Du Joli Buisson de Jeunesse au Buisson ardent : le lai de Notre-Dame dans le Dit de Froissard
p. 395-413
Texte intégral
1De Jehan Froissart, qui attendrait une prière ? C’est la terre qu’il habite, une terre qu’on ne saurait appeler ici-bas tant il en surgit de hauts faits et de merveilles. Que l’auteur observe des spectacles fascinants, qu’il les reconstitue par le souvenir ou qu’il en invente, il est possédé par la plénitude de leur présence. Jusque dans le romanesque de Méliador, il donne l’illusion de la vie immédiate, mais d’une vie plus vraie que la vie. Son art change l’immanence en une sorte de transcendance. C’est sa vocation :
Ce que je sçai, dont je me mele :
C’est que de faire biaus dittiers,
Qu’on list et qu’on ot volentiers,
Especiaument toutes gens
Qui ont les coers discrés et gens,
Ce n’est mie pour les villains1..
2Nature veut qu’il crée de la beauté pour le bien d’une élite, et Dieu est le garant de son talent :
Se Diex vosist, il t’euïst fet
Un laboureur grant et parfet...
Et il t’a donné la science
De quoi tu poes par conscience
Loer Dieu et servir le monde2.
3Pour lui, la meilleure façon de louer Dieu semble bien de servir le beau monde courtois. L’écriture, en tant qu’esthétique, est une façon d’obéir à l’ordre divin, c’est une prière, l’aristocratie, comme sujet et comme public, étant une hypostase du ciel des élus. La boécienne Philosophie qui morigène le poète pendant un passage à vide l’entend bien ainsi. Elle démontre, par l’exemple, quelle grande chose est "loenge". Les seigneurs ne luttent que pour l’acquérir et ils ont raison. Sans elle seraient ignorés Tristan, Artur et leurs pairs. Même la religion a besoin de "registreurs" :
Et n’est elle faite et ouvrée
4Par docteurs et euvangelistes ?3 Ils sont les médiateurs de la foi. Comme la Sainte Ecriture, toute écriture à sa façon est fondatrice, toute écriture de beauté est sainte. Ceux qui la commanditent et l’inspirent, les rois et les princes, entre autres les "mécènes" de Froissart, sont des "dieux terriens". Ainsi se trouvent légitimées les peintures d’amours, tournois, fêtes et guerres, terrestres, discutables et provisoires "paradis". Depuis les rues de
5Valenciennes où, "dessous douze ans", l’enfant jouait avec un emportement allègre4 jusqu’à cette danse "faite en semblance de hommes sauvages où le roi fut en péril"5 Froissart voit et donne à voir des scènes si intenses qu’elles tiennent de l’instantané et de la vision. Les valeurs qui donnent sens aux plus splendides et aux plus cruelles n’ont rien de chrétien :
(Car) toute joie et toute honnours
Viennent et d’armes et d’amours."6
6Mais être joyeux, amoureux et "chevalereux" peut être étape vers le salut et image des vraies richesses spirituelles. Dieu, la Vierge et les Saints, plus souvent cités au détour des vers qu’en prose, apparaissent au mieux comme des cautions de la parole, au pis comme des redondances, digérées par le langage. Tel est ici Saint Vallier :
"...Les dames et les chevaliers ?
Foi que je doi a Saint Valier"7.
7L’héritage de la matière antique, Phébus, Vénus ou Diane, les transfuges du Roman de la Rose, Amour, Désir et Jeunesse, ont un rôle beaucoup plus actif. S’il s’agit réellement de prière, c’est en passant et à propos de morts illustres qui ont protégé l’auteur, telle Philippa de, Hainaut, reine d’Angleterre :
"Propisce li soit Diex a l’ame !
J’en sui bien tenu de prier
Et ses largeces escrier
Car elle me fist et créa..."8
8Faire et créer, attributs divins : les puissants sont bien, sur la terre, les substituts de Dieu.
9Pourtant l’œuvre de Froissart englobe une authentique prière, d’assez longue haleine, 244 vers. Unique dans le corpus, elle est présente deux fois dans chacun des manuscrits des poèmes de Froissart, B.N. fr. 830 et 831, à des places exceptionnelles : la fin du Joli Buisson de Jeunesse et la fin du recueil des lais. On sait que de nombreuses pièces lyriques s’insèrent dans les récits. J’ai tenté ailleurs d’étudier le succès et les limites de cette intégration9 Mais, quelle que soit leur fonction dans l’architecture narrative, l’auteur considère aussi les pièces en elles-mêmes, puisqu’il les reprend dans une sorte d’inventaire ou de catalogue des genres. C’est pourquoi nous sommes autorisés à situer ce Lai de Notre-Dame dans une double optique : en tant qu’œuvre autonome, et comme conclusion d’un "dittier", d’une aventure.
