Mentions et représentation du diable dans le littérature française épique et romanesque du ΧIIIe et du début du XIIIe siècle : quelques jalons pour une étude évolutive
p. 37-69
Texte intégral
1A partir de l'examen des emplois de quelques termes désignant le diable en ancien français, nous nous proposons d'étudier les variations et l'évolution du motif qu'ils recouvrent. Nous limiterons notre étude à quelques œuvres de la littérature épique et romanesque du xiie et du début du xiiie siècle.
2Une première constatation sera de type plutôt négatif : dans la littérature française antérieure aux premières chansons de geste, littérature, pourtant, hagiographique, le diable ne joue aucun rôle thématique. Même la littérature latine ne semble guère cultiver ce motif, mis à part les chroniqueurs, relatant miracles et prodiges, tels que Raoul Glaber1. En revanche, dans le théâtre latin antérieur au xiie siècle, on voit apparaître non pas le diable, mais l'antéchrist ; à ce motif se joint souvent celui de l'enfer et du diable, sans toutefois la moindre implication idéologique ou théologique et sans conséquence sur la structure de l'œuvre ; c'est le cas d'une cérémonie de consécration d'église à Metz2 où l'épisode de l'expulsion du diable ressemble à une pièce de théâtre. Ce n'est qu'au xiie siècle que le théâtre semble exploiter quelque peu le motif du diable ; il en est ainsi dans l'Ordo virtutum d'Hildegarde de Bingen et, d'une façon beaucoup plus recherchée, dans la pièce française le Jeu d'Adam.
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3Ce qui frappe dans les Chansons de geste de la première moitié du xiie siècle, c'est la rareté des allusions concernant le diable. Même là où il apparaît, sa valeur thématique est faible. L'ambiance de violence qui règne dans la plupart des chansons, ne favorise guère la réflexion sur le bien et le mal ; en revanche, le diable est quelquefois un élément fantastique dans les descriptions.
4La nature de la chanson n'est toutefois pas la seule explication de la faiblesse du thème en question. Si quelques-unes des chansons se rapportent à des événements historiques du xie siècle, beaucoup d'entre elles concernent des faits légendaires relevant d'époques antérieures. Or ce n'est qu'au xie siècle3 que le christianisme devient vraiment manichééen. "Combat permanent entre les forces du bien et celles du mal. A l'époque, nul n'imagine que le bien triomphe totalement à la fin des temps ; ce que promet l'écriture, c'est un partage ; à la gauche du Juge s'ouvre, béant pour l'éternité, le gouffre du mal. La toute-puissance de Dieu bute ainsi contre un adversaire qui lui résiste, Satan, le Démon, l'Ennemi"4. La croyance au diable et la peur du diable feront désormais partie de la pensée et de la sensibilité médiévales. Si les premières chansons de geste sont encore discrètes sur ce thème, c'est qu'elles sont peut-être en retard sur l'idéologie ; ce décalage entre les idées et leurs représentations artistiques se remarquent souvent ailleurs. Toutefois, les termes qui désignent le diable et des notions annexes sont loin d'en être absentes.
5Dans la Chanson de Roland5, diable est employé quatre fois, avec des nuances différentes selon le contexte. D'une façon générale, le terme désigne un des acolytes du démon, sous la forme d'un être intermédiaire entre le monde des hommes et le monde de l'enfer, et s'inscrit ainsi dans le merveilleux qui joue un rôle important dans la Chanson, merveilleux païen qui côtoie le merveilleux chrétien. L'intervention du diable constitue une explication de l'inexplicable, du féérique, en l'occurrence de la richesse étonnante de l'ornementation d'un écu porté par un païen6. Du merveilleux, le terme peut glisser dans le domaine du fantastique le plus suggestif : le poète nous introduit dans un paysage lunaire, que seuls les diables peuvent habiter, et dont le caractère mystérieux est rehaussé par l'incertitude de l'affirmation (Dient alquanz) concernant le pays de Chernuble de Munigre :
979 Icelo tere, ço dit, dun il esteit,
soleill n'i luist ne blet n'i poet pas creistre,
pluie n'i chet, rusee n'i adeiset,
piere n'i ad que tute ne seit neire :
dient alquanz que diables i meignent.
6Chernuble représente le mal : son épée affrontera Durandal (v.988). C'est d'ailleurs avec un art consommé que le poète amène progressivement le motif du diable : absence de soleil, absence de vie (blet, pluie, rusee), enfin les pierres noires, tout cela annonce le mal, la destruction, qui est l'apanage des diables.
7Puis, nous rencontrons un emploi du motif qui connaîtra toute son importance et toute sa richesse, beaucoup plus tard, au début du xiiie siècle, dans la Queste del saint Graal et dans, le Merlin de Robert de Boron. L'habileté du poète consiste à faire du diable et de ses acolytes des ravisseurs d'âmes, mais dans des conditions très particulières : ils se présentent dès le moindre signe de désespoir, souvent à l'appel des hommes7. Il en est ainsi de Marsile à qui l'on vient d'annoncer la défaite de son armée :
83646 Morz est doel, si cum pecchet l'encumbret.
9L'anme de lui as vifs diables dunet. L'expression vifs diables reviendra souvent dans nos textes, vifs étant une sorte d'intensif et conférant à l'expression une valeur superlative.
10Si l'expression se présente ailleurs dans la Chanson de Roland même, ce n'est toutefois plus avec la même valeur, puisque, cette fois, diable est pris dans un sens métaphorique et désigne bel et bien un homme, à savoir Ganelon, et c'est Roland qui parle, après que Ganelon l'a fait désigner pour prendre la tête de l'arrière-garde8 : on mesure toute la charge affective que comporte un tel emploi métaphorique.
11L'examen des emplois de diable nous permet d'abord de constater que la Chanson de Roland ne présente aucun emploi formulaire. Nous verrions volontiers dans ce fait la preuve que le motif lui-même est relativement récent dans la littérature vernaculaire ; cette affirmation serait en accord avec le point de vue chronologique des historiens évoqué plus haut ; aussi le terme garde-t-il sa valeur pleine. Ensuite, dès cette première chanson de geste, se manifeste, dans la thématique du diable, une dominante qui reviendra, dans la littérature, avec plus de force, au xiiie siècle et qui repose sur l'idée que le monde des hommes n'est pas clos et qu'il communique avec celui des diables. Toutefois, cette conception du mal n'a rien de métaphysique, dans la mesure où elle est dominée par la lutte pour le pouvoir qui n'est pas seulement d'ordre spirituel9, mais qui interfère avec les affaires temporelles des hommes10. Enfin, le fantastique n'est pas absent, et c'est à ce niveau que diable, une seule fois, se trouve concurrencé par aversier11.
12Alors que12, dans la Chanson de Roland, l'ingérence des diables dans les affaires des hommes se faisait d'une manière pacifique, elle prend un caractère inquiétant dans le Couronnement de Louis13. Pour la première fois, dans nos textes est évoquée la tentation de Jésus par le diable ; c'est pour la première fois, aussi, qu'il est fait allusion, à propos du diable, aux Ecritures Saintes (Luc, 4, 1 - 13) :
(Guillaume, dans sa prière, s'adressant au Christ)
738 Et si alas el desert jeüner
Quarante jorz acompliz et passez ;
Et al diable vos laissastes porter.
13Par ailleurs, pour la première fois, le terme diable est utilisé dans un contexte marqué par l'impatience :
(Guillaume chasse le clergé du moustier où Louis est retenu prisonnier)
1773 Fors del mostier les traīnent et chacent,
Ses comanderent a quatre vinz deables.
