Voile et dévoilement dans Yusuf et Zuleikhâ de Jâmi
p. 187-202
Texte intégral
1Du vêtement déchiré… au déchirement du Voile…, au dévoilement de l’Aimé(e), ainsi pourrait-on aussi intituler cette lecture du roman de Jâmi.
2Œuvre de haute maturité, elle est achevée en 1484. L’auteur1 est profondément, personnellement impliqué dans la narration de cette histoire. Dans son avant-dernier chapitre2 (ch. 73), il s’adresse à lui-même, et il se peint lui-même : il s’achemine vers la fin de sa vie, il est fatigué, sa main tremble, ses cheveux blancs font autour de sa tête une lumière qui dissipe « les ténèbres de la cécité intellectuelle », ses derniers jours sont « illuminés par l’expérience de la vieillesse ». Il se convie au silence, à la cessation des désirs, au renoncement volontaire à toutes les prérogatives du moi, fût-ce même à la création de son œuvre qu’il sait excellente, inspirée, belle et bienfaisante. A soixante-dix-sept ans, il a un fils de sept ans (ch. 72), une jeune épouse. On sent un homme aguerri à la discipline spirituelle, adepte de la pauvreté volontaire, ayant une grande dévotion à son maître spirituel, Khâjeh Obeïdullah, un soufi Naqshbandi (ch. 9).
L’auteur au miroir de son œuvre
3Au terme de son œuvre (ch. 74), il se définit lui-même comme un « chemineau de la voie de l’amour qui dépose son fardeau à l’étape de l’amour », priant Dieu de faire en sorte que « sa jeune épouse » (sans doute son œuvre), dans le secret de la chambre nuptiale, soit trouvée sans défaut.
4Jâmi se définit lui-même autant par la ferveur de sa vie spirituelle que par l’intensité et la sincérité de sa dévotion à l’amour. De sa naissance à sa vieillesse, il a vécu l’amour :
« Je rends grâces au Très-Haut d’avoir toujours, depuis mon arrivée en ce monde, cheminé avec ardeur dans la voie de l’amour. Dès ma naissance, ma nourrice me trancha avec le glaive d’amour le cordon ombilical, et ma mère, quand elle mit mes lèvres sur son sein, me fit sucer l’amour avec le lait. Aussi, bien que ma chevelure soit maintenant blanche comme le lait, j’ai encore au cœur l’ardent désir du lait d’amour. Il n’est rien qui vaille l’amour, ni dans la vieillesse, ni dans le jeune âge, et à tous les instants, l’amour me sollicite en disant : ‘O Jâmi, tu as vieilli dans l’amour. Persévère et meurs dans l’amour, mais avant, compose une œuvre sur le jeu d’amour…’ Mon génie répondit à cet appel de l’amour3… »
5Il a même aimé la beauté d’une façon qui lui fait implorer de Dieu le pardon :
« Pour chaque belle aux joues de rose qui a charmé mes yeux, mon sang dégoutte maintenant de chacun de mes cils. J’efface ainsi son image (khyâl-e u) de mon œil, et c’est pourquoi des larmes de sang inondent mon visage. Si jadis je me suis déshonoré en péchant par le regard, mes larmes aujourd’hui m’ont réhabilité4. »
6Le thème de la beauté, de la séduction, du regard est donc lancé.
7Jâmi a deux points communs au moins avec son héroïne, Zuleikhâ, c’est d’avoir aimé du début à la fin de sa vie et d’avoir témoigné d’une sincérité profonde. Sincérité dans sa vie comme dans la composition de son œuvre5.
8Zuleikhâ, elle aussi, depuis sa toute petite enfance, consacre sa vie à l’amour, même quand elle joue à la poupée (elle appelle l’une l’Amant, ‘âsheq, et l’autre la Bien-Aimée, ma’shuq). C’est par « sa sincérité sans limite6 » que, finalement, elle entraînera à sa suite Yusuf car sa sincérité va se communiquer à lui par « contagion7 ».
