Une analyse stylistique des formules épiques contenant "enfant" ou l’un des synonymes
p. 219-231
Texte intégral
1Comme l’a très bien démontré Jeanne Lods, l’épopée exalte la jeunesse.1 Tandis que le petit enfant figure rarement dans la chanson de geste, l’adolescent en est souvent le héros. Il s’ensuit que le lexème enfant, avec ses acceptions "adolescent" et "jeune homme noble non encore adoubé chevalier,"2 ainsi que des synonymes d’enfant (bacheler, damoisel, danzel, vallet, et meschin), ont un haut degré de fréquence dans la littérature épique médiévale. La plupart de ces signifiants masculins ont une forme féminine dont le signifié est "jeune fille" : bacheliere, damoisele, danzele, et meschine. Lexème pucele devrait également figurer dans cette liste.
2La présente étude comportera deux parties. (1) Dans un premier temps, nous analyserons des formules épiques3 contenant enfant et/ou un de ses synonymes. Lexème enfant est un mot-noyau autour duquel se groupent d’autres lexèmes du même champs sémantique ou d’un champs apparenté. (2) Dans un deuxième temps nous examinerons de près quelques portraits de jeunes personnes, extrêmement belles. Comment oublier que "jeunesse" et beauté" vont souvent de pair au moyen âge ?
31. a. Enfant. Nous commencerons cette étude par une analyse des formules construites autour du lexème enfant. Un des cas stylistiques les plus répandus est un syntagme nominal composé de l’article défini li et du substantif enfes (cas-sujet), suivi d’un syntagme verbal. Une telle proposition simple occupe normalement un premier hémistiche, parfois un deuxième hémistiche ou un vers entier. Exemples : (a.) premier hemistiche : "Ot le le enfes, ne mist avant le pié" (v. 87, La Chanson du Chevalier au Cygne)4, "Respunt li enfes : ‘Jo vus avrai ja dit’" (v. 1736, CC), "N’avoit li anfes .I. sol jor resposei" (v. 79, CV). Dans le premier hémistiche du vers, "Or s’en va li bons enfes dolans et esgarés" (v. 766, CC), l’épithète bons sert d’expansion au noyau li enfes. (b.) deuxième hémistiche : "Del gentil conte dui enfanz remés sont" (v. 312, CN), où dui remplace l’article li ; et (c.) vers entier : "E li enfes est a tere acraventé" (v. 2074, CG) et "Que si enfant tenroient l’ireté" (v. 302, EO), où l’adjectif possessif si remplace l’article li.
4Mot nucléaire li enfes, suivi de la copule être et des adjectifs attributs, est une autre structure assez répandue : "Li enfes fut moult biaus et parcreüs et grans" (v. 500, CC) et "L’enfant fu preus e sage, en li n’ot qu’enseignier" (v. 5, AA). Les attributs biaus, parcreüs, et grans, créent l’image de la beauté physique adolescente, tandis que preus et sage représentent l’idéal chevaleresque, ce que ni Roland ni Oliver n’a atteint qu’en partie. Dans la formule, "Cist anfes est fel et desmesurables" (v. 2637, EG), l’adjectif démonstratif cist remplace li. Les attributs fel et desmesurables font allusion aux excès de caractère de l’enfant Guillaume. Une inversion transforme l’ordre, li enfes + copule + attribut, en copule + attribut + li enfes dans certaines formules : "Bien iert apris li anfes de quant que mestier iert" (v. 53, F) ; "Tu es biax enfes et si es jouenes hon" (v. 7273, HB), où enfes a la fonction d’attribut plutôt que celle de sujet et l’épithète biax remplace l’article li. L’attribut jouenes hon du deuxième hémistiche répète biax enfes en fournissant la définition de ce dernier. Les champs sémiques de jouenes hon et d’enfes se recouvrent. L’adjectif biax suppose jouenes.
5Le syntagme nominal composé de l’enfes + nom propre (apposition) ou l’inverse, nom propre + l’enfes (apposition), remplit souvent le premier hémistiche, parfois le deuxième. Dans les exemples ci-dessous un syntagme verbal occupe l’autre hémistiche, (a.) premier hémistiche : "L’anfes Guillames en ait les os choisi" (v. 3054, EG), "L’anfes Guillames n’i fist plus longe atante" (v. 3072, EG), "L’enfes Ogiers a premerains parlé" (v. 998, EO), "Vivien lenfes faisoit ml’t a pisier" (v. 145, EV, Ms. 1448), "L’enfes Guis de Borgoigne fu chevaliers de pris" (v. 3453, GB), "Hervieu e Gui li enfez ont lor gages donnés" (v. 405, Ms. M, GN). (b.) deuxième hémistiche : "Quant s’en turnad Gui li enfes" (v. 1781, CG) et "Atant s’en tourne li enfes Huelins" (v. 1665, HB).
