Espaces logistiques urbains
Des équipements au service de l’aménagement de la ville
p. 121-133
Texte intégral
1Quand Daniel L’Huillier nous a proposé de rejoindre l’équipe du CRET en 1985, dès nos premiers échanges, il nous a signalé l’intérêt particulier qu’il portait à la circulation des marchandises en ville, à la suite de ses travaux sur le transport engagés dès les années 1960 (L’Huillier, 1965). Ce qui ne s’appelait pas encore logistique urbaine était pour lui un élément majeur du fonctionnement des agglomérations et il était convaincu de la nécessité de développer des recherches sur ce thème. Quelques approches avaient été conduites aux États-Unis sous l’angle technique (nombre de véhicules à mobiliser pour l’approvisionnement des habitants), mais quasiment rien n’existait sur la gestion des flux de produits dans les zones denses. En s’appuyant sur la ville d’Aix-en-Provence, il avait ainsi théorisé ce que pouvait être un pilotage public des échanges via une plate-forme qui regrouperait l’ensemble des marchandises destinées aux commerces du centre-ville. Ce concept donnera lieu en 1990 à une première étude engagée par son ami Jacques-Maurice Lengrand, alors maire-adjoint en charge des transports1, sur l’intérêt de créer un centre de distribution urbaine (CDU), analyse qui initialisera en France une démarche sur un thème aujourd’hui fortement mobilisateur des acteurs publics.
2Dans le présent chapitre, en référence à ces démarches fondatrices, il est fait tout particulièrement le point sur les équipements – dénommés de façon générique « espaces logistiques urbains » (ELU) – qui permettent de répondre de façon fonctionnelle et environnementale aux besoins générés par une ville en matière de logistique urbaine. Au demeurant, le terme français de « commune » traduit bien le partage qu’implique la vie en agglomération et, par conséquent, l’obligation qu’il y a de satisfaire les besoins d’échanges entre les hommes, les entreprises et les services. L’imbrication entre la gestion des flux et le développement harmonieux de la cité est manifeste et la logistique, après s’être imposée comme un outil majeur de la compétitivité des entreprises, devient incontournable dans la mise en œuvre d’une organisation performante des villes.
Le cadre général de la circulation des marchandises en ville
3Si la circulation des marchandises a longtemps été considérée comme une simple résultante de l’organisation économique et sociale, aujourd’hui tous les observateurs du fonctionnement des territoires s’accordent à reconnaitre son rôle moteur dans l’aménagement, quelle que soit l’échelle géographique prise en considération (Boudouin et Morel, 2000). C’est notamment le cas pour les entités urbaines puisque, à l’évidence, la qualité des livraisons de biens impacte la vie des habitants (au travers de leur indispensable approvisionnement), le développement du commerce (par les couts et la fiabilité de leur desserte), la productivité des services (la gestion des flux étant au cœur des réponses attendues), la performance des entreprises installées en agglomération (afin qu’elles reçoivent et expédient leurs produits de façon satisfaisante).
4Ce rôle majeur des marchandises dans l’animation de la ville se retrouve dans tout ce qui relève de la « politique urbaine ». Cette dernière a en effet le devoir de rationaliser les flux avec l’ambition de réduire leurs conséquences négatives, de maintenir les activités qui justifient la notion même du « vivre ensemble », d’offrir les surfaces nécessaires aux entreprises pour qu’elles puissent desservir la ville, et de mettre en œuvre une réglementation sur les livraisons au sein du périmètre de transports urbains. De fait, la capacité à échanger dans de bonnes conditions est devenue un élément clé de la productivité et de l’attractivité des cités : de la réponse aux besoins d’échanges dépend en grande partie leur vitalité. Ainsi, l’on peut dire que la dynamique des flux de marchandises est un bon indicateur de la dynamique de la ville.
5Ce cadre général étant posé, force est de constater que l’on assiste paradoxalement à un rejet des activités logistiques hors les villes. Autrefois positionnés dans les agglomérations, les points d’interface entre l’urbain et l’interurbain (sites sur lesquels sont réalisés le groupage/dégroupage des marchandises avant transfert) s’éloignent de plus en plus des centres. Il en va de même de tous les lieux de stockage qui participent à la desserte régulière des zones denses alors que les fréquences de livraison, ou d’enlèvements, comme les contraintes de délais, militent pour un positionnement au plus près du barycentre des zones à approvisionner. Ce « desserrement » s’explique essentiellement par les difficultés qu’ont les professionnels à trouver un foncier apte à les accueillir en accord avec leurs impératifs qui s’expriment en termes de dimension, accessibilité et coût, mais aussi par le refus des populations de voir s’installer près de chez eux des équipements destinés à des activités qui sont considérées comme synonymes de dégradation de leur environnement (essentiellement du fait des nuisances visuelles et phoniques). Ces prises de position sont d’ailleurs souvent relayées par les décideurs politiques et administratifs, ce qui conduit à des documents d’urbanisme limitant fortement les possibilités d’installation.
