Le diable, Jacques le coupé et Jean des Portes, ou les avatars de Santiago
p. 443-460
Texte intégral
1Cette courte note a moins pour objet de décrire le Diable, ses pompes et ses oeuvres, que de tenter de restituer ce qu'il peut y avoir de diabolique dans la sainteté médiévale, ou plus exactement dans les formes populaires du culte des saints. Les quelques textes ici proposés concernent les mutations subies, probablement entre le Ville et le xie siècle, par deux apôtres, les frères Jacques et Jean, dans une aire culturelle qui correspond aux plus méridionaux des chemins de Saint-Jacques, de la Bourgogne à la Galice par la vallée du Rhône et la Narbonnaise.
2Il est inutile d'insister sur l'importance du culte de Saint Jacques, légendaire évangélisateur de l'Espagne et patron de la monarchie asturienne1, sous l'enseigne duquel tant de croisés bourguignons partirent combattre l'ennemi sarrazin2, apportant avec eux l'influence clunisienne3. Jacques est à l'Espagne et au Midi du xiie siècle ce que Denis est à la Francia et au Nord, et le pseudo-Turpin le montre bien, qui calque les pouvoirs de l'un sur ceux de l'autre4. Le développement hors d'Espagne du culte du "galicien sans tête" ne peut être évidemment isolé de deux phénomènes majeurs de cette époque, auxquels il suffit ici de faire brièvement référence. D'abord la présence insistante dans les textes, à partir de l'an mille d'éléments nettement folkloriques, affleurement dans la littérature d'Eglise5 d'une culture populaire et laïque, en même temps que déformation, reformation, de cette culture6. Ensuite le vêtement oriental pris parfois par ce courant légendaire et folklorique : que l'on songe à tous les apôtres alors proclamés fondateurs de tant d'églises majeures7, ou plus généralement à la diffusion du culte de saints à la fois orientaux et anhistoriques, comme Saint Georges, Saint Demetrius, Saint Nicolas ou Sainte Catherine8 ; cultes qu'on admet venus de Byzance par l'intermédiaire des croisés.
3Nous allons partir de quelques textes bourguignons ou compostellans de cette époque pour voir quelle image de Saint Jacques ont alors les clercs, moines ou chanoines, qui transmettent et fixent par l'écrit les visions du Saint et les miracles qu'il opère. Nous examinerons ensuite, pour éclairer ces textes, une source d'un maniement plus délicat, mais aussi plus profond et, du point de vue qui nous occupe ici, plus riche, des chansons populaires méridionales relatives au pélerinage d'Espagne, à Saint Jean et à Saint Laurent.
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4Le point de départ de cette étude est une inquiétante histoire, qui courait en Bourgogne à la fin du xie siècle. On peut la résumer comme suit. Un jeune homme avait couché avec une femme hors du mariage. Il partit ensuite en pélerinage vers Saint Jacques, dont il était dévot. Dès la première étape, Jacques lui apparaît et lui reproche d'avoir entrepris le saint voyage sans s'être suffisamment purifié ; l'homme avait conservé la ceinture de sa bien-aimée, ou encore il ne s'était pas repenti. Le pélerin reconnaît ses torts et son indignité, et, atterré, demande comment se racheter. Jacques lui ordonne alors de couper le membre par où il a péché, puis de se trancher la gorge. En te punissant toi-même, lui dit Jacques dans l'une des versions, tu deviendras martyr. La nuit, à l'auberge, tandis que ses compagnons dorment, l'homme accomplit les actes demandés. Ses compagnons se réveillent, le trouvent mort. On lui fait des obsèques ; il y ressuscite et raconte sa vision aux assistants stupéfaits, en y ajoutant une fin plus conforme à l'orthodoxie de ce temps : le Saint Jacques castrateur était, évidemment, le Diable - et qui d'autre ! Le pélerin égorgé a donc été emporté par les démons au tribunal céleste, présidé par la Vierge. Là, le véritable Saint Jacques s'est fait son avocat, et a réclamé l'indulgence du juge "à cause de l'intention" qui était bonne, "bien qu'elle ait été corrompue". L'homme devra retourner sur terre pour se corriger et dénoncer le démon. L'étrange aventure finit par un topos, celui du pécheur revenu de l'au-delà pour l'édification de ses frères humains.
