Le Livre de la Paix de Christine de Pizan ou la digression morale et politique
p. 329-344
Texte intégral
1Moins connu que Le livre des Fais et bonnes meurs de Charles V le sage, qui est, comme le souligne Suzanne Solente : « l’œuvre historique la plus importante de Christine de Pisan1 ». Le Livre de la Paix, écrit entre 1412 et 1413, est un texte hybride2 qui rompt parfois avec le plan annoncé ou la matière traitée. Le lecteur est en effet souvent surpris de trouver de longs développements sur Charles V là ou le plan de l’ouvrage ne l’annonçait pas ou encore des énumérations d’édifices construits qui se présentent comme des « hors sujet » sous forme d’interventions d’auteur. Peut-on, pour autant, voir là des digressions ? Dans la mesure où le Livre de la Paix s’inscrit dans le genre des miroirs aux princes, et qu’il s’agit principalement d’un traité didactique adressé à Louis de Guyenne, le relevé des digressions est plus délicat à systématiser que dans la prose narrative où il est plus aisé de trouver :
des traits empruntés à d’autres et dont la place était ailleurs3.
2Faut-il lire des remarques sermonnaires ou des exposés sur la justice comme des excursus ?
3Dans le Charles V, les trois types de digression (recours à des exemples extérieurs, développements consacrés à des questions de technique militaire et enfin développements philosophiques) répertoriés par Liliane Dulac4 ne constituent pas pour autant une grille de lecture pertinente pour Le Livre de la Paix. Liliane Dulac souligne que :
le plan thématique annoncé, et souvent rappelé, laisse apparaître à l’arrière-plan une progression chronologique, avec ses étapes traditionnelles, généalogie, enfance, adolescence, maturité, jusqu’à l’apogée du règne qui précède de peu le pressentiment de la fin prochaine5.
4Ce recours à la digression s’explique donc, pour le Charles V, par le choix de ne pas s’en tenir simplement à une biographie ; il manifeste un désir de copia et une volonté de s’affirmer encore dans le domaine si masculin de la clergie.
Le contexte littéraire et politique du Livre de la Paix
5En 1412, la situation a évolué pour Christine de Pizan, sa carrière a pris de l’ampleur. D’autres traités didactiques ont été écrits comme Le Livre du Corps de Policie ou encore Le livre des fais d’armes et de chevalerie. Lorsque Christine de Pizan entreprend la rédaction du Livre de la Paix, elle jouit d’un certain prestige et sait que sa voix est écoutée. Les ruptures discursives, les hors sujet ne semblent pas avoir la même valeur que dans Le Charles V.
6Le début de la rédaction de l’ouvrage, 1412, correspond à une période de paix entre la maison d’Armagnac et la maison de Bourgogne, comme le souligne le prologue :
Cy commence la table des rubriches du Livre de Paix, lequel s’adrece à tres noble et excellent prince, Monseigneur le duc de Guienne, ainsné filz du roy de France, encommencié le premier jour de septembre, après l’apointement de la paix jurée en la cité d’Auxerre entre noz seigneurs de France en l’an de grace mil iiii. Cent et douze6.
7L’ouvrage témoigne d’un événement historique dont l’un des principaux artisans, Louis de Guyenne, doit être loué. Le livre comporte trois parties dont le plan est annoncé, dès le prologue. Le temps de la rédaction et la composition de l’ouvrage sont frappants puisqu’on voit que Christine en a interrompu l’écriture pendant neuf mois entre la première et la seconde partie :
Accomplie la dicte première partie le derrain jour de novembre et delaissié adont le surplus pour cause de matiere deffaillie. ITEM, recommencié l’œuvre en la ii.e partie du iii.e jour du mois de septembre, apres les convenances de paix rejurées en la ville de Pontoise et que noz seigneurs de France s’assemblerent à grant joye et paix à Paris en l’an de grace mil iiii. Cent et treize7.
8L’interruption du propos ainsi que sa reprise, ou plus exactement le retour à la matière de l’ouvrage introduit par item ressortit à une bien curieuse digression puisqu’elle est provoquée par les conflits entre les princes ennemis. Son bornage est très bien délimité puisqu’il s’inscrit entre novembre 1412 et septembre 1413. Par son silence et l’interruption de son activité d’écrivain, Christine montre au lecteur que la guerre est digressive dans un ouvrage qui a pour thème la paix. C’est une digression touchante dans la mesure où le silence même de l’auteur se situe dans la catégorie du movere et Christine entend montrer qu’elle a éprouvé les émotions qu’elle souhaite provoquer chez ses lecteurs8. Il s’agit pour elle de plaider la paix, et de convaincre le dauphin qu’il faut renoncer définitivement à toutes ces querelles intestines qui démantèlent le royaume et en altèrent profondément l’unité. Par son intervention d’auteur, Christine confère à l’ouvrage une gravité absente de ses ouvrages didactiques précédents ; ici, la compilation cède le pas à la construction de l’œuvre, à une inscription de l’auteur in persona, qui annonce le choix des matériaux en vue de la finalité de son ouvrage, offrant ainsi une mise en abyme de l’activité d’écrire. Pour acheminer ses lecteurs, sur le chemin de la paix, Christine se voit obligée de faire des entorses aux rubriques annoncées et d’abandonner un plan linéaire, qui n’est pas mimétique de la réalité historique ni de l’avenir qu’elle espère pour le royaume.
Les interventions d’auteur
9Le plan de la première partie, tel qu’il est détaillé dans les rubriques annoncées par l’auteur fait apparaître des digressions.
10L’intitulé de la première partie semble en effet éloigné de certains chapitres qu’elle contient :
Ennortement de continuacion de paix à mondit seigneur de Guienne sus la vertu de prudence et de ce que elle requiert en gouvernement de prince.
11Sur les quinze chapitres, seul le chapitre V mentionne la vertu de prudence dans son intitulé :
ITEM, commence à parler de prudence dont elle vient.
