La mort en ce jardin (vergers et jardins dans le cycle du Lancelot-Graal)
p. 63-85
Texte intégral
1A première vue, le thème du jardin/verger ne semble pas offrir riche matière à investigation dans le cycle du Lancelot-Graal : les occurrences en sont rares et le traitement, conventionnel, demeure en deçà de ce que l’on peut trouver, par exemple, chez Thomas ou Chrétien de Troyes.
2Cette indifférence se remarque déjà dans l’emploi d’un vocabulaire qui ne fait pas de distinction entre verger et jardin d’une part, et prael de l’autre1. Si l’emploi de jardin et verger comme purs synonymes n’appelle pas de commentaire2, on peut noter que le prael apparaît tantôt comme une partie du jardin :
... s’aloit esbanoier por un jardin qui ceingnoit la tor ou ele estoit, si cueilloit flors en un molt bel prael qui i estoit... Lancelot. t. 1, p. 207
3tantôt comme synonyme de ce dernier (le même lieu est désigné par l’expression “contreval les preis” (Lancelot, t. 8, p. 103 et 117) et par le mot verger (p. 119), tantôt enfin comme un lieu de transition entre jardin et forêt :
Si s’en vait atant et entra en .I. vergier et del vergier entra en .I. petite praerie3. Lors trouve .I. estroit sentier qui la mena droit a une forest.
Lancelot, t. 4, p. 183
4Comment se présente le jardin ? Le texte se contente parfois d’une simple mention, surtout s’il apparaît comme un lieu par lequel il faut simplement y passer pour aller ailleurs : les maisons du roi Artus, construites entre rivière4 et jardin, font de celui-ci, surtout lorsque le roi choisit une chambre qui donne sur l’eau ... et Guenièvre une qui ouvre sur le jardin, le chemin obligé pour l’amant à qui elle donne rendez-vous :
... et chevaucherent tant qu’il vindrent derrier le palais et troverent le jardin le roi qui estoit clos de bas murs, et ils descendent de chevax, puis les atachent a .I. arbre et saillent el jardin par desus les murs et troverent l’uis desfermé... (La reine) ot fait son lit devers le jardin.
Lancelot, .t. 4. p. 377
5Pour le même chemin suivi en sens inverse pour repartir, voir p. 383.
6Il en est de même dans la Mort Artu où Bohort décrit ainsi à Lancelot l’itinéraire le plus sûr pour accéder è la chambre de Guenièvre :
“Yeez ci un jardin qui dure jusqu’à la hcambre la reine ; entrez i. Si trouverez la plus coie voie et la plus estriange de gens que je seiche ... (Lanceloz) se met en la sente del jardin qui duroit jusqu’à la meson le roi Artu ... Mort Artu. p. 114-15
7Il n’y a jamais de longue description du jardin/verger, tout au plus révocation d’un espace sufisamment suggéré par l’hyperbole :
“... et lors troveriés vos un des plus biais jardins que vos onques veissiés de vos iex”.
Lancelot. t. 7. p. 185
Cf. aussi Lancelot, t. 7, p. 235 et Queste. p. 27.
8ou par le recours à un ou plusieurs des traits canoniques par lesquels l’art de rhétorique définit le locus amoenus :
... s’aloit esbanoier por un jardin... si cueilloit flors en un molt bel prael qui i estoit.
Lancelot. t. 1, p. 207.
Lors le mainent en un molt bel jardin tot plain d’orbroisials.
Lancelot, t. 2, p. 392.
... s’en ala esbatre en un jardin qui est deniers la meson sa mere ... Et li anfes trova Agloval gisant sos .I. pomier... Lancelot, t. 6. p. 184.
... il se furent alé esbatre en un vergier.... si s’asistrent desoz un arbre ...
Queste. p. 27.
... li fu avis qu’il estoit en un jardin desouz un grant arbre qui se estoit chargiez de flors et de foilles que trop grant merveille estoit a veer... si se cochiet en l’erbe vert...
Lancelot, t.1, pp. 358-59.
Lanceloz entra en un vergier desoz la tour, qui molt ert biaux et plais d’arbres, et avoit an mi leu desouz un sicamor une fontainne trop anvoisie.
Lancelot, t. 6. p. 221.
9Mais le passage qui met le mieux en valeur le motif du jardin est celui qui, associant l’espace et le temps, évoque la reverdie au jardin de Morgue, vue par les yeux d’un Lancelot prisonnier :
... et tant que ce vint aprés Pasques que il vit reverdir le jardin qui lez sa chambre estoit. Et li arbre estoient foillu et chargié de flors et la rose espanissoit chascun jor devant sa fenestra ...
Lancelot, t. 5. pp. 60-61.
10L’existence d’une clôture définissant l’espace du jardin/verger est peu souvent mentionnée, mais il n’y a rien à en induire sur la façon dont se présente le lieu, puisqu’elle n’est explicitée que lorsqu’elle constitue un obstacle à franchir (voir Lancelot, t. 4, p. 377 cité ci-dessus). En règle générale, le jardin n’est d’ailleurs pas mentionné seul mais en relation avec l’édifice qu’il borde, et dont il n’est pas séparable. Part de nature apprivoisée par la tour ou l’abbaye5, espace domestique bien qu’extérieur, il est, à ce titre, le lieu de repos, de divertissement, de loisir pour la vie (littéraire) courtoise. Si l’hôte de passage n’est pas trop tardif ni pressé, il sera introduit au verger pour s’y “esbatre” :
Quant il orent mangié a joie et a feste, si menerent Boort antre la dame et une damoisele esbatre en .I. vergier ... Lancelot, t. 4. p. 264.
... si s’asistrent en .I. vergier et mangierent plus liement li uns que li autres.
Lancelot, t. 5, p. 118.
Et quant la table fu ostee, Agloval s’an ala esbatre en un jardin qui est deniers la meson sa mere. Lancelot, t. 6. p. 184.
11C’est l’occasion de raconter les aventures passées :
Le soir, quant il orent mangié et il se furent alé esbatre en un vergier qui estoit laienz, qui molt ert biax, si s’asistrent desoz un arbre et lors lor demanda Galaad quele aventure les avoit laienz menez. Queste, p. 27.
12ou de faire des projets d’avenir6. Si les châtelains, requis par les tâches de leur fonction, n’ont, semble-t-il, guère le temps de s’y divertir, il n’en est pas de même de leurs filles qui vont s’y promener, y cueillir des fleurs ou jouer avec leurs suivantes :
13(La fille du roi Pellès vient, avec d’autres demoiselles, dans le jardin du château de Corbenic :)
... et commencierent è joer et a queroler et a chacier l’une l’autre par le jardin ainsi comme damoiseles font maintes foiz.
Lancelot, t. 6, p. 221.
Cf. aussi Lancelot, t. 1, p. 207, cité ci-dessus.
14En revanche, le jardin/verger n’apparaît pas – ou, déjà, différemment – comme lieu de rendez-vous amoureux. Il est, seulement, le lieu à traverser pour aller au rendez-vous : Lancelot et Guenièvre se retrouvent dans la chambre de la reine. Les premières rencontres des deux héros se déroulent cependant à l’extérieur, mais dans un endroit dont la structure ne rappelle qu’approximativement celle du jardin/verger (t. 8, p. 117 sq) certains éléments sont bien ceux du locus amoenus (“sous les arbres”, p. 103), mais l’expression employée pour le désigner (“contreval les preis”, p. 103, 117) n’est pas exactement celle du jardin/verger/prael ; sa localisation, entre le château où la reine est hébergée et le campement des chevaliers est conforme è celle du jardin ; mais à part les bosquets d’arbres et d’arbrisseaux, l’élément essentiel en est un ruisseau qui marque la limite du campement et que Lancelot doit franchir pour retrouver la reine : “passer outre l’iaue” (p. 103) : l’image suggérée est plutpôt celle de l’eau comme frontière de deux mondes et/ou comme obstacle placé sur la rouge du chevalier7 : franchissant la rivière, Lancelot passe (symboliquement) dans le camp de la reine. Cependant, lorsque la dame de Malohaut évoque ces premiers rendez-vous, elle dira :
... “j’ai veü un novel acointement que vos avés fait au chevalier qui parla a vous laiens el vergier”...
