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Le transport, vecteur de changement dans les organisations logistiques

Réflexion sur le rôle de l’État

p. 107-114

Résumés

L’objet de ce chapitre est de s’interroger sur les conséquences des modifications actuelles des marchés du transport sur les organisations logistiques. Le transport a accompagné la mondialisation et l’adoption des flux tendus mais il connaît aujourd’hui des tensions qui pourraient remettre en cause les schémas développés. L’attention est portée sur le rôle de l’État, acteur traditionnel du secteur du transport soit comme transporteur, comme régulateur ou aménageur et, selon nous, comme organisateur potentiel dans une logique de création de valeur partagée.

The purpose of this chapter is to analyze the consequences of current changes in transport markets on logistical organizations. Transport has accompanied globalization and the JIT strategy but he knows today some tensions that could challenge the logistical organizations. The focus is on the role of authorities, traditional actor in the transport sector either as carrier or as a regulator and developer, also as potential organizer in a logic of shared value creation.


Texte intégral

1Le transport est indissociable des organisations logistiques des entreprises. Il en constitue un élément important de maîtrise de l’espace et du temps (Teurnier, 2011), et rend ainsi possible tout à la fois la mondialisation des échanges et les stratégies internationales des firmes multinationales. Sans revenir sur le débat, qui concerne d’ailleurs également la logistique, de savoir s’il est un service associé au produit qui crée de la valeur et participe de l’attractivité de l’offre globale ou s’il s’agit d’un coût supplémentaire à minimiser, force est de constater que le transport redevient un élément essentiel dans la réflexion sur le design des organisations logistiques. En effet, après des années de relatif abandon lié aux démarches d’externalisation de ces activités dans le cadre du recentrage des chargeurs sur leurs compétences centrales et à des pratiques de sous-traitance en cascade qui permettaient de limiter les coûts inhérents, l’augmentation importante du prix du carburant et l’essor des préoccupations environnementales provoquent une prise de conscience renouvelée (Colin et Livolsi, 2008). En outre, l’observation des différents marchés du transport illustre la diversité des intérêts des parties prenantes qui se concrétise dans des tensions croissantes depuis quelques années et rend la réflexion encore plus pertinente.

2L’objet de ce chapitre est donc de s’interroger sur les évolutions actuelles du transport et leurs impacts sur les organisations logistiques. De façon plus précise, nous proposerons une réflexion sur le rôle de l’État (entendu au sens de l’ensemble des Pouvoirs publics qui agissent dans ce domaine) dans une possible mutation des schémas transport et donc des organisations logistiques. Le propos est structuré en deux parties. Dans la première partie, nous présentons les tensions actuelles sur les marchés du transport et, dans une seconde partie, l’évolution possible du rôle de l’État d’une vision traditionnelle à une conception plus active dans la définition et la mise en acte de ses orientations.

Tensions sur les marchés du transport

3La première partie du chapitre a pour objet de présenter, de façon volontairement synthétique, les marchés du transport en distinguant classiquement d’abord la demande, puis l’offre, avant d’évoquer les logiques de captation de valeur qui peuvent exister entre chargeurs et transporteurs.

Des organisations logistiques davantage consommatrices de transport

4Deux phénomènes expliquent la croissance très importante de la demande de transport : d’une part, la mondialisation des échanges qui entraîne une augmentation des flux internationaux ; d’autre part, les modifications des schémas productifs et logistiques davantage consommateurs de transport à l’échelle continentale ou nationale. Au niveau international, la croissance des échanges a engendré une multiplication par quatre des volumes transportés par voie maritime depuis quarante ans. Chaque année, ce sont près de 280 millions de conteneurs EVP qui sont transportés, avec un taux de croissance estimé de 10 % par an jusqu’en 2015 selon un rapport de la Cour des Comptes publié avant la crise financière. Même si cette dernière a freiné cet essor du commerce mondial, le développement d’un certain nombre de pays, au premier rang desquels le quatuor Brésil/Russie/Inde/Chine, qui sont à la fois de nouveaux marchés et des lieux de production (particulièrement dans le cas d’une Chine considérée comme l’usine du monde), continue de faire progresser les échanges internationaux. Au-delà de cet essor traditionnel du commerce mondial, entretenu par une libéralisation croissante des marchés, les choix stratégiques des chargeurs impactent également fortement la demande de transport. Si le sourcing international, particulièrement dans les pays low cost comme la Chine, est une évidence pour la plupart des industriels et des distributeurs, la structuration de global value chains qui permettent de capter de la valeur aussi bien au niveau des coûts du travail – et parfois de la qualité du travail lors de la recherche de compétences spécifiques – que de la fiscalité internationale est une autre cause de cette augmentation des trafics internationaux.