9Jâmi se projette donc dans la figure de Zuleikhâ, et c’est d’elle qu’il fait son héroïne, renversant la perspective que, fidèles à l’anecdote biblique8 et coranique9, ses prédécesseurs avaient illustrée.
L’originalité de Jâmi
10Dès la première page, il déclare fermement son intention d’innover : il va raconter une histoire dont ses prédécesseurs n’ont laissé aucun vers, « son titre seul est encore dans la mémoire10 ». Toutefois, en tête de nombreux chapitres, il fera allusion au vieil aède qui en a rapporté la tradition11.
11Jâmi se prépare à chanter « la plus belle histoire d’amour » (« Dieu lui-même l’a dit, leur histoire est la plus belle) :
« Parmi les bien-aimés, Yusuf n’eut point d’égal pour la beauté […]. Et parmi les amants, personne n’égala Zuleikhâ, qui fut unique pour l’ardeur de la passion. Elle aima depuis l’enfance jusqu’à la vieillesse, elle aima dans la toute-puissance comme dans l’indigence absolue. Ayant retrouvé la jeunesse après la décrépitude de la vieillesse, elle ne cessa de se consacrer tout entière à l’amour : c’est dans l’amour qu’elle naquit, qu’elle vécut et qu’elle mourut12. »
12Jâmi, par deux fois, fait référence, à Nezâmi qui a campé, à la fin du xiie siècle, les amants les plus célèbres de toute la littérature persane, devenus de véritables emblèmes de l’amour : Khosrow et Shirin, Leyli et Majnun. Jâmi affirme qu’il compte surpasser ces histoires sublimes (ch. 13). Puis, à la fin de son propre roman, il fait allusion à l’écriture chiffrée, secrète qui est la marque si incomparable de Nezâmi :
« Où est Nezâmi et son œuvre exquise, les créations de son doux génie ? Il est maintenant derrière le rideau, et tous les autres sont restés en dehors, ne tirant aucun profit du secret qu’il a emporté avec lui. Car ce secret, seul celui-là le connaît qui est allé auprès de Dieu avec un cœur exempt de tout ce qui n’est pas Dieu13. »
13C’est une façon de dire que l’objectif de l’œuvre littéraire n’est pas seulement d’être lue mais d’être vécue. Elle invite à une « alchimie14 » : la connaissance ne sert à rien si elle ne nous transforme pas15. Dans cette mise au travail de soi sur soi, la sincérité, une fois encore, joue un rôle fondamental.
14Lire l’œuvre de Jâmi est donc, en soi, une voie de sincérité et d’amour : « Le savoir a beau être subtil comme un cheveu, à quoi bon si le cœur reste obscurci16 ? »
15Il est, en cela, dans la ligne de Nezâmi et de toute la grande tradition littéraire persane.
16L’innovation majeure ne réside pas tant dans le choix du sujet que dans le traitement de cette légende devenue un topos littéraire et moral.
17Jâmi est le premier à avoir extrait ces personnages de leur statut de silhouettes, de cliché esthétique et moral : jusqu’à lui, la femme qui avait tenté de séduire Joseph (devenu l’intendant du maître de maison et aimé par lui comme son fils adoptif), était l’exemple de l’impudicité, de la concupiscence charnelle qui ne connaît aucune limite, de la passion débridée, d’une sexualité féminine scandaleuse car, d’une femme, on attend la pudeur et la retenue. Joseph était l’exemple de l’être suprêmement beau mais sain et saint, fidèle à son maître et à son Dieu, observant la loi et la morale, résistant à la tentation, l’exemple même de la chasteté et de la vertu mises à l’épreuve.
18Joseph, l’absolue Beauté incarnée, était la victime – sauvée in extremis – d’une mauvaise femme qui méritait la réprobation générale.
19Or, pour Jâmi, il en va tout autrement : Zuleikhâ est le symbole d’un être dont le destin, voulu par Dieu, est d’aimer Yusuf.