6En conséquence, les schémas en vigueur pour desservir les villes sont généralement basés sur une rupture de charge en périphérie suivie d’une diffusion par « petits » porteurs. Il en résulte une multiplication des véhicules utilitaires dans les villes avec des pénétrantes surchargées puisque, par exemple, pour remplacer un véhicule de 19 tonnes (de l’ordre de 10 tonnes de charge utile), il est nécessaire de mettre en œuvre 10 véhicules de 3,5 tonnes (environ 1 tonne de charge utile). Ces effets pervers se reproduisent à l’identique pour la sortie des marchandises. Par ailleurs, au-delà des aspects fonctionnels, les impacts économiques (surcoût pour les activités positionnés en zone dense) et environnementaux (augmentation des émissions de polluants) viennent affaiblir le système urbain dans son ensemble. Il est donc utile de chercher comment réinstaller les bâtiments qui abritent les fonctions logistiques au plus près des espaces à desservir. Pour cela, diverses actions sont envisageables ; certaines peuvent être « autoritaires » et conséquentes à un zonage extrêmement directif : il est mis en place des lieux d’accueil et les professionnels sont contraints à s’installer dans ces espaces (exemple la création des MIN par décret en septembre 1953) ; d’autres peuvent être basées sur une réglementation d’usage de la voirie très stricte : on interdit la circulation à certaines heures en certains lieux et pour certains types de véhicules, ce qui conduit mécaniquement à orienter les professionnels vers des points relais (le risque étant d’accroître fortement les coûts de livraison et pénaliser le centre-ville).
7Dans tous les cas, « laisser faire le marché » n’est pas satisfaisant car dans ce cas, c’est l’économique qui se substitue au stratégique et détermine alors pour l’essentiel les comportements. Ceci s’appliquant au commercialisateur du foncier (recherche légitime d’une maximisation des gains, donc le traitement du fret ne peut se positionner favorablement face à des activités de service, de commerce, d’habitat) comme au professionnel de la logistique (l’arbitrage entre l’investissement et le fonctionnement n’étant, en l’absence d’une prise en compte des coûts externes, généralement pas favorable à une installation près des centres). Face à ce vécu, les ELU se présentent comme des outils destinés à créer un lien entre la production et la consommation, entre le domaine public et le domaine privé, entre les zones denses et les zones diffuses. Ces équipements conceptualisés dans le cadre du Programme national « Marchandises en Ville » sont aujourd’hui reconnus comme porteurs de solutions pour mieux desservir les centres urbains ; les nombreuses études engagées sur le sujet (notamment dans le cadre des plans de déplacements urbain, ou PDU) en témoignent.
8Toutefois, force est de constater que si les réflexions et les projets sont développés dans quasiment toutes les villes de France supérieures à 100 000 habitants (et parfois moins), les investissements opérationnels sont encore relativement rares. En fait, l’incontestable désir d’action des responsables communaux, comme le volontarisme affiché par les opérateurs pour trouver des réponses à leurs problèmes, viennent buter sur la difficulté économique et fonctionnelle qu’ils ont à les insérer dans leur quotidien. Si une réponse est aujourd’hui apportée au pourquoi faire, de nombreuses interrogations existent toujours : quels équipements développer ? Comment faut-il agir ? Quelles mesures d’accompagnement doivent être mises en place ? Quel financement est à prévoir ? Qui sont les acteurs à mobiliser ? Quels effets induits sont prévisibles ? Ce sont toutes ces questions qui sont abordées dans les parties suivantes.
Les ELU et leur diversité
9Pour relier les producteurs aux consommateurs, des équipements permettant de recomposer les flux de produits sont indispensables. Ces outils, selon leur place dans la chaîne logistique, ont des localisations, des dimensions et des rôles différents (Boudouin, 2006). On distingue ainsi généralement les plates-formes à caractère « cinétique », qui permettent d’ajuster les conditionnements et les moyens de transport aux impératifs de déplacement de la marchandise, et les plates-formes « statiques », où se réalisent les opérations de mise en marché (stockage, montage terminal, préparation des commandes, etc.) indispensables à la commercialisation des biens concernés et à l’optimisation du couple coût/qualité de service.
