Introduction
p. 85-87
Texte intégral
1La troisième partie de cet ouvrage met la focale sur la population juvénile et s’intéresse aux jeunes en tant que figures dominantes du changement. En effet, leur position sur le marché du travail est un révélateur de la façon dont se déploient de nouvelles normes de recrutement, d’emploi et de gestion dans la mesure où ils en sont les vecteurs privilégiés. Leur situation au regard de l’emploi peut ainsi témoigner d’inflexions de la relation salariale dans son ensemble et être vue comme le signe de profondes transformations à l’œuvre.
2La phase d’insertion professionnelle dans laquelle les jeunes se trouvent les placent en première ligne des transformations des normes d’emploi. Ces transformations d’abord expérimentées par les débutants – les formes particulières d’emploi qu’ils connaissent – tendent ensuite à se diffuser à l’ensemble de la population active. Dit autrement, étudier les jeunes dans leurs débuts de vie active c’est chercher à comprendre les transformations dans l’espace social du travail et de l’emploi à partir de la dynamique qui les construit.
3Si les jeunes peuvent constituer des « figures du marché du travail qui préfigurent », ils ne forment un groupe de travailleurs à part entière que parce qu’ils partagent la caractéristique commune d’être au même point de leur cycle de vie et au même moment de vie professionnelle. En début de vie active, peu expérimentés, ils font face à un marché du travail qui ne leur est pas favorable. Depuis plusieurs décennies en effet, les premières années passées sur le marché du travail sont marquées par des trajectoires chaotiques où les états emploi et chômage se succèdent. Cette instabilité conduit ainsi les jeunes à envisager comme « normale » parce qu’attendue leur incertitude professionnelle. Forme d’emploi taillée sur mesure pour ceux les plus en difficulté, les emplois aidés s’ajoutent à la listes des emplois atypiques (CDD, Intérim, …) fréquemment occupés par les débutants. Si l’on évalue la précarité de l’emploi au travers ces formes contractuelles dérogatoires au contrat à durée indéterminée, alors à leur sortie de formation initiale, les deux tiers des jeunes occupent en emploi précaire.
4Pour autant, le rapport au travail des jeunes n’a rien de spécifique. De nombreux travaux ont jusqu’ici montré qu’il présente les mêmes traits que celui des plus âgés et qu’il dépend, pour tous, des trajectoires scolaires, familiales ou professionnelles antérieures. Pour les générations récentes alors, leur passage quasi obligé par l’emploi précaire en début de vie professionnelle transforme inévitablement leur regard sur la stabilité de l’emploi et leur manière d’envisager l’avenir. Ils seraient par exemple moins nombreux que les plus âgés (et expérimentés) à citer comme importantes les dimensions dites instrumentales du travail telle que la sécurité de l’emploi.
5C’est à partir de ce point de vue que l’on peut envisager la lecture du texte de A. Gilson dans cette troisième partie de cet ouvrage. En effet, cette recherche interroge, à partir d’un matériau qualitatif, le rapport des jeunes à l’emploi et plus précisément leur rapport à la stabilité de l’emploi. En s’intéressant également à des cohortes récentes de débutants sur le marché du travail, le texte de N. Moncel et V. Mora apporte une contribution originale à la question de la norme d’emploi des jeunes. Cette contribution exploite des données quantitatives et longitudinales portant sur les débuts de vie professionnelle. Les auteurs montrent que nombre de trajectoires individuelles sur le marché du travail s’écartent durablement de la norme d’emploi, celle du CDI.