20A l’âge de sept ans, jeune princesse du Maghreb, fille unique et bien-aimée d’un roi puissant, ravissante, n’ayant jamais connu la souffrance, elle a, une nuit, dans son sommeil, une vision : un jeune homme d’une beauté surhumaine lui apparaît, ou plutôt, « un pur esprit (jân-i), une radieuse image (peykar-i) venue du monde de la lumière17 ». Elle en tombe aussitôt éperdument amoureuse. Le même être à la lumineuse beauté lui apparaît à nouveau, au cours d’un évanouissement, un an plus tard. Puis, encore un an plus tard, il lui apparaît une troisième et dernière fois dans une autre vision en rêve, au cours de laquelle elle l’interroge désespérément pour savoir quel est son nom et où il vit. La réponse oraculaire de cet être l’oriente vers l’Egypte. Elle a alors neuf ans, depuis trois ans elle vit dans les larmes et la folie d’amour. Elle croit à présent que son bien-aimé est l’« aziz d’Egypte18 », elle fait demander sa main, et elle part pour l’Egypte, terre d’exil où, amère surprise, elle constatera que l’aziz n’est pas celui qu’elle attendait de toute son âme. Comme elle se désespère, l’ange du mystère, Sorush, vient lui murmurer à l’oreille de ne pas s’affliger outre mesure : cet époux la laissera intacte, il est la voie de passage obligée vers son bien-aimé.
21L’histoire ne fait que commencer, et nous n’en raconterons pas plus pour l’instant. Disons simplement que Zuleikhâ est le modèle absolu de l’amante, ‘âsheq. Quelles que soient ses tribulations, elle persévérera dans la voie de l’amour jusqu’à l’oubli de soi, jusqu’à l’anéantissement de soi dans le bien-aimé, et jusqu’à la prise de conscience majeure, mais au bout d’un long parcours de crises et de dépouillement, que cet amour éperdu, total, est encore une forme d’idolâtrie. Allant au-delà des apparences, elle s’abandonnera entièrement à celui qu’elle découvrira dans cet ultime dessillement, Dieu. Et c’est alors que tout changera pour elle.
22L’originalité de ce roman de Jâmi, c’est d’avoir fait de Zuleikhâ un Majnun féminin19. C’est d’avoir entièrement revu ce personnage et de l’avoir arraché au cliché péjoratif en montrant que persévérer avec une absolue sincérité dans un amour que tous réprouvent, c’est parcourir une voie spirituelle bien connue sous le nom de « voie du blâme ». C’est d’avoir montré qu’une femme peut entrer « virilement », héroïquement dans la voie de l’amour jusqu’à la mort librement consentie. C’est d’avoir transféré le modèle de l’amour mystique sur une femme tout en montrant l’ensemble de son parcours humain, depuis la passion rêvée de la jeune fille, à la passion charnelle de la femme, à la passion désespérée de la pauvresse solitaire et rabougrie, à la passion épurée de la femme qui a compris le mécanisme de l’illusion et renoncé à adorer une apparence, à la passion dévotionnelle de celle qui conduira son époux vers la compréhension profonde de l’amour, à la passion sacrificielle de celle qui fait oblation de soi, de degré en degré jusqu’à la mort.
23Comment Jâmi réussit-il à faire passer Zuleikhâ de l’opprobre à la plus parfaite exemplarité dans l’héroïsme romanesque et spirituel ?
24Dans l’ordre romanesque, il focalise toute son attention psychologique sur elle, il crée un personnage entièrement humain et bouleversant, que l’on suit depuis l’enfance jusqu’à l’âge adulte, il évite le grossissement du trait, il fouille tous les secrets du cœur, de l’esprit, de l’émotion, de l’imagination, il nous guide avec une infinie délicatesse et précision dans l’intimité de cette âme, dans sa dépendance envers la violence de son désir à fois mystique et charnel, dans la dureté de son destin. D nous montre combien elle suit avec ferveur, et dépourvue de tout secours, la voie qui est tracée pour elle par le calame céleste, voie qui aux yeux de tous et d’elle-même est pure folie, voie qui la conduit à plusieurs reprises dans des phases de folie véritable où elle attenterait à sa vie si on ne l’enchaînait.
