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Introduction

p. 5-13


Texte intégral

1 La logistique, une approche innovante des organisations est tout d’abord le fruit d’un travail qui s’est engagé à la fin des années 1970 à Aix-en-Provence, lorsqu’au sein du Centre de recherche en économie des transports (CRET), quelques chercheurs associés à la création du département Transport logistique à l’IUT d’Aix-en-Provence ont engagé des travaux de recherche en logistique. Ces travaux pionniers, qui ont fait l’objet de publications dès le début des années 1980, ont suscité l’intérêt de plus jeunes chercheurs qui se sont lancés avec enthousiasme dans l’aventure du défrichage de ce qui allait devenir une nouvelle discipline des sciences de gestion, mais qui, parallèlement, allait aussi devenir une fonction stratégique dans les entreprises, ainsi qu’une industrie à part entière.

2L’équipe du CRET, qui s’est progressivement étoffée en logistique, a décidé au milieu des années 1980 de s’inscrire explicitement dans les sciences de gestion et de s’appeler le CRET-LOG (Centre de recherche sur le transport et la logistique), devenant ainsi en France le premier laboratoire de recherche spécialisé en management logistique. Pendant plus de trente ans, l’équipe a non seulement développé des recherches dans le domaine, mais a aussi déployé un dispositif de formation à la logistique inégalé en France : du DUT au doctorat en passant par des licences, maîtrises et DESS, puis, au moment du passage au LMD, le master Management logistique et stratégie qui comporte plusieurs spécialités. Les travaux de recherche du CRET-LOG ont ainsi toujours bénéficié d’une fertilisation croisée avec les nombreux professionnels qui sont intervenus dans les formations, ont accueilli nos étudiants en stage et ont participé aux projets de recherche. L’équipe a ainsi formé de nombreux logisticiens d’entreprise à tous les niveaux, mais a aussi formé à et par la recherche de nombreux enseignants-chercheurs en France et à l’étranger dans le cadre d’une formation doctorale volontariste.

3Pendant plus de trente ans, l’équipe s’est développée grâce au recrutement de collègues intéressés par la logistique, parfois spécialistes du domaine, mais le plus souvent s’inscrivant à l’interface d’autres disciplines des sciences de gestion comme la stratégie, le marketing, les systèmes d’information, la gestion des ressources humaines, ou la finance. Cette ouverture a sans aucun doute évité d’enfermer la logistique dans une « tour d’ivoire », permis d’approfondir les interfaces qu’elle entretient avec les autres disciplines des sciences de gestion, tout en stimulant le collectif pour saisir toute l’originalité de la démarche logistique, pour en affirmer l’intérêt managérial ainsi que son caractère innovant à bien des égards. L’ambition de ce livre est de contribuer à diffuser les réflexions que l’équipe a récemment développées dans ce domaine, ainsi que les discussions internes que nous souhaitions partager.

Un ouvrage fruit d’un processus original d’écriture collective

4La présente contribution est surtout le travail original d’une équipe. Si la plupart de ses membres ont publié des ouvrages ou des chapitres d’ouvrage, l’équipe en tant que telle ne s’était encore jamais mobilisée pour rédiger collectivement un ouvrage. Cette décision a été prise à l’issue d’un séminaire interne du laboratoire en septembre 2011 au cours duquel ont été définies les « règles du jeu » d’écriture de l’ouvrage et fixées ses ambitions. L’objectif premier était de favoriser les échanges de connaissances au sein de l’équipe et de stimuler la génération d’idées nouvelles par la co-écriture de chapitres courts. Il ne s’agissait pas de réaliser une compilation de travaux de recherche déjà publiés, de vulgariser des résultats déjà acquis, mais bien de progresser ensemble sur des questions que l’équipe considère essentielles pour la connaissance logistique contemporaine, tout en revisitant les « fondamentaux » de l’équipe, notamment à travers la relecture des travaux « pionniers » de Jacques Colin. Pour favoriser la créativité ainsi que la reliance, le travail de rédaction de l’ouvrage a suivi un processus permettant les échanges qui s’est déroulé en quatre temps.

