Performance des entreprises
Une nouvelle ère
p. 29-37
Résumés
Créativité, compétences diversifiées, portefeuille de marques, maîtrise du processus de production, de la logistique et de la distribution, dialogue social, intelligence économique, stabilité de l’actionnariat, ancrage territorial : désormais, les entreprises mobilisent un ensemble de leviers complémentaires pour développer leurs performances dans la durée.
Creativity, skills diversified, portfolio of brands, control the production process, distribution and logistics, stable shareholder, local roots: now, firms need to mobilize additional set of levers to develop their performance over time.
Texte intégral
1Globalisation, importance croissante du savoir et généralisation de l’incertitude : ces trois évolutions majeures de l’environnement des entreprises affectent les critères de compétitivité et la nature de leurs relations au(x) territoire(s). La globalisation pousse les grandes entreprises à passer d’une organisation multidomestique à une organisation globale qui s’accompagne d’une forte réduction du nombre de fournisseurs, donc en particulier de PME du territoire d’origine. Le rôle du savoir dans la compétitivité et la croissance incite les entreprises à adopter de nouveaux principes organisationnels favorisant leur capacité d’anticipation. Afin d’assurer leur compétitivité, les entreprises définissent de plus en plus le contenu de leur activité non plus par rapport à des produits ou à des techniques de production, mais en référence à des « blocs de savoirs » relativement homogènes auxquels sont arrimées les compétences de l’entreprise (Moati et Mouhoud, 2000). Quant à la montée de l’incertitude, elle est liée à une demande de plus en plus volatile.
2D’une façon générale, les entreprises confrontées à la concurrence internationale développent des stratégies fondées sur l’innovation et la conquête de marchés. L’observation des stratégies des entreprises au cours de ces deux dernières décennies montre que deux comportements tendent à se combiner de plus en plus :
- Le premier comportement consiste à privilégier une logique d’offre fondée sur la culture technique de l’entreprise. Conception et production du produit sont au cœur de l’organisation de la firme. Nous retrouvons historiquement cette logique dominante dans la plupart des grands groupes français issus des grands programmes technologiques nationaux des années 1960 et 1970 et dans de nombreuses PME, en particulier dans les activités industrielles, créées dans les années 1950 par des techniciens et des ingénieurs très créatifs.
- Le second comportement met plutôt l’accent sur une logique de marché. La culture commerciale est dominante. Les entreprises partent de leur connaissance du marché, des attentes qu’elles ont identifiées pour ensuite concevoir les produits ou services. Dans ce cas, le client structure l’organisation même de l’entreprise. Désormais, les entreprises mobilisent à la fois un cœur de savoir-faire technologique et la connaissance la plus fine possible de la demande. L’intégration dans leur environnement et le travail en réseau priment : la démarche d’adaptation, voire d’anticipation les met en situation de proximité du marché. Alors les entreprises doivent mobiliser un plus grand nombre de leviers pour assurer leur croissance dans le temps.
3Dans les années 1980, la baisse des coûts et l’automatisation de la production constituent les deux leviers principaux des entreprises pour leur reconquête de la compétitivité, en particulier face à l’arrivée en force des entreprises japonaises. Au cours de la décennie 1990, l’accent est mis principalement sur l’innovation technologique. Il s’agit de fidéliser la clientèle et de se différencier sur les marchés pour croître. Dans le même temps, la montée en puissance de la finance internationale et la conception de l’entreprise réduite à un actif financier dont il faut optimiser le rendement, influencent les stratégies des firmes cotées et indirectement bon nombre de PMI ayant des liens avec les grands groupes. Ainsi, les entreprises, quels que soient le secteur d’activité et la taille, doivent mobiliser, par rapport au passé, un plus grand nombre de leviers au service de leurs performances, rendant leur management plus complexe. Tel est l’objet de ce chapitre, basé sur une étude empirique réalisée en 2005 (Levet, 2005).