14Quant à aversier, il s'écarte légèrement du champ de signification de diable dans la mesure où aversier, employé métaphysiquement, est lié à la notion de "monstruosité" :
(A propos de Corsolt)
562 Oie, bels sire, a celer ne vos quier,
Ce n'est pas om, ainz est uns aversiers.
15Dans la Chanson de Guillaume14,l'expression des notions relevant du "diable" est plus importante numériquement et plus diversifiée. Une évolution très nette s'y manifeste. En effet, à l'impatience constatée dans un emploi formulaire de diable dans le Couronnement15 s'ajoutent le découragement, l'étonnement, la surprise :
(C'est Rainouart qui parle)
2996 Vit le soleil mult haltement levé :
"Qu'est ço, diable. ferum ja mais el
Que Sarrazins ocire et afronter ? "
Bien i at mais treis itantz. i pert.
Ou encore (L'émir Balan a Rainouart)
3249 Comment diable es tu donc crestïens… ?16
16Tout comme l'emploi formulaire, l'emploi métaphorique prend de plus en plus d'importance. Mais à la différence de ce que nous avions constaté dans la Chanson de Roland17, où, en fonction d'apostrophe, il était proche de l'injure, ici on est en présence d'une sorte d'objectivation à laquelle s'ajoute le fantastique :
(A propos de l'émir Balan)
3240 Vei la bataille unques itel ne fu !
Uns vis diables ad un flaël de fust
Dunt nus ocist, tuz desfait e destruist.
17Même quand diable n'est pas précédé d'un déterminant, il peut désigner un personnage précis18.
18L'originalité de la Chanson de Guillaume nous semble résider dans la fréquence croissante des emplois formulaires et des emplois métaphoriques qui sont orientés vers l'hyperbole plaisante ou franchement comique ; c'est que la Chanson de Guillaume n'est plus empreinte du caractère tragique des situations comme l'était la Chanson de Roland. C'est ici que diable est fortement concurrencé par malfé19. Sur trois emplois, deux désignent un homme20 ou des hommes d'une force diabolique21. Dans un de ces cas, Malfé s'oppose à Deus22. C'est d'ailleurs le seul exemple, assez figé, de termes désignant le diable qui ait une résonance quelque peu religieuse. Cette absence de référence religieuse nous paraît être un des traits vers lesquels s'oriente la chanson de geste française23.
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19Pour l'intervalle qui sépare les premières chansons de geste de la première moitié du xiie siècle et des romans de Chrétiens de Troyes nous avons choisi deux textes qui, tout en relevant l'un du genre hagiographique, l'autre de la chronique, ont beaucoup de points communs avec la littérature épique : le Voyage de saint Brendan par Benedeit l'Apostoile24 et la Chronique des ducs de Normandie par Benoît de Saint-Maure25.
20Dans le Voyage de saint Brendan, le diable et ses acolytes se font plus menaçants, sans que, pour autant, les références théologiques soient particulièrement précises.
21C'est la première fois que diable, aux côtés de Sathan, est intégré dans le thème de la séduction fatale à l'homme : dans l'épisode du gobelet volé, l'apparition de Satan (ensuite désigné par diable) et la tentation du moine sont habilement présentées de façon à faire sentir la progression et les étapes de la rouerie du diable26. Chaque geste est précis, tout est calculé : cette précision et ce calcul sont le reflet du grand art de la séduction qui est le propre du diable. Non moins significative est l'image de l'abbé qui veille toujours sur ses moines ; en tant que représentant de Dieu, il s'oppose au diable ; la lumière du Saint-Esprit le dispense de recourir au cierge.
22Une telle séduction n'est possible que parce que les diables s'affairent sans cesse autour des hommes et ne se lassent de les guetter, prêts à les tourmenter dans ce monde et dans l'autre. Il en est ainsi quand saint Brendan apprend de Judas ce qu'il endure :
1483 Brandan estait iloec la nuit
N'i ad malfez qui mult n'annuit.
Deiables sunt del altre part.
23Malfé et diable s'écartent sensiblement l'un de l'autre. Les premiers sont plutôt de mauvais esprits, les seconds les véritables acolytes du diable. La preuve en est fournie par le fait que les deiables, être infernaux, ne supportent pas la lumière du jour et sont déjà "de l'autre côté c'est-à-dire commencent à s'éloigner :
1486 Ainz que seit jorz mult lur est tart ;
A grant peine, a voiz truble,
Dīent que avrat peine duble.
24Leur pouvoir faiblit déjà. L'affaiblissement des forces du mal est le signe du triomphe de- Dieu, de la Lumière, qui se manifeste dans l'assurance de l'abbé27 :
1489 Respunt l'abes : "Ne avrat turment
Plus que ad oüd par jugement."
E puis qu'il fud cler ajurnét,
Od tut Judas s'en sunt turnét.
25Le mouvement incessant des diables figure dans deux autres passages28 ; dans l'un d'eux, c'est l'habileté et la perfidie des démons qui se trouvent évoquées29. L'emploi de malfé est plus dense que celui de diable. Alors que les diable semblent destinés à faire souffrir les corps des vivants et, dans le cadre de la représentation anthropomorphique de l'âme, ceux des morts, les malfé infligent aux âmes des souffrances morales. Le moine qui, aux abords de l'enfer, a sauté du bateau et dont l'âme se trouve aux mains des malfez s'adresse ainsi à ses compagnons :
1203 Seignur, de vus or sui preiez,
Pur mes pecchez, bien le creez."
E li abes le veit traire
A cent malfez chil funt braire.
26Les références physiques ont presque disparu30 ; d'ailleurs, saint Brendan est seul à apercevoir le moine. La damnation évoquée pour la première fois dans la thématique du diable et présentée dans une ambiance apocalyptique31, implique la détresse de l'âme32.
27C'est dans la description de la forge de l'enfer33 que fed et malfé désignent un démon qui s'acharne tout particulièrement à faire souffrir les hommes dans une représentation hautement fantastique des détails contrastant avec le comique de l'échec34 : la présentation pittoresque du fed au mail ("maillet"), la lame qui chauffe, et qui, lancée à travers les airs, s'embrase de plus en plus, le but manqué ; c'est la Providence qui a veillé sur les moines et qui a déjoué la perfidie du pliable.
28Le Voyage de Saint Brendan est certainement le texte qui, jusqu'ici, ait, de la manière la plus nette, opposé le monde des diables à celui de Dieu, les hommes étant l'enjeu de cette lutte sourde, présentée, la première fois, dans un cadre franchement fantastique35.
29Dans la Chronique des ducs de Normandie de Benoît de Sainte-Maure, contemporain de Chrétien de Troyes, qui, à bien des égards, est une sorte d'épopée et qui comporte des récits dépassant largement la technique de la chronique médiévale, deux dominantes se manifestent dans l'emploi des termes désignants le diable et dans leur incidence thématique : l'expansion d'aversier désignant la monstruosité et, surtout, sous la forme de diable ou d'aversier, l'image de plus en plus précise, hallucinante dé l'homme assailli par le diable, mais responsable de la situation.
30Aversier, affecté d'une valeur métaphorique, évoque, avec une plus grande précision et une plus grande densité que dans le Couronnement de Louis, le monstre qui peut être un homme ou un animal. Deux fois, aversier désigne un dragon36. Plus souvent, il se rapporte à un être humain. Une fois, aversier désigne une femme37. La monstruosité se teinte alors de connotations morales ; celles-ci, à leur tour, peuvent se rattacher à des notions féodales :
11085 Oiez une ovre, un encombrer
Qu'esmut au duc um averser,
Uns desleiez : Rious ot non,
Parjur et pleins de traïson
E pleins de tote felonnie.