10Même si, c’est probable – le lai a été composé en fonction du récit, il paraît naturel de l’examiner d’abord en lui-même, comme dernier essai d’un poète dans une catégorie formelle particulièrement prisée et difficile à mener à bien. Il aurait aussi sa place dans un autre type de recueil, qui à ma connaissance n’a pas été rassemblé, celui du lyrisme religieux en France au xive siècle. L’époque sur ce point n’est pas un siècle d’or. Dominique Aury, auteur d’une Anthologie de la poésie religieuse française, publiée en 194310 et rééditée sans changement, va plus loin. Pour elle, "entre la première aube de notre langue moderne, au xiiie siècle, et à la fin du xve siècle, entre Rutebeuf et Villon, si la poésie savante, chevaleresque et courtoise s’ordonne... La poésie religieuse se tait.10. Cet apparent silence résulte de l’ignorance du grand public, mais il faut reconnaître qu’entre les Neuf Joies Notre-Dame et la Ballade pour prier Notre-Dame, les réussites sont assez rares. La Lai de Froissart, lui aussi mariai, en fait-il partie ?
11C’est bien un chef-d’œuvre, mais au sens artisanal. Le genre y prête. Un lai techniquement bien fait est "un grand fait", fruit de lents efforts. Les règles qui l’informent l’exigent. Je les rappelle : Les onze premières strophes, chacune obligatoirement sur deux rimes, doivent être différentes de longueur, de structure, de rimes, tandis que la douzième reproduit le schéma de la première. En outre Froissart s’impose la méthode des quartiers parallèles : chaque strophe, dont le nombre de vers doit être un multiple de quatre, répète quatre fois son dessin initial. Il y faut une perpétuelle invention et un perpétuel contrôle, comme dans ces jeux où les participants peuvent modifier la tactique, mais en fonction de données qui canalisent leur liberté. Chez Froissart les combinaisons sont variées ; le nombre de vers va de douze pour la strophe 2 à vingt-huit pour 5 et pour 7, 24 pour la sixième, ce qui en chiffres bruts donne l’impression d’une montée en cloche vers un sommet central. En fait, les séquences qui comptent le plus de vers utilisent en général les mètres les plus courts, si bien que la septième ne compte que quatre-vingt douze syllabes pour vingt-huit vers, tandis que la première en a cent douze pour vingt vers et la neuvième quatre-vingt-seize pour seulement seize vers. Dans l’ensemble, l’auteur a préféré l’impair, en moyenne deux fois sur trois, pour des mesures de trois, cinq et sept syllabes, tandis que les vers pairs ont quatre ou huit syllabes. Les ricochets dus aux vers brefs sont d’autant plus sensibles qu’aucune coïncidence n’existe entre alternance des mètres et alternance des rimes. Par exemple, dans la strophe 5,
12La rime dominante i (A), danse sur les vers courts ; tandis que la dominée ière correspond à des vers pairs et plus longs B : A4 A3 A4 A3 A4 A3 B8 (quatre fois), mais en général les rapports sont plus complexes. A la limite, on pourrait croire que l’auteur fabrique d’abord un canevas formel et musical, avec des notes aiguës (rimes en it, i, ie, ine). des moyennes en é, des sons pleins et graves en a, ant, our, des apophonies entre dominantes et dominées aint, et ainne, ans et ance. Ces choix sont intéressants pour la phonétique historique (ant, ent et ans ne riment pas ensemble, igne rime avec ine) et pour les canons du vers. Mais à la lecture on constate que la forme du contenant ne s’impose pas à la forme du contenu. La succession des thèmes a sa logique, qui persisterait dans une mise à plat : graphisme continu, traduction en français moderne. Les composantes en sont connues. La pièce s’ouvre par une invocation superlative :
"Elour d’onnour très souveraine
En qui virginité maint
Et parmaint..."
13Flour, Flos, couramment appliqué à Marie, unit en dénotation, le sens de forme parfait modèle (équivalent médiéval ; miroir) et en connotation les images empruntées au monde végétal, lis, rose, arbre, parfum, qu’explicite superbement Rutebeuf :
(Tu es) "Larriz de fleurs, celle d’épices,
Baume, canelle, encens et menthe,
Notre paradis de délices"
14Le pléonasme est systématique ; souveraine implique le très qui lui est antéposé, parmaint contient maint. Les échos de sonorités s’y joignent, comme dans le premier vers où s’entendent trois fois le phonème ou et quatre fois r. Les mêmes procédés de mise en relief marquent le rappel des vertus de Marie médiatrice et les diaboliques tortures de la tentation :
"Par l’ennemi, qui nous chaint
Et destraint
Et constraint..."