5Au cours du séminaire interne, un atelier a permis de partager les thématiques qui intéressaient les chercheurs confirmés ainsi que les doctorants et qu’ils souhaitaient discuter dans l’ouvrage. Une orientation a été retenue : travailler avec des personnes avec lesquelles nous n’avions pas l’habitude de publier, ce qui a conduit à former ce que nous avons appelé, avec une pointe d’humour, des « couples improbables », et associer les doctorants qui le souhaitaient à la rédaction de chapitres. L’objectif était d’éviter les écritures convenues et de stimuler des collaborations nouvelles au sein de l’équipe. Une règle générale a par ailleurs été adoptée : un membre de l’équipe ne pouvait participer qu’à un seul chapitre, afin de favoriser l’expression du plus grand nombre de voix. À l’issue du séminaire, il a été demandé aux membres de l’équipe intéressés de soumettre pour début novembre 2011 un projet de chapitre sur une page.

6Lors des réunions de laboratoire de novembre et décembre 2011, les projets de chapitres, ayant été diffusés à l’ensemble des contributeurs, ont été discutés et retravaillés. L’objectif était d’éviter les redondances entre chapitres, de vérifier que toutes les thématiques importantes étaient abordées, que tous les membres de l’équipe intéressés à contribuer étaient bien associés à l’ouvrage, et que l’ensemble des chapitres aboutissait à construire un sommaire attractif. Sur la base de ces discussions et d’un premier sommaire établi en décembre 2011, il a été demandé aux auteurs de produire une première version de chapitre pour la mi-février 2012, qui ferait l’objet de lectures croisées avant d’aboutir à la version définitive. Pour favoriser la reliance, il a aussi été demandé aux auteurs de suggérer une liste de mots à introduire dans l’index de l’ouvrage.

7Lors de la réunion de laboratoire de début février 2012, le principe de relecture des chapitres a été établi avec pour objectif d’aboutir à des contributions finalisées au plus tard fin mai 2012. L’ensemble des premières versions de chapitres a ainsi été diffusé fin février à l’ensemble des auteurs pour qu’ils en prennent connaissance et puissent envisager des références croisées entre les chapitres. Pour chaque chapitre, un re-lecteur était chargé d’envoyer formellement aux auteurs un feed-back sur sa lecture avant la fin mars 2012. L’ensemble des chapitres remis fin mai 2012 a ensuite fait l’objet d’une dernière relecture d’ensemble par les deux coordonnateurs de l’ouvrage, conduisant de leur part à quelques ajustements finaux. L’ouvrage qui est proposé est donc le fruit de ce travail collectif original.

Un ouvrage pour aller plus loin…

8L’ouvrage collectif que l’équipe du CRET-LOG propose au lecteur est une contribution que nous souhaitons « de référence ». Il ne s’agit pas d’un manuel de logistique, ni du regroupement artificiel de travaux réalisés isolément. Il s’agit bien plus d’une sorte de manifeste qui réaffirme la pertinence des fondamentaux de l’équipe, et qui ouvre sur les innovations à venir. Les choix éditoriaux et le processus adopté, précédemment exposés, expliquent la taille volontairement réduite des chapitres, leur caractère parfois inachevé ainsi que le style délibérément accessible pour être lu aussi bien par les étudiants de licence et master que les enseignants ou les chercheurs, spécialistes ou non du domaine.