La créativité, levier le plus décisif
4La créativité permet en amont de construire le positionnement stratégique de l’entreprise. Trop souvent, le discours dominant met en avant exclusivement l’innovation technologique comme stimulation de la demande, réductrice des coûts de production et facteur de différenciation sur les marchés. Il ne s’agit pas de remettre en cause ce constat et l’encouragement à l’innovation dans les politiques publiques tant dans les pays industrialisés que dans les nouveaux pays à forte croissance. Encore convient-il de ne pas oublier que cette innovation, au-delà de la seule innovation technologique, dépend en amont de la capacité de l’entreprise à créer, à inventer, à imaginer, à se projeter dans le futur. Ce sont à la fois un état d’esprit et des modes d’organisation au service de la capacité de création qu’il faut réunir, a fortiori dans la période actuelle de crise et de mutation profonde du système économique.
5La créativité est nécessaire pour trouver des idées nouvelles et les organiser ensuite efficacement. Sans créativité, pas d’innovation possible, laquelle doit se transformer en bénéfices tangibles pour l’entreprise (Bellon, 2002). Différents travaux réalisés sur le cas français ont montré que plus de la moitié des véritables inventions des grandes entreprises ayant débouché sur de nouveaux produits, et pas seulement sur une adaptation d’un produit, ont été faites en réalité par des entreprises de taille moyenne qui les ont revendues par la suite aux grands groupes, car celles-ci n’avaient pas toujours les moyens financiers de leur développement industriel et commercial (Gattaz, 2002). Aussi, tirant les enseignements de cette situation, un nombre croissant de grandes entreprises refondent leur organisation interne en réseaux d’entreprises de taille petite ou moyenne afin que celles-ci aient suffisamment de liberté pour faire de véritables découvertes, loin des rigidités de l’organisation classique des grands groupes, hiérarchisée et cloisonnée.
Le développement de savoir-faire technologiques et de compétences diversifiées
6Un nombre croissant d’entreprises font le choix d’une spécialisation cognitive qui se substitue progressivement à la logique technicienne de division du travail associée au modèle taylorien. Elles mobilisent leurs ressources sur le développement de compétences clés. La maîtrise du savoir-faire technique et technologique – notre second levier – au service de la créativité favorise alors une démarche pro-active, c’est-à-dire une démarche permettant d’influer sur son environnement et non de le subir. Coopération avec des universités, des centres techniques, d’autres entreprises de la chaîne de valeur, développement des savoir-faire et des expertises : c’est la création, le maintien et le renouvellement de compétences diversifiées qui constituent le troisième levier de la performance de l’entreprise. Toutes les fonctions de l’entreprise sont concernées.
7Si depuis une période récente, nous assistons en France à une re-localisation de certaines activités, plus globalement à une remise en cause de la délocalisation comme principale réponse à la réduction des coûts, c’est bien parce que les entreprises concernées ont pris conscience de l’importance de la maîtrise des savoir-faire et des compétences qui conditionnent une grand part de la qualité finale des produits. Le travail ne peut plus être considéré simplement comme un coût à réduire, un élément de rigidité à « flexibiliser », il constitue l’actif le plus spécifique de l’entreprise. Tout en privilégiant l’innovation et les compétences, de plus en plus de firmes, y compris de sous-traitance, considèrent que la création de marques – un quatrième levier – est indispensable à leur survie et à leur croissance.
