Introduction
p. 15-16
Texte intégral
1Le développement des Call Centers (CCs), débuté dans les années 1990 aux États-Unis, s’est accéléré au cours des années 2000, en Europe comme dans le reste du monde. Le nombre des téléconseillers – qui se trouvent au front-office – est à présent estimé à plus de 3 % de la population active aux USA et de 1 à 2 % dans la majorité des pays de l’OCDE1. Cette expansion des CCs dans les pays du nord s’est en même temps accompagnée d’un mouvement d’offshoring qui consiste à transférer les opérations téléphoniques les moins complexes aux pays à faibles coûts salariaux, dans le sud. Ce nouveau type d’activité représente désormais un poids considérable dans l’économie de services globalisée.
2Nombre de chercheurs, alertés par sa montée rapide, ont produit une abondante littérature à la fois sur cette nouvelle « industrie », son modèle organisationnel et la nature du travail qui y est réalisé. Emergent alors les deux problématiques dominantes qui renvoient, l’une au caractère « taylorien » ou non de son process de travail et l’autre à l’offshoring, en d’autres termes à la délocalisation des activités de services à l’étranger qui conduirait à terme à la perte des emplois et à la dégradation des conditions de travail dans les pays du nord.
3En fait, cette industrie est marquée par les trois traits distinctifs suivants : 1) malgré l’usage intensif des technologies de l’information et des communications, c’est une industrie à faible densité capitalistique où la masse salariale représente entre 70 et 75 % des coûts d’exploitation ; elle peut donc être très mobile sur le plan géographique ; 2) elle est soumise à une forte rationalisation des opérations rendue possible par le couplage de la téléphonie et de l’informatique (distribution automatique des appels, logiciels de surveillance, scripts, etc.), d’où résulte une procédurisation du process de travail ; ceci tend à standardiser la conversation téléphonique et à laisser peu d’autonomie aux téléconseillers ; 3) les CCs sont souvent considérés comme « centre de coût » qui pèse sur la masse salariale, sans forcément générer du profit.
4 Ces caractéristiques font que les CCs, attirés toujours par « le moins-disant social », sont sujets à la mobilité transnationale des capitaux et que les téléconseillers se retrouvent dans une forte tension suscitée à la fois par la rationalisation interne à l’organisation et par la compétition entre les CCs, ou entre nord et sud.
5Toutefois, des limites à cette « spirale vers le bas » existent, puisque l’économie de services a sa propre logique qui la différencie de la manufacture. Cette activité porte directement, contrairement au travail dans l’usine, sur une prestation de services liée à la gestion immédiate de la « relation-client », qui plus est à travers l’utilisation de la parole à distance. Du fait de leur contenu relationnel, ces services exigent de chaque téléconseiller le bon usage d’un langage commun, le partage des codes sociaux non-dits, la mobilisation de l’intelligence en situation et même l’implication de ses propres affects, afin de répondre aux besoins des clients. Ainsi définie, la professionnalité des téléconseillers n’est pas sans se heurter à l’injonction de la rationalisation de type industriel en vigueur dans les CCs.
6Les deux articles ci-après traitent chacun à leur manière de ces sujets. H. Nohara et M. Nitta montrent que, dans les CCs, le process de travail correspond à la confluence de logiques industrielle et professionnelle et que les téléconseillers, soumis à des mêmes contraintes, sont gérés différemment dans des contextes sociétaux distincts. M. Da Cruz s’attaque aux problèmes de l’utilisation, par les CCs offshore nord-américains, de migrants mexicains de retour au pays. La mondialisation des CCs apparaît largement comme un mythe, puisque l’offshoring concerne 10 à 15 % des téléconseillers nationaux, aussi bien en France qu’aux USA. Par ailleurs, les lieux de leur délocalisation se cantonnent, dans ces deux cas, uniquement aux pays situés dans une affinité linguistique et culturelle avec eux – ou éventuellement frontaliers – souvent en relation avec l’histoire et la colonisation. M. Da Cruz montre, en creux, que le « capital culturel » représenté par l’acquis linguistique et comportemental particulier, du fait de sa rareté, se monnaie fort bien dans cette activité dite « globalisée ».
Notes de bas de page
1 Ces proportions sont celles rapportées par O. Bouba-Olga, É.Bourdu, M.Ferru, « La trajectoire organisationnelle des centres d’appels. », Reflets et perspectives de la vie économique 4/2008 (Tome XLVII), p. 65-83 – ou encore Cesmo (2006), Le marché des centres de contact en France, Paris, Cesmo Consulting, 31 p.
Auteur
Chargé de recherche au CNRS - Laboratoire d’Économie et de Sociologie du Travail UMR 7317.
Le texte seul est utilisable sous licence Licence OpenEdition Books. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.
De la porosité des secteurs public et privé
Une anthropologie du service public en Méditerranée
Ghislaine Gallenga (dir.)
2012
Vers de nouvelles figures du salariat
Entre trajectoires individuelles et contextes sociétaux
Annie Lamanthe et Stéphanie Moullet (dir.)
2016
Piloter la performance organisationnelle
Une aide à la décision avec la valeur ajoutée horaire
Michel Pendaries
2017
La démarche stratégique
Entreprendre et croître
Katia Richomme-Huet, Gilles Guieu et Gilles Paché (dir.)
2012
La logistique
Une approche innovante des organisations
Nathalie Fabbe-Costes et Gilles Paché (dir.)
2013
L’entreprise revisitée
Méditations comptables et stratégiques
Pierre Gensse, Éric Séverin et Nadine Tournois (dir.)
2015
Activités et collectifs
Approches cognitives et organisationnelles
Lise Gastaldi, Cathy Krohmer et Claude Paraponaris (dir.)
2017
Performances polynésiennes
Adaptations locales d’une « formule culturelle-touristique » globale en Nouvelle-Zélande et à Tonga
Aurélie Condevaux
2018