5À une échelle plus continentale, les choix organisationnels des chargeurs sont également la cause d’une augmentation sensible du transport, et particulièrement du mode le plus flexible qu’est le transport routier. En Europe, le transport routier (75 % du tonnage global) a connu une augmentation de 40 % depuis quinze ans, avec un taux de croissance de près de 8 % avant la crise financière. La volonté de diminuer les stocks de la part des chargeurs (industriels et distributeurs), en développant des organisations en flux tendus, a entraîné une augmentation sensible de la demande de transport (Burmeister, 2000). Les stocks ont eu tendance à quitter les entrepôts pour « aller sur les routes » avec une augmentation des fréquences de livraison. En outre, le développement du multi-canal nécessite aussi de développer des schémas transport spécifiques afin de s’adapter aux contraintes particulières de la logistique urbaine ou du commerce électronique. La demande de transport est donc en constante augmentation et la question du pilotage de ces activités est devenue centrale dans le cadre de la structuration des organisations logistiques des chargeurs. Elle est d’autant plus centrale que l’offre de transport connaît des modifications qui impactent également ces choix.

Une offre de transport en mutation

6Si, pendant longtemps, la question de l’adéquation de l’offre à la demande de transport ne s’est pas posée, il n’en est rien depuis quelques années et l’augmentation sensible de cette dernière. Face aux investissements importants à réaliser, et aux risques associés, les transporteurs manœuvrent sur le plan stratégique afin soit de proposer des activités plus rémunératrices que la simple activité de transport, soit de se désengager de celle-ci. Ainsi, dans le transport maritime, les compagnies maritimes, qui exploitent en propre des navires, ont d’abord commencé par augmenter leurs commandes de porte-conteneurs, en particulier des overpanamax d’une capacité de plus de 12000 EVP, pour faire face à l’augmentation du trafic Asie-Europe. L’importance des investissements consentis, dans la mesure où le coût d’un tel navire avoisine les 100 millions de dollars auquel il faut rajouter un parc de conteneurs généralement égal au double de la capacité statique du navire, place ces compagnies dans une situation de vulnérabilité face aux éventuelles turbulences économiques comme nous avons pu le constater au moment de la crise financière de 2008. Beaucoup d’entre elles ont alors préféré annuler leurs commandes plutôt que d’avoir à supporter des coûts fixes importants, sachant que le transport maritime conteneurisé est exploité en « lignes régulières » c’est-à-dire que vide ou plein le navire part et subit les coûts. En la matière, le business model de ces compagnies s’est avéré beaucoup plus vulnérable que celui des commissionnaires de transport (freight forwarders) dont le modèle non asset permet d’éviter au maximum le poids des coûts fixes liés à la possession de ces actifs. Les compagnies maritimes ont alors tenté de proposer une offre globale de services plus rémunératrice, qui intègre le transport de pré et post-acheminement, c’est-à-dire le carrier haulage – parfois même par voie ferrée en créant ou en entrant dans le capital d’opérateurs spécialisés – afin de concurrencer davantage les commissionnaires (Teurnier, 2008).

7La situation du transport routier est différente dans le sens ou, à l’inverse du transport maritime, l’entrée dans cette activité n’est pas freinée par des besoins en capitaux importants. L’ajustement à la demande se faisait donc traditionnellement avec l’entrée ou la sortie de transporteurs indépendants ne possédant généralement qu’un camion. Face à cette pression à la baisse du prix du transport routier (ces artisans transporteurs acceptant souvent un fret retour à des prix très bas plutôt que de rentrer à vide), les grands prestataires se sont souvent désengagés de cette activité pour aller vers des activités plus rémunératrices soit de commissionnaires (affrètement) soit de prestations de services logistiques avec une segmentation (voir le chapitre p. 83), là-aussi, entre ceux qui ne font que réaliser ces opérations (third party logistics) et ceux qui les conçoivent et les pilotent (fourth ou fifth party logistics). Les pratiques de sous-traitance en cascade de l’activité transport maintiennent le prix du transport routier à des niveaux relativement bas, mais freinent ainsi le développement de l’offre, ce qui a des conséquences régulières sur l’adéquation à la demande. L’offre de transport est donc en mutation avec des acteurs qui souhaitent enrichir leurs prestations avec des activités plus rémunératrices, mais qui sont aussi en quête d’un maintien de leurs marges sur leur activité de transport traditionnelle, ce qui n’est pas sans conséquence sur les relations avec les chargeurs.

