Faire les saisons touristiques en montagne
Des catégories institutionnelles au travail sur soi
p. 101-117
Résumés
Dans le cadre de la politique de l’emploi, face aux problématiques inhérentes à la saisonnalité en montagne, l’État, par le biais du service public de l’emploi ou des subventions versées aux communes et associations locales, a misé sur une politique visant à promouvoir et faciliter l’auto-entreprenariat et la mobilité professionnelle et/ou géographique sur ces territoires. À partir du constat de cet « appel public » à la mobilisation de diverses ressources personnelles, il s’agira de décrire le vécu d’individus amenés à façonner leur personne comme une petite entreprise mobile et quasi-autonome afin de s’insérer, par leurs « initiatives créatrices », dans les dynamiques locales d’une économie saisonnière. Transparaîtra, au fil du texte, la question du rapport qu’entretiennent les saisonniers du tourisme aux institutions qui divulguent ces injonctions. Il s’agira de comprendre comment les saisonniers font face à ces injonctions, et comment ils parviennent à « faire carrière » dans le cadre d’un système d’emploi précaire.
Within the framework of the employment policies, facing the inherent problems of seasonal work in mountain, the French State has launched a policy which promotes and facilitates “self-entrepreneurship” and professional and\or geographical mobility on these territories, by the means of the public utility employment office or on the subsidies paid to municipal councils and local associations. From the report of this “public call” for personal resources mobilization, this chapter describes how individuals are lead to shape their person as a small mobile and quasi-autonomous firm to fit into the local dynamics of a seasonal economy, by their “creative initiatives”. Through the text, their relationship with the institutions will be highlighted. The aim is to understand how the seasonal workers face these institutional injunctions, and how they succeed in “making a career” in the frame of a precarious employment system.
Texte intégral
1L’organisation du travail en montagne a depuis longtemps été façonnée par le rythme saisonnier, mais le contenu et les formes d’activités en saison (et plus particulièrement en hiver) ont été bouleversées à partir des années 1960. La densification des fréquentions touristiques ainsi qu’un certain renouvellement de l’attrait pour « la nature », ont requis la présence d’une main d’œuvre locale et extra-locale saisonnière, quand, dans le même temps, la déprise agricole et la dissolution de l’artisanat ont amenuisé les possibilités pour cette main d’œuvre d’accéder à des emplois complémentaires ou alternatifs aux saisons touristiques. Travaillant lorsque d’autres prennent des vacances, les saisonniers du tourisme s’inscrivent dès lors dans un contre-rythme des mobilités et des temps dominants. Ils se trouvent pris dans des problématiques relatives à la perception de revenus cycliques et intermittents1.
2Dans le cadre de la politique de l’emploi, face aux problématiques inhérentes à la saisonnalité, l’État, par le biais du service public de l’emploi ou des subventions versées aux communes et associations locales, a misé sur une politique visant à promouvoir l’auto-entreprenariat et la mobilité professionnelle et/ou géographique. Il s’agira dans ce chapitre d’interroger cette forme de soutien public. Dans les territoires de montagne déjà enclins au travail indépendant (artisanat, agriculture etc.) la loi de 20082 sur l’auto-entreprenariat, rédigée dans le but de « lever les blocages structurels et réglementaires que connaît l’économie de notre pays3 », fut diffusée par les personnels institutionnels qui en firent notamment l’occasion d’organiser différentes sessions d’informations destinées aux travailleurs soumis au rythme des saisons.
3 Une recherche auprès des saisonniers dans deux stations de sports d’hiver du Sud-Est de la France4 m’a conduite à entrer en contact avec des conseillers du Pôle emploi, des travailleurs associatifs locaux, des élus communaux, ainsi que des personnes chargées de l’accueil et du suivi des saisonniers dans la Maison des saisonniers locale. Cela m’a permis d’observer à différentes reprises la façon dont s’est divulguée une certaine valorisation de « l’indépendance professionnelle », qui serait « la clé d’une bonne adaptation au rythme saisonnier » (Wauquiez, 2008, alors Secrétaire d’État à l’emploi5). Il s’agit d’encourager les saisonniers à développer une pluriactivité dans un contexte de recul du service public au sein des territoires de montagne. Cette politique s’appuie ainsi sur une forme d’entreprenariat individuel qui permettrait d’assurer le développement et l’attractivité économique des stations touristiques. Tout se passe comme si face à cette situation d’intermittence de l’emploi liée à la fois à des rythmes sociaux et des rythmes « naturels », l’État, et les institutions dont il assure le soutien, se rabattait sur l’incitation aux « initiatives individuelles ». Ce contexte spécifique en montagne s’inscrit dans celui plus général d’une réduction du périmètre d’intervention de l’État social, d’une délégation d’une partie de ses missions au tissu associatif local sous forme de « commande sociale » (Hély, 2009).
4À partir du constat de cet « appel public » à la mobilisation de diverses ressources personnelles, il s’agira donc de décrire comment les individus sont amenés à façonner leur personne comme une petite entreprise mobile et quasi-autonome afin de s’insérer, par leurs « initiatives créatrices », dans les dynamiques locales d’une économie saisonnière. On comprend, dans ce contexte, que transparaîtra au fil du texte la question du rapport qu’entretiennent les saisonniers aux institutions. Qu’est-ce que cette situation de recomposition des frontières public/privé induit sur le parcours de ces travailleurs ? Même s’il existe une diversité de métiers et de profils de saisonniers, je focaliserai l’essentiel de la réflexion autour du cas des métiers sportifs et de ceux l’hôtellerie restauration, secteurs dans lesquels j’ai mené les différentes enquêtes de terrain. Je commencerai par l’identification de quelques unes des raisons qui poussent à entrer dans la saisonnalité de l’emploi. J’examinerai ensuite la façon dont « la débrouille » (qui relate ici de « bricolages » divers avec l’univers institutionnel, les modes de travailler et de consommer) revêt une importance primordiale dans les parcours de vie et l’inscription durable dans la saisonnalité. Enfin, je me pencherai sur la manière dont certains parviennent à s’établir en tant qu’indépendants et sur les implications de ce changement de statut dans les relations à l’emploi. Ces divers points nous conduirons à repérer des formes de « stabilisation » des travailleurs saisonniers, dans le cadre d’un retrait de l’État social sur ces territoires de montagne.
De la prescription de formes institutionnalisées de « gestion de soi » à la « débrouille »
5Matthieu Hély6 défend l’idée d’une « politique de brouillage des frontières entre secteur public et privé » dans le milieu associatif. Il nous explique comment le secteur public transfère certaines de ses missions au secteur associatif, qui doit alors les mener à bien dans les conditions du privé. En montagne, cette logique est accentuée par une désertification des services publics. L’action des associations envers les saisonniers du tourisme devient ainsi essentielle, sachant que ces travailleurs représentent une main d’œuvre nécessaire au développement économique ; une main d’œuvre diversifiée et socialement fragile qu’il faut orienter et fidéliser. Dans ce contexte, comment les saisonniers parviennent-ils à « faire carrière dans la précarité7 » ? Il s’agit au fond de restituer des formes d’adaptation à un ordre institutionnel, adaptations qui demeurent inscrites dans des dispositifs contraignants et coercitifs. Cela engage pour les sujets de construire et mobiliser ce que Michel Foucault appelle des « techniques de soi » ou « techniques de devenir » (Foucault, 2001 [1994] : 1032). Il faudra alors s’intéresser à la nature du discours véhiculé par ces associations et collectivités territoriales et la réception de ce discours.
