Les rôles de Marseille dans les conflits et coopérations franco-marocains
p. 175-182
Texte intégral
1L’histoire franco-marocaine a connu, et connaît toujours, une succession de conflits et de coopérations dont Marseille, via ses hommes et son port, ont joué et jouent toujours un rôle non négligeable, sinon important. L’élément majeur qui influence cette histoire est, entre autres, la recherche de marchés et le développement du commerce maritime entre le port de Marseille et les ports marocains. Étant donné les changements continuels des conjonctures historiques des deux États et du reste du monde, les acteurs des deux côtés se sont confrontés plusieurs fois militairement, politiquement et économiquement. Dans ces confrontations, combien de fois la ville de Marseille, à travers ses hommes d’affaires, notamment dans le domaine maritime et son port comme plate-forme commerciale ou militaire, a joué le rôle d’intermédiaire pour régler les différends tant mieux que mal, entre la France et le Maroc. Finalement, s’entendre et s’adapter aux nouvelles donnes des vicissitudes historiques, telle semble être la constante de cette histoire mouvementée, mais passionnante, entre les deux États.
Histoire des échanges commerciaux entre le port de Marseille et les ports marocains
2L’histoire du développement des échanges commerciaux entre le port de Marseille et les ports marocains est ancienne. Cette histoire remonte à l’Antiquité, mais dans cette étude, nous allons partir du xiie siècle. En effet, aux xiie et xiiie siècles, les Almoravides et les Almohades avaient fait du Maroc, à différents moments, une puissance régionale dominante, par la constitution d’un empire s’étendant du Sénégal à l’Algérie, à la Tunisie et à l’Andalousie (Arbach, 1995). À cette époque, Marseille n’était pas encore entrée dans l’unité française. En 1138, profitant de ce statut, et des conflits entre les Almoravides et les Almohades, Marseille négocia un traité de commerce avec le Maroc qui resta sans grand effet sur les relations politiques ou économiques des deux cotés.
3Une autre fois, en 1186, profitant du Traité de paix et de commerce entre le Sultan Almohade Al Mansour et Pise pour une durée de 25 ans qui stipule, entre autres, assurer les commerçants chrétiens à atteindre les ports marocains, Marseille pouvait commercer librement avec l’empire marocain qui faisait la liaison entre l’Afrique subsaharienne et l’Europe. En 1227, profitant des faiblesses de l’empire Almohade, des marchands marseillais se sont installés à Ceuta et pendant tout le xiiie siècle, des relations privilégiées avec Ceuta, le principal des ports marocains, se sont développées en servant de relais vers les escales atlantiques : Salé, Safi et Nifé (actuel Casablanca). Durant les xiie et xiiie siècles, du fait de la présence marocaine dans la péninsule ibérique, Marseille ne pouvait que chercher la paix en développant son commerce avec essentiellement Ceuta, sans s’aventurer plus au Sud.
Marseille à l’apogée espagnole et portugaise aux XVe et XVIe siècles
4Le Maroc n’était plus une puissance régionale dominante, il commençait à être dominé par des puissances montantes européennes, notamment espagnoles et portugaises. En effet, durant les xve et xvie siècles, Espagnols et Portugais occupèrent de nombreux ports marocains sur la Méditerranée et l’Atlantique. De ce fait, ils barraient la route à la France en Méditerranée occidentale. Pour la France, tout port du Maroc occupé par les Espagnols ou les Portugais pouvait être désormais considéré comme perdu pour le commerce français et marseillais. Devant cette nouvelle donne, la France et Marseille étaient dans l’obligation de se mêler à ce jeu de domination. Ainsi, en 1533, parti de Honfleur, sur une galéasse, l’envoyé du Roi de France, le colonel Pierre de Piton, débarqua à Larache et réussit à obtenir des autorités marocaines (d’Abou Al Abbas Ahmed el Oatassi) des promesses avantageuses pour les Français. « Tout bâtiment français, soit marchand, de guerre, ou corsaire, peut se ravitailler dans les ports du roi de Fez », écrivait Piton dans son rapport ; il lui suffira de montrer des lettres du Roi du Maroc ou de l’amiral de France.
