Acceptions du comique dans Ubu Rex de Krzysztof Penderecki
Filiation et interrogation du modèle bergsonien
p. 129-147
Texte intégral
1Le legs lyrique de Krzysztof Penderecki (né en 1933) compte aujourd’hui quatre ouvrages dont les différences apparentes masquent, pour trois d’entre eux1, une réflexion commune. Die Teufel von Loudun (1968)2 se présente comme une dénonciation de la violence religieuse, inspirée par l’épisode des possédées de Loudun entre 1632 et 1637. Die schwarze Maske (1986)3 se veut une sorte de festin durant la peste, débouchant sur la disparition des convives, fauchés par la mort comme dans Le masque de la mort rouge (1842) d’Edgar Poe (1809-1849). Dans ce contexte, la composition, entre 1990 et 1991, d’Ubu Rex4 a quelque peu surpris. La mention explicite opera buffa portée sur la partition place d’emblée l’ouvrage dans une lignée et une démarche qui font s’entrecroiser les notions de comique, de dérision et de satire. Si l’option retenue par Penderecki semble ici se poser en rupture avec ses deux choix précédents, elle n’en est pas moins pourtant révélatrice d’une forme d’aboutissement qui constitue le point de départ de la présente réflexion.
Le rire comme constante dans l’opéra pendereckien
2Repérer l’humour comme un trait constant de l’œuvre lyrique de Penderecki peut presque sembler une forme de provocation. Rien dans l’hystérie collective des moniales ou dans le destin tragique d’Urbain Grandier de Die Teufel von Loudun ne semble a priori ni susciter le rire ni être conçu dans l’idée même de l’invoquer, pas plus que dans la course à l’abîme à laquelle se livrent les protagonistes du Schwarze Maske.
3Pourtant, dès la création à Hambourg de Die Teufel von Loudun, et plus encore dans la réalisation télévisuelle5 conçue dans la foulée, l’accent a été mis sur le côté non pas complaisant mais volontairement exagéré avec lequel le livret abordait à la fois l’hystérie collective déclenchée par l’affaire et les scènes d’exorcisme (acte II). Là où il est tout à fait possible de lire une forme de prolongement de l’expressionnisme, le compositeur choisit délibérément un type de réalisme dont le caractère cru finit précisément par questionner l’impact réel. La mesquinerie et la lâcheté des accusateurs de l’ombre (les chirurgiens, l’apothicaire, le procureur), la grandiloquence des responsables politiques travestis en Torquemadas (Laubardemont, Condé), la scène de l’acte II dans laquelle un démon (basse profonde) s’exprime à travers Mère Jeanne (mezzo-soprano) sont autant de lignes de convergence qui font peu à peu apparaître dans l’ouvrage une notion de comique paradoxal, non plus lié à l’action intrinsèque, mais à une réalité qui, précisément, n’a de cesse d’amoindrir son propre réalisme. La difficulté de l’œuvre réside non plus dans ce qu’elle met en scène6, mais en ce qu’elle finit par secréter un humour qui place le spectateur-auditeur dans une situation nourrie de paradoxes. En effet, la gravité même du sujet, le destin des différents protagonistes nous met comme au défi non d’en rire, mais d’en sourire seulement. Il n’est nullement question ici de rire libérateur, moins encore d’une posture aristotélicienne dans laquelle le rire devient une pédagogie du réel, mais d’un rire jamais déculpabilisé, tant reste présent à l’esprit ce dont nous sommes conduits à rire.
4Certes, la culture chrétienne d’un Penderecki inclut de facto une dimension liée à la culpabilité, laquelle se trouve d’ailleurs exaltée dans son Thrène à la mémoire des victimes d’Hiroshima (1960) ; il n’est donc pas surprenant qu’elle soit livrée au jour, et ce particulièrement dans Die Teufel von Loudun, dans lequel l’intolérance aussi bien civile, religieuse que personnelle, demeure le moteur de l’action.
5Si comique il y a chez Penderecki, c’est à la fois d’un comique de l’outrance, d’un réalisme devenu sa propre négation qu’il s’agit. Dans ce contexte, la composition d’Ubu Rex n’apparaît pas comme une singularité, une exception dans un catalogue, mais bel et bien comme un aboutissement, dévoilant une facette que les précédents ouvrages lyriques n’avaient livrée que sous le masque d’actions ou de livrets qui la travestissaient encore.
6Le choix de la pièce d’Alfred Jarry (1873-1907) est évidemment révélateur des intentions du compositeur. Terminée en 1888, cette dernière met en scène un personnage que Małgorzata Janicka-Słysz décrit comme « une forme de patchwork, une mixture de Pulcinella, Polichinelle et Petrouchka, un ambigu de tyran, nez-au-vent et anarchiste, une fusion de mégalomaniaque, pleutre et voyou, une figure universelle, pour ne pas dire un homo communis7 ».
