Le transport comme service
Spécificités, contraintes et transparence
p. 107-114
Texte intégral
1Le propos du chapitre est de réfléchir au statut économique du transport dans la chaîne logistique. Le transport sera analysé ici non pas comme un centre de coût pour l’entreprise, mais comme une opportunité de création de valeur. Le transport fait consubstantiellement partie de la production d’un bien ou d’un service. Sans le transport, le produit n’existe pas économiquement, car il ne devient marchandise qu’une fois parvenu sur le marché, après un parcours dans la chaîne logistique. Ce n’est pas un frais improductif obligé, un coût incontournable à minimiser. C’est une opportunité d’acheter mieux, partout, donc moins cher ; de vendre plus, partout et donc plus cher… Seul donc, il permet d’avoir une stratégie sur les prix et les quantités « dans l’espace » de vente et d’approvisionnement.
2Le transport sera considéré ici comme un enjeu stratégique pour ceux des acteurs de cette chaîne logistique qui le contrôleront. Nous sommes passés d’une économie de stocks à une économie de flux et de création de valeur ; on comprend dès lors que la maîtrise du transport, ce « véhicule » du flux, est centrale (Savy, 1981). Nous nous situons en effet ici au cœur des décisions sur l’espace-temps des entreprises : sur le temps (0 stock, flux tirés, flux tendus, juste à temps) ; sur l’espace (aires d’achat et de vente, localisations et délocalisations). Les NTIC qui permettent de gérer l’espace en temps réel, n’ont fait qu’exacerber ces stratégies.
3Une statistique pour fixer les idées sur le caractère stratégique du transport. Les coûts logistiques se montent en moyenne à une fourchette de 6 à 12 % du chiffre d’affaires net des firmes (ASLOG, 2011). Sur ce montant, plus de la moitié est due au transport proprement dit et cette dernière part augmente sans discontinuer depuis dix ans. La réflexion consistera ainsi à répondre à la question suivante : d’où vient la spécificité du transport et de son marché ? Du fait que, d’une part, c’est une activité de service industriel, et que, d’autre part, c’est un service transparent de sous-traitance.
Spécificités du transport et de son marché
4Le service de transport consiste à déplacer un bien, une personne et/ou une information dans l’espace (Quinet, 1998). C’est une activité qui disparaît au fur et à mesure qu’elle s’accomplit. Pourtant, ce service immatériel nécessite des infrastructures à nulles autres pareilles. En effet, le transport est une industrie de réseaux parmi les plus importantes et les plus coûteuses en investissements publics et privés.
Le transport est un service
5Par rapport à celle d’un bien matériel, la production d’un service obéit à plusieurs contraintes et spécificités. D’une part, on sait qu’un service est immatériel, intangible, périssable ; c’est un achat perdu en cas de non-qualité puisqu’il ne peut être « retourné au vendeur », qu’il ne peut faire l’objet d’une garantie quelconque, puisqu’il n’y a pas de transfert de propriété comme pour un bien matériel. D’autre part, on voit que le transport est un engagement sur une action future et non pas, comme pour un bien, l’achat d’un bien produit dans le passé. Le transport est acheté et vendu avant d’être produit. Le transporteur s’engage sur une qualité de service future, à savoir que le transport se déroulera comme spécifié au contrat, mais il ne peut pas le certifier.
6On ne peut en effet tester la qualité du transport avant de l’acheter, comme celle d’un bien. Quand la non-qualité est produite par le transporteur, elle est obligatoirement consommée par le chargeur. Si le train est en retard, tous les voyageurs le sont aussi ! Si le fruit est abîmé lors de son transport, il est jeté à l’arrivée ! Autrement dit, l’image de marque d’un producteur de bien se fonde sur la qualité intrinsèque de ce bien, qui construira le cœur de sa relation client. En revanche, l’image de marque du transporteur, c’est sa relation client elle-même puisque le chargeur ne peut avoir que le souvenir ou l’expérience de la qualité de service d’un transporteur, fondé sur une « fréquence d’utilisation » et son appréciation du comportement du transporteur pour minimiser les effets de la non-qualité quand celui-ci la produit.