6Quand le syntagme nominal, nom propre + apposition (li enfes (cas-sujet) ou l’enfant (cas-regime)), occupe le premier hémistiche, le deuxième hémistiche peut se composer d’une expansion autre qu’un syntagme verbal : "Karlot l’enfant,/que jou aimne et tien chier ?" (v. 84, HB), (proposition relative) ; "Huon l’enfant/ et Gerart le proisie" (v. 294, HB), (conjonction de coordination + nom propre + épithète) ; et "Charlos li enfes,/ el poing le bran letre (v. 1667, EO), (circonstanciel de lieu + syntagme nominal).
7Le schéma syntaxique, conjonction et + syntagme nominal (l’enfes) + nom propre + verbe (premier hemistiche) et proposition relative (deuxième hémistiche) paraît dans les formules que voici : "Et l’enfes Guis menja, que mult l’ot desiré" v. 2239, GB), "Et l’enfes Gui respont, qui le cuer ot hardi" (v. 432, GB), et "Et l’enfes Guis le fiert, qui le corage ot fier" (v. 597, GB). Ces propositions relatives font mention respectivement de l’appétit de l’adolescent, de son courage, et de sa fierté.
8Jusqu’ici nous avons analysé pour la plupart des formules contenant le cas-sujet enfes plutôt que le cas-régime enfant. Cependant, l’enfant peut être objet d’une action aussi souvent que sujet. En voici quelques exemples : (a.) l’enfant, objet de bonnes actions ou de désirs : "‘Car cest anfant voil faire chevalier’" (v. 2540, EG), "Puis se met en l’estour pour aidier ses enfans" (v. 2725, Ms. M, GN), "Il ont Guion l’enfant droite trieve donnee" (v. 1598, Ms. M, GN), "Si me direz nouvelez de Guion mon enfant" (v. 1771, GB), "L’enfant apele, sil prist a acoler" (v. 1476, CG), et "‘Sire, vos me norristes petitet e enfant,/ E aprés m’adoubastes quant vos vint a talent’" (v. 3145-46, AA) ; (b.) l’enfant objet de mauvaises aventures : "Meveilleuse aventure avint l’enfant Guion" (v. 654, Ms. M, GN), "A trois anfans est mout mal avenu" (v. 2096, EG), "‘Sire,’dist ele, ‘qu’as tu fait de Guioton,/ Le bel enfant od la gente façun ?’" (v. 2358, CG), "Quer il heënt l’enfant pour l’amour de Milon" (v. 195, Ms. M. GN), "Quant cel enfant ne veus desheriter" (v. 328, CN), "L’enfant trouverent mort, u corps a le tronchon" (v. 1210, Ms. M, GN), "‘E que j’ai fait cest enfançon morir !’" (v. 1046, HB), où le diminutif enfançon, "petit enfant," renforce les sèmes faible et petit contenus dans enfant.
9Anfant a la fonction de vocatif dans la formule, "‘Anfant’, dist elle, ‘Kest Bueves devenu ?’" (v. 2116, EG).
10L’importance capitale de la progéniture des héros épiques explique le grand nombre de formules faisant référence à leurs descendants. (a.) Le premier souci d’un chevalier prouvé est de prendre une femme qui lui donnera des enfants : "‘Car prenez fame, n’alez plus atandant,/ Dont eussiez, biaus sire, aucun enfant/ Qui del pais fust après vos tenant’" (v. 1334, AN), (b.) La deuxième préoccupation est d’engendrer beaucoup d’enfants. Des formules à ce propos contiennent certains éléments plus ou moins fixes (verbe engendrer ou avoir + nombre cardinal + enfant (fiz, fille, ou nom propre)) dont l’ordre peut varier. Exemples : "Les trois enfanz que il ot engendrez" (v. 883, CN) (des enfants de vilain dans cette formule) ; "Engendre ot de li .I. ml’t biau fil" (v. 67, EV) ; "Cele nuit fu Bauduinet engenres" (v. 87, CO) ; "De Gaufroi ot.iij. fils de joene aé" (v. 298, EO) (ici le compliment de nom, jouene aé, renforce le sème petit contenu dans fils ; ".vii. si tres biaus enfans tout ensemble nevi" (v. 397, CC) ; "Mès ainçois orent .v. enfanz molt gentis" (v. 4652, AN).