Du soutien public à l’initiative individuelle : production d’injonctions paradoxales
6De par divers « relais locaux8 », incités à agir sous la forme désormais dominante du partenariat avec les collectivités publiques, émanent des discours et actions qui ont pour vocation de conseiller et d’orienter les usages de l’emploi saisonnier. De la traque aux fraudeurs (appuyée par une allocation chômage minorée, voir l’encadré n° 1) jusqu’aux soutiens divers à la formation professionnelle, à la recherche d’emploi et de logement, en passant par les actions préventives, ces diverses structures sont conduites à tisser des liens entre elles et créer des réseaux d’action pour produire un « maillage territorial solide ».
7La tenue de forums pour l’emploi saisonnier en automne est un exemple emblématique de ce maillage territorial. Ces rencontres entre saisonniers, employeurs et personnels institutionnels sont le plus souvent organisées dans des salles des fêtes locales (différents centres de formation professionnelle, le Pôle emploi, des associations locales sont également présents). Sur de grands panneaux autour desquels se pressent les candidats à la saison sont affichées des annonces d’employeurs particuliers et celles du Pôle emploi. Les entretiens d’embauche réalisés dans ce contexte sont parfois désignés comme « de grands speed dating de l’emploi » par certains saisonniers qui se prêtent alors au jeu : les employeurs installés à des bureaux rapprochés les uns des autres (parfois moins d’un mètre entre eux) reçoivent les candidats à la saison à venir. Les potentiels saisonniers sélectionnent alors leurs offres et s’agglutinent dans des files d’attente spontanées. C’est un moment où ils disent éprouver une « concurrence oppressante » (Marine9, 22 ans), bien qu’ils reconnaissent également que cet évènement leur « fait vraiment gagner du temps » (Jules, 24 ans) en favorisant des rencontres le même jour et au même endroit avec différents employeurs.
8À partir de ce type de dispositif « partenarial » (public/privé) émanerait un discours plus ou moins univoque. Mais à y regarder de plus près, les différents acteurs en contact direct avec les saisonniers se trouvent être les messagers d’un discours bien souvent paradoxal. Les entretiens ou/et observations réalisés avec des personnes qui se trouvent dans un rapport de face à face avec les travailleurs saisonniers permettent d’en restituer la synthèse. Se rapprochant d’une place que Pierre Bourdieu a qualifié ailleurs de « misère de position10 », les employés qui accueillent les saisonniers dans les diverses institutions locales trouvent toutes les peines à faire face à la complexité des cas particuliers. Aux saisonniers soumis à l’intermittence des revenus, ils doivent conseiller :
- d’être mobiles mais de s’installer (« si elles ne trouvent pas d’emploi à l’année, les personnes doivent aller en trouver ailleurs, c’est comme ça, le système de solidarité n’est pas prévu pour assumer tous les désirs individuels, c’est grosso modo le mot d’ordre du Pôle emploi en ce qui concerne les saisonniers », conseiller Pôle emploi lors d’un forum pour l’emploi saisonnier, 2008 / « Il faut encourager les saisonniers à s’installer sur notre territoire et à pérenniser leur activité, se diversifier, pour qu’ils puissent travailler toute l’année », président d’une association locale, 2009) ;
- d’être polyvalent tout en se spécialisant (« pour faire les saisons il faut qu’ils soient prêts à occuper tous types de postes même ceux qui ne correspondent pas à leur formation, c’est aussi l’un des messages qu’on a à faire passer », conseillère, Maison des saisonniers, 2009. « La solution c’est qu’il faut qu’ils se forment sinon ils ne tiendront pas longtemps à faire des saisons », même conseillère, MDS, 2009) ;
- d’être flexibles tout en sécurisant leurs parcours professionnels (« le problème c’est que pour l’instant, on ne peut pas parvenir à changer les saisons, alors la clé c’est la sécurisation des parcours professionnels, pour ça, faut que les saisonniers se forment, mais aussi qu’ils restent flexibles », maire d’une commune de montagne, 2008).
9Selon les lieux dans lesquels ils pénètrent, qu’ils y recherchent une aide ou qu’ils y soient contraints, les saisonniers se trouvent confrontés à des discours au contenu changeant et bien souvent contradictoire. Face à la diversité des parcours et des profils des saisonniers, l’accueil au cas par cas et l’encouragement perpétuel à « l’auto-responsabilisation », « l’auto-obligation », « l’auto-engagement » (pour ne citer que quelques exemples pléonastiques utilisés par le personnel institutionnel rencontré), et enfin, « l’auto-entreprenariat », vient renforcer un dispositif communicationnel prescriptif fait d’injonctions paradoxales11. Dans ce cadre, quels rapports subjectifs à l’emploi développent les travailleurs soumis au rythme des saisons touristiques ? Comment est réceptionné et refaçonné l’appel public à l’initiative individuelle ?
Débuts de carrière12 : intermittence de l’emploi, apparition des liens de dépendance
10Dès leurs premières saisons, les travailleurs touchent du doigt les contraintes liées à leur forme d’emploi et à leur mobilité : problèmes pour trouver un logement et y rester, démarches pour la perception de l’assurance chômage, rendez-vous au Pôle emploi, déménagements, recherche de travail pour la saison future, etc. L’intersaison représente un temps d’apprentissage des normes institutionnelles. Comme me le précisait Ronan :
Aux intersaisons tu passes ton temps à faire des papiers, à passer des coups de fil, à aller à des rendez-vous obligatoires, faire des courriers, refaire ton CV, etc. Les gens en CDI ont du mal à l’imaginer, mais je te jure, c’est vraiment dingue le temps que tu passes à faire tout ça (Ronan, 27 ans, guide de sports d’eau-vive).
11Malgré la diversité des profils, les entretiens biographiques laissent apparaître différents points autours desquels les parcours ont tendance à converger. En dehors des caractéristiques accessibles dans les travaux statistiques sur les saisonniers13 (population jeune, essentiellement masculine, relativement peu qualifiée etc.), je me propose de distinguer trois groupes, constitués sur la base des raisons qu’ils donnent eux-mêmes, de leur entrée dans la saisonnalité et donc leurs motivations/ contraintes :
- insertion impulsée par une rupture biographique (personnes peu qualifiées et qui ne bénéficient pas ou peu d’un soutien familial) ;
- insertion liée à une passion pour une activité (principalement les métiers du sport) ;
- insertion liée à l’attrait pour le territoire de montagne (saisonniers locaux et mobiles).