Des marchés du transport lieux de captation de valeur ?

8Si la croissance importante de la demande de transport, aussi bien dans le cadre du transport maritime lié aux échanges internationaux que celui des modes terrestres à l’échelle continentale, pouvait laisser augurer d’un développement équilibré entre chargeurs et transporteurs, la volonté des différents acteurs d’améliorer leur compétitivité rend difficile cette perspective et interroge sur les conséquences pour les organisations logistiques. Ainsi, dans le transport maritime, la crise a entraîné un relatif coup de frein aux stratégies des compagnies maritimes d’élargir leur offre de service. Bien au contraire, nous assistons depuis quelques mois à une stratégie de rationalisation des flottes qui pousse ces compagnies, en situation oligopolistique, à nouer des alliances entre elles. Par exemple, les numéros 2 et 3 du marché mondial (l’italo-suisse MSC et le français CMA-CGM) se sont alliés fin 2011 pour développer une offre commune pendant deux ans, en particulier sur la liaison Asie-Nord Europe, officiellement pour faire face à la crise et gérer la sur-capacité. Officieusement, une telle alliance a indéniablement un impact sur l’offre de transport et donc sur le taux de fret. Le fait même d’annoncer que cette alliance repose sur un accord d’une durée de deux ans illustre la volonté des co-contractants de se prémunir contre les recours de Bruxelles. Pour les chargeurs, l’augmentation du taux de fret (y compris le coût du passage portuaire, qui avoisine les 20 % des coûts porte à porte d’un conteneur), couplée à un allongement des délais pour le sourcing grand import, a des conséquences potentiellement importantes sur les choix logistiques. Si la question des coûts de production en Chine a une importance essentielle dans les choix de re-localisation, en Europe de l’Est ou dans des pays du pourtour méditerranéen, l’allongement des délais, et donc la criticité des anticipations par rapport aux marchés, et l’augmentation des coûts globaux d’acheminement sont de plus en plus évoqués par les entreprises qui font ce choix.

9De la même façon, le transport terrestre connaît aussi des tensions entre transporteurs et chargeurs qui ont une influence sur les organisations logistiques de ces derniers. Un premier exemple emblématique en France, que nous ne développerons pas davantage, est celui du transport ferroviaire avec la décision unilatérale de l’opérateur historique d’arrêter le wagon isolé au prétexte de sa non-rentabilité. Une telle décision a évidemment des conséquences sur les choix organisationnels des chargeurs qui y avait recours même si, en la matière, la conséquence est davantage un report modal vers le routier, ou parfois le fluvial, qu’un véritable changement logistique. Un autre exemple concerne le transport routier de marchandises et la volonté des chargeurs (industriels ou distributeurs) de développer des démarches de gestion mutualisée des approvisionnements. Sans entrer dans le détail de ces démarches, les études montrent que leur déploiement se heurte parfois aux résistances des transporteurs qui y voient la perte de leur activité traditionnelle de groupage génératrice de marge. Ainsi, pour les chargeurs, la volonté de rationaliser le transport (diminution des coûts dans un contexte d’augmentation du prix du carburant), en augmentant le taux de remplissage et en diminuant le nombre de kilomètres parcourus à vide, est freiné par les négociations avec les transporteurs. L’exemple le plus emblématique en la matière est celui des Chargeurs de Bretagne devenu un GIE d’achat de transport quand l’objectif initial était de mettre en place une démarche collaborative de mutualisation. Si le transport a toujours participé de l’offre de service et qu’il a soutenu le déploiement d’organisations logistiques à l’échelle de la planète, les tensions observées depuis quelques années interrogent. Dans un contexte de facture énergétique en hausse et de considération croissante des préoccupations environnementales, les acteurs (chargeurs et transporteurs) ont besoin d’une plus grande efficience et se tournent de façon croissante vers l’État à la fois pour réguler les différents marchés mais aussi pour promouvoir des investissements structurants.

Le rôle de l’État : de la régulation traditionnelle à une action plus stratégique

10L’objet de la seconde partie est de présenter le rôle dévolu à l’État en termes de politique de transport, depuis sa volonté de régulation à court terme jusqu’à son action structurante au travers des choix d’investissement dans des infrastructures. Au-delà de ce rôle traditionnel, nous développons succinctement l’idée d’une refonte du rôle de l’État dans le sens d’une politique plus globale de création de valeur pour les parties prenantes que sont les chargeurs et les transporteurs.