7Passant de l’envolée lyrique à un registre rabelaisien qui n’exclut pas la vulgarité, l’Ubu d’A. Jarry ne se présente ni comme une entité psychologique complexe, dans la lignée des héros rattachés aux sphères romantique ou post-romantique, ni comme une stylisation épurée propre à l’esthétique néoclassique, comme le sont ceux de l’Orestie (1913-1923)8 de Darius Milhaud, de l’Œdipus Rex (1927)9 d’Igor Stravinsky10 ou de l’Antigone (1927)11 d’Arthur Honegger, ni encore une figure archétypale de comédie, comme le sont l’Harpagon ou le Tartuffe de Molière, ou les figures lyriques qui s’en inspirent dans Die Schule der Frauen (1955)12 de Rolf Liebermann ou Monsieur de Pourceaugnac (1963)13 de Frank Martin. S’il n’a pas l’épaisseur de caractère des premiers, il n’est nullement réductible à un archétype. S’il se veut figure humaine, il l’est d’abord par son caractère synthétique et collectif, brassant dans un joyeux désordre des caractéristiques de l’âme humaine que leur complémentarité ne rend pas moins impossible à imaginer réunies sous une unique étiquette. C’est sa pluri-réalité qui éloigne Ubu du réel. De ce point de vue, la conjonction avec la vision déjà ébauchée par le compositeur dans ses précédents ouvrages lyriques ne peut que frapper ; il ne s’agit ni de proposer un théâtre du réel, ni une forme de commedia dell’arte. L’hypothèse des liens avec le théâtre de l’absurde mérite bien évidemment d’être soulevée ici. Ubu Roi anticipe de façon fulgurante sur des situations et un regard que l’Eugène Ionesco (1909-1974) des Chaises (1952) ou du Roi se meurt (1962) revisitera en profondeur, mais le regard de Ionesco se teintera toujours d’une absence immédiate de caricature alors que c’est précisément cette outrance que Jarry affiche, cette démesure dans le verbe, dans les registres de langage. La pièce n’est nullement réductible à une mise en situation de l’absurde, pas plus d’ailleurs qu’à une farce tragique, telle la superbe et macabre kermesse flamande que Michel de Ghelderode (1898-1962) met en scène dans Hop Signor ! (1936).
8La spécificité théâtrale du geste de Jarry recoupe ce que le parcours lyrique de Penderecki présente de synthèse volontairement instable entre expressionnisme et théâtre de l’archétype, entre violence et humour, entre rire libérateur et rire culpabilisant.
Pluralité de texture musicale et de style
9Si Die Teufel von Loudun restait marqué par une brièveté toute cinématographique des scènes, induisant un brassage stylistique au niveau de la composition des actes comme de l’œuvre envisagée dans sa globalité, Ubu Rex se situe dans une optique plus traditionnelle, avec deux actes de cinq scènes chacun et une durée moyenne des scènes qui les rattache à la dynamique habituelle du genre lyrique (cf. tableau 1).
10La durée moyenne d’une scène dans l’opera buffa de Penderecki est donc comprise entre dix et onze minutes, contre deux fois moins dans Die Teufel von Loudun. Se distinguent de ce jeu de proportions le Prologue, l’Intermezzo et l’Épilogue, dont les dimensions sont celles d’un rideau d’acte d’opéra. Cette homogénéité architecturale ne masque certes pas la prééminence de trois scènes, celle de La Grande Parade (acte I, scène 5), des premières mesures royales (acte II, scène 1) et de La Guerre (acte II, scène 4), ni surtout l’hétérogénéité de la texture musicale de chaque scène. Tout se passe, de fait, comme si une relative harmonie de proportions entre les scènes assurait la cohésion d’une hétérogénéité de texture autant que de style à l’intérieur des scènes.
11Ce dernier aspect est particulièrement frappant, même et surtout dans les scènes les plus courtes, où son évidence est plus directement perceptible. S’il ne peut être issu que de la volonté expresse du compositeur, il est l’un des truchements du comique pendereckien. Dans la scène 1 de l’acte I (cf. tableau 2), l’hétérogénéité de texture musicale et de style tient lieu de cheville formelle.
12Outre que la structure formelle de la scène apparaît, via l’hétérogénéité de structure, comme un véritable schéma formel de type rondo varié14 avec coda, la disparité des ressorts comiques invoqués induit une réflexion non seulement sur leur sens et leur contenu, mais également sur la façon dont Penderecki gère la mécanique du rire. Le mélange de styles invoqué ne doit rien à l’optique stravinskienne, à l’œuvre aussi bien dans Œdipus Rex que dans Mavra (1922)15. Dans ces deux ouvrages, l’allusion stylistique se double d’une cohérence récurrente : tel personnage se voit assimilé à un style particulier (la pompe haendelienne pour Créon dans Œdipus Rex, par exemple), de sorte que c’est l’acte de stylisation qui devient fondateur d’un style propre. De même, Penderecki ne recoupe pas ici la donne du collage postmoderne tel qu’Alfred Schnittke (1934-1998) le met en œuvre dans sa Symphonie no 2 « Saint Florian » (1979). Dans ce contexte, en effet, la citation n’est pas allusion stylistique, mais référence avouée à une œuvre bien précise, ce que Penderecki ne réalise pas complètement.
13L’hétérogénéité des moyens invoqués admet pour corollaire une logique spécifique de l’acception comique et du rire. Pour guider la présente réflexion, nous pouvons développer une référence aux propositions bergsoniennes concernant la signification du rire.
La lecture bergsonienne du rire et son écho direct dans Ubu Rex
14Henri Bergson (1859-1941) signale le comique comme une manifestation de l’humain, voire la conséquence d’une vision anthropomorphique :
Il n’y a pas de comique en dehors de ce qui est spécifiquement proprement humain […]. Plusieurs [philosophes] ont défini l’homme comme « un animal qui sait rire16 ». Ils auraient aussi bien pu le définir comme un animal qui fait rire, car si quelque autre animal y parvient, ou quelque objet inanimé, c’est par une ressemblance avec l’homme, par la marque que l’homme y imprime ou par l’usage que l’homme en fait17.
15Si le rire n’est en rien ennemi de l’intelligence, il n’en est pas moins vrai qu’il nécessite, selon Bergson, une mise entre parenthèses du cœur et de l’affect immédiat : « le comique exige donc enfin, pour produire tout son effet, quelque chose comme une anesthésie momentanée du cœur. Il s’adresse à l’intelligence pure18 ».