12À ces motivations ou contraintes présentées par les enquêtés enjoints à retracer leur parcours, doivent êtres articulées les ressources qui permettent de s’insérer et de rester dans la saisonnalité de l’emploi. Il s’agit de préciser que, dès le départ, pour chacun des groupes cités, deux ressources s’avèrent essentielles : les ressources relationnelles (« amicales »/familiales-patrimoniales) et les ressources professionnelles. Celles-ci, selon la capacité du sujet à les mobiliser, influent sur la durée de la carrière. Autrement dit, elles rendent plus ou moins « confortable » ce mode de travailler et elles révèlent les « talents » individuels pour les utiliser. L’entrée dans les saisons se fait nécessairement par ces liens de dépendance. Ces différentes ressources sont décisives dans les choix ou contraintes qui conduisent les individus à s’installer ou à ne faire que passer pour finalement sortir du mode de vie saisonnier. En effet, en début de carrière, et souvent bien plus longuement encore, les saisonniers ne parviennent que difficilement à tenir ce mode de travailler sans une aide régulière de leur famille. Cette aide n’est pas uniquement d’ordre financier : la famille peut représenter une adresse stable nécessaire pour les saisonniers mobiles, un lieu de « gardiennage » où ils peuvent ponctuellement se loger sans avoir à remplir les conditions administratives relatives à l’obtention d’un logement en location, principalement aux intersaisons. Ce lien de dépendance, communément toléré au départ, principalement en raison de l’âge des enquêtés, s’avère problématique sur le temps long. Insertion « douce », dans un environnement local connu, goût pour le sport ou envie de changement, « faire les saisons » comme on le dit communément en station, n’est alors pas perçu comme un mode de travailler viable sur le long terme. Le rythme et les conditions d’exercice paraissent plutôt incompatibles avec l’idée de « carrière », tant pour les « nouveaux » saisonniers que pour leur entourage, ou encore pour le personnel institutionnel avec qui ils nouent leurs premiers contacts. Pourtant, de nombreux individus parviennent à s’inscrire dans cette forme d’emploi durant de nombreuses années, voire toute leur vie de travailleur. En réduisant dorénavant l’essentiel de mon propos à « ceux qui restent », il s’agit alors d’explorer les tactiques et stratégies qui permettent de s’adapter aux injonctions véhiculées par les institutions et dont je montrerai qu’elles se rapportent à « un travail de production de soi » (Gorz, 2001).
« La débrouille » comme compromis
13Lorsque mes interlocuteurs me racontent leurs premières années à « faire les saisons », ils invoquent de manière quasi-systématique la qualité essentielle qu’il faut posséder pour tenir cette forme d’emploi, à savoir ce qu’ils nomment « la débrouille ».
Les premières années tu tâtonnes, tu passes parfois par des mauvais moments, mais tout ça, ça te forme, les années d’après tu ne retombes pas dans les mêmes pièges, en fait ce qu’il faut c’est juste apprendre à se débrouiller, c’est ça, c’est comme ça que je le résumerai, il faut te débrouiller, il faut faire tes armes dans la débrouille. (Christophe, 29 ans, guide de sports d’eau-vive).
14Lorsque je questionne ces saisonniers sur ce qu’ils entendent par « débrouille », ces derniers me parlent de leur corps (« il faut pas être trop attaché au confort »), de leur personnalité (« il faut se forger un caractère »), de gestion de l’imprévisible (« faut être capable de repérer sur le coup toutes les occasions de mieux s’en sortir »), de relation à l’entourage (« tu rends des services aux uns et aux autres, et ils te rendent service aussi, on se débrouille quoi »), de manières spécifiques de consommer (« pas de grosse voiture ou d’écran plat, le pratique et l’utile en premier, c’est aussi ça la débrouille et du coup le mot d’ordre c’est la récupération »), de visions particulières de la mobilité et du travail (« être débrouillard ? Et bien au début, c’est surtout ne pas avoir peur de se mettre les mains dans la merde, accepter n’importe quel boulot, à partir du moment où tu gagnes de l’argent et tu fais une expérience », « faut être débrouillard, être prêts à bouger peut importe où et quand, pour finir par trouver une bonne place où tu fais de grosses saisons »).
15Il s’agit donc d’un rapport à soi (« il faut être ») et à l’environnement (territoire et réseaux relationnels) envisagés comme autant de manières opportunistes de vivre sa vie, l’objectif étant d’améliorer sa situation. Ces manières d’être et de faire s’accompagnent de discours qui mobilisent la rhétorique de la liberté (valorisation du mode de vie « sans attache »), de l’autonomie (« il ne faut compter que sur soi »), mais aussi un certain fatalisme (« c’est comme ça, il faut faire avec »). Ces discours et attitudes sont des corollaires à des visions critiques des institutions. La posture que les sujets se façonnent n’est pas pour autant revendicative ou subversive, mais elle est avant tout décrite comme un sens « pratique » et « autonomisant ». Ronan m’en fit part lors d’un entretien :
C’est pas que je veux dire merde au système, c’est que de toute façon quand tu fais les saisons t’es obligé de constamment te débrouiller par toi-même, de constamment te réadapter aux situations. Avec les années tu t’aperçois bien que c’est pas avec le Pôle emploi que tu vas trouver les meilleures places, c’est pas grâce au chômage que tu tiens aux intersaisons. Tout ça c’est plus de contraintes qu’autre chose. Alors c’est bien que ça existe tout ça mais moi je le fais [démarches institutionnelles] de moins en moins parce que là où j’en suis, ça me sert à rien.
16Il y a certainement dans cet extrait d’entretien une tonalité utopique. Mais il reste que ce type de discours a été maintes fois rencontré et qu’il n’en demeure pas moins significatif. Plutôt que de désigner un « décrochage » des institutions, il s’agit d’une part, d’une mise à distance critique par rapport à celles-ci, ce qui ne devient possible que grâce à la maîtrise préalable d’un ensemble de connaissances relatives à l’ordre institutionnel. D’autre part, alors qu’ils réalisent ces démarchent, les saisonniers disent être perçus, et parfois se perçoivent, comme « des assistés ». Tout se passe comme si, dans ces moments, chacun faisait l’expérience de son incapacité à s’assumer. Le rapport aux institutions suggère par là une certaine culpabilité. Ce sentiment rend plus difficile la volonté de l’exprimer. Les dires de Christophe me permettent d’insister sur ce point :
Tu travailles, tu te sens intégré à ce système, et à la fois tu bénéficies de cet argent qui va habituellement aux gens qui ne sont pas ou plus intégrés. Ça te met mal à l’aise, ça te rappelles que t’es toujours sur la tangente. Des fois je me dis que le foyer pour SDF dans lequel j’ai travaillé quelques mois, je pourrai y être accueilli un jour. Mais bon je ne peux m’en prendre qu’à moi-même.