5Une première version de l'histoire avait été racontée à Guibert de Nogent, sans doute en 1107, par un vénérable moine, Geoffroi, jadis sire de Semur en Brionnais9, qui n'est autre que le frère du célèbre Hugues de Semur, abbé de Cluny10, ferme soutien du pélerinage compostellan et promoteur des croisades bourguignonnes en Espagne. Une deuxième version, venue de l'abbé Hugues lui-même, fut compilée avec d'autres miracles dans le Liber Calixtinus de Saint-Jacques11, probablement par un clerc de Vézelay, donc un clunisien, peu après 114012. Ces deux versions insistent, un peu trop peut-être, sur le caractère réel de l'affaire : Geoffroi, rapporte Guibert, avait de ses yeux vu la terrible blessure ; l'auteur des miracula affirme que le castrat montrait sa cicatrice à qui le voulait, et la décrit. Une troisième version est incidemment donnée par Hugues de Saint-Victor (1118-1142). Il la tenait d'un moine "de bon témoignage", qui l'avait entendue raconter à son abbé, celui-ci l'ayant apprise de l'aubergiste lui-même, témoin oculaire, lors d'une visite que ledit abbé faisait à une sienne fondation13. Le récit est alors considérablement émondé et l'automutilation réduite au suicide. Attitude normale au demeurant : là où nos deux premiers textes nous racontent un miracle, le théologien Victorin ne voit qu'un exemplum. Peu importe ; il témoigne que l'histoire, vraie ou fausse, était très répandue au début du xiie siècle, et que l'image d'un Saint Jacques réclamant la mutilation avait frappé les esprits.
6Mais quelle apparence présentait alors le Saint ? C'était un "jeune", d'aspect gracieux, mince, et brun de teint14. Dans une autre vision, il avait l'aspect d'un guerrier vêtu de blanc, "avec des armes plus brillantes que le soleil"15. Ce "jeune", l'auteur du Liber Calixtinus l'avait vu, alors qu'il achevait son ouvrage. Il avait rêvé se trouver dans un palais ; un jeune homme d'une ineffable beauté était apparu, admirablement vêtu d'un vêtement royal, portant une couronne de laurier, entouré d'un halo de lumière. Il était entré par la porte de l'Est, s'était assis sur un trône au-dessus du rêveur, puis était aller se coucher. Un assistant commente "voici le fils du roi". Dans un second rêve, beaucoup plus banal, et beaucoup moins décrit, le pseudo-Calixte se sentira obligé de distinguer Saint Jacques proprement dit et l'apparition dès lors implicitement assimilée au Christ16. Un Christ lauré...
7L'apôtre pêcheur de l'Evangile est devenu au xie siècle un héros solaire et guerrier, un "jeune", voyageur. Un ancien évêque grec, devenu humble dévot à Compostelle s'en indignait en vain17. Un changement calendaire souligne cette mutation : Jacques le majeur, frère de Jean et fils de Zébédée était honoré à Jérusalem le jour présumé de sa passion, le 25 juillet. En Galice on a adopté le jour d'une imaginaire translation, le 29 décembre. Jacques se rapproche ainsi de son frère Jean, vénéré le 27 décembre. Mais surtout, il clôt le cycle de Noël, qu'avait ouvert le 27 novembre, à l'avent, son homonyme, Saint Jacques l'Intercis, - le coupé -, incertain martyr perse à qui ses bourreaux, selon la légende, avaient d'abord tranché le pouce, puis les membres18. Le 29 décembre devient en Espagne la fête majeure de Jacques ; ce jour-là le roi, Alphone VI, processionnait, un bâton fleurdelysé à la main, suivi de ses chevaliers et de choeurs de femmes. Ce jour-là aussi, à la cour asturienne, on adoubait les jeunes milites19. Y a-t-il eu création de la fête à la fin du xie siècle, ou simplement reconnaissance, à la ville, de pratiques campagnardes qu'on avait jusque là préféré ignorer ? On comprendrait ainsi pourquoi l'histoire de l'apôtre a reculé devant la légende, une légende dont le caractère païen se laisse sans trop de peine entrevoir.