6Plus précisément, A. Gilson considère dans son article une population de jeunes se formant à un même métier (celui de conseiller financier) dans une institution commune (La Poste). Son analyse longitudinale permet de montrer combien pour ces jeunes le rapport à la stabilité de l’emploi est relié leurs trajectoires antérieures. Au moins deux catégories de jeunes se distinguent au sein de cette population : celle dont les parcours antérieurs sont chaotiques et dont la quête est l’accès au CDI et celle présentant un parcours plus linéaire et dont l’objectif n’est pas tant la stabilité mais plutôt d’acquérir de l’expérience dans leur métier afin de se « professionnaliser ». Une fois les expériences professionnelles accumulées, la stabilité peut aussi prendre pour les jeunes une acception nouvelle : celle d’avoir « trouver sa voie » ou simplement d’exercer le métier qui convient. L’objectif alors de « trouver sa voie » peut être en tension avec d’autres aspirations comme celles de l’accès à l’autonomie financière et de la construction d’une famille.
7Si les discours sur la stabilité professionnelle évoluent dans le temps, différents types de parcours sur le marché du travail les accompagnent. C’est ce que N. Moncel et V. Mora observent en s’intéressant aux sept premières années de vie active de jeunes issus d’une cohorte de sortants du système éducatif en 1998. Ces auteurs partent du constat qu’analyser les trajectoires sous le seul angle du type de contrat de travail est insuffisant. En effet, dans nombre de parcours, le lien à l’emploi apparaît comme continu en même temps que la situation des jeunes est durablement précaire (du point de vue des durées limitées de leurs contrats de travail successifs). L’analyse longitudinale des parcours des débutants exhibe ainsi des formes d’éclatement de la norme du CDI. Pour les jeunes, cette norme d’emploi est bien « en miette ». Il s’agit donc de repenser une norme nouvelle qui prendrait en compte une combinaison de critères (dans la l’idée de caractériser la qualité de l’emploi) et qui, au delà du seul statut de l’emploi, intègrerait la dimension salariale et le temps de travail. Finalement, en combinant non seulement la nature de contrat de travail (à durée illimitée ou pas), celle du temps de travail (temps partiel subi vs. choisi) mais aussi le niveau des salaires perçus, alors pour près d’un tiers, les parcours des jeunes sont durablement « hors norme », c’est-à-dire éloignés d’une trajectoire aboutissant à un emploi en CDI, correctement payé pour un temps de travail choisi.
8 En définitive, les deux textes de ce chapitre nous donnent à voir, à leur manière, la façon dont les jeunes deviennent porteurs de transformations des normes de travail et d’emploi. D’une part, à travers la façon dont la norme standard d’emploi est « retravaillée » dans les discours, d’autre part, à travers la diversité des trajectoires professionnelles où les formes d’emploi atypiques sont à la fois multiples (on est au-delà de la simple distinction basée sur la durée illimitée ou limitée du contrat de travail) mais aussi durablement présentes.
Auteur
Maître de conférences en économie, Aix-Marseille Université - Laboratoire d’Économie et de Sociologie du Travail UMR 7317.
Le texte seul est utilisable sous licence Licence OpenEdition Books. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.
De la porosité des secteurs public et privé
Une anthropologie du service public en Méditerranée
Ghislaine Gallenga (dir.)
2012
Vers de nouvelles figures du salariat
Entre trajectoires individuelles et contextes sociétaux
Annie Lamanthe et Stéphanie Moullet (dir.)
2016
Piloter la performance organisationnelle
Une aide à la décision avec la valeur ajoutée horaire
Michel Pendaries
2017
La démarche stratégique
Entreprendre et croître
Katia Richomme-Huet, Gilles Guieu et Gilles Paché (dir.)
2012
La logistique
Une approche innovante des organisations
Nathalie Fabbe-Costes et Gilles Paché (dir.)
2013
L’entreprise revisitée
Méditations comptables et stratégiques
Pierre Gensse, Éric Séverin et Nadine Tournois (dir.)
2015
Activités et collectifs
Approches cognitives et organisationnelles
Lise Gastaldi, Cathy Krohmer et Claude Paraponaris (dir.)
2017
Performances polynésiennes
Adaptations locales d’une « formule culturelle-touristique » globale en Nouvelle-Zélande et à Tonga
Aurélie Condevaux
2018