5Pour dynamiser les échanges commerciaux entre la France et le Maroc, restés faibles en 1577, Henri III nomma le marseillais Guillaume Bérard consul au Maroc « à cause des grands services rendus à notre commerce et à l’affranchissement des Français esclaves chez les Maures ». À l’époque du Sultan saadien Al Mansour, qui régna de 1578 à 1603, le Maroc reprenait de la force du fait que son territoire étendu jusqu’à Tombouctou et Gao au Mali. Par cette extension territoriale, il monopolisait le commerce caravanier entre l’Afrique de l’Ouest et l’Europe occidentale. Marseille et Ceuta profitaient pleinement de cette époque florissante. Mais après la mort d’Al Mansour en 1603, l’anarchie qui s’en suivit, pour plus de 50 ans, ruina profondément la prospérité dont le pays avait joui pendant le règne de celui-ci et bien entendu, les échanges commerciaux entre Marseille et Ceuta se réduisirent grandement (Cherif, 1996).
6Pour remédier à cette situation, la France essaya de prendre pied au Maroc, en envoyant en 1616 son consul, Jean Philippe de Castellane, pour négocier un traité de paix et de commerce entre la France et le Maroc. Malheureusement, Jean Philippe de Castellane abusa de la confiance que lui témoignait Moulay Zeïdan, l’ayant chargé de mettre en lieu sûr, dans l’un des ports du Sud du Maroc, la valeur de plusieurs millions de pierreries et de livres, pour l’expédier après vers la France. Cette affaire vint rompre pour plusieurs années le commerce français avec le Maroc. Le Sultan, furieux, fit mettre tous les Français à la chaîne et l’acte du consul coûta même « la vie de plusieurs français en captivité ». Afin de débloquer la situation, en 1619, le Roi de France envoya Isaac de Razilly au Maroc pour négocier la délivrance des Français et un traité de commerce et d’alliance. Sa mission échoua, alors Richelieu l’envoya à la tête d’une seconde mission au mois de mai 1624 avec trois vaisseaux, accompagnés de trois capucins.
7Le but de l’expédition était de s’emparer du port de Safi. Après avoir débarqué à Safi le 4 octobre 1624, de Razilly fut arrêté avec ses compagnons par le gouverneur de Safi. Mis en liberté sur parole, il fut renvoyé en France, et présenta à Richelieu son mémoire du 29 novembre 1626, où Il lui démontrait éloquemment la nécessité de développer la marine française, de créer des colonies et lui indiquait comme une des premières expéditions à faire, celle du Maroc. Il disait :
Il faudrait aller mouiller l’ancre à la rade de Salé avec six navires... comme ça, on pourra traiter la paix avec le dit empereur du Maroc et retirer les pauvres Français détenus esclaves. On pourra laisser cent hommes à l’île de Montgaddor située à portée de canon de la terre ferme, île très aisée à fortifier. Il y faudrait mettre six pièces de canon et laisser du biscuit aux cent hommes. Faudrait établir dans celle île un commerce de toile, fer, drap, et autres menues marchandises jusques à la somme cent-mil écus par an. On aura de la poudre d’or en paiement, dattes et plumes d’autruche. Et on pourrait tirer quelques chevaux barbes des plus forts et meilleurs de l’Afrique. (De Cenival, 1932).
8Alors que les espagnols fermaient aux navires de Marseille le passage du détroit, ou rendaient dangereux le voyage des ports du Ponant aux côtes du Maroc, et devant l’échec des actions françaises au Maroc, des Marseillais avaient pris l’initiative en maintenant le consulat de Salé. Parmi ces Marseillais, André Prat qui rapportait en 1630 une lettre à Colbert, à propos de quatre vaisseaux saletins que d’Estrées avait contraint de se jeter à la côte. D’autres Marseillais avaient essayé d’établir d’autres indépendants à Safi, Mogodir ou Mogodora (actuel Essaouira), Sainte-Croix (actuel Agadir), et Albuzème (actuel Hoceima) (Masson, 1903). En 1662, deux Marseillais, Michel et Roland Fréjus, conçurent l’idée de fonder à côté des établissements militaires des Espagnols et des Anglais, sur la côte Nord du Maroc, un établissement commercial. Ils avaient formé une compagnie et voulurent que leur compagnie s’occupât du commerce du Maroc et choisirent pour centre de leurs opérations la petite île d’Alhucemas sur la côte rifaine (Masson, 1903). Quant au traité de paix sur lequel comptaient les Fréjus, le désordre régnant au Maroc allait singulièrement en retarder la conclusion.