12En outre, les chapitres VI, VII et VIII sont consacrés à Charles V et annoncent, par la formulation de leurs titres, un procédé d’amplification :
ITEM, preuve par raisons comment à nul n’est tant expedient savoir moult de choses que est au prince, et commence à donner exemples du roy Charles quint du nom. VI
ITEM, comment prince se doit gouverner par sages, et donne exemples dudit roy. VII
ITEM, dit encore dudit roy. VIII9
13Christine va à nouveau parler de Charles V alors qu’elle en a déjà réalisé la biographie en 1405, à la demande du duc de Bourgogne. La lecture du livre, dans son ensemble, permet une mise en lumière des raisons qui ont pu motiver de tels choix. Les chapitres précités de la première partie sont digressifs par l’amplification du portrait moral de Charles V ; la prudence ne nécessitait pas cette focalisation sur le personnage royal et requérait plutôt l’utilisation d’exemples antiques, procédé d’écriture auquel Christine avait habitué ses lecteurs. Le Charles V n’hésite pas, en effet, à utiliser des digressions par mode de comparaison lorsqu’il s’agit de peindre les vertus morales du roi et de placer le personnage royal sur le même plan que les grandes figures de l’Antiquité10. Désormais reconnue comme auteur, Christine de Pizan peut abandonner les figures empruntées à la mythologie ou à l’histoire gréco-latine, tels Hercule, Scipion ou Trajan qui reviennent très fréquemment dans son œuvre, pour ne plus convoquer que celle de Charles V. Ce choix est en effet stratégique pour Christine dans la mesure où il lui permet de montrer à ses lecteurs son implication personnelle. En rompant délibérément avec l’utilisation des exempla, Christine fait œuvre nouvelle autour d’un sujet lui aussi nouveau ; la paix n’est pas une matière habituellement traitée par les chroniqueurs. Christine ne raconte pas d’exploits ou de conquêtes comme le font les autres clercs mais offre ses réflexions autour de ce qui pourrait apporter la paix dans le royaume. Cette analyse est métonymique des qualités de Charles V. Comme la paix ne se raconte pas mais qu’elle se construit, il est très important de construire soigneusement le portrait de Charles V de façon à ce qu’il devienne un modèle de conduite familier au lecteur.
14La focalisation sur Charles V se fait par mode d’amplification dans la mesure où l’insertion brutale d’un tableau dans lequel on voit le roi, comme par exemple à l’occasion d’une chevauchée, rompt la trame du discours et agit sur le lecteur telle une peinture de la vie réelle, comme si la scène se déroulait sous ses yeux, conférant à cette digression ce que Cicéron nomme une valeur ornementative propre à disposer favorablement et à toucher les esprits11. Dans un contexte de guerre civile, le rappel incessant des vertus de Charles V est certainement plus apte, dans l’esprit de Christine, ainsi que dans celui de ses lecteurs à toucher et à émouvoir plus efficacement que l’évocation de figures paiennes qui sont trop éloignées de l’actualité historique des lecteurs, au moment de ces événements. Les digressions descriptives et ornementatives liées à Charles V trouvent d’autant mieux leur place dans le discours de Christine, qu’elles se rapportent à la partie du discours relatif à la mémoire, et dont les rhéteurs soulignent l’importance12.
L’ordre et la beauté
15Christine juge utile, à chaque fois que le besoin ou l’occasion se présente, de s’écarter de l’ordre de son discours, pour rappeler les vertus d’un roi qui sut faire régner l’ordre et l’unité dans le royaume, en dépit de la guerre qui sévissait entre la France et l’Angleterre. On peut alors lire certaines digressions descriptives comme des images de puissance royale déployée dans la maîtrise du royaume par exemple, cette description d’une chevauchée :
O ! quelle belle ordonnance estoit ce le veoir chevaucher par ville ou aller dehors ne failloit pas demander en la presse lequel est le roy. Je les voy tous ensemble, car vraiement le bel ordre qui y estoit tenus le (P 14) donnoit assez à congnoistre, c’est assavoir chevaliers et escuirs devant, si que est la coustume... Là estoit ou milieu de sa gent un nombre de gent d’armes et arbalestiers tousjours devant lui... Mais d’un costé ne d’autre ne l’approchoit homme plus d’une toise excepté les sergens d’armes qui tout à pie environ lui aloient... Et ainsi cellui seigneur vouloit tenir ordre en toutes choses. O ! comment tenoit il en belle ordonnance la royne sa femme13...
16Les digressions concernant le roi et la reine sont toutes deux introduites par une exclamation qui témoignent des propres sentiments de l’auteur, qui ne peut espérer remporter l’adhésion de son lecteur, le toucher et l’émouvoir, si elle ne feint pas elle même d’être touchée14. Ce tableau qui n’occupe pas moins de vingt-sept lignes sert de preuve à la poétesse pour argumenter l’idée que la paix passe par un ordre et une hiérarchie des choses et des personnes qu’il faut respecter. L’emploi du vocabulaire fait écho aux exclamations : ces digressions emploient presque les mêmes expressions : « belle ordonnance », « bel ordre », « tenir ordre », « belle ordonnance ». La répétition de l’adjectif « beau » confère à cette description un ton hyperbolique qui n’est pas gratuit ; Christine sait que la conception de la beauté peut s’affirmer comme : « réalité purement intelligible, comme harmonie morale, comme resplendissement métaphysique15 ». En rompant l’ordo naturalis de son discours, Christine veut sensibiliser son lecteur à l’analogie qui existe entre la beauté et la paix16. Le thème de l’œuvre oblige presque à supprimer les distinctions établies par Geoffroy de Vinsauf entre ordo artificialis et ordo naturalis ; le critère esthétique cède la place à celui de la rhétorique. En effet, nous ne sommes pas loin de la description du bouclier d’Achille lorsque son auteur énonçait qu’elle n’était pas trop longue dès lors qu’elle trouvait sa justification dans les événements qui suivaient17. Pour Christine, la description sert d’argumentation et vient naturellement sous sa plume sans conférer un tour artificiel à son discours.
17Tout le monde savait qui était le roi car personne ne cherchait à régner à sa place, semble rappeler Christine à son lecteur princier. L’un des secrets de la paix est là.
18Mais puisque le thème annoncé par le plan est la prudence, il faut revenir au propos annoncé, et arrêter là la digression qui, si elle continuait plus avant, risquerait de susciter l’ennui et donc de perdre de son efficacité. Christine revient à son thème principal par une phrase élégante, qui se rattache à son propos en mentionnant la vertu de prudence :
Et ainsi que tu oys, la prudence de cellui roy se demonstroit tant par le fait du gouvernement de son estat et personne comme en tous les autres generaulx affaires, si que encores sera dit cy apres18.