Une volonté de régulation du marché à court terme

11L’État a un rôle important de régulation du marché du transport. Ce rôle a changé depuis la libéralisation croissante de ce marché voulu par l’Union européenne. Pendant de très nombreuses années, à partir de la fin de la Seconde Guerre mondiale, l’État intervient sur le marché du transport comme acteur à part entière. C’est un État transporteur (Savy, 2007), qui agit aussi bien dans le transport aérien (Air France et Air Inter), dans le transport ferroviaire (SNCF) et dans le transport routier via les filiales de la SNCF et, enfin, dans le transport maritime (CGM). Entre le système du tour de rôle, qui abolit de fait la concurrence entre les transporteurs dans le routier mais aussi le fluvial, la mise en place d’une tarification routière obligatoire et un certain contingentement des licences permettant l’accès à ces marchés, l’État protège les transporteurs en limitant l’intensité concurrentielle, quand elle n’est pas nulle dans le cadre des monopoles d’État, et en garantissant un minimum de rentabilité.

12Les politiques européennes du transport modifient la situation de ces marchés depuis le début des années 1980, avec une volonté de libéralisation qui doit permettre une concurrence saine synonyme de baisse des prix et d’amélioration du niveau de service. L’accès au marché doit être facilité, les monopoles d’État abolis, les anciennes entreprises privatisées et, enfin, la tarification doit être le reflet du marché et ne peut plus être fixée de façon obligatoire ou « consensuelle » entre les transporteurs. Si les gouvernements successifs ont eu la tentation de faire émerger, dans chacun des modes de transport, des champions nationaux capables d’affronter cette nouvelle donne concurrentielle, avec cependant moins de succès que la Deutsche Post qui est devenue le premier transporteur et PSL au monde, ils sont surtout intervenus pour protéger les transporteurs face aux abus potentiels des chargeurs en termes de politique tarifaire.

13Le transport est une industrie qui représente près de 10 % des emplois si l’on intègre la logistique dans ce calcul. Plus les industriels délocalisent et les distributeurs vont acheter loin, plus le besoin en transport est important et les créations d’emplois nombreuses (l’entrepôt et le transport comme substituts de l’usine). Considéré comme le deuxième secteur créateur d’emplois derrière les services à la personne, le transport est un secteur économique important. Ainsi, à l’instar de l’action conduite dans le canal de distribution avec toutes les lois régissant les rapports entre industriels et distributeurs, l’État intervient aussi pour réguler ceux entre chargeurs et transporteurs. La plupart des lois promulguées vont dans le sens de la protection des transporteurs par rapport aux chargeurs qui agissent dans la perspective d’une baisse des prix et d’une couverture vis-à-vis des risques d’augmentation du prix du carburant. La réglementation concerne aussi l’autorisation de véhicules de plus grande taille capables de transporter davantage de marchandises. Face aux critiques adressées par les chargeurs et à l’évocation d’une insuffisance de capacité, quand bien même celle-ci n’est pas toujours confirmée (Bernadet, 2008), certaines réglementations vont, au contraire, dans le sens d’une libéralisation accrue en autorisant le cabotage pour les entreprises de transport étrangères. Une telle autorisation a non seulement des conséquences sur les prix du marché mais aussi sur sa structure, avec des entreprises françaises de transport qui délocalisent parfois le pilotage de leurs activités, en Europe de l’Est en particulier, afin de limiter les coûts associés. Dans ce rôle de régulation, l’État est également interpellé par les chargeurs pour développer un report modal, qui constitue l’un des engagements du Grenelle de l’environnement et du protocole de Kyoto, renouant ainsi avec un rôle traditionnel d’aménagement du territoire.

Des investissements structurants à long terme

14Le choix des infrastructures de transport est traditionnellement l’apanage de l’État au travers d’une politique des transports qui s’inscrit quasiment dans sa mission régalienne compte tenu de ses liens avec la défense nationale, l’aménagement du territoire et le développement économique. En la matière, il est classique de constater que priorité a été donnée au transport de voyageurs (lignes TGV en particulier, exclusivement dédiées aux voyageurs) et que les grandes infrastructures qui auraient facilité un report modal n’ont pas bénéficié du même soutien et donc des mêmes financements. À titre d’exemple, l’interconnexion Rhin-Rhône est une priorité depuis le milieu des années 1970. La France est donc l’un des pays européens où le déséquilibre modal est le plus fort au bénéfice du transport routier. Outre la question des externalités négatives, c’est toute la structuration des chaînes logistiques des chargeurs qui est ainsi impactée et les tensions sur le marché du transport routier qui sont exacerbées, comme nous avons pu l’évoquer dans la première partie, nécessitant une régulation accrue de la part de l’État selon le principe de Giddens (1984) des conséquences non intentionnelles de l’action publique en l’occurrence.