Le transport est un service industriel
7Comme la production du transport et sa consommation sont simultanées, le consommateur de transport (le chargeur) peut orienter ex ante la production du transport. Autrement dit, le transporteur va travailler « à façon » suivant les ordres du chargeur spécifiés au contrat de transport signé avant que le transport soit effectué. D’où la supériorité du transport « à la demande » comme le transport routier car il se coule immédiatement dans les exigences complexes des donneurs d’ordre. Le transport régulier, lui, fédère plusieurs demandes de transport identiques pour les massifier, mais il est du coup moins souple, moins réactif. Le service de transport ne modifie pas matériellement la marchandise transportée, mais sa valeur et sa localisation :
- Sa valeur. La valeur ajoutée à une marchandise par son transport est indissociablement liée à sa valeur intrinsèque. Ces deux valeurs se vendent à la vente de ladite marchandise (ou se perdent si elle ne trouve pas acheteur sur le marché…). Cette remarque prend toute son importance quand la valeur du transport est supérieure à la valeur du bien lui-même comme cela arrive souvent. Le transport en avion spécialement affrété d’une pièce détachée d’une machine immobilisée en panne en est le meilleur exemple.
- Sa localisation. Chacun sait que le prix de marché d’un bien strictement identique dépend de son lieu de vente et des conditions de marché qui y prévalent : vigueur de la concurrence, pénurie d’offre, pouvoir d’achat des consommateurs, etc. Cette remarque vaut pour les transports sur ventes mais aussi sur achats : trouver un fournisseur moins cher, y compris pour nous les consommateurs qui avons directement accès au marché mondial grâce à Internet.
8On comprend, d’après ces premières remarques, que le transport (comme plus généralement la logistique) n’est pas réductible à un frais improductif incontournable, assimilable aux frais généraux de commercialisation des produits. C’est un investissement stratégique productif dans la chaîne logistique1. Les acteurs de ces chaînes l’ont bien compris, qui luttent pour s’approprier la maîtrise de leurs transports amont et aval au détriment des autres acteurs de la même chaîne (Savy, 1981).
Chargeur / transporteur : une relation traditionnelle de sous-traitance de service
9En sondant les liens de sous-traitance qui se nouent entre chargeur et transporteur, on y découvre classiquement des intérêts diamétralement opposés. D’un côté, le transporteur encaisse le prix du transport (qu’il souhaite le plus élevé possible), il transporte une matière première (au sens propre du terme) qui ne lui appartient pas (le fret), qu’il déplace dans l’espace grâce à son usine mobile (son engin de transport). Il gagne également de l’argent car il transporte à plein. De l’autre côté, le chargeur paie le prix du transport (qu’il veut le plus bas possible). Il fait transporter un produit fini (même si c’est une matière première au sens propre du terme). Enfin, la valeur de la marchandise est immobilisée financièrement durant le temps de transport et lui coûte donc de l’argent. Cette opposition (terme à terme) d’intérêts entre deux capitalistes, se résout forcément par un rapport de force. Ce sont les chargeurs qui exercent en tendance ce rapport de domination. La raison fondamentale de cette tendance vient du fait que le transport est un service. Il découle en effet de ce statut un enchaînement cumulatif de positions de faiblesse. Essayons de les articuler.
Le transport est en surcapacité chronique
10Le transport ne se stocke pas, même si les engins de transport eux, se stockent et subissent les coûts fixes et une partie des coûts variables. La règle est connue : dans le transport on stocke les parcs (d’engins), pas l’activité. Cette « tare congénitale » de tous les services pousse les transporteurs à dimensionner leurs parcs d’engins « à la pointe » pour satisfaire ces pointes d’activités anticipées. En dehors de ces pointes, les transporteurs sont sur-capacitaires et sont prêts à déprimer leurs prix pour s’accaparer la pénurie au détriment de leurs concurrents. Cette surcapacité existe pour les creux d’activité des cycles économiques. Elle « se voit » mieux chez les modes lourds comme dans le transport maritime, aérien, ferroviaire où la surcapacité se concentre sur très peu d’opérateurs. Elle est plus diluée, plus répartie, mais plus ravageuse, pour les modes « légers » comme la route où les entreprises sont plus nombreuses mais plus fragiles. Cet immense service gratuit que le secteur des transports offre à la collectivité : toujours assurer les transports quel que soit le niveau d’activité, se retourne contre eux par une tendance à la baisse des prix.