25Du point de vue spirituel, il opère une métamorphose de Zuleikhâ par le fait qu’il place l’amour au-dessus de toute autre pratique spirituelle :
« Le cœur exempt du mal d’amour n’est pas un cœur, le corps privé de la peine d’amour n’est qu’eau et limon. […]
Tu peux poursuivre bien des idéals mais seul l’amour te délivrera de toi-même. Ne fuis donc pas l’amour, même s’il n’est en vérité qu’une métaphore (majâz-i), car c’est la seule voie qui conduise à la vérité suprême […]. J’ai ouï dire qu’un disciple alla trouver un cheikh pour lui demander de le guider dans la voie spirituelle, et le vieillard de lui dire : ‘Si ton pied n’a jamais foulé le sentier de l’amour, va-t-en et connais l’amour, puis tu reviendras me trouver. Car si tu ne bois à la coupe du vin des apparences (jâm-e mey-e surat), tu ne pourras goûter une gorgée du vin du l’Idée (jor’e-ye ma’ni). Mais ne va pas t’attarder dans le séjour des apparences (surat), franchis vite ce pont. Si tu veux arriver au but, ne reste pas sur le pont20. »
26Jâmi énonce ici, dès le début du roman, l’essentiel des notions qu’il va mettre en scène : l’amour pour un être humain n’est qu’une métaphore (majâz), il est le « pont » qui nous conduit vers le Principe (asl) d’où tout est émané. Il est le passage obligé, on ne peut cheminer vers l’amour divin que par l’expérience de l’amour humain. Mais il ne faut pas demeurer sur ce pont ; tôt ou tard, le voile (pardeh) des apparences (surat) doit se déchirer car c’est de l’autre côté que se trouve l’Idée21 (ma’ni). On est évidemment en plein néoplatonisme, dans son climat iranisé et monothéiste, bien connu de tous les familiers de la littérature, de la philosophie et de la mystique persanes.
27Dès lors, on comprend que, dans le roman de Jâmi, les lignes de force s’organisent naturellement selon les axes suivants :
- l’apparition de la Beauté éveille le regard (dideh), éveille le culte des apparences (surat-parasti), entraîne une « ivresse » (mast-i), une folie qui voilent le Sens (ma’ni) profond et originel ;
- cette ivresse, cette folie entraînent la perte de soi (bi-xhodi), d’abord par l’évanouissement, ou perte de conscience (bi-hushi), puis par l’absorption de soi dans le bien-aimé ;
- quand l’amante s’est totalement identifiée au bien-aimé, elle est au point pivotai de l’anéantissement de soi : elle renonce à toute saisie et persévère, consciemment, dans l’offrande totale de soi. Alors se déchire le voile.
28On voit combien l’œil, qui capte la beauté, et qui jouit des apparences va jouer un rôle central, avec ce qui tourne autour de l’image dans tous ses états. Et combien, à partir de là, la question du voile devient fondamental : le génie de Jâmi a été de relier tous ces éléments de philosophie et de mystique amoureuse à une histoire qui tourne d’abord autour d’un fait trivial : la chemise déchirée de Yusuf.
29Autour de cette déchirure qui révélait, dans la Bible et le Coran, la culpabilité ou l’innocence, se développe toute une symbolique du Voile et du dévoilement. La chemise, ne l’oublions pas, est le vêtement le plus proche du corps, elle est la dernière étape avant la nudité. Or, dans ce roman, le corps joue un grand rôle : c’est lui qui manifeste la Beauté divine, et c’est lui aussi qui « voile » l’origine divine de cette beauté car, à cause de lui, les adorateurs de la beauté prennent l’image pour l’essence. Le corps est également le champ de bataille de la passion : c’est bien parce qu’elle veut posséder le corps de Joseph que Zuleikhâ se laisse emporter aux violences de la séduction, et qu’elle est plongée, dès le début, dans une souffrance qui n’est pas seulement celle de l’absence mais celle de la privation du corps de l’aimé.