11Les formules du genre précédent déclenchent souvent une longue expansion détaillant la biographie de chaque descendant. L’expansion s’ouvre par une ou deux formules composées d’éléments assez fixes : numéro ordinal + fiz ou fille + nom propre d’un parent + engendrer (avoir) + nom propre de l’enfant. Exemples : "Li premiers fiz Aymeri le vaillant,/ El ot a non dant Bernart de Brebant" (vv. 4508-09, AN), "Garins ot non li tierz fiz Aymeri" (v. 4532, AN), "Li sistes fiz qu’engendra Aymeris/ Si ot a non Aymers li chetis" (v. 4590, AN). Annés (ainée), comme épithète ou attribut, peut remplacer un ordinal : "C’est li annés des anfans Aymeri" (v. 2347, EG) et "L’ainée fille donerent a moillier" (v. 4626, AN).
12Enfant sert de complément de nom dans des formules telles que, "‘Voir ! dist Guillaumes, cist cop n’est pas d’enfant’" v. 5956, A) ou "‘Cors as d’enfant e raisun as de ber’" (v. 1977, CG). La prouesse et l’intelligence d’un jeune ne manquent jamais de frapper les adultes.
13Enfant signifie "jeune enfant" plutôt qu’adolescent dans des formules se référant aux enfans et aux femes, membres de la famille regrettés par des pères chevaliers à l’étranger : "‘Jamés en France ne porrons reperier,/ Ne ne verrons ne anfant ne moillier ! "‘(vv. 112324, AN), "Qui jaméz ne verront ne enfant ne moillier" (v. 1985, Ms. M, GN), "Karles se regarda et vit François plorer,/ Lor enfans et lor femes durement regreter" (vv. 172-173, GB).
14l. b. Bacheler. Nous examinerons maintenant des formules contenant lexème bacheler, "jeune gentilhomme qui aspirait à devenir chevalier" ou "jeune homme, jeune garçon" (Godefroy, VIII, 266c). Malgré la définition de Godefroy, bacheler peut désigner un jeune homme déjà adoubé chevalier : "Cil bacheler de novel adoubé" (v. 824, AN).
15Dans un premier groupe de formules se retrouve le schéma, nom propre + apposition (li bacelers), déjà observé dans des formules du type ‘l’enfes Guis’. Exemples : "Dont prent congiet Hues li bacelers" (v. 3914, HB) ou "Souvent regretent Huon le baceler" (v. 2468, HB).
16Dans un deuxième groupe de formules, lexème bacheler est précédé d’une épithète : (a.) l’épithète juene : "Si com fis t Hues, .1. jouenes baceler" (v. 6085, HB), ".XIIII. furent, tuit juene bacheler" (v. 6030, A) ; "Et li .XX. juenne bacheler redouté (v. 1598, AN) où l’apposition redouté renforce les qualités belliqueuses des bacheliers) ; ou des substituts de juene : "‘A bacheler qui est de ma jovente !’" (v. 88, CN) (l’attribut ‘de ma jovente’ remplace l’épithète juene) et "De bachelers que Caries cleimet enfanz" (v. 3196, CR) (enfanz remplace juene) : (b.) l’épithète biau : "‘Oil, ce dist Bertrant,.1. mult biau bacheler’" (v. 860, GB), "‘El roiaume de France n’a plus biau bacheler’" (v. 992, GB), "Il n’ot an tote Espaigne.1. si biau bacheler" (v. 2320, GB), "En toute France n’ot plus bel baceler" (v. 3151, A), "‘Dist l’une a l’autre : ‘Voiés bel baceler !’" (v. 7991. HB), et "‘Tost manderont bele bacelerie’" (v. 1927, A) (bacelerie, substantif désignant "les qualités ordinaires d’un bachelier, bravoure, valeur, savoir, habileté, vigilance, émulation, mérite en général," (Godefroy, I, 545c)) ; (c.) les épithètes courtois et gentil qui signalent un comportement noble : "Atant es vous Guion le courtois bachelier" (v. 2815, GN), et "Huon en getent, le gentil baceler" (v. 6384, HB) ; et (d.) des épithètes désignant des qualités physiques (léger, fort) ou un comportement chevaleresque (vaillant) : "Quant veit Willame les legers bagelers" (v. 2475, CG), "E escremissent cil bacheler leger" (v. 113, CR), "En trestot Montorgueil n’ot si fort bacheler" (v. 1796, GB), "Huon apiele, le vaillant baceler" (v. 2302, HB), et "Nous sommez bacheler, plai n de chevalerie" (v. 2368, GN).