Le transport est mobile dans l’espace
11L’usine se déplace constamment et partout. À destination, le service a disparu. Reste l’engin de transport vide. Comment le faire revenir avec « un fret de retour » pour éviter un retour à perte, dans un marché où l’offre et la demande ont du mal à se rencontrer dans l’espace ? Cet engin de transport est attendu ailleurs pour effectuer un autre trafic, sinon il faudra disposer d’un autre engin, faute de quoi ce trafic aussi sera perdu puisqu’il ne se stocke pas. Ce problème pousse les prix à la baisse, car le transporteur préfèrera revenir « à n’importe quel prix » que revenir vide, surtout si son engin est loin de sa base, et que donc le coût du retour est élevé. Or, on sait qu’à tous les niveaux, locaux, régionaux, mondiaux, les trafics sont structurellement déséquilibrés. Ils vont du simple au double, parfois au triple, par exemple sur les trafics mondiaux de conteneurs entre l’Amérique, l’Asie, l’Europe. Ils vont même du simple au décuple sur certains trafics Nord-Sud, comme entre l’Europe et l’Afrique qui importe des produits finis (en conteneurs) et exporte des matières premières (en vrac). Cela explique évidemment des taux de fret qui vont aussi du simple au double ou au triple selon le sens de ces trafics.
12Plus proche de nous en France, que va transporter un camion en retour de livraison d’une station de ski en hiver, d’une livraison d’une station balnéaire de la Côte d’Azur en été ? Les wagons de la SNCF font la moitié de leurs parcours à vide. Pour la route, ce pourcentage est de 20 %, le taux de remplissage des camions n’est que de 85 % (moins en réalité)… Ce problème se pose donc évidemment de manière plus lancinante encore pour le transport routier, qui va de domicile à domicile. Il faut de plus noter que plus les engins de transport sont spécialisés, plus les retours à vide sont fréquents. Autrement dit, plus les engins sont adaptés aux produits à transporter et satisfont les besoins précis des chargeurs, plus les transporteurs ont des problèmes de fret de retour.
13Les périodes de crise de fret comme celle de 2008-2010 aggravent encore cette sous-traitance, puisque, poussés par la pénurie de fret, les petits transporteurs acceptent des ristournes bien plus importantes que les gros qui, dès lors, préfèrent affréter qu’utiliser leurs moyens propres (Grand, 1997). Ajoutons qu’en Europe, la liberté de cabotage en 1998, et son extension en 2009 aux PECO, a exacerbé la concurrence au niveau européen. Si bien que les gros transporteurs d’Europe occidentale sont allés installer des filiales dans ces PECO pour profiter de coûts moindres. Autrement dit, le transport routier se délocalise ! Les statistiques de la balance commerciale des transports routiers l’illustrent : le déficit des échanges routiers est passé de 1,257 milliards d’€ en 1998 (date de la libéralisation progressive du cabotage) à 4,523 milliards d’€ en 2008, et il continue à se détériorer.
Le transport « sec » est difficilement programmable
14En effet, l’activité de transport dérive de celle des chargeurs. Cette dernière décline, subit des variations, des saisonnalités, des cycles, et les transporteurs subissent. Et ce d’autant plus que la demande de transport de la part des chargeurs est inélastique au prix. Ce n’est en effet pas parce que les taux de fret et autres tarifs de transport baissent que les chargeurs offriront plus de trafics et inversement. En effet, les trafics dépendent de l’activité générale et de la leur en particulier. La preuve est que quand l’activité est haute, les prix de transport le sont aussi et les chargeurs paient ! Mais une autre caractéristique du transport tient à l’inélasticité de l’offre de transport au prix : les transporteurs ont des parcs d’engins qui ont une durée de vie de 5 ans (camions) à 30 ans et plus (avions, bateaux, wagons). Ces parcs sont constamment sur le marché, quelles que soient les variations de prix, et ils cherchent de l’activité, voire de la rentabilité.