16Enfin, troisième élément capital de définition, le rire apparaît comme directement lié à un phénomène grégaire.
On ne goûterait pas le comique si l’on se sentait isolé. Il semble que le rire ait besoin d’un écho. Écoutez-le bien, ce n’est pas un son articulé, net, terminé ; c’est quelque chose qui voudrait se prolonger en se répercutant de proche en proche19 […].
17De fait, si le comique et le rire relèvent de l’application consciente d’un schéma anthropomorphique, ils ne sauraient prendre de sens que reliés à une compréhension de l’application de ce schéma, à la fois personnelle et collective, le collectif validant ce que le personnel saisit. Que le comique devienne donc préférentiellement affaire de représentation visuelle ou théâtrale n’a donc rien de spécialement surprenant.
18La mise en œuvre des ressorts comiques dans la vision bergsonienne repose sur des distinctions catégorielles dont il est aisé de cerner l’application dans Ubu Rex.
Comique de situation et d’action
19Si le rire demeure lié à une projection de schéma proprement humain, les ressorts comiques ne font que grossir les rouages de situations liées à la vie réelle. Pour clarifier cette vision, Bergson présuppose une continuité entre l’enfance et l’expérience adulte : « ce que nous rejouons spécifiquement dans l’émotion comique adulte, c’est une activité de mécanisation, une manipulation active de metteur en scène – fût-ce virtuellement comme spectateur –, ce que le chapitre I avait introduit au titre de l’intelligence20 ».
20Trois ressorts se trouvent en conséquence impliqués au premier chef dans la mise en œuvre du comique d’action et/ou de situation.
Comique de répétition
21Par comique de répétition, il nous faut entendre non seulement celui lié à l’itération obstinée d’un mot ou d’une expression, mais aussi et surtout celui découlant « d’une situation, c’est-à-dire d’une combinaison de circonstances, qui revient telle quelle à plusieurs reprises, tranchant ainsi sur le cours changeant de la vie21 ». Livret et musique exploitent ouvertement le principe dans Ubu Rex, qu’il s’agisse d’architecture globale de l’œuvre, de construction ou de rapport entre les scènes.
22Ainsi en va-t-il, dans un premier temps, du Prologue et de l’Épilogue (cf. tableau 3). La conjonction de situation se double ici d’une convergence musicale, mais il est permis de s’interroger sur l’adéquation du geste pendereckien avec la donne du comique de répétition. En effet, cette disposition dramatique n’est pas le fait de Jarry, mais bien des deux librettistes. Le fait que le dernier tableau de l’opera buffa en reprenne le début n’intervient pas seulement comme une « perturbation du cours changeant de la vie », mais comme une donnée plus tragique que comique. Par-delà les assassinats, la lutte pour le pouvoir, les guerres, les spoliations, l’intrigue paraît prête à recommencer ici ou ailleurs. Il y a bien plus référence à une cyclisation tragique du destin qu’au comique d’une situation itérative. Si l’artefact demeure, le sens se révèle sensiblement différent de ce que l’effet semble convoquer : Penderecki emprisonne ses personnages dans un statut de simples figures dont l’apparente volonté ne pèse rien face au poids d’un destin sisyphéen.
23La scène 3 de l’acte II use d’une façon plus subtile du procédé itératif. En effet, la collecte des impôts par le nouveau roi autoproclamé Ubu est vécue par Stanislas Leszczyński comme un recommencement d’une circonstance vécue, ce que renforce le choix par les librettistes du nom d’un souverain détrôné de Pologne22 pour ce personnage incarnant une âme polonaise collective. Il y a répétition non pas figurée, mais sous-entendue. La première section de la scène, avant l’arrivée d’Ubu, se présente comme un cluster de faible ambitus, dans le médium grave des cordes, longuement tenu, pendant les échanges parlés des protagonistes qui témoignent du « nouvel état de fait » du régime (exemple 2). Notons que la reprise du chant se fait sur la répétition obstinée de l’exclamation Großer Gott, censée manifester la surprise, et que la déclamation se réfugie alors sur un simple rythme pointé souligné par le double procédé d’homophonie et d’homorythmie (exemple 3). La surprise se mue, de fait, en acceptation résignée d’une histoire toujours recommencée, fussent les protagonistes différents.
24Enfin, le processus itératif peut être convoqué par Penderecki comme cheville architecturale d’une scène (cf. tableau 2 concernant l’acte I, scène 1). Dans ce cas précis, la forme rondo varié doit peu à une quelconque obédience néoclassique. La réapparition de la texture musicale de type dialogue expressionniste individualise, par contraste, le réveil en fanfare d’Ubu, la proposition du massacre de la famille royale, l’acceptation de principe et l’arrivée des invités et acolytes. S’il y a ici exploitation comique de la répétition, sous la forme d’une itération de texture, elle intervient alors par contraste : là où la réflexion des personnages devrait être en mouvement, portée par l’ambition, s’échauffant à l’idée du crime à commettre, elle reste soutenue par une non-évolution, comme si au regard de l’Histoire le meurtre perpétré était un non-événement remplaçant un appareil de pouvoir autocratique par un autre. De ce point de vue, la construction de la scène 1 de l’acte I anticipe sur la répétition tacite de la scène 3 de l’acte II.
25Les trois exemples que nous venons d’invoquer de dynamique de répétition dans Ubu Rex montrent que Penderecki, en tant que librettiste et en tant que compositeur, demeure pleinement conscient du pouvoir comique de la répétition, mais qu’il en use en sollicitant toujours cette notion d’intelligence à laquelle le modèle bergsonien fait ouvertement référence (cf. note 20), soit au travers du côté implicite de cette itération, soit en la nantissant d’un poids tragique qui en infléchit notablement le sens.
