La digression mise en cycle dans Renaut de Montauban (versions rimées)
p. 125-138
Texte intégral
1Dans sa très riche analyse de Renaut de Montauban d’il y a quelques années, François Suard1 expliquait la raison du succès de cette longue chanson de geste par l’équilibre entre la technique épique et la technique narrative dans le traitement des différents thèmes. Démesure du vassal et de l’empereur, conflit générationnel entre père et fils, instance féodale contre instance parentale, lutte contre les païens, dévouement à Dieu : les différents enjeux de Renaut de Montauban sont traités à la fois de manière épique (création de scènes individuelles de grande puissance émotive), et de manière narrative (enchaînement fluide des divers nœuds de l’action via les déplacements de lieu et les changements d’état d’esprit).
2À ces thèmes constituant l’armature de l’œuvre, il faut ajouter celui de la raillerie qui se distingue des thèmes principaux par un traitement très peu épique (ce qui est probablement dû à sa nature intrinsèque) et par une présence discontinue dans l’œuvre. En effet, il n’est pas développé tout au long de la chanson, mais plutôt traité en micro-épisodes, parfois ressemblant à des véritables scènes, qui se détachent par la gaieté de leur mimésis sur un tissu narratif beaucoup plus sombre. Et cela parce que le persiflage dans Renaut de Montauban se joue sur des motifs narratifs qui relèvent du renversement des valeurs et par conséquent du burlesque : le vol, le déguisement, le charme2. Ce thème secondaire se caractérise, en outre, par le fait d’être toujours déclenché par le personnage de Maugis, cousin de Renaut, larron et enchanteur patenté, cible finale de la haine acharnée de Charlemagne.
3Par leur maigre grandeur épique et par les divers motifs mis en jeu, les scènes dont Maugis est protagoniste semblent donc être des matériaux digressifs que le parfait dispositif narratif a progressivement intégrés dans l’œuvre. Le potentiel inhérent à ce personnage « pluri-fonctionnel3 » explique la mise en cycle de la chanson, qui a contribué de surplus à son succès. Le cycle de Renaut de Montauban compte en effet trois autres chansons de geste d’étendue mineure : Maugis d’Aigremont, Vivien de Monbranc et la Mort de Maugis4. Lorsque l’on parle du cycle de Renaut de Montauban, comme le soulignent les titres, on se réfère en réalité au cycle « bâti » autour du personnage de Maugis, le larron – enchanteur et non de Renaut li vassaus henoré. Ce développement cyclique ne serait qu’une autre preuve de l’indépendance de Maugis et de ses motifs par rapport à Renaut de Montauban.
4Tout le monde s’accorde pour donner au personnage de Maugis une provenance différente : de caractère mythologique ou intertextuel5. On n’arrive toutefois pas à expliquer l’apparition de cette figure de trickster dans une œuvre qui se veut le Bildungsroman de Renaut de Montauban depuis sa jeunesse de chevalier à peine adoubé et aussitôt rebelle à l’empereur jusqu’à sa mort en odeur de sainteté. S’il est vrai qu’aucune des douze versions manuscrites de la chanson6 ne se passe de Maugis, il est vrai aussi que la discontinuité de sa présence, sur l’axe diachronique du développement du texte et sur l’axe synchronique des différents épisodes, considérés d’après tous les manuscrits, laisse supposer la progressive insertion de ce personnage, de son ironie et de son merveilleux dans l’œuvre. Les interventions de Maugis relevant d’une certaine consistance narrative7 sont au nombre de huit. Elle s’étalent d’une manière très irrégulière au fil des six macro-épisodes que l’on distingue dans Renaut de Montauban, tout en se concentrant dans l’épisode gascon8. Ici l’on en verra une qui, de par sa variance dans l’œuvre manuscrite, permet de montrer le procédé d’insertion de ces matériaux digressifs. On essayera par ailleurs d’expliquer la fonction de ces interventions dans un texte de ce genre.
5Prenons donc en considération l’intervention de Maugis dans l’épisode rhénan : il s’agit de son retour auprès de son cousin Renaut. Dans l’épisode gascon, après avoir enlevé l’empereur pour le livrer à Renaut, Maugis quitte la forteresse de Montauban pour aller en ermitage ; c’est après plus de deux mille vers, pendant lesquels on n’a plus de nouvelles de lui, que nous le retrouvons, au moment où Charlemagne assiège la ville de Trémoigne (aujourd’hui Dortmund) en Rhénanie. Cette ré-apparition inattendue du personnage est rapportée par neuf manuscrits (les autres étant incomplets) selon deux versions différentes.
6D’un côté, les manuscrits CDNV9 nous présentent Maugis dans son ermitage qui se met à penser à Renaut et décide d’aller le voir. Parti avec son bourdon, il rencontre un pèlerin qui le renseigne sur la situation des quatre fils d’Aymon qui, ayant quitté Montauban, se sont installés à Trémoigne où Charlemagne les assiège. Maugis se dirige alors vers Trémoigne. Dès son arrivée, il pénètre dans le campement de l’empereur où il se fait passer pour un pèlerin revenant de Terre Sainte qui a été « asoti » par les païens. Pour rendre son récit plus crédible il se met à dire des sottises et à courir après les soldats de l’empereur tout en les menaçant avec un bâton. C’est ainsi qu’il gagne la sympathie de Charlemagne et l’autorisation de rester dans le campement :
Quant Franceis l’ont veü, si prennent a huchier :
« Et donc revient Maugis ! Diex li dont encombrier !
— Seignor ce dist Maugis, icel plait n’a mestier.
Ja vienc je del Sepulcre et si sui .i. paumier.
Par Dieu, paien m’ont fait de mon sens marner :
Se vos ne me laissiez, vos le conperrez chier. »
Aïtant lor cort sore a .i. fust de pomier.
Ogier de Danemarche le prent a araisnier,
Au tref Karllon le maine le nobile guerrier.