Histoire… de la lumière et de l’amour : genèse
30L’histoire commence… avant la création du monde, avant même la première manifestation. Au commencement, était la Beauté absolue :
Dans la solitude où l’existence (hasti) ne se révélait par aucun signe, et où l’univers restait caché dans le non-être (nisti), il était un Etre (vojudi) exempt de dualité et à propos de qui les mots ‘moi’ et ‘toi’ étaient sans signification. La Beauté absolue, libre du lien des manifestations (qeyd-e mazâher), ne se manifestait qu’à elle-même dans sa propre lumière22.
31« Mais la beauté ne peut supporter de rester derrière le voile… », sa propension naturelle est de se révéler :
La première impulsion jaillit de la Beauté éternelle ; des contrées de la sainteté, son pavillon se dressa, elle se manifesta sur les horizons et sur les âmes. Tout lui fut miroir pour se révéler, de partout s’éleva sa renommée. Un éclair de sa lumière se répandit d’ange en ange, les anges éperdus […] chantèrent ses louanges, et des plongeurs des mers célestes s’éleva ce cri : ‘Loué soit le Seigneur des mondes23 ! ‘
32La manifestation de la Beauté est en même temps une cosmogonie, car elle « allume » tout ce qui était encore dans l’obscurité du non-être. Les éclairs de la Beauté se communiquent d’être en être, éveillant une multitude de miroirs qui, tous, la reflètent et, par là-même, éveillent l’amour : mais chaque miroir où elle se reflète est en même temps un voile de cette Beauté absolue. Chaque bien-aimé est un miroir et tout autant un voile. Tout amoureux aime le miroir, sans savoir qu’il aime, en réalité, la Beauté originelle que ce miroir reflète et cache à la fois. L’amant est lui-même miroir, l’amour qu’il ressent ne s’origine pas en lui-même mais en la Beauté absolue :
« Et ne va pas, erreur funeste, t’imaginer que si la beauté émane d’Elle, l’amour, lui, a son origine en nous-mêmes. L’amour tant célébré est issu d’Elle, tout comme la beauté, et il se manifeste en toi. Tu es un miroir où elle se reflète, Elle seule est manifeste (âshkâr), cependant que tu es revêtu (pushideh, revêtu… donc caché)… La beauté n’est pas seulement le trésor, elle est aussi le coffret. Le ‘moi’ et le ‘toi’ n’ont rien à faire ici : ce n’est là que vaine supposition24 ! »
33L’amour surgit de la Beauté éternelle en même temps que les innombrables manifestations des beautés, il n’est pas autre qu’Elle.
34Chaque être est miroir : quand il aime, il croit aimer quelqu’un qui lui est étranger, alors que, en réalité, il aime ce qu’il reflète lui-même, ce dont il est constitué lui-même ; l’amour est donc intérieur à chacun, c’est pourquoi « il n’y ni toi, ni moi ». Par essence, nous sommes dans la plus parfaite non-dualité, et tout notre parcours initiatique consiste à prendre conscience de cette vérité.
35D’où, « si tu veux être libre, sois captif de l’amour, mets cette douleur d’amour dans ta poitrine pour trouver la joie25 ». Le paradoxe est que la plus grande puissance d’illusion, celle qui nous voile la réalité essentielle, est ce qui, par le feu de la douleur, nous projette finalement hors du voile.
L’histoire de Yusuf et de Zuleikhâ : le nu et le vêtu, le dévoilement de l’aimé(e)
36L’histoire de Yusuf et de Zuleikhâ n’est qu’une incarnation dans le plan humain de cette prodigieuse geste cosmique de la Beauté et de l’Amour que nous venons de dépeindre.