17Les bacheliers sont parfois pauvres comme l’atteste l’épithète povre : "Ce vueill ge dire as povres bachelers" (v. 649, CN) et "Ici di ge as povres bachelers" (v. 641, N). Ils n’ont pas encore eu le temps de prouver leur vaillance non plus : "‘S’iront ferir cil jeunne chevalier,/ Et bacheler por lor pris essaucier’" (v. 806, AN).
18Nous n’avons pas relevé d’exemples de bacheliere, "jeune fille" (Godefroy, VIII, 267a), une contamination de bacheler.
191. c. Damoisel. Dans une troisième catégorie de formules se trouve un autre synonyme d’enfant, damoisel, "jeune gentilhomme qui n’était point encore reçu chevalier" ou "seigneur d’un pays" (définition qui ne nous conerne pas ici) (Godefroy, II, 417a) et damoisele, "fille noble" ou "femme mariée de la petite noblesse" (définition qui ne nous concerne pas ici) Godefroy, IX, 298b). Damoisele et damoisiau ont souvent le cas de vocatif : (a.) sans épithète : "Dist Clariaus : ‘Per Mahon, damoisele’" (v. 1359, EG) ; (2) avec épithète, "Ma chiere damoisele, ne soiez esgaree" (v. 1397, Ms. M, GN) ; (C. O avec apposition, "Damoisiau debonaires, mal m’avez enginé" (v. 85, F), "Damoiseaus sire, envers moi entendez" (v. 1260, CN) ; et (d.) avec une apposition et des attributs : "Damosais, sire, con tu es fel et fiers" (v. 527, EG).
20Damoisel, attire quelques-unes des mêmes épithetes que bacheler : "Et avec lui .j. damoisel legier" (v. 2647, AN), ".1. courtois damoisel, nes fu de Besenchon" (v. 2024, Ms. M, GN), et "Envoiera les damoisiax gentis" (v. 4707, AN). Damoiseau attire également l’êpithète riche, "noble, généreux" et "beau, magnifique" (Greimas, 566b) : "Ma riche damoisele vous mande, biau dous sire" (v. 509. Ms. M., GN). La structure, "damoisel" + de pris ou de renommée (compléments de nom), peut servir d’attribut : "Nos somes jone et damoisel de pris" (v. 388, CV) et "Cil damoisel qui sont de renommée" (v. 4451, AN). On trouve également des formules du genre : ".1. damoisel i ot, Hervieu l’apeloit on" (v. 197, Ms. M, GN) ou ".1. damoisel i ot qu’en apele Grandoine" (v. 1796, Ms. M, GN). Damoisiaus est suivi de l’attribut bone gene dans la proposition relative de la formule, "O lui .c. damoisiaus qui molt sunt bone gent" (v. 444, QFA).
21En dernier lieu il faut signaler l’emploi de damoisiax comme attribut dans la formule où Guillaume affirme, "Damoisiax suix, meschins et bacheliers" (v. 1049, EG). L’alliance des synonymes damoisiax, meschins, et bacheliers au même vers a un effet d’accumulation. Guillaume souligne le fait qu’il est jeune, noble, et libre, et pas encore adoubé. Au vers suivant il précise : "Onkes encores ne fuai jou adoubeiz" (v. 1050, EG).
221. d. Dansel. Le quatrième groupe de formules contient dansel, qui signifie également "jeune homme" (Godefroy II, 421c) ou "jeune gentilhomme" (Greimas, 157b). Nous n’avons pas relevé d’exemples de dansele, "jeune fille" (Godefroy, II, 422a). Quelques exemples de danzel ou de danziaux, sans épithète, se trouvent aux trois vers que voici : "Qant li danziaus en gré la recoilli" (v. 2490, AN) ; ".Vc. danziaus a a lui apelé" (v. 842, AN) ; et "Que chil dansiax que tant a dé bonté" (v. 2577, HB). Dansiax (v. 2577, HB) devient baceler quelques vers plus loin : "Qu’il face autant du cors le baceler" (v. 2581, HB). On observe le même genre de substitution entre les vers : "De joste lui vit un donzel ester" (v. 2597, EG) et "‘Franc damoiselz,’ dist il, ‘avan veneiz’" (v. 2599, EG).