17L’usage du travail au noir est également un indicateur de l’efficacité du système de débrouille. Que ce soit pour « joindre les deux bouts » (Gérald, 28 ans), ou pour tenter d’épargner, le travail au noir intervient pour pallier le déficit de prise en charge de l’État, surtout lorsqu’il est pratiqué aux intersaisons. En saison, le travail non déclaré est réputé être particulièrement intense, les jours de congés disparaissent et les payes, bien souvent, ne sont pas à la hauteur de l’énergie déployée par ceux qui en font l’expérience14. Malgré cela, le travail au noir n’est pas considéré comme dévalorisant en début de carrière. En effet, la dureté des conditions de travail dans le cadre d’un emploi non déclaré est synonyme d’expérience capable de faire « grandir l’être ». Cette pratique produirait une capacité à endurer et un goût de la dépense de soi qui lui donne valeur d’initiation. Rajoutons à cela que cette « qualité initiatique » peut être décriée par la famille et les amis lorsque la carrière est déjà bien avancée, mais elle est le plus souvent renforcée et donc reconnue par l’entourage dans les premières années. Tout se passe comme si l’intermittence des périodes de travail rémunérées se trouvait davantage « légitimée » par les « coups durs » du travail au noir. Les « carrières ascendantes » ont toutefois la particularité de diminuer la durée de l’usage du travail au noir, du moins celui qui allie pénibilité et rémunération insuffisante. L’objectif est plutôt de construire une alternance avec l’emploi déclaré et d’utiliser le travail au noir pour se constituer un fond de roulement (c’est par exemple le cas, lorsqu’il est exercé dans le cadre d’une période de chômage).
18Il s’agit donc bien pour les saisonniers de se façonner une place, de tenir ou améliorer leur situation. Pour cela ils doivent trouver les meilleurs postes qui assureront des saisons longues, des salaires corrects, un bon rapport à l’employeur et l’installation sur un territoire dans lequel il est possible de bien s’entourer. Une fois cette étape franchie, il s’agit « d’évoluer ». Pour ceux qui y parviennent, les premières années à faire les saisons doivent regrouper autant de victoires remportées sur la précarité (contrats plus sûrs, gagne-pains rôdés, logements fixes15 et couple stabilisé). La multiplicité des conduites regroupées sous le vocable de « débrouille » représente ainsi un compromis face aux injonctions divulguées par les institutions. « Les années de galère, où il faut que tu trouves les moyens de t’en sortir, ça te transforme », ajoutait Christophe. Chacun témoigne ainsi de la nécessité de « changer » pour réaliser son intégration dans ce mode de travailler : ces épreuves modèlent les pratiques des individus et façonnent des manières d’être pour faire face à la précarité de l’emploi. Vécues sur un mode personnel et dans un collectif informel (le groupe de pairs), ces conduites de débrouilles pallient également le désinvestissement de l’action publique, elles viennent combler les interstices laissés vacants par l’État.
De saisonniers à pluriactifs ?
19Il est significatif de constater que la « pluriactivité », dans le monde institutionnel, semble aller de pair avec l’idée d’autonomisation. Le terme de pluriactif, apparaît bien souvent au cours des réunions d’élus ou/et de personnels institutionnel, comme une manière de redorer le blason des saisonniers. Serait pluriactif l’individu qui « mène de front plusieurs activités professionnelles », qui « cumule différents statuts », qui « désire créer son entreprise16 ». Seraient saisonniers ceux qui « salariés, exercent des activités qui reviennent tous les ans à la même période17 ». Dans les faits, les contours ne sont pas si clairement tracés. En montagne, la soumission au rythme des saisons concerne tout autant le créateur d’entreprise que le salarié, c’est ce qui vaut au vocable de « pluriactif » d’être bien souvent usité avec ironie par les enquêtés (« pluriactif c’est bien joli, en attendant, on continue à faire les saisons, ils devraient plutôt nous appeler “plurisaisonniers” oui ! » Jean-Marc, 38 ans, directeur d’une base de sports d’eau vive l’été, salarié des remontés mécaniques l’hiver). Insister sur ce point me permet de révéler l’existence de deux dimensions dans l’utilisation du terme de « pluriactif » : l’une peut être récupérée à des fins politiques ou managériales18 (« le » pluriactif serait entrepreneur dynamique), l’autre exprime un cumul de différents statuts (indépendant, employeur, salarié). Sans céder au caractère « prestigieux » qui, du côté des employeurs et personnels institutionnels, enrobe le glissement sémantique, j’aimerais maintenant faire quelques remarques à propos de ceux qui songent ou parviennent à devenir leur propre patron. Selon les secteurs d’activités (hôtellerie-restauration, « métiers sportifs » etc.), l’accès au statut d’auto-entrepreneur apparaît plus ou moins pertinent pour les protagonistes, mais le point commun est un passage obligatoire par la formation professionnelle. Outre les cas de transmission filiale d’un patrimoine, devenir soi-même sa propre entreprise nécessite de posséder des qualifications spécifiques, que l’individu pourra vendre sur le marché du travail. Une fois affirmé l’impératif du passage par la formation professionnelle, les observations et entretiens font émerger d’autres causes qui participent de l’autonomisation des sujets. C’est ce dont je vais traiter maintenant en me penchant sur la question de la relation à l’employeur.
De la relation à l’employeur au rapport à l’emploi
20Tout au long de l’enquête, s’est imposée la prégnance de discours valorisant la liberté et l’indépendance face à l’employeur. Tout se passe comme si l’intermittence des salaires et parfois celle des métiers était capable d’éviter la routine et autorisait un retour sur soi, par une distanciation salvatrice de la sphère productrice. Au fil des saisons, ces mêmes valorisations de l’emploi saisonnier trouvent leurs corollaires : vide et solitude ressentis en fin de saison ou aux intersaisons, sensation de ne pas avancer, impossibilité de se projeter dans l’avenir. C’est alors un tout autre discours qui émerge avec le suivi prolongé des saisonniers. Dans un mode de travail où le recours à l’emploi non déclaré est banalisé, les liens qui unissent les saisonniers à leurs employeurs s’avèrent très importants. En CDD, et de surcroît dans les entreprises où il n’existe pas de clause de reconduction du contrat de travail19, l’employeur est seul décideur de la reprise de ses employés d’une année sur l’autre. Pour améliorer sa situation, il s’agit alors pour le saisonnier d’être « bien vu » par son patron, de nouer des liens de confiance qui assurent la sauvegarde de sa place l’année suivante. Lorsqu’elles prennent naissance dans des entreprises de petite taille (de deux à dix salariés), les relations semblent se polariser soit autour de rapports fortement conflictuels (qui donnent lieu à des « séparations »), soit autour de liens amicaux parfois transfigurés en un rapport « familial ». Comme me le disait Kevin (28 ans) sous l’angle de la métaphore, chaque début et fin de saisons sont respectivement vécus comme « des petites naissances et des petites morts ». Employés et patrons travaillent ensemble à la mise en place du matériel, à la réouverture de l’entreprise, puis, au rangement, au nettoyage et à la fermeture des lieux de travail en fin de saison. Ce sont des moments privilégiés pour observer « les pulsions centrifuges ou centripètes20 » qui animent les saisonniers, en lien à l’entreprise dans laquelle ils travaillent, en lien à leur « patron ». La construction d’un lien de fidélité employeur-employé passe par la reconnaissance de fiabilité des deux parties. « Être fiable », pour le salarié saisonnier suppose l’exercice d’un ensemble de pratiques : bien connaître le travail, accepter de « dépanner » lorsqu’un autre employé est malade, rester plus tard sans rechigner, toujours se montrer agréable, éviter les conflits avec les autres employés et revenir d’une saison sur l’autre. Grâce à cet ensemble de conduites, coûteuses en temps et en énergie, les saisonniers retirent davantage de souplesse de leur employeur (ils pourront obtenir une avance sur salaire, ou une « petite rallonge » en fin de mois, ou encore l’employeur leur octroiera les jours de congés qui les « arrangent », par exemple). Malgré les apparences de symétrie des interdépendances, cette situation d’embauche n’est pas dégagée des relations de domination propres aux statuts d’employeurs et de salariés, au contraire. Après une saison qu’elle qualifie de « catastrophique » en raison de conflits répétés avec sa patronne, Sylvie, 32 ans, responsable du service de restauration dans un village vacances, décide de quitter cet emploi et de rechercher une formation.