Construire la paix
19Après l’éloge de la personne du roi, on rencontre de façon concomitante un éloge de lieux qui s’inscrit dans une des catégories mentionnées par Quintillien, situé hors du plan naturel du discours mais néanmoins utile à la cause défendue par la poétesse19. En effet, Christine juge bon de rappeler au lecteur toutes les constructions entreprises par Charles V et l’on comprend aisément que l’action de bâtir, dans son esprit, est antithétique de celle de détruire. Bâtir est synonyme de paix. On s’étonnera moins, dans cette optique, de voir un chapitre, entièrement digressif par rapport au propos de l’ouvrage, consacré à l’énumération de tous les palais et édifices construits sous le règne de Charles V. Le chapitre XXVI de la troisième partie, intitulé Cy parle soubz la vertu de liberalite de la bonne ordonnance que le susdit roy Charles tenoit oyant requestes, ne laisse aucunement deviner la longue digression qui va suivre (des pages 155 à 156), entièrement articulée autour des édifices construits sous le règne de Charles V. La digression est introduite de manière presque imperceptible :
... car en bonne foy si que je tiens, n’est memoire qu’en roy qui ait esté se soit plus grande demonstrée, si comme encores y pert et tousjours perra au siecle es belles eglises principaulment qu’il fonda et grandement à Paris et ailleurs, si comme l’egliese des Celestins qui tant est belle, à tout grant couvent de freres, que il renta grandement par amortissement20.
20La mention de l’adjectif « belle » renvoie à la description précédente du roi pour sensibiliser le lecteur à un aspect de la réalité particulière de Charles V (son art de gouverner) à travers, comme l’écrit U. Eco :
des circonstances concomitantes, l’existence, le lieu, le temps (pour n’en mentionner que quelques uns) qui ne sont pas perçues intuitivement, mais associées à la chose dans le cheminement compliqué d’une opération discursive, d’une intervention du jugement21.
21Les apostrophes à Louis de Guyenne qui essaiment l’ouvrage témoignent, en effet, de la valeur discursive du traité et insistent sur l’importance de l’intervention du jugement chez le lecteur. C’est au dauphin de décider quel modèle il faut suivre : celui des princes de sang ou celui de Charles V. La digression, qui se développe sous forme d’une longue énumération de tous les édifices dignes d’être consignés par écrit pour que le lecteur les ait en mémoire, est introduite par Item et se termine par la reconnaissance des sujets à l’égard de leur roi, qui prient pour lui, en remerciement de la construction de pareils monuments :
... Et à yceulx donnoit bien et largement dudit argent de sa gibbeciere, à l’un plus, à l’autre moins, selon que sa direccion lui jugeoit que mieulx fust employé selon les charges et maynage des dis povres hommes22...
22L’éloge des lieux, on le voit se termine par un éloge de la personne et renvoie à la digression amplificatrice des vertus de Charles V qui court sur l’ensemble de l’ouvrage puisque les trois parties réunies du livre mentionnent quatorze chapitres consacrés à la louange du roi. Peut-on, dans ces conditions, continuer de parler de digression, car si tout ou presque est digressif, la digression ne risque-t-elle pas de s’annuler dans son procédé d’amplification ? En effet, en observant le plan des trois parties qui constitue Le Livre de la Paix, on s’aperçoit que les rubriques évoquent d’autres thèmes que la paix, comme la libéralité, la religion, les devoirs, et que la plupart sont des éloges des vertus de Charles V. On est donc en présence, sur l’ensemble de l’ouvrage, d’une amplification et même d’une expolition23 du portrait moral de Charles V. Quintillien remarque que si ces thèmes viennent après des arguments similaires, et qu’ils sont liés avec eux, ils ne font pas digression24.
23Il est difficile, dans Le Livre de la Paix, de définir de manière précise quels en sont les principaux thèmes tant la gravité jusque là présente dans les autres traités didactiques de Christine cède le pas au ton pathétique, à la volonté d’entraîner son lecteur et de le persuader de fuir toutes ces abominations en ramenant le jugement du prince à s’exercer autour de « la droite règle » :
Et adont sera la policie en son droit canal, qui trop a esté desrivé et hors droit rigle25.
24Liliane Dulac, pour sa part, voit dans l’attitude de Christine qui se désole des maux du royaume en multipliant les apostrophes à son lecteur, le signe d’un possible échec de l’autorité du discours26.
25La voix de la poétesse prend une forme subjective et même familière27. Elle utilise le ton du maître qui s’implique personnellement dans son propos pour le rendre plus frappant28. Ses apostrophes quelquefois relèvent alors de la digression ornementative du discours :
moy, ta creature, laquelle autre chose n’occupe en solitaireté ne mais labour d’es-tude, à celle fin que la joye par toy et de toy eue et encommencie nous puist estre durable en toy veant revestu entierement du droit habit royal, c’est assavoir de l’aournement qui à ta tres noble haultesse qduit et appartient, ay cueilli aucunes fleurectes souefves et belles ou champs des escriptures pour te faire chappel à aourner le chief de ta plaisant jeunece29.
26La métaphore de l’ornement floral est d’autant plus intéressante qu’elle renvoie à l’activité de tresser des guirlandes de fleurs, geste récurrent dans l’œuvre de Froissait30. C’est donc une manière pour Christine de montrer qu’elle se place au même rang que d’autres écrivains historiens et aussi une façon de légitimer son activité d’auteur, la mise en écriture de son traité, la matière et les procédés employés.
Le ton sermonnaire
27Les digressions servent à émouvoir. C’est pourquoi, elles sont souvent introduites par des exclamations comme en témoigne le début du chapitre III de la deuxième partie intitulé Cy parle de la force et puissance de France quant elle est aunie en soy meismes en bonne paix31.
28Après avoir illustré son propos par un exemple puisé chez Cicéron, Christine introduit une longue digression qui va s’étendre du chapitre III au chapitre V, introduite par :
O ! noble filz de roy attendant la couronne... te dois bien tousjours pener que l’accident qui puet empescher France de tel excellence soit du tout effacié et remis, ne que jamais n’y soit, c’est assavoir civille guerre32...