15La question des externalités négatives du transport routier prend depuis quelques années une nouvelle dimension avec la prise de conscience des enjeux environnementaux (voir le chapitre p. 179). Même si l’évolution technologique, entre autres innovations, des moteurs plus économes et plus propres, a permis de réduire de façon conséquente ces externalités, le taux de croissance de ce marché nécessite une politique volontariste. L’exemple du transport urbain de marchandises est d’ailleurs illustratif de ce volontarisme politique avec l’obligation croissante d’avoir des camions « propres » (roulant au gaz ou à l’électricité), de penser des approvisionnements multi-modaux via le fer ou le fluvial et, finalement, de promouvoir des schémas de distribution différents (voir le chapitre p. 95). Il est vrai qu’en la matière, les riverains sont des électeurs et que la remontée des externalités négatives devient un enjeu électoral. L’engagement de la France à respecter le facteur 4 lié aux émissions de CO2 oblige donc les Pouvoirs publics à favoriser le report modal dans leurs choix d’investissement. Cependant, la crise financière de 2008, et ses conséquences en termes de finances publiques, modifie les possibilités de financement des infrastructures. Face à l’incapacité de l’État à porter l’ensemble des investissements jugés nécessaires en termes de transport, la tendance est aux investissements public-privé, ce qui change leur nature même puisque les questions de rentabilité apparaissent de façon plus prégnante que dans le cas des biens publics. Le rôle de l’État doit donc sans doute évoluer aussi pour favoriser/contraindre ces ré-organisations.

Vers une refonte du rôle de l’État pour créer de la valeur

16Le rôle traditionnel de l’État en termes de politique de transport est donc de financer les infrastructures de transport et de réguler les différents marchés. Nous avons tenté de montrer, jusqu’à présent, que les choix effectués ont favorisé le routier et contribué à l’apparition de déséquilibres sur les marchés qui nécessitent un interventionnisme accru en termes de régulation, sans pour autant satisfaire les chargeurs ou les transporteurs. Le marché du transport est un lieu de création de valeur pour les consommateurs mais aussi de captation de valeur entre ses acteurs, et on peut s’interroger, au final, sur l’efficience globale de ces marchés.

17La prise en compte des enjeux environnementaux est alors l’occasion d’une modification du rôle de l’État (Camman et Livolsi, 2010). D’abord parce que c’est l’un des engagements de la France que de diminuer les émissions de GES et qu’il y a là un enjeu en soi en termes de développement durable. Ensuite, parce que les modalités de financement des investissements dans les futures infrastructures de transport obligeront l’État à accorder un minimum de garanties aux investisseurs privés. Outre l’intérêt en termes de recettes fiscales dans ces temps de réduction de la dette publique, la mise en place d’une réelle « fiscalité verte » (à l’image de la taxe carbone) sera alors un moyen de contraindre les utilisateurs à changer leurs modes de transport et à repenser du coup la structuration de leurs supply chains. L’État pourrait alors jouer un rôle d’organisateur du transport avec une politique publique plus équilibrée et contraignante en termes de mode, et via la mise en place d’acteurs publics (à l’image de Réseau Ferré de France), en charge de la régulation des flux.

Conclusion

18Le transport est tout à la fois un service apporté à ses utilisateurs et une industrie mobilisant des ressources conséquentes pour sa réalisation. L’essor considérable des échanges dans un contexte de mondialisation a mis en tension les organisations des transporteurs et, de façon simultanée, a contribué à des relations plus conflictuelles avec les chargeurs. Dans ce cadre, l’État, qui orientait le développement de tel ou tel mode au travers de ses choix d’investissement et jouait ensuite un rôle de régulation des relations entre chargeurs et transporteurs, pourrait être amené à changer de posture en devenant davantage un organisateur contraignant du transport (fiscalité verte). Une telle évolution ne sera pas alors sans conséquence sur les organisations logistiques des chargeurs et, compte tenu de l’essor des stratégies multi-canal de ces derniers, on peut imaginer une segmentation accrue des organisations logistiques selon la valeur créée pour les consommateurs.

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