La marque, principal actif de l’entreprise
8Il leur faut prendre en compte, quelle que soit leur taille, à la fois les transformations des modes de consommation et de l’univers de la grande distribution. Deux types de stratégies peuvent être distingués (Sessi, 2000) : dans le premier cas, l’entreprise privilégie une stratégie de marque et donc de marché, tout en gardant la maîtrise de ses actifs technologiques ; dans le second cas, elle choisit une approche produit en cherchant à asseoir sa compétitivité sur un avantage technique reconnu. Là-aussi, l’observation montre que nombre d’entreprises combinent les deux approches. Tout en considérant que la création de marques est nécessaire à leur développement, elles privilégient une orientation d’innovation. Dans sa préface de l’ouvrage de Kapferer et Thoenig (1989), François Dalle, qui a fait de L’Oréal le grand groupe mondial de cosmétiques en le dirigeant durant près de trente ans, analysait déjà à la fin des années 1980 l’importance des marques pour l’entreprise :
À l’époque (fin des années 1940), je me disais que l’attachement du consommateur pour la marque était au fond le symbole d’un attribut qui pourtant lui est refusé en droit : l’affectio societatis. Depuis, je n’ai cessé de me renforcer dans cette conviction en constatant la dépersonnalisation et la volatilité du capital dans la plupart de nos entreprises. C’est finalement le consommateur qui constitue, de génération en génération, l’élément le plus stable de l’entreprise. Et c’est par la marque que se scelle leur attachement réciproque.
9Encore convient-il de maîtriser le processus de production.
La maîtrise du processus de production : une redécouverte récente
10L’entreprise doit également contrôler le processus de production, quelle que soit sa taille et ses lieux de localisation. Pourquoi ? Cet autre levier de la performance de l’entreprise lui permet de maîtriser la qualité des produits et les délais de livraison. Ce levier est encore plus déterminant aujourd’hui pour les entreprises disposant de plusieurs sites de production dans divers pays et a fortiori dans des pays low cost. Dans la plupart des activités, on peut trouver deux cas polaires : certaines entreprises font de leurs moyens de production présents sur le marché d’origine un atout pour leur image (« made in France ») ; d’autres externalisent toute ou partie de leur production, considérant que leur savoir-faire distinctif est dans la conception et la commercialisation. Mais dans ces deux cas, le processus d’innovation doit intégrer la production, une réalité fortement bousculée dans les années 2000, avec la mode du tout-délocalisable au moindre coût, de « l’entreprise sans usine ».
11À cet égard, le cas du secteur du textile-habillement est très significatif. Voici l’une des activités industrielles, en France notamment, qui a le plus délocalisé au cours de ces deux dernières décennies. Or, les producteurs concernés en Europe se recentrent certes sur leur cœur de métier et se spécialisent dans les activités immatérielles (création, design, organisation et distribution), mais en prenant bien soin de réorganiser leur production en réseaux, afin de ne pas abandonner les activités de production, ce qui peut se révéler très risqué dans la durée (Ammar et Roux, 2009). La connaissance pratique des processus de production est indispensable au développement des marques, autre levier cité plus haut : « Sans usines de production, sans brodeurs ni sérigraphes, il est difficile de travailler ensuite avec des créateurs, des stylistes et de maintenir la formation de l’encadrement technique de la profession » (Ammar et Roux, 2009). Sans compter que l’expérience a montré que les avantages de la délocalisation de certains segments de production pour des raisons d’économies de coûts peuvent se révéler fortement amoindris par les coûts engendrés par les processus de coordination du réseau considéré.
12Il demeure que, quel que soit le secteur d’activité, les relations entre donneurs d’ordres et sous-traitants restent souvent très tendues, au point que de nombreux abus perdurent, voire s’amplifient. Ainsi dans son récent rapport (2010), le Médiateur aux relations inter-industrielles et de la sous-traitance recense ces pratiques abusives et leur diversité considérable. Citons en quelques unes à titre d’illustration : consultation ne respectant pas les règles de la concurrence, appel d’offres avec des prix et des conditions irréalisables, non-respect des cadences de commandes et de quantités convenues dans le cadre de contrats à commande ouverte, désengagement brutal du donneur d’ordres, rapatriement brutal d’activité sous-traitée, retard volontaire dans le traitement d’un litige, exploitation de brevet ou de savoir-faire sans l’accord du sous-traitant, délais de paiement non respectés, etc. Lorsque il s’agit de sous-traitants de rang 1 dans des filières telles que l’aéronautique, le ferroviaire ou l’énergie, ceux-ci détiennent la plupart du temps un savoir-faire technique difficilement contournable et sont donc moins vulnérables à ce type de pratiques. En revanche, pour les sous-traitants de rang 2 (et plus), la situation peut être dramatique et aller jusqu’au dépôt de bilan. Leur grande dépendance à l’égard souvent d’un fournisseur principal les rend d’autant plus vulnérable à ce type de pratiques qui pèsent sur leur capacité à contrôler leur processus de production et, in fine, leurs relations commerciales. Pour autant, mettre en œuvre une stratégie, améliorer sans cesse les performances ne peuvent s’inscrire dans la durée qu’à la condition qu’un véritable dialogue social existe dans les entreprises.
