Le droit et la logistique
Un mariage de raison
p. 115-118
Texte intégral
1Droit des transports et logistique sont en apparence étrangers l’un à l’autre. Pourtant, ils peuvent se retrouver. C’est cette rencontre que nous allons rapidement analyser. Le droit maritime, en particulier, rencontre la logistique là où les contrats sont un élément de la rationalisation des flux d’approvisionnement. Les contrats participent en effet à l’organisation de la chaîne de transport en la sécurisant grâce à une définition précise des droits et obligations, aussi bien du propriétaire de la marchandise que de son gardien ou de ceux du propriétaire du moyen de transport et de son utilisateur. Parmi les contrats, ceux relatifs au transport maritime ont une place de plus en plus importante dans la mesure où la phase maritime est essentielle dans la plupart des schémas logistiques qui se développent actuellement maritime de courte distance (short sea shipping).
2Ce type de transport maritime s’exerce dans la zone géographique européenne et sur les liaisons entre l’Europe et les pays méditerranéens limitrophes. Il est multimodal dans la mesure où il associe un transport routier (ou ferroviaire) à un transport maritime en s’organisant autour d’une même unité de charge, et en intégrant un passage portuaire qui devrait être le plus rapide possible afin de faciliter le développent des échanges dans la zone. Dans un tel contexte, la logistique est indispensable à la réussite commerciale de l’opération, et les questions relatives à l’organisation des conférences maritimes n’ont eu de cesse de le souligner (Odier, 1979). Or, la réussite commerciale ne peut être durable que si la confiance entre les partenaires est totale et elle ne le sera que si le droit garantit la sécurité des engagements.
3Le transport maritime en Europe se distingue totalement d’un transport maritime au long cours qui, après un port d’éclatement, redistribue sa cargaison à destination d’un port ou d’un point intérieur au territoire grâce à des navires feeders, prolongeant ainsi un contrat maritime international commencé en Extrême-Orient ou ailleurs. Nous sommes alors dans un schéma où le transport maritime a son autonomie sans avoir à impliquer d’autres entités juridiques dans une opération globale. Nous écarterons donc ces contrats maritimes traditionnels de la réflexion conduite dans le présent chapitre pour se concentrer sur les transports européens de courte distance dont l’organisation devient de plus en plus efficace grâce à des documents de transport matérialisant, de façon expresse, la volonté des parties. Le document de transport reflète toutes les phases intervenant dans l’organisation logistique. Il permet donc de prévenir les conflits potentiels et devient un facteur du bon déroulement de l’opération. C’est à ce titre que nous allons nous pencher sur lui pour constater qu’il revêt de nombreuses insuffisances si on l’envisage sous l’angle purement juridique mais qu’il constitue un atout pour l’organisation logistique.
Le document de transport au service des logisticiens
4Le document de transport utilisé dans les opérations de transport multimodal comportant une phase de short sea shipping et un document résultant de la libre volonté des parties, accompagnant l’envoi depuis la prise en charge jusqu’à la livraison. Il s’agit bien d’un document de transport couvrant le déplacement de la marchandise, et non pas d’un engagement correspondant à une commission de transport (Odier, 2013). L’accord est conclu entre un expéditeur, qui peut être soit un chargeur soit un intermédiaire agissant ou non de l’expéditeur de la marchandise, et un transporteur, se chargeant de la marchandise durant toute l’opération, quel que soit le mode de transport utilisé.
5Le document de transport est négocié par les parties pour s’adapter à leurs besoins. Il s’agit d’un engagement de transport reflétant un contrat spécifique mais n’ayant pas un caractère particulier le rattachant à un moyen de transport précis pour être claire il s’agit pas d’un connaissement par exemple qui caractérise le secteur maritime. Ce document de transport n’est donc pas négociable. Autrement dit, l’engagement du transporteur à l’égard de la marchandise est pris vis-à-vis d’un destinataire précis et pas de tous porteurs du document. Il n’a donc pas une vocation de financement de commerce international mais s’inscrit uniquement dans une organisation logistique. Dans cette logique, le document de transport mentionne tous les renseignements utiles à l’identification de l’opération : le lieu du chargement, le lieu de déchargement, l’unité de charge utilisée et les caractéristiques de la marchandise et celle du camion qui la transporte. Il doit également faciliter le passage portuaire. Ainsi, les données sont transmises par voie électronique tant au port que chez le destinataire, l’envoi est immédiatement enregistré sans aucune perte de temps. Toutes ces facilités rejoignent l’intégration logistique et sa rationalisation. Le document de transport peut même être considéré comme un élément au service des logisticiens.
6Il s’agit d’un document n’introduisant aucune complexité juridique à proprement parler. C’est le transporteur qui garantit l’envoi de bout en bout et il est lui-même couvert par une assurance sécurisant la totalité de l’opération. Ainsi, le document de transport est un appui sur lequel repose l’intégration multimodale, et il a été conçu pour lui donner toute son efficacité. Il a donc une signification proprement logistique permettant les échanges commerciaux de la manière la mieux organisée possible. Pour atteindre cet objectif, il est rédigé de façon purement pragmatique, mais il ne répond pas nécessairement aux attentes de juristes qui redoutent toujours les actions judiciaires et souhaitent s’abriter derrière un droit qui soit considéré comme une garantie absolue.