« Paumier, et donc viez tu ? dit Karlles au vis fier,
Et con a tu a nom ? garde ne me noier.
Je cuit tu es Maugis qui me viez engingnier.
— Sire, j’ai nom Raquet, ja celer nel vos quier.
Paien m’ont asoti et m’ont fait esragier. »
Quant l’oï Karllemaigne si a le fol mult chier.
Devant le roi de France s’estut le jor Maugis.
Il parla folement, mult i out geus et ris
Ses folies fesoit, mult s’en est entremis :
Tantost les enchanta en charmes et en dis,
Meïsmes Karllemaigne s’en est mult esjoïz.
(D, 12508-27)
7Pendant la nuit, sorti du camp en cachette, Maugis rentre dans la forteresse de Trémoigne où il est accueilli chaleureusement par Renaut et ses frères. Il leur raconte sa vie d’ermite et ses projets de pèlerinage au Saint Sépulcre, et promet à Renaut de lui amener un otage important. Ensuite il retourne au camp de l’empereur. La nuit suivante, après avoir endormi toute l’armée par un charme, il enferme Chariot, le fils de Charlemagne, dans un sac et l’amène à Trémoigne où il le livre à Renaut pour repartir de suite :
Quant vint a mienuit, Maugis ne se targa,
Tost et isnelement les barons enchanta,
Et tantost s’endormirent si com il se torna.
Maugis vint a Kallot que Kalles engendra,
Les jambes et les piez maintenant li lia,
Et quant il out ce fait en .i. sac le bota,
As braz que il out fort en son col le leva,
Maintenant ist de l’ost, a Tremoine s’en va.
(D, 12629-36)
8Or, l’on retrouve dans ce micro-épisode un concentré des exploits les plus typiques de Maugis : déguisement et mensonge, enchantement et enlèvement (qui se substitue au vol, autre « loisir » du larron). L’effet typique des scènes jouées par Maugis lors de ses déguisements est une ironie extra-diégétique, puisque l’information sur la véritable identité du pèlerin est connue du narrateur, des auditeurs (ou lecteurs) et du personnage, qui se moquent tous en même temps d’un Charlemagne, tombant pour une énième fois dans le piège. L’épisode de l’enlèvement de Chariot est donc une sorte de variation sur le thème des éléments présents dans les trois principales interventions de Maugis se situant dans l’épisode gascon10. C’est en effet pour pénétrer dans le campement de Charlemagne afin d’avoir des nouvelles de Richard, le « menor » des quatre frères, qu’il se déguise en pèlerin à l’aide d’un enchantement. Et, sous couvert d’un rêve prémonitoire, il en vient à recevoir de la main même de l’empereur une bouchée de paon. Ensuite, après avoir été capturé par Olivier, c’est encore par un enchantement qu’il se libère des chaînes et qu’il endort les pairs et l’empereur pour leur voler leurs épées. C’est encore par un charme qu’il endort Charlemagne et l’amène dans le château de Montauban. Ces quatre scènes jouent toujours sur les mêmes éléments.
9Dans la version des manuscrits AHLMOP11, l’épisode du retour de Maugis est tout autre. On est encore dans l’épisode rhénan, après les deux mille vers pendant lesquels l’on n’a pas eu de nouvelles de Maugis suite à son départ de Montauban. Nous le retrouvons alors dans son ermitage. Il est dans son lit, quand Renaut lui apparaît en songe en se plaignant de la dureté de Charlemagne. Maugis quitte de suite sa grotte pour aller voir ses cousins à Montauban. Chemin faisant, il rencontre deux marchands qui se sont fait dévaliser par sept larrons. Malgré sa faiblesse apparente, Maugis-ermite tue le chef des voleurs et quatre de ses compères en reprenant ainsi les marchandises dérobées. Une fois rendus les biens aux légitimes propriétaires, il obtient des nouvelles de Renaut. Il découvre ainsi que celui-ci s’est installé à Trémoigne où Charlemagne l’assiège. Arrivé près de Trémoigne il n’est pas question de déguisement ni d’entrée abusive dans le camp de l’empereur, Maugis entre au contraire dans la salle principale du palais de Renaut, se met dans un coin à l’écart des regards et demande au sénéchal qu’on lui apporte du pain gris et de l’eau. C’est précisément cette attitude d’humilité (en fort contraste avec son penchant pour la bonne chère et l’abondance) qui fait hésiter Renaut avant d’aller demander à son hôte si c’est bien son cousin Maugis :
Renaus lo regarda, à paine se remue :
« Dex ! qui est cist bonhom a la chape velue ?
Se il ne fust si maigres, par la Dame cremue,
Ge deïsse, ge cuit, ains la None venue,
C’est Maugis, nos cosin, don soffraite ai eue ;
Mais il ne fera ja cele desconeüe ;
Ne mangue fors pain et boit aiguë pleüe. »
(L, 14407-13)
10Après la joie des retrouvailles entre les deux cousins, Maugis refuse toute offre d’argent, de bon repas, de riches vêtements de la part de Renaut au nom de sa foi et de ses vœux. Il dit n’être venu que pour revoir son cousin et il repart avec l’intention de se rendre au saint Sépulcre.
« Sire, ce dist Maugis, devenuz [sui] hermite,
[Refaite ai ma] corone qui estoit beneïte.
Si ser Dex de bon cuer don ge [arai] merite.
Ne vi fors de racines, s’a [i] sainte vie escrite,
que tant [ai de mal] fait que li cuers [m’en aflite].
Par moi sunt mort mi [1] home, don m’arme [est asoplite]. »
(L, 14453-58)
« Mais bien savez de voir, outre mer doi la voie.
.xx. ans i asterai, je voil bien que l’an l’oie ;
je m’en voil aquiter, se Jhesu lo m’otroie.