Lancelot, t. 8, p. 119.
15Mais, lorsque les rencontres reprennent, le narrateur, pour son compte, utilisera les mêmes termes qu’auparavant (“contreval les prés”, p. 122), sans plus parler de vergier. Comme si la dame de Malohaut employait le langage commun convenant à la norme de l’amour (le lieu où les amants se rencontrent, c’est, par définition, le verger) alors que le narrateur, en ne l’employant pas, voulait signifier que l’amour de Lancelot et de Guenièvre présente un caractère exceptionnel, au delà d’apparences pourtant évidentes. Enfin, le seul jardin désigné sans ambiguïté comme tel et qui jouera un rôle important dans l’histoire des amants, sera lieu d’absence : c’est celui que Lancelot, prisonnier de Morgue contemple de la fenêtre de sa geôle. Il s’ordonne non plus autour de l’arbre et de la source mais de la rose “qui chascun jor espanissoit fresche et vermeille” (t. 5, p. 61). Mais ce jardin de l’amour séparé (Guenièvre est à la cour, avec Artus, et Lancelot est retenu loin d’elle par la force d’une fée, – une femme n’y aurait pas suffi) ne va pas être un lieu suscitant chez l’amant captif le seul regret nostalgique du passé. Certes, c’est une image de mémoire (“si li souvint de sa dame la roine et de sa face clere et vermeille que la rose li amentevoit touz diz”, p. 61) que représente pour lui la rose-Guenièvre, mais elle est aussi gage de vie. Et les forces de Morgue ne prévaudront pas contre celles de cet amour vivant symbolisé par la rose en pleine reverdie. Rien ni personne ne pourrait plus retenir Lancelot :
Que est ce ?... Me porra dont tenir forteresce que je ne face ma volenté ? Certes nenil”.
Lancelot, t. 5, p. 62.
16Il devra encore laisser de son sang sur les barreaux de la fenêtre, mais, désormais armé de la rose qu’il porte en son sein :
Lors s’edresce vers la tor et troeve l’iris ouvert... p. 63.
17Pour conclure sur ces emplois du thème, on ajoutera un exemple où le jardin, sans participer de la thématique courtoise, est lié à une représentation plus ancienne où cette thématique elle-même prend sa source : c’est l’image du jardin comme lieu de refuge et de tranquillité heureuse. Lancelot, Bohort et Lionel passent leur enfance, élevés par la dame du lac sous cette apparence d’eau qui trompe les hommes et fait du domaine sous le lac un havre de quiétude à l’abri des tentatives hostiles du monde extérieur. La description du domaine ne fait pas intervenir les termes de jardin/verger. Mais lorsque la reine Evaine voit en rêve le lieu où les enfants se trouvent, c’est sous l’apparence d’un jardin qu’il lui est montré, – en une vision où songe n’est pas mensonge mais vérité :
... si li fu avis qu’ele estoit al chief d’un moult bel jardin en l’oriere d’une forest grant et espesse. En l’enclos de chel jardin avoit maisons moult beles et moult grans...
Lancelot, t. 7, p. 235.
18Il resterait encore à signaler que de très longues séquences du cycle ne mentionnent aucun jardin/verger : ce sont celles des guerres contre Claudas (Lancelot, tt. 1 et 6) et contre les Romains (Mort Artu). Rien de surprenant à cela puisqu’on sort alors du contexte courtois, – celui de l’aventure et de l’amour où le motif trouve sa place8. Il n’y a pas non plus trace, dans tout le cycle, de “verger royal”9 r cela dépasserait le cadre de notre propos de nous demander si on peut mettre cette absence en relation avec le fait qu’Artus n’y apparaît guère comme un “roi en majesté”.
19Enfin, on pourrait noter du Lancelot à la Queste puis è la Mort Artu une évolution du thème conforme à celle qu’y connaissent la plupart des thèmes chevaleresques, avec le passage progressif du “terrien” au “célestiel” puis à l’exténuation du monde arthurien lui-même. Les vergers/jardins des seigneurs et de la fée vont en effet être relayés par ceux des moines ou ermites : la première halte de Galaad est dans une abbaye où il retrouve Yvain et Baudemagus :
Le soir, quant il orent mangié et il se furent alé esbatre en un vergier qui estoit laienz ... si s’asistrent desoz un arbre... Queste. p. 27.
20A l’intérieur même de la Queste, la figuration matérielle et la fonction du jardin changent : de lieu plaisant fait pour le repos, il devient utilitaire et, si l’on peut dire, ascétique :
... et voient en un cortil qui emprès la chapele estoit, un preudome viel et ancien qui coilloit orties a son mengier... Queste, p. 154.
21Puis il réapparaît, dans la Mort Artu, sous sa forme traditionnelle mais si peu (c’est dans un “prael” que le vavasseur d’Escalot et ses hôtes vont “s’esbattre” après dîner (p. 13) : le seul exemple dans le roman) et surtout si mal : il faut toujours passer par le jardin pour gagner la chambre de la reine, et les indications données par Bohort à Lancelot semblent faire écho à celles de la première partie du cycle10, mais cette fois Lancelot n’échappera pas aux espions d’Agravain qui l’y guettent et feront irruption une fois qu’il aura pénétré dans la tour (pp. 114 sq).
22A s’en tenir à ce tableau, le traitement habituel du tooos du jardin/verger comme locus amoenus ne serait que peu remis en cause : on noterait seulement, parfois, une certaine originalité dans la façon de le mettre en oeuvre en le mêlant à une structure autre (premières rencontres de Lancelot et de Guenièvre) ou en l’associant à l’amour séparé (jardin de Morgue) ; en ne le cantonnant pas nécessairement dans un cadre courtois (Queste) et en signifiant, par sa dégradation, la fin d’un monde courtois (Mort Artu).
23Ce serait, je crois, passer à côté de l’essentiel.
24La lecture du Lancelot-Graal nous fait passer par des lieux auxquels le nom de jardin/verger n’est qu’exceptionnellement – ou pas – accolé et qu’on peut cependant être amené à considérer comme des jardins, mais comme des jardins de mort.
25Les premiers sont les cimetières11. Certes, leur parenté avec les jardins peut apparaître comme lointaine, pour plusieurs d’entre eux, dans la mesure où on n’y trouve pas les éléments les plus caractéristiques (l’arbre, la source ...), mais seulement la mention du lieu enclos dans l’enceinte ou à proximité de celle-ci (Cimetière de la Douloureuse garde, Lancelot, t. 7, p. 331 ; cimetière è la tombe ardente, t. 1, p. 229). Toutefois, elle peut aussi se faire plus nette, comme avec le cimetière d’Escalon le Ténébreux :
... quant il sont venu al cimetiere, si voient l’erbe grant et parcreus de totes pars ...
Lancelot, t.1. p. 229
26où l’herbe a changé de signification : elle ne connote plus l’endroit où il va faire bon s’asseoir pour “s’esbatre” mais la solitude du lieu (t. 1, p. 229). On peut se référer encore à ce cimetière, dans la Queste, où la tombe sous un arbre (p. 36) donne une autre portée à la figure centrale du jardin. Enfin, les mots pour le dire s’y retrouvent à l’identique : le “Saint cimetière” (Lancelot, t. 2, p. 31) est décrit comme “un grant porpris clos de haut mur environ” où se trouvent deux tombes, dont l’une dans le “prael”.