31La monstruosité peut également se situer au niveau de la force dépassant la commune mesure ; aversier, ainsi, d'ailleurs, que diable, désignent les guerriers irréductibles que sont les Normands38. C'est la première fois que les deux termes se côtoient avec la même valeur. Cette redondance synonymique s'explique par le caractère positif et, en un sens, laudatif de la monstruosité.
32Quant à diable, sa valeur thématique s'affermit et s'enrichit. Au fur et à mesure que l'on avance dans le xiie siècle, on constate que le motif de l'emprise du diable sur les hommes devient plus contraignante et que sa représentation littéraire s'accompagne de références théologiques ou féodales. C'est ainsi que le diable se présente à nous comme le tenancier d'un fief : non seulement le diable est dans le monde, mais il en possède une partie, et les termes utilisés appartiennent au vocabulaire des relations féodales39. Bien plus, le diable est dans l'homme et s'est emparé de son cœur : le diable cherche à décourager les hommes et à leur faire perdre la confiance en Dieu en les tourmentant et en les accablant de malheurs40. L'homme est responsable de la situation ; souvent il recherche la familiarité ou l'aide du diable ; ce sont plus particulièrement les païens, donc des hommes non baptisés, qui sont le siège du diable, Rollon a pour charge de les en éloigner41. Cette responsabilité est encore plus lourde dans le cas où une femme a accueilli le diable ; c'est l'épisode de Thibaut de Chartres cherchant à nuire au duc qui nous en fournit un exemple :
22581 Sa mere orrible et fause e vaine,
Gisberge, de deiable plaine,
Esteit la ov lui sojornanz,
Deu enemi' e soduianz.
33La nature des qualificatifs négatifs met en lumière cette responsabilité. Ces hommes et ces femmes sont dans la situation d'avant la Rédemption ; jusqu'alors, les hommes étaient prisonniers du diable. C'est ce qu'explique Richard en parlant, devant les chefs, de la naissance de Jésus. C'est la première fois que nous rencontrons l'association de la Rédemption avec le motif de la délivrance des hommes prisonniers du diable :
26222 Et de ce devez estre apris,
Mortaus, qu'isieu creient li sage,
Por delivrer l'umain lignage
Qu'il aveit fait a sa senblance
Od le voleir de sa puissance,
Que par son saint glorios non
Et par sa miseration
Traissist des dolors infernaus
26230 Dum deiables ert principaus,
Cil qui d'Adan erent nascu
E por le suen forfait perdu,
E d'iceu lieu laiz e estrange
Conduire es ceus, la dum li ange
Chaîrent par lor arrogance.
34Ayant parlé de la paix, Richard s'engage dans un débat sur l'ordre de l'univers : deiables est encadré d'un côté par un vocabulaire relevant de la miséricorde divine, de l'autre par des termes qui appartiennent à la damnation d'Adam et de sa descendance ; alors que les vers qui précèdent deiables évoquent la splendeur et la générosité du Christ, ceux qui suivent concernent le caractère abject de la désobéissance d'Adam et des anges déchus, au nombre desquels il faut ranger le diable lui-même. Cette disposition textuelle suggère l'harmonie du monde telle qu'elle sera explicitée plus tard dans le roman en prose.
35La Chronique de Benoît de Sainte-Maure est la première œuvre à présenter, avec autant d'insistance, l'imbrication du diable dans le contexte moral et psychologique de l'homme et à mettre l'accent sur la responsabilité de l'homme dont le sort, sans la Rédemption, serait entièrement entre les mains du diable.
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36Alors que la thématique du diable ne cesse de progresser et de s'enrichir en densité idéologique tout au long du xiie siècle, l'œuvre de Chrétien de Troyes constitue une sorte d'arrêt dans l'évolution.
37Les termes désignant le diable sont rares dans l'ensemble. Dans Perceval, qui est l'œuvre la plus longue42 de Chrétien de Troyes, on ne trouve que huit emplois de diable, aversier et maufé n'y apparaissent pas43. Dans Philomena. son œuvre la plus courte, on relève six occurrences de diable44 et deux emplois de maufé, aversier étant ignoré. Mais la mention du diable n'a guère d'influence sur la structure des épisodes ou de l'œuvre, en ce sens qu'en général il s'agit d'emplois figés ou formulaires destinés à exprimer simplement la surprise, tout comme merveille pouvait n'évoquer que l'étonnement45 Si, dans Philomena, le motif de la tentation et celui du diable jouent un certain rôle dans l'analyse du caractère de Térée, il n'en est pas moins vrai qu'il se présente sous une forme plutôt stéréotypée46. Toutefois, le motif de la responsabilité de l'homme concernant l'ingérence du diable dans les affaires de ce monde apparaît dans Perceval, quand Gauvain s'entretient avec Grinomalant de la male pucelle47 dont il dit qu'elle est plainne de deable (v.8837) ; deable symbolise la perfidie. D'ailleurs, dans le passage qui suit, le diable s'est si bien emparé de l'âme de la jeune femme qu'elle est désignée par li deables48 qui n'a plus rien de commun avec la simple valeur métaphorique déjà rencontrée.
38Une réelle originalité de Chrétien de Troyes se manifeste dans l'emploi de netun et dans son incidence thématique. Alors que le terme désigne habituellement le "lutin" ou, plus rarement, le "monstre marin", dans un époside célèbre du Chevalier au Lion le terme semble avoir la même valeur que deable/diable. En effet, selon une coutume du Château de Pesme Aventure, Yvain se voit dans l'obligation de combattre deux géants dont on nous dit qu'ils sont fil dou netun49, fil de deable50 et qu'ils sont nés de l'union d'une femme et du netun ; ils sont également désignés par maufé51. Au delà de cette innovation sémantique et conceptuelle affleure un motif qui ne sera développé que dans le Merlin de Robert de Boron : les diables répandent dans le monde des enfants, des fils nés de femmes qui leur sont acquises.
39Enfin, si le motif des diables empressés à ravir les âmes des mourants s'est déjà rencontré, l'image gagne en netteté et en pittoresque dans un épisode de Perceval, celui du chevalier blessé, guéri par les soins de Gauvain :
6718 Mes sire Gauvains ne se muet
tant que li chevaliers sopire
et parole et dist : "Dex li mire
qui la parole m'a randue,
que mout ai grant peor eüe
de morir sanz confession.
Li deable a procession
estoient m'ame venu querre.
40La nouveauté réside essentiellement dans le fait que le mourant raconte lui-même son expérience : il a vu les diables guettant sa mort ; a procession rehausse le merveilleux du passage.
41C'est bien de merveilleux qu'il s'agit chez Chrétien de Troyes quand apparaît le diable, quel que soit le terme utilisé. Deable et ses concurrents vont de pair, semble-t-il, avec nigromance ou anchantement52.
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42Dans le Merlin (en prose) de Robert de Boron53, le motif de la conquête ou plutôt de la reconquête de l'homme par le diable fait l'objet de développements particulièrement importants à tous points de vue. D'une façon significative, c'est dans ce texte que enemi désignant le diable est affecté d'une fréquence Inconnue jusqu'ici. Le terme, avec cette acception, est déjà apparu chez Wace54. Li anemis désigne le démon en général qui est susceptible de se présenter partout, tandis que li diables représente le démon ou un démon en action dans un moment, un endroit et un contexte précis. Une concurrence synonymique fort prononcée s'établit entre diable indéterminé et anemi précédé de l'article défini ; ils sont devenus des entités à l'opposé de diable précédé de l'article défini.