Se Dex me done vie, que au Sepucre soie,
M’oferande i ferai puis m’an repareroie. »
(L, 14496-500)
11Donc, tandis que les manuscrits CDNV reprennent les motifs de la magie et de la raillerie liés à Maugis, et bâtissent une nouvelle scène à l’imitation des scènes de l’épisode gascon, les versions AHLMO préfèrent attribuer à Maugis-ermite une attitude d’humilité qui le rend méconnaissable. Il s’agit en fait d’une attitude plus adaptée au déroulement de l’histoire, et notamment au ton de l’épisode rhénan où le conflit entre empereur et vassal trouve son apaisement, et qui semble anticiper le climat de l’épisode final de saint Renaut. Il s’agit en quelque sorte d’un exemplum, Maugis ne cessant de prêcher le repentir, la justice, la pauvreté, le dévouement à Dieu. À ces éléments se rattache en outre la Mort de Maugis, le texte conclusif du cycle en vers, qui d’un voleur rusé fait de Maugis un grand pénitent, candidat à la papauté, persécuté par Charlemagne. Le compositeur de ce texte a voulu ainsi achever la sublimation du personnage qui commence dans Renaut de Montauban.
12Sur le plan du récit, la version CDNV, contant l’enlèvement de Chariot, a une influence sur la suite du fil narratif si bien qu’elle ne peut être définie comme digression. À l’enlèvement de Chariot s’ajoute la capture de Richard de Normandie (fait prisonnier par Renaut lors d’un combat hors de Trémoigne) et cela donne la possibilité à Renaut d’exercer une double pression sur Charlemagne en le menaçant de pendre les deux prisonniers. Ce chantage suscite davantage la haine de l’empereur mais l’oblige en même temps à consentir à la paix en échange de la libération des prisonniers. Cependant l’action de Maugis et son résultat immédiat ne sont pas efficaces définitivement. Sitôt libérés Chariot et Richard le Normand, Charlemagne déclare derechef son intention de pendre Renaut, tout en faisant la sourde oreille aux prières de son fils, qui lui demande de maintenir sa promesse de paix, et aux plaintes des pairs qui lui reprochent sa déloyauté. Charlemagne ne cède vraiment que lorsque Roland et les pairs, profondément scandalisés, l’abandonnent pour retourner en France.
Rollant li niés Kallon n’i a fait demoree,
En haut s’est escrié a mult grant alenee :
« Barons, alons nos en en France la loee. »
Des .xii. pers de France chascun saisi s’espee,
Por l’amor de Rollant ont fait la retornee,
Kallemaigne ont laissié en estrange contree ;
Et Renaut s’en ala en la cité loee.
Kallemaigne le vit, a cui mult desagree,
Un mesage en apele sanz nule demoree :
« Va, si di a Rollant que l’ost soit retornee.
Sa volenté ferai, ja n’en iert trestornee. »
(D, 12852-62)
13C’est donc le risque de se voir dépourvu de l’appui de ses pairs qui pousse l’empereur à un accord de paix définitif. Sur le plan de l’histoire12, l’enlèvement de Chariot apparaît donc comme un surplus par rapport au développement narratif, d’autant plus que la version AHLMOP, limitant le retour de Maugis à une visite pieuse, parvient au même happy end sans faire intervenir le fils de l’empereur. Dans la version AHLMOP on retrouve au niveau du récit les séquences suivantes : capture de Richard de Normandie – bref retour de Maugis – chantage de la part de Renaut qui menace de pendre le Normand – entêtement du roi qui ne veut pas agréer la paix – rébellion des pairs qui quittent le campement -Charlemagne consentant à la paix – libération du Normand et paix. Bien que modifiant les séquences du récit et retardant la conclusion définitive de la guerre entre Renaut et Charlemagne, l’intervention de Maugis dans la version CDNV n’est pas l’acte résolutif de la guerre puisque c’est le soulèvement des pairs qui contraint l’empereur à la paix.
14Philologiquement, les versions CDNV concordent : elles présentent à peu près les mêmes vers, donc les mêmes rimes et les mêmes contenus, dans un même contexte. En revanche, la version AHLMOP présente une variance phrastique13 plus poussée et une problématique de tradition horizontale. Si l’on prend L comme texte de référence, H et M présentent à peu près les mêmes vers ; ils ont toutefois une laisse rimant en – erent alors que L dans le même passage possède des rimes en – i14. Le manuscrit A, qui a tendance à résumer deux, voire trois laisses en une, quitte à changer de rime au cours de la laisse, puise à la fois dans les deux groupes donnant ainsi une laisse commençant en – oi, se poursuivant en alternance de -in et -i, et s’achevant en -erent. Bien qu’évidemment descriptus, ce code ne doit pas être écarté puisqu’il nous donne par ailleurs une leçon permettant d’éclaircir le passage de la reconnaissance de Maugis de la part de Renaut, ce passage étant en revanche brouillé dans HLM15. Dans le manuscrit P l’épisode de Maugis-ermite manque complètement à cause de la perte d’un cahier. Le manuscrit O présente deux lacunes : la première due probablement à la perte d’un cahier et la deuxième qui nous fait sauter de quelque deux cents vers. À cause de ces deux lacunes qui entament le début et la fin de l’épisode de Maugis-ermite, il ne reste, dans le manuscrit O, qu’un passage de cinquante-six vers correspondant au moment où Maugis s’installe dans la salle de Trémoigne, juste avant que Renaut ne le reconnaisse. Il manque donc malheureusement dans O les passages qui seraient susceptibles de nous éclairer quant à leurs correspondants dans AHLM. La leçon de O, elle, est assez proche de L16.
15Le dédoublement de la tradition, les passages troublés dans la famille AHLMOP et le fait qu’on pourrait se passer de ce micro-épisode sans grande perte pour le déroulement de l’histoire, montrent qu’il s’agit d’éléments hétérogènes qui ont été empruntés à l’épisode gascon pour être insérés dans la dispositio de l’épisode rhénan. Étant donnée l’inutilité de cette intervention pour la fonctionnalité du récit, nous n’avons que deux motivations pouvant la justifier : d’une part le plaisir de « conter pour conter » qui caractérise les chansons de geste tardives ; de l’autre un souci de « charpentage » du texte.
