Introduction
p. 125-126
Texte intégral
1« Précarité / précarisation » et « Informalité / informalisation » sont des catégories d’analyse qui ne sont guère contournables pour appréhender les nouvelles figures du salariat. Les deux derniers textes de cet ouvrage prennent à bras le corps la question de leurs définitions, de leur genèse et de leur pertinence pour penser les dynamiques du monde du travail qui sont en cours. Mieux, ils avancent l’idée qu’aujourd’hui il est possible de renouveler le regard sociologique en les faisant voyager entre pays du sud et pays du nord.
2A. Lamanthe attire l’attention sur le fait qu’on ne peut plus réduire la réalité massive des activités informelles qui continuent de caractériser l’économie et le travail dans les pays latino américains aux séquelles d’un « sous-développement », se traduisant par l’impossibilité de la part du secteur économique formel d’employer et de rémunérer une grande partie de la population adulte. Comme le démontre clairement l’exemple de la zone industrialisée et urbanisée de Monterrey, située à la frontière nord du Mexique, ces activités informelles, aujourd’hui souvent très qualifiées, se situent au cœur du capitalisme moderne. De plus, elles correspondent souvent à des « choix » réalisés par des travailleurs qui étaient auparavant employés sous statut salarial formel. Et, plus fondamentalement peut-être, elles sont étroitement intriquées avec le développement d’activités plus formelles. D’où la notion de « post informalidad » proposée par certains chercheurs mexicains. Reste que, même quand il est hautement qualifié et correspondant à un mode d’exercice relativement volontaire, le travail informel renvoie à une logique de flexibilisation, d’abaissement du coût la main-d’œuvre et d’amenuisement de ses protections sociales et collectives. Or n’est-ce pas la même logique que l’on retrouve dans les pays du nord ? Dans un pays comme la France, c’est au travers de l’intégration dans le droit du travail et de la protection sociale de modalités dérogatoires de plus en plus nombreuses que les même processus se produisent. La précarité – ou les précarités – de l’emploi et du travail passent ainsi non par une « informalisation », mais inversement par une « formalisation juridique » d’une relation d’emploi dont le qualité du statut et l’ampleur des protections associées se dégradent. Prenant – ajoutons nécessairement, compte tenu des trajectoires bien différentes des sociétés salariales de ces deux pays – des chemins opposés, le résultat de ces deux modalités est semblable : la figure salariale typique du capitalisme keynésien s’effrite au profit d’autres figures sociales, certaines baptisées « post informelles » au Mexique, d’autres que l’on pourrait qualifier de « néo-salariales » en France.
3Après avoir rappelé que ces deux notions n’ont pas le même statut cognitif et politique, P. Bouffartigue insiste sur trois des conditions qui permettraient de dépasser les limites, voire les apories, qui sont celles de ces notions. La première condition, qu’il applique surtout à celle de précarité, consiste à développer et à préciser ce concept : en identifiant et en articulant plusieurs des dimensions de l’insécurité professionnelle et sociale du salariat contemporain ; en la distinguant radicalement de celle de mobilité ; en mettant l’accent sur son enjeu-clef, celui des capacités individuelles et collectives de résistance à l’exploitation ; en spécifiant ce en quoi que la précarité salariale contemporaine se distingue de celle de la période de formation du capitalisme. La seconde et la troisième condition valent pour les deux notions de précarité et d’informalité : sortir d’une approche dichotomiste, en les concevant comme pôles dans un rapport social, indissociables donc du second référent (« stabilité », ou « formalité »), car les économies modernes les associent et les individus circulent souvent entre les deux pôles ; et sortir d’une approche misérabiliste ne retenant de l’expérience sociale des travailleurs concernés que la dimension oppressive et hétéronome. C’est bien alors ce qu’autorise une lecture des mobilisations collectives de travailleurs précaires ou informels non plus en rupture mais en continuité avec l’expérience ordinaire qui est celle des solidarités populaires quotidiennes nécessaires à leur vie ou à leur survie. Aller plus loin encore nécessiterait de mieux comprendre au travers de quelles catégories indigènes, alternatives à celle de « travailleur informel » ou de « travailleur précaire », ces groupes sociaux pensent leur propre position et expérience sociales.
Auteur
Directeur de recherche au CNRS - Laboratoire d’Économie et de Sociologie du Travail UMR 7317.
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