Naissance du « document unique »
7Les insuffisances juridiques tiennent au fait que le document de transport reflète un contrat né du simple accord des volontés, conçu autour d’un régime juridique aussi simple que possible et familier pour les partenaires commerciaux, habitués à la simplicité du régime juridique de la route et effrayés par toutes les subtilités du droit maritime. Il s’inscrit donc dans une opération multimodale répondant aux impératifs commerciaux et organisée sur la base d’un schéma logistique en dehors des préoccupations juridiques. Illustrant cet objectif, l’accord entre partenaire prévoit un régime de responsabilités uniforme de bout en bout, à la charge de l’opérateur de transport qui offre une véritable garantie à l’expéditeur.
8Le régime de responsabilité est calqué sur celui qui figure dans la convention routière (CMR), mais il n’entraine pas l’application de la convention puisque le contrat considéré n’est pas routier mais multimodal. Ce régime est simplement une référence librement choisie ne répondant à aucune convention internationale, c’est-à-dire à aucun droit impératif supplantant les législations internes et s’imposant aux juges. Il est, dans de telles conditions, juridiquement fragile parce qu’il risque de ne pas prévaloir en cas de contentieux. Une telle fragilité tient au fait que le droit en raison de son manque de souplesse est en retard par rapport à l’intégration logistique pratiquée dans tous les échanges internationaux. Aucune convention multimodale n’a encore réussie à s’imposer, le droit des transports reste un droit segmenté, chaque mode de transport dispose d’un régime particulier, conçu autour d’une notion spécifique du risque engendré par le déplacement sans envisager l’ensemble de l’opération.
9L’absence momentanée, espérons-le, d’une convention multimodale a donc poussé les praticiens à mettre en place des documents-type. Pour répondre aux besoins de sécurité juridique que postule l’intégration logistique, le « document unique » a vu le jour dans le monde des échanges multimodaux impliquant une phase maritime, avec des solutions associant les exigences de la logistique aux besoins de fiabilité juridique. Il s’agit dans cet esprit d’un document rassemblant des données pouvant être échangées par voie informatique un temps réel, c’est-à-dire en liaison directe avec l’enchainement des opérations matérielles que propose un régime juridique bien des praticiens puisqu’il s’agit du régime de transport routier international impliquant une large responsabilité des transporteurs donc très peu de ces d’exonération et une limitation de responsabilité calculée en fonction du poids des marchandises transportées de l’ordre de 12 DTS par kilogramme de cargaison perdue ou avariée soit dans bien des situations une réparation intégrale. Ce document est ainsi très facile à utiliser le plus souvent sur une assurance de bout en bout dont le certificat accompagne l’engagement des parties qui assurent le déplacement.
10La sécurité juridique paraît ainsi de nature à encourager les opérations de transport. Il faut néanmoins admettre que cette sécurité est précaire. En effet, elle repose uniquement sur la volonté de ceux qui participent à l’opération : l’opérateur des transports et son client (l’expéditeur). Le juge peut passer outre et imposer, en cas de procès, un droit qui n’est pas celui qui correspond à l’acte choisi, détruisant ainsi toute l’économie de l’expédition. Dans sa stricte rigueur, le droit n’est plus au service des affaires mais peut, au contraire, les contrarier dans leur bon déroulement.
Conclusion
11La réflexion suggérée autour du droit des transports et de la logistique est exemplaire. Elle fait apparaître l’antagonisme qui peut exister entre une exigence excessive de rigueur juridique et le besoin de rapidité et d’efficacité auquel répond la logistique. Elle montre aussi que si les conventions internationales sont nécessaires pour faciliter l’uniformisation des lois dans un monde globalisé, le contrat, c’est-à-dire la discussion, facilite le bon déroulement des affaires et rejoint ainsi les ambitions de la logistique. Ceci met en évidence le fait que dans les opérations de transport complexes (celles qui incorporent un transport maritime en font partie), la logistique est indispensable mais une logistique qui garantisse la sécurité des enchaînements, donc une logistique qui s’appuie sur les contrats. L’association entre le droit et la logistique ne peut se réaliser que dans un esprit pragmatique et de dialogue. C’est ce dialogue auquel Daniel L’Huillier s’est toujours attaché, dès son travail fondateur (L’Huillier, 1965), et c’est à ce titre qu’il a largement contribué à donner à la logistique un visage nouveau.
Bibliographie
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Références bibliographiques
L’HUILLIER D. (1965), Le coût de transport : l’analyse économique et l’entreprise face aux mouvements de marchandise, Cujas, Paris.
10.3406/afdi.1979.2179 :ODIER F. (1979), « Le code de conduite des conférences maritimes », Annuaire Français de Droit International, Vol. 25, n° 1, p. 686-692.
ODIER F. (2013), « La dynamique des documents dans le contrat de transport maritime », in BLOCH C. (éd.), Mélanges en l’honneur de Christian Scapel, Presses Universitaires d’Aix-Marseille, Aix-en-Provence, p. 301-306.
Auteur
Présidente d’honneur de l’Association française du droit maritime. Consultante en droit des transports, après un parcours professionnel au sein de l’organisation professionnelle des armateurs, elle assure également la fonction d’arbitre à la Chambre arbitrale maritime de Paris et elle a enseigné le droit maritime à l’université Paris I Panthéon Sorbonne. Diplômée de Sciences Po Paris, docteur en droit, elle a publié plusieurs chapitres d’ouvrages et de nombreux articles, notamment dans le Bulletin des Transports et dans Droit et Pratique du Commerce International.
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