37La manifestation de la Lumière qui sort du voile se trouve imagée dans l’apparition de Yusuf en ce monde, laquelle éveille en tous lieux l’amour.
38Qu’est-ce qui distingue Yusuf de tous les autres êtres beaux et justifie un amour hors de toute mesure ?
39Soleil radieux, lune étincelante ? Bien plus que cela :
« C’est une pure lumière (moqddas-e nur-i, une lumière sainte), libre du ‘pourquoi’ et du ‘comment’, qui se tient hors de la tunique du ‘comment’ ; quand l’Etre sans ‘comment’ voulut apparaître dans le ‘comment’, Il couvrit sa face sous les apparences de Yusuf26 ».
40La métaphore du vêtement est bien présente, non celle du voile, car la lumière divine « revêt » la forme de Yusuf pour se manifester le plus purement possible.
41Tout œil qui voit Yusuf voit « … une beauté inconcevable, pure, comme l’âme, de la souillure de l’eau et du limon, telle qu’aucun œil n’en a jamais vu, aucune oreille n’en a entendu décrire27. »
42C’est pourquoi tous l’aiment, à commencer par son père, Jacob, ce qui provoquera la jalousie de ses frères.
Yusuf jeté dans le puits
43Les frères de Yusuf décident d’éliminer ce rival incomparable. Ils l’emmènent dans le désert et l’abandonnent au fond d’un puits.
44C’est la première scène où est évoquée la nudité : l’enfant est ligoté par les poignets, puis dépouillé par ses frères de sa chemise (pirâhan, le même terme que celui qui va apparaître à plusieurs reprises par la suite dans les scènes avec Zuleikhâ), puis plongé dans un puits. Par chance, une pierre saillante permet à l’enfant de s’asseoir : dans l’obscurité du puits, ce « soleil du monde » éclipse tous les maléfices de l’eau putride, les bêtes malfaisantes sont dispersées par le « rayonnement de son visage ».
45Or, Yusuf porte à son bras une amulette qui contient une chemise miraculeuse, « celle-là même qui avait protégé du feu son aïeul Abraham ». L’ange Gabriel s’en vient, retire de l’amulette cette chemise et en revêt « le corps pur de Yusuf », il le console et lui promet un avenir meilleur28.
46Quatre jours durant, l’enfant demeure dans ce puits. Enfin passent des caravaniers. L’un d’entre eux va chercher de l’eau au puits et, nouveau Khezr29, il se dirige vers cette « eau de la vie », âb-e heyvân, qu’est Yusuf. Gabriel dit à l’enfant :
« Allons, va-t-en verser sur les assoiffés l’onde pure de la miséricorde. Prends place dans le seau et, pareil au soleil rayonnant, hâte-toi de l’Occident vers l’Orient. Fais du bord du puits le cercle flamboyant de l’horizon et rends, par la splendeur de ton visage, la lumière au monde30. »
47Cette scène de Joseph sortant du puits, durant tout le Moyen Age occidental, fut le symbole de la résurrection : Jâmi lui donne ici un sens très proche.
Yusuf se baigne dans le Nil
48Dans la miniature persane31, mais aussi dans la littérature, le nu est souvent associé à l’eau, au bain. On se souvient de la fameuse scène de Shirine au bain, si souvent représentée, et si magistralement dépeinte par Nezâmi. Ce passage de Khrosrow et Shirine est une référence obligée pour toute allusion ultérieure à une scène de bain.
49Les deux moments où Yusuf se trouve nu, dans ce roman, sont en rapport avec l’eau et l’obscurité, ce qui amène des images de soleil levant jaillissant de l’ombre et de la mort. Le premier se déroule dans l’obscurité et l’eau saumâtre du puits. Le deuxième est une grande scène32, au sens théâtral et poétique, un jaillissement de lumière en trois temps : d’abord le bain proprement dit, dans le Nil, puis l’apparition de Yusuf hors du palanquin, puis, aussitôt, sa première apparition aux yeux de Zuleikhâ qui ne le connaît encore que de l’avoir vu en rêve. C’est un morceau de bravoure, comme on dit, mais ce n’est pas que cela : Jâmi peint cette scène de façon cinématographique, sobre et puissante, contrastée, avec un minimum de couleurs, et dans un « ralenti » qui donne à chaque mouvement une présence suspendue.