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8Ces deux thèmes clefs du voyage et de la mutilation, nous allons les retrouver dans le folklore de la partie provençale et septimanienne du chemin de Saint-Jacques, et plus précisément dans l'un des domaines les plus profonds du folklore, celui des chansons pour enfants, connaissance voilée que les anciens, ou les anciennes, transmettaient aux tout-petits lorsqu'ils, ou elles, les gardaient. Il s'agit de l'Arri-arri, ainsi désigné des deux premiers mots qui commencent la chanson. Arri-arri, c'est le vieil équivalent méridional du hue que crie à sa bête le conducteur20. Cette chanson était sans doute la plus commune du midi méditerranéen au XIXe21. On la chantait aux jeunes enfants en les faisant sauter sur la jambe au rythme du cheval22, de l'Ariège et Carcassonne à Arles et à Orange, de la côte à Alès. A travers ses variantes, on distingue nettement deux versions l'une languedocienne, l'autre arlésienne23. Au premier abord, ces chansons paraissent absurdes comme les rêves auxquels elles ressemblent, et les éditeurs de 1880, Messieurs Montel et Lambert, s'en trouvent tout déconcertés : les arri-arri "nous offrent des aventures assez singulières, dont le sens est difficile à établir ou même à saisir ; voici ce qu'on peut en tirer de plus raisonnable... Le reste est plus embrouillé... On voit que tout cela est assez incohérent et qu'il serait difficile d'en tirer un sens bien précis en dehors de faits généraux"24. Ne jetons pas la pierre aux éditeurs ; leur cécité "raisonnable" et leur amour des faits généraux est bien de leur époque, et même encore de la nôtre. Nous sonnes malgré tout mieux préparés aujourd'hui à comprendre ce genre d'"incohérence". Tentons le.
9Après avoir poussé le cri du cavalier, le chanteur fait référence à la période calendaire. Nous sommes à la veille des fêtes de la Noël, et le sel évoque le porc et ses hurlements d'égorgé25. Cette première partie du chant se termine par des allusions aux réjouissances de la fin de l'année, au pain de froment, au vin bu "dans la tasse d'Argenté". Elle n'a d'ailleurs pas posé de problèmes aux commentateurs du xixe siècle. Il en va tout autrement de la deuxième partie où la charge onirique est particulièrement forte "Sire Laurent a sauté dans le jardin, il a trouvé un âne mort, de sa peau il a fait un manteau, de ses os un flûteau, et il s'en est allé tout flûtant, jusqu'aux portes de Saint Jean". Etrange combat ou un vainqueur bondissant se pare des dépouilles écorchées de l'ennemi mort. Comment s'appelle ce vainqueur ? La plupart du temps, c'est Saint Laurent, lui aussi un dévoré26, parfois Saint Jean, ou Petit Jean - Jane-tou -27, Saint Clément, légendaire dompteur de dragon28, ou encore Sauclaires29, ou enfin Cadet (le jeune) et, aveu involontaire, le chanteur lui-même30.
10La peau d'âne n'est pas moins riche de contenu. C'est un motif folklorique bien connu que celui de la transformation d'un être humain en âne31. Une légende du nord du Portugal, non loin donc de Compostelle, contait la métamorphose des "septièmes fils" qui se changeaient en âne la nuit du samedi, où les chiens les poursuivaient32. La chanson nous indique bien l'identité possible de l'animal et de son vainqueur : l'âne c'est aussi Petit Jean, "Petit-Jean le maître, tire la charrette". Petit-Jean, dans certaines variantes, est déclaré né de la femme de Jean des Portes, et elle en meurt33. Comment s'empêcher d'évoquer ici les vieilles cérémonies d'Isis ! On y harcelait un âne, puis l'impétrant, revêtu de la peau de. l'animal sacrifié, en sortait par la magie de la Bonne Déesse. Symbole d'une initiation douloureuse ; l'initié subissait parfois des mutilations allant Jusqu'à la castration34. Le combat de Laurent est donc naissance, ou renaissance, au prix d'un sacrifice.
11La dernière partie du chant (version A) va préciser le sens de ce sacrifice, en expliquant la signification du passage par les portes de Saint Jean. Dans quelques variantes ce sont "les portes de France et d'Aragon", ou "les portes de Saint Jacques" ; le héros y laisse son bourdon35. Nous sommes apparemment sur le chemin de Compostelle. Apparemment seulement ; avec son bourdon, le jeune qui passe les portes abandonne sa balance, et l'image est bien équivoque. Surtout "par ces portes passent boeufs et vaches, et gelines en savates/en attaches, et chapons en éperons", cortège surréaliste. Deux variantes attirent l'attention "les gelines pour attaches (per estacos), les chapons pour éperons (per esperous) "36. Il n'est qu'une seule façon de redonner un sens à ce texte, c'est de rétablir "des poules pour Estaqui (Eustachios, Eustache), des chapons pour Hesperos" ; Bel épi et Celui du soir étant ici les surnoms du dieu toujours sacrifié et toujours renaissant37. Quant aux savates, il suffit de les comparer au cri final - on élève l'enfant en l'air - d'une variante de Bédarieux : Civata ! (avoine) pour y entrevoir une possible invocation à Sebadius, avatar du même dieu38. Les portes de Saint Jean par où passent les animaux du sacrifice sont ici les portes de Janus : "certains prétendent que Janus est le soleil... parce que les deux portes du ciel obéissent à son pouvoir... si on l'invoque le premier lorsqu'on sacrifie à un dieu, c'est pour qu'il ouvre l'accès vers le dieu auquel on offre le sacrifice ; car c'est lui qui par ses portes transmet les prières des suppliants"39. Témoin et interprète du syncrétisme grandiose du bas-empire, Macrobe indique clairement le sens du rite sacrificiel "cet instant dialectique où le sacrifice devient bénéfice, où dans le mot et son expression linguistique se glisse l'espérance de la survie"40.