43Le motif de la reconquête de l'homme par le diable ouvre le roman on question. Les diables, assemblés, se lamentent sur les pertes que leur a causées la Rédemption du Christ qui, descendu aux enfers, a délivré les âmes prisonnières. Leur faute à eux, disent-ils, est de n'avoir pas su prendre connaissance du moyen, en fait un subterfuge, auquel le Christ a recouru pour sauver les hommes : "Moult a fait (nostre sires) espirituel substance que pour homme sauver vint en terre et daigna naistre de feme et souffri les tormens terriiens et nasqui de femme sans chou que nous n'en seusmes nient, et sans faire nul delit d'omme ne de feme. "55. C'est la naissance de Jésus, dans des conditions particulières, qui a surpris les diables et les a laissés en désarroi. Il leur faudrait un homme qui leur fût acquis et fît connaître à ses pairs leur vérité à eux, les diables. Mais, pour que ce projet soit réalisable, il faut que l'un d'entre eux soit capable de "conchevoir… semence en feme". Pour ce faire, ils ont besoin de l'aide d'une femme "ou dyables conversout", une femme que fréquentait un des diables. Robert de Boron nous présente en détail, et avec des analyses psychologiques très fines, le cheminement lent, sournois, mais infaillible, du diable pour parvenir à ses fins.
44C'est d'ailleurs la femme qui lui en donne le secret. Il réduira son mari au désespoir en tuant son bétail, si bien que cet homme "donna canques il avoit au dyable et canques il li estoit remés."56. Le diable continue. Il étrangle son fils, alors le désespoir gagne le père, qui renonce à sa foi dans le Christ ; sa femme se suicide, et lui-même meurt de maladie : tout cela est l'œuvre du diable, une façon de montrer aux filles du preudome que Dieu est impuissant à empêcher les malheurs. Le diable cherche à les gagner à leur tour. L'une d'elles se laisse séduire par un jeune homme et devient enceinte ; le diable fait tout pour que la nouvelle se répande : elle est condamnée par les juges à être enterrée vive. Un prêtre vient trouver les deux autres sœurs et leur donne de bons conseils, ce qui entrave les projets du diable. L'aînée l'écoute et suit ses conseils. Le diable courroucé envoie à la cadette une femme qui lui est dévouée. Sur les conseils de celle-ci, elle quitte sa sœur pour se livrer à la luxure. Le prêtre recommande à l'aînée de se garder du diable, et, à cet effet, de ne pas se mettre en colère, de se signer en se couchant et en se levant, et de n'être jamais sans lumière. Le diable amène un samedi soir la sœur cadette chez l'aînée avec une bande de garçons. Elles se querellent : la sœur aînée est battue. Pleine de courroux, elle se couche tout habillée, oubliant les recommandations du prêtre. Le diable qui en avait le pouvoir profite de cet oubli et la rend enceinte. A son réveil, elle s'aperçoit qu'il lui est arrivé malheur. C'est Merlin qui naîtra de cette union de la jeune fille et du diable. Cependant, les espoirs et les calculs du diable seront déjoués par Dieu. En effet, le prêtre demande à la jeune fille d'être d'une chasteté parfaite et lui promet de la faire absoudre de son péché. L'enfant naît : comme fils du diable il connaît les choses passées, et Dieu, à cause du repentir de sa mère, lui donne la connaissance des choses futures57. D'une façon inattendue pour le diable, Merlin lui sera supérieur et pourra utiliser contre lui son pouvoir même que le diable lui a légué : "Par ceste raison sot cil les choses qui estoient dites et faites et alees par l'anemi, et le seurplus que il sot des choses a venir vaut nostre sires que il seust contre les autres choses que il savoit pour endroit de la soie partie."58 En fait, Dieu laisse l'homme, tout comme Merlin, choisir entre le bien et le mal. Merlin peut être supérieur au diable, seulement s'il le veut bien59.
45Ce début de Merlin nous permet de rectifier l'image que nous nous faisons de la lutte entre le diable et Dieu, ainsi que du partage du monde en deux fiefs. L'homme a bel et bien les moyens de résister au diable et au mal, à condition qu'il le veuille bien.
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46A la lecture de la Queste del saint Graal, on est frappé par le caractère presque exclusif de l'emploi d'enemi désignant le diable. L'initiative de la u réside dans les modes de représentation du diable, mais aussi dans leur signification morale et théologique. La seule prédominance lexicale d'enemi est éminemment suggestive. D'un côté, la notion de diable est devenue abstraite : ennemi des hommes, le mal même, il est partout ; d'un autre côté, sa nature de force abstraite lui permet de s'incarner dans n'importe quelle forme d'être vivant ; si bien qu'abstraction et représentations concrètes se rejoignent en fin de compte et sont deux aspects complémentaires d'une même réalité.
47C'est d'abord la variété des modes de représentation qui retient l'attention du lecteur de la Queste60. Le diable tente Perceval sous la forme d'une femme. Ayant échoué une première fois61 il recourt au procédé de l'intimidation62 et oppose ses conseils à ceux de l'ermite63. Le récit que la jeune fille fait de ses prétendus malheurs pour attendrir le jeune homme est, en fait, l'écho de ceux qui sont arrivés à Lucifer et aux anges révoltés64. Le dénouement de l'épisode65 est soigneusement préparé66. La damoisele fait apprêter un magnifique lit : tout, dans la description, vise à insister sur la surprise dont use le diable pour faire de Perceval sa victime67. C'est la vue de l'épée et le signe de croix qui sauvent Perceval. Le fantastique accompagne la défaite du diable : "…et maintenant vit le paveillon verser, et une fumee et une nublece fut entor lui, si grant que il ne pooit veoir goute ; et il senti si grant puor de totes parz qu'il li fu avis que il fust en enfer."68. Le diable peut aussi se présenter sous la forme de plusieurs femmes. C'est le cas dans l'épisode de la tentation de Bohort69, qui sort victorieusement de l'épreuve : les femmes incarnant le diable se jettent toutes du haut des créneaux, non sans avoir essayé une dernière fois de tenter Bohort en recourant au chantage de la pitié70. Leur chute s'accompagne là encore de fantastique : "Maintenant ot entor lui si grant noise et si grant cri qu'il li est avis que tuit li anemi d'enfer soient entor lui : et sanz faille il en i avoir plusors."71.
48Nous ne sommes pas étonné de voir figurer, à côté de ce type d'incarnation, celui qui concerne le serpent, qui, dès la Genèse, est lié à la femme et qui apparaît dans le Jeu d'Adam, symbolisant la révolte de la chair, mais aussi la séduction dialectique de haut niveau. Le serpent, qui a séduit Eve et celui que Perceval a vu, dans un rêve, chevauché par une vieille femme, est le diable72. Ce même diable, dit l'ermite, s'est ensuite incarné dans une damoisele. Ce polymorphisme du diable et de sa représentation devrait constituer pour Perceval une mise en garde : "Et de ce que ele te dist que ele guerreoit nuit et jor dist ele voir, et tu meismes le sez bien : car il ne sera ja hore que ele ne gait les chevaliers Jhesucrist et les preudomes et les sers en qui le Sainz Esperiz est herbergiez".73. C'est l'incessant tourment du monde qui est évoqué ici, le combat perpétuel que le démon livre aux hommes pour les détourner du bien et de Dieu.