23Au lieu d’un système de remplacement on peut observer la juxtaposition de deux synonymes dans la même formule : "Il saillirent as armez, bacheler et danzel" (v, 2245, Ms. M., GN).
24Quelques-unes des formules ont la structure, danzel + épithète, complément de nom, ou attribut : "Qui dunc veist les danceals enseignez" (v. 520, CG), "A un danzel fort et juenne et legier" (v. 572, AN), "Je remain jones donziaux de barbe prime" (v. 1664, EG) et "de cest dansel qi est & jens et prous" (v. 1568, Ms. de Boulogne, EV). L’apposition enseignez, qui contient les sèmes noble et instruit, est une expansion de danceals. Les épithètes fort, jeunne, et legier ont la même fonction à l’égard de danzel qu’ils avaient a l’égard de bacheler. Barbe prime, image de la jeunesse, pourrait servir de complément à n’importe quel synonyme masculin d’enfant.
251. e. Vallet. Gomme cinquième cas, nous relèverons des exemples de formules contenant lexème vallet, "enfant mâle, garçon, ou jeune guerrier" (Godefroy, VIII, 142c) ou "jeune homme non formé, page, écuyer, jeune homme en général" (Godefroy VIII, 143a). Dans un premier groupe, vallet est en apposition avec seignor, titre de noblesse : "‘Seignor vallet,’ dist Guiz de Monpancier’" (v. 2663, AN) et "‘Seignor vallet,’ ce dist Guiz li marchis’" (v. 2668, AN). La structure, le vallet + syntagme verbal (ou copule + attribut), se rencontre souvent dans Gui de Nanteuil : "Le vallet de Nantueil qui tant fu en prison" (v. 22, Ms. M, GN) et "Le vallet de Nantueil fu preudons et loiaus" (v. 1040, Ms. M, GN) et "Li vallet de Nantueil fist que preus et sénez" (v. 2476, Ms. M, GN). Comme nous l’avons déjà observé, les attributs ci-dessus, preudons, loiaus, preus, et sénez, "Peuvent être des épithètes d’autres synonymes d’enfant.
26Vallet, bien sûr, peut être lié à enfant ou à des synonymes d’enfant. Dans la formule, "Ne enfant, ne vaslet, se ceste fille non" (v. 3014, CC), enfant et vaslet ne sont pas synonymes. La juxtaposition des deux termes fait ressortir leurs significations respectives, "jeune enfant" et "adolescent." Dans la formule "Et .M. vallés, tous jouenes bacelers" (v. 2382, HB), l’apposition "jouenes bacelers" renforce la signification "jeune homme" de vallés.
27Vallet et pucele peuvent être des mots complémentaires : "E.M. vallés, tous jouenes bacelers/ Et .M. puceles qui aient grant biautés" (v. 2382-83, HB) et "Là s’essist la pucele qui preus est e senee/ Dejouste le vallet de qui ele est anee" (vv. 532-533, Ms. M, GN).
281. f. Meschin. Lexème meschin, "jeune homme, jeune gentilhomme" (Godefroy, V, 272b) est notre cinquième synonyme d’enfant. Une structure de formule fréquente contient un nom propre + l’apposition le meschin : "Co li ad dit Vivien le meschin" (v. 790, CG), "Ore vus dirrai de Girard le meschin" (v. 405, CG), et "Ja n’i durast Huelins li mescins" (v. 1747, HB). Huelins, diminutif de Huon, renforce le sème jeunesse, contenu dans meschin.
29Un exemple de la forme féminine, meschine, "jeune fille " ou "femme ou fille de noble extraction, dame, demoiselle,"(Godefroy V, 272c) se trouve dans la formule, "Iluec se hemberga une franche meschine" (v. 421, Ms. M, GN). L’épithète franche fait ressortir le sème noble de meschine :
30Meschin se trouve réuni avec enfant et/ou un de ses synonymes dans les trois formules que voici : "Et chil sunt enfant, meschin et bacheler" (v. 2508, GN), "Guichart l’enfant et Gerart le meschin" (v. 6325, A), et "Bacheleirs eirent et jovansais mechins" (v. 32, EG).