12Le mystère décrit par la chanson languedocienne se déroule donc en trois temps. Le premier nous fait assister aux fêtes du solstice, à la course des cavaliers, à la mort du porc, aux ripailles, gage de l'abondance à venir ; le deuxième est un combat, celui de Peau d'Ane mort et renaissant ; le troisième chante le voyage de l'âme par les portes du sacrifice, à la fois portes de la mort et portes de la naissance41.
13La version arlésienne, que nous avions jusqu'ici laissé de côté, est assez proche de sa soeur languedocienne, mais c'est une version pessimiste. Après l'appel du cavalier, et le voyage du sel (la "terre" de Berre), vient le combat avec l'âne ; malgré une "machine" achetée par la marraine du chanteur42, il se déroule comme un mauvais rêve où les juifs, l'âne bleu, et le ravin se renvoient impitoyablement le rêveur. Enfin, loin de déboucher sur les portes de Jan, le cauchemar s'achève sur un "passage" plus sinistre, une véritable dévoration : "il y avait une grosse bête, elle m'a mangé toute la tête, il y avait un gros poisson/dragon, il m'a mangé tout le genou". Mais ce rêveur dont un gros poisson dévore un membre, c'était déjà, aux dires de son biographe, Césaire. évêque d'Arles au vie siècle43. Une fois de plus, c'est du bas-empire que viennent les références qui éclairent le texte, et ce n'est point un hasard. Les religions à mystères dominent alors le paganisme. Plus de mille ans après, les arri-arri en portent encore la trace.
14Mais, dira-t-on, ces chansons que chantaient les paysans méridionaux sur le chemin de Saint Jacques, les comprenaient-ils encore ? Il faut s'entendre : il est évident que le sens proprement théologique avait depuis longtemps disparu lorsque les chansons furent recueillies au xixe siècle. Un indice est à cet égard probant : l'introduction dans la chanson d'allusions politiques, ici à une dame Isabeau, assez mal vue, qui pourrait bien être Isabeau de Bavière, peu aimée dans le Midi, ailleurs aux conflits entre les gens de Montpellier et ceux de Marseille et de Pézenas, qui datent probablement du xiiie siècle44. De tels ajouts, de telles variantes, signifient que la chanson a perdu son sens religieux et qu'elle est devenue folklorique. En revanche, les interdictions par les conciles du VIIIe de chansons à la fois païennes et indécentes durant la fête du solstice d'hiver, Januariae ou Brumaliae, pourraient bien viser nos arri-arri45. Januariae et Brumaliae n'étaient-elles pas les fêtes de Janus (Hi-han) et de Dionysos Bromios, "celui qui tonne" ou "celui qui brait" ?46.
15L'apparition, dans certains récits monastiques à la fin du xie siècle, d'un "faux Saint Jacques" castrateur marque sans doute le moment historique où une culture paganisante et paysanne est acceptée au prix, c'est le cas de le dire, de sa propre mutilation. Jacques et Jean, devenus apôtres, pourront avoir leur culte au grand jour, et des processions dans les cités47, mais ils devront renoncer à ce qui était le plus choquant dans leurs vieilles habitudes. Si le refoulé reparait, un nom, Satan, ou le Diable, le nommera et le repoussera à la fois ; lorsque Jacques exige la mutilation de ses dévots, il ne sera plus que fausse et démoniaque apparence, comme seront diableries les chansons et les incantations, les cris, les danses et les invocations. Ils survivront pourtant, en s'altérant, en s'enterrant. Les paysans ne les comprenaient plus ? Voire. Eustachios, Hesperios ou Sebadius pouvaient disparaître, il restait le rythme précipité, le mouvement du cheval, le cri, les équivoques à la fois licencieuses et angoissées. Jean, Jacques, Laurent, d'autres encore, les remplaçaient pour rassurer les "jeunes" angoissés à l'idée de leur possible mutilation ou de leur mort. A travers leurs avatars historiques les "êtres éternels du rêve" étaient encore présents48. Ce fut peut-être le rôle du Diable que de détruire cette ambivalence du bien et du mal qui leur était propre et d'entamer ainsi l'évolution qui allait conduire à leur complète négation. Etonnant triomphe d'une raison finalement bien étroite : Les tout-petits ont à présent des couches plastiques, des crèches (parfois), des parents éclairés, et même, très tôt, la télévision ; mais leurs terreurs, qui les berce aujourd'hui ? L'histoire du diable médiéval d'abord dangereux et mal discernable, plus tard ridicule et portraituré, n'est-elle pas avant tout cela : le lent et progressif refoulement d'une culture paysanne, un jour admise pour être mieux niée ?