Je m’en vais mais le problème c’est que je recommence à zéro, je suis bien obligée. Six ans à bosser avec la même personne en saison et au bout du compte tu n’es rien, tu t’en vas comme les autres, comme celui qui vient d’arriver. Mais tu sais, le plus dur, c’est quand tu connais bien les gens et que tu croyais qu’il y avait un rapport plus fort que celui du travail, de l’amitié quoi. Et bien, c’est encore plus dur à avaler. Je me suis trop donnée… Peut être qu’on se connaissait trop, à l’avenir j’éviterai de mélanger. L’amitié et le travail ne font pas bon ménage.
21Les rapports de dépendance à l’employeur sont donc à la hauteur des situations de précarité objective (type et durée du contrat de travail, chômage minoré etc.) dans lesquelles se trouvent les travailleurs saisonniers. Cette dépendance est confortée par un fort investissement affectif (fidélité, confiance, amitié etc.) dans le jeu des interactions avec l’employeur, cet investissement étant inhérent au façonnement d’une place dans l’entreprise saisonnière, à l’embauche la saison suivante. Ce manque d’autonomie vis-à-vis de l’employeur vient se surajouter à la dépendance persistante à l’entourage familial et amical que j’ai évoqué plus haut. Dans ce contexte, les sujets aspirent à trouver des moyens qui leur permettront de réduire cette dépendance. Sylvie, qui se disait « dégoûtée » de cette expérience, tentait de puiser dans cet échec la motivation qui lui permettrait de monter son affaire, pour « ne plus jamais avoir de patron ». Mais les démissions ne sont pas forcément irrévocables. Comme le précise Emmanuèle Reynaud à propos des cadres autonomes qu’elle a rencontrés, « le processus est long, fait d’essais et d’erreurs, et sujet à de fréquents réajustements à l’intérieur d’un même projet professionnel » (Reynaud, 2007 : 300). Il reste que ce type d’emploi favorise l’idéal et parfois la concrétisation de devenir son propre patron. Nous retrouvons là l’injonction à l’indépendance promulguée par l’État, à travers les collectivités et le tissu associatif locaux. Mais nous nous apercevons également que l’indépendance est désirée à causes d’échecs dans des entreprises, de mauvaises expériences avec des employeurs. Entre retrait du service public et défections dans le privé, le statut d’entrepreneur individuel semble alors offrir d’autres possibilités.
« Soumission enchantée » : devenir un entrepreneur individuel
22Les réseaux amicaux et professionnels sur lesquels s’appuient largement les saisonniers pour la recherche d’un emploi véhiculent, au fil des saisons, les récits qui relatent des trajectoires qu’empruntent d’autres saisonniers pour réussir, ou dépérir. En ce sens, la fidélisation à un territoire et à des employeurs, facilite l’estimation des trajectoires envisageables : lorsque les récits retracent les chemins suivis par des individus connus et localisés dans la station touristique ou ses alentours, « l’exemple » s’avère d’autant plus convaincant. De cette façon, les protagonistes inventent et stabilisent des tactiques et stratégies « qui marchent » pour faire carrière dans la saisonnalité. Ainsi se dessine une hiérarchie des parcours qui plane autour des aspirations des saisonniers de carrière, et s’activent par ce créneau, des « techniques du devenir » (Foucault, 2001 [1994]). Une multitude de situations s’inscrivent entre deux pôles dont l’un est dévalorisant, l’autre synonyme d’ascension sociale. D’un côté la figure du salarié non qualifié (ou déqualifié) qui ne parvient pas à s’extirper de sa condition, de l’autre les indépendants qui montent leur affaire et s’enrichissent. Officiellement, ces changements de posture sont donc matérialisés par de nouvelles formes contractuelles et l’occupation de nouveaux statuts.
23Le changement de statut représente un temps décisif dans le cycle de l’existence. Les sujets tentent par là de construire une stabilisation qui passe par l’autonomisation. La construction d’une alternative au salariat est justifiée par des problématiques en lien à l’autorité de l’employeur, l’expérience et l’usage des talents individuels, ainsi que par la dimension pécuniaire de l’activité. Elle s’inscrit enfin dans une idéologie du risque qui va parfois jusqu’à faire écho à une sorte de « romantisme de l’aventurier ». Les nouveaux indépendants témoignent alors d’une naturalisation de leur statut, afin de légitimer leur nouvelle place. À la question de savoir comment ils avaient décidé de devenir indépendants les réponses sont unanimes : « j’étais fait pour ça », « c’est une suite logique », « depuis toujours j’ai du mal avec l’autorité », « je préfère me gérer par moi-même », « je suis maître de mon travail, et de mon destin ».