49Dans la Queste, le serpent est intimement lié à une allégorie, 1'allégorie des deux lois74, qui s'inscrit dans un songe de Perceval. Dans ce songe, deux dames se présentent à Perceval, l'une montée sur un lion, l'autre sur un serpent, l'une jeune, l'autre vieille. La jeune met Perceval en garde contre un danger qui le guette. La vieille "qui sor le serpent estoit montée", se plaint d'abord à Perceval de ce qu'il a aidé le lion à tuer l'un de ses serpents, puis lui demande de devenir son homme-lige75. "Je voil, fet ele, que en amende de mon serpent deviegniez mes hons."76. Perceval refuse. L'ermite que Perceval rencontre aussitôt après, dans des conditions quelque peu féériques et qui, sans avoir jamais vu Perceval, le reconnaît et le connaît, explique l'allégorie que Perceval a vu dans le songe. La dame montée sur le lion représente la Nouvelle Loi et le lion représente Jésus-Christ77 ; la dame est "Foi et Espérance et creance et baptesme"78. L'autre, la vieille, est la Synagogue ; le serpent, c'est l'Ecriture mal interprétée ; c'est l'hypocrisie, l'injustice, le péché mortel, c'est-à-dire le démon (enemi)79.
50C'est également sous la forme d'un cheval que, dans la première tentation, le démon se présente à Perceval, après avoir, d'ailleurs, emprunté l'apparence d'une femme80. Ce cheval fait l'objet d'une sorte de troc de la part du démon. En effet, la femme, le démon, est prête à lui céder le cheval à condition que celui-ci se plie à ses exigences qui ont un caractère absolu : "Se tu me vouloies, fet ele, creanter que tu feroies ma volenté quant je t'en semondroie, jel te don-roie orendroit bon et bel, qui te porteroit la ou tu voldroies."81. Perceval accepte : le cheval, incarnant le démon, failli mené Perceval à sa perte. Ces manifestations s'accompagnent en général d'un grand luxe de notations franchement fantastiques. Ainsi, Perceval emporté par le cheval diabolique prend peur et fait le signe de croix : "Quant li anemis se senti chargiez dou fessel de la croiz, qui trop li ert pesanz et griés, si s'escout et desvelope de Perceval, et se fiert en 1'eve ullant et criant et fesant la plus male fin dou monde. Si avint maintenant que 1'eve fu esprise en plusors leus de feu et de flamme clere, si qu'il sembloit que 1'eve arsist."82. La déception du diable qui s'exprime d'une façon physique est telle que la terre elle-même en porte des traces.
51Dans la Queste, la thématique du diable s'enrichit du motif de la prédisposition des hommes à accueillir le diable. Il ne fait son apparition que pour et dans l'homme affaibli d'une façon ou d'une autre. Cet affaiblissement peut être la conséquence du péché83. La fatigue84, physique ou morale, ou le désespoir85 constituent un terrain favorable à l'implantation de l'enemi : l'épisode de la première tentation de Perceval est précédé de celui du désespoir auquel s'abandonne P. quand le "bon chevalier" refuse d'entendre son appel86. D'ailleurs, ces deux épisodes s'enchaînent d'une manière assez significative. P. s'endort las et découragé, et au réveil, il voit devant lui une femme dont la seule attitude laisse présager une aventure fatale : "Et quant il se fut esveillez, si resgarda devant soi et vit une fame qui li demande mout effreement : "Perceval, que fes tu ci87 ? Attitude agressive qui trouvera son prolongement dans le caractère exclusif de sa proposition88.
52Plus que dans les œuvres précédentes, le motif de la prière protégeant l'homme contre l'enemi est intégré à la vision du monde qui caractérise la Queste. Après sa première tentation, quand Perceval constate que le cheval, le diable, aurait pu le mener à sa perte s'il n'avait fait à temps le signe de croix, il s'agenouille et prie, car il se rend compte qu'il était en état de péché, péché de désespoir : "Car quant li anemis fu en l'eve, il l'i esut sanz faille lessié chaoir et einsint poīst estre noiez et periz, si eust perdu et cors et ame. Et il se tret en sus de l'eve, car toutevoies a il poor des asauz a l'anemi ; si s'agenoille vers orient et fet ses proieres et ses oroisons teles come il les savoir."89. A la prière est liée la confession en tant que moyen de chasser le diable, car le péché consiste précisément à accueillir l'enemi. Quand l'homme se résout à se confesser, "il le (= le diable) vonche hors et le giete de son cors et herberge autre dont il a greignor honor, ce est Jhesucrist". Alors seulement le chevalier pécheur peut devenir soldat du Christ en portant son écu, c'est-à-dire celui de la patience et de l'humilité : "Mes tout aussi come la viande terriane s'est changiee a la celestiel, tout ausi covient il que oil qui jusqu'a cest terme ont esté terrien, ce est a dire que cil qui jusqu'a cel terme ont esté pecheor, soient changié de terrien en celestiel, et lessent lor pechié et lor ordure et viegnent a confession et a repentance, et deviegnent chevalier Jhesucrist et portent son escu, ce est pacience et humilité."90. Le thème du diable se trouve inclus dans l'allégorisme des vertus et du triomphe du Christ sur le mal. En d'autres termes, le diable n'existe plus qu'en fonction des grands thèmes christologiques. A telle enseigne, que, comme dans le Merlin, le monde des hommes est l'enjeu de lutte ouverte entre Dieu et le diable.
53Si le motif n'est pas nouveau91, il n'en est pas moins vrai qu'il ne s'est encore jamais inscrit dans une floraison aussi riche d'images suggestives que dans la Queste. Le diable est littéralement à l'affût du pécheur : "Quant Perceval voit le cheval, si le resgarde et l'en prent hisdor ; et neporec il est tant hardiz que il monte sus, come cil qui ne se prent garde de l'agait a l'enemi."92. C'est le personnage de Gauvain qui bénéficie de l'image la plus belle, mais aussi la plus humiliante, des relations concernant Dieu et le diable : "Gauvain, mout a lonc tens que tu fus chevaliers, ne onques puis ne servis ton Creator se petit non. Tu es vielz arbres, si qu'il n'a mes en toi ne fueille ne fruit. Car te porpense tant, se mes non, que Nostre Sires en eust la moele et l'escorce, puis que li enemis en a eu la flor et le fruit."93. La réponse même que fait Gauvain est révélatrice et montre que, précisément, il est resté attaché aux valeurs du diable : "Sire, fet messire Gauvain, se je eusse loisir de parler a vos, je i parlasse volentiers…"
54Accusations morales, tentations, pénitence et impénitence tournent autour de la notion de diable. Elles n'existent qu'en fonction de lui et à cause de lui, parce que, sans lui, les hommes ne sauraient apprécier la valeur de la lutte contre le mal, qui fait la grandeur de l'homme. On comprend que, dans ces conditions, le thème du diable et les motifs qui s'y rattachent jouent un rôle dans la structure même de l'œuvre.
ooo
55Le long cheminement thématique que nous venons d'exposer, dans le cadre de la littérature épique et romantique, manifeste trois grandes tendances : d'abord, les poètes accordent toujours plus d'importance au motif de la lutte que le démon mène contre Dieu pour reconquérir la confiance des hommes, l'œuvre de Chrétien de Troyes constituant un arrêt dans cette évolution ; ensuite, ils éprouvent un besoin de plus en plus marqué d'entourer le thème du diable d'un halo mystique et fantastique à la fois ; enfin, la représentation elle-même du diable s'enrichit de descriptions concrètes, mais aussi d'allégories bibliques. Il nous semble qu'à tous ces points de vue, la Queste et le Merlin constituent un point culminant dans l'histoire de la thématique du diable. Ces deux œuvres correspondent, par ailleurs, à une étape importante dans l'histoire des emplois des termes désignant le diable, puisqu'on y constate une discrimination dans les emplois de li diables et de li anemis, distinction souvent plus stylistique que sémantique, il est vrai.