Le désagrément marseillais à l’égard de l’ingérence française au Maroc au XVIIe et XVIIIe siècles
9Moulay Ismail, qui régna de 1672 à 1727, voulut chasser les Espagnols, les Portugais et les Anglais des ports qu’ils occupaient sur les côtes marocaines. Il cherchait l’amitié de la France et voulait signer un traité de paix et de commerce avec la France. Mais Louis XIV voyait autrement en envoyant Château-Renaud avec son escadre, au printemps de 1681, pour bloquer le port de Salé, mettre fin à ses corsaires et décliner son commerce, afin de faire pression pour renouer la négociation pour un traité de paix et de commerce en faveur de la France (Masson, 1903). Château-Renaud échoua en grande partie dans sa mission, ne put que signer une trêve le 29 Janvier 1682 à Saint-Germain-en-Laye, mettant fin au blocus de la marine française des ports marocains. Sans pouvoir s’entendre sur l’échange des esclaves, il sut toutefois rétablir comme consul français au Maroc, Pierre Gautier, représentant du Marseillais Prat.
10L’été 1687, Louis XIV ordonna au duc de Mortemart, général des galères, d’aller se montrer avec toute son escadre devant les ports du Maroc, depuis Tanger jusqu’à Salé et défense avait été faite, le 24 juillet 1687, à tous les navires de faire aucun commerce dans les ports marocains. On avait même proposé à Louis XIV de faire sortir tous les Français du Maroc (Masson, 1903). À la fin de 1687, les démonstrations navales et les menaces restaient sans résultat et à l’automne de 1691, la France avait préparé des armements pour bloquer les ports du Maroc. La réaction de Moulay Ismaïl fut d’interdire en 1697 aux marchands de Tétouan et de Salé de commercer avec les Français. De son coté, Pontchartrain secrétaire d’État de la Marine et de la Maison du Roi, proposait à la Chambre de Commerce de Marseille de cesser de nouveau tout trafic avec le Maroc (Masson, 1903).
11Pour que la France impose ses conditions au Maroc, Louis XIV employa la force. Dès 1700, Pointis et d’Erlingues, à la tête d’une escadre, furent chargés d’aller pourchasser les Saletins, bloquer leur port et se présenter devant les autres places maritimes marocaines (Masson, 1903). Le bombardement de Salé, effectué le 5 juillet 1700, n’eut pas grand effet et Pointis prit le parti d’aller faire une tentative sur Larache, puis sur la Mamora. Il ne put rien tenter pendant son séjour devant ces deux ports, revint à Brest, au début de septembre, après une campagne infructueuse. Ces démonstrations de forces françaises se sont succédées en 1716 par le chevalier de la Rochalat, en 1721 par M. d’Avaugour, et en 1722 par M. de Sainvilliers, commandant deux vaisseaux du Roi (Masson, 1903). En 1720, le célèbre marin nantais Cassard avait fait approuver par le Roi un projet hardi de descente sur les côtes du Maroc. On lui avait accordé la frégate la Seine, armée de 50 canons, deux barques, dix chaloupes et 600 soldats des troupes de la marine ; Cassard avait fourni trois autres bâtiments. Cette escadre fit route jusqu’au détroit, mais elle ne put opérer parce qu’alors le Roi d’Espagne, ayant fait passer à Ceuta plus de 30 000 hommes, et le Roi du Maroc fit rassembler toutes ses forces sur ses côtes (Masson, 1903). Jusqu’en 1723, aucune négociation ne fut tentée pour relever l’influence politico-militaire et le développement du commerce français au Maroc.