9Le lecteur intéressé par la logistique, mais non spécialiste, découvrira que la logistique est une authentique discipline scientifique, en construction, mais dont la reconnaissance ne fait plus de doute, comme en témoignent les travaux de l’Association internationale de la recherche en logistique (AIRL), créée en 2002 à l’initiative des membres du réseau des Rencontres internationales de la recherche en logistique (RIRL), créées quant à elles en 1995 par le CRET-LOG. Il réalisera que c’est aussi une fonction stratégique d’entreprise dans de nombreux secteurs d’activité, que ce soit dans le domaine de l’industrie ou des services, l’équipe ayant volontairement étudié la logistique dans de nombreux secteurs, certains pouvant être qualifiés d’exotiques voire « d’improbables ». Le lecteur ne manquera pas de constater que la logistique est aussi une industrie de service à part entière avec des entreprises dont le cœur de métier est de réaliser des opérations logistiques et de produire des prestations de services logistiques complexes demandant des compétences spécifiques, les prestataires de services logistiques (PSL) jouant un rôle de plus en plus important dans les chaînes logistiques.

10Le lecteur plus spécialiste du domaine, qu’il soit professionnel ou enseignant-chercheur, devrait trouver plusieurs matières à réflexion et à inspiration. En ré-interrogeant les fondamentaux de la logistique, en travaillant certains concepts centraux, en discutant les points clés de la démarche, en questionnant la complexité des relations au sein des chaînes logistiques, et en abordant les questions les plus contemporaines de la discipline, ce livre devrait stimuler la réflexion, notamment pour tout ce qui concerne les aspects organisationnels et stratégiques de la gestion et du pilotage des supply chains, le champ principal de compétence des membres du CRET-LOG. Au final, la présente contribution est un jalon, un point de départ de futures recherches, une invitation à poursuivre la recherche en logistique et à la développer. Malgré son institutionnalisation, son développement académique, la logistique, dont les fondamentaux s’affirment, reste une démarche de management de et par les flux complexe, originale et innovante, qui suscite des innovations organisationnelles et technologiques, qui réinvente en permanence des solutions à de nombreux problèmes managériaux et permet aux organisations de relever des défis stratégiques.

De la construction à la diffusion de savoirs en logistique

11Le rôle pionnier joué par le CRET-LOG dans la structuration du champ a conduit nombre de ses chercheurs à participer à un effort de conception et de clarification à la fois conceptuelle et sémantique. Nul doute que les travaux sur le SCM, qui occupent une place majeure dans la littérature anglo-saxonne, se retrouvent de manière prémonitoire dans les travaux conduits par Jacques Colin dans les années 1970… Si les savoirs en logistique ont ainsi bénéficié des recherches poursuivies au sein de l’équipe, cette dernière a aussi privilégié leur appropriation par des générations d’étudiants, de Bac+1 à Bac+8, au travers d’une active ingénierie pédagogique, tant dans la formulation de programmes innovants que dans la création de cas d’entreprises.

12Dans un premier chapitre, Christine Belin-Munier, Anne Rollet et Gilles Guieu souhaitent analyser le processus de dissémination de la logistique et du SCM dans la pensée francophone en management. Plutôt que d’étudier l’émergence d’un champ en référence à des revues spécialisées, risquant alors de placer la logistique et le SCM dans une « tour d’ivoire », ils ont repéré les articles publiés dans les revues généralistes, en procédant à deux analyses bibliométriques complémentaires. Il en ressort une faible densité de la discipline, en grande partie liée à la diversité thématique et au caractère encore « adolescent » de la logistique et du SCM.

13Notant que la logistique a progressivement quitté sa « gangue opérationnelle » pour devenir un champ disciplinaire à part entière, Carole Poirel et Cécile Romeyer argumentent dans un deuxième chapitre sur les raisons ayant conduit à élargir le territoire du simple transport de marchandises pour embrasser des problématiques liées à la circulation et au pilotage des flux. En partant explorer au fil du temps d’autres industries et d’autres activités de services, comme le secteur du livre ou le secteur hospitalier, la logistique et le SCM ont fait d’improbables (mais stimulantes) rencontres qui leur ont permis de renforcer les bases conceptuelles et théoriques d’origine.