15En dehors des rimes, le son ain investit la strophe à cause du mot saint (les sains chieus... Sainte ou saint) Avec la louange prêtée aux élus en faveur de Marie-Vierge, une prière de louange, les vingt vers forment un tout. La strophe suivante s’y raccroche par une double liaison coordonnante et conséquente :
"Et pour ce te doi
De coer et de foi
Honnourer, loer et servir..."
16On y retrouve trois thèmes et trois termes déjà évoqués : l’honneur (il faut honorer le Fleur d’Honneur), la louange, avec cette fois le verbe à la première personne, l’intervention de l’orant, et la virginité que ne détruit pas la maternité. Le précurseur Jean-Baptiste, le doigt levé, annonce l’Incarnation.
17La troisième strophe remonte du Nouveau Testament à l’Ancien, jusqu’à la faute de nos premiers parents. En l’occurrence ils sont communément accusés, Eve n’est pas prise à parti et le retournement Eva-Ave n’est pas utilisé. L’accent est mis sur l’Immaculée Conception. La quatrième strophe s’attache aux prophètes qui communiquent à l’humanité les vérités divines. Les cinq qui sont nommés ont-ils tous annoncé Marie et le Messie ? Les contemporains de Froissart en étaient sûrs. Cela se comprend pour Isaïe qui dit en substance :11
18"Adonaï vous donnera lui-même un signe : voici que la jeune femme va être enceinte et va enfanter un fils ; nous lui donnerons le nom d’Emmanuel" (Dieu avec nous). Le cas du second, Jérémie, est moins simple. Dans la phrase :
"Voici que viennent les jours
où je susciterai de David un germe juste ;
Un roi règnera et il règnera avec prudence...
19Le germe de David a été interprété comme le Messie. Et le serviteur de Iahvé, le juste humilié, agneau voué à la boucherie, est identifié au Christ dans un passage de Matthieu et dans les Actes de Apôtres. Suit David, qui n’est pas exactement un prophète, au sens moderne du mot, mais qui, comme "oint du seigneur" et ancêtre de Joseph, est utilisé dans le progrès de l’idée messianique.
20Le quatrième, Elie, thaumaturge inspiré, n’a pas prédit la venue d’un sauveur. Mais sa merveilleuse ascension sur un char de feu traîné par des chevaux de feu l’a fait considérer comme un précurseur ; et Jean-Baptiste est le nouvel Elie pour Luc (I, 17) et Matthieu :
"Mais je vous dis qu’Elie est déjà
venu et, loin de le reconnaître, ils
lui ont fait tout ce qu’ils ont
voulu. De même ils vont aussi faire
souffrir le fils de l’homme".
(Mat. XVII, 11-12).
21Jean-Baptiste, désigné par une paraphrase, termine la liste. Il est la voix criant dans le désert :
"Il déclara. Moi ? Une voix qui clame
dans le désert : Redressez le chemin du
Seigneur, comme dit le prophète Isaïe".
22Ainsi les prophètes se répondent dans le temps que sécrète le Livre. Puis, comme aux strophes 2 et 3, mais avec plus d’ampleur, on revient à l’Immaculée Conception :
"Parole en char convertie".
23Un enjambement fait glisser à la strophe 5 qui raconte toute l’histoire du Christ jusqu’à la résurrection sur un rythme alerte et avec l’acuïté des i qui terminent vingt-quatre vers sur vingt-huit. Marie en est absente. Les strophes six à neuf, toujours au vocatif, supposent un autre auditeur, la Loi Juive, c’est à dire le peuple qui suit cette loi. Il n’est pas attaqué comme déicide, mais pris comme victime en partie responsable d’un entêtement aveugle. Un exposé doctrinal tente de le convaincre de son erreur, d’abord par le témoignage des Saintes Femmes, parmi lesquelles "La Cleophee", femme de Cléophas, qui, chez les Evangélistes, n’est présente qu’à la Crucifixion. On pourrait s’étonner d’entendre Froissart demander aux Juifs de croire en un seul Dieu, comme s’ils n’étaient pas monothéistes. Mais, dans les Chansons de geste, la même admonestation s’adresse aux Sarrazins : dans l’imaginaire romanesque, tout infidèle est-il polythéiste ? La fin de la strophe développe à nouveau le thème de la Vierge féconde et de la Salutation angélique.12
24La septième strophe, au futur, oppose, au Jugement dernier, la "grant douchour" des bons et la "grant doulour" des damnés. Sur les quatre-vingt douze syllabes de ces vers brefs, on compte 27 a, 6 an (â), 33 r dont douze dans les rimes en pur, et seulement 6 i. Ces sonorités ouvertes imitent les trompettes de la Vallée de Josaphat. La huitième strophe, plus voilée, revient au présent, moment privilégié où le Juif, où l’homme, peuvent encore décider de leur salut ou de leur perte. C’est un des aspects de l’abondante littérature polémique Contra Iudeos, souvent reprise dans les drames13. Maris semble oubliée. La strophe suivante nous ramène par deux fois à elle, après le résumé d’un Credo : enfer, paradis, âme immortelle, Trinité. Entre les deux mentions, une image de l’Ancien Testament est interprétée comme métaphore de l’Incarnation, selon le type de superposition habituel dans l’exégèse chrétienne :
"C’est cils (Dieu) qui a Moysi jadis
Parla ens ou buisson sans flame :
S’estoit il vis
Qu’il fust espris.