12Malgré toutes ces démonstrations de force française, la paix n’avait pu être signée avec le Maroc ; l’influence française continua à décliner et la présence de Français établis au Maroc fut souvent, pour le commerce français, une source de désagréments plutôt que d’avantages. Ce constat peut être confirmé par l’écrit du consul français à Cadix qui notait en 1733 :
Depuis que les Anglais ont fait leur paix avec le Maroc, il y a eu des années (1727), à ce qu’assurent les négociants établis à Salé, pendant les quelles il est venu dans ce seul port jusqu’à 100 bâtiments anglais ; et malgré les troubles qui ont régné dans la Barbarie depuis la mort de Moulay Ismaël (1727), ce qui a dérangé beaucoup ce commerce, il y en est entré, les moindres années, de 40 à 50, pendant qu’à peine avons-nous quatre à cinq tartanes de Marseille qui n’abordent Salé qu’en tremblant et qu’il n’y vient aucun de nos bâtiments des ports du Ponant… Il n’y a guère au-delà de huit à dix navires français par an qui aillent dans les ports du roi de Maroc ; encore n’y vont-ils qu’avec crainte, ne pouvant espérer qu’un traitement arbitraire. (Masson, 1903).
Le rôle conciliateur des marseillais dans les relations franco-marocaines
13Marseille, via ses négociants (Guérin, 1851), et les échanges commerciaux de son port avec les ports marocains, jouèrent les rôles d’intermédiaire pour régler les différends, tant bien que mal, entre la France et le Maroc.
Position de Marseille dans les confrontations franco-marocaines
14Malgré les difficultés politiques entre la France et le Maroc, les attaques françaises des ports marocains et les corsaires marocains qui arraisonnaient les bateaux et prenaient des otages en captivité, c’était Marseille qui avait, avec le Maroc, les relations commerciales les plus actives. L’état dressé par le sieur Gaspar Carfueil, négociant marseillais, en 1688, nous donne un détail plus complet et plus précis des marchandises marocaines apportées à Marseille. Les cuirs verts étaient, en dehors des grains, le principal article d’achat : il en venait ordinairement 40 à 50 000 quintaux de Tétouan, Salé, Safi, Tanger. Salé et Tétouan envoyaient 3 à 4 000 quintaux de laine. Salé fournissait aussi différents métaux : du cuivre rouge et particulièrement du tangoul, mélange de cuivre et de fonte, de l’étain, du bronze. On y achetait encore diverses drogues, gommes sandaraque, arabique et gomme d’euphorbe, de l’agaric « boulet blanc qui croit sur les arbres à gland », de l’ambre, de la côte de Sainte-Croix et de Safi, de l’arquifou, minéral qui servait d’ordinaire à vernisser la vaisselle. Mais celui de Salé était employé dans le Levant pour la peinture et particulièrement à peindre les sourcils des femmes ; on le réexpédiait surtout au Caire. Enfin, Marseille recevait de Salé ou Tétouan, quelques dattes, un peu d’ivoire et des plumes d’autruche. Ce commerce consistait donc surtout en produits du pays et les caravanes de Tombouctou lui fournissaient peu de chose (Masson, 1903).
15Marseille expédiait des soies écrues, des sempiternes et draps du Languedoc, du sucre des Antilles, du soufre, du vif argent, du fil d’archal, du gingembre et des toiles de coton du Levant. De son coté, Séguiran nous fournit quelques chiffres :
il y a encore au-delà du détroit dans le royaume de Fez et Maroc les échelles de Tétouan, Salé et Saphis (Safi), d’où l’on tire des cuirs, laines, cires, plumes d’autruche et mendicats, qui sont pièces d’or. Tous les ans de Marseille il y va vaisseaux ou barques qui portent 4 000 écus chacun en toiles, safran, tabac et autres marchandises. (Correspondance de Sourdis, III).
16En 1700, le consul Estelle dressait le tableau suivant des établissements français :
à Salé, cinq maisons, MM. Raimons, de la Falaise, Gautier, Brouillet, Fabre, Roux ; à Tétouan deux, Mlle. Bayer et Giraud, Simon et Justamon ; à Alcasar, faisant leur négoce à Larache, deux, MM. d’Hauteville, Agneau ; à Saphir, une, M. Fleuriot ; à Sainte-Croix, une, M. Bougaud. Les difficultés des circonstances et le peu de solidité de beaucoup de ces maisons les rendaient très instables ; à quelques années de distance, les noms des résidents français étaient tout différents. (Masson, 1903).