10Bien évidemment, selon le type de produits et la valeur ajoutée qui se rattache aux traitements logistiques, aux fréquences d’approvisionnement ou encore aux volumes concernés, les formes que prendront ces plates-formes seront particulières et pourront ainsi mobiliser des dizaines d’hectares ou simplement quelques mètres carrés. Leur rapport au territoire varie donc fortement et les seuls équipements qui présentent un intérêt quant à leur positionnement en ville seront ceux qui ont un lien direct avec elle (réponse aux besoins rattachés à la production et à la consommation). Pour présenter ces derniers, nous distinguerons trois grandes catégories d’ELU (voir la Figure 1), chacune d’entre elles regroupant divers ELU (différents selon les objectifs recherchés), et dont l’appellation relève d’un vocabulaire aujourd’hui stabilisé et validé par la communauté des spécialistes du sujet :
- les ELU généralistes qui ont vocation à couvrir une large gamme de produits et qui nécessitent généralement l’intervention de la puissance publique lors de leur création ;
- les ELU spécialisés qui s’adressent à des flux destinés à un quartier particulier et/ou portés par un opérateur spécifique ;
- les ELU mobiles qui ambitionnent d’adapter le service aux difficultés de la ville en développant une offre évolutive dans le temps et l’espace.
Les ELU généralistes
11Dès lors que les aménageurs recherchent la réintégration des plates-formes logistiques dans les villes, deux types d’actions (non exclusives) sont envisageables : soit développer une action sur le foncier afin d’offrir aux opérateurs des conditions d’installation conformes à leurs attentes, soit agir sur la réalisation des échanges en orientant les pratiques de façon plus ou moins directive. Cette intervention de la puissance publique suppose d’une part la préservation de la libre concurrence entre les professionnels et d’autre part une analyse permettant de justifier l’intérêt économique et/ou environnemental et/ou fonctionnel de l’opération. Concrètement, ces ELU qui sont destinés à accueillir les professionnels peuvent prendre plusieurs formes. Ils sont regroupés dans trois groupes présentés ci-après.
Les zones logistiques urbaines (ZLU)
12Ce sont des zones d’activités dédiées qui permettent aux acteurs de la logistique urbaine de se repositionner à proximité de leurs clients, l’objectif étant de limiter les mouvements de véhicule et de fiabiliser la desserte. Les ZLU intéressent deux fonctions : d’une part, la réalisation des ruptures de charge dans la chaîne de transport, d’autre part, les « traitements » avant la desserte finale (tels que le stockage de courte durée). Les modalités de livraisons/enlèvements mises en œuvre par les opérateurs qui viennent se localiser sur ce type d’ELU restent identiques à leurs pratiques actuelles. Ces plates-formes seront desservies, si possible, par des modes massifiés et intermodaux. Dimensionnées par la demande confrontée à l’offre disponible, elles relèvent d’un acte d’aménagement et leur taille doit être significative dans l’espace urbain (5 hectares minimum). Les gares ferroviaires, qui ont longtemps été le point privilégié d’installation des messagers, les ports fluviaux dans les villes desservies par la voie d’eau, les marchés d’intérêt national (MIN), dont le rôle d’approvisionnement des villes en fruits et légumes peut être élargi à d’autres types de produits (Sirjean, 2015), relèvent de ce groupe d’ELU.
Les centres de distribution urbaine (CDU)
13Ce type d’équipement a l’ambition de gérer les flux qui parcourent la ville en les canalisant vers un site où sont groupées/dégroupées les marchandises avant que la relation terminale (ou origine) soit réalisée. Les CDU optimisent les tournées en recomposant les envois, ce qui permet de maximiser le remplissage des véhicules et de limiter le nombre de kilomètres parcourus. La vocation de ces outils est de desservir l’ensemble des zones denses durant les heures problématiques (notamment la période comprise entre 9 h et 12 h). Les CDU sont généralement conçus comme un service public de distribution des marchandises. Ils modifient l’organisation traditionnelle en intégrant dans la chaîne logistique un nouveau professionnel (qui joue le rôle de sous-traitant du prestataire réalisant la liaison principale). Ceci impose une recomposition des procédures pour permettre de garantir la continuité administrative et financière des opérations. À l’instar de ce que l’on trouve dans le transport de personnes, les autorités publiques concèdent généralement à une entreprise privée l’exploitation selon un cahier des charges précisant les conditions de transport (heures, types de véhicules, etc.).