27Mais voici l’exemple le plus net. Le héros, saisi de “frenesie”, après un temps d’errance sauvage est amené au châtea de Corbenyc où une apparition du Graal le guérira :
“... (Il défait alors les liens qui devaient l’empêcher de s’enfuir) : Et quant il se senti delivrés, si vient as fenestres de leanz par devers le jardin ou il voit jadis occis le serpent, si les ovri et commence a resgarder devers le jardin...
Lancelot, t. 6, p. 224.
28Or, si on se réfère au récit de l’exploit en question, on constate que le lieu était alors appelé “cimetière” (t. 4, pp. 202-03). On peut émettre l’hypothèse que ce n’est pas un hasard si l’assimilation Jardin-Cimetière est explicitée si tard dans le cycle, après avoir été d’abord longtemps suggérée. Elle confirme après coup en la justifiant une lecture qui doit conserver une part d’incertitude, rapprochant les termes sans pourtant les confondre.
29Mais, è les considérer de nouveau, ces cimetières sont à bien des égards étranges. S’ils étaient jardins de mort seulement parce qu’y reposeraient les corps de défunts, il n’y aurait pas grand chose à en dire. Lieux sanctifiés par la présence d’une croix et/ou d’une chapelle ou église12, tout désignés pour la prière pour les morts13, ils ne pourraient guère que refléter l’usage du temps qui rassemble les tombes autour de l’église, leur assurant une proximité apaisante et salutaire avec les reliques des saints et, d’une certaine façon, avec Dieu même14.
30Certes, verger des vivants (pour le jeu, l’hospitalité et l’amour) et jardin des morts (pour l’attente de la résurrection et du jugement) s’opposeraient déjà. Représentant symboliquement les deux pôles du Lancelo-Graal, le terrien et le célestiel, il serait intéressant de noter leur double présence dès le début du Lancelot : un indice de plus plaidant pour la structure unitaire de l’oeuvre.
31Mais on ne saurait s’en tenir là car ces cimetières sont utilisés dans le récit surtout pour y être des lieux d’aventure pour les vivants, – et le caractère de ces aventures est tel que c’est de la mort des vivants qu’il y est question. Le cimetière de la Douloureuse Garde affiche à l’avance les noms de ceux qui y seront un jour enterrés, au nombre desquels Lancelot :
Chi gerra Lancelos del lac, li fiex au roi Ban de Benoÿc.
Lancelot, t. 7, p. 332.
32qui découvre ainsi à la fois son nom, sa filiation et le lieu de son inhumation alors qu’il vient à peine d’être armé chevalier : son corps y sera en effet transporté à la fin de la Mort Artu. La place de cette tombe (“el mi lieu de le chementiere”, p. 331), le caractère somptueux du monument (“une grant lame de metal tres merveilleusement ouvree a or et a pieres et a esmax”, p. 331), la mention du nom et de la qualité de tous les futurs morts “... ains disoient les letres “ci gerra chil”, si i avoit nons de maint boin chevalier de la terre le roi Artu et d’aillors, de tous les millors que l’en savoit”, p. 331) inscrivent en fait, dès le début du Lancelot, la mort du monde arthurien, rassemblé autour de celui qui va être à la fois son plus beau fleuron et un artisan de sa fin. Il ne s’agit donc pas seulement de la mort des corps, mais, implicitement, de celle de la communauté que les esprits qui les animaient, avaient formée.
33Il peut s’agir, ailleurs, de mort morale. Si l’enceinte du château d’Escalon, l’église y compris, est plongée dans les ténèbres, c’est en punition du sacrilège qui y a été commis autrefois ; et si, paradoxalement, le seul lieu où règne la lumière est le cimetière qui jouxte l’église, c’est que les morts n’y ont pas accès : ils sont transportés au fur et à mesure par une puissance mystérieuse à l’intérieur de l’église qu’ils empuantissent non de leurs corps décomposés mais de leurs esprits pécheurs qui continuent de la hanter. De même, c’est dans un cimetière que Lancelot connaîtra ses premiers échecs dus au fait qu’il n’est plus le Galaad du jour de son baptême mais est devenu Lancelot : soumis aux épreuves des deux tombes dans le “Saint cimetière” – l’adjectif est à noter et l’explication qui en est donnée : “por les sains cors qui i gisoient”, t. 2, p. 32) -, il accomplira celle de la tombe qui est dans le “prael” et qui désigne en lui le libérateur des exilés du pays de Gorre15, mais non celle de la “tombe ardente” de Symeu qui y brûle “por .I. pechié dont je meserrai envers mon criator (t. 2, p. 36) dit celui-ci, car elle est hors de portée d’un “home corumpu” p. 37) et ne pourra être menée à bien que par celui qui sera “buens et biais et de si vertuoses teches que, si tost com il metra le pié dedens ceste chambre, estaindra ceste anguioissose flambe” ... (p. 36), ce Galaad qui mettra fin aux aventures de la Table Ronde (p. 32)16. Enfin, le combat de Lancelot contre le serpent qui use en vain contre lui de son “feu envenimé” dans le jardin-cimetière sous Corbenyc (Lancelot, t. 4, pp. 202-03) – lieu d’apparition du Graal et qui s’y manifeste précisément en présence de Lancelot dès après sa victoire – comporte à l’évidence une dimension symbolique : lutte du Bien contre le Mal, et de Dieu contre le diable. Il faut donc retourner à l’archétype conscient des jardins médiévaux, celui de la Genèse où s’initie l’histoire mortelle et fautive des hommes, entre arbre, source et serpent. La traduction française du xiiie siècle du texte biblique fait, mieux que la Vulgate ou que les traductions modernes, ressortir le caractère direct de cette filiation, au demeurant bien connue :
Ou jor que Dieux fist le ciel et la terre et tout vergier de champ ainz qu’il naquist en terre et toute herbe ainz qu’ele germast. Deux n’avoit pas pleu sur terre, et home n’estoit pas qui coultivast la terre, mes une fontainne issoit de la terre, qui arrousoit par desus toute la terre. La Bible français du xiiie siècle (édition critique de la Genèse par M. Quereuilf, Genève, 1988, p. 104.
Dieux amena de la terre tout fust bel a veoir et soè’f a mangier ... p. 105
34Mais n’oublions pas le serpent :
Mes li serpenz estoit li plus voiseus de toutes les bestes de la terre qui ont ames et que Damedieux avoit fait... (Li serpenz senefie le diable qui est plus malicieus et plus voiseus que toutes bestes, qui chascun jor fait en nos ce qu’il fist en premiere fame). p. 110
35Aussi ce “jardin des délices”, ce “paradis de delit” pour employer l’expression médiévale17, ce lieu de vie va devenir, par le “venin” du serpent et l’orgueil de l’homme lieu de sa douleur et de sa mort. La Queste rapporte tout au long l’histoire du péché originel, et de la mortelle cueillette du fruit avant de conclure :
Après Dex les (= Adam et Eve) gita andeus de paradis que l’Escriture apele Paradis de delit. Queste, pp. 210-212.