La Virgne ensi, pense y, Juis,
Conchut le Fil de Dieu sans blame".
25Comme le souligne A. Fourrier14, cette identification apparaît, entre autres, dans le troisième antienne des Vêpres de la Circoncision reprise pour la Purification. Le feu qui ne détruit pas est comme la conception qui laisse intacte la Virginité.
26Non moins courant est ce rappel d’une prophétie d’Isaïe qui suit une série de superlatifs :
"... La très loee
Honnouree
Est nommée
Et figurée
A la rachine Jessé,
Car en lui vint la rousee
Des chieux née,
Inspirée,
En char fourmee,
Quant li angles dist : Ave."
27Selon Isaïe "Un rameau sortira de la tige de Jessé, un rejeton montera de ses racines et l’esprit de Dieu se reposera sur lui". L’interprétaion médiévale fait de Jessé, ou Isaï (sans lien avec Isaïe), père de David et souche des rois de Juda, l’ancêtre de Jésus, roi à la fois terrestre et céleste. L’iconographie précise l’allégorie. Un arbre sort du ventre ou de la poitrine de Jessé. Dans ses branches latérales s’inscrivent les figures des rois, parfois celles des prophètes. Au centre se tient Marie, tantôt avec l’Enfant dans ses bras, tantôt dominée par son fils. L’oiseau du Saint-Esprit peut se poser sur son auréole, réalisant l’Incarnation. Il arrive, comme dans notre texte, que les deux éléments opposés, le feu du buisson, la pluie ou la rosée féconde, se dessinent à droite et à gauche, dans l’équilibre des métaphores où s’effacent les contradictions. Selon Emile Mâle, Suger aurait lancé le thème en le faisant représenter sur un vitrail de Saint-Denis, aussitôt copié à Chartres et dans de très nombreuses églises. La mode en serait née d’un drame liturgique en latin, le Drame des prophètes du Christ, joué à Noël et copié aux environs de 1100 dans un manuscrit de Saint Martial. Le texte est aujourd’hui à la Bibliothèque Nationale (manuscrit BN latin 1139). Quoi qu’il en soit des origines, les variantes de l’arbre de Jessé enluminent les manuscrits, décorent les vitraux, sont sculptés aux porches des églises et même sur les façades des maisons ; et la littérature, en latin comme dans les langues vernaculaires, a rêvé sur l’image de l’homme, Jessé, argile devenue racine et concourant avec Dieu pour faire l’homme-Dieu15. Abandonnant Jessé et le symbolisme végétal, la strophe XI revient au buisson resplendissant, assimilé à la Vierge, tandis que son fils est :
"... li feus plaisans,
Non ardans,
Mais enluminans
Tous coers qui en Lui ont fiance..."
28ce qui nous conduit au miracle de la Pentecôte et à la lumière interne qui permit aux Apôtres de vaincre la malédiction de Babel en comprenant toutes les langues. Cet éclat et cette transparence pourraient nous éloigner de Marie. Mais la XIIe strophe, fidèle à l’élan de la première comme à son moule, reprend l’invocation à la Vierge et à son pouvoir qu’assure la croix du fils. Si un strict parallélisme était respecté, la pièce se terminerait ainsi :
"Or te pri, Virgne purainne,
Que, se pechiés nous constraint
Et nous taint,
Que nos claint
Aient vois en ton demainne.".
29Mais un vers surnuméraire, une sorte de coda, définit le royaume comme :
"La ou toute joie maint".
30Maint est la seule rime utilisée deux fois dans la pièce pour affirmer la permanence et de la virginité et de la joie. L’ajout clôt la prière sur cette perfection stable, cette limite atteinte.
31Malgré le mouvement ascensionnel des strophes finales, l’ensemble n’est pas d’une parfaite unité. Les motifs s’y entrelacent moins bien que les sons. Une partie du sermon au Juif tient de la farcissure. L’auteur a réuni et monté, parfois entassé, des thèmes qui ne se fondent pas dans une harmonieuse chaîne. Il ne peut soutenir la comparaison avec les belles litanies de Rutebeuf, dont un huitain carré suffit à rappeler la réussite :
"Tu es Rachel la desiree,
Tu es la droite Saraï,
Tu es la toison arrosée,
Tu es le buisson Sinaï,
Du Saint Esprit fus enceintee,
En toi vint il, et ombraï,
Tant que tu fus chambre clamée
Au roi de gloire Adonaï".