Les hôtels logistiques
14Ce sont des bâtiments multi-fonctionnels qui rassemblent, outre la logistique, plusieurs fonctions. La finalité est d’abaisser le cout d’exploitation en additionnant différentes activités sur une même assiette foncière. Cette association peut-être plus ou moins large et intéresser des services, de la production, de l’habitat, etc. Chaque projet est unique et doit s’astreindre à un « mimétisme urbain » pour assurer dans un premier temps son installation et ensuite sa survie dans son environnement immédiat. L’efficacité d’un tel équipement se fonde d’une part sur sa capacité à intégrer des acteurs venant de milieux divers et d’autre part sur son aptitude à trouver une légitimité sociétale. De ce point de vue, la communication auprès des riverains est essentielle. Elle doit pouvoir impulser une volonté d’implication et de responsabilisation sur les conditions nécessaires au bon fonctionnement d’une rue, d’un quartier, d’un arrondissement et lutter efficacement contre le syndrome NIMBY. En fait, l’acceptabilité des hôtels logistiques reste toujours délicate, la circulation des marchandises n’étant souvent pas perçue comme une composante indispensable au fonctionnement urbain
Les ELU spécialisés
15Les réponses qu’il y a lieu d’apporter aux problèmes posés par la desserte urbaine ne sauraient relever d’un « prêt à installer » défini théoriquement et ensuite appliqué à une ville donnée. Chaque agglomération, chaque quartier, a ses propres spécificités et selon leurs caractéristiques socio-économiques des agglomérations et les ambitions des gestionnaires, des solutions diverses peuvent être envisagées. Ainsi, contrairement aux ELU généralistes qui s’adressent à un large éventail de produits et de clients, des équipements plus ciblés spatialement ou fonctionnellement sont envisageables. Leur caractère « local » réduit le rôle de la collectivité, cette dernière pouvant d’ailleurs être impliquée de façon marginale dans la mise en place de certains ELU relevant de cette catégorie. Nous retiendrons dans cette catégorie trois types d’équipements.
Les points d’accueil des véhicules (PAV)
16Le stationnement des utilitaires est un des points noirs de l’acte de livraison, ceci à double titre : par les gênes apportées aux autres usagers de la voirie (blocages de la circulation, nuisances, etc.) et par la difficulté qu’ont les chauffeurs à trouver un lieu approprié pour se garer (perte de temps, risques d’accidents ou de vols, etc.). Notons aussi que l’arrêt des véhicules utilitaires se réalise souvent en marge des règles en vigueur, ce qui donne une impression d’anarchie allant à l’encontre de toute politique d’organisation des centres urbains. Pour répondre à cette réalité, il peut être mis en place des surfaces de stationnement qui seront durant leur période de fonctionnement, garantis libres d’accès (éventuellement gardiennés) afin que les chauffeurs-livreurs puissent rayonner en toute sécurité pour aller apporter ou récupérer les marchandises. À partir de ces PAV, deux possibilités sont offertes : soit effectuer le parcours terminal (ou origine) à pied avec éventuellement une aide apportée par du personnel ou des moyens de manutentions, soit utiliser des services mis en place pour acheminer les envois par des tricycles ou véhicules particuliers peu encombrants et peu nuisants. Les parkings publics peuvent être sollicités à cet effet.
Les points d’accueil des marchandises (PAM)
17Les difficultés d’accéder à certaines zones pour des raisons topographiques, fonctionnelles ou encore réglementaires rendent délicate leur desserte. Afin de répondre aux besoins qui s’expriment en ces lieux, des points relais judicieusement positionnés peuvent être crées. Ces interfaces se substituent au destinataire (ou expéditeur) pour éviter les « derniers mètres » ; le découplage est spatial (transfert du point d’arrivée ou de départ de l’envoi) et temporaire (apport ou récupération à une heure en accord avec les intérêts des deux parties). Les relations entre le PAM et le client urbain peuvent se concevoir de multiples façons (avec intervention ou non de véhicules, de prestataires, de prêt d’engins de manutention) et couvrir une gamme plus ou moins large de produits (depuis le colis carton classique jusqu’aux emballages en retour ou destinées à la destruction). Les structures privées (professionnels ou non du transport) sont souvent à l’origine de la mise en œuvre de ces outils qui se rapprochent de ceux qui étaient fort répandus il y a encore quelques années : les « bureaux de ville ».