Le transport est un service transverse et aléatoire
15L’activité quotidienne d’un transporteur est extraordinairement changeante : le fret transporté, son emballage, l’origine et la destination des trafics, les délais, les distances à parcourir, la taille et le tonnage des lots varient à chaque envoi. S’ajoutent les impondérables qui perturbent l’activité : météo, embouteillages, accidents, grèves, travaux, pannes, etc. Ces particularités de l’activité, qui font la richesse de ce métier, empêchent son industrialisation. Même si les transporteurs ont mis au point des unités de manutention normées (la palette, le conteneur, la caisse mobile, la semi-remorque), le process est encore largement artisanal, notamment pour les ruptures de charge. Quand on prend conscience qu’un transporteur ne gagne de l’argent que lorsqu’il transporte à plein (et qu’il a bien négocié ses prix), qu’il perd de l’argent tout le reste du temps, et qu’il subit tous ces aléas, on conçoit sa fragilité.
Un puissant jeu de contraintes
16Le secteur ne contrôle pas tous ses moyens de production, notamment les infrastructures de circulation (route, rail, couloir aérien, etc.) et de transbordement (gare, port et aéroport). Les propriétaires de ces équipements édictent des règles d’usage de ces infrastructures : code de la route, limitations de vitesse, gabarit des véhicules, interdiction de circuler, etc., qui sont autant de limitations, de contraintes à l’exploitation des transporteurs. Que l’on songe à l’augmentation du chiffre d’affaires annuel d’un routier à qui on autoriserait un camion de 60 tonnes roulant à 130 km/h sur autoroute, au lieu respectivement de 40 tonnes et 90 km/h. Autres exemples : les porte-conteneurs over-Panamax ne peuvent traverser le Canal de Panama, l’Airbus A380 ne peut atterrir partout, etc.
Le caractère banal de l’activité
17On le sait, une activité où l’entrée est facile est le siège d’une forte concurrence interne et de prix bas. C’est le cas particulier du transport routier (85 % du marché des transports terrestres). Les conditions financières et professionnelles pour accéder à la profession ne sont pas très discriminatoires. Près des trois-quarts des 34 000 routiers français n’ont qu’un seul camion, alors que les entreprises de plus de 250 salariés ne comptent qu’une centaine de firmes. Mais un micro-transporteur est en concurrence « parfaite » avec un gros transporteur pour emporter un fret de retour sur une bourse de fret. Il a même toutes les chances de l’emporter car il a une plus grande capacité que son puissant concurrent à comprimer ses coûts et ses prix.
18La clé de compréhension de cette situation est la sous-traitance des trafics (Grand, 1997). Les gros transporteurs (également commissionnaires de transport) sous-traitent les trafics aux petits, qui bien souvent ne travaillent qu’en affrètement, car ils n’ont aucune structure commerciale. Il faut donc bien saisir qu’en transport routier, les rapports de domination chargeurs-transporteurs sont médiatisés par les plus puissants de ces derniers. Ils sous traitent en effet les trafics les moins rémunérateurs, les plus difficiles, aux plus faibles et leur fournissent ainsi une activité sans laquelle ces derniers ne pourraient survivre. C’est en quelque sorte un faux salariat. Une statistique éclairera cette situation particulière : les trois-quarts des routiers ont un chiffre d’affaires cumulé inférieur de 40 % à celui des 105 plus gros du secteur !