L’inversion
26Ce ressort comique demeure une dérivation du précédent. Pour qu’il y ait inversion, il faut précisément qu’une situation soit reproposée dans des conditions sensiblement différentes :
Imaginez certains personnages dans une certaine situation : vous obtiendrez une scène comique en faisant que la situation se retourne et que les rôles soient intervertis. De ce genre est la double scène du sauvetage dans Le Voyage de Monsieur Perrichon23. Mais il n’est pas nécessaire que les deux scènes symétriques soient jouées sous nos yeux. On peut ne nous en montrer qu’une, pourvu qu’on soit sûr que nous pensons à l’autre24.
27Outre les similitudes de situation entre la famille royale de Wenceslas, imbue de son pouvoir, et celle du Père de la Mère Ubu, bientôt totalement assimilée à cette pratique absolutiste, la construction musicale de l’opéra est basée non pas, comme nous le soulignions tout à l’heure, sur le collage postmoderne, ni sur une juxtaposition simplement ludique de styles, mais sur une utilisation consciente de ces styles et de leur sens.
28Le chœur Wenn die Sonne, présent dans le Prologue et dans l’Épilogue, est une réminiscence directe et avouée du chœur des marins suédois dans Der Fliegende Holländer (1840-1841) de Richard Wagner (1813-1883). Il s’agit bien de faire allusion à une situation connue, un cadre dramatique et même musical parfaitement identifié, mais dont la structure se trouve inversée : chez Wagner, le personnage du Hollandais est seul condamné à une errance éternelle, à la différence des marins, ici ce sont les protagonistes mêmes du drame qui sont, sans le savoir, condamnés à revivre la même soif de pouvoir, les mêmes illusions, les mêmes défaites, les mêmes crimes. Il est notable que Penderecki use de manière transparente des ressorts comiques définis par Bergson, mais qu’il le fait de manière à ce que le comique dessine en creux un fait tragique.
29Dramatiquement et musicalement, l’inversion peut se superposer au concept d’allusion décontextualisée, de sorte que (acte I, scène 1) l’appel au meurtre de la Mère Ubu fait d’elle une projection de Lady Macbeth, la noblesse en moins. De même, lorsque (acte I, scène 1, sixième section, cf. tableau 2) Ubu se prend à rêver de son propre règne, la texture musicale fait brusquement place à un menuet stylisé (mètre ternaire perceptible, présence timbrique des cordes, mélos moins tendu, exemple 4).
30L’allusion au contexte syntaxique de la royauté musicale est transparente. Mais on notera que ni Wenceslas (acte I, scènes 3 et 5) ni le Tsar (acte II, scène 2) ne seront assujettis à cette obédience, l’inversion n’a donc rien de systématique sous la plume du compositeur. Elle apparaît bien plus comme la projection fantasmatique de l’exercice du pouvoir que comme cet exercice lui-même : Ubu devenu roi ne reprendra plus cette texture propre au simple Père Ubu. Bien plus, la scène de collecte des impôts par le nouveau souverain (acte II, scène 3) se dispense de toute allusion à ce vocabulaire musical de la noblesse, Penderecki préférant de loin invoquer le ressort comique d’un roi bien plus ouvertement plébéien que ses propres sujets.
31S’il y a bien, via la technique musicale de la parodie, recours à cette inversion dont parle Bergson, Penderecki prend garde de n’en user que passivement, il en fait toujours un vecteur de sens qui va au-delà du simple facteur burlesque.
L’interférence des séries
32Ce dernier ressort du comique de situation et d’action se révèle plus subtil encore que les précédents.
Une situation est toujours comique quand elle appartient en même temps à deux séries d’événements absolument indépendantes, et qu’elle peut s’interpréter à la fois dans deux sens différents.
On pensera aussitôt au quiproquo. Et le quiproquo est bien en effet une situation qui présente en même temps deux sens différents, l’un simplement possible, celui que les acteurs lui prêtent, l’autre réel, celui que le public lui donne25.
33Si l’on réduit l’interférence des séries à la notion de quiproquo, il est évident que ni la pièce de Jarry ni l’opera buffa de Penderecki n’y font ouvertement référence. Mais le concept est naturellement plus large que ne le suppose la configuration habituelle du vaudeville.
Au lieu de deux séries contemporaines, on pourrait aussi bien prendre une série d’événements anciens et une autre actuelle : si les deux séries arrivent à interférer dans notre imagination, il n’y aura plus quiproquo, et pourtant le même effet comique continuera à se produire […]. La transposition, généralement comique, de l’ancien en moderne s’inspire de la même idée26.
34L’ensemble du livret de la pièce, en mélangeant des épisodes de l’histoire de la Pologne de différentes époques, joue de cette non-convergence chronologique pour susciter l’effet comique et celui d’intemporalité. Mais curieusement, la musique reste très en retrait de cette dynamique d’interférence. Si citation stylistique il y a, elle ne relève pas d’une notion de pastiche temporel. En dehors du menuet de la scène 1 de l’acte I, aucune autre citation musicale ne vient corroborer les références brassées par le livret, contrairement à ce que la pratique néoclassique du pastiche prescrirait, ou dans un contexte plus proche de notre temps, la référence stylistique à l’opera buffa mozartien dans La Station thermale (1993)27 de Fabio Vacchi (né en 1949). Ceci ne signifie nullement que Penderecki ait renié le pouvoir de l’interférence de séries, mais il en fragmente l’exploitation entre, d’un côté, le verbe et le visuel, de l’autre, la musique. Au livret et à la scénographie, la mise en scène des références au passé ; à la musique une forme de permanence (syntaxe atonale expressionniste ou post-tonale). De ce face-à-face naît le phénomène interférentiel.