24Mais aux discours de l’indépendance salvatrice viennent répondre les conditions réelles de travail. Une fois la qualification professionnelle acquise, le premier souci concerne alors le matériel nécessaire à l’exercice de l’activité professionnelle. J’ai évoqué auparavant que les tactiques de débrouille, dès les premières saisons, incluent notamment certains rapports aux objets et plus largement à la consommation. Ceux qui « passent indépendants », comme ils ont coutume de le dire, ont en réalité déjà accumulé une partie du matériel de première nécessité pour leur permettre de s’établir. Autrement dit, ils s’y sont préparés21. Mais les salaires perçus auparavant permettent bien rarement de rassembler la totalité du matériel nécessaire à la création d’une entreprise. S’impose à nouveau l’importance des objets mais cette fois sous l’angle des moyens de production du service qui sera rendu à des particuliers ou des employeurs, en tant qu’indépendant. Des minibus, un local, des dizaines de combinaisons, de casques de protection, de gilets de sauvetage, etc., pour le moniteur d’eau vive qui veut travailler comme indépendant : les nouveaux statutaires sélectionnent alors de manière drastique le matériel supplémentaire. Dans la difficulté ou l’impossibilité de contracter des crédits, les indépendants rencontrés disent être contraints d’opter pour des associations informelles avec des collègues, des demandes d’aide auprès de la famille, une alternance de statut (salarié/indépendant) pour se garantir un revenu « sûr » au moins une partie de l’année ; ou encore ils optent pour la vente de leurs services auprès de plusieurs employeurs ou particuliers, qui, eux, possèdent le matériel requis. Dans ce cas là, il s’agit donc moins de « création d’une activité » que d’une mise en retrait relative par rapport au salariat, qui passe par le renforcement de dynamiques assumées individuellement. À l’initiative de leurs déclarations d’heures auprès de divers organismes (voir encadré 1), beaucoup d’indépendants m’avouent alors qu’ils travaillent à nouveau de manière intensive en saison, afin de gagner le plus d’argent possible sur un temps relativement court, mais qu’il n’est pas rare qu’ils sous estiment le report de leurs heures. Il se produit par là un rabais des protections sociales associées à l’exercice de l’activité de travail rémunéré.
25Comme nous l’avons vu, le choix de s’établir se fait dans la plupart des cas après une expérience de quelques années en tant que salarié saisonnier. La décision du passage à l’indépendance trouve ses sources dans un rapport préalable et spécifique à l’activité (maîtrise, professionnalisation) et à l’employeur (« je suis capable de prendre sa place, de faire comme lui »). Il a fallu être fiable pour l’employeur, pour être fiable à soi même. J’ai également insisté sur le fait que cette période en tant que salarié permet la constitution de réseaux d’embauche personnalisés, qui ont tendance à être vécus sous une forme quasi amicale. Une fois devenus indépendants, ce réseau prend une importance plus grande encore notamment dans les rencontres hors travail : au café, au pub, ou dans les activités sportives, bref à l’extérieur du foyer. Il ne s’agit plus seulement de trouver un emploi pour la saison et d’être apprécié de son unique employeur, mais de trouver à travailler avec une multitude d’employeurs afin de se garantir un bon salaire et de maîtriser les risques potentiels d’une activité de travail insuffisante pour couvrir « ses frais ». Pour renforcer le lien (amical/professionnel), les employeurs et collègues pénétreront dans l’univers familial. « On » se donnera « un coup de main » pour arranger une pièce de la maison nouvellement acquise, « on » se revendra du matériel d’occasion pour démarrer, « on » se donnera « les bons filons » pour continuer ou s’établir en tant qu’indépendant. La relation tend ainsi à prendre une forme « enchantée22 ». La dépendance aux réseaux relationnels et familiaux que l’on trouve en début de carrière ne disparaît pas avec l’acquisition du nouveau statut, bien au contraire. Par exemple, la famille sera à nouveau mobilisée pour garder les enfants en été et en hiver aux moments de forte activité (vacances scolaires). De surcroit, le sujet devient, dans chaque secteur de sa vie, le porteur d’une potentielle « bonne réputation ». Celle-ci s’appuie sur les capacités à mener à bien les tâches confiées au travail, mais également sur « la personne » qu’il est en dehors de son travail. C’est ce qui valu à l’un de mes interlocuteur de déclarer que ce qu’il « trouve le plus fatiguant dans les saisons c’est d’être en mode de séduction permanente » (Renaud, 27 ans guide raft en tant qu’indépendant l’été, pisteur l’hiver).
26Il va de soi que cette analyse n’a pas pour objet d’affirmer que « l’intimité » de ces individus disparaîtrait avec la nature de leurs conditions d’embauche et selon les tournants qu’ils opèrent dans leur carrière de saisonnier, mais plutôt de souligner qu’avec l’éloignement progressif de la condition de salarié, les pluriactifs développent et s’appuient sur des compétences « professionnelles » qui dépassent les cadres du travail. C’est en partie grâce à ces qualités personnelles de « gestion de soi23 » qu’ils se garantissent de décrocher du travail. Devenus « indépendants », les sujets veulent et doivent assumer les démarches auparavant prises en charge par les institutions. Ils ont moins affaire aux services publics et se rabattent non seulement sur le secteur privé (l’entreprise) mais aussi sur leur sphère privé (domestique, personnelle). L’individu devient « responsable » et « autonome » pour la collectivité, tout en restant pris dans des liens de dépendance à son groupe restreint (familial/ amical). Ainsi, la sphère privé et celle du travail interagissent dans le mouvement de la carrière des saisonniers/pluriactifs en s’imposant comme autant de relations de solidarité qui demeurent néanmoins des entraves à la possibilité de se considérer comme une personne autonome, comme un « adulte », en somme. « Tu sais, les saisonniers sont de grands enfants », déclarait Corinne, une jeune femme saisonnière qui trouvait toutes les peines à obtenir un CDI. Adultes parfois considérés par leur famille comme « des adolescents jusqu’à l’âge de 30 ans » (Renaud, 34 ans), réputés insouciants, voire, parfois irresponsables, les saisonniers sont placés devant des contradictions. Cette situation contribue à entretenir des représentations de soi précisément à l’opposé de l’autonomie. Cette condition sociale peut être génératrice de honte et de culpabilité et elle s’avère peu avouable. De ce fait, elle est bien souvent déniée dans les premiers contacts avec les enquêtés, lorsque ceux-ci défendent l’idée de s’inscrire dans un mode de travail où ils sont plus « libres ».
Conclusion
27Au fil du texte, nous avons exploré quelques uns des effets de cette politique de l’emploi qui recompose les frontières entre public et privé et se répercute sur les trajectoires des saisonniers, mais aussi sur leur représentation de formes idéales d’emploi (être indépendant). De ce fait, on a analysé le rôle et la place du discours institutionnel local sur les usages de l’emploi saisonnier. En effet, même si tous ne parviennent pas à devenir indépendants et que ce statut reste aujourd’hui minoritaire dans l’emploi saisonnier, il n’en reste pas moins chaque fois évoqué et convoité par les salariés. Ce statut d’indépendant se présente donc comme une forme juridique qui cristallise les aspirations des saisonniers en même temps qu’elle révèle les contradictions d’une politique de l’emploi et d’un modèle de solidarité. On a vu comment la façon dont les individus s’insèrent dans le monde du travail saisonnier les inscrit, dès le départ, dans des liens de dépendance qu’ils trouvent toutes les peines à amoindrir tout au long de leur carrière. On a également perçu que ces liens demeurent, dans le même temps, des moteurs les conduisant vers un idéal d’indépendance. Avec la concrétisation des situations d’indépendance d’emploi, en devenant créateur de leur entreprise (une entreprise individuelle, une entreprise de soi), le « secteur privé » tend à se confondre avec « la sphère privé » des individus.