29Il n’est pas question ici de force, comme le titre du chapitre l’avait annoncé, mais d’exhortations sur la nécessité de rester unis pour que la paix soit possible. Le ton employé par Christine est sermonnaire et rappelle la veine de Bernard de Clairvaux et de Gerson33. Ce discours qui s’étend sur deux chapitres évoque la longueur d’un sermon et les vitupérations contre les vices des mauvais princes font écho à certains prêches de Gerson.
30Christine s’indigne. Les extorsions commises par les princes sur leurs sujets34 ou encore leur soif de sang et de vengeance remplit le cœur de la poétesse d’émotion et lui offre un prétexte pour insister sur les devoirs d’un prince digne de ce nom :
O ! comment un tel est bien contraire le sentence de Brutus le Constant qui dist que un prince doit congnoistre que la vie est ainsi comme ou millieu du monde, et qu’il nest pas néz ne ordonné à estre seigneur pour lui, mais est establi pour le bien d’un chascun35.
31Les thèmes employés par Christine rappellent sans doute au dauphin les trois sermons prononcés par Gerson : l’Ave Maria, prononcé en 1397 qui dénonce « l’estat pompeux » du royaume qui provoque de nombreuses violences et séditions, le Vivat rex, prononcé en 1405 et qui s’insurge contre « l’estat oultrageux » des seigneurs, mais surtout le Pax hominibus, prononcé en 1409, à propos de la « male voulenté » des puissants qui empêche la réalisation de la paix36.
32Le plan de l’ouvrage, dans son entier, est sermonnaire : la première partie met l’accent sur les notions de prudence et de conseil, la seconde sur celles de force et de jugement et enfin la troisième sur celles de justice et de commandement. On retrouve ces trois thèmes dans le sermon intitulé La circoncision spirituelle de Bernard de Clairvaux37. Le théologien insiste sur la nécessité de suivre le Christ, ce soleil de justice, qui seul permet l’exercice du véritable discernement, mère des vertus et achèvement de la perfection38.
La tempête des vices
33Les pleurs et les lamentations de Christine créent alors un effet de sens à la fois théologique et politique. Serait-ce un espoir dénué de raison de souhaiter que les digressions qui adoptent parfois le tumulte d’une tempête marine mimétique des effusions de sang et du chaos des intérêts particuliers puissent se transformer en une eau salvatrice qui régénère et restaure un royaume baigné de sang ?
34La première métaphore marine rencontrée au chapitre III montre les dangers de l’absence d’un gouvernement ferme et ordonné :
Si disoit bien Platon que les princes ou gouverneurs de royaumes, pays et citéz doivent bien garder que descort ne meuve et viengne entre eulx... car ce n’est point moins de peril, ce dist il, que seroit de nef en tempeste ou les mariniers estriveroient l’un à l’autre de mieulx gouverner39.
35La seconde métaphore marine apparaît au chapitre IV pour établir une comparaison entre le prince et le marin dans l’exercice des vertus que requiert une telle fonction :
Et comme de rechief, dist Saluste, au propos de marins, que homme qui est esle-vée en puissance, si que seigneurs sont, se doit par vertu tousjours monstrer (digne de plus grant dignité qu’il n’a, qui est à entendre que les vertus de prince doivent surmonter toute puissance...)40
36Ces métaphores marines, inscrites rappelons le, dans les trois chapitres entièrement digressifs que nous avons cités plus haut, rappellent la symbolique de la tempête chez Bernard de Clairvaux évoquée dans le Sermon I de l’Avent41. Le saut volontaire de Jonas dans la mer est le saut que Christine voudrait voir accomplir à son royal lecteur, un saut réparateur et porteur de salut, pour un royaume comparé à une mer agitée que ne peut calmer ni la folie de Charles VI ni les vices des princes de sang.
37Il faut que la tempête des passions meurtrières et le sang de la vengeance se transforment donc en jarre remplie de vin, en signe d’une nouvelle alliance entre le futur roi et ses sujets, en un signe prometteur de paix et non de perpétuelle guerre, en signe d’union et non de discorde. Il suffit pour cela que le dauphin se montre attentif à la douleur de Christine et qu’il se laisse, lui aussi, indigner par les nombreux abus commis par les princes.
38Si le discours de la poétesse est moins didactique et plus pathétique que dans Le Livre du Corps de Policie ou le Charles V, il se fait alors certainement plus sermonnaire dans les conseils qu’elle prodigue à son royal interlocuteur, rappelant la verve de Bernard de Clairvaux lorsqu’il insiste sur la solidarité qui lie l’homme à ses semblables :
De même, à nos frères parmi lesquels nous vivons, nous sommes tenus, de par le droit de la fraternité et de la solidarité humaine, de leur apporter conseil et secours... Mais il s’en trouvera peut-être parmi vous pour se dire tout bas : « quel conseil donnerais-je, moi, à un frère auquel il ne m’est pas possible d’adresser le moindre mot sans permission ? Quelle aide lui apporterais-je, alors qu’il ne m’est pas permis de faire le moindre geste en dehors de l’obéissance ? » – À quoi je réponds : l’occasion d’agir ne te manquera pas, pourvu que toi, tu ne manques pas d’amour fraternel42.
Le style des prédicateurs
39Ainsi, pour peu que le dauphin se laisse émouvoir par toutes ces exhortations et qu’il se laisse conduire vers la compassion et la miséricorde, alors les occasions d’œuvrer ne lui manqueront pas, s’il choisit d’imiter les vertus de Charles V et non de suivre la pente des vices que lui offre le tableau actuel des actions princières.
40On constate que le ton sermonnaire est largement illustré par les chapitres VIII à X de la deuxième partie qui développent des exemples bibliques de façon digressive puisque les exemples sont systématiquement introduits par Item43. Cette énumération vertigineuse d’exemples bibliques relèvent de ce que Béatrice Fraenkel nomme la valeur opérative du langage. Pour elle :
La parole opérative repose, tout comme l’acte écrit, sur un dispositif à deux auteurs : celui sous l’autorité duquel les paroles sont prononcées, Dieu ou le Diable, et l’auteur énonciateur, celui, sage ou magicien qui réalise intentionnellement la profération44.