36Tout jardin heureux peut donc renvoyer à l’Eden perdu et douer de cette nostalgie des origines ainsi que d’un effet de grandissement mythique n’importe quelle halte sereine, n’importe quelle cueillette de fleurs. Toute fille au jardin du roi son père est Eve sous le regard de son créateur ; tout chevalier au frais cortil d’un hôte de hasard est fils du roi céleste. Mais aussi tout jardin est susceptible d’être représenté non comme le “paradis de delit” que Dieu avait créé, mais comme le jardin de mort que le diable et les hommes ne cessent d’en faire18 : il deviendra par exemple le cimetière de la Douloureuse Garde où s’inscrit la mort inéluctable de l’univers arthurien. Et si le songe de la reine Evaine lui montre sous le jour de l’Eden le lieu où Lancelot, Bohort et Lionel vivent loin de toute embûche (humaine) (démoniaque), celui de Galehaut nous montre un arbre à fruits de mort :
Li fu avis qu’il estoit en un jardin desouz un grant arbre qui si estoit chargiez et de flors et de foilles que trop grant merveille estoit a veer, et il s’aloit desus cel arbre reposer pour ce qu’il estoit las ; si se cochiet en l’erbe vert, et quant il se regardoit, si voit chaoir de cel arbre et flors et foilles ; si en fu si effreez en son dormant qu’il s’en esveille ...
Lancelot, t. 4, p. 358.
37Cette subversion du locus amoenus était déjà sous-jacente dans certains des textes cités au début de notre étude. Le verger où Agloval et Perceval prennent plaisir à se retrouver (t. 6, pp. 184-85), l’aîné incitant le plus jeune à choisir la même voie chevaleresque que lui, est certes un locus amoenus pour les deux personnages, mais c’est aussi le lieu où Perceval prend la décision de partir qui coûtera la vie à sa mère. Le jardin et la prison apparaissent également comme étroitement liés : il se pourra que le secours vienne effectivement du jardin (la pensée de Guenièvre à la vue de la rose pour Lancelot dans la prison de Morgue ; la jeune fille qui délivrera Gauvain, t. 1, pp. 207 sq : voir texte cité ci-dessus p.) ; il n’en reste pas moins qu’il est d’abord le monde heureux dont le prisonnier est privé et que l’univers romanesque proposé au lecteur lui en présente les deux faces en un douloureux plus que joyeux contraste.
38Jardin de douleur et d’erreur : le cadre laisse traditionnellement attendre un repos plaisant et il va initier en fait l’aventure.
Lors le mainent en un molt bel jardin tot plaint d’arbroisials fors tant qu’il avoit en mi lieu une place qui bien duroit un arpent de lonc et de lé, et estoit close tot entor de lons piex agus et fors ; si li mostrent un cor d’ivoire qui pendoit a un pin et li dient qu’l li covient soner del cor s’il velt que li chevaliers viegne avant...
Lancelot, t. 2, p. 392
39Il ne s’agit donc plus de s’“esbatre” de s’asseoir pour parler, de s’allonger pour se reposer – ces termes revenaient pour décrire les attitudes des hôtes des jardins – mais de se battre. C’est le signal d’une (nouvelle) épreuve qui est ici donnée. Hector devra affronter le maître du château fondateur d’une “mauvese coustume” – il retient prisonniers dames et chevaliers – qui tentera d’abuser son adversaire (voir pp. 393 sq.), -comme le serpent a voulu “engigner” “l’humain lignage”.
40C’est cet élément de contraste entre ce qui semble être promis et ce qui est donné – élément de déception sans cesse renouvelé – que nous allons trouver dans tout un ensemble de textes dont nous n’avons encore rien dit jusqu’à présent, et qui sont, à leur façon, “jardins de mort”. Il s’agit de ces “trous de verdure où chante (souvent) une rivière”, de ces ces “clairières ombreuses” comme les appelle A. Labbé, que le chevalier errant rencontre sur son chemin aventureux. A-t-on jamais vu jardin en pleine forêt ? Evidemment non. Aussi le mot n’y est-il pas. Mais combien les lieux se ressemblent ! Qu’on en juge :
... un vergier desoz la tour, qui moult ert biaux et plains d’arbres et avoit an mi leu, desouz un sicamor, une fontainne trop anvoisie ...
Lancelot, t. 6, p. 221.
... si trove illec une belle sauçoie vert et plaine d’arbroisiax...
Lancelot, t. 4, p. 2.
... un molt bel jardin tot plain d’arbroisiax ...
Lancelot, t. 2. p. 392.
... en un petit pré molt bel. Et en ce pré avoit la plus bele fontainne del monde qui sordoit su pié d’un sicamor.
Lancelot, t. 4, p. 24.
... et desoz le chastel, ausi loing com l’en traita un archier, avoit en .I. valee .II. sicamors hauz et parcreuz et desouz ces .II. arbres avoit une fontainne que l’on apeloit la Fontainne des sicamors et sordoit au pié de l’un des sicamors par .i. tuel d’argent...
Lancelot, t. 5, p. 142.
Cf. aussi Lancelot, t.1, p. 277 et t. 2, p. 354)
41Ce ne sont que quelques exemples.
42Si le “jardin” présente peu d’occurrences, la “clairière en forêt” est très bien représentée : du jardin à la clairière, on retrouve les mêmes composantes, celles du locus amoenus : l’herbe verte, l’arbre (ou les arbres ou arbrisseaux), la source. Les fonctions du lieu sont les mêmes, mutatis mutandis.
43La clairière est d’abord un lieu de halte qui invite le chevalier accablé par la chaleur à se reposer. Cela fait partie des éléments de réalisme19 du texte qui insiste sur les difficultés de la chevauchée : éprouvé par une canicule qu’aggrave le port de son armure, assoiffé, épuisé par un trop long chemin et, parfois, par ses blessures, le chevalier du Lancelo-Graal ne pourrait pas encourir le reproche de surhumanité que Cervantès adressera aux héros des romans de chevalerie tardifs : il est cramoisi, il meurt de soif, il tombe de sommeil ; il n’a qu’une envie, c’est mettre pied à terre, enlever son heaume et voire, boire ... et peut-être même dormir un peu dans un coin d’ombre fraîche :
... si le mena ses chemis en un petit pré molt bel. Et en ce pré (cf. texte cité ci-dessus) ... Il torne cele part por lui refroidir car moult l’avoit li solaux grevé qui chauz estoit.
Lancelot, t. 4, p. 24
Si ont tant chevauchié qu’il vindrent en une praerie grant et bele et il faisoit moult grant chaut, si comme a feste saint Jehan. Si ont illuec trouvé desouz l’ombre de .II. sicalors .I. fontainne bele et clere ...
Lancelot, t. 4, p. 133
Cf. aussi le récit de la chasse d’Agravain cité ci-dessus : t. 8, pp. 231-32.
44C’est ce qu’il fait. Certes, ces clairières sont autant de petits paradis pour lui : elles lui offrent tout ce à quoi il aspire : ombre, fraîcheur, eau et l’occasion de reprendre souffle sur un chemin long et périlleux.
45La clairière est aussi un lieu de rencontre amoureuse, – car elles ne sont pas toujours désertes, une ou plusieurs (nécessairement jeunes et belles) demoiselle(s) y ont souvent devancé le chevalier, comme pour l’y attendre. Parfois, un “pavillon” – qui est à la “tor” ce que la clairière est au jardin – les abrite (somptueusement) ; parfois, elle(s) est/sont simplement assise(s) au bord de la source, s’apprêtant à manger sur l’herbe, -pardon, sur une “touaille” blanche – des nourritures que l’on suppose délectables, et prêtes à les partager. Le chevalier n’en perd ni le boire ni le manger et se contente rarement de se perdre en cette contemplation.
46Quelques exemples. Les premières aventures de Lancelot parti de la cour pour secourir la dame de Nohaut sont de ce type :
N’orent gaires alé par le chemin quant il troverent un poi sor destre .I. perron les une moult bele fontaine... si voit .I. paveillon moult bien tendu ... une damoisele qui laiens est.
Lancelot, t. 7, pp. 288-89.