50Tout l’art de Jâmi est de décomposer le mouvement et de peindre avec précision chaque étape si infime soit-elle.
51Malek, le caravanier qui a trouvé Yusuf dans le puits le possède maintenant comme esclave. Il l’amène à la cour du roi d’Egypte qui, alerté par la réputation de beauté du jeune homme, veut absolument le voir. Sur le chemin, avant d’arriver, il propose à Yusuf de descendre du palanquin où il voyage et d’aller se baigner dans le Nil pour se laver de la poussière du voyage. Yusuf ne se fait pas prier, il se hâte vers la rive du Nil. Les étapes de ce dénudement/dévoilement sont saisies en mouvement par Jâmi, avec quelques « arrêts sur image » et, chaque fois, l’observation des effets de lumière que provoque l’apparition progressive du corps nu de Yusuf.
52D’abord, « il sort sa main de dessous sa chemise et cache son jasmin dans un voile bleu (saman-râ parde-ye nilufari) » : ce que je comprends ainsi : par dessous sa chemise, il se ceint les reins d’un pagne bleu33.
53Puis il ôte de sa tête sa calotte dorée, ce qui fait apparaître « le corbeau noir de sa chevelure ».
54Il commence à enlever sa chemise (pirâhan) en la passant par dessus sa tête : dans ce geste, il cache sa tête qui est alors comme la lune à son couchant ; son épaule et sa poitrine apparaissent, comme la clarté de l’aurore au matin.
55Drapé dans son pagne bleu (qabâ-ye nilgun), prestement, il va vers la rive du Nil : un cri s’élève depuis la voûte céleste pour célébrer la chance qu’a le Nil sur le point de baiser les pieds de Yusuf, le soleil manifeste son désir de plonger dans le Nil pour s’inviter à cette rencontre fortunée…
56Yusuf s’éloigne de la rive, s’avance dans le Nil, comme la lune qui se lève dans la plus pure des nuits d’été.
57Yusuf est entré dans le fleuve. A présent, il plonge dans le Nil, il nage :
« Quand son corps nu (‘oryân) dans l’eau s’immergea,
par ce corps, la vie pénétra dans l’eau courante… »
58L’eau courante, symbole de la vie, est vivifiée par la vie, plus lumineuse que la sienne, du corps nu de Yusuf.
59Ce que Jâmi veut suggérer, c’est ce frisson qui parcourt tout l’univers, à partir du corps nu de Yusuf, depuis les profondeurs de l’eau jusqu’à la voûte céleste, aux astres…, comme on l’a vu tout à l’heure, en sens inverse, lors de la « descente » de la beauté dans le manifesté.
60A présent, Yusuf dénoue ses cheveux, il « ouvre les chaînes (les boucles) de sa chevelure » et tantôt il s’asperge la tête, tantôt il se lave le corps.
61Il revient au rivage, demande une chemise34, revêt une tunique blanche, puis un brocart de soie tissé d’or, coiffe une couronne d’or, ceint un baudrier incrusté, laisse flotter autour de son visage deux longues boucles qui parfument l’air de l’Egypte.
62Cette parure sensuelle, bien qu’assez simple encore, contraste avec l’innocence et la chasteté de Yusuf.
La scène du palanquin
63Yusuf remonte dans le palanquin, jusqu’aux abords du palais. Là, le roi a fait dresser un trône et rassembler de nombreux esclaves parmi les plus beaux qui, silencieux, attendent l’apparition de Yusuf.
Le palanquin s’arrêta devant le trône et devint le point de mire de tous les regards.