311. g. Pucele. Pucele, "fille vierge" ou "fille non mariée," (Godefroy X, 444b), paraît fréquemment dans la littérature épique. Nous n’avons pas relevé d’exemples de puceau, "garçon vierge" (Godefroy, X, 444b). La structure de formule la plus simple est un syntagme nominal, la pucele (cas-sujet) + un syntagme verbal : "La pucele descent de la mule afeutree" (v. 431, Ms. M, GN), "E la pucele se prist a merveillier" (v. 2641, AN), "La pucele le voit, le sens cuide cangier" (v. 797. Ms. M, GN), "La pucele l’esgarde, mout fu gresles et lons" (v. 965, Ms. M, GN). On rencontre également la structure, copule + une pucele (attribut) : "Je suis une pucele, ne soi pas guerroier" (v. 788, Ms. M, GN). Des exemples de pucele comme cas-régime sont : "La pucele apele qui ot non Beatris" (v. 414, CC), "Qui la pucele vost avoir a amie" (v. 1741, AN), "Prant la pucele, si s’est assis delez" (v. 3303, AN), "Jo ai uncore cent e seisante puceles" (v. 1391. CG), et "Forment s’est esbaudis pour l’amour la pucele" (v. 841, Ms. M, GN).
32Mot noyau pucele attire une grande variété d’épithètes : (a.) "‘Frere,’ce dit la pucele eschevie" (v. 2454, AN), "Ot en son chief la pucele gentis" (3267, AN), "Il et s’amie, la pucele avenans" (v. 7653. EO), "Atant es vos la pucele senée" (v. 2879. A), "Chi a mauvesez noechez de si riche puchele" (v. 1503, Ms. M, GN), "D’une joule pucele, qui moult fu honeree" (v. 5757, CC). Le groupe, la pucele + complément de nom, est aussi répandu que celui de la pucele + épithète : "Que nos dongniez la pucele as crins blois" (v. 2376, AN), "E avec eux la pucele au cler vis" (v. 2596, AN), "A Gloriande, la pucele au vis cler" (v. 4334, EO), "Quant la pucele au gent cors afaitié" (v. 3305. EO), "Une pucele amoit à gent corps avenant" (v. 1775. Ms. M, GN).
33Une proposition relative peut résumer la beauté ou l’état d’esprit d’une pucele : "Cele pucele qui tant a de biautez" v. 1429, AN) et "La pucele s’en rist qui le cuer avoit gai" v. 923, Ms. M, GN).
341. h. Garson. Un autre synonyme d’enfant auquel nous n’avons pas encore fait allusion est gars (garson), qui s’emploie parfois comme "terme d’injure" (Godefroy, IV, 221a) : "Qui est cil gars qui tant est fors et fiers" (v. 134, CV), "Cuidiés vous que cis gars ait cuer, ne hardement" (v. 1145, CC), ou "Anfant le vit si l’ot en grant vilteit/ Dist a Guillame : ‘Carson, laissiez m’aster’" (vv. 2462-63, EG).
351. j. Orfelin et Heritier. A part des synonymes d’enfant déjà observés, des termes comme orfelin et heritier peuvent désigner un enfant : "Or vont à cort li dolant orfelin" (v. 582, HB), "Qu’a orfe enfant ja son dreit ne tolir" (v. 153, CL), "Tante pucele orfeline apelée" (v. 4582, AN), "Remés en est un cortois heritier ;/ Icil a nom le petit Berangier" (vv. 365-366, CN), et "Qui engendra cest coart eritier" (vv. 91-92, CL).
36Les termes de parenté, fille, fiz, niece et niés, que nous sommes obligés de passer sous silence dans cette étude, constituent une catégorie importante de substituts pour le lexème enfant.
371. k. Juvente. Dans une dernière catégorie se trouvent des formules contenant des références à la jeunesse de tel ou tel personnage : l’apposition le menour dans "A tant es vous Antoine e Richier le menour" (GN, Ms. M, v. 130) ; l’épithète petit dans "s’il prent la terre au petit Berangier" (v. 374, CN) ; le diminutif du nom propre Gui dans "‘Sire, ‘dist ele, ‘qu’as tu fait de Guiotun’" (v. 2358, CG). L’emploi de joene (adjectif ou substantif) ou du substantif juvente est fréquent : "Comme si jouene home la batalle fera" (v. 708, CC), "Le plus preu joene k’aine vi en mon vivant" (v. 6976, EO), "Quant vous si joènes estes et tant valés" (v. 4437, EO), "Car trop est joenes pour tele emprision" (v. 2496, EO), "Trop par es joefne e de petit emprision" (v. 2496, EO), "Trop par es joefne e de petit eed" (la synonymie de joefne et petit eed est à remarquer) (v. 1640, CG), "Dededenz entrèrent li joene et li chenu" (v. 1956, EO), "Et prous et jones et fiers comme lion" (v. 2515, EG), "Quant je jeunes, meschins, et bachelers" (v. 1234, CN), "Vivien, sire, mar fu ta juvente bele" (v. 2001, CG), "La plus juennete, Blancheflor ot a non" (v. 4674, AN), et "Li autre .XX. jovencel alosé (v. 1593, AN).