32S’il n’a pas choisi une technique aussi sophistiquée, Rutebeuf a su, mieux que Froissart, jongler pour Notre-Dame.
33Cependant le lai, ultime essai lyrique de Froissart, acquiert une autre portée quand on le situe par rapport au diptyque romanesque et, en principe, autobiographique formé par l’Epinette amoureuse et le Joli Buisson de Jeunesse. Ces deux titres contiennent l’un l’idée, l’autre le terme même de buisson, repris ou figuré dans les strophes 9, 10, et 11 du Lai qui, par récurrence, incite à suivre avec plus d’attention les épisodes où un rôle est joué par un buisson ou par ses équivalents approchés, arbres et vergers. Nous sauterons donc, sans nous attarder, d’un ombrage à un autre, au cours d’un double récit qui se déploie, aux dires de l’auteur, sur plus de dix ans.
34Dormant sous l’aubépine de mai - premier buisson - le narrateur de l’Epinette est invité par Mercure à recommencer le choix de Paris, dont il confirme la préférence pour Vénus. Après la rencontre d’une femme "plus belle qu’Hélène", après une déconvenue, il cueille pour sa dame une rose éclatante sur le "vert rosier" d’un jardin fleuri - second buisson -où il revient matin et soir. Les déceptions alternent avec l’espérance et le jeune homme, découragé, malade, émigré Outre-Mer. A son retour, il obtient quelques faveurs dans le cadre d’une pièce où il n’y avait "roses ne violiers" mais qu’il baptise :
"Le Vregier de (sa) droite Dame",
35comme si tout lieu que visite l’amour était nécessairement feuillu et fleuri ; c’est, par métaphore, un troisième buisson. Le quatrième est plus tangible. La belle a donné rendez-vous au poète :
"En un gardin que moult on prise" (3432).
36"Asseulée" près d’un rosier, puis à l’ombre "verte et sombre" d’un noyer, elle enfile des violettes sur des épines de groseillier. Son ami baise les fleurs et s’y pique les lèvres ; elle en rit. En eux et autour d’eux foisonne la vie dans l’allègresse printannière :
"..En grant joie et en grant revel.
Il nous estoit tout de nouvel,
Li tamps, les foelles, les flourettes,
Et otant bien les amourettes.(3592-95 )".
37Le cinquième buisson est une encore une aubépine de mai :
"Qui florie estoit toute blance,
Haute tien le long d’une lance.
Dessous faisoit joli et vert..." (3660-62)
38On déjeune, on échange des paroles courtoises. Hélas, Male Bouche intervient, la jeune fille craintive s’éloigne et le héros se trouve dans la situation que résume le titre :
"Ains languis en vie ewireuse
Dedens l’Espinette amoureuse"(4197-98).
39Le dittier se clôt sur cette incertitude et ce suspens. Oniriques, métaphoriques ou authentiques, six buissons ont marqué les étapes d’une éducation sentimentale.
40Le titre et le début du Joli Buisson de Jeunesse16 annoncent une reprise nostalgique du motif. Elle n’est pas immédiate. Vieilli - dix ans ont passé -mélancolique et silencieux, le poète voudrait se reposer,’ mais Philosophie l’oblige à évoquer les grands qui l’ont encouragé. Il s’exécute et, en nommant ses protecteurs, il envisage la possibilité de "faire un autre livre". Pourtant il hésite, cite David, et veut se consacrer à son salut :
"J’ai eu moult de vainne glore,
S’est bien heure de che tamps clore
Et de criier a Dieu merchi,
Qui m’a amené jusqu’à chi (387-390). "
41Philosophie lui démontre subtilement l’importance de l’écriture. Le poète énumère ses oeuvres, non sans orgueil, et il redécouvre, ébloui, un portrait de sa Dame enfermé dans un coffret. Ragaillardi, il compose un virelai et revit ses brûlantes amours :
"Or ai-je le feu descouvert
Et le petit pertruis ouvert
Par ou les estincelles sallent
Qui me renflament et rassallent
Et ratisent cel ardant fu..." (620-624).
42Après une incursion dans le Musée des Antiques (Achille aussi a souffert pour Polixena), le narrateur revient à la beauté de sa Dame, non sans invoquer, plus souvent qu’il n’en a coutume, la garantie divine :
"... Che souvenir Dieu le me saut,
Car moult il me rajovenist.
Pleuïst Dieu qu’il me convenist
Rentrer encor en tel estour..."(767-770).