19Il est intéressant de constater que c’est le mode de transport routier qui a emporté tous les suffrages des chargeurs (Bernadet, 1997). La raison en est simple : c’est le seul mode de transport qui est en vraie concurrence parfaite, situation qui exacerbe le rapport de domination des chargeurs. Les autres modes de transport terrestre ont été jusqu’à une date récente soit des monopoles de fait ou de droit (le ferroviaire), soit hyper-réglementés (le fluvial). Leur hyper-protection a été la cause principale de leur marginalisation au profit de la route qui leur a pris tous leurs trafics.
Le problème de la captation des progrès de productivité
20La productivité dans les transports se mesure par un ratio kilomètres effectués/ conducteur ou engin de transport. On peut améliorer cette productivité par une augmentation des vitesses, une accélération des temps de ruptures de charges, une diminution des parcours à vide, un meilleur taux de remplissage des engins, un raccourcissement des délais d’affrètement. Cette amélioration diminue les temps morts du transporteur et fait « tourner » plus vite son parc d’engins. Mais elle aboutit, si elle se généralise au secteur, à créer de la surcapacité et donc faire baisser les prix de transport au profit des chargeurs. Un exemple illustre parfaitement ce raisonnement : l’apparition des porte-conteneurs maritimes a multiplié la productivité des cargos par quatre ou cinq. C’est autant de cargos qui ont dû être désarmés. Paradoxalement, la réduction des vitesses des poids lourds à 80 km/h, en réduisant l’offre de transport par réduction de leur productivité, aurait abouti à une augmentation des prix de transport. Il ne faut dès lors pas s’étonner de l’opposition des chargeurs à cette mesure !
Chargeur-transporteur : un service finalement transparent
21Quand une activité économique est à la fois transparente et en concurrence, les marges sont faibles. Cette transparence est double, à la fois une transparence sur les prix de transport et une transparence sur l’exploitation des transporteurs :
- La transparence sur les prix de transport. Non seulement les prix de transport sont transparents, c’est-à-dire que les chargeurs savent bien les calculer, mais ils sont imposés par ces derniers en faisant jouer le rapport de force, surtout dans le cas de fret de retour. Les tarifs routiers sont des tarifs directeurs d’alignement pour les autres modes de transport. Or, ils sont publics. Plusieurs organismes publics et privés les publient sur leurs sites Internet. Dans leurs cahiers des charges sur appel d’offres, beaucoup de chargeurs demandent un détail précis de leurs coûts d’exploitation à leurs futurs transporteurs. Mais la raison principale de cette transparence des prix tient aux pratiques internes à la profession : celles de la sous-traitance. Beaucoup de chargeurs sont en fait des commissionnaires-transporteurs missionnés par les « vrais » chargeurs (industriels, distributeurs, commerçants). Ces commissionnaires-transporteurs, quand ils affrètent leurs confrères, connaissent parfaitement les prix de transport puisqu’ils sont de la profession. Ce sont exclusivement eux qui déposent du fret sur les bourses de fret.
- La transparence sur l’exploitation des transporteurs. Elle a été accentuée par le recours aux NTIC. En effet, la généralisation progressive de l’informatique embarquée dans les camions avec suivi des mobiles par GPS directement par le chargeur permet à ces derniers de gérer leurs flux en temps réels en connaissant leur position exacte dans l’espace depuis leur écran d’ordinateur. Mais cela implique que le chargeur connaît tous les paramètres du transport de son fret, notamment les temps de conduite des chauffeurs et d’utilisation des camions, les distances et itinéraires empruntés. Ces paramètres sont les éléments principaux du calcul des tarifs du transport. Le chargeur peut vérifier que le transporteur lui facture exactement ces temps d’utilisation. On le comprend, le transporteur travaille « atelier ouvert » et à « livre ouvert ».
Conclusion
22On peut se demander si l’action de l’État sur ce marché des transports, autrefois si déterminante (voir l’encadré 1), n’est pas aujourd’hui qu’une simple application nationale des directives européennes avec préservation des intérêts français, la simple extinction des incendies conjoncturels face aux menaces de grèves ou de blocage des infrastructures par la profession. Mais il n’y aurait plus de politique des transports au sens noble du terme, c’est-à-dire autocentrée sur les transports eux-mêmes : rééquilibrage modal, développement durable, multi-modalité, économie d’énergie, concurrence encadrée et loyale, tarification et taxation des coûts réels du transport, planification des infrastructures accompagnatrices, etc.