Le dialogue social au service d’une ambition partagée
13Ce levier de la performance de l’entreprise est en général très peu évoqué dans les études économiques sur les entreprises ainsi que les enquêtes consacrées en particulier aux PME. Or, de nombreux travaux ont mis en évidence ces dernières années l’accroissement des tensions sur les conditions de travail, une autonomie mise en avant par le discours managérial souvent illusoire, des relations sociales dégradées, une gouvernance déséquilibrée avec une concentration de pouvoir vers des investisseurs financiers au sein des structures actionnariales des entreprises, des firmes composées d’établissements où les salariés sont éloignés des lieux de décision, un droit social du travail portant de plus en plus la marque de l’affirmation de l’objectif de maximisation de la productivité. Au total, un pacte social dans l’entreprise bien malmené (Bourdin et Schillinger, 2011).
14Contrairement aux grands groupes, les PME, de par leur taille, ont des relations sociales plutôt d’ordre interpersonnel, dans un contexte général de faible représentation des salariés (Farvaque et Lefebvre, 2010). Dans les grands groupes, le dialogue social peut structurer des priorités différentes suivant les cas, leurs activités, leurs métiers (Institut de l’entreprise, 2006) : la question de la diversité chez Accenture gérant des collaborateurs dans de nombreux pays, l’accompagnement social de la fonction clientèle chez GDF, l’amélioration de la sécurité du travail chez Peduzzi Bâtiment, la politique de concertation mise en œuvre à la RATP pour améliorer la continuité du service, la gestion des métiers chez Areva, la négociation européenne chez Total, etc. Il n’en demeure pas moins que d’une façon générale, la mobilisation des salariés et leur adhésion à un projet d’entreprise constituent un facteur de plus en plus important de la performance de l’entreprise, dans un contexte de concurrence toujours plus prégnant. Si les salariés des entreprises ont à supporter une pression de plus en plus vive de la concurrence et du marché, l’entreprise doit également chercher, dans la mesure du possible, à maîtriser la distribution de ses produits et la logistique, notre septième levier.
Distribution et logistique : de nouveaux enjeux
15Il s’agit à la fois de « satisfaire au mieux le client » et de prendre en considération l’importance prise par la logistique. Il s’agit de livrer à temps et dans les meilleures conditions de sécurité. La logistique, longtemps assimilée à l’intendance, devient pour les entreprises un enjeu stratégique à part entière et un véritable métier pour les entreprises se spécialisant dans ce domaine. Ainsi, les relations entre logisticiens et industriels se renforcent, la proximité avec le client et la réactivité devenant des facteurs clés de compétitivité. Les entreprises travaillant de plus en plus en réseau, la logistique devient un métier à valeur ajoutée croissante. Tout comme les relations entre grands donneurs d’ordres et sous-traitants peuvent être très tendues, les relations entre les entreprises et la grande distribution ne se sont guère améliorées sur la période récente. La forte pression exercée par les centrales d’achat de la grande distribution sur leurs fournisseurs est une réalité. Cette situation résulte d’un mouvement de fond : dans les années 1990, avec la concentration dans la grande distribution, les leaders ont cherché à généraliser l’intégration verticale.