43Mais la Fontaine de Jouvence n’est qu’un leurre. Quand on a déjà trente-cinq ans, mieux vaut remercier Dieu à "jointes mains" d’être encore en vie ! En une prière assez courte - 32 vers - et presque d’un seul souffle, le poète résume la vie terrestre de Jésus :
"Sa nativité, son enfance,
Sa sainte june et sa souffrance,
Sa digne résurrection
Et s’admirable ascension..."(798-801).
44Après tout, il a dépassé l’âge du Christ. Il s’attarde surtout sur le Jugement dernier, qu’il imagine avec son sens connu du pittoresque :
"La n’i ara nullui couvert
De kamoukas ne de velus :
Sains Jehans, sains Mars et sains Lus
Et sains Matthieu droit la seront
Qui leurs buisines sonneront
Dont ressusciteront li mort..."(805-810).
45Les Evangélistes remplacent les Anges : ils ont apporté la Bonne Parole, ils annoncent la fin des temps. Froissart manifeste un effroi sincère :
"Je tremble tous quant bien g’i pense" (817)
46et un espoir fervent de goûter la joie sans fin promise aux descendants d’Abraham. Pourtant il décide de revenir à la terre :
"Je voel atant ce porpos clore" (827)
47Il s’adresse à nouveau à ceux qui écoutent volontiers parler des "pointures" et des délicieuses "pointures" de l’amour humain. On sent que, dans cette ouverture du récit, deux "postulations" sont en lutte, dont l’une va vers le ciel et l’autre vers l’homme et ses plaisirs. La réalité vécue est loin de l’une et de l’autre. La nuit, glaciale, est précisément datée :
48"Le trentisme nuit de Novemebre, L’an mil CCCXIII et sissante. La nature est muette et morte. Pourtant Vénus surgit et décrit, au futur, l’éden où elle veut emmener le dormeur parmi les parfums et la rosée :
"Et si verons les arbrissiaus,
Les fontenis et les ruissiaus,
Et si orons les oiselés
Chanter dessus ces raisselés..." (984-87)
49C’est la première allusion au thème du Buisson. Mais le dormeur ne se laisse pas séduire sans résistance. Il demande un délai pour sacrifier à un pieux usage ;
"(Et)... dire une orison petite
Du nom de sainte Margherite.
Hui l’ai commenchiet plusieurs fois.
Mes, ensi m’aÿt Sainte Fois,
Je ne l’ai peut a chief retraire." (1008-12).
50Marguerite est le nom de la Dame, donné en énigme dans l’Espinette. La Sainte doit-elle purifier le souvenir de la "fée" ? Vénus ne s’oppose pas à ce voeu mais elle affirme que Dieu peut bien attendre :
"Toutdis s’aquite on bien a Dieu" (1117)
51Le cœur en liesse, et inspiré, le dormeur suit la déesse qui le guide "par le doigt". Pourtant il invoque au passage Saint François et le Roi Céleste : il reste partagé. Mais il sera à sa place dans le Buisson de Jeunesse car il n’y a nul recoin qu’il n’en ait ait exploré :
"Il n’i a cambre ne refui
Ou dou tamps passé esté n’aie.
Espinette, pertruis ne haie" (1211-13).
52On se croit déjà au but. Aucun peintre ne saurait reproduire les jardins et les parcs traversés, où les fleurs apparaissent de toutes parts :
"Cent mille par cent mille forges"(1266)
53Mais, malgré les oisillons, les roses, les églantiers et les eaux vives, il faut encore cheminer jusqu’à une lande :
"Ne sçai se c’estoit en Irlande.
En Angleterre ou en Norgalles" (1343-45)
54De toute façon, c’est en Bretagne, lieu du merveilleux nécessaire, lieu aussi où Froissart a été bien accueilli. Il se trouve soudain en plein buisson sans avoir pu en estimer le volume et les dimensions ; sa forme échappe d’abord aux estimations :
"... Mes, com plus le regarde,
Mains m’i congnois, se Diex me garde.
Bien me sembloit, c’est fin de somme,
Tous ossi reons qu’une pomme,
A manière d’un pavillon. (1374-78)."
55Est-ce bien un buisson ? On n’y voit ni tige ni tronc, bien qu’il soit plus haut de "cent paumes" que tous les arbres du Vermandois ou de Bapaume, c’est à dire au delà des mesures humaines. Comment l’explorer quand on se trouve toujours au milieu ? Serait-ce la fameuse circonférence dont le centre est partout, la limite nulle part ? Froissart, qui n’a pas la tête métaphysique, préfère croire que le phénomène se produit :
"Par semblance, non par raison" (1402).