Les boîtes logistiques urbaines (BLU)
18Ces ELU sont des interfaces qui permettent d’établir le lien entre le transporteur et le client sans que la présence d’une personne sur le lieu de transfert soit requise. L’intérêt de ces outils est lié à la maîtrise du temps ; en effet, la notion d’heure de livraison est particulièrement importante pour tous les acteurs du système (avec bien souvent des intérêts opposés). Les « boîtes logistiques urbaines » (BLU) peuvent être fixes (sas, consignes, box à colis, etc.) ou mobiles (contenants à formes et dimensions variables). Elles sont implantées en des lieux privés (commerces, immeubles, etc.) ou publics (gare, parking, etc.) faciles d’accès. La procédure classique (réception du colis/reconnaissance de la livraison) est ici changée. Ceci implique une déconnexion des opérations de transport et d’administration de l’envoi, cette dernière se faisant en général avec un décalage dans le temps minime n’excédant quasiment jamais deux jours et relevant le plus souvent de quelques heures. Ces équipements, qui se déclinent sous des formes multiples (locaux, casiers, automates, etc.), sont particulièrement adaptées aux ventes en ligne.
Les ELU mobiles
19La performance passe ici par la standardisation des moyens cinétiques et intéresse aussi bien les véhicules que les contenants. Cela renvoi à la notion de norme des matériels, qui est un passage obligé tant dans le processus de la mutualisation de flux impliquant plusieurs opérateurs que dans la mise en œuvre de chaînes logistiques urbaines innovantes. Ce type de dispositif est à mi-chemin entre les outils « traditionnels » exposés précédemment et des vecteurs de déplacement qui peuvent être très variés selon les sites à desservir ou les produits à livrer ou enlever (conteneur, véhicule, bateau ou rame de tramway). Plusieurs projets sont annonciateurs d’un développement de ces services d’ELU mobile.
20L’un des plus emblématiques est celui du Tramfret. Ainsi, une opération basée sur la mise en place d’une « nourrice » sur la ligne T3 du tramway parisien est envisagée ; ce projet est porté par l’APUR en partenariat avec une filiale du groupe Geodis. L’objectif est ici de livrer de nuit (sur sas) des magasins d’optique parisiens à partir d’une rame de tramway Alstom Citadis 402 non transformée servant de base mobile à partir de laquelle viennent se réapprovisionner des livreurs en triporteurs. Plusieurs expérimentations passées ou en cours se rattachent à ces équipements, notamment Consignity (projet aujourd’hui arrêté) et BentoBox (en phase de test à Lyon et Turin dans le cadre du projet européen CityLog). Ce type d’ELU a pour finalité et intérêt de moins « marquer » la ville, ce qui lui permet d’être adaptable dans le temps et dans l’espace. Il est ainsi en accord avec les concepts émergents d’offre multi-canal, de boutiques éphémères ; toutes déclinaisons commerciales qui traduisent le changement de comportement d’achats des consommateurs urbains en parfaite harmonie avec les concepts aujourd’hui mis en avant tels que partage, mixité, et ubiquité logistique.
Les enjeux en présence
21La ville, qui rassemble environ 80 % de la population française et européenne, est beaucoup plus qu’un simple lieu de consommation. À l’heure de la tertiarisation de l’économie, les agglomérations deviennent un lieu de production majeur. C’est donc dire que les territoires urbains et, par conséquence, les flux de marchandises, sont au cœur de toutes les politiques d’aménagement et de développement (Boudouin et al., 2013). Ce positionnement stratégique nécessite une capacité à répondre aux défis d’une ville toujours plus consommatrice de marchandises, lesquelles s’inscrivent dans des chaînes logistiques complexes où la maitrise du temps est fondamentale, le tout dans un cadre contraint par les réalités urbaines liées à la morphologie de la ville ou encore à ses infrastructures de transport. Les ELU doivent ainsi satisfaire trois missions, la première est quantitative, la deuxième qualitative, la troisième urbanistique.