16Cette dernière raison nous paraît expliquer la présence discontinue de Maugis dans le « prologue ». La première partie de la chanson, qui conte le meurtre par trahison de Beuves d’Aigremont, l’oncle de Renaut, nous montre en effet une variance significative dans l’agencement des séquences narratives17 ; Ce qui nous intéresse ici c’est le traitement narratif assez surprenant du personnage de Maugis, censé être le fils de Beuves. Dans la version du manuscrit L, Maugis n’est même pas nommé lors du meurtre de Beuves d’Aigremont, bien que celui-ci soit censé être son père ; dans la version du manuscrit D, on trouve, au contraire, un Maugis qui pleure son père et qui conduit à coté de ses oncles la guerre de vengeance contre Charlemagne ; tandis que la version N montre clairement le remaniement puisque ici la femme de Beuves attend le retour de son mari avec ses deux fils : Maugis et Vivien ( !)18. Ensemble, ils pleurent Beuves avant l’enterrement. Après ces brèves allusions les deux frères disparaissent de l’action, Maugis n’est pas donc le chef de l’armée qui se bat contre Charlemagne. Or, qu’il s’agisse d’une chanson à part, incorporée à Renaut de Montauban par intertextualité surabondante, ou que Beuves d’Aigremont soit vraiment le commencement de Renaut de Montauban (en nous fournissant l’une des raisons de la guerre entre Renaut et Charlemagne)19, il nous semble que Maugis n’était pas à l’origine le fils de Beuves et qu’il a été donc introduit successivement dans cette partie de l’œuvre. D’ailleurs la première référence faite à Maugis au tout début de Beuves d’Aigremont, quand il n’a pas encore agi, et avant même qu’il entre en contact avec l’empereur, est significative de l’activité de remaniement des copistes. Dans la version de D, Charlemagne menace de dévaster les terres de Beuves d’Aigremont si celui-ci ne se présente pas à sa cour. Il menace aussi d’exécuter son fils :
« Amaugis ses filz ert mis a destrucion,
en haut le ferai pendre com .i. autre larron. »
(P, 85-8620)
17Du moment où l’histoire des quatre frères et les exploits de Maugis étaient connus par le grand public, il devait paraître naturel aux copistes de faire des références à la « qualité » de Maugis-larron même lorsque le personnage venait d’être présenté dans Renaut de Montauban. Il ne nous paraît donc pas improbable que des scribes plus entreprenants que d’autres aient remanié le prologue pour y introduire Maugis à coté de Beuves (et éventuellement Vivien, comme dans la version de N) et justifier ainsi, grâce à cette parenté, la relation étroite entre les quatre fils Aymon et le larron.
18Dans la fin de l’épisode gascon, c’est l’inverse : après l’enlèvement de l’empereur, on attribue à Maugis des soucis moraux tels qu’il s’autocensure jusqu’à devenir ermite. Ce qui est probablement dû à la nécessité d’écarter ce personnage embêtant d’une narration où le conflit entre empereur et vassal a cessé d’être. Narration qui devient par conséquent de plus en plus pieuse.
19La variance de la tradition au début et à la fin de la chanson21, ainsi que l’absence presque totale de Maugis dans l’épisode ardennais22 prouvent encore, s’il en était besoin, la postériorité de l’insertion de la matière apportée par Maugis. L’épisode gascon a représenté dès le départ le contexte le plus favorable à ces insertions. De fait, les scènes bâties autour de Maugis jouissent ici d’un enchaînement plus subtil et mieux soudé au fil principal de l’action. Une fois introduit Maugis dans l’épisode gascon, les compositeurs se sont donnés la peine de lui fournir une généalogie et de l’incorporer dans l’œuvre de façon moins aléatoire. Il reste cependant que, dans les autres épisodes, la présence de Maugis masque à peine son caractère « de greffon » sur une structure indépendante, tandis que l’épisode gascon doit son caractère et son rythme, entre autres, aux interventions du larron-enchanteur. L’implantation d’éléments hétérogènes se combine avec l’esthétique de la répétition donnant ainsi à l’épisode gascon l’apparence d’un roman d’aventure. La succession de captures ou d’enlèvements et de sauvetages successifs23 ainsi que la légèreté des digressions (stylistiques évidemment, et non pas événementielles) alternent avec la grandeur épique des scènes telles que les duels et les disputes des pairs exposant leurs griefs contre Charlemagne, avec un effet d’amplificatio continue.
20Cependant, le plaisir de dilater la narration en plongeant de temps en temps dans le burlesque et dans le merveilleux au sein d’une épopée de révolte et de contrition, ne justifie pas le fait qu’on ait voulu intégrer Maugis dans le tissu du texte jusqu’à en faire l’unique condition de la paix pour Charlemagne24. Des motivations plus profondes doivent donc avoir permis la fusion d’éléments si hétérogènes. Anne Berthelot parle à propos de Maugis de « courts circuits » : « son recours systématique à l’illusion », représentant le dispositif qui enraye le mécanisme épique de la chanson25. Toutefois si les origines de Maugis nous rapportent à sa fonction d’adjuvant, ainsi que les nains dans la mythologie germanique, ce n’est pourtant que pendant le traquenard de Vaucouleurs que Maugis vient vraiment en aide à ses cousins. Sinon c’est au contraire souvent lui-même qui les place, ou se place, dans des situations gênantes pour le plaisir de se moquer de Charles. En fait Renaut n’aurait jamais participé à la course des chevaux pour s’emparer de la couronne de Charlemagne, si Maugis ne l’avait pas rajeuni à l’aide d’une potion. De la même façon on aurait pu se passer de sa visite au campement de Charles en tant qu’espion déguisé en pèlerin, puisque ce n’est pas à lui qu’on doit le sauvetage de Richard. Ou encore, la désinvolture qu’il affecte quand il se trouve prisonnier laisse bien supposer qu’il s’est fait volontairement amener au campement de Charles pour se moquer de lui une nouvelle fois (en l’occurrence pour le vol des épées des pairs). Par ailleurs, l’enlèvement de Charlemagne ne fait qu’empirer les rapports entre les deux partis puisque d’un coté la loyauté de Renaut l’empêche de profiter d’un stratagème si peu chevaleresque, et de l’autre coté la rage furieuse de Charlemagne, qui se voit bafoué si ouvertement, ne fait qu’augmenter. De même, on a montré l’inutilité de l’enlèvement de Chariot par rapport à la conclusion de la paix. Il est clair donc que le recours à la magie, les vols, les mises en scène n’ont d’autre raison que le persiflage.