56Les couleurs ne sont pas moins déroutantes. Pas de sinople (vert), pas d’émaux des blasons, or ou argent, pas de noir, mais un azur "cler et fin et resplendissant qui "ondoie sur le blanc" et se "transmue" par le fait du vent. Et cependant, sous l’égide d’un hôte, Jeunesse, sorte de double lucide et de sosie du dormeur, on retrouve les arbres, les fontaines et les ruisseaux. Jeunesse, qui a été "aux écoles", propose au visiteur curieux une explication complexe, sinon confuse, de cette dualité imprévue. Le firmament est comparable à un buisson toujours vert dont les étoiles sont les feuilles, l’ombre la nature qui nous comprend, et les planètes les sept branches maîtresses qui tour à tour commandent les âges de la vie. Ainsi sommes-nous à la fois dans le comparant et le comparé, sur la terre changée en locus amoenus et sous l’arbre de l’univers. Rien n’est plus commun dans les traditions mythiques des peuples les plus divers que l’image du cosmos vivant symbolisé par un arbre immense.17, rien ne l’est plus que le rêve de l’hortus conclusus. Mais le va-et-vient de l’un à l’autre manque ici de souplesse et de cohérence. L’auteur, qui connaît ses limites, en est conscient, il ne cache pas à Jeunesse que les "remembrances" des cours magistraux l’ennuient. Viendra, peut-être, le temps où elles l’intéresseront :
"Car leurs saisons ont toutes coses..." (1735)
57Pour le moment il n’aspire qu’à être "gai et joli" :
"A amer solas et delis,
Dansses, carolles et esbas" (1743-44).
58Et il donnerait tout le sens - sagesse et savoir - qui est à Paris et à Sens pour "un chapel de flourettes" Jeunesse ne s’en offense pas. Les voilà tous deux dans une sorte de Verger du Roman de la Rose, verger qui, comme son modèle, contient un lieu encore plus beau et plus délicieux où, parmi de gracieuses allégories, les sept vertus courtoises, le promeneur reconnaît sa dame qui n’a pas vieilli d’un jour, comme l’atteste le recours à un portrait ancien. Le songe est bien la seule fontaine de jouvence. Le visiteur participe à un jeu nouveau, celui de Pince Meurine. Désigné par le sort, il doit s’éloigner et il se cache dans un buisson aussi petit que celui du Cosmos est vaste : un "buissoncel" beau et feuillu d’où il observe sa Dame en composant une ballade. Mais Désir vient le chercher et, à son approche, le feu ancien reprend et l’embrase :
"Il m’est advis de toutes pars
Que che soit feus et que tous ars
Et que je soie enmi la flame..." (3056-58).
59Suit une séquence de lamentarions sur le feu qui réduit en cendres ; le "buissoncel" est à sa façon un cruel buisson ardent, un bûcher ; Désir ne fait qu’attiser le foyer, et lorsque la victime affirme être seule à avoir subi un tel supplice, il lui raconte en enfilade l’histoire d’une douzaine de héros qui ont subi les mêmes tourments. En fait, ce feu de Vénus est une épreuve :
"Par ou toutes jones gens passent,
S’en mi chemin ne se mespassent" (3432-33).
60C’est une initiation inévitable et somme toute bénfique. Pendant que Désir s’en va pour tenter d’émouvoir la belle, le poète consacre un lai, le premier du recueil, au martyre d’amour qui, par la souffrance, devrait conduire au terrestre paradis qu’est la grâce de la Dame. Au passage il ne laisse pas d’invoquer Dieu :
"Se Diex me doinst joie...
… Se Dieu m’aÿt..."(8641 & 3698).
61Quand Désir le libère, c’est pour le livrer aux joyeuses brutalités des jeux d’adolescents. Puis,
"En l’ombre d’un vert arbrissel
Tout joindant un joli ruissiel" (4589-90)
62donc encore sous un buisson, Jeunesse propose un concours de souhaits. Le poète est choisi comme secrétaire
63et le dieu d’Amour pris pour juge. Comme il s’avance à sa rencontre, le rêveur est poussé, et il se réveille. Il lui faut tâter sa moustache pour reprendre vraiment conscience de son être. Il se demande alors comment après avoir été brûlé de tous côtés, il peut survivre et ne rien sentir. Bientôt son aventure nocturne et les valeurs qu’elle révèle lui apparaissent comme vaines et dangereuses ; il n’a pas de termes assez péjoratifs pour les condamner :
"Et di que je n’euïsse que faire
De penser a teles wiseuses
Car ce sont painnes et nuiseuses
Pour l’âme, qui noient n’i pense..."
(5159-62).
64Ce sont là des "fourfaitures" qui relèvent du corps, cendre et pourriture. Mieux vaut "tendre à son Créateur" et se tourner vers Marie, "advocate et moiienne" Toutes les flammes cruelles sont effacées par le Fils :
"Qui est vrais feus habondans
Caritable et redondans
Pour coers enflamer et esprendre"
(5188-90).