16Ne pas être que des distributeurs, devenir aussi des donneurs d’ordres comme dans l’industrie. S’adresser à des sous-traitants, édicter des processus de production, mettre en place une démarche qualité ou encore imposer la marque du distributeur face aux marques les plus connues, tout cela au service d’un objectif : faire basculer en leur faveur le rapport de force avec les grandes marques. De nombreux témoignages sont révélateurs des effets de ces évolutions sur les PME notamment : « Les relations avec la grande distribution se sont améliorées, par ce que la plupart des PME ont été écrasées ; faute de combattants, elle est bien obligée de s’entendre avec celles qui restent ; nous sommes aujourd’hui leur bonne conscience » (IGAS, 2005). L’on perçoit combien, dans la mise en œuvre de ces multiples leviers, le management de l’entreprise et plus globalement l’ensemble des salariés ont à utiliser, sélectionner, fiabiliser, interpréter, diffuser une masse croissante d’informations.
L’intelligence économique, un nouveau mode de pensée et d’action
17Aussi, la gestion stratégique de l’information, notre huitième levier, s’avère désormais une nécessité pour rendre les entreprises proactives. La direction doit impulser une véritable démarche d’intelligence économique (Levet et Paturel 1999 ; Levet, 2001) : responsabiliser l’encadrement pour créer les conditions d’une culture collective de l’information et construire une organisation au service de cet apprentissage permanent. Une entreprise innove d’autant plus que l’intelligence économique est prégnante. L’analyse empirique montre que ces entreprises, quelles que soient leurs tailles ou leurs activités, mettent en place un travail en réseau dans ses deux composantes (Levet, 2008) : d’une part la richesse des réseaux de connexions que l’entreprise doit établir entre son organisation interne et son environnement pour améliorer son potentiel d’innovation et sa capacité d’apprentissage ; d’autre part, la mise en complémentarité, la coordination des réseaux qui lui permettent d’accroître ses degrés de liberté et donc sa capacité d’influer sur son environnement (Paturel, 2008). Mettre en place une démarche globale d’intelligence économique nécessite d’inscrire cette action dans la durée, tout comme la mobilisation des autres leviers évoqués précédemment. Or, dans un environnement de plus en plus incertain où le poids de la finance impose des comportements de court terme, il y a là une contradiction de taille pour les entreprises. Aussi, une relative stabilité de l’actionnariat peut être un facteur favorable à la prise en compte du temps long par les entreprises.
Un actionnariat stable : contre l’obsession du court terme
18Dans un environnement concurrentiel où la finance jour un rôle très influent sur les comportements des firmes et la répartition même de leur valeur ajoutée au détriment de la part salarial et au profit de la part dédié aux dividendes (Du Tertre et Guy, 2009), la stabilité de l’actionnariat se révèle un atout précieux pour l’entreprise. Divers travaux et enquêtes montrent qu’un actionnariat stable n’est certes pas moins exigeant que des acteurs des marchés financiers en matière de rentabilité et d’efficience, mais celui-ci est plus enclin à favoriser la conduite de stratégies inscrites dans la durée et les projets déterminants pour l’avenir de l’entreprise sont étudiés à l’aune de cette dimension (Gattaz, 2002). Enfin, toute entreprise se situe dans un ou des territoires donnés. Son ancrage territorial constitue un facteur clé de son développement et de son internationalisation.
Des relations denses avec le(s) territoire(s) d’implantation
19Pour les entreprises, en particulier les PME et les ETI, des relations étroites avec le territoire d’implantation – notre dixième levier – sont considérées comme un atout pour leur développement, en raison de trois principaux facteurs de localisation : d’abord, le maintien des compétences des salariés de l’entreprise, car « délocaliser serait perdre le capital le plus précieux » ; ensuite, les compétences complémentaires existantes sur le territoire (fournisseurs, sous-traitants, centres techniques, etc.) ; enfin, la capacité des acteurs locaux à se mobiliser collectivement autour de projets, même si les entreprises considèrent que le monde local est encore trop souvent fragmenté et cloisonné. Ainsi, les facteurs clés de localisation que nous avons pu dégager pour ces entreprises répondent à des préoccupations de pérennité, d’identité et sont aussi liés au choix même de l’entrepreneur, un point peu traité dans les travaux relatifs aux stratégies d’implantation des entreprises (Levet, 2005).