22Pour aborder les enjeux qui se rattachent à ces équipements, il y a lieu de distinguer les deux grandes catégories d’intervenants qui participent à l’organisation de la desserte urbaine : d’une part, la sphère publique qui rassemble les responsables du fonctionnement de la ville et d’autre part, la sphère privée qui regroupe tous les professionnels participant à la circulation des marchandises. Les analyses faites et les attentes sont diverses puisque la première catégorie (le public) va essentiellement aborder le sujet sous les angles environnementaux, terme pris au sens large et regroupant tout ce qui a trait à l’insertion des flux dans l’urbain, la seconde catégorie (le privé) se positionnant pour sa part à partir d’éléments économiques. Les ELU, équipements d’interface entre l’espace public (les infrastructures, les sites d’accueil) et l’espace privé (la plate-forme, l’exploitation) sont au centre du dispositif à mettre en œuvre pour « mieux » échanger.
Les enjeux pour la sphère publique
23Ce groupe intègre les gestionnaires de la ville (élus, services divers), les usagers et leurs représentants. Les motivations liées à une recherche d’organisation de la circulation des marchandises peuvent être classées dans trois domaines : l’environnement (qualité de vie des habitants et valorisation de l’image), l’économie (dynamique générale et capacité à attirer des activités créatrices de valeur ajoutée), le fonctionnel (fluidité des échanges et réponse aux besoins). Tous ces éléments sont très souvent interconnectés entre eux, par exemple des flux qui se réalisent sans difficultés génèrent peu de nuisances et renforcent l’attractivité, et relèvent pour l’essentiel du champ disciplinaire de l’urbanisme.
24Les divers membres de cette sphère publique n’ont pas forcément la même lecture de la place de la logistique urbaine et leurs sensibilités se focalisent selon les cas sur tel ou tel point. Néanmoins, les grandes lignes sont connues et on les retrouve notamment dans les Plans de Déplacements Urbains (PDU) qui ont rendu obligatoire la prise en compte des marchandises pour les agglomérations ayant un périmètre de transports urbains supérieur à 100 000 habitants. Le cadre d’objectifs est d’ailleurs affiché au niveau national et il contribue à ordonner les enjeux. Les principales orientations de la loi relative à la solidarité et au renouvellement urbains (loi dite SRU) sont basées sur la nécessité d’évoluer de la notion de « mal nécessaire » à une approche plus constructive fondée sur la recherche de réponses aux cinq points suivants : rationaliser la desserte urbaine avec l’ambition de réduire les conséquences négatives d’une multiplication des mouvements ; maintenir les activités commerciales et artisanales dans les villes en garantissant des conditions satisfaisantes pour leur approvisionnement ; mettre en cohérence la réglementation applicable aux livraisons dans l’ensemble du périmètre de transports urbains ; prendre en compte les besoins en surfaces nécessaires au bon fonctionnement des activités de logistique urbaine ; réfléchir sur les infrastructures de circulation existantes et à venir dans la perspective d’une offre multimodale.
25Pour cela, la recomposition des flux en des lieux judicieusement choisis, est un impératif pour créer une chaîne de transport performante en matière d’insertion dans le tissu urbain et de qualité de service offert. Les enjeux qui se rattachent la mise en place de tels outils sont de plusieurs natures, par-delà les enjeux sociaux (maintien ou création d’emplois dans les zones denses) qui renforcent la nécessité, pour les acteurs de la sphère publique, d’intégrer les ELU dans leurs schémas d’aménagement :
- Des enjeux de nature environnementale. Si l’on considère que le bilan énergétique est un indicateur pertinent pour mesurer ce type d’effets, il est à noter que les marchandises participent au compte global des transports urbains à hauteur d’environ 30 % (valeur que l’on retrouve aussi au niveau des gaz à effet de serre). Une approche plus précise par émissions de polluants permet d’afficher pour les composés azotés 40 % ou encore 45 % pour les particules fines aujourd’hui tant décriées. Ces données qui intéressent directement la santé des individus sont maintenant connues et ne peuvent plus être ignorées par les collectivités. De façon plus globale, les effets de la circulation sont perceptibles par tous et les citadins (qui sont aussi électeurs) n’hésitent plus à juger avec sévérité les résultats d’un passé où la préservation de l’environnement n’avait probablement pas la place qu’elle aurait dû prendre.