47Il y a même aussi en vue “.l. loge galesche”, pour multiplier les rencontres et compliquer le schéma, devant laquelle deux autres jeunes filles admirent la beauté de Lancelot (p. 290).
48Continuons avec Guerrehés qui, arrêté pour se rafraîchir (cf. texte t. 4, p. 24 cité ci-dessus) voit trois dames à côté de la fontaine :
Si avoient « tendu sor l’erbe fresche .I. blanche touaille et mengeaient pestez de chevrel et n’avoient de homes fors .I. nain qui les servoit a .I. coupe d’argent. (Elles lui font bel accueil).
Lancelot, t. 4, p. 24.
49et revenons pour finir à Lancelot :
... il faisait moult grant chaut... desouz l’ombre de .11. sicamors .1. fontainne bele et clere ou il avoit .11. chevaliers et .ll.damoiseles qui orent fait estandre .1. blanche touaille sor l’erbe et manjoient illuec moult anvoisiement. Et quant.il voient Lancelot, si se lievent encontre lui et dient que bien soit il venuz ; si le font descendre por mengier...
Lancelot, t. 4, pp. 133-34.
Pour Gauvain. voir Lancelot, t. 2, p. 354 et t. 8, p. 154 et 341.
50Cette énumération n’est pas exhaustive et répertorie seulement quelques exemples typiques.
51Mais ce n’est là que le début de l’histoire, et ces beaux décors sont souvent des leurres, ces personnes avenantes des figures trompeuses : la halte espérée se transforme vite en aventure périlleuse, parfois en cauchemar mortel.
52Il est exceptionnel que les promesses plaisantes du lieu soient purement et simplement tenues :
En chele lande sordoit une moult bele fontaine desous un des grignors sicamors que il ot onques veu. Lors descendi li chevaliers, si dormi .I. peti et reposa et d’iluec envoia .II. escuiers a une chité por son ostel atorner. Quant il ot dormi, si trait vers le vespre ; et lors remonta...
Lancelot, t. 7, p. 386.
Cf. aussi Lancelot, t. 5, pp. 233-3420.
53Il arrive en revanche souvent que la clairière se transforme en vision d’horreur sitôt qu’on y pénètre :
Et lors li est faillie la forest, si a trovee une molt bele praerie et par cele praerie cort une riviere grant et profonde. Desos cele riviere, a mains del get d’une grosse pierre estoit tendus uns paveillons molt saisiés. (Mais le pavillon est entouré de 10 ecus) et devant chescun avoit .I. cheval aresné et .I. glaive apuié le lonc ... Mesire Yvain chevalche tot contreval la praerie tant qu’il aproche d’un grant chaisne ... et il esgarde, si voit a une des branches del chaisne une damoisele pendant par les .II. treces et estoit par les .II. mains liée a cele branche et as .II. pieces de corde graisle si estroit que li sans li sailoit par mi les ongles ... il esgarde sor destre et voit .I. chevalier tot nu fors de ses braies qui fu liées a une estache et tant a esté batus que ses braies sont totes vermeilles del sans qui del cors li est issus...
Lancelot, t.1, pp. 237-38.
Cf. aussi Lancelot, t. 4, pp. 1-2.
54De façon plus générale, ces lieux sont trompeurs parce que, promettant le repos à des corps et à des esprits fatigués, ils ne leur apportent qu’un surcroît de peine. Le plus souvent, la halte tourne court et greffe une aventure supplémentaire sur une aventure ou une quête entreprise par ailleurs. La jeune fille du “pavillon” et celles de la “loge” rencontrées par Lancelot en route pour les terres de la dame de Nohaut qu’il s’est chargé de défendre, vont l’entraîner dans une quête imprévue (la première disparaît avec le chevalier qui la gardait, Lancelot entreprend de la retrouver) qui débouche elle-même sur une tierce aventure où on aura encore – mais, quelque peu modifiée – la structure de la clairière :
... la puchele est en prison dedens .I. lac en un prael desos .I. trop biau chicamor qui est el mi lieu du prael ; si se gist toute jor iluec sor une kieute pointe toute seule sans compaignie. Et quant vient a l’anuitier, si i vienent doi chevalier tout armé, les hiaumes lachiés, si le metent hors d’iluec et l’enmainent avoec aus et chascuns matin le ramainent el lac.
Lancelot, t. 7, p. 293.
55Pour la délivrer, il faut battre les deux chevaliers, ce que Lancelot fait. Il reprend alors la piste de la première jeune fille, et finit par se retrouver... à son point de départ : la demoiselle a réapparu, le chevalier aussi et, cette fois, il permet à Lancelot d’entrer dans le pavillon pour la contempler à loisir. Le défenseur de la dame de Nohaut peut alors recommencer de penser à elle !
56Il en est de même pour Gauvain. La jeune fille rencontrée dans une clairière (Lancelot, t. 2, p. 354) qui lui propose de l’héberger lui demande en même temps d’être du parti de son ami Tanaguin le blond au tournoi de l’épervier.
57Il arrive d’ailleurs que les aventures se multiplient en un même lieu ou autour de ce lieu. La reine Guenièvre et sa suite font halte à la “Fontaine aux fées”, “desos un sicamor” (Lancelot, t. 2, p. 276). On décide d’aller chercher de quoi festoyer : Dodinel et Saigremor s’en chargent, mais la seule personne à qui il leur paraît possible de s’adresser dans le voisinage est Mathamas, ennemi mortel du roi Artus. La promenade champêtre va donc tourner mal. La compagnie de Dodinel et Saigremor est aussitôt rompue car ils rencontrent une demoiselle qui somme Dodinel de la suivre (il ne sait où) sous peine de passer pour un lâche, – ce qu’il fait ; après avoir connu l’humiliation d’une chute à l’eau, il sera fait prisonnier aux abords du château de Langue (pp. 312-14). Saigremor, de son côté, connaît toute une série d’aventures avant d’être, lui aussi, fait prisonnier par les gens de Mathamas (pp. 279-299). Quant à la reine, elle attend toujours à la Fontaine aux fées en se morfondant. Elle y aura sa part d’aventure et de peine puisque le passage de Grifon, qui porte, à l’arçon de sa selle, la tête d’un chevalier lui fait croire qu’il s’agit de celle de Lancelot :
... onques ne fina ... de plorer et de dolor fere, si maldisoit l’ore et le jor qu’ele estoit vbenue en la forest, kar onques ne fist perte qui a ceste tornast qu’ele a jui receue.
Lancelot, t. 2, p. 308.
58La halte dans la clairière devient donc une occasion – paradoxale -pour l’aventure de (re)partir. Les occurrences du motif sont nombreuses : une trentaine dans le Lancelot21. Lié à la notion d’aventure, il commence de s’affirmer avec la chevalerie de Lancelot (deux occurrences seulement dans le t. 7) et disparaît dans la partie précédant la Queste (t. 6). Ce lieu pourrait donc apparaître comme un relais de la Cour d’où partent et où aboutissent les aventures principales, la clairière servant à compliquer la structure narrative en greffant des rameaux adventices sur le tronc arthurien. Cependant, les choses sont moins simples. D’abord, la cour est par définition le lieu où les aventures doivent venir trouver les chevaliers. En revanche, la clairière est perçue comme un lieu de repos -après la fatigue de la chevauchée -, et comme lieu où – pour un temps -l’aventure doit s’arrêter. Elle est donc un lieu trompeur en ce qu’elle renouvelle l’action au lieu de la suspendre, ne faisant qu’en retarder la fin puisqu’elle ajoute un nouvel élément d’aventure sans pour autant dispenser le héros de celle dont il s’est chargé au départ : Lancelot devait porter secours è la dame de Nohaut, et il le fera (il devra toujours le faire) ; mais auparavant, il aura subi les retards et couru les risques que nous avons vus (cf. ci-dessus, p.). Encore cette aventure se termine-t-elle bien. Mais les choses sont loin de se passer ainsi en règle générale : témoins, déjà, les “prisons” de Dodinel et Saigremor, et la méprise de Guenièvre è la Fontaine aux fées. Ce qui frappe au contraire, dans les “aventures de la clairière”, c’est leur caractère – douloureux, sournois selon les cas – peu chevaleresque, si par ce mot on évoque l’image d’un affrontement a la loyale, où le héros encourt certes le risque de la défaite mais pas celui du piège. Or, ces lieux attirent, fascinent, et voilà qu’on y tombe, croyant s’y coucher, voilà qu’on y est pris, croyant en jouir. Voici que tout s’y déforme et s’y fêle, et que le héros n’en sort pas lui-même intact. Voici que les lois, les usages, les façons de voir qui inscrivent le chevalier comme fleuron et centre de son univers mental ne jouent plus exactement.