Comique de caractères
35L’édifice social repose sur l’adoption tacite ou forcée d’un certain nombre de normes qui se heurtent à la notion d’individualité, ce que Bergson relève comme l’un des leviers du fait comique :
Où la personne d’autrui cesse de nous émouvoir, là seulement peut commencer la comédie. Et elle commence avec ce qu’on pourrait appeler le raidissement contre la vie sociale. Est comique le personnage qui suit automatiquement son chemin sans se soucier de prendre contact avec les autres. Le rire est là pour le corriger de sa distraction et pour le tirer de son rêve28.
36Le développement d’un caractère comique pose donc le problème non seulement de l’intelligence du public, mais aussi de sa sensibilité, comme le souligne Frédéric Worms :
1o Le devenir comique d’un caractère n’implique aucune évaluation morale à son sujet, mais seulement la perception en lui, défaut ou qualité, d’une tendance à l’insociabilité. 2o Le devenir comique d’un vice de caractère n’implique aucune appréciation de son degré de légèreté ou de gravité, mais seulement l’insensibilité avec laquelle on l’observe29.
37Il est clair qu’Ubu Rex joue, par son livret, sur un comique de caractère. Anarchiste par nature, Ubu devient le metteur en œuvre zélé d’un absolutisme sans concession. Encore une fois, le compositeur-librettiste va jouer non pas sur un renforcement de la dramaturgie par la musique, mais sur une complémentarité indissociable. Il est en effet surprenant de constater à quel point c’est l’écriture chorale, celle dévolue aux personnages collectifs et aux scènes de masses, qui se montre la plus volontairement tributaire d’un faisceau de conventions :
- Prologue et Épilogue, avec leur citation distanciée du Fliegende Holländer,
- Acte I, scène 5, où la présence quasi muette du chœur demeure une interrogation,
- Acte II, scènes 1 et 4, avec des interjections chorales massives et verticales, analogues à celles des scènes de foule dans le Guerre et Paix (1942) de Serge Prokofiev (1891-1953).
38Au côté stéréotypé des interventions chorales, le couple Ubu répond par une égale standardisation des effets musicaux qui leur sont attribués :
- oscillation entre atonalisme libre et vocalité complaisante chez la Mère Ubu,
- débit atonal riche en contrastes, dans la lignée du médecin de Wozzek, pour le Père Ubu.
39Du face-à-face difficile entre un corps constitué et une individualité décalée ou plus largement rebelle, Penderecki fait une entrevue statique entre deux hiératismes qui peinent à communiquer, emprisonnés qu’ils sont respectivement dans leur inadaptation mutuelle. Le Père Ubu n’est pas dans l’opéra un individu arc-bouté contre une société qu’il questionne ou rejette, ou tout du moins s’il l’est, il représente pour la société un bloc aussi immuable qu’incompréhensible. En instaurant musicalement une réflexivité dans le rapport ainsi construit, le musicien rend bijectif le comique de caractère, qui ne se limite pas, loin s’en faut, à la vulgarité du couple Ubu, que la musique ne souligne pas (aucune référence dans leurs répliques à l’art populaire, au cabaret ou à la musique de variété).
La logique de l’absurde
40La pièce de Jarry et, par voie de conséquence, l’opera buffa de Penderecki font une large place à la mise en scène de l’absurde. Si, encore une fois, nous nous référons à Bergson, la définition de l’absurde repose sur la mise en avant d’une forme particulière de logique poussée dans ses derniers retranchements.
L’absurdité, quand on la rencontre dans le comique, n’est donc pas une absurdité quelconque. C’est une absurdité déterminée. Elle ne crée pas le comique, elle en dériverait plutôt. Elle n’est pas cause, mais effet – effet très spécial –, où se reflète la nature spéciale de la cause qui le produit30.
41L’exemple invoqué par Bergson en illustration de sa thèse est celui des moulins à vent dans Don Quichotte. C’est parce qu’il a en amont relu des romans de chevalerie que le héros décide en toute logique que les ombres à grands bras qu’il aperçoit sur la colline sont des moulins. Si cette logique nous échappe parce que nous ne sommes pas dans ce cas de figure, elle n’en demeure pas moins cohérente.
42Sur ce point, la vision pendereckienne semble s’écarter assez sensiblement de la définition posée par Bergson. Au cours des deux actes, la logique propre au Père et à la Mère Ubu n’apparaît pas comme une ligne cohérente. Ubu passe successivement de la passivité satisfaite à la soif de pouvoir (acte I, scènes 1 et 2), puis au stade de meurtrier insensible (acte I, scènes 4 et 5), puis à la jouissance tyrannique (acte II scènes 1 et 3) et à la veulerie (acte II, scènes 4 et 5). Plus discernable, parce que plus constante, demeure la logique affichée par la Mère Ubu, laquelle apparaît comme un catalyseur des changements d’état de son époux. Le retour à la veulerie survient lorsqu’elle cesse de soutenir, parfois sur le mode agressif, l’instinct de pouvoir chez Ubu. De fait, si par l’ensemble des états d’esprit qu’il concentre en deux actes, ce dernier apparaît bien comme cet homo communis dont parlait M. Janicka-Słysz (cf. note 7) et peut-être plus encore comme un homo universalis, il n’est pas réductible à une logique agissante. C’est d’ailleurs ce en quoi, déjà, Jarry se montrait précurseur d’un théâtre de l’absurde à venir. L’absurde ubuesque a ceci de spécifique autant que d’inquiétant qu’il ne s’appuie pas sur une logique évidente, laquelle par voie de conséquence se serait révélée rassurante pour celle « commune » adoptée par le public. Les actes d’Ubu ne sont pas moins imprévisibles que ne serait discernable la figure du Maître dans la pièce éponyme d’E. Ionesco31. L’organisation musicale de l’ouvrage épouse-t-elle ce sens d’un absurde volontairement coupé de toute logique, d’un absurde-roi parce qu’absolu ? Rien n’est moins sûr. Les références non seulement de style, mais également de langage (tonal, atonal, sériel, minimaliste, post-tonal) sont particulièrement nombreuses à l’intérieur de chaque scène (l’exemple que nous avons pris pour la scène 1 de l’acte I, cf. exemple no 2) et viennent conforter, sinon une forme de logique quichottienne substitutive, du moins une grille de lecture pour l’auditeur-spectateur plus forte dans sa cohésion que ne l’est, au moins en apparence, la trame du livret.