28« C’est aussi un modèle anthropologique – une conception de l’humain – qui est engagé », précise Thomas Périlleux à propos d’une employabilité qui envahit et contamine toutes les sphères de la vie des individus. Il poursuit :
Si le thème de l’employabilité a acquis une telle force (une emprise) dans les politiques d’activation du marché du travail et leurs justifications publiques, c’est qu’il fait écho aux attentes multiples mais profondes d’autoréalisation de soi dans une activité qui n’est plus simplement sacrifiée aux impératifs de la production capitaliste.
29Ce mode de travailler favorise ainsi des rapports subjectifs à l’emploi marqués par une oscillation permanente entre d’une part, le désir de devenir son propre patron (qui mènerait à la jouissance d’une vie indépendante) ; d’autre part, les contraintes d’une existence marquée par la perpétuelle « débrouille » autour de laquelle plane la menace d’un possible recommencement « à zéro ». Lorsque les individus ne peuvent que difficilement envisager d’être mobiles et flexibles en raison de leur situation dans la sphère familiale (couples mixtes24, ou femmes/hommes seul(e)s avec des enfants scolarisés par exemple), de leur âge, et de leur qualification, la possibilité de devenir indépendant s’amenuise. Ces personnes se trouvent alors prises dans des situations de forte dépendance vis-à-vis de leur employeur et des institutions.
30Indépendants et salariés saisonniers en montagne nous interrogent sur le modèle de solidarité mis en œuvre par l’État. Il semble que nous ayons affaire ici à une sorte de « solidarité inversée » :
La notion classique de solidarité, selon laquelle la collectivité est responsable envers les individus, s’en voit restreinte, voire même pour partie inversée en une notion nouvelle en apparence, que l’on pourrait appeler un solidarisme responsabiliste : il incombe à chaque individu de peser le moins possible sur l’ensemble des autres individus ; et il incombe, en retour, à la collectivité de donner à chaque individu les moyens lui permettant de réduire au maximum la charge qu’il représente pour les autres. (Arnsperger, 2003 : 1)
31Pour les saisonniers de montagne, ce type de dispositif étatique apparaît comme un retour vers une condition sociale « traditionnelle » : on pense à la figure de l’artisan « maître de son métier », à celle de l’agriculteur dont l’économie domestique et celle du travail sont intimement mêlées. Ces « modèles types » sont maintes fois mentionnés par les enquêtés. L’activation de cette référence, dans le discours des protagonistes, est peut-être l’une des raisons de l’efficacité de cette politique de l’emploi à s’imposer dans les aspirations de ces travailleurs. Il reste que le cas des saisonniers de montagne nous questionne, en creux, sur « un « État entrepreneur », caractérisé par des objectifs et des instruments qui en font un paradigme transformateur du secteur public » (Arnsperger, 2003 : 14).
Encadré 1. Salariés saisonniers et entrepreneurs individuels, contours notionnels
La pertinence des définitions juridiques provient de leur caractère coercitif et du fait qu’elles « contribuent à “modéliser” les situations individuelles, en les transformant en un type professionnel idéal dont les comportements réels ne doivent pas trop s’éloigner » (Gresle, 1981 : 487). « Les salariés saisonniers »
Les termes juridiques encadrant le recours aux contrats de travail saisonniers soulignent que : « Le travail saisonnier se caractérise par l’exécution de tâches normalement appelées à se répéter chaque année, à des dates à peu près fixes, en fonction du rythme des saisons (récolte, cueillette, …) ou des modes de vie collectifs (tourisme…). […] Cette variation d’activité doit être indépendante de la volonté de l’employeur » (Cass. crim., n° 90-83459 du 25 février 1992). La loi ne fixe pas de limite au cumul des contrats à durée déterminée saisonniers et n’impose donc pas de requalification des contrats en CDI. D’autre part, il est en réalité incorrect de parler d’un « statut de saisonnier », cette forme d’emploi appartenant à la famille des CDD, elle ne constitue pas un « statut » distinct. De ce fait, la loi ne prévoit pas (comme c’est en revanche le cas pour l’intérim) de versement de prime de précarité en fin de contrat ; il n’existe pas non plus de « caractérisation de l’emploi en tant que temporaire par nature » (Menger, 2005 : 63) qui définirait un régime d’emploi-chômage spécifique, comme c’est en revanche le cas pour les intermittents du spectacle. Au contraire, depuis 2006 le cumul de deux contrats saisonniers donne suite à une allocation chômage minorée, bien que les cotisations sociales soient les mêmes pour les saisonniers que pour les autres CDD. Cette disposition est appliquée de manière inégale sur le territoire, de sorte que les inscrits sur des territoires où l’économie n’est pas saisonnière, ont davantage de chances d’échapper à l’application du coefficient réducteur (établi en fonction du nombre de jours de travail au cours des douze derniers mois) sur le calcul de leur indemnisation. C’est en tout cas le contexte dans lequel a été réalisée l’enquête, mais il me faut préciser que cette mesure a pris fin au 1er juin 2011.
Encadré 1 (suite). Salariés saisonniers et entrepreneurs individuels, contours notionnels
« Les indépendants »
Le statut d’entrepreneur individuel regroupe une diversité de professions (professions libérales, commerçants, artisans, exploitants agricole etc.) qui ont pour point commun l’exercice d’une activité de travail dite « indépendante », c’est-à-dire que l’indépendant est entrepreneur, propriétaire de ses moyens de production et son propre employé. En 2008, le statut d’entrepreneur individuel a été réformé dans le cadre de la modernisation de l’économie. Subsiste la possibilité pour l’entrepreneur individuel de faire appel à une aide familiale, ainsi qu’à un salarié ou un « collaborateur ». L’indépendant peut également être autorisé à transformer des locaux d’habitations à des fins commerciales, sans avoir recours à une autorisation administrative qui était auparavant le lot des indépendants. Les auto-entrepreneurs doivent obligatoirement s’affilier à une caisse d’assurance maladie et de retraite spécifiques, même s’ils cumulent leur statut avec un emploi salarié. Les cotisations versées à cet effet sont fonction des revenus perçus en tant qu’indépendant. Le projet de loi dont a émergé ce statut, mettait en œuvre un certain nombre de dispositions (régime simplifié et libératoire de prélèvement fiscal et social) visant à « lever les obstacles supposés se dresser dans l’exercice de cette “liberté d’entreprendre” » (Levratto & Serverin, 2009 : 327). Mais les simplifications administratives rencontrent des limitations concernant le développement de l’activité : les frais et investissements ne sont pas déductibles des recettes lors des déclarations et le chiffre d’affaire ne peut pas dépasser un montant maximum (le montant est différent pour les activités de vente ou celles de prestation de service). Ces contraintes limitent donc la possibilité d’embauche d’un salarié. De plus, en cas de faillite ou de dette, l’entrepreneur individuel n’engage pas seulement les biens acquis pour l’exercice de sa profession, mais également ses biens personnels. Cette dernière mesure vient une nouvelle fois affirmer la prégnance des liens entre l’économie domestique et celle de son entreprise pour l’indépendant (voir Gresle, 1981).