41Cet effet est pensé et réalisé pour frapper les esprits à la manière des prédicateurs. Le recours à la puissance punitive de Dieu qui n’hésite pas à renverser dans sa colère les révoltes des seigneurs et du peuple doit produire un effet de mise en garde dans l’esprit du jeune dauphin et actualise d’une certaine manière cette colère divine, comme les signes pratiques distingués par Thomas d’Aquin45.
42L’intention de l’auteur du traité politique, apparaît alors clairement : il s’agit d’insister sur la valeur d’une telle énumération en magnifiant l’instant de l’action ou la puissance divine intervient et s’accomplit. Christine avertit son lecteur et lui rappelle que si le discours des sages et des philosophes est impuissant à détourner les princes de leurs vices, la puissance divine, elle ne manquera pas de les punir inexorablement.
Les princes et la justice
43Les interventions d’auteur renforcées par des excursus sermonnaires conduisent Christine à des considérations axées autour de la notion de justice. L’auteur manifeste par là son indignation devant la façon dont les princes font régner leur justice et non la justice.
44Les commentaires de la poétesse relèvent de la justice distributive et de l’acception des personnes et font écho à certains propos développés par Thomas d’Aquin dans la Somme théologique46. La justice distributive répartit proportionnellement le bien de la société47. L’acception des personnes attribue une charge à quelqu’un, non en fonction de son mérite, mais selon son rang48.
45Dans le chapitre X, de la deuxième partie de l’œuvre, intitulé Cy parle comment appartient selon Justice guerdonner les Bons, Christine oppose l’acception des personnes à la justice distributive :
... lesquelz rommains en tous les estas ne prisoient nullui s’il n’etoit vallable... et selon que ilz faisoient de bien estoient de plus en plus honnouréz et remunérez49.
46La rémunération proportionnelle aux prouesses du chevalier et à son action envisagée sous son rapport au bien de la cité relève de cette justice distributive définie par Thomas d’Aquin. On donnera plus à celui qui agira le mieux pour la cité. Christine introduit ensuite un commentaire sur l’acception des personnes :
O que pleust à Dieu que ainsi ores fust fait !... .O ! quel desplaisir à gent de bon corage veoir gent de grant value en royaume tant renommé et ouquel toute noblesse se souloit traire et estre à son droit regardée, que à present on n’y face si comme compte des bons et d’autres pour un peu ou neant d’aparnace, sans grans faiz mais qu’en grace d’aucuns soient, sont mis avant (f° 40) et ont les honneurs50.
47Les remarques sur la justice distributive sont plus appuyées et expriment de quelle manière le dauphin devra gouverner :
O ! prince debonnaire, à parler de ceste matiere, non mie en particulier mais en termes generaulx pleust à toy meismes... que tes menistres à l’exemple de toy n’y voulsissent ou osassent errer, oncques tant de bien n’avint en ce royaume51...
48Les commentaires de l’auteur témoignent de sa longue expérience de la situation politique :
Et qu’appartient il à yceulx tes lieuxtenans52 ?
49Et plus loin :
Et quel bien puet venir de telz justiciers ? Ha ! Certes n’et nul qui le puet extimer tout premierement par justice ainsi maintenue, qrace vers Dieu en sera acquise53.
50Les questions rhétoriques et les commentaires sont renforcés par deux exemples introduits par Item et qui clôturent cette digression. Toutes ces interventions d’auteur sont pratiquées pour que le dauphin prenne conscience de l’importance de rétablir une justice distributive seule apte à gouverner vraiment équitablement. La pratique de l’acception des personnes dure depuis trop longtemps et a causé trop de mal au royaume.
Les idées politiques de Christine de Pizan54
51Toutes ces interventions donnent à Christine l’occasion d’exprimer ses propres idées sur la situation politique. Et, plus que dans ses écrits précédents, il semble que tous ces excursus offrent de Christine l’image d’un véritable auteur, selon la définition d’Emmanuèle Baumgartner pour qui :
est qualifié d’auteur celui qui ajoute un supplément de matière et de sens, d’interprétation, au texte qui lui sert de source et de support55.
52À travers Le Livre de la Paix, Christine apporte un supplément de matière et de sens au Charles V mais aussi à d’autres de ses ouvrages comme elle l’indique elle même à son lecteur :
... quoy qu’en autre livre propre de ses fais en ay autre foiz plus à plain parlé, neantmoins, pour ce qu’il est expedient en ce present volume fait en ton singulier nom le ramentevoir, ne me soit reprouchié ne tenu à reduter56.
53La référence à la mémoire est une notion fondamentale chez Christine puisqu’elle ne manque pas de rappeler à son lecteur qu’elle est nécessaire au maintien de la paix :
... l’une est avoir memoire sans oubly et devant les yeulx le mal qui vient par guerre et bataille... pour laquelle regart et consideracion ne te soit legiere chose croirre conseil, d’entreprendre guerres ne la deliberer, par especial et sur toutes riens guerre civile, c’est assavoir contre les tiens ne tes subgiéz57...
54Les rapports établis entre la mémoire (qui justifie donc toutes les digressions utiles à la visée de l’auteur), le conseil et la délibération font écho aux propos de Thomas d’Aquin sur la notion de Prudence58. Et le plan entier de l’ouvrage peut alors se lire comme une amplification de la vertu de Prudence. Si l’on choisit cette hypothèse de lecture, les excursus que nous avons mentionnés ne sont plus de véritables digressions, dans la mesure où ils s’inscrivent dans une perspective sommative qui justifie tous les propos montrant que :
L’acte de commander s’étend au bien à accomplir et au mal à éviter59.
55Ou bien l’œuvre entière est digressive dans l’immense amplification qu’elle déploie autour de la notion architectonique de Prudence. Et on voit une construction qui s’agrège autour de cette vertu et qui n’hésite pas à recourir à des arguments, à des ramifications multiples à chaque fois que la matière l’exige. Ou on choisit, au contraire, une perspective plus littéraire, celle de l’écrivain préoccupé par le sort de ses écrits comme en témoigne la réflexion suivante :
Pour ce que le temps avenir ouquel ce present livre, se Dieux plaist, pourra en maint lieux estre transportéz et leuz comme livres soient au monde si comme perpetuelz pour cause de plusieurs coppies qui communement en sont faictes, quoy que toy, Loys, filz second... ce de ceste matiere dis voir ou non se en fai-soies doubte60.