14Reprenant la balle au bond, Élodie Kacioui-Maurin, Frédéric Pellegrin-Romeggio et Nathalie Sampieri-Teissier adoptent dans un troisième chapitre une vision de nature « servicielle », en regrettant, malgré la place prépondérante prise par les activités de service dans l’économie moderne, que la littérature en logistique et SCM y ait tant tardé à se développer. L’exploration de trois domaines différents, les voyages, la santé et la prestation de services logistiques, permet d’entrevoir des pistes de recherche de première importance pour l’ensemble de la communauté scientifique en logistique et SCM, tout particulièrement à travers l’identification des compétences nécessaires au pilotage des chaînes logistiques selon un certain nombre de référents universels.

15Il reste évidemment à se poser la question du transfert des savoirs, à laquelle Christelle Camman et Christine Roussat s’attellent dans un quatrième chapitre. Elles partent du constat que l’enseignement du SCM, mettant en avant une vision par la transversalité, semble difficile à organiser par une approche pédagogique classique. Enfermer à nouveau la logistique et le SCM dans leur « gangue opérationnelle » serait une erreur funeste. Au contraire, une réflexivité critique est indispensable sur les pratiques et leurs effets parfois négatifs pour les Hommes et pour les espaces. Enseigner le SCM, c’est aussi apprendre à l’étudiant à s’émanciper d’une pensée souvent « unique ».

16Pour clore tout à fait provisoirement le débat, Nathalie Fabbe-Costes, François Fulconis et Marie Koulikoff-Souviron s’intéressent aux recherches en logistique et SCM, et non pas aux recherches pour lesquelles la logistique et le SCM seraient un simple terrain d’études. Le cinquième chapitre aborde ainsi la question ô combien centrale pour les apprentis-chercheurs, mais aussi les chercheurs plus confirmés, de la définition des unités d’analyse et du périmètre de leur recherche, en s’appuyant pour cela sur l’expérience de l’équipe du CRET-LOG qui, sous l’impulsion de Jacques Colin, a adopté très tôt une vision holiste de la logistique et du SCM.

Logistique de distribution : un territoire toujours disputé

17Historiquement, la logistique de distribution, impliquée dans l’organisation d’activités d’acheminement des produits des usines jusqu’aux points de vente, a été le creuset d’innovations technologiques et managériales majeures. Dans le même temps, dès le début des années 1980, Jacques Colin soulignait avec vigueur que la distribution physique était un lieu de rapports de force entre industriels et distributeurs en vue de capter la valeur ajoutée créée, mais aussi en vue de conforter un pouvoir de marché, alors que les observateurs cantonnaient trop souvent les pratiques prédatrices des distributeurs aux opérations marketing. Trente ans après, force est de reconnaître que la logistique de distribution reste un territoire disputé entre une multiplicité d’acteurs.

18Dans un premier chapitre, Dominique Bonet, Claire Capo et Larisse Oliveira Costa ont choisi de porter un regard croisé sur la logistique vue du côté des distributeurs, à partir d’une grille de lecture fondée sur le leadership. Après avoir rappelé qu’un leader émerge grâce à son pouvoir d’influence et à son leadership, découlant des ressources et compétences accumulées, elles se penchent sur deux cas singuliers de supply chains dans la grande distribution, au Brésil et au Japon. L’analyse comparative souligne l’importance d’un projet organisationnel et humain et d’une dynamique politique fondant deux formes de leadership : le leadership directif et le leadership partagé.

19Que penser du grand oublié de la logistique de distribution, le grossiste, « laminé » lentement mais sûrement par les logiques de désintermédiation en œuvre depuis plusieurs années ? C’est à cette question que Falk Wagenhausen et Mohammed Amine Balambo s’attaquent dans un deuxième chapitre. Acteur historique de l’interface industriels-distributeur, le grossiste s’est fortement positionné sur des activités de négoce en considérant trop souvent les services logistiques comme une intendance secondaire. Prisonnier d’une vision du monde qu’il a lui-même construit, à l’image des ombres de la Caverne de Platon, le grossiste s’est ainsi enfermé dans un système de représentations rendant difficile toute position de centralité dans les supply chains, à la différence des PSL.