382. Nous regarderons finalement quelques portraits de jeunes personnes où l’artiste se concentre sur la beauté et le caractère noble de son sujet. Le portrait est une expansion d’une formule initiale. Normalement des formules d’introduction et de conclusion encadrent le portrait. Dans le bref portrait d’Aelis ci-dessus, l’artiste décrit sa beauté en termes généraux, son caractère, et son visage (la couleur des yeux et le teint). Mot noyau bele fille déclenche le système descriptif. Formule initiale "sa belle fille" (v. 2811-A, A), se transforme en formule, "Une pucele, plus bele ke fée" (v. 2813, A), qui à son tour se transforme en formule, "Il n’ot plus bele dusque en la mer Betée" (v. 2815, A), formule qui boucle la boucle pour ainsi dire.
Sa bele fille l’en a sus relevée,
C’est Aelis, la preus et la senée,
Une pucele, plus est bele ke fée.
Les iex a vairs, la face colorée ;
Il n’ot plus bele dusqe en la mer Betée. (vv. 2811-15, A)
39Le portrait d’Hermenjart suit les lignes générales de celui d’Aelis. Le système descriptif, construit autour du mot noyau pucele ennorée, fait mention de la toilette ornée, de la robe pourpre, de la chevelure, des yeux verts, et du visage coloré d’Hermenjart. Encore une fois nous remarquons une évolution entre la première formule, "Atant es vos la pucele ennorée" (v. 2532, AN) et les dernières formules, "De tel biauté l’ot Dex enluminée/ Que puis ne fu si bele dame née," (vv. 2537-38, AN).
Atant es vos la pucele ennorée,
D’une chanbre est richement acesmée :
Vestue fu d’une porpre roée,
Sa crine fu d’un fil d’or galonnée,
Les euz ot vers, la face colorée ;
De tel biauté l’ot Dex enluminée
Que puis ne fu si bele dame née. (vv. 2532-38, AN)
40Le portrait de l’enfant Gui renverse l’ordre normal d’un portrait littéraire médiéval. Au lieu de procéder de la tête aux pieds, le portraitiste fait presque le contraire en commençant par une description du beau corps, des jambes, et de la peau qui ressortent quand Gui se désarme. Puis l’artiste remonte à la tête de son sujet où il décrit-les yeux et les cheveux. Gui est très beau garçon malgré son état affamé.
L’enfes Guis de Borgoigne errant se desarma,
Desceint le branc et l’iaume et son escu osta,
Si est remès tous sengles el bliaut de cendal.
Très parmi les costés grans bendes d’orfroi a ;
Le cors ot gent, bien fait, (b molt semble bien vassal),
Les (jambes) fors et longes por séoir sor cheval,
Et ot la char plus blance que argent ne cristal,
Les ieus vairs en la teste comme faucon grual ;
Les cheveus avoit blons plus que ors ne metal,
Et fu forment palis, que trot ot tret de mal
De faim et de juner el palais principal. (vv. 2202-12, GB)
41Le portrait d’Ogier de Danemarche suit l’ordre classique du portrait médiéval. Formule d’introduction, "En Ogier ot mult très bel baceler" (v. 60, CDD) se transforme en formule de conclusion, "En nule terre n’ot plus bel baceler" (v. 67, COD),
En Ogier ot mult très tel baceler,
Blonc ot le poil, menu recercelé ;
Les elx ot vairs et le viaire cler,
Les bras ot lons, et les poins bien quarrés ;
Gros par les costes, grailes par le baldrer,
Les piés voltis et ganches ot asaés :
En nule terre n’ot plus bel baceler,
E la pucele pris lui à en amer. (vv. 60-67, COD)
42En conclusion nous pouvons dire qu’il y a un véritable foisonnement de formules épiques se référant à l’enfant, ce qui atteste le rôle considérable de l’enfant dans l’épopée. Ces formules sont de deux sortes : a. celles qui présentent l’enfant comme actant ou objet et b. celles d’ordre descriptif, qui sont en réalité de petits portraits d’un beau corps ou d’un noble caractère. Un autre indice de l’importance de l’enfant dans la littérature épique est le nombre de synonymes pour "jeune homme" et "jeune fille " qui s’y trouvent. Ces synonymes ont tendance à attirer les mêmes épithètes et attributs autour d’eux. Les quatre portraits que nous avons analysés sont de longues formules. Un cliché initial faisant l’éloge de la beauté physique d’un bachelier ou d’une pucelle déclenche le système descriptif du portrait.