- Des enjeux de nature économique. En moyenne, les coûts de mise à disposition d’un produit représentent, pour la seule partie urbaine, de 3 à 4 % de la valeur du produit ; tout renchérissement de la desserte a pour conséquence chez les consommateurs (entreprises/personnes) une recherche de limitation de ceux-ci avec la tentation de s’affranchir des surcouts en se délocalisant en périphérie. Alors que tout le monde s’accorde sur la nécessité de densifier les villes tout en évoluant vers une plus grande mixité des composantes primaires, les pouvoirs publics doivent favoriser la pénétration des marchandises dans les zones denses ; il en va de l’équilibre et de l’attractivité des centres villes. Pour cela, les ELU ont un rôle de première importance car ils permettent de se rapprocher des clients, seule façon de répondre à leurs exigences sans multiplier les moyens. Ceci implique une action sur le foncier afin d’offrir des espaces satisfaisants à un prix acceptable.
- Des enjeux de nature fonctionnelle. La camionnette du messager arrêtée devant un commerçant, le poids lourd qui livre des meubles au magasin d’exposition, le camion de déménagement qui s’immobilise devant un immeuble, le fourgon des services postaux, le véhicule ramassant les ordures ménagères, la voiture particulière qui a dans son coffre les achats effectués dans un commerce, etc., sont la manifestation de la vie urbaine. Personne ne remet en cause cette obligation de desserte, mais les désagréments qui en résultent sont souvent rappelés. Aussi, toute ambition de développement (qui conduit obligatoirement à plus de produits en circulation) doit être accompagnée de mesures permettant de répondre aux besoins de transport de marchandises, faute de quoi c’est le fonctionnement général de la ville qui en souffrira. Le challenge est d’importance puisque environ 20 % de l’occupation de la voirie par des véhicules motorisés est imputable au fret (y compris les circulations des particuliers conséquentes aux motifs achats).
Les enjeux pour la sphère privée
26Le regard porté par les professionnels est différent, bien que s’adressant aux mêmes composantes du système urbain (Chanut et al., 2012). Le filtre « financier » va être ici un élément fondamental pour expliquer les choix effectués dans un cadre dont les acteurs ne maitrisent qu’une partie des déterminants. Ceci s’entend tant pour les chargeurs (ceux qui reçoivent ou expédient la marchandise) que pour les logisticiens (ceux qui réalisent les opérations telles que le transport, le stockage, le conditionnement, etc.). Tous sont contraints par l’urbain et le marché, dans un contexte de plus en plus concurrentiel. Pour ces acteurs, les pratiques ne peuvent s’analyser sans prendre en compte les coûts, l’innovation se conjugue souvent avec le marketing, les rigidités dans la chaîne logistique doivent être associées à des segments flexibles, la valeur temps est présente en permanence.
27L’extrême diversité des besoins conduit à une multitude de cas canalisés par les réalités urbaines (les infrastructures, les sites d’accueil, la règlementation). Aussi, les ELU ont des rôles divers pouvant aller du simple relais permettant de résoudre une difficulté particulière jusqu’au point central pilotant l’ensemble des opérations administratives et techniques nécessaires à la desserte de la ville. Si la finalité est toujours d’organiser au mieux les échanges, il est évident que ce sont les logisticiens qui sont les acteurs les plus concernés, car opérateurs du système, alors que les chargeurs en sont les clients. Il est toutefois possible de définir les principaux enjeux se rattachant aux ELU, tels que les perçoivent les professionnels en reprenant la même grille de lecture que celle retenue précédemment :
- Les enjeux environnementaux. Les entreprises considèrent généralement que ce n’est pas à elles d’être les promoteurs du mieux vivre en zone urbaine. Bien entendu, elles sont citoyennes, mais elles restent toujours des opérateurs économiques qui doivent dégager des bilans positifs ; il en va de leur survie. Elles sont néanmoins conscientes que l’environnement interfère de plus en plus dans la concurrence et certaines développent des outils résolument offensifs en la matière (véhicules dits « propres », gestion des emballages, empreinte carbone, etc.). Les plates-formes sont alors un élément essentiel, généralement indispensable, des organisations, puisqu’elles permettent de lisser finement les segments de la chaîne logistique en adaptant les outils à chaque étape du processus de livraison. Le durcissement quasiment certain des règles définissant les niveaux admissibles de pollution atmosphérique ou encore de bruit, milite en faveur de la création de points d’articulation des flux en ville. De nombreux prestataires intègrent d’ores et déjà ces critères dans leur offre. De même, les distributeurs, artisans, entreprises de services, sont de plus en plus conscients du rôle des plates-formes urbaines, la multiplication des chartes en lien avec les pratiques logistiques en agglomérations le prouve.