59A la “fontaine du pin” (t. 8, p. 147), lieu dépeint d’idyllique et traditionnelle façon (il y a là, au fond d’une vallée entourée sur trois côtés par les montagnes, un creux tapissé d’herbes et de fleurs, un pin ombrageant une source d’où naît un ruisseau), Gauvain, Yvain, Kex, Girf let et Sagremor demeurés à couvert de la forêt, assistent à une série de scènes qui illustrent bien notre propos : un chevalier s’avance dans la clairière, boit à la source, puis voit qu’un écu a été suspendu au pin qui est, d’autre part, entouré d’une brassée de lances. Le chevalier se met alors à se lamenter puis à rire alternativement. Tout cela paraît plutôt surprenant à Gauvain et à ses compagnons. Sagremor va interroger le chevalier qui refuse de répondre, échange son écu contre celui du pin ... et répond au défi de Sagremor en le désarçonnant sans mal, avant d’en faire autant pour Yvain, Kex et Girf let. Gauvain s’apprête è intervenir lorsque survient un nain qui frappe le chevalier et l’emmène avec lui sans que celui-ci fasse mine de riposter ni de refuser. Voilà bien “une des plus grande merveilles que je onques mais veisse” commente Gauvain qui se lance à la poursuite du nain et du chevalier. Les “merveilles” abondent dans ce passage ; il y a l’apparat guerrier dressé autour du pin dans ce lieu paisible, – fait apparemment pour qu’on vienne (seulement) s’y désaltérer, comme le fait d’abord le chevalier, et comme Gauvain et ses compagnons avaient l’intention de le faire puis l’attitude du chevalier, riant et pleurant (on n’est pas encore à l’époque du “rire en pleurs”) ; son refus de répondre quand on l’interroge courtoisement ; l’indifférence avec laquelle il envisage d’avoir à affronter plusieurs preux de grande renommée ... et la facilité avec laquelle il se débarrasse d’eux, leur infligeant une humiliante défaite, alors qu’ils croyaient lui donner une leçon ; enfin, le renversement ultime et proprement scandaleux : ce foudre de guerre, ce chevalier, se laisse frapper par un nain dans des conditions qui impliquent qu’il lui reconnaît le droit de le faire. On a donc défiguration du lieu (lieu de paix qui devient lieu de douleur et de violence) et, dans ce lieu, défiguration de la cohérence psychique de l’homme (le chevalier qui pleure et rit) et de la hiérarchie sociale (le nain reconnu maître du chevalier22). On comprend que Gauvain ait peine à en croire ses yeux : on peut d’ailleurs se demander si le mot “merveille” renvoie uniquement, pour lui, à la notion d’énigme et pas à celle de magie. Le lieu est bien près de prendre pour lui l’aspect d’un rond de sorcières, seule et paradoxale façon de se rendre compte à lui-même d’un monde renversé ou plutôt d’un monde dans lequel on ne dispose plus des repères habituels pour se diriger.
60“Ronds de sorcières”, le terme n’est pas toujours usurpé : les chevaliers y sont en effet maîtrisés et trompés par des puissances non-naturelles qui, de surcroît, les surprennent en situation d’infériorité (blessures, sommeil). Agravain, au cours d’une partie de chasse, perd de vue ses compagnons. Vers le milieu du jour, accablé par la chaleur et parvenu dans le lieu-type (la clairière d’herbe verte, le sycomore ombrageant une source) il s’allonge et s’endort. Arrivent deux demoiselles portant chacune une boîte. Elles le maintiennent endormi en lui glissant sous la tête un oreiller magique et lui enduisent un bras et une jambe avec les onguents contenus dans les boîtes. Elles s’éloignent alors, déclarant qu’il ne pourra être guéri que si les deux meilleurs chevaliers du monde oignent de leur sang, qui le bras, qui la jambe du blessé. A son réveil, Agravain constate qu’il est incapable de monter à cheval et un chevalier venu on ne sait d’où subtilise l’oreiller avant de disparaître à son tour (Lancelot, t. 8, pp. 231 sq.). Il va donc être condamné à une longue et difficile quête pour pouvoir retrouver la santé et ses aptitudes chevaleresques, perdues sans qu’il ait pu ne serait-ce que les défendre, – car les demoiselles, au moins, n’ont pas menti : le mal d’Agravain résistera à toute médication naturelle23.
61Une magie défavorable aux héros intervient encore dans plusieurs autres épisodes : lorsque Morgue et deux autres enchanteresses enlèvent Lancelot en le paralysant par leurs charmes (Lancelot, t. 4, p. 175) ou sous la forme de la cloture d’air qui retient les chevaliers prisonniers du Val sans Retour (Lancelot, t. 1, p. 277).
62Ces lieux de liberté – en ce sens que le chevalier s’attend à y trouver un affranchissement temporaire des contraintes de l’aventure – se révèlent souvent lieux où il va perdre sa liberté du fait d’un adversaire agressif ou d’une amoureuse possessive. Le chevalier peut y être enlevé ou emmené prisonier après avoir été défait au combat : Sagremor et Dodinel à la Fontaine aux fées (t. 2, p. 295) ; la Fontaine aux 40 écus (et aux 60 heaumes et épées) arbore la marque visible des dizaines de prisonniers retenus par Teriquan (t. 4, p. 170). Hector y laissera à son tour le sien, le 41° ; Lancelot est enlevé par Morgue (t. 4, p. 275)24. La clairière peut elle-même devenir la prison : le Val-sans-Retour en est le meilleur exemple, qui n’est qu’une clairière dilatée aux dimensions nécessaires pour y garder prisonniers les amants jugés imparfaits par les épreuves du lieu et qui s’y sont aventurés (t. 1, pp. 275 sq.)25.
63L’enlèvement, l’emprisonnement remettent aussi en question la force et la prouesse du chevalier. Outre les cas plus ordinaires où il connaît la défaite26, qui n’est qu’incident ou accident, il y a là l’expérience d’une contrainte qui s’inscrit dans la durée et révèle ses limites à celui qui y est soumis. Que s’exercent contre lui des forces humaines, ou, mieux (pire ?) des forces surnaturelles, il se découvre mis dans l’impossibilité d’agir pour et par lui, – dans ces prisons, il n’est pas de rançon. Tout cela est évidemment accentué lorsqu’elles ne renferment pas qu’un individu mais des groupes parfois nombreux (Val-sans-Retour, Carole magique, château de Teriquan à côté de la Fontaine aux 40 écus), – lieux qui semblent devoir épuiser les forces de l’univers arthurien, – groupes en attente d’un libérateur dont la venue devient de plus en plus improbable chaque fois qu’un errant de plus à tenter l’épreuve fait seulement un captif de plus.