20Ce sont ces mêmes PSL qui retiennent justement l’intérêt de Bernd Philipp et Gilles Paché dans un troisième chapitre. L’objectif est d’interroger les innovations logistiques en adoptant la perspective du PSL, et non pas de l’industriel ou du distributeur. En effet, le PSL se place dans une position favorable à la création/à l’adoption d’innovations logistiques, avec des bénéfices pour toutes les supply chains dont il est partie prenante. Un cas est mobilisé pour illustrer le propos, celui d’un PSL britannique ayant réorganisé sa logistique de distribution du dernier kilomètre par l’utilisation de consignes automatiques, ce qui a amélioré considérablement la performance globale de la supply chain considérée.

21La gestion du dernier kilomètre est une thématique majeure que traitent Daniel Boudouin, Christian Morel et Stéphane Sirjean dans un quatrième chapitre. Dernier kilomètre qui se positionne dans un cadre plus large : l’émergence progressive d’une « ville durable ». Toute ville, quelle que soit sa taille, génère effectivement des flux importants, liés notamment à l’approvisionnement des magasins, qu’il s’agit de mieux piloter pour éviter nuisances et encombrements. La logistique urbaine devient ainsi un enjeu majeur pour un environnement préservé, obligeant acteurs privés et acteurs publics à travailler de concert, et non les uns indépendamment des autres.

22Quoi de plus naturel que de revenir alors au transport, finalement la pièce maîtresse des systèmes logistiques contemporains, tout particulièrement en matière de distribution des produits finis ? Pierric Teurnier et Laurent Livolsi s’interrogent sur les impacts que peuvent avoir les mutations en cours des marchés du transport sur la gestion des supply chains. Question centrale dans un monde fait de vitesse et de distance, mais également de réglementation et de dérèglementation. Une attention doit être ici portée au rôle de l’État dans la mesure où il se présente comme un acteur traditionnel du secteur du transport, alternant entre régulation et aménagement, mais sans doute de plus en plus comme un organisateur potentiel du transport dans une logique de création de valeur. Une thématique qui a fortement marqué la longue et fructueuse carrière de Pierric Teurnier…

Assurer la performance logistique en dépit des décalages et des risques

23Atteindre un niveau satisfaisant de performance en matière de logistique n’est pas chose aisée, compte tenu de l’hyper-compétition que se livrent aujourd’hui les entreprises et, plus encore, les supply chains entre elles. Le fonctionnement efficace et efficient des chaînes logistiques multi-acteurs exige effectivement un alignement stratégique de plusieurs parties prenantes, par exemple un industriel, un distributeur et un PSL, autour d’un projet productif et de mécanismes de gouvernance collectivement négociés et acceptés. Faire travailler ensemble les acteurs d’une supply chain implique que des systèmes d’évaluation soient implantés pour donner à voir les coûts et bénéfices pour chacun, sachant que des objectifs individuels de performance restent prégnants. Coordonner est difficile et dispendieux, plus encore quand le risque génère de fortes incertitudes sur les résultats.

24Tout naturellement, Claude Fiore et Adib Bensalem abordent, dans un premier chapitre, la profonde évolution des systèmes d’évaluation de la performance logistique, depuis les modèles mono-critères fondés sur le coût jusqu’aux modèles multi-critères tentant de cerner toutes les facettes de ladite performance logistique. Le risque de rupture des flux dans la supply chain apparaît omniprésent en contexte de décalage entre stratégique et opérationnel. Or, les différents modèles ne le prennent pas vraiment en compte ; seul un pilotage des performances analysant les articulations entre top management et middle management pourrait permettre d’y parvenir.

25Bien évidemment, penser la performance d’une supply chain ne peut faire l’économie d’une réflexion sur l’intégration entre organisations pour éviter la multiplication des forces de frottement. Agnès Lancini et Ahmed Chakib Kahia optent, dans un deuxième chapitre, pour cet angle d’attaque en adoptant spécifiquement une « perspective apprenante ». S’appuyant sur le concept de coordination, ils retracent le passage d’une vision mécaniste à une vision apprenante du processus de coordination. Pour cela est mobilisé le concept original d’objet-frontière, qui offre un éclairage renouvelé et novateur à la compréhension de la dynamique d’évolution des supply chains.