La paix et la clarté
56Si le livre dit vrai, s’il est le témoignage d’une vérité historique, alors l’écrivain est autorisé à façonner le jugement de son lecteur princier, dans une perspective encore thomiste61 mais plus auctoriale que sommative. Pour que le dauphin saisisse les choses comme elles sont, pour qu’il comprenne comment la paix se construit et se maintient, Christine pare son discours d’une claritas propre à faire de Louis un futur roi digne de ce nom, à l’image de Charles V62. Pour peu que son lecteur se montre sensible à ces nombreux procédés ornementatifs, sermonnaires ou encore politiques, la guirlande de fleurs tressée par l’auteur avec des fleurs cueillies au champ des écritures pourra se transformer en une véritable couronne de royauté63. Les digressions de ce traité didactique ont donc pour fonction de construire une image de la royauté qui se voudrait le reflet de la justice, déjà illustré d’une certaine manière par Charles V.
57Le retour à l’ordre est donc possible, c’est ce que Christine souhaite en tout cas faire comprendre à son lecteur, même si cela implique des détours, des retours à certains thèmes maintes fois évoqués. On comprend alors que les digressions qui empruntent des chemins de traverse ne visent pas autre chose que le retour à la justice et à l’ordre. Elles confèrent au Livre de la Paix sa portée morale car un gouvernement ordonné passe par la connaissance et l’approfondissement des vertus et des circonstances qui peuvent construire la paix, une vision de paix comme tranquillitas ordinis64. Si les ruptures et les excursus du Livre de la Paix produisent d’abord une impression de désordre, il s’agit d’un désordre fédérateur ; il contribue en effet à faire briller la beauté morale et l’honestum65. Qu’il soit déployé dans une chevauchée, ou dans la manière de gouverner, l’ordre devient synonyme de paix, mais il dépend de la volonté du dauphin. La paix, semble rappeler Christine, est fragile, elle reste en puissance et nécessite l’adhésion de son lecteur princier aux valeurs de l’honestum, incarnées par Charles V, pour être continuée.
58Déjà, dans son Livre de la mutacion de Fortune, la poétesse avait soutenu que la force du royaume résidait dans l’unité et dans l’entente de toutes les parties du corps social avec chef. Bien que Le livre de la Paix insiste davantage sur ce thème, la voix de l’auteur n’a malheureusement pas été entendue66. En 1415, Paris et le royaume tombèrent aux mains des Anglais et le dauphin avait pris la fuite pour préparer la rescousse.
Notes de bas de page
1 Suzanne Solente : Christine de Pisan, Histoire littéraire de la France, p. 379.
2 La qualification d’hybride est donnée par Liliane Dulac : « De l’art de la digression dans Le livre des Fais et bonnes meurs du sage Roy Charles V », The City of Scholars, New approaches to Christine de Pizan, edited by Margarete Zimmermann and Dina de Rentiis, Offprint, Walter de Gruyter, Berlin-New York, 1994, p. 148.
3 Cf. la définition de Quintillien : Institution oratoire, tome III, Livres IV et V, texte établi et traduit par Jean Cousin, Paris, Les Belles Lettres, 1976, p. 75 : « ... sumptas ex iis partibus, quarum alius erat locus, sententias in hanc congerunt... ».
Les avocats accumulent, dans cette partie du discours, des traits tirés des autres parties, dont la place était ailleurs.
4 Liliane Dulac, « De l’art de la digression... », art. cit., p. 148-157.
5 Ibid., p. 149.
6 Christine de Pizan, The Livre de la Paix of Christine de Pisan, a critical edition with introduction and notes, ed. Charity Cannon Willard, La Haye, Mouton, 1958 , p. 63.
7 Christine de Pizan, Le Livre de la Paix, éd. cit., p. 63.
8 Cicéron, De l’orateur, livre deuxième, texte établi et traduit par Edmond Courbaud, 4e édition, Paris, Les Belles Lettres, 1966, argument analytique, p. 2.
9 Le Livre de la Paix, éd. cit., p. 57-58.
10 Le procédé utilisé par Christine dans Charles V ou dans Le livre du corps de policie est proche de ce que Cicéron décrit dans l’argument analytique du livre II de De l’orateur (op. cit.). C’est une manière d’orner le discours mais aussi de montrer l’universalité d’un savoir qui est l’apanage des clercs. On ne doit pas oublier l’interminable digression insérée dans le Charles V, constituée par la traduction par Christine du Commentaire de la Métaphysique d’Aristote, traduit auparavant du grec par Thomas d’Aquin (cf. à ce sujet l’article de Liliane Dulac et Christine Reno : « L’humanisme vers 1400, essai d’exploration à partir d’un cas marginal : Christine de Pizan, traductrice de Thomas d’Aquin », Pratiques de la culture écrite en France au xve siècle, Louvain la Neuve, 1995). Cette traduction faite et insérée par Christine dans la biographie de Charles V appartient au premier type de digression défini par Geoffroy de Vinsauf qui est de sortir du sujet (on trouvera l’évocation de cette doctrine dans Les Arts poétiques du xiie et xiiie siècle, par Edmond Faral, Paris, Champion, 1924, p. 74). Cette sortie volontaire du sujet est une manière de renfort, dans le discours de Christine, qui lui sert à asseoir son autorité, à accréditer sa parole, dès lors qu’il s’agit de donner plus de poids à son texte, de la placer, aux yeux de ses lecteurs, au même rang que les autres écrivains.
11 Cicéron, De l’orateur, livre III-203 p. 85 : « ...morum ac vitae imitatio vel in personis vel sine illis, magnum quoddam ornamentum orationis et aptum ad animos conciliandos uel maxime, saepe autem etiam ad commouendos... » (... la peinture des caractères et de la vie, avec ou sans l’insertion de personnages [constitue] vraiment un riche ornement du discours et, plus que toutes les autres figures, elle est propre à disposer favorablement les esprits et, souvent, bien plus, à les toucher...).