Encadré 1 : Trois illustrations du rapport de force chargeurs-transporteurs sur les prix de transport arbitré par l’État en faveur des transporteurs
- La loi du 31 décembre 1992 sur la sous-traitance, toujours en vigueur. Elle stipule, dans son article 3 :
« Est puni d’une amende de 90 000 € le fait pour le donneur d’ordres de rémunérer les contrats (d’affrètement) par un prix qui ne permet pas de couvrir à la fois :
- les charges entraînées par les obligations légales et réglementaires, notamment en matière sociale et de sécurité ;
- les charges de carburant, d’entretien, et d’amortissement ou loyers des véhicules ; - les frais de route des conducteurs des véhicules ;
- les frais de péage, de documents de transport et les timbres fiscaux ;
- et, pour les entreprises unipersonnelles, la rémunération de chef d’entreprise. » Il faut, dans ce secteur, une loi pour que les prix de transport reflètent les charges des entreprises de transport.
- La loi n° 2006-10 du 5 janvier 2006. Les alinéas II et III de l’article 23 de cette loi relative à la sécurité et au développement des transports, permettent aux transporteurs routiers de marchandises d’ajuster leur prix de transport en fonction des variations du coût du carburant et du poids de ce poste dans l’entreprise.
- La loi n° 2008-776 du 4 août 2008. Dans son article 38, elle stipule « qu’une sanction pénale avec une amende maximale de 15 000 € est instaurée pour le co-contractant d’un transporteur routier, d’un loueur avec conducteur et d’un commissionnaire de ne pas rémunérer les prestations de transport par un prix permettant de couvrir la variation des charges liées à la variation du coût des carburants entre la date du contrat et la date de réalisation de l’opération de transport ». Il faut, dans ce secteur, une loi pour répercuter sur les prix les augmentations de coûts des carburants qui constituent près de 25 % du coût complet d’un camion… et une autre loi pour la faire appliquer. Les transporteurs entament très peu de procédures en application de ces lois : même s’ils gagnent les procès, ils y perdent leurs chargeurs, notamment leurs commissionnaires. Le rapport de domination perdure.
Bibliographie
Références bibliographiques
ASLOG (2011), Cinquième enquête périodique sur les coûts logistiques en entreprise, Paris.
BERNADET M. (1997), Le transport routier de marchandises, Economica, Paris.
GRAND L. (1997), Les relations de sous-traitance dans le secteur des transports routiers de marchandises, Thèse de doctorat en Sciences Économiques, Université Lumière Lyon 2, novembre.
MARX K. (1867), Das Kapital. Kritik der politischen Ökonomie, Verlag von Otto Meisner, Hamburg.
QUINET É. (1998), Principes d’économie des transports, Economica, Paris.
SAVYM. (1981), Les relations de maîtrise dans le transport de marchandises, Thèse de doctorat d’État en Sciences Économiques, Université d’Aix-Marseille II, juillet.
Notes de bas de page
1 Marx (1867) étudie avec un remarquable modernisme l’impact positif des chemins de fer naissants sur la « logistique » des entreprises anglaises.
Auteur
Maître de conférences HDR émérite en sciences économiques à Aix-Marseille Université, où il a enseigné pendant de très nombreuses années l’économie des transports en licence et en master. Docteur d’État en sciences économiques, ancien directeur de recherche au Centre de recherche sur le transport et la logistique (CRET-LOG), expert mandaté par la Banque mondiale et d’autres organismes nationaux et internationaux, il a été le plus ancien chercheur recruté par Daniel L’Huillier (1973). Sa carrière a été consacrée à étudier les transports de marchandises et les transports urbains, notamment dans le contexte des PVD et, sur un plan théorique, le rôle du transport dans la mobilisation de l’espace. Sur ces questions, il est l’auteur de plusieurs ouvrages, rapports de recherche et articles, publiés notamment dans la revue Transports.
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