26C’est d’une manière complémentaire à la précédente que la problématique de la coordination logistique est abordée par Sophie Claye-Puaux, Jennifer Lazzeri, Béatrice Meurier et Aurélien Rouquet dans un troisième chapitre. Ils proposent une relecture de la contribution de Jacques Colin et Diane Farah sur la gestion des décalages dans les supply chains afin de mieux comprendre les modalités par lesquelles la coordination logistique peut être réalisée. Plutôt qu’une perspective univoque d’un one best way, quatre modèles-types sont proposés (du donneur d’ordre, du PSL, du groupe ad hoc et de la méta-organisation), qui s’imbriquent les uns dans les autres selon des rythmes différents.

27Signe des temps qui ne trompe pas, les supply chains confrontées aux risques donnent lieu désormais à une abondante littérature. Nulle surprise dans la mesure où la complexification des chaînes, la pression des délais et les décalages entre acteurs, précédemment évoqués, sont des facteurs majeurs de risque (rupture). Dans un quatrième chapitre, Mohamed Haouari et Thierry Sauvage explorent la gestion des risques en contexte de supply chain à partir d’une perspective cyndinique fondée sur les « sciences du danger », en vue de poser les premiers jalons d’une cyndinique logistique permettant de manager la complexité croissante des supply chains.

28S’il est un contexte où le risque est omniprésent, mais où se posent également de redoutables questions de performance logistique, c’est bien celui de la logistique humanitaire C’est donc tout naturellement que Geoffroy Enjolras, Diego Vega-Bernal et Yuan Yao, dans un cinquième chapitre, puisent au sein d’expériences d’organisation de chaînes humanitaires des éléments de compréhension de la « résilience » des systèmes complexes. La résilience est cruciale pour encaisser les chocs, y répondre rapidement et capitaliser les connaissances induites. Là encore, la coordination logistique s’avère centrale, mais cette fois pour sauver des vies grâce à une gestion efficace des risques sur les plans de la préparation, de l’urgence et de la récupération.

Développement durable : un nouveau défi pour la logistique ?

29« Nous autres, civilisations, nous savons maintenant que nous sommes mortelles ». Comment oublier cette phrase célèbre de Paul Valéry qui débute le texte Variété I publié en 1924 ? À nos yeux, elle illustre à merveille la finitude de notre monde et la prise de conscience, certes un peu tardive, de l’urgence d’un usage parcimonieux et durable des ressources rares. La logistique ne pouvait rester à l’écart du courant de recherche qui s’est développé autour du développement durable, et le CRET-LOG s’y illustre tout particulièrement depuis la fin des années 1990. Là encore, Jacques Colin a joué un rôle essentiel en encadrant la thèse de doctorat de Mathias Ummenhofer, soutenue en novembre 1998, la première en France à avoir abordé de front la question de l’éco-logistique. Au départ cantonnés à une approche opérationnelle de la reverse logistics, les travaux se sont progressivement élargis au pilotage intégré des supply chains durables.

30Comprendre les enjeux du développement durable nécessite de poser un certain nombre de cadres juridiques qui définissent une partie importante des fondements institutionnels à partir desquels l’action des entreprises peut se conduire. C’est à quoi s’attachent Sylvie Avignon et Badreddine Taleb dans un premier chapitre. Les Pouvoirs publics, que ce soit au niveau international, régional ou interne, interviennent pour pousser les entreprises à contribuer au développement durable, et celles-ci vont avoir à se positionner entre droit dur et droit mou. On peut imaginer que le droit impacte finalement de manière très positive sur le SCM, dans la mesure où la règle juridique va parfois être à l’origine d’une meilleure performance des supply chains.