56Pour terminer, pourquoi l'étape déterminante dans 1'évolution de la thématique du diable se situe-t-elle précisément au début du xiiie siècle, dans le cadre de la littérature romanesque ? Influence tardive de l'iconographie dont certains motifs, courantsau xiie siècle, se seraient développés en se greffant sur le contexte chevaleresque et mystique de la Queste et sur la structure du Merlin ? Influence de la littérature allégorique qui, par l'intermédiaire du motif du diable, aurait tenté de s'emparer du genre romanesque ? Influence, enfin, d'une spiritualité nouvelle qui, avec Joachim de Flore, marque94 la fin du xiie et du début du xiiie siècle et qui se manifeste dans le Lancelot-Graal ? Des trois hypothèses avancées, qui ont pu jouer leur rôle simultanément, nous serions enclin à donner notre préférence à la dernière : la littérature romanesque étant devenue, depuis Chrétien de Troyes, le mode d'expression par excellence de la culture et de la sensibilité de la société féodale à son apogée, il est naturel que là aussi se manifestent, plus qu'ailleurs, les tensions de cette société et que le motif du diable et du mal y occupe une place privilégiée.
DISCUSSION
57J.C. Payen : Beaucoup de textes cités par M. Brucker recoupent le corpus de mon propre exposé. J'arrive à une conclusion contraire à la sienne, et nous avons raison tous les deux. M. Brucker décrit avec pertinence des manifestations diaboliques, je m'interroge sur les croyances. Il y a un matériau littéraire qui participe d'un fantastique sulfureux, mais la réalité profonde est moins sommaire. La Queste del Saint Graal raconte, à la surface du texte, un diabolique traditionnel, mais le drame du péché et de la rédemption s'y vit à l'intérieur de l'être et sans intervention du Diable, comme j'essaierai de le prouver tout à l'heure. De toute façon, la Queste n'illustre pas la féodalité triomphante : l'essor de la féodalité est antérieur. Autre légère critique : je ne crois pas à l'influence littéraire du joachimisme à cette période. N'est pas joachimiste tout texte qui parle du Saint Esprit ; et le joachimisme s'exprime plus tard et autrement : chez les spirituels franciscains, et de façon clairement hérétique (avènement d'un nouvel Evangile). Le vrai Joachim de Flore est avant tout un commentateur de l'Apocalyps, et un homme obsédé par la concordance entre les deux Testaments. Il projette dans l'Histoire une vision biblique du temps. La Queste est étrangère à ce type de recherche.
Notes de bas de page
1 Raoul Glaber ne se contente pas de rapporter des anecdotes, des prodiges, des miracles. Comme il situe son œuvre d'historien à la jonction du monde visible et du monde invisible, il médite sur l'ambiguïté des manifestations surnaturelles (cf. G. Duby, L'An Mil, Paris, Julliard, 1967, p.137). Bien plus, il est amené à conclure à la responsabilité des hommes dans ce domaine (Hist., éd. M. Prou, 1886, p.98, § 8) : "Et licet plures sane mentis destestabile figmentum abhominandum clamant, vulgus tamen rusticane plebis mangonem corruptum, injusti nomen pro Justo venerans, olim in suo permansit errore. Nos autem iccir-co ista retulimus, ut a multiformis demonum seu humanorum, qui in orbe passim habundant, precipue in fontibus seu arboribus, ab egris incaute venratis caveatur". Raoul Glaber n'évoque pas seulement l'ubiquité du diable dans le monde des hommes, mais encore les fantasmes divers de l'esprit humain. - Cf. J. Frappier, Châtiments infernaux et peur du diable dans quelques textes français du xiiie siècle et du xive siècle in Histoire, mythes et symboles. Droz, 1976, pp. 128-136.
2 K. Young, The Drama of medieval church, Oxford, 1933, t. I, pp.103-104.
3 G. Duby, Adolescense de la Chrétienté occidentale, Genève, Skira, 1 967, P.74.
4 Ib.
5 Ed. J. Bédier, Paris, Piazza, rééd. 1921 : vv. 743, 983, 1502, 3647.
6 A propos d'un écu orné de pierres précieuses :
1502 En Val Metas li dunat uns diables,
Si li tramist li amiralz Galafres.
7 L'auteur transpose l'idéologie chrétienne de son monde à lui dans le monde des païens.
8 V. 743 Guenes respunt : "Rollant, cist miens fillastre ;
N'avez baron de si grant vasselage."
Quant 1'ot li reis, fierement le reguardet,
Si li ad dit : "Vos estes vifs diables.
El cors vos est entree mortel rage.
9 Rolland abat un païen :
1552 Brandist sun colp e li Sarrazins chiet ;
L'anme de lui en portent aversers.
Cf. aussi 3647 déjà cité.
10 V. 979 déjà cité.
11 V.1153.
12 Aversier est le seul terme à être utilisé dans le Charroi de Nîmes, avec une seule occurrence (éd. Guy de Poerck, Mallier, 1970, 2 vol). Le terme est pris dans un métaphorique (il s'agit d'hommes) et avec une nuance de monstruosité :
570 Par la fenestre me fist metre mon chief ;
toute la terre vi plaine d'aversiers,
viles ardoir et violer moustiers,
…
Dans Gormont et Isembart, on trouve une fois, appliqué métaphoriquement à Gormont, Satenas (éd. A. Bayot, Champion, CFMA, 1931, v.507) ; le terme, ou ses variantes, est très rare dans l'ensemble de nos textes.
13 Ed. E. Langlois, Champion, CFMA, 1965. Guillaume s'exprime ainsi à propos de l'efficacité de la prière :
690 N'a soz ciel ome de mere soit nez,
S'il la diseit par bone volenté
Al matinet, quant il sereit levez,
693 Ja puis deables nel porroit encombrer. En fait, c'est d'une façon négative qu'est présentée la force du diable en face de la toute-puissance de la prière.
14 Ed. J. Wathelet-Willem, Paris, Belles Lettres, 1975, 2 vol.
15 Cour. L., v.1774. - Cf. Chanson de Guillaume : Le roi vient de demander où est Guillaume ; on lui répond :
2497 E cil li dient : "Ja 'st el perun remés ; Li vif diable le nus unt amené, Si cum il dit, mal li est encuntré.
16 Surprise et agacement à la fois. - D'autres cas de ce genre se présentent dans la même chanson
1° Alderufe à propos de Guillaume qui emmène son cheval :
2185 A ses diables le puisse comander ! L'emploi de l'adjectif possessif prouve peut-être que, dans l'esprit d'Alderufe, Guillaume appartient lui-même au monde infernal.
2° Les païens à propos de Rainouart :
3318 A vis diables le puissum comander !
3° Le tinel fait l'objet d'une sorte de malédiction de la part d'un chevalier incapable de le soulever :
2752 Il point et broche tant qu'il vint enz el pré,
Met pié à terre, si'l pensat a lever 2754 A vis diables ad le fust comandé.
17 V.746.
18 A propos de Rainouart dont la force effraie les Français :
3450 Dîent Franceis : "Mar i alames certes A vif diable qui portet une feste.
19 Vv.2030, 2290 et 331 6. Cf. toutefois Cour.L., vv. 785
20 Les païens à propos de Guillaume : et 2670.
2290 Dist l'uns a l'altre :
"Or est il vis malfez ! "
21 Les païens à propos de Rainouart :
3316 Dîent paien :
"Or i sunt malfé !
Ore est il pire qu'il ne fu al tinel.
22 2027 En m'almosniere ai jo del pain sacré, D'icel demeine de sa main saignat Deus ; Se cil de vus le col aveit passé, Mare crendereis achaisun de Malfé".
23 Il n'en est pas ainsi du Rolandslied allemand, qui date de 1170. Nous nous emploierons à le montrer dans une autre étude.