20Des progrès ont cependant été fait depuis le milieu des années 1990, avec en particulier une action publique nationale et territoriale, s’inspirant du modèle des districts italiens et des modes de coopération territorialisés entre PME allemandes, qui s’est nettement accentué en faveur du développement de systèmes productifs locaux, puis de pôles de compétitivité. Des évaluations récentes ont montré par exemple qu’une bonne centaine de systèmes productifs locaux en France sont très actifs, en affichant des résultats intéressants en termes d’appui à la performance des PME (Vibert et Dupont, 2008), c’est-à-dire pour ce qui concerne plus particulièrement les quatre points suivants : la performance productive ; la communication et la performance commerciale ; la veille et la diversification des marchés ; le positionnement à l’international. L’innovation est aussi une thématique croissante depuis le début des années 2000 et la gestion des ressources humaines à l’échelle du réseau du SPL représente un axe qui s’affirme : gestion des emplois et des compétences, formation, appui au recrutement, des bourses aux groupements d’employeurs.
21Pour les pôles de compétitivité qui sont rentrés dans leur seconde phase en 2009, des enseignements ont été tirés depuis leur phase de lancement par appels à projets en 2004 mais aussi par l’étude des bonnes pratiques de pôles dans d’autres pays industrialisés (DGCIS et Algoe, 2009). Une conclusion majeure qui nous intéresse plus particulièrement ici réside dans le fait que l’entrepreneuriat et la création de start up sont au cœur des clusters les plus dynamiques dans le monde. La recherche collaborative au sein des pôles, où les PMI sont encore insuffisamment présentes, n’est qu’une étape qui doit déboucher vers la constitution d’une dynamique entrepreneuriale forte, créatrice de valeur ajoutée et d’emplois. Arrivé au terme de notre sujet, nous récapitulons et mettons en perspective dans le tableau ci-après cet ensemble de leviers au nombre de dix, en proposant une pondération de leur importance, pour l’entreprise, dans le temps.
Tableau 1. Les dix leviers de la performance globale.
Leviers | Hier | Aujourd’hui | Demain |
1. Créativité | + | ++ | +++ |
2. Maîtrise du savoir-faire technologique | ++ | +++ | +++ |
3. Personnels formés et polyvalents | o | ++ | +++ |
4. Imposer des marques | + | ++ | +++ |
5. Maîtrise de la production | ++ | +++ | +++ |
6. Dialogue social au service d’une ambition collective et partagée | o/+ | ++ | +++ |
7. Maîtrise de la distribution et de la logistique | + | ++ | +++ |
8. Gestion stratégique de l’information | o | ++ | +++ |
9. Actionnariat stable | o | +++ | +++ |
10. Relations étroites avec le(s) territoire(s) d’implantation | ++ | ++ | +++ |
Source : d’après Levet (2005).
22Cette approche, relativement sommaire, ne tient pas compte des spécificités sectorielles et des stratégies propres des entreprises. Elle permet cependant de mettre l’accent sur quelques points essentiels : des facteurs tels que la créativité, la maîtrise de savoir-faire clés, un personnel bénéficiant d’une formation permanente et aux capacités polyvalentes, une gestion stratégique de l’information, sont déterminants aujourd’hui quel que soit le secteur d’activité. Plus globalement, si certains de ces leviers étaient déjà mobilisés plus ou moins bien par les entreprises (par exemple, la maîtrise des processus de production, des relations denses avec le territoire), c’est bien la prise en compte de l’ensemble de ces leviers qui permettra aux entreprises dans le futur d’asseoir leur performance dans la durée.
Bibliographie
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Auteur
Docteur d’État en sciences économiques, Conseiller du Commissaire général aux
Investissements (CGI).
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