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LES ARRI-ARRI
16Version A - 14 exemples et 5 fragments répartis comme suit - Ariège : Balesta 15, 18 bis, p. 180 - Aude : Carcassonne 5, 17, 66 - Hérault : Azillanet 13, 28, 67, Bédarieux 16 bis, p. 176, Montpellier 20, Nissergues 19, Saint-Pons 16 - Aveyron : Milhau 21 - Gard : Alès 68, Beaucaire 69, Le Vigan 27, Nîmes 64, Saint-Maurice de Cazevieille 24 - Catalogne : des traces, p. 268 n° 9 et 10.
17Version B - 6 exemples répartis comme suit - Bouches-du-Rhône : Arles 22, 23, 23 bis, p. 189, Maillane 26 -Vaucluse : Orange 25 - Gard : Alès 29.
18Version écourtée (réduite à l‘arri-arri, à la mention du cheval, du voyage et parfois du sel) - 14 exemples, dans l'Hérault, le Gard, l'Ardèche, la Lozère, les Bouches-du-Rhône, le Vaucluse, le Roussillon et la Catalogne, 1, 2, 3, 6, 7, 8, 9, 11, 33, 34, 35, 67 et p. 265 1 à 4.
19Version "des enfants de Montpellier", à Montpellier, Carcassonne, Alès, Saint-André de Lancize (Lozère), Beaucaire et Arles, 4, 60, 61, 62, 63, 68, 69.
Version A
20Arri, arri, de la sau
Que deman sara Nadau
E beurem de bon binet
Dins la tasso d'Argentet.
21Sant Laurent sautet en l'ort
I troubet un ase mort
De la pel ne fai mantel
Et das osses un caramel.
22S'en vai tout caramelan
A las portas de Sant Jan
Aici passa bious et bacos
Et galinas en sabatos, et capous en esperous.
23Ai tres ious manjenne dous.
24Hue, hue, du sel49
Car demain sera Noël
Et nous boirons du bon vin
Dans la tasse d'Argentin50.
25Saint Laurent51 saute au jardin
Il y trouve un âne mort52
De la peau fait un manteau
Et des os53 fait un flûteau.
26Et il s'en va tout flûtant
Jusqu'aux portes de Saint Jean54
Ici passent boeufs et vaches
Et gelines en savates, et chapons en éperons55.
27J'ai trois oeufs, mangeons-en deux56
Version B
28Arri, arri, moun chivau
Per deman ana en Crau
En Crau a Berro
Cargarem de terro.
29Ma mairino m'a acheta
Une machino de cinq sous
Per combatre lou jusiou.
30Lou jusiou m'a combatu
M'a jeta sur l'ase blu
L'ase blu a reguigna
M'a jeta dins lou valat.
31Ounte i'avie un gros peissoun
M'a rousiga moun geinoun.
32Hue, hue, mon cheval
Pour demain aller en Crau
En Crau à Berre
Nous chargerons de la terre57.
33Ma marraine58 m'a acheté
Une machine59 de cinq sous
Pour combattre le juif60.
34Le juif m'a combattu
M'a jeté sur l'âne bleu
L'âne bleu a regimbé
M'a jeté dans le fossé61.
Notes de bas de page
1 L'apostolat espagnol du saint est connu dès le viie siècle. Il est considéré comme "patron spécial" des rois d'Oviedo dès la fin du Ville siècle. Au ixe siècle, les clercs lyonnais, qui ont de bonnes relations avec l'Espagne, considèrent que ses os y reposent ; à cette époque on "découvre" son tombeau à Compostelle. L. VASQUEZ de PARGA, J.M. LACARRA, J. URIA-RIU, Las peregrinaciones a Santiago de Compostela, Madrid 1948-1949. Pour replacer le chemin de Saint-Jacques dans l'ambiance générale des pélerinages médiévaux, P.A. SIGAL, Les marcheurs de Dieu, Ligugé 1974.
2 M. DEFOURNEAUX, Les Français en Espagne aux xie et xiie siècles, Paris 1949.
3 H.E.J. COWDREY, The cluniacs and the gregorian reform, Oxford 1970. Le chapitre II de la 4ème partie traite des clunisiens en Espagne.