21Figure de trickster donc, plus que d’adjuvant, il faudrait peut-être interpréter l’insertion et le rôle de Maugis dans Renaut de Montauban en fonction de l’empereur plutôt que du groupe des quatre fils d’Aymon. Les mises en scène de Maugis, ses déguisements et ses enchantements déclenchent les réactions psychologiques les plus excessives et démesurées de la part de Charlemagne26. Ils en soulignent ainsi les aspects qui le rendent indigne de porter une couronne. En utilisant encore une fois les schémas interprétatifs de George Dumézil27, on peut dire que Charlemagne, indigne de sa fonction de gouvernement à cause de son déni de justice et de son recours aux traîtrises, l’est aussi par son manque d’équilibre d’esprit et d’objectivité de jugement. Le génie persifleur de Maugis ne fait que porter au paroxysme l’inadéquation de Charlemagne à son rôle. La révolte de Maugis contre ce représentant indigne de la première fonction dumézilienne, passe donc par l’ironie et la ridiculisation, renforçant l’instrument plus usuel et moins subtil qu’est la guerre. C’est justement en qualité d’élément externe au Renaut de Montauban et à la chanson de geste que Maugis peut se donner le luxe de railler l’autorité impériale, autrement il n’en aurait pas le droit28. La raillerie n’est pas qu’une simple broderie sur le tissu textuel, les interventions de Maugis, qui paraissent à première vue des divertissements légers et horston, servent en fait à justifier le mépris envers l’autorité impériale. Le thème de la raillerie et les motifs du merveilleux et du comique, bien que secondaires, servent la cause du thème principal, en enrichissant de nuances inattendues le conflit entre l’empereur et son vassal. Maugis a donc la fonction d’argumenter, de persuader (persuadere) davantage les auditeurs de l’insuffisance de Charlemagne ; ce qui était une des fonctions propres de la digressio dans la rhétorique latine. Car bien que protagoniste de certaines scènes mémorables, Maugis reste un personnage secondaire dans Renaut de Montauban. Son rôle se définit en tant qu’auxiliaire de Renaut et provocateur vis-à-vis de l’empereur.
22Il n’est pas surprenant alors, que le rôle de Maugis s’estompe à partir du moment où l’histoire du conflit entre Charlemagne et Renaut tend à sa conclusion. Les chansons dites du cycle des barons révoltés reflètent la frustration de la classe féodale des xiie et xiiie siècles qui augmentait au fur et à mesure que le pouvoir des Capétiens érodait ses compétences et ses privilèges. On sait d’ailleurs que la résolution à ce conflit-là sera historiquement en faveur du lignage royal. Dans les chansons de geste cependant, exprimant plutôt le point de vue de la classe perdante, on optera pour une « non-solution » du conflit sur le plan féodal comme le montre l’entrée en religion de Girart de Roussillon et de Renaut de Montauban et le fait que Maugis devienne ermite. L’hostilité tout simplement s’efface ; elle perd ses motivations parce que les vassaux cessent d’être vassaux, sans que pourtant l’empereur ait déclaré son tort. La royauté pouvant être mise en discussion, mais non renversée, on abat ses adversaires ou on les fait sortir du conflit en les détournant vers d’autres horizons29. C’est pourquoi le personnage de Maugis, qui trouve sa raison d’être dans la provocation, l’exaspération, et la mise en ridicule du représentant de la royauté, doit disparaître de la chanson, une fois que Renaut n’est plus persécuté par Charlemagne. Ce qui prouve bien son caractère secondaire et le fait que sa parenté avec Beuves d’Aigremont et les fils d’Aymon n’est qu’artificielle. Car si l’hostilité envers Charlemagne était vraiment due au meurtre de Beuves il aurait encore des raisons de conflit avec l’empereur, même après la résolution de la paix.
23Hors du contexte de l’épisode gascon et de la rivalité entre empereur et vassal, Maugis perd sa fonction d’alter ego de Renaut et de provocateur de Charles. Ainsi, pour bâtir le cycle de Maugis, l’on n’a pu retenir que les aspects extérieurs du burlesque du magicien, dépourvus de leur fonction sous-jacente de contestation de l’autorité royale.
24Les satellites30 de Renaut de Montauban, loin d’avoir les tonalités sombres et farouches de la planète-mère ne sont en effet qu’une succession d’aventures à l’agencement assez fallacieux. Un chassé-croisé de sièges, de guerres, de fausses identifications, d’agnitiones, suite au motif des jumeaux enlevés après la naissance, caractérise Maugis d’Aigremont et, d’une façon réduite vu ses dimensions, Vivien de Monbranc. Même quand Maugis se déguise en cardinal pour traverser le campement de Charles, on remarque un effet purement burlesque31 plus que de dénigrement de la figure royale. Les relations entre les deux personnages sont même pacifiques : l’empereur n’a pas l’obsession de Maugis et celui-ci ne lui fait pas une guerre psychologique, il est bien occupé à rétablir les liens familiaux perdus, à sauver ses parents et même à se démêler des questions amoureuses ! Ces deux œuvres donnent en effet une majeure importance à l’amour, dont Maugis fait l’objet de la part de plusieurs femmes ; ce qui est un aspect nouveau et inattendu du personnage.