12 Ibid., argument analytique, III, 350-361.
13 Le livre de la paix, chapitre VIII, éd. cit., p 72.
14 Cicéron, De l’Orateur, livre II, XLV-189, p 82-83 : « Neque fieri potest ut doleat is qui audit, ut oderit, ut inuideat, ut pertimescat aliquid, ut ad fletum misericordiamque deduca-tur, nisi omnes illi motus, quos orator adhibere volet judici, in ipso oratore impressi esse atque inusti videbuntur. » (De plus, il n’est pas possible que les auditeurs ressentent de la douleur, de la haine, de l’envie, de la crainte pour quoi que ce soit, ni qu’ils ne soient amenés aux larmes et à la pitié, sans que toutes ces passions, que l’orateur veut leur communiquer, ne semblent être imprimées et gravées en lui-même.)
15 Umberto Eco, Le Problème esthétique chez Thomas d’Aquin, PUF, Paris, 1993, p. 19.
16 Cf. à ce sujet le De Veritate de Thomas d’Aquin (q. XXII, art. 1-12), Thomas établit une analogie très claire entre la beauté et la paix : « Appetitum terminari ad bonum et pacem et pulchrum non est terminari in diversa. Ex hoc enim ipso quod aliquid appetit bonum, appetit simul pulchrum et pacem ; pulchrum quidem, in quantitum est in seipso modificatum et specificitum, quod in ratione boni includitur : sed bonum addit ordinem perfectivi ad alia. Unde quicumque appetit bonum, appetit hoc ipso pulchrum. » (Que l’appétit trouve son aboutissement dans le Bon, et dans la paix, et dans le beau ne veut nullement dire qu’il aboutit à des choses différentes. Car, par le fait même que quelque chose ressente de l’appétit pour le bon, elle ressent de l’appétit pour le beau et pour la paix : et pour le beau, assurément dans la mesure où il se trouve en lui- même modifié et spécifié, parce qu’il est inclus dans l’espèce de du bon ; mais le bon ajoute un ordre de perfectibilité aux choses. D’ou il suit que quiconque ressent de l’appétit pour le bon, ressent de ce fait de l’appétit pour le beau), cit. dans Le Problème esthétique chez Thomas d’Aquin, op. cit., p. 47.
17 Ibid., p. 98.
18 Le Livre de la Paix, éd. cit., p. 72.
19 Quintillien, Institution oratoire, tome III, livre IV, 3, 12-14.
20 Le Livre de la Paix, troisième partie, chapitre XXVI, éd. cit., p. 155.
21 Le Problème esthétique chez Thomas d’Aquin, op. cit., p. 78.
22 Ibid., p. 156.
23 Locution de Cornificius citée par Edmond Faral, Les Arts Poétiques du xiie et xiiie siècle, « Expolitio est quum in eodem loco manemus, et aliud atque aliud dicere videmur », p. 63 (Il y a expolition quand nous restons dans le même sujet et que nous avons l’air de dire une chose et encore une autre).
24 Quintillien, Institution Oratoire, livre IV, 3-15, p. 79.
25 Le Livre de la Paix, éd. cit., p. 90.
26 Liliane Dulac, « L’autorité dans les traités en prose » Une femme de lettres au Moyen Âge, études autour de Christine de Pizan, articles inédits réunis par Liliane Dulac et Bernard Ribémont, Orléans, Paradigme, 1995. p. 19.
27 Ibid., p. 19.
28 Id., p. 19.
29 Le Livre de la Paix, éd. cit., p. 63-64.
30 Froissart, L’Espinette amoureuse (v. 3520-3523).
31 Le Livre de la Paix, éd. cit., p. 118.
32 Ibid., p. 118-119.
33 Christine, en effet, met en relation les termes antithétiques de paix et de guerre, d’union et de destruction et crée ainsi un effet de sens, qui frappe le lecteur, par la vivacité des constructions et des tournures syntaxiques comme les nombreux impératifs de l’exhortation adressée à Louis de Guyenne qui sont des procédés d’écriture fréquents que l’on retrouve dans Les Sermons pour l’Année de Saint Bernard (traduction, introduction et notes par Pierre-Yves Emery, 2e édition, Brépols, les Presses de Taizé, 1990). Cette digression introduite par une exhortation rappelle tout particulièrement le Sermon III : « C’est pourquoi notre homme considère maintenant comme indispensable le jour de la force, afin d’apprendre à garder sa force pour le Seigneur, comme aussi à la chercher dans l’armée de ceux qui, nombreux, combattent ensemble : là, il trouvera autant d’auxiliaires que de compagnons, et des hommes capables de dire avec l’Apôtre : Nous n’ignorons pas les ruses de l’Ennemi (2 Co 2. 11). En raison de sa force, la communauté est redoutable à la manière d’une armée rangée en ordre de bataille (Ct 6.10). Mais malheur à l’isolé : s’il tombe, il n’y a personne pour le relever (Eccl 4. 10) », p. 171.
34 Le livre de la Paix : « Cestui, pour ce que fort se sentira de pays, de gens, ou d’aliéz, ou d’argent en quoy se fiera, fera mainte extorcion à ses voisins ou aucune de ses subgiéz, à son grant tort vouldra usurper le leur, et pour ces choses faire (f° 55) mouvra grant querre afin de tout espouventer », éd. cit., p. 120.
35 Ibid. p. 121.
36 Jean Gerson, Œuvres complètes, introduction, texte et notes par Mgr Glorieux, 10 vols., Paris, Desclée & Cie, 1968-1973 ; cf. tome VII, p. 946 pour Ave Maria, p. 1176 pour le Vivat Rex et p. 764 pour le Pax hominibus.
37 Saint Bernard, Sermons pour l’Année, Sermon III, p. 170-171 où il est question d’un jour de justice, d’un jour de sagesse et d’un jour de force. Christine en modifie l’ordre et le plan, mais ses arguments, lorsqu’elle digresse, peuvent s’apparenter au sermon de Bernard de Clairvaux dans la mesure où elle présente systématiquement Charles V comme le parangon de la prudence royale, de la force, de la sagesse et du discernement ainsi que celui de la justice. Il est donc un modèle à imiter pour Louis de Guyenne qui doit détourner ses yeux des vices et des exactions sans nombre commis par les princes du sang.