65Ainsi compose-t-il pour la Vierge un lai "de nouvel sentement" qu’il lui offre, corps et âme, c’est le Lai de Notre Dame.
66Dès la dédicace est affirmée l’antithèse entre les feux trompeurs qui brûlent corps et coeurs dans le Joli Buisson de Jeunesse, et le contre-feu, le vrai feu pur de l’âme : amour profane, amour sacré. Le double roman de l’Epinette amoureuse et du Joli Buisson de Jeunesse sert alors de soubassement au vitrail du Lai qui en inverse la signification. Mais une équivoque persiste. A en croire la fin, les brûlures de l’amour et l’image de la Dame sont répudiées, et exorcisées. Pourtant elles apparaissent au lecteur comme d’obscures annonces, comme des essais et des promesses : un avant, et un Avent (La Nuit du Songe se situe dans la première semaine de l’Avent, et c’est une nuit de folie et de feu, une nuit de révélation.) On accepte mal que les aspects sensuels en soient récusés, sans cicatrice et sans nostalgie, dans un mouvement manichéïste qui s’oppose à la persistance des motifs de l’arbre et du feu. Peut-être notre interprétation est-elle infléchie par des textes, antérieurs, contemporains ou postérieurs, qui présentent la lumière céleste comme une assomption des brasiers de la terre. Béatrice révèle à Dante les béatitudes, et Laure tend à Pétrarque la palme et le laurier qui doivent le consoler. Il est vrai que ce sont des mortes. Mais Guillaume de Machaut trouve tout naturel de terminer sa louange des Dames par celle de la Vierge Rey-ne, sans rien renier. Et nous avons noté que Froissart lui-même avait une dévotion particulière pour Sainte Marguerite, patronne de celle qu’il a chantée. Chez les Romantiques, chez Claudel, Eros est une station, et pas seulement un obstacle, sur le chemin du salut. Froissart, oublieux du Joli Buisson, marque une brisure nette, une totale conversion, à la fin d’une œuvre qui implique un jugement plus nuancé. Ce n’est pas pour la beauté de l’antithèse qu’il récuse le passé. C’en est bien fini, pour lui, des "dittiers" amoureux. L’accent mis dans le lai sur la virginité doit correspondre à une décision, et à un changement de vie, un vœu de chasteté.
67Mais Froissart a encore une longue vie devant lui, il n’est qu’au milieu du chemin, et il va se consacrer aux Chroniques dont la gloire éclipsera celle du poète. Passant des Amours aux Armes, il n’en acquerra aucune auréole de Sainteté. Les incendies de la guerre et les flambeaux des fêtes n’ont rien du Buisson Ardent. Il les saisit et les fixe : sans présupposés moraux, comme à distance, avec une vivacité qui ne l’engage pas ; ses tableaux scintillants révèlent un peintre froid. Il a cessé de dire Je. Abandonnant la poésie et l’autobiographie, il ne revient pas non plus à la prière, à moins d’admettre que, dans une nouvelle manière de "servir le monde", il ait trouvé aussi sa véritable vocation, sa façon personnelle de servir Dieu, et de le louer : être un miroir serein de la violence. Et peut-être pense-t-il que les "armes" sont, pour l’âme, moins redoutables que les "amours".
Notes de bas de page
1 Jean FROISSART. Le Joli Buisson de Jonece. Ed. A. Fourrier, TLF, Genève, Droz, 1975, vers 36-41.
2 Id. vers 179-180 et 185-187.
3 Id. vers 416-417.
4 Jean FROISSART. L’Epinette Amoureuse. Ed. A. Fourrier. Paris, Klincksieck, 1972.
5 Chroniques. L. IV, Ch. 22, 1393.
6 L’Epinette Amoureuse, v. 53-54.
7 Le Joli Buisson de Jonece, v. 151-152.
8 Id. v. 234-237.
9 Alice PLANCHE. L’Impossible Mariage da lyrique et de roman. Perspectives médiévales, 3, 1977.
10 D. AURY. Anthologie de la Poésie religieuse Française. Paris, Gallimard, 1943.
11 Livre d’Isaïe. VII, 14. Trad. J. KOENIG. In La Bible, Ancien Testament. T. II. Pléiade, Gallimard.
12 Traduction Pléiade, Gallimard, La Bible, Nouveau Testament.
13 C’est aussi un topos des sermons.
14 Dans son édition du Joli Buisson de Jonece, éd. cit. p. 264.
15 On retrouve le thème jusque chez Hugo, dans Booz endormi.
"En bas naissait un roi, en haut mourait
un Dieu".
Et dans un vitrail de Braque, à Varengéville.
16 L’image de l’arbre du Monde, droit ou inversé se retrouve dans les mythes nordiques (le frêne Yggdrasil), en Orient, et même chez les Amérindiens.
Auteur
Université de Nice
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