25La Mort de Maugis, reprenant l’histoire de Maugis depuis son ermitage, en fait une sorte de saint. Comme dans les deux autres chansons, le surnaturel prend ici une place beaucoup plus importante que dans Renaut de Montauban, mais il acquiert dans cette chanson une connotation chrétienne. Dans la version traditionnelle32, un ange vient annoncer à Maugis d’aller à Rome où il sera élu sénateur, un deuxième ange lui ordonnera de faire la paix avec Charlemagne. Maugis se rendra donc à la cour royale où il devra subir des épreuves avant que Charles accepte de lui pardonner tous les tours qu’il lui a joués (la référence intertextuelle nous porte directement à l’épisode gascon). Quand la poix, l’huile et le plomb brûlants se transformeront en fleurette ( !), Maugis sera sauvé, et Charlemagne lui accordera enfin la paix. Le procédé de sublimation auquel on a soumis Renaut pour le détourner du conflit avec l’empereur, a été repris ici pour assurer la fin heureuse de l’histoire.
26Lors de la mise en cycle, on remarque de fait une constante : le caractère romanesque donné par Maugis. La structure par amplification et répétition de motifs, ébauchée dans l’épisode gascon, à été reprise jusqu’à l’ériger en système. Ces trois textes se rapprochent ainsi plus du roman d’aventure que de la chanson de geste et témoignent de l’évolution des goûts du public au xiie siècle.
LISTE DES MANUSCRITS ENVERS DE RENAUT DE MONTAUBAN
27A – Paris, Ars., 2990
28B33 – London, Brit. Mus., Royal 16 G II
29C-Paris, BnF,fr775
30D – Oxford, Bodl., Douce 121
31G _ Toulouse (fragment de 160 vers perdu)
32H – Oxford, Bodl., Hatton 59
33L – Paris, BnF, fr. 24387
34M – Montpellier, Fac. Médea, H 247
35N – Paris, BnF, fr 766
36O – Oxford, Bodl., Laud. misc. 637
37P – Cambridge, Peterhouse, 2.0.5.
38R – Paris, BnF, fr 764
39V – Venise, Bibl. marc, Fr XVI
40Z – Metz, Bibl. munic., 19234
INTERVENTIONS DE MAUGIS DANS LES DIFFÉRENTS ÉPISODES DE RENAUT DE MONTAUBAN (SELON LES MANUSCRITS EN VERS)
Beuves d’Aigremont :
41Maugis appelle au secours ses oncles (Aymon de Dordone, Girart de Roussillon et Doon de Maience) et participe avec eux à la guerre contre Charlemagne pour venger le meurtre par traîtrise de son père Bueves (ADMOPZ).
42(LVRB manque)
43Maugis et Vivien attendent avec leur mère le retour de leur père Beuves. Après avoir vu le corps de leur père assassiné, ils partent demander l’aide de Girart de Roussillon por attaquer Charlemagne. Ensuite ils n’apparaissent plus dans l’épisode (NC).
Ép. Ardennais :
44Après la « querelle aux eschecs », pendant la fuite de la cour, les trois frères de Renaut sont capturés par les soldats de Charles et amenés en prison à Orléans. Maugis, arrivé à ce moment-là à Orléans, les libère à l’aide d’un charme par lequel il endort les gardiens de la prison (NC).
45Dans OV, Maugis accompagne ses cousins pendant la fuite de la cour de Charles. Il est fait prisonnier avec Aalard, Guichard et Richard. C’est toujours par un charme qu’il libère tout le monde et s’enfuit de la prison avec ses trois cousins (OV).
46Maugis apparaît tout à la fin de l’épisode, au moment où les quatre cousins quittent les Ardennes pour s’en aller en Gascogne (tous les mss).
47Ép. Gascon : les cinq interventions de Maugis sont contenues dans tous les manuscrits (mis à part ceux qui sont incomplets)
- course de chevaux : à l’aide d’un enchantement Maugis rajeunit Renaut et noircit Bayard pour qu’ils puissent participer à la compétition ouverte par Charlemagne. Il se fait passer pour le père de Renaut rajeuni. Certains manuscrits contiennent un épisode de plus où Maugis et Renaut se moquent d’Ogier et Naymes.
- en secours à Vaucouleurs : lors du traquenard de Vaucouleurs, Maugis endort par un enchantement l’armée du roi Yon et il va secourir ses cousins avec un contingent de soldats. À l’aide d’une herbe, il soigne les blessures de Richard.
- sauvetage de Richard : Maugis se déguise en pèlerin malade pour pénétrer dans le camp de Charlemagne et avoir des nouvelles de Richard. Il joue tellement bien son rôle que l’empereur, convaincu de l’honnêteté du pèlerin, lui offre de l’argent et lui donne même à manger de sa main.
- capture de Maugis : Maugis se fait prendre prisonnier par Olivier qui l’amène au campement de Charlemagne. D’abord effrayé par la colère de l’empereur, il se calme au fur et à mesure au point qu’il prétend bien manger et dormir malgré la mort certaine que Charlemagne lui a promise pour le lendemain. Mais, pendant la nuit, il endort par des enchantements Charlemagne et ses pairs et, une fois libéré de ses chaînes, s’empare de leurs épées. Ensuite il les emporte à Montauban.
- enlèvement de Charlemagne : Maugis pénètre furtivement de nuit dans le campement de l’empereur, endort toute l’armée par un charme et enlève l’empereur. Il le livre à Renaut dans la forteresse de Montauban. Craignant la réaction de Charlemagne, il part ensuite en ermitage sans même prendre congé de ses cousins.
Ép. Rhénan : bref retour de l’ermitage.