64La violence frappe d’autant plus dans les clairières qu’elles promettent son contraire. Les textes examinés ci-dessus en sont des exemples. Il en est d’autres. Lambègue raconte comment lui et un compagnon, fatigués de chevaucher, ont fait halte “desos un pin ... si nos cochames sor l’erbe vert” (Lancelot, t. 2, p. 259) ; le compagnon de Lambègue y est blessé mortellement par la flèche d’un chasseur qu’il a le temps de tuer avant de s’effondrer ; il est achevé par le maître de l’archer à la poursuite de qui Lambègue s’élance : il le tue mais est alors attaqué par dix hommes envoyés contre lui par le père du mort27. Et ces aventures arrivent parfois à entraîner le héros lui-même dans une violence qui ne parvient pas en fait à rétablir la paix mais ne fait que prolonger ou déplacer le désordre :
Entor midi fu li chauz levez, granz et merveilleux et lors trova Lanceloz un pré delez une fontainne, ou .II. damoiseles mangoient lardez de cerf souz l’ombre de .II. ormes sor sui le fontainne sordoit...
(Ils mangent de concert. Survient une autre demoiselle qui appelle Lancelot au secours, mais en vain : elle est immédiatement suivie par un chevalier qui la tue. Lancelot se lance è sa poursuite, le tue malgré les supplications de ses deux soeurs).
Lancelot, t. 5, pp. 279-281.
65Lieu trompeur en ce qu’elle représente un archétype de quiétude et recèle la violence, la clairière à la source apparaît donc comme un faux paradis. En ce qu’elle rappelle brutalement et sans réplique au héros sa fragilité, ses limites, et l’existence de forces qui le dépassent, et que, parfois, il ne peut même pas comprendre, elle lui rappelle que, précisément, il n’est plus de paradis pour l’homme pécheur qui a cessé d’être ce maître du jardin que la Genèse avait, d’abord, fait de lui. Elle lui rappelle l’imperfection en lui de ces valeurs par lesquelles il prétend faire régner l’harmonie dans le monde.
66Ainsi, le chevalier n’est pas assez fort pour maîtriser la force de l’“ennemi”.
67Et l’amour, qui est l’autre valeur (arthurienne, courtoise, humaine) dont il se réclame est un amour bien imparfait. Amour perverti puisqu’il coûte à celui qui l’éprouve sa valeur chevaleresque : c’est le cas du mari d’Hélène sans pair28, et des amants retenus dans la carole magique qui ne savent plus que chanter et danser, et même plus aimer – Lancelot lui-même s’y laisse un temps engluer :
... si li mue li sans et li change li talenz : car s’il n’avoit devant talant fors de chevalerie et d’assaut et de meslees comancier, or est ses voloirs a ce menez qu’il n’a talant fors de queroler ... Et lors conmance a chanter et a ferir del pié ausi comme li autre ...
Lancelot, t. 4, p. 235.
68pour le plus grand déplaisir (critique) de son “valet” :
Quant li valiez a grant piece atandu illuec, si li anuie mot ! ce qu’il demore tant, car il pert, ce li ert avis, sa jornee. Il vient a Lancelot et le prant par le pan del haubert et li dist : “Sire, venez vos an, cae vos demorez trop”. Et il respont touz iriez de ce qu’il l’araisonne : “Fui de ci, laisse moi, car je ne me remouvrai de ci por toi ne por autre”.
Lancelot, t. 4, pp. 235-36.
69Amour imparfait aussi puisqu’il n’est pas constant : tous les prisonniers du Val-sans-Retour – où “Val des faux amants” – y sont retenus à ce titre (Lancelot, t. 1, pp. 275 sq.). Amour imparfait encore en ce qu’il est parfois non réciproque et, de ce fait, mortel : Lancelot rencontre dans un “paveillon” sur la rive de l’Aglande, une jeune fille qui mourra d’amour pour lui (Lancelot, t. 2, pp. 224 sq.29) : il n’y a pas là de coupable si l’on veut, -ni elle d’aimer, ni lui de n’aimer pas pour aimer ailleurs – mais la trace d’un malheur et d’un manque. L’issue sera différente dans le cas d’une autre jeune fille, elle aussi “amoureuse è la source” de Lancelot, mais qui décidera de vivre, contente d’être son amie, puisque Guenièvre est sa dame (Lancelot, t. 4, pp. 133 sq.) ; mais, chaque fois, il y aura la souffrance de l’amour inaccompli et non partagé. Il n’y aura pas, là, d’écu rejointoyé.
70Lieu du Malin et de la Faute, le jardin d’Eden est en même temps celui de la Ruse et de la Déception : le serpent n’était-il pas “le plus rusé de tous les animaux” ? Cette tromperie, nous l’avons déjà vue à l’oeuvre dans la mesure où le héros y est surpris en temps et espace de trêve par l’adversaire, parfois “pris en traître” comme on dit, dans son sommeil, ou y est victime d’un rapport de forces qui ne lui laisse aucune chance (même pas celle de se battre). Lorsqu’il s’y voit incité à courir une aventure imprévue, celle-ci peut comporter ces mêmes éléments de traîtrise (voir par exemple, Lancelot, t. 7, pp. 406 sq.).
71Mais la clairière apparaît aussi comme le lieu des fausses nouvelles : à la Fontaine aux fées, la reine Guenièvre sera amenée à croire à la mort de Lancelot (Lancelot, t. 2, p. 308) ; à celle des deux sycomores, ce sont celles de nombreux chevaliers (Gauvain, Vvain, le duc de Clarence, Belyas le Noir) qui seront – faussement – accréditées (Lancelot, t. 5, pp. 140 sq et 180 sq.). On retrouvera aussi dans la Mort Artu le contraste – trompeur – entre l’agrément du lieu et les nouvelles – là vraies mais sinistres qu’on y apprend : c’est alors qu’il se repose de sa chevauchée à côté d’“une trop bele fonteinne desoz .II. arbres” (p. 92) que Lancelot apprendra par un chevalier venu de Kamaalot que la reine a été accusée d’avoir assassiné le frère de Mador de la Porte ; la nouvelle inclut d’ailleurs une part de mensonge puisque la reine est innocente du crime dont on l’accuse.
72Tous ces éléments de tromperie, de violence, de malheur et de mort qui, en termes de rhétorique, font du locus amoenus un locus terribilis, -et en termes à la fois terriens et célestiels/spirituels montrent ce qu’est devenu le monde depuis qu’il n’est plus le jardin d’Eden, mais ce qu’Adam et Eve, et le serpent en ont fait et ont fait d’eux et de leurs descendants, tout cela donc est réuni dans l’épisode de la fontaine empoisonnée (Lancelot, t. 4, pp. 133 sq.). On y a le décor idyllique (le pré, la source, les deux sycomores), la promesse d’agapes fraternelles et luxueuses (deux chevaliers et deux jeunes filles y mangent, sur une nappe blanche étendue è terre). La chaleur pare le lieu d’encore plus de séduction aux yeux d’un Lancelot assoiffé et fatigué par la chevauchée. Tandis que son teint vivement coloré par la canicule fascine le regard d’une des jeunes filles qui s’éprend de lui à cette vue. On lui offre à boire dans une coupe d’or. L’harmonie se brise aussitôt : Lancelot présente des symptômes d’empoisonnement. Deux couleuvres se glissent dans l’herbe et s’enfoncent dans la source qui leur servait de gîte. Le beau héros triomphant va être défiguré : ses cheveux et ses ongles vont tomber. Le venin, après l’avoir mené aux portes de la mort, le laissera pour longtemps – malgré les soins de la jeune fille amoureuse – dans un état d’extrême faiblesse et de total inaction : plus de prouesse, plus de victoires. Le sort du héros tient à la science d’une faible pucelle et à l’efficacité des simples dont elle se sert. Lancelot ne peut plus rien, ni pour lui, ni pour les autres (le destructeur des “mauveses coustumes” est anéanti) et rien non plus pour la demoiselle secourable : comment pourrait-il l’aimer ? Lorsqu’il sera guéri, il repartira en laissant derrière lui cette blessée, destinée à le demeurer. Certes, ses ongles et ses cheveux repousseront, certes il tuera è son tour un serpent – le dragon dans le cimetière-jardin de Corbenyc -, car cette aventure est encore à venir pour lui ; mais, le faisant, il rencontrera encore une figure du jardin originaire. Et pour, cette fois, y avoir tué un symbole du Malin, il ne deviendra pas le Sauveur de l’univers arthurien qui n’en connaîtra pas en ce monde30, comme le racontera la Mort Artu.