De la coopération aux confrontations franco-marocaine de 1740 à 1793
17Le règne de Sidi Mohamed Ben Abdellah (1757-1790) était, sans conteste, le plus brillant de l’histoire du Maroc au xviie et au xviiie siècle, après celui de son grand-père, Moulay Ismaël. Quand il était prince, en 1754, Sidi Mohammed avait attiré une grande partie du commerce du Maroc dans le port de Safi, qui était de son commandement, et avait mis fin à l’autonomie de Salé, rebelle à son père et qui était, jusqu’au milieu du xviiie siècle, à la fois le port d’armement des corsaires et la principale place de commerce. Parmi les négociants marseillais en relation avec le Maroc, Joseph Étienne Rey joua un rôle important au rétablissement de la paix, depuis si longtemps attendue entre la France et le Maroc. Rey, le hardi Marseillais s’entendit avec un juif nommé de Paz. Ils avaient décidé le Roi de Danemark à envoyer une escadre et une ambassade à Sidi Mohammed qui concédait le monopole en 1751 à une compagnie danoise. Obtenant le commerce exclusif de Safi et de Sainte-Croix, le Roi de Danemark interdit en 1772 aux étrangers le commerce de ces deux ports pour le réserver aux juifs. Rey devint consul de Danemark au Maroc en juillet 1751.
18Pour le récompenser de ses efforts, en septembre 1751, Sidi Mohammed accorda au Marseillais Joseph Étienne Rey le curieux diplôme suivant :
À tous les négociants de Marseille, de Cadix et d’Amsterdam. Salut à qui suit le droit chemin. Après quoi vous saurez que le négociant français, qui habite au port de Safi, nommé Rey, est notre marchand et notre domestique et celui d’entre les négociants que nous affectionnons le plus... Nous n’avons aucune grâce à lui refuser et nous lui donnons sans difficulté toutes les marchandises du crû du pays… parce que nous reconnaissons sa droiture et sa probité dans les affaires, et que nous n’avons jamais aperçu dans sa conduite la moindre fraude ni tromperie. Ainsi, si quelqu’un veut entamer quelque traité de paix et faire quelque accord de commerce, il peut librement s’adresser à lui et nous accorderons d’abord ce qui nous sera demandé par son canal. Tous ceux donc qui négocient avec le susdit Rey et qui lui feront des envois, quelque considérables qu’ils peuvent être, doivent être sûrs d’en recevoir leurs retraits. Notre promesse envers lui étant inviolable et ne peut être changée en faveur d’aucun autre, parce qu’il est l’entremetteur entre nous et les Français. (Archives Nationales de la Marine, B7, 377).
19Rey fit parvenir ce diplôme à la Chambre de Commerce de Marseille pour décider les négociants à venir trafiquer à Safi. Guys écrivait le 14 novembre 1755 : « Depuis le mois de mai 1748, jusqu’en septembre 1755, il est venu 176 bâtiments danois, qui ont chargé à Safi », et c’était à Marseille que la compagnie danoise et la maison de MM. Rogon et Dengaliére écoulaient une grande partie des marchandises qu’elles achetaient au Maroc par l’intermédiaire des négociants marseillais qui commerçaient au Maroc (Masson, 1903). Malheureusement, les corsaires marocains avaient fait quelques prises en 1764, et César Gabriel de Choiseul-Praslin, ministre des Affaires Étrangères de 1761 à 1766 et secrétaire d’État à la marine de 1766 à 1770, s’était décidé à équiper une escadre plus considérable qu’on n’en avait envoyé depuis longtemps sur les côtes du Maroc : un vaisseau, huit frégates, trois chebecs, une barque et deux bombardes. Il songeait à imposer, par une démonstration navale, des conditions de paix avantageuses à la France, congédiait l’intermédiaire Rey, et le remplaça par un autre négociant marseillais, le sieur Salva, régisseur au Maroc de la maison Rogon et Dengallière de Marseille.
