélatrice : il nous dit qu’aucune orpheline n’a jamais rassemblé un trousseau comparable à celui de la damoiselle de Dole. Si nous considérons qu’il s’agit de la seule utilisation du terme orfe (v. 4068) dans l’ensemble du roman, nous ne pouvons négliger ce détail. En comparant la jeune fille à une orpheline, Jean Renart l’assimile à la fois aux autres orphelines et l’en distingue : orpheline, elle l’est et c’est précisément cette faiblesse, ce manque qui accroît l’importance de sa décision de prendre son sort en main, de se comporter en adulte.
29Dans l’Escoufle, Guillaume et Aélis sont encore des enfants, mais les circonstances sont telles qu’ils doivent, eux aussi - comme des adultes - mener leur propre vie. Ils se verront même obligés de trouver du travail pour vivre. Tous se comportent donc en adultes pour faire face aux problèmes, lorsqu’ils ne bénéficient plus de l’appui de leurs parents.
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30Une valorisation certaine du père, une certaine faiblesse de la mère rendent la vie des héros de Jean Renart plus ardue. Si le romancier a choisi des orphelins de père comme personnages principaux et qu’il ait autant insisté sur les difficultés que ceux-ci rencontrent, c’est pour donner en quelque sorte un handicap social et psychologique à ses héros.
31En outre, si l’on ne perd pas de vue que nous avons plus affaire ici à l’histoire d’une ascension sociale qu’à un récit d’individuation, le thème de l’absence du père prend encore plus d’importance. Dans ces romans qui mettent en jeu deux jeunes gens qui, bien que par leur naissance de condition sociale inférieure, accèdent aux plus grands honneurs par leur valeur personnelle, l’absence de père augmente la valeur des prouesses accomplies et l’importance de l’ascension sociale.
32Tout comme dans le roman arthurien, l’absence du père est une donnée initiale qui déclenche l’action. L’Escoufle, plus proche dans sa structure de la littérature arthurienne, nous présente des orphelins de père pour qui l’absence du personnage paternel aura son importance aussi bien dans l’individuation des enfants que dans leur ascension sociale. Dans Guillaume de Dole, par contre, l’absence du père est avant tout dépeinte comme un manque social qui rend l’ascension sociale plus difficile. Jean Renart, qui a éliminé l’aventure merveilleuse avec ce qu’elle comportait en épreuves et en luttes à fournir contre des adversaires souvent surnaturels pour la remplacer par l’ascension sociale des héros, a néanmoins voulu garder l’aspect d’épreuve. Le fait de réussir sans l’appui paternel représente pour les héros de ses deux romans un exploit19.
Notes de bas de page
1 JEAN RENART, Le Roman de la rose ou de Guillaume de Dole, éd. Félix LECOY, Paris, Champion, 1962 [C.F.M.A.].
2 JEAN RENART, L’Escoufle. Roman d’aventure, éd. Franklin SWEETSER, Paris, Genève, 1974 [T.L.F.].
3 Jean Renart, à la fin de l’Escoufle, présente le vol de l’aumônière par l’escoufle comme le moment-clé du récit (vv. 9093-94). Or, il faut accorder autant d’importance à la mort de Richard qui constitue un premier renversement de situation et qui porte en elle le reste du récit, entre autres la fuite de Rome et la halte au bord du ruisselet, où l’escoufle surviendra.
4 Vv. 1236-38 et 1288-89.
5 Entre le moment où Jouglet donne, en quelque sorte, vie à Guillaume et le moment où le messager de l’empereur le rencontre, nous trouvons les appellations et éléments de description suivants : chevaliers (v. 765), segnor (vv. 882, 937, 967), sire (vv. 962, 976) ; de haut non (v. 749), ses renons (v. 769), de mout gregnor pris (v. 769), ses qranz pris (v. 769) ; il a terre et avoir assez (v. 772).
6 Jean Renart pour accentuer le fait que leurs sorts respectifs sont liés dès leur naissance, les fait naître le même jour et se plaît même à souligner qu’ils se ressemblent comme frère et sœur. Nous voyons dans le thème de la gémellité l’annonce d’un destin commun.
7 Les problèmes financiers n’apparaîtront que plus tard : ils surviendront après la séparation, lorsque l’argent aura été dépensé pendant de longues errances à la recherche de l’ami disparu.
8 Pour une étude détaillée de cette scène, cf. notre communication, Le feu, image matérielle omniprésente dans l’Escoufle de Jean Renart, dans L’image au moyen âge. Actes du colloque d’Amiens, mars 1986 [sous presse].
9 Voici les occurrences des mots signifiant la joie dans les vers 2352-2385 : riant (v. 2352), maln ié (v. 2356), dolor nié (v. 2356), joie (vv. 2360, 2385), delit (vv. 2373, 2375).
10 Dans les paragraphes qui suivent, nous reprendrons la terminologie durandienne, cf. Gilbert DURAND, Structures anthropologiques de l’imaginaire. Introduction à l’archétypoloqie générale, Paris, Bordas, 1969.
11 Noircis : vv. 2471, 2544, 2621 ; taint : vv. 2471, 2498, 2621 ; estaindre : v. 2472.
12 Dans Guillaume de Dole, le mot pere n’apparaît que trois fois ; or, il faut noter qu’il n’y désigne jamais le père décédé des héros.
13 Vv. 2841, 3087, 3405, 3707, 7520, 8185, 8413.
14 Vv. 1754, 1813, 1958, 3638.
15 Vv. 5049, 5472.
16 Cf. au sujet de l’ambiguïté du personnage maternel, le livre de Michel ZINK, Roman rose et rose rouge. Le Roman de la rose ou de Guillaume de Dole de Jean Renart, Paris, Nizet, 1979, pp. 45 et ss. ; cf. aussi Félix LECOY, éd. cit., p. xii.
17 Lors du départ de son fils, elle pleure (v. 1282) ; lors du départ de a fille, sa détresse est telle qu’elle s’évanouit (vv. 4080-99) et qu’elle est par les braz menée en un lit (v. 4097).
18 Le texte nous apprend qu’il a failli tomber en pâmoison : Mout pres s’en va qu’il ne se pasme
por la destrece de cest mot.
(vv. 3730-31)
19 Cf. à ce sujet Jean-Charles PAYEN, Structure et sens de Guillaume de Dole, in Etudes de langue et de littérature du moyen âge offerts à M. Félix Lecoy par ses collègues, ses élèves et ses amis, Paris, 1973, pp. 483-498 ; Michel JACQUELINE, Structure et sens de "Guillaume de Dole", mémoire de maîtrise dactylographié, Caen, 1971.
Auteur
Université d’Anvers
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