Notes de bas de page
1 Jeanne Lods, "Le Thème de l’enfance dans l’épopée française," Cahiers de Civilisation Médiévale xe-xiie siècles, III, janvier-mars, 1960.
2 Godefroy, Dictionnaire de l’ancienne langue française du ixe au xve siècles, Paris : Vieweg, 1881-1902, III, 140a, et A.-J. Greimas, Dictionnaire de l’ancien français jusqu’au milieu du xive siècle, Paris : Larousse, 1968, 216b. Toutes les autres références à Godefroy et Greimas paraîtront dans l ‘article.
3 Comme Edward Heinemann, "Composition stylisée et technique littéraire dans la Chanson de Roland," Romania, 94, 1974, p. 9, nous supposons que "toute chanson de geste est par définition formulaire." Nous adoptons sa définition de la formule : "La formule, l’unité de composition minimum de cette expression stylisée, se définit par la coïncidence des unités les plus petites du mètre (le vers et l’hémistiche) et de la syntaxe..."
4 Tous les vers cités sont tirés des éditions ci-dessous (les abréviations qui les accompagnent paraîtront dans la suite de cet article) : Adenés Li Rois, Les Enfances Ogier (EO), éd. M. Aug. Scheler, Bruxelles : Closson & Ce, 1874 ; Aliscans (A), éd. M.F. Guessard, Paris : Librairie A. Franck, 1870 ; Aye d’Avignon, chanson de geste anonyme (AA), éd., S. J. Borg, Genève : Droz, 1967 ; Aymeri de Narbonne, chanson de geste (AN), éd. Louis Demaison, Paris : Didot, 1887, 2 vol. ; La Chanson du Chevalier au Cygne et de Godefroi de Bouillon (CC), éd. C. Hippeau, Réimpression des éditions de Caen et de Paris, 1852-1877, Slatkine Reprints, Genève : Droz, 1969 ; La Chanson de Floovant (F), éd. Frédéric Hewitt Bateson, réimpression de l’édition de Paris, 1938, Slatkint Reprints, Genève, 1973 ; La Chanson de Guillaume (CG), éd. Duncan McMillan, Paris : Picard, 1949-1950, 2 vol ; La Chanson des quatre fils Aymon (CQFA), éd. Ferdinand Castets, Montpellier : Coulet et Fils, 1909 ; Le Charroi de Nîmes, chanson de geste du xiie siècle (CN), éd. J.-L. Perrier, Paris : Champion, 1926, CFMA ; La Chevalerie Vivien, chanson de geste (CV), éd. A.-L. Terracher, Paris : Champion, 1923 ; Le Couronnement de Louis, chanson de geste du xiie siècle (CL), éd. Ernest Langlois, Paris : Champion, 1920, CFMA ; Les Enfances Guillaume, chanson de geste du xiie siècle (EG), éd. Patrice Henry, Paris : SATF ; Les Enfances Vivien, chanson de geste (EV), éd. Alfred Nordfelt, réimpression de l’édition d’Upsala et Paris, 1895, Slatkine Reprints, Genève, 1970 ; Girart de Roussillon, chanson de geste (GR), t. 1, éd. W. Mary Hackett, Paris : Picard, 1953 ; Gui de Bourgogne, chanson de geste (GB), éds. KM. F. Guessard et H. Michelant, Paris : Vieweg, 1859. A. F. P ; Gui de Nanteuil, chanson de geste (GN), éd. James R. McCormack, Genève : Droz, 1970 ; Huon de Bordeaux (HB), éd. M.F. Guessard, Paris : Vieweg ; Raimbert de Paris, La Chevalerie Ogier de Danemarche (COD), réimpression de l’édition de Paris, 1832-1848, Slatkine Reprints, Genève, 1969, 2 vol ; Les Textes de La Chanson de Roland, la version d’Oxford, t. 1 (CR), éd. Raoul Mortier, Paris : éditions de la geste francor, 1940.
Auteur
University of Maryland
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