- Les enjeux économiques. Ce sont les véritables moteurs du comportement des professionnels puisque leur compétitivité est liée à leur aptitude à afficher une logistique efficiente. Pour les chargeurs, la qualité (qui se mesure souvent en termes de respect des horaires) et le coût de leur approvisionnement est un élément du choix de localisation ; tout dysfonctionnement qui les affaiblirait face à des confrères positionnés en dehors de la ville peut remettre en cause leur présence dans les zones denses. Les ELU deviennent ainsi des équipements forts d’une politique d’attractivité, notamment commerciale, dès lors que les ruptures de charge créées ne conduisent pas à un alourdissement significatif des couts de livraisons (ou enlèvements) de marchandises. C’est pour cela qu’il est souvent souhaité une intervention des pouvoirs publics directement (aides à l’usage de certaines techniques) ou indirectement (baisse du prix du foncier) afin de contenir les tarifs pratiqués. Pour leur part, les logisticiens sont de plus en plus enclins à distribuer les traitements logistiques tout au long de la chaîne reliant les producteurs aux consommateurs ; ceci permet d’ajuster les tâches aux exigences des clients. Les plates-formes urbaines ne sont plus seulement des éléments de recomposition des flux, elles font partie de la chaîne de valeur des organisations des entreprises de circulation. Il sera donc recherché à adapter les outils d’interface aux processus de mise en marché en s’appuyant sur des ELU.
- Les enjeux fonctionnels. Pour réguler les échanges de marchandises et maîtriser le temps, la présence de points d’articulation de flux en zones denses s’avère indispensable. En effet, les infrastructures de transport en ville sont souvent saturées (notamment aux heures de la matinée où la demande logistique est forte) et les collectivités recherchent à réglementer leur usage en limitant les conditions de circulation et de stationnement des véhicules utilitaires. Dès lors, il faut se rapprocher au maximum des clients afin de pouvoir effectuer le « dernier kilomètre » avec des moyens peu perturbateurs (marche à pied, tricycles à assistance électrique ou non, véhicules « propres », etc.) pour le cadre de vie des habitants et généralement jugés acceptables par les acteurs publics qui édictent les réglementations. Plus les contraintes fonctionnelles sont élevées (du fait de la topographie, de l’histoire oi encore des réglementations) et plus le besoin d’ELU est important. Si, pendant longtemps, les prestataires ont pu répondre aux attentes de leurs clients (souvent en s’affranchissant des règles prises en matière de circulation et/ou stationnement) la multiplication de la demande, montre les limites des schémas traditionnels basés sur une relation (directe ou par tournée) depuis une plate-forme extérieure à l’agglomération.
Conclusion
28Les ELU sont les derniers (ou les premiers) maillons d’une chaîne logistique qui doit être appréhendée dans sa globalité. En effet, les dispositifs en amont (ou en aval) du segment urbain sont indispensables à la performance de la distribution terminale dans la mesure où ils rendent possible l’arrivée massifiée, parfois mutualisée, des marchandises en ville, opération fondatrice de la performance économique et fonctionnelle des ELU. La mise en œuvre de ces équipements est une action toujours complexe qui doit s’inscrire dans le cadre d’une réflexion globale des déplacements. La création d’interfaces pour des échanges plus performants suppose une large concertation qui doit tenir compte des jeux d’acteurs basés sur les pratiques et les habitudes, les intérêts financiers et concurrentiels, et les positionnements (Ducret, 2014). Pour cette raison, bien au-delà d’une décision résultant d’une simple étude de faisabilité, le choix de créer des ELU relève d’un acte politique visant à considérer que les marchandises participent à la vie urbaine et sont susceptibles de répondre à une demande.
Bibliographie
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Références bibliographiques
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Notes de bas de page
1 Jacques-Maurice Lengrand était aussi alors directeur de l’IUT d’Aix-en-Provence et directeur de recherche au CRET (qui deviendra le CRET-LOG par la suite).
Auteur
Consultant en transport et logistique, fondateur avec Olivier Domenach du cabinet Jonction en 1985. Ingénieur INSA Lyon, ancien étudiant de l’IAE de Nice, il est membre permanent du Centre de recherche sur le transport et la logistique (CRET-LOG). Ses travaux concernent essentiellement les relations entre logistique et territoire. Il a ainsi participé à de nombreuses missions sur ce thème, tant en France qu’à l’étranger, avec des acquis qu’il a ensuite valorisé par la publication de nombreux articles et ouvrages liés à la gestion des flux dans leurs composantes techniques et économiques.
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