4 Comparer les cap. XIX et XXX de l'Historia Karoli Magni et Rotholandi, édit. C. MEREDITH-JONES, Paris 1936, p. 169 et 216.
5 "Car l'an mil est bien, de nouveau, le temps des moines... mieux adaptés aux cadres tout ruraux de la vie matérielle, mieux disposés à répondre aux exigences de la piété laïque, parce que (les monastères) abritaient des reliques, parce que des nécropoles les entouraient, parce que l'on y priait tout au long du jour pour les vivants et pour les morts...". G. DUBY, L'an mil, Paris 1967, p. 23. A l'inverse Pierre Riché montre qu'une culture proprement antique, et donc paganisante, s'est conservée en Gaule jusqu'au milieu du viie siècle, en Italie et en Espagne jusqu'au début du viiie siècle, P. RICHE, Education et culture dans l'occident barbare. Paris 1962 p. 548. Aux deux époques les moines joueront un rôle novateur, encore que presque inverse.
6 J. LE GOFF, Culture cléricale et traditions folkloriques dans la civilisation mérovingienne, in Pour un autre Moyen-Age, Paris, 1977, p. 223.
7 Pour la Provence les développements toujours intéressants de G. de MANTEYER, Les légendes saintes de Provence et le martyrologe d'Arles-Toulon vers 1120, Mélanges d'archéologie et d'histoire de l'école française de Rome, 1897 p. 467.
8 H. DELEHAYE, Les légendes grecques des saints militaires, est assez réticent sur le passé païen de ce type de saint. Leur prestige chez les jeunes des familiae est en tout cas hors de doute, cf. pour Demetrius, Georges, Eustache et Sébastien dans la familia d'Hugues de Chester, G. DUBY, Les jeunes dans la société aristocratique... In Hommes et structures du Moyen Age, Paris 1973, p. 222. Sur la translation de Saint Nicolas à Bari dès 1087, L. BREHIER, La civilisation byzantine, Paris 1950, p. 230.
9 GUIBERT de NOGENT, Histoire de sa vie, III, 19, édit. G. BOURGIN, Paris 1907, p. 219. Guibert a rencontré des clunisiens dans l'entourage du pape, lors de son voyage à Langres en 1107, ibidem p. XIII.
10 J. RICHARD, Les ducs de Bourgogne et la formation du duché, Paris 1959, p. 18 et 43, BERNARD et BRUEL, Recueil de3 chartes de l'abbaye de Cluny, n° 3346 et 3347, qui donnent l'acte de fondation du prieuré de Marcigny par les trois frères vers 1054.
11 Les miracula du Liber Calixtinus sont édités par les Bollandistes, AA. SS. juillet VII (33). On trouve celui qui nous intéresse, le cap. V, p. 54.
12 Ce serait un nommé Aimery Picaud, poitevin venu à Vézelay avec d'autres, sous l'abbatiat de Pons de Monboissier, frère de Pierre le Vénérable abbé de Cluny. Nous adoptons le point de vue d'A. de MANDACH, La geste de Charlemagne et de Roland, Genève et Paris, 1961, P. 121, cf. un peu différemment P. LE GENTIL. La chanson de Roland. Paris 1967, p. 48.
13 Le passage se trouve dans les Libri II de sacramentis, d'Hugues de Saint-Victor, pars XVI, cap. 2, de morientibusseu de fine hominis. On se rappelle qu'Hugues de Semur avait fondé Marcigny et que la version de Guibert paraît indiquer que les événements se seraient passés en ce lieu, ou aux environs.
14 C'était ainsi que le vit le suicidé, dans la version des miracula.
15 Vision d'un ancien évêque grec, Miracula cap. VI, Bollandistes AA. SS. juillet VII (33), p. 56.
16 C. MEREDITH-JONES, Historia Karoli Magni et Rotholandi. Paris 1936, p. 344.
17 Cf. note 15.
18 H. DELEHAYE, Martyrologium romanum, Bruxelles 1940, p. 548.
19 A. de MANDACH, La geste de Charlemagne et de Roland, Paris 1961, p. 46.
20 Cf. le texte de Claudien, De Mullabus gallicia, cité, traduit et commenté par Montel et Lambert op. cit. p. 272.
21 Montel et Lambert ont recueilli une quarantaine de variantes, cf. supra.
22 Le rythme précipité de la chanson et sa mélodie insistante sont assez suggestifs à cet égard.
23 Cf. pièce jointe, A et B.
24 MONTEL et LAMBERT, op. cit. p. 146 à 148.
25 C'est notamment l'explication donnée par une version catalane, MONTEL et LAMBERT, op. cit. p. 268. Notons aussi l'idée d'accouchement malheureux à la fin de la deuxième partie, cf. infra A note 6.