73Son corps reposera dans le cimetière de la Douloureuse Garde (Mort Artu, pp. 261-62), entre temps devenue Joyeuse grâce à lui, et son âme escortée par les anges (Mort Artu, p. 261), gagnera la “meson Dieu” (Mort Artu, p. 225). Dernier avatar romanesque du couple jardin/tour, où le premier est prison temporaire du corps, – jardin funèbre et terrien. En l’attente de cette Résurrection et de cette Apocalypse où la Jérusalem céleste réunira dans son enceinte – château de l’âme et verger du corps – le Jardin et la Maison du Père.
Notes de bas de page
1 Contrairement aux textes épiques étudiés par A. Labbé dans sa thèse : L’architecture du palais et des jardins dans les chansons de geste, Paris-Genève, 1987.
2 “Lanceloz entra en un vergier desouz la tour ... (la fille du roi Pellès g vient de son côté avec quelques compagnes) et conmancierent a joer et a queroler et a chacier l’une l’autre par le jardin... (Lancelot, t. 6, p. 221)
3 .... mais il s’agit de “praerie”, non de “prael”.
4 Le roi Artus aime les eaux courantes : cf. L’eau dans le cycle du Lancelot-Graal dans L’eau au Moyen Age. Aix-en-Provence, 1985, pp. 137-139.
5 Voir les exemples précédemment cités ; cf. aussi Lancelot, t. 1, p. 385.
6 Dans la suite du texte cité ci-dessus (Lancelot, t. 6, pp. 184-85), Agloval et Perceval parlent de l’avenir de ce dernier ; c’est cette conversation qui décidera le jeune homme à se faire armer chevalier au plus tôt.
7 ... et dans l’ensemble de la littérature arthurienne (Marie de France, Chrétien de Troyes).
8 Un cas que je relègue en note car il est l’exception : le jardin comme champ clos pour un duel (même s’il s’agit d’une “aventure” individuelle et non d’une guerre) :
... si les moine en .I. grant jardin qui estoit desouz la tour et les met dedenz. Et li rois i met dusqu’à XII. chevaliers des plus sages de sa maison pour garder le champ... Lancelot, t. 5, p. 78.
9 Voir son importance dans l’épopée telle que l’analyse A. Labbé, op. cit., pp. 20 sq.
10 Voir ci-dessus.
11 La communication de N. Coulet au Colloque de Flaran de 1987 (jardins et vergers en Europe occidentale 8e-18e siècles) tirant les conclusions de la rencontre (Flaran 9, p. 288) et qui propose à la réflexion des chercheurs l’étude de la “jardinisation” du cimetière m’a incitée à présenter avec quelque insistance ce qui n’avait d’abord été pour moi qu’une intuition assez vague.
12 C’est le cas du cimetière d’Escalon le Ténébreux ; du cimetière dit “à la tombe ardente” ; de ceux cités dans la Queste : voir ci-dessus.
13 On y voit par exemple un religieux prier pour l’âme de ses parents (Lancelot, t. è, p. 378).
14 Cf. Ph. Ariès, L’homme devant la mort. Paris, 1977, pp. 37 sq.
15 “Toz les emprisonés del Roialme sans retor” (Lancelot, t. 2, p. 31). La formulation fait penser au Val-sans-Retour, mais le contexte renvoie plutôt au royaume de Baudemagus dans lequel Lancelot va bientôt pénétrer.
16 Il le fera en effet dans la Queste.
17 Cf. la traduction donnée par la Bible française, p. 105 :
Dieux avoit planté des le comancement paradis de delit ou il mist l’ome qu’il avoit formé.
18 Le commentaire de la Bible française sur le péché originel explicite bien le fait que la scène se répète de génération en génération :
Li serpenz senefie le diable... qui chascun jor fait en nos ce qu’il fist en premiere fame.
Bible française, p. 110.
19 Les forêts du Pays de Galles étaient-elles si chaudes que cela ? En tout cas, elles étaient perçues comme telles sans doute par un auteur qui insiste symétriquement sur la froidure des nuits quand il commence de geler en octobre ou que la belle saison ne s’est pas vraiment encore installée en avril.
20 Cf. aussi Lancelot, t. 4, p. 261 et t. 5, p. 233.
21 Lancelot, t. 7, pp. 288 sq ; 293 sq ; 406 sq – t. 8, pp. 147 sq ; 154 sq ; 231 sq – t. 1, pp. 176 sq ; 237 sq ; 275 sq – t. 2, pp ; 170 sq ; 224 sq ; 259 sq ; 276 sq ; 354 sq ; 371 ; 401. – t. 4, pp. 2 sq ; 24 sq ; 133 sq ; 166 sq ; 169 sq ; 175 ; 234 sq ; 261 sq ; 317 sq – t. 5, pp. 27 sq ; 66 sq ; 98 sq ; 118 sq ; 140 sq ; 279 sq. – t. 6 néant.
Cette elle met sur le même plan des épisodes plus ou moins longuement liste est approximative dans la mesure où narrés et où certaines des aventures connaissent des rebondissements successifs. D’autre part, le texte est assez subtil pour planter des décors variables où ne sont pas présents tous les éléments qui le constitueraient de façon indiscutable : on ne sait donc pas toujours avec certitude si l’on a raison (ou tort) d’in/exclure tel ou tel épisode dans/de la liste.
22 Voir un autre exemple, mais au dénouement différent : Lancelot, frappé par un nain, le désarme (t. 5, p. 98).
23 Voir une aventure comparable advenue é un autre chevalier (Lancelot, t. 5, pp. 66 sq.).
24 Autres exemples concernant Gauvain (Lancelot, t. 1, p. 176) et Lionel (Lancelot, t. 4, pp. 166 sq.).
25 On peut sans doute y ajouter le lieu où se déroule la “carole magique” (même si le décor y est quelque peu modifié (Lancelot, t. 4 p. 230 sq.)
26 Sagremor, Kex et Girflet (Lancelot, t. 8, pp. 14 ? sq.) ; Gauvain (Lancelot, t. 2, pp. 354 sq.).
27 Une aventure comparable arrive à Lancelot dans la Mort Artu (p. 79).
28 ... “tant que .I. jor avint que li chevaliers se jut en .I. praiel dalés une fontaine et ma seror, comme gent qui moult s’entramoient et lui et ma seror. Et li chevaliers estoit ja moult aperechiés et entrelaissoit les armes”. Lancelot, t. 8, p. 398.
29 Le décor n’est pas ici le décor-type (cf. n. 21). Cette demoiselle n’est pas la demoiselle d’Escalot que Lancelot rencontrera dans la Mort Artu, dans un cadre, pour le coup, entièrement différent.
30 Telle ne sera pas, en effet, la fonction de Galaad.
Auteur
Université de Provence
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