20En 1766, les bombardes tirèrent sur Rabat et Salé sans grands résultats, puis l’escadre se porta sur Larache, mais une tentative faite par les chaloupes, qui pénétrèrent dans la rivière pour brûler trois corsaires qui s’y étaient réfugiés, se termina malheureusement par la perte de 450 hommes. En conséquence de tels actes, en 1766, les échanges commerciaux entre Marseille et les ports marocains chutèrent ; huit bâtiments seulement, dont trois étrangers, portant pour 348 790 livres de marchandises, étaient venus du Maroc à Marseille. En 1783, le Maréchal de Castries envoyait des instructions à la Chambre de Commerce de Marseille pour avertir les Français établis au Maroc d’avoir à liquider leurs affaires, afin d’éviter d’être victimes de représailles au moment de la déclaration de guerre. À la veille de la Révolution Française, et lors de l’Empire, crises politiques franco-marocaines se superposent aux développements commerciaux entre Marseille et les ports marocains.
Des antagonismes aux coopérations franco-marocaines du Protectorat à l’Indépendance
21Cette position contradictoire entre politique agressive de l’État français et commerce passif marseillais se concrétisa encore plus au xixe siècle (Dye, 1909), surtout après l’occupation de l’Algérie. La France intervenait politiquement et militairement de plus en plus au Maroc, alors que les commerçants marseillais s’activaient dans leurs relations commerciales avec le Maroc. Côté commercial, dès 1839, Pierre Ferrieu de Clermont l’Hérault fut le premier français à s’installer à Casablanca pour négocier et développer des échanges commerciaux entre le port de Marseille et le port de Casablanca. Cet effort se solda par la création d’une ligne régulière de navigation maritime entre Marseille et Casablanca en 1862 par l’armateur marseillais Nicolas Paquet (Bernadac et Gallocher, 1991). Côté politique, la France a finit par instaurer son Protectorat au Maroc en 1912. À l’époque du Protectorat et de l’indépendance, Marseille est toujours la plus présente dans les relations commerciales entre la France et le Maroc.
22La compagnie marseillaise CMA-CGM a acquis la compagnie marocaine de navigation (COMANAV) depuis 2007 et assure la gestion de deux terminaux à conteneurs au port de Casablanca et le deuxième terminal à conteneurs du port de Tanger Med. Au moment où les relations politiques sont de plus en plus tendues entre Paris et Rabat, depuis le début 2014, les relations commerciales entre Marseille et les ports marocains ne cessent de se développer. Pour preuve, le 8 août 2014, la présidente du directoire du Grand Port Maritime de Marseille (GPMM), Christine Cabau-Woehrel, ancienne cadre commerciale de la CMA-CGM, signe un accord de coopération avec l’agence nationale des ports et l’agence spéciale Tanger Méditerranée. Le but est de densifier les échanges avec le Maroc par le développement des lignes maritimes régulières entre les deux pays, en particulier une liaison dite RO-RO de transports rouliers entre Marseille et Tanger, voire même d’en devenir un partenaire privilégié. Pour concrétiser cet accord, les 25 et 26 septembre 2014, une délégation de Via Marseille Fos était en mission commerciale au Maroc pour développer les échanges commerciaux entre les ports marocains et phocéen, car depuis la fermeture de son terminal fruitier en 2009, le GPMM œuvre pour récupérer une partie des 97,2 % des exportations marocaines de fruits et légumes qui passent quasi-exclusivement par la région Languedoc-Roussillon.
Conclusion
23À travers l’histoire, il semble que les politiques des deux États, la France et le Maroc, ne riment pas toujours avec les relations commerciales nouées entre Marseille, via ses affairistes et son port, et les ports marocains (De Rambert, 1949-1950). Marseille, fut et reste toujours un bon intermédiaire dans les conflits politiques, tout comme dans les coopérations commerciales entre le Maroc et la France. Combien de fois, Marseille est intervenue pour tempérer et adoucir dans l’application ce que les décideurs des deux côtés avaient de trop rigoureux. Nul ne peut aujourd’hui finalement en proposer le décompte exact.
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