26 BOLLANDISTES, AA. SS. août II (36) p. 485. Il faut remarquer l'assonance de Laurent avec Lauret, le lauré, qui est aussi le surnom coutumier d'un des deux boeufs de l'attelage, non le blanc, mais le roux (X. de FOURVIERES, Lou pichot tresor, Avignon 1973 p. 469). On connaît par MACROBE (Saturnales, I, 18, 5, édit. H. BORNECQUE, Paris 1953, p. 195) l'invocation traditionnelle, "Bacchus seigneur, ami du laurier", ou encore l'emploi du laurier-fée qui permet d'avoir des visions à l'époque de l'Epiphanie. Sur le laurier magique, cf. S. THOMPSON, op. cit. D. 950.17, D. 965.9, D. 1 470.1.3 et D. 215.1. On notera la variante en Laurent, sire Laurent, infra A note 3.
27 N° 27 et 66.
28 N° 21. Sur le dragon, on consultera les pages suggestives de Jacques Le Goff (Culture ecclésiastique et culture folklorique au Moyen-Age : Saint Marcel de Paris et le dragon, in Pour un autre Moyen-Age, Paris 1977, p. 236).
29 N° 20. On pourrait traduire Sel Clair. Mais on songe aussi aux assonances Sou Clair, Saint Clair, et éventuellement Soleil Clair.
30 Catet, n° 67 et le chanteur, n° 68.
31 S. THOMPSON, Motif-index of folk literature, Copenhagen 1958, D. 132.1, D. 535, D. 693 ; J. 1 169.4 (Espagne et Italie) évoque le cas d'un âne sacrifié (décapité) à la place d'un homme. L'un des miracles de Saint Jacques nous montre un ange qui se transforme en âne. BOLLANDISTES, AA.SS. juillet VII (33), cap. 2 p. 50.
32 M. BLOCH, Les rois thaumaturges, Paris 1961, p. 293. On pourrait tout aussi bien considérer que les "septièmes fils" redeviennent hommes le premier jour de la semaine, c'est-à-dire le dimanche.
33 Cf. infra A note 6.
34 E. HARDING, Les mystères de la femme, Paris 1953, p. 189 et suivantes. On se rappelle aussi l'étonnant Ane d'or d'Apulée, où le héros est changé en âne pour avoir surpris une sorcière à l'envol et avoir tenté de l'imiter. On y trouve également une curieuse scène d'égorgement magique dans une auberge.
35 Cf. infra A note 6. Un fragment catalan évoque le San Camin, p. 268.
36 Cf. infra A note 7.
37 Sur les Acta fabulosa d'Eustathe/Eustache, BOLLANDISTES AA.SS. Septembre VI (46) p. 123. Eustache, général, a remporté une grande victoire sur l'Hydaspe (aujourd'hui le Jhelam), exactement comme Dionysos (NONNOS de PANOPOLIS, chap. 22-24, édit. P. VIAN, Paris 1976, I p. XXIV). D'une manière générale, le remplacement de plusieurs Eustathes (le stable) par des Eustaches (Bel épi) est intéressant. Hesperos était employé par Sophocle pour désigner Hadès. Il indique le soleil couchant.
38 Cf. infra A note 8. Sur Sebadius/Sabazios, cf. MACROBE, Saturnales I. 18, 11, op. cit. p. 197.
39 MACROBE, Saturnales I, 9, 9, op. cit. p. 77
40 G. DURAND, Les structures anthropologiques de l'imaginaire, Paris 1969, p. 351 et 355, qui note les deux sens de mactare, combler et tuer.
41 Une variante, infra A note 6, les appelle aussi les portes d'en la, d'au-delà.
42 La personnalité de cette marraine est éclairée par une variante, infra A note 6, où elle est la mère de Petit-Jean, et par une comptine qui chante la lune nouvelle "qui est ta marraine ? - Sainte Catherine ; qui est ton parrain ? - l'âne du moulin". (MONTEL et LAMBERT, op. cit. p. 367). L'alternance, dans les variantes, de matines et de bottines, cf. infra B note 3, évoque le provençal mastin, gros enfant, et boti. lourdaud. Dans la version A aussi, la marraine a dû faire un enfant.