48Intervention analysée (2 variantes : mss CDNV >< AHLMOP).
Ép. du Saint Sépulcre : pèlerinage en Terre Sainte : (2 variantes)
49Dans la variante DN Renaut rencontre Maugis à Acre. Maugis prépare le grabat et la table pour Renaut. Pour faire cela il vole la nappe et un peu de nourriture en reprenant ainsi son attitude de « larron ». Malgré les vœux de non-violence et les bons propos de non-intervention, les deux pèlerins se sentent obligés d’entrer dans le combat. Ils emploient des armes non réglementaires, telles que des pierres et des bâtons. C’est grâce à eux que les chrétiens regagnent Jérusalem. Avant de repartir vers la France ils refusent le gouvernement de la ville de même que les richesses que les princes chrétiens leur offrent.
50Dans la variante ALCOP les deux cousins se rencontrent dans une abbaye. Une fois arrivés à Jérusalem, tenue en siège par les Chrétiens qui tentent de tuer l’amiral de Perse, ils combattent avec leur bourdon et des pierres. Dès que les Chrétiens connaissent leur identité, ils les arment en chevalier et donnent la conduite de l’armée à Renaut. Après avoir regagné la ville, les deux cousins repartent en France tout en refusant les honneurs et les richesses qu’on leur offre.
51On trouve dans cette version un redoublement de l’action : pendant le retour, Maugis et Renaut proposent leur aide au seigneur de Palerme contre le même amiral de Perse qu’ils ont déjà mis en fuite en Terre Sainte.
Notes de bas de page
1 « Le développement de la geste de Montauban en France jusqu’à la fin du Moyen Âge », Chanson de geste et tradition épique en France au Moyen Âge, Caen, Paradigme, 1994.
2 Cf. A. Labbé, « Enchantement et subversion dans Girart de Roussillon et Renaut de Montauban », Chant et Enchantement au Moyen âge. Travaux du Groupe de recherches Lectures médiévales, Université de Toulouse II, Toulouse, Éd. universitaires du Sud, 1999, p. 121-155.
3 Cf. Ph. Verelst, « Le Personnage de Maugis dans Renaut de Montauban », Études sur Renaut de Montauban, Gand, 1981 [Romanica Gandensia, t. XVIII].
4 Trois manuscrits (MNP) sur les onze qui nous ont transmis la version dite « traditionnelle » du Renaut contiennent, selon le cas, une ou deux des autres chansons du cycle, c’est pourquoi ils sont dits « manuscrits cycliques ». M contient dans l’ordre Maugis d’Aigremont, Vivien de Monbranc, Renaut de Montauban ; N contient Maugis dAigremont, Renaut de Montauban et la Mort Maugis ; P contient Maugis d’Aigremont et Renaut de Montauban. La Mort de Maugis est connue aussi, de manière fragmentaire, par B et R, les deux manuscrits qui nous donnent une version fortement amplifiée et remaniée de Renaut de Montauban. Cf. Renaut De Montauban : édition critique du ms. de Paris, BnF, fr. 764 (R), éd. Ph. Verelst, Genève, Droz, 1988.
5 P. Rajna (Le Origini dell’epopea francese, Florence, Sansoni, 1884) lui trouvait des origines dans le folklore germanique, A. Berthelot (« Maugis d’Aigremont, magicien ou amuseur publique ? », Burlesque et Dérision dans les épopées de l’Occident médiéval, éd. Bernard Guidot, Besançon, Annales littéraires de l’Université, 1995, p. 324 sq.) en retrace les ressemblances avec la figure du dieu Scandinave Loki et les liens conscients avec Merlin. Cf. aussi l’article de Ph. Verelst, « L’enchanteur d’épopée », Romanica Gandensia, t. XVI, Gand, 1976, p. 119-162.
6 Pour les sigles des manuscrits cf. la liste fournie ci-dessous en fin d’article. Il existe aussi des versions en prose, des remaniements et des traductions en plusieurs langues, qui relèvent toutes des douze versions en alexandrins.
7 Nous ne nous occuperons pas ici des petites interventions comme les brèves allocutions lors d’un discours avec les quatre fils d’Aymon ou les nombreuses fois où Maugis est invoqué par ses cousins ou par Charlemagne. Pour une analyse plus développée de toutes les interventions de Maugis cf. Ph. Verelst, « Le personnage de Maugis », art. cit.
8 Cf. le recensement présenté ci-dessous en fin d’article : « Interventions de Maugis dans les différents épisodes de Renaut de Montauban » ; les deux macro-épisodes finaux, celui du duel des fils de Renaut et celui de saint Renaut n’y ont pas été inclus puisque, à partir de l’épisode de Terre Sainte, Maugis ne revêt plus un rôle actif dans le récit.
9 Pour ce groupe de manuscrits les citations sont extraites de l’édition du manuscrit D par J. Thomas, Renaut De Montauban. Édition critique du ms. Douce, Genève, Droz, 1989.
10 Cf. en fin d’article le recensement des interventions de Maugis.
11 Pour ce groupe de manuscrits les citations sont extraites de l’édition du manuscrit L par F. Castets, La Chanson des Quatre Fils Aymon, Montpellier, Coulet, 1909.
12 Nous utilisons la terminologie établie par G. Genette dans Figures III, Paris, Seul, 1972.
13 Pour le concept de « variance phrastique » cf. A. Varvaro, « Élaboration des textes et modalités du récit dans la littérature française médiévale », Romania, t. 119 (2001), p. 1-75.
14 L, 14330-14335, H, f° 157 r°.
15 Cf. F. Castets, éd. cit., p. 735.
16 Les cinquante-six vers de O correspondent à L, 14374-14429.
17 J. Thomas s’est basé sur cette variance pour établir le stemma codicum de l’épisode ardennais, cf. L’épisode ardennais op. cit., vol. 1, p. 191. Nous nous limitons ici à considérer à titre d’exemple trois des variantes concernant Beuves d’Aigremont.