38 Ibid., p. 174.
39 Le Livre de la Paix, éd. cit., p. 119.
40 Ibid., p. 121.
41 Saint Bernard, Sermons pour l’Année, Les six caractéristiques de cet avènement, Sermon 1, Avent, p. 41 : « En conséquence, pour qu’on sache que moi aussi j’aime le Père... il faut que, par moi, il rentre en possession de ceux qu’il semble avoir perdus en quelque sorte à cause de moi. Si c’est à cause de moi que cette tempête s’est levée, dit Jonas, prenez-moi et jetez-moi à la mer (Jon. 1,12). »
42 Saint Bernard, Sermon III, Les sept colonnes, l’Avent, p. 55.
43 Le Livre de la Paix, éd. cit., p. 125-129.
44 Béatrice Fraenkel, « L’auteur et ses signes », Auctor et Auctoritas, Invention et conformisme dans l’écriture médiévale, Actes du colloque de Saint-Quentin-en-Yvelines (14-16 juin 1999), réunis sous la direction de Michel Zimmermann, Paris, Genève, Champion-Droz, 2001, p.420.
45 Ibid., p. 421.
46 Thomas d’Aquin, La Somme théologique, tome III (Paris, Cerf, 1999), cf. tout particulièrement les questions 58, 59 et la question 61 sur la distinction entre la justice commutative et la justice distributive ainsi que la question 63 sur l’acception des personnes.
47 Ibid., p. 405.
48 La Somme théologique, tome III, q. 63 : L’acception des personnes, p. 419.
49 Le Livre de la Paix, éd. cit., p. 101.
50 Ibid., p. 101.
51 Le Livre de la Paix, éd. cit., p. 96.
52 Ibid., p. 96.
53 Id., p. 96.
54 Cf. Gianni Monbello : « Quelques aspects politiques de la pensée de Christine de Pizan d’après ses œuvres publiées », Estratto dagli atti del Convegno su : « Culture et politique en France à l’époque de l’Humanisme et de la Renaissance », Academia delle Scienze di Torino, 29 marzo-3 aprile 1971. L’auteur souligne aux pages 136 sq., que Christine recommande la prudence et la modération à Louis de Guyenne à l’égard du « menu populaire », étant donné que l’insurrection cabochienne est récente (entre mai et juillet 1413, le peuple soulevé par Simon Coutelier, dit Simon Caboche, envahit l’hôtel Saint Pol). La prudence est donc de mise mais ce conseil de Christine ne fut pas toujours suivi par les Armagnacs. Le chapitre IV de la troisième partie du Livre de la Paix offre une variante intéressante dans le manuscrit de Paris (fr. 1182), il y est question du « mauvais homme puissant ». Monbello voit dans ce portrait une allusion à Jean Sans Peur. À la page 139 de son article, il note qu’en 1413 Christine s’était désolidarisée des Bourguignons. Elle avait choisi le parti de la France.
55 Emmanuèle Baumgartner, « Sur quelques constantes et variations de l’image de l’écrivain (xiie-xive siècle), Auctor et Auctoritas, op. cit., p. 391.
56 Le Livre de la Paix, éd. cit., p. 70.
57 Ibid., p. 92.
58 Thomas d’Aquin, Somme théologique, tome III, q. 47 ; cf. plus particulièrement la page 326 ou Thomas définit les trois actions principales qui se rattachent à la prudence : il s’agit de conseiller, de juger et de commander.
59 Ibid., p. 326.
60 Le Livre de la Paix, éd. cit., p. 71-72.
61 La Somme théologique, tome III, q. 51, p. 347 : « Le jugement droit consiste en ce que la faculté de connaissance saisit une chose comme elle est... C’est ainsi que dans un miroir bien conditionné, les formes corporelles s’impriment comme elles sont... ».
62 Cf. Somme théologique de Thomas d’Aquin (II-II, 180, 2-3). Umberto Eco insiste sur la deuxième objection de l’article 180 en rappelant l’étymologie de clarus (Le Problème esthétique chez Thomas d’Aquin, p. 119.) : la claritas : « aurait sa source dans la gloire dont l’individu est métaphoriquement paré, une gloire qui, en l’occurrence, découle de la vertu (de ce point de vue, l’être vertueux est beau également à cause de l’effet produit par cet éclat extérieur qu’il possède et impose au jugement d’autrui. »
63 Il paraît intéressant, à cet endroit, de tenter un rapprochement entre la guirlande de fleurs et la couronne de royauté telle que l’évoque Bernard de Clairvaux dans le sermon II de l’Epiphanie (Sermons pour l’année), p. 189. Bien que le dauphin soit encore jeune, au moment de la rédaction du Livre de la Paix, Christine œuvre pour qu’il soit un futur roi juste et que sa guirlande de fleurs se transforme en une couronne de justice, telle que Bernard de Clairvaux la décrit : « Sortez par conséquent, filles de Sion, et voyez-le avec le diadème dont sa mère l’a couronné-une couronne de pauvreté, une couronne de misère... Puis, il sera couronné par sa famille par une couronne de justice... ».
64 Umberto Eco, Le Problème esthétique chez Thomas d’Aquin, op. cit., p. 108 : « L’ordre est vie... mais la dynamique contrôlée devient garantie de Paix. En rappelant cet article du Veritate dans lequel la Pax se trouve assimilée au Beau, nous nous rendons compte du pourquoi d’une telle équivalence : la Paix, c’est l’immobile perfection de la proportion réalisée, c’est le Beau comme résultat. »
65 Ibid., p. 55 : Umberto Eco note que Thomas d’Aquin établit une équivalence entre beauté morale et honestum, qu’il reprend de la tradition stoïcienne, de Cicéron et de Saint Augustin. Le beau est ce qui est agréable, parce que louable, parce que bon.
66 Gianni Monbello : « Quelques aspects politiques de la pensée politique de Christine de Pizan d’après ses œuvres publiées. » Estratto dagli atti del Convegno su : « Culture et politique en France à l’époque de l’Humanisme et de la Renaissance. » p. 144.
Auteur
Aix-en-Provence
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