24 Ed. E.G.R. Waters, Oxford, Clarendon Press, 1928.
25 Ed. C. Fahlin, Uppsala, 3 vol., 1951, 1954, 1967.
26 309 Quant fud l'ure, vunt reposer,
Cum endormit furent trestuit,
Ast vos Sathan qui l'un seduit :
Mist l'en talent prendre an emblét
Del or qu'il vit la ensemblét.
L'abés veilout, e bien veitheit
Cum diables celui teneit,
Cum lui tendeit un hanap d'or –
Plus riche n'a en nul tresor.
Cil levet sus, prendre l'alat,
E en repost tost l'enmalat ;
E puis que out fait le larecin,
Revint dormir en sun reclin.
Tunt vit l'abés u reposout,
Cum cil freres par nuit errout ;
Pur tenebres ne remaneit :
Sanz candeile tut le vetheit,
Quar quant ço Deus li volt mustrer,
Sur ço ne stout cirge alumer.
27 Dans un autre passage, l'autorité, conférée à Brendan par Dieu, est telle que même les diables lui obéissent :
(Brendan auprès de Judas que les diables veulent saisir)
1477 Cil (="les diables") dient et calengent
Ne lairunt pas que nel prengent.
Dunc dist Brendans : "Jol vus comant,
E de Jesu faz mun guarant."
Ci le laisent, e a force.
28 Brendan, descendu aux enfers, se trouve auprès de Judas :
1469 Cum apresmout vers le primeseir,
Dunc vit Brandans que cil dist veir :
Veit i venir deiables mil
Od turmentes e grant peril ;
E venent dreit a cel dolent ;
Salt l'uns avant, al croc le prent.
29 Judas s'adresse à Brendant descendu aux enfers et donne une description détaillée des supplices qu'il endure de la part des diables :
1435 Hui mei repos a cest sedeir.
Eneveies avrai mal seir :
Mil deiables senés vendrunt ;
Ne avrai repos quant mei tendrunt.
30 Les moines approchent de l'entrée de l'enfer :
1171 Malfeiz veient millers plusurs,
Criz de dampnez oënt e plurs.
31 V. 1209 Del fum li munz est descuvert,
Enfern veient tut aüvert.
Enfers jetet fu e flammes,
Perches ardanz e les lammes,
Peiz e sufre desque as nües,
Puis sis receit, quar sunt sües.
32 Les termes concrets qui subsistent ont une valeur métaphorique.
33 La forge de l'enfer est un épisode important dans l'économie du poème :
1135 Cum alouent endreit un munt,
Virent un fed dunt poür unt ;
Forment fud granz icil malfez,
D'enfern eisit tuz eschalfez ;
Un mail de fer en puin portout –
A un piler asez i out.
34 1145 Jetant flammes de sa gorge,
A granz salz curt en sa forge.
Revint mult tost od sa lamme
Tute ruge cume flamme…
1151 Halcet la sus vers la nue,
E dreit vers eals puis la rue ;
1157 Cum plus halcet, e plus enprent,
E en alant forces reprent ;
Primes depart, puis amasset,
Ne cheot sur eals, ainz les passet.
35 Parmi les œuvres situées chronologiquement entre les premières chansons de geste et Chrétien de Troyes, c'est certainement celle de Wace qui mériterait un examen détaillé. Non seulement, c'est là que, pour la première fois, apparaît enemi désignant le diable, le démon (La Vie de saint Nicolas, éd. E. Ronsjö, V.1209 ; 184) ; mais les procédés du diable pour tenter les hommes et les décourager, par la maladie, par exemple, deviennent des motifs de plus en plus fréquents et témoignent d'une volonté acharnée de partager, avec Dieu, le pouvoir sur les hommes.
36 38443 ou un dragon, un aversier,
aveit si orrible et si fier…
38463 Maintenant choisi 1'aversier,
Ne s'en poet puis tant esloignier.
37 Un vilain s'adresse à son épouse :
9390 E diva, fait il, aversier !
Lairas moi or jamais ester ?
38 29557 Deiable sunt et aversier.
N'est mie jenz a essilier.
39 3743 Senefie poples e jenz
En que n'a fei n'entendement,
Né en laidure n'en peché,
Lait e enteint e mergoillé
Soz la sentence meserine,
Dum deiables tient la saisine
Qu'il a par le forfait Evain,
Dunt il deceit le pople humain.
40 Le duc Guillaume confie son fils Richard à Botom :
13680 Mais vez quex rage e quex pecchez,
Com deiable esmuet tote jent
A deol, a mal e a torment !
Oiez com se sunt hahinos
Trestuit li renne d'entor nos.
Cf. v.14207 (le diable pousse Arnould à la trahison et au meurtre).
41 Le duc Robert s'adresse à Rollon :
8837 Sil deiz tu faire pur, la quise
Que tu en faz a saint' eglise
De si fait poeple convertir,
La lei Deu creistre e maintenir.
Sire, mult te deiz esforcier
Cum tu les faces esloignier
D'ovre al deable qu'ont seüe
E tuz jorz faite e maintenue
E cum tis regnes e t'onor
N'abaist, n'auge mais a dolor.
42 8960 vers (éd. F. Lecoy, CMFA, 2 vol.) contre 6811 dans Yvain (éd. M. Roques, CFMA).
43 Deable apparaît aux vers suivants : 115, 139, 188, 508, 1159, 6724, 8337, 8342.
44 Ed. C. de Boer. - Deable : vv.462, 1019,1048, 1298, 1300, 1331 ; maufé : vv.29 et 1O65. Aussi bien deable que maufé sont mêlés à la mythologie antique.
45 Cf. L. Carasso-Bulow, The Merveilleux in Chrétien de Troyes' romances, Droz, 1976, p.17.
46 "…l'a deables anchanté…" (v.462), "… deables li amoneste…" (v.1331), "…son deables li consoille…" (v.1298). Deux éléments nouveaux, pourtant, sont à signaler, bien qu'ils ne fassent que l'objet d'allusions : 1° Pluton qui est présenté comme le sire des deables (v.1019) ; 2° l'enfer où les âmes gardées par les diables se consument (v.1048).
47 Gauvain à Grinomalant :
8330-Sire, fet il, donc me manti
la dameisele, qui me dist
et por voir acroire me fist
c'une foiz i passoit le jor
ses amis por la soe amor.
- Ce dist ele, la renoiee ?
Ha ! car fust ele noiee,
que mout est plainne de deable
quant ele vos dist si grant fable.
48 8339 Ele vos het, nel puis nier,
si vos voloit feire neier
en l'eve hideuse et parfonde
li deables, cui Dex confonde. Dans Erec et Enide (éd. M. Roques, CFMA), aversier apparaît avec la valeur habituelle de deable ("démon") dans le cadre du motif de la tentation d'Adam ; Erec se recueille devant le crucifix qui avait appartenu à l'empereur Constantin : 2327 de la voire croiz i avoit,
ou Dame Dex por nos s'estoit
crocefïez et tormantez,
qui de prison nos a gitez
ou nos estïons trestuit pris
par le pechié que fist jadis
Adanz par consoil d'aversier.
49 Ed. M. Roques, CFMA. - La description qui en est faite montre qu'ils appartiennent à un autre monde :
5506 Atant vienent, hideus et noir
amedui li fil dou netun.
N'i a nul d'aus deus qui n'ait un
baston cornu de cornelier,
qu'il orent fez aparellier
de cuivre, et puis lïer d'archal.
50 5263 Mes tote voie ensi avint
que mes sire an cest chastel vint
ou il a deus filz de deable,
ne nel tenez vos mie a fable,
que de fame et de netun furent.
51 5280 et cist treüz devoit durer
tant con li dui maufé durroient.