18 N, f° 65 r°-65 v°. Vivien n’est pas un personnage de Renaut de Montauban, c’est dans Maugis d’Aigremont qu’il apparaît en tant que frère jumeau de Maugis. Il donne ensuite le nom à une autre brève chanson du cycle (Vivien de Monbranc).
19 La question n’est pas de moindre importance puisque l’absence de Renaut et de ses frères dans cette partie du texte dans la version de L a fait supposer aux premiers éditeurs (F. Castets, éd. cit., et H. Michelant, Renaus de Montauban oder die Haimonskinder, Stuttgart, Bibliothek des Litterarische Vereins, 1862) qu’il s’agit d’une chanson indépendante que les compositeurs ont ensuite mis en relation avec la matière des chevaliers rebelles et fugitifs dans la foret d’Ardennes. C’est pourquoi le prologue est encore considéré comme une partie différente de Renaut de Montauban et on l’intitule Beuves d’Aigremont. La version du manuscrit D, qui présente au contraire l’adoubement des quatre frères dans Beuves d’Aigremont fait pencher plutôt pour l’idée d’une chanson unique dont Beuves d’Aigremont ne serait que le prologue. La présence de Maugis dans cette version peut constituer par conséquent un argument de cohésion textuelle (pour la question cf. J. Thomas, L’épisode ardennais, op. cit., vol. 1, p. 143 sq.). Montrer le remaniement de cette partie par rapport à Maugis peut de nouveau ouvrir la question des rapports entre le prologue et l’épisode ardennais et de l’ordre chronologique des différentes versions ; nous ne croyons pas que cela soit mal. Cf. W. Van Emden, « La précellence d’un manuscrit d’Oxford », Charlemagne in the North, proceedings of the twelfth international conference of the Société Rencesvals, Edinburgh, 4th to 11th August 1991, éd. Ph. Bennet, Edinburgh, Société Rencesvals British Branch, 1993, p. 463-474, et M. Pagano, « Encore quelques notules sur deux versions de RdM », Entre épopée et légende : Les quatre fils Aymon ou Renaut de Montauban, éd. D. Quéruel, Langres-Saints-Geosmes, D. Guéniot, 2000.
20 D manquant du premier feuillet, J. Thomas a intégré la lacune d’après P, le manuscrit le plus proche de D pour cette partie de l’œuvre.
21 Voir aussi la variance de l’épisode du retour de Maugis dans l’épisode de Terre Sainte, cf. recensement des interventions en fin d’article.
22 Le micro-épisode des trois frères de Renaut capturés après la querelle aux échecs, et libérés par Maugis, relève encore de la surabondance diégétique. Aucun impératif narratif ne motive cet épisode, d’autant plus que Maugis entre dans la narration ex-abrupto et que la brièveté de son intervention ne permet pas de comprendre son rôle dans le contexte général de la chanson. Ce n’est pas étonnant que la plupart des manuscrits se passe de cette insertion.
23 Sauvetage des quatre frères à Vaucouleurs, de Yon dans l’abbaye, de Richard dans le campement de Charles et enfin de Maugis, qui se laisse capturer et se délivre tout seul...
24 Depuis la course des chevaux et pendant tout l’épisode rhénan l’empereur ne cesse de refuser les nombreuses propositions de paix de la part de Renaut parce qu’il veut à tout prix qu’on lui livre Maugis.
25 « Son recours systématique à l’illusion [...] détruit les effort de tous les autres, et en premier lieu de Charlemagne, pour se prendre au sérieux. », A. Berthelot, « Maugis d’Aigremont », art. cit., p. 331.
26 « Entor lui regarda et coisi la maison ; / D’ire et de maltalent a fronci le grenon, / Et roelle les oez, samblant fait de felon. / Bien sot que ç’avoit fait Amaugis le larron ; / Molt manace Maugis... » (L, 12772-6, F. Castets, éd. cit.).
27 Cf. Dumézil, G., Mythe et épopée I. L’idéologie des trois fonctions dans les épopées des peuples indo-européens, Paris, Bibliothèque des sciences humaines, Gallimard, 1968.
28 Maugis, alter-ego de Renaut, « fait ce que Renaut ne peut et ne doit pas faire et ainsi punit l’univers épico-féodal qui a condamné Renaut à perdre son héritage et à s’exiler. », W. Calin, « Évolution de la chanson de geste. Merveilleux et mélodrame dans Renaut de Montauban », Aspects de l’épopée romane. Mentalités, idéologies, intertextualités, éd. Hans van Dijk et Willem Noomen, Groningen, E. Forsten, 1995, p. 46.
29 Cf. D. Boutet, Charlemagne et Arthur ou le roi imaginaire, Paris, Champion, 1992, p. 242 sq., qui explique en outre la disparition de Maugis et de Bayait de l’histoire par des raisons mythiques, la rationalisation du surnaturel étant nécessaire, dans l’idéologie tripartite, à l’acquisition de la pleine royauté.
30 Cf. Ph. Verelst, « Le cycle de Renaut de Montauban : aperçu général et réflexions sur sa constitution », Cyclification : the development of narrative cycles in the chansons de geste and the Arturian romances, éd. B. Besamusca et al, Amsterdam ; Oxford ; New York, North Holland, 1994, p. 165-170.
31 En enfilant des gants blancs pour se déguiser en cardinal, Maugis déclare avec satisfaction les avoir commandés à Milan juste « por enbler les tresors as dus et as marchis » (Maugis d’Aigremont, éd. Ph. Vernay, Berne, 1980, [Romanica Helvetica 93], v. 4234.)
32 Cf. ci-dessus, n. 4.
33 Manuscrit composé par deux fragments rimés entre lesquels s’interpose une partie en prose (Bm).
34 Manuscrit détruit pendant la deuxième guerre mondiale.
Auteur
École pratique des hautes études – Università degli studi di Sassari
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