43Cette répartition stylistique et langagière n’est pas le fruit du hasard, mais répond à une volonté dichotomique :
- d’une part, les éléments de « décor » et ceux liés à des références sociales communes sont très clairement choisis pour leur convergence avec ce qui est donné à voir. Les scènes du Palais de Wenceslas, de la Parade, de la royauté d’Ubu, de la collecte des impôts et de la guerre font appel à des éléments de mémoire stylistique collective (pompe royale, fanfares de batailles). Dans ce cas précis, le compositeur les utilise non pas en les décontextualisant, mais au contraire en les sur-contextualisant, c’est-à-dire en soulignant leur nudité, en ne les reliant pas au reste de la trame. Ainsi, ce n’est pas seulement la référence qui fait sens, mais sa place comme un élément qui ne serait plus à l’échelle de l’ensemble, qui devient signifiante. De simple, elle devient volontairement simpliste, donc tout à coup insuffisante ;
- d’autre part, les éléments musicaux liés au couple Ubu sont, comme nous l’avons souligné, hors contexte, comme non adaptés au sens que les personnages eux-mêmes sont censés leur insuffler. Témoin, l’entrée d’Ubu collecteur de taxes (acte II, scène 3, mesure 19, p. 353). Les deux répliques sont placées dans un registre aigu malaisé, prosodiées volontairement à l’encontre de l’accentuation tonique32. De fait, à aucun moment de l’ouvrage les deux personnages principaux ne se voient servis par une texture musicale qui converge vers le sens de leurs paroles ou de leurs actes.
44Le couple Ubu se voit donc placé musicalement à distance de tout ce qui pourrait faire émerger leur propre logique, et celle de la société qui les entoure apparaît comme déformée, grossie à l’envi, d’où l’amoindrissement de son sens, désormais dépourvu autant de subtilité que d’adaptabilité. À la joyeuse anarchie de Jarry se trouve ainsi substituée une inquiétante absence de fiabilité des références, la musique œuvrant non pour une suppression de toute logique, mais pour la déconstruction et la mise en fragilité de tout modèle. La position pendereckienne, si elle n’est pas sans lien avec l’univers d’E. Ionesco ou de René de Obaldia (né en 1918)33, fait finalement montre d’une forme d’humour désabusé très proche de celle que construit Schnittke dans Life With an Idiot (1990-1991)34, dans laquelle l’irruption de l’absurde dans un univers réaliste et ordonné aboutit à l’annihilation de toute logique.
45Il n’est plus question, comme dans le propos bergsonien, de proposer une logique différente, construite comme en creux par rapport à celle commune, mais d’imposer la déconstruction comme unique aboutissement, la logique commune n’échappant pas au phénomène, par le biais de l’effet « loupe grossissante » de la musique.
46Le comique qui en résulte, nettement grinçant, a ceci d’inquiétant qu’il cesse d’être un comique de situation, de personnage ou même de mot (la vulgarité dans la langue de Jarry n’est pas sa moindre spécificité, et le livret de l’ouvrage conserve volontairement cet aspect35) pour ne prendre sa résonance profonde que dans son versant social.
Satire et socialité dans Ubu Rex
47La composante grégaire du comique et du rire lie profondément ces deux données au collectif social, tout au moins dans la vision bergsonienne.
Comment faut-il entendre maintenant que l’utilité sociale soit la raison d’être du rire ? Peut-être M. Bergson veut-il dire simplement qu’il nous est impossible de distinguer des phénomènes psychologiques purement individuels autrement que par abstraction, que les influences sociales pénètrent si bien jusqu’à nos moindres actes et à nos plus intimes sentiments, que nous ne saurions dire ce qui vient d’elle et ce qui vient de nous36.
48De fait, c’est à la société que nuit le plus profondément l’inadaptation du personnage objet du rire. Si, selon la vision aristotélicienne, ce dernier va corriger chez le rieur ce qu’il pourrait nourrir de commun avec le personnage dont il rit, il aboutit à une consolidation du fait social commun. Pour séduisante qu’elle soit, l’hypothèse bergsonienne passe sous silence le rire de l’enfant qui, le plus souvent, ne repose ni sur l’intention de moquerie, ni sur la référence sociale, ce qui en démontre la limite.
49Dans Ubu Rex, la lecture la plus superficielle de l’opéra peut nous orienter vers une simple interprétation satirique. Tous les appareils sociaux en place sont musicalement peints comme des châteaux de cartes qui ne tiennent que sur leur acceptation par la collectivité. Cette dimension satirique dans la musique existe, et Penderecki, en grossissant les effets, l’entretient sciemment. Mais elle n’apparaît que comme un phénomène superficiel, car Ubu symbolise musicalement l’incapacité de la société à secréter un autre modèle qu’elle-même. Pas plus que le discours ubuesque n’est susceptible d’être assimilé en profondeur par les styles brassés dans les scènes collectives, il ne se révèle capable de construire une alternative à ces mêmes styles, pas en termes de mémoire collective en tout cas. Ce que la musique interroge, ce ne sont pas tant les travers de la société, lesquels ne sont clairement pas épargnés (pas plus que dans la pièce de Jarry), que sa capacité à proposer, intégrer ou structurer l’altérité. Si socialité il y a dans le comique pendereckien, c’est qu’il renvoie dos à dos la société et le miroir qu’en présente l’Histoire, la seconde n’intervenant pas, via les citations stylistiques, comme un moyen de féconder présent ou futur, mais comme une forme de sclérose. La satire propose, par définition, la correction de certains traits, et c’est précisément l’incapacité à proposer comme à amender qui frappe dans l’ouvrage.