52 Cf. L. Carasso-Bulow, o.c., p.17.
53 Ed. G. Paris et J. Ulrich, SATF, 2 vol.
54 Voir note 35.
55 P.2.
56 P.5.
57 "Et quant il fu nés, si out et deut avoir (et savoir) le sens et le pooir de l'anemi, comme chieus qui concheus en estoit. Mais li anemis l'avoit fet folement, car nostres Sires avoit rachaté de sa mort (et avoit pardoné le pechié) par vraie repentanche, et li anemis avoit cheli engingnie par de-chevement. Car cele, si tost que ele se senti engingnie, si cria mierchi la ou elle dut, et quant elle ot che fait, si se mist en la garde et ou comendement de saint eglyse et de Dieu, et bien fist les commandemens que ses confessours li ot commandé. Et pour chou ne vaut pas Dieus que dyables i perdist chou que il i deust avoir et che por coi il le fist, pour chou que dyables si vaut que il eust son art et son pooir de savoir les choses qui estoient dites et faites et alees, et tout ichou seut il. Et nostres Sires qui tout set, par la repentance de la mere et par la boine repentance de confiession que il sot qui en son cuer estoit, ne par son gré ne par sa volenté ne li estoit avenu, et par la force de baptesme dont ele estoit lavee es fons, vaut nostre sires que li pechiés ne li peust riens nuire, si donna a l'enfant pooir de savoir les choses a avenir". (P.19).
58 P.19.
59 "Ore si se tourt a la quele (= partie) que il vaurra ; et se il veult il puet rendre au dyable son droit et a nostre signour le sien. Car plus n'i a dyables formé fors le cors, et nostres sires met ens l'esperit por veoir et pour oir et pour entendre a chacun selonc chou que il li preste sens et memoire et que il li plaist a donner, et il a cestui en a plus douné que a autrui por chou que grans mestiers li estoit. Lors verra on bien au quel il se devera tenir." (pp. 19-20).
60 Une récente publication de M. R. Deschaux (Le Diable dans la Queste del saint Graal". Masques et méfaits) résumée dans le Bulletin bibliographique de la Société Arthurienne, t.27 (1975) pp.225-226 et présentée dans Perspectives médiévales, N°2 (1976) p.54-60, analyse le personnage du Diable dans la Queste et importance thématique- Ed. A. Pauphilet, CFMA.
61 Lors de la première tentation, elle avait proposé à Perceval un troc : se soumettre à la volonté du diable et recevoir un cheval d'une vigueur peu commune (p.96 1.24).
62 P.107 1.3 : "Et se vos le creez (= preudom-me), vos estes honiz, car vos n'istroiz ja mes de ceste roche, ainz i morroiz de fain et si vos mengeront bestes sauvages…"
63 C'est en ces termes que la jeune fille-diable parle de lui : "Ce est uns enchanterres, une mouteploierres de paroles qui fet adés d'une parole cent, et ne dira ja voir qu'il puisse. (p.107 1.1).
64 "En cele biauté sans faille m'enorgueilli un poi plus que je ne deusse, et dis une parole qui ne li plot pas. Et si tost come je 1'oi dite, si si fu corrociez a moi qu'il ne me vout puis soffrir en sa compaignie, ainz m'enchaça povre et deseritee,… Si enchaça einsint li riches homs moi et ma mesniee…" (p.107 1.25).
65 Certains détails de la description du repas offert à Perceval par la damoisele constituent des indices qui auraient dû éveiller les soupçons du jeune homme : "Et quant il demande a boivre, l'en li done ; et il troeve que ce est vins, li plus bons et li plus forz dont il onques beust : si merveille trop dont il puet estre venuz." (p.109 1.5).
66 Sous l'effet du vin, Perceval consent aux exigences formulées par la jeune fille-diable : "Perceval, itant sachiez vos bien que je en nule manirere ne feroie chose qui vos pleust, se vos ne me creantiez que des ore mes seroiz miens et en m'aide contre toz homes, ne ne feroiz riens fors ce que je vos comanderé." (p.109 1.20).
67 "Et lors comande a ses vaslez qu'il facent un lit le plus bel et le plus riche que il porront, et soit fez en mi le paveillon ; et cil dient que il feront son comandement. Si font tantost un lit et deschaucent la damoisele et la couche, et Perceval avec". (p.109 1.31).
68 P.110 1.8.
69 Pp. 180-181.
70 "Certes, se tu nel velz fere, nos nos lairons orendroit toutes chaoir de ceste torainz que nostre dame, car sa mort ne verrions nos en nule maniere." (p.181 1.25).
71 P.182 1.3.
72 Explication de l'ermite : "Li anemis qui ce li (= à Eve) ot conseillié, ce fu li serpenz que tu veis avant hier la vielle dame chevauchier, ce fu la damoisele qui ersoir te vint veoir." (p.113 1.22).
73 P.113 1.25.
74 P.97.
75 P.97 1.25.
76 P.98 1.12.
77 P.101.
78 Ib.
79 "Ce est li serpenz qui par son orgueil fu gitez de paradis." (p.103 1.10).
80 p. 92.
81 p. 91 1.24.
82 p. 92 1.21.
83 Un preudome à Bohort : "Car quant li chevaliers, ou li hons quel qu'il soit, peche mor-telment, il reçoit l'anemi et manjue, mes garder ne s'en puet qu'il ne soit toz diz o lui (= anemi)." (p.162 1.29). Ou encore, à propos de l'aventure de la tombe : "Et autre chose est encore avenue autrefoiz : car si tost com li chevalier errant venoient ça et il aloient vers la tombe, li anemis, qui les conoissoit a pecheors vilz et orz et veoit que il estoient envelopé es granz luxures et es iniquitez, lor fesoit si grant poor de sa voiz horrible et espoantable que il en perdoient le pooir del cors." (p.39 1.21).
84 P.91 1.18.
85 P.89 1.25.
86 Pp.88-89.
87 P.91 1.20.
88 P.91 1.24.
89 P.93 1.1. - Un cas semblable se rencontre après la seconde tentation : "…et fist le signe de la Veraie Croiz en son front et pria Nostre Seignor que Il par sa douce pitié le fart en tel maniere que li deables, li anemis, n'ait tant de pooir sus lui qu'il le maint a temptacion." (p.111 1.23).
90 P.163 1.11.
91 Voir note 73.
92 P. 93 1.7. - Explication de la seconde tentation : "Et de ce que ele guerreoit nuit et jor dist ele voir, et tu meismes le sez bien : car il ne sera ja hore que ele ne gait les chevaliers Jhesuchrist et les preudomes et les sers en qui le Sainz Esperiz est herbergiez." - Le séducteur qu'est le diable est considéré comme une sorte de sirène des sens et de l'âme : "Si crurent plus l'anemi que il ne firent lui (= le Christ) et livrerent sa char a mort, par l'amoneste-ment dou deable, qui toz jorz lor chantoit es oreilles et lor estoit es cuers entrez." (p.39 1.5).
93 P. 161 1.17.
94 Les signes extérieurs de cette crise morale dans le roman en prose sont le contritionis-me et le mysticisme. Cf. J.-Ch. Payen, Le Motif du repentir dans la littérature française médiévale, Genève, Droz, 1968, p.447. - L'aspect social de cette crise est analysé par E. Köhler, Ideal und Wirklichkeit in der höfischen Epik, Tübingen, Niemyer, 1970, pp.227-29, ainsi que par C. Bertau, Deutsche Literatur im Europäischen Mittelalter, Mün-chen, CH. Beck, t. I, 1972, pp.635 et suiv.
Auteur
Université de Nancy II
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