43 Vita S. Cesarii I, 9, édit. G. MORIN, S. Cesarii opera omnia, Maredsous 1942, II p. 299.
44 Isabeau : n° 7 et 8. Ceux de Montpellier : cf. infra, les Arri-arri et la note de MONTEL et LAMBERT p. 244.
45 On connaît l'échange de lettres entre Saint Boniface et le pape Zaccharie en 742, qui vise des "rondes à la façon des païens... des acclamations à la façon des gentils... des chansons sacrilèges... des festins" qui se faisaient à Rome aux calendes de janvier, MGH., Epistolae III n° 50 et 51, p. 301 et 304. Un capitulaire italien de 786 interdit les brumaticae, MGH., Leges I p. 51. On sait que les brumalia ont persisté très tard à Byzance, cf. CRAWFORD, De bruma et brumalibus, in Byz. Zeitschrift, 1920 p. 365.
46 On a remarqué depuis longtemps que Iakkhos était l'un des noms de Dionysos/Bacchus. Les études ethnographiques ont montré la permanence jusque dans les sociétés paysannes contemporaines du nord-ouest de la péninsule Ibérique des pratiques païennes déjà dénoncées au vie siècle par Martin de Braga, J. LE GOFF, Le paysan et le monde rural dans la littérature du Haut Moyen-Age, in Pour un autre Moyen-Age, p. 138.
47 Il serait intéressant d'examiner sous ce jour les fêtes de l'âne telles qu'on les connaît dans des cités comme Rouen, Beauvais, ou Cambrai au xive siècle.
48 "Il semble que dans le rêve réside l'une des sources les plus importantes de la culture humaine. Nous pouvons dire que la gigantesque structure imaginaire que nous avons édifiée au cours des siècles prend effectivement naissance dans nos rêves, ou plus précisément quand un être humain éprouve le besoin de raconter son rêve à un autre". G. ROHEIM, Les portes du rêve (1952), trad. M. MANIN et F. VERNE, Paris 1973, p. 125. "Les êtres éternels du rêve" est une expression empruntée par ROHEIM aux aborigènes d'Australie, ibidem p. 115.
49 Var. 6 mon cheval ; 1, 2, 3, 4, petit cheval.
50 21 Argentet. Var. 5 et 66 de Petit-Jean (Janet) ; 19 de Laurent (Lauret ?). Aj. 15 et 18, vieille, vieille donne-m'en ; 18 nous ferons passer Laurent ; 18 bis p. 180 Ainsi ferons pour Saint Laurent.
51 Var. Laurent ; Sire Laurent ; 27 Saint Jean ; 66 Petit-Jean ; 21 Saint Clément ; 20 Sauclaires ; 67 Catet ; 68 le chanteur.
52 Aj. 15 et 18 bis p. 180 il tire son couteau, et lui plante dans la peau.
53 Var. 24 de la tête ; 27 de la queue.
54 Var. 27 de Laurent (qui intervertit complètement Jean et Laurent) ; 15 de Saint Jacques au-delà ; 28 et 67 de France. Aj. 5 et 17, A la porte de France, laisse sa balance, A la porte d'Aragon, laisse son bourdon. 16, 19, 24, 64 et 66 Saint Jean, ouvre-moi. 24 et 64 je n'en ferai rien car ma femme a fait l'enfant qui s'appelle Petit-Jean, Petit-Jean le maître, tire la charrette ; 68 car ma femme est morte, vais barrer la porte.
55 Var. 8 et 16, savates et savateux ; 20 pour étables, ou pour les stables ; 27 pour attaches... pour éperons.
56 Seulement dans 20 et 27. Var. 16 et 19, Ote-toi de là, que tu es merdeux ; 18 Va-t-en au diable, cul merdeux ; 18 bis p. 180 Va-t-en arrière, Français merdeux ; 67 Bourricots au cul foireux. 28 Hue, hue tous les deux (Arri arri toutes dous) ; 16 bis p. 176 civata ! (avoine) répété trois fois.
57 Seulement dans 22 et 23.
58 Var. 25 ma cousine Jacqueline ; 26 ma marraine
Papeline ; 29 mon père avec ma marraine.
59 Var. 22 des matines ; 23 des bottines.
60 Var. 23 bis p. 189 et 29, l'Espagnol.
61 Lou valat : le fossé, le ravin, le ruisseau.
Lou grand valat : la mer.
62 Var. 23 dragon.
63 Aj. 22 et 23 il y avait une grosse bête, m'a mangé toute la tête ; 22 il y avait une grosse geline, m'a mangé toute l'échine ; 23 bis p. 189, il y avait quatre agnelets, m'ont mangé les petits orteils ; 25 je lui ai jeté une pierre blanche, qui lui a crevé la panse ; 29 le valat s'est trouvé plein, a fait crever mon petit sac.
Auteur
Université de Lyon II
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