50Pour autant, faut-il parler de nihilisme comique à propos d’Ubu Rex ? La conception cyclique de l’ouvrage, en particulier sur le plan musical, le dément en partie. Qu’ils soient non signifiants en apparence n’infléchit pas la solidité du modèle musical invoqué (Der Fliegende Holländer), puisqu’il se révèle porteur d’architecture aussi bien dans le Prologue que dans l’Épilogue. La malédiction du Hollandais consiste bien à reprendre sans fin le même voyage autour de la terre, et c’est précisément le sens qu’attribue à l’emprunt stylistique le compositeur. Par-delà l’historicité de l’art, l’humanité est prête à reproduire avec d’autres Ubu le même schéma de pouvoir tyrannique, de même que tous les Ubu sont prêts à porter en eux le même germe d’absolutisme. De ce point de vue, la citation wagnérienne prend un sens profond, celui du poids de l’histoire sur la société, poids que manifeste en l’occurrence une absence de mémoire qui prive la première du sens qu’elle devrait prendre.
Tentative de synthèse : un comique de la connexion mnésique
51Penderecki propose dans sa lecture d’Ubu Rex une forme de comique qui, s’il ne répudie pas en bloc le modèle bergsonien, l’élargit en lui conférant une dimension nouvelle. Si le comique de situation, de mots et de caractère est bien présent dans son geste musical, ces différentes facettes sont englobées dans un geste plus large. La mémoire (historique chez les personnages, stylistique chez le public) est constamment sollicitée, mise en scène et en action, sans possibilité de devenir conscience ou sens. La mémoire devient un espace de l’absurde, dans la mesure où elle est uniquement phénomène passif, jamais reliée à un sens autre que celui du recommencement. Réduite à une unique anamnèse, elle porte à elle seule la logique de l’absurde sur laquelle se fonde l’ouvrage. Tel n’était pas le cas dans la démarche schnittkienne qui ne souligne pas avec la même évidence l’impasse d’une mémoire déconnectée ou inactive.
52Si sens comique il y a dans Ubu Rex, il prolonge le postulat bergsonien en insistant sur l’univocité de son implication sociale (cf. note 36) et en interrogeant l’absence de mémoire active qu’elle sous-entend. Stimuler la mémoire pour rendre consciente sa propre limite, tel demeure le moteur original du comique dans Ubu Rex, élément pour l’instant isolé dans la production du compositeur, qui renouvelle la position postmoderne en dégageant l’opera buffa de la stricte obédience néoclassique dans laquelle il a été partiellement maintenu depuis le milieu du xxe siècle37.
Annexe
Annexes
Tableau 1. Durée et taille des scènes dans Ubu Rex :
Scène | Sous-titre de la scène38 | Durée approximative39 | Nombre de mesures |
Prologue | 1’39’’ | 47 | |
Acte I, scène 1 | Les Ubu au lit | 8’19’’ | 213 |
Acte I, scène 2 | Le Festin | 9’53’’ | 332 |
Acte I, scène 3 | Au palais du Roi | 9’19’’ | 165 |
Acte I, scène 4 | Conspiration | 8’18’’ | 226 |
Acte I, scène 5 | La Grande Parade | 14’24’’ | 536 |
Acte II, scène 1 | Les premières mesures royales | 19’12’’ | 472 |
Acte II, scène 2 | Chez le Tsar | 9’34’’ | 105 |
Acte II, scène 3 | La Collecte des taxes | 11’40’’ | 306 |
Intermezzo | 2’13’’ | 75 | |
Acte II, scène 4 | La Guerre | 15’43’’ | 515 |
Acte II, scène 5 | La Grande Fuite | 8’16’’ | 91 |
Épilogue | En haute mer | 3’6’’ | 77 |
Tableau 3. Situation itérative entre Prologue et Épilogue dans Ubu Rex :
Repère dramaturgique | Situation | Contexte musical |
Prologue | Père Ubu, Mère Ubu et mercenaires célèbrent l’insouciance devant la vacuité de l’existence | Chœur en unissons et octaves (à l’exception de quelques accords parfaits) résolument tonal (fa majeur). Puis apparition du thème récurrent Wenn die Sonne : scansion affirmée du mètre binaire, rythme de marche, chœur masculin à l’unisson (exemple 1). |
Épilogue | Même situation et même texte | Reprise littérale du chœur initial avec ajout de répliques parlées du Père et de la Mère Ubu. Le remplissage harmonique est plus directement figuré. Reprise textuelle du chœur Wenn die Sonne. |
Notes de bas de page
1 Paradise lost, sacra rappresentazione en deux actes, sur un livret de Christopher Fry (1907-2005) d’après John Milton (1608-1674), composé entre 1975 et 1978 et créé le 29 novembre 1978 à Chicago, est plus un oratorio qu’un opéra et ne recoupe pas les mêmes préoccupations esthétiques que les autres pages lyriques du musicien.
2 Opéra en trois actes sur un livret du compositeur d’après Aldous Huxley (1894-1963).
3 Opéra en deux actes sur un livret du compositeur et de Harry Krupfer (né en 1935), d’après la pièce de Gerhart Hauptmann (1862-1946) de 1928, créé le 15 août 1986 au Festival de Salzbourg.