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Références bibliographiques
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Notes de bas de page
1 Dans les stations de montagne la saison touristique dure quatre à cinq mois l’hiver, et deux à trois mois l’été.
2 Loi n° 2008-776 du 4 août 2008.
3 Exposé des motifs du projet de loi n° 842, déposé le 28 avril 2008 à l’Assemblée nationale.
4 La restitution des extraits d’entretiens ainsi que les descriptions et analyses présentées ici s’appuient sur un travail d’enquête de terrain (2007-2011) dans le cadre d’une thèse de doctorat d’anthropologie. L’enquête a été menée dans différents établissements saisonniers (hôtellerie-restauration, remontées mécaniques), sous le mode de l’observation participante, ainsi qu’au sein d’une association locale. Cette immersion dans le quotidien du travail en saison et dans le monde des acteurs institutionnels a été accompagnée du suivi d’une vingtaine de saisonniers, y compris durant les intersaisons, durant ces quatre années d’enquête.
5 Propos tenus lors des « rencontres nationales des saisonniers, des pluriactifs et de leurs partenaires », au Puy en Velay en 2008, à l’initiative de l’Association pour le développement économique et social de la Haute Durance (ADECOHD).
6 Voir notamment : Matthieu Hély, 2008, « L’économie sociale et solidaire n’existe pas », La vie des idées [en ligne], http://www.laviedesidees.fr/L-economie-sociale-et-solidaire-n.html
7 Rémy Caveng, 2011, « Faire carrière dans la précarité : soumission, compétences relationnelles, capital professionnel et sens du placement chez les vacataires des entreprises de sondage », ¿ Interrogations ? [en ligne], n° 12, http://www.revue-interrogations.org
8 En territoire littoral ou de montagne, l’ensemble des structures, d’information et d’accueil sont concernées par ce qui convient d’appeler en leur sein « la problématique de l’emploi saisonnier » : pays, communes, communautés d’agglomération, associations locales, missions jeunes, maison des saisonniers, etc.
9 Les prénoms utilisés dans ce chapitre sont des pseudonymes.
10 Pierre Bourdieu, 1993, « l’espace des points de vue », dans Pierre Bourdieu (dir.), La misère du monde, Paris, Seuil, p. 16.
11 La paternité de cette notion revient à Gregory Bateson. L’auteur a développé le concept de « double bind » dans une recherche désormais célèbre sur la schizophrénie (Bateson, 1980). La notion est employée ici afin de souligner le caractère problématique de la coprésence de discours paradoxaux, émanant d’institutions ou de structures qui véhiculent des normes légitimes. De son côté, Noëlle Burgi qualifie les normes véhiculées par ces institutions comme « anomiques » et « négatrices du vivant » (Burgi, 2007).
12 La notion de « carrière » sera utilisée ici dans le sens que lui a donné Everett Hughes, il s’agira donc de considérer que « même là où il n’existe aucun cheminement bureaucratique défini, on trouve de nombreuses régularités » (Hughes, 1996 : 176).
13 Ces enquêtes découlent unanimement de la demande sociale. Chacune insiste sur la difficulté d’obtenir des données fiables pour l’interprétation statistique, notamment en raison de la forte mobilité des travailleurs (sur ce point voir : Lemarchand, 2007). Une liste exhaustive de ces enquêtes est disponible sur le site suivant : www.alatras.fr
14 Les saisonniers rencontrés me font part d’écarts importants pour le secteur de l’hôtellerie restauration : 1200 à 2000 euros par mois pour 10 à 12 heures de travail par jour, parfois sans aucun congé.
15 Passage d’un habitat mobile à un habitat en dur, par exemple.
16 Centre de ressources sur la saisonnalité et la pluriactivité. http://www.pluriactivite.org/
17 Ibid.
18 Plusieurs employeurs rencontrés en milieu institutionnel défendent l’utilisation du terme « collaborateurs pluriactifs » afin d’euphémiser la relation de subordination qui caractérise les rapports employeur/ employé. Ce vocable produit ainsi l’illusion d’une relation d’égal à égal.
19 Hormis dans les remontées mécaniques et dans le tourisme social.
20 Je fais ici référence à l’ouvrage d’Olivier Schwartz (2002). L’auteur convoque ces « pulsions » pour formaliser son analyse des couples ouvriers (hommes/femmes). Il s’agit ici de tenter de faire un parallèle à l’analyse de l’auteur, en s’intéressant au couple employeur-salarié dans le cadre de l’emploi saisonnier. Sans reprendre à la lettre les constations de O. Schwartz, ces notions me permettent de souligner la difficulté, mais aussi la nécessité, de trouver « la bonne distance », dans les rapports employeurs-employés en saison.
21 Ce qui permet de préciser au passage qu’en parallèle des discours de « débrouille » qui mettent en relief « la spontanéité », des systèmes « au coup par coup » et des existences « au jour le jour », on peut tout de même repérer des marqueurs d’un rapport au temps long.
22 R. Caveng utilise cette notion pour qualifier les rapports qu’entretiennent les vacataires en institut de sondage à leurs cadres. Il désigne par là des logiques relationnelles qui, « poussées à leur comble, parviennent à travestir les rapports de domination au point que ces vacataires peuvent en arriver à considérer que les cadres et eux-mêmes font partie d’un même groupe de copains, voire d’une même famille » (Caveng, 2011 : 68). Les rapports des indépendants à leurs employeurs se rapprochent de cette analyse.
23 J’emploie ici à dessein un terme issu de l’univers comptable, largement utilisé dans le management actuel. Cette terminologie alimente des conceptions de l’individu comme disposant d’un « capital humain », qu’il doit développer au vu des exigences du marché du travail. De cette manière, le sujet doit se rendre « désirable », autrement dit, « employable ». À ce propos voir notamment : Thomas Périlleux, 2005, « Se rendre désirable. L’employabilité dans l’État social actif et l’idéologie managériale », Document de travail, n° 147, Chaire Hoover d’éthique et d’économie sociale.
24 L’un des deux en CDI (qui assure une certaine sécurité au sein du foyer), l’autre en CDD saisonnier.
Auteur
Doctorante à l’université d’Aix-Marseille. Elle travaille sur les saisonniers du tourisme en PACA (France). Elle élabore une réflexion sur le traitement social fait aux saisonniers. À partir d’une immersion, elle questionne leur place au sein des milieux de travail, leur rapport aux métiers et aux territoires, ainsi que les effets du rythme de cette forme d’emploi sur le vécu des saisonniers. liza_baghioni@hotmail.com
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