31Revenant sur la question de la performance dans le deuxième chapitre, Cendrine Fons et François Jan s’engagent dans une réflexion sur l’opérationnalisation du développement durable. Celle-ci représente en enjeu majeur pour l’entreprise et, plus largement, pour l’ensemble des entreprises impliquées dans le fonctionnement d’une supply chain, à la fois au travers des processus d’opérationnalisation employés et au travers des outils de mesure de la performance qui en découlent. Les enjeux managériaux sont nombreux, tout particulièrement en matière d’outils de mesure permettant d’évaluer les pratiques de développement durable, loin des simples incantations sur l’urgence de la durabilité pour laisser aux générations futures un monde « viable ».

32Dans un monde où la croissance de la population urbaine obligera, pendant les quarante prochaines années, à nourrir 200000 nouvelles bouches par jour, s’intéresser aux questions de logistique urbaine revêt, comme on peut l’imaginer, une importance cruciale. Parmi les nouvelles pratiques en oeuvre, le développement de la mutualisation représente un fait marquant dans la mise en place de supply chains durables, thématique que Yina Chai, Odile Chanut, Valérie Michon et Thierry Roques traitent dans un troisième chapitre. Mieux coordonner les moyens et informations logistiques en mettant en commun des ressources entre entreprises concurrentes, tel est l’enjeu de la mutualisation, dont la diversité des déclinaisons réclame une investigation approfondie.

33Si le développement durable se présente comme une philosophie de management, José Carneiro, Marlène Monnet et Virginie Noireaux nous rappellent, dans un quatrième chapitre, qu’il s’appuie aussi sur des démarches opératoires comme celles relatives à la logistique inversée. Cette dernière s’apparente à un processus permettant d’assurer le retour des produits invendus et/ou défaillants, mais aussi, des produits en fin de vie. Ayant connue une lente maturation, la logistique inversée se distingue pour partie de la logistique traditionnelle, même si des synergies existent entre les deux, et que certaines parties prenantes participent à l’une comme à l’autre.

34Avec un ton volontairement iconoclaste, Alain Arnaud et Bernard David achèvent ce tour d’horizon sur le développement durable en proposant, dans un cinquième chapitre, un plaidoyer pro domo pour une logistique de la décroissance. Certes, les innovations logistiques ont été au cœur du développement économique de la société de consommation, mais comment en ignorer aujourd’hui les coûts cachés ? La vision décroissante met au défi la logistique de refonder entièrement ses pratiques pour s’adapter à un environnement nouveau dans lequel l’exubérance dispendieuse et les gaspillages ne peuvent plus avoir droit de cité. Le moment ne serait-il point venu de « décoloniser » l’imaginaire logistique ?

Retour vers le futur

35Comment ne pas laisser le soin à Jacques Colin de conclure l’ouvrage en s’appuyant sur sa remarquable connaissance de l’histoire de la logistique ? Une sorte de « retour vers le futur », pour parodier le titre d’un film célèbre, qui souligne combien la plupart des grands principes constituant les fondements de la démarche logistique et du SCM, qu’il s’agisse d’anticipation, de réactivité, de normalisation, de modularité, mais aussi de fluidité et de continuité, trouvent leurs racines dans la mise en œuvre du complexe militaro-industriel initiée par la Marine royale française aux xviie et xviiie siècles. Mieux encore, pour Jacques Colin, les archétypes fondateurs de la logistique, tout particulièrement la maîtrise stratégique de l’espace et du temps, y puisent également des origines que peu d’observateurs ont pourtant identifié. Si la logistique apparaît clairement comme une approche innovante des organisations, nul doute ainsi qu’elle le doit à des démarches pré-logistiques dont la finalité fut de répondre à de multiples défis de différentes natures, avec pour résultat des systèmes organisés préfigurant de nombreuses innovations actuelles. Après tout, ne pourrait-on point suivre ici William Shakespeare qui, dans La tempête, nous affirme que « le passé est juste un prologue » ?

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