4 Livret de Jerzy Jarocki et K. Penderecki d’après Alfred Jarry.
5 Version de studio avec Tatiana Troyanos, Andrzej Hiolski, Bernard Ładysz, Hans Sotin, Karl-Heinz Gerdesmann, Rolf Mamero avec le chœur et l’orchestre de l’Opéra de Hambourg dirigés par Marek Janowski, réalisée peu après la création sur scène, en 1969.
6 La création française, dans une traduction d’Antoine Goléa (1906-1980), à Marseille, en 1972, avec Andrée Esposito dans le rôle de Jeanne, déclenche une réaction violente du public.
7 Małgorzata Janicka-Słysz, [Śmiejmy się w Ubulandzie !] in Programme des représentations d’Ubu Rex, Théâtre de Cracovie, 2015, p. 6-9.
8 Trilogie lyrique basée sur la traduction par Paul Claudel (1868-1955) de la trilogie d’Eschyle, et regroupant une musique de scène (Agamemnon), une cantate (Les Choéphores) et un opéra en trois actes (Les Euménides).
9 Oratorio sur un livret de Jean Cocteau (1889-1963).
10 Avec lequel, de toute évidence, Penderecki cherche à entretenir une assonance dans le titre de son ouvrage.
11 Opéra en trois actes sur un livret de Jean Cocteau.
12 Opéra-bouffe en trois actes sur un livret de Heinrich Strobel (1898-1970) d’après L’École des femmes de Molière.
13 Opéra-bouffe en trois actes sur un livret de Frank Martin d’après la comédie éponyme de Molière.
14 L’apparentement entre la section introductive et les épisodes de dialogue expressionniste fait que l’ensemble de la scène est lisible comme un rondo varié avec coda conclusive.
15 Opéra en un acte sur un livret de Boris Kochno (1904-1990).
16 Point de vue artistotélicien, qui renvoie à Parties des animaux (III, 10), ainsi qu’à l’Avis au Lecteur dans La Vie très honorificque du Grand Gargantua, père de Pantagruel (1534-1535) de François Rabelais, NDLA.
17 Henri Bergson, Le rire, Paris, PUF, 2007, p. 2-3. L’auteur souligne.
18 Ibid., p. 4.
19 Ibid., p. 4-5.
20 Frédéric Worms, Table analytique du Rire in Henri Bergson, ibid., p. 268-269.
21 Ibid., p. 68-69.
22 Stanislas Leszczyński (1677-1766), roi de Pologne de 1704 à 1709 et de 1733 à 1736, et père de l’épouse de Louis XV.
23 Le Voyage de Monsieur Perrichon, comédie en quatre actes d’Eugène Labiche (1815-1888) et Édouard Martin (1825-1866), créée en 1860, NDLA.
24 Henri Bergson, op. cit., p. 72.
25 Ibid., p. 73-74. L’auteur souligne.
26 Ibid., p. 76.
27 Opéra-bouffe en 3 actes sur un livret de Myriam Tanant d’après Carlo Goldoni.
28 Henri Bergson, op. cit., p. 102-103. L’auteur souligne.
29 Frédéric Worms, op. cit., p. 273.
30 Henri Bergson, op. cit., p. 139.
31 Le Maître, opéra en un acte sur un livret d’E. Ionesco (1953), musique de Germaine Tailleferre (1892-1983), créé à la RTF en 1959.
32 Et contrairement à la démarche d’un Honegger dans Antigone, ce déplacement d’accent n’est pas conçu pour mettre en évidence la force, la violence ou la douceur des répliques.
33 Dans Les Bons Bourgeois (1980), hommage aux Femmes savantes de Molière, l’auteur utilise une construction très proche de celle de Penderecki pour Ubu Rex, faisant apparaître la logique sociale comme simpliste et nivelant celle propre aux principaux personnages.
34 Opéra en deux actes sur un livret de Victor Erofeiev.
35 Autre point commun avec le Life With an Idiot de Schnittke.
36 Dominique Parodi, « Le rire. Essai sur la signification du comique par Monsieur H. Bergson », in Revue de métaphysique et de morale, t. 9, no 2, mars 1901, p. 233.
37 On citera, dans cette mouvance, aussi bien La Locandiera (1960) de Maurice Thiriet (1906-1972), Mirandolina (1953-1954) de Bohuslav Martinů (1891-1959) – les deux ouvrages étant inspirés de la même comédie de Carlo Goldoni (1707-1793) –, ou Le Preziose ridicole (1929) de Felice Lattuada (1882-1962) d’après Molière.
38 Traduction de l’auteur.
39 En l’absence d’indications précises sur la partition, la durée invoquée fait référence à l’enregistrement publié en 2004 sous label Accord (Universal Music, sous la direction de Jacek Kaspszyk (ACD 133-2).
Auteur
CRR de Marseille
Est spécialiste de la musique du xxe siècle, agrégé et docteur en musique. Il enseigne l’analyse au CRR de Marseille et collabore au département SATIS d’Aix-Marseille Université. Il a publié des monographies telles que Darius Milhaud ou Georges Migot (Montrem, AMF, 2003 et 2004), dirigé la publication de Lucien Durosoir, un compositeur moderne né romantique (Albi, Fractions, 2013) et Henri Tomasi, du lyrisme méditerranéen à la conscience révoltée (PUP, 2016), en codirection avec Jean-Marie Jacono.
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Théâtres brésiliens
Manifeste, mises en scène, dispositifs
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2015
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2015
Écrire l'inouï
La critique dramatique dépassée par son objet (xixe-xxie siècle)
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