Ce jour-là, par hasard, une sombre nuée cachait l’astre du jour. Malik dit à Yusuf : ‘O ornement des cœurs, sors du palanquin, marche vers le trône. Tu es le soleil levant, ouvre le voile, inonde le monde de ta lumière.’
Quand Yusuf descendit du palanquin, comme le soleil il darda ses rayons sur les yeux des hommes. L’on pensa d’abord que cet éclat venait du soleil, mais celui-ci était encore caché par le nuage : c’est du visage de Yusuf que venait cette éclatante lumière.
Stupéfaits, ceux qui regardaient battirent des mains, de toutes parts ils s’écrièrent : ‘O Dieu ! Quel est donc cet astre fortuné dont la splendeur fait honte à la lune et au soleil35 ?’
64C’est donc une apparition qui ouvre le « voile » de la nuée, qui dissipe l’obscurité. Du visage de Yusuf émane une lumière divine, rayonne la divine Beauté.
65Zuleikhâ qui, n’ayant vu Yusuf qu’en rêve et en vision, l’aime éperdument et le cherche partout sans savoir qui il est ni où il est, va passer au moment où tous sont en effervescence. Dans son palanquin, elle revient de la campagne où elle a passé quelques jours dans la mélancolie et l’énervement, rongée par ses pensées et son désir pour Yusuf. Le tumulte l’intrigue, elle en demande la cause. On lui répond qu’on expose un esclave à la lumineuse beauté…
Zuleikhâ souleva le rideau (daman36) du palanquin : à peine le vit-elle qu’elle le reconnut. Malgré elle, un cri s’éleva de son cœur et, dans ce cri, elle s’évanouit37 (bi-khod oftâd).
66Sous le choc de ce dévoilement, elle tombe sans connaissance.
67On s’empresse de la ramener chez elle, elle revient à elle, sa nourrice l’interroge… Zuleikhâ lui révèle que cet esclave est l’être pour qui elle se consume d’amour depuis son enfance :
« Il est la qiblah38 de mon âme, je lui ai fait sacrifice de ma vie, il est mon bien-aimé.
C’est son visage charmant que j’ai vu en songe, c’est lui qui a ravi la quiétude à mon âme éperdue. C’est par lui que mon corps est en proie à la fièvre, que mon cœur est embrasé39… »
68Un voile vient donc de se lever pour Zuleikhâ. Le dévoilement de l’aimé apporte l’espoir dans son cœur éperdu. Mais ce n’est qu’une étape. Suivront beaucoup d’autres voiles, les voiles de l’illusion qui consiste à se consumer d’amour et de désir pour une beauté plus qu’humaine, sans voir que « cette radieuse image venue du monde de la lumière » est une invitation à outrepasser les apparences, à déchirer le voile.
69Le dévoilement du corps révèle un corps de lumière. L’apparition de l’aimé déchire le voile de l’obscurité, rend la lumière au monde et l’espoir au cœur. Mais il faudra bien d’autres déchirements pour que se lève la lumière de vérité qui révèlera à Zuleikhâ que l’objet de son amour dévotionnel est, en réalité, la source d’où émane toute beauté et tout amour, un Dieu qui n’est pas une idole.
70La chemise de Yusuf, qu’elle déchirera dans la scène fameuse où il échappe à son étreinte, est un symbole sans cesse repris par Jâmi sous diverses métaphores. Cette insistance sur la déchirure de ce vêtement si près du corps montre à quel point le corps intervient dans la déchirure de l’âme, dans la déchirure qui s’interpose entre l’humain et le divin. Elle montre aussi que l’aspiration la plus profonde de l’être humain est de déchirer le voile qui le sépare de l’Aimé, et que l’union ardemment désirée est une hiérogamie.
71C’est Zuleikhâ, désormais, qui concentre l’attention : c’est en elle que va se dérouler ce processus de dévoilement et par elle que s’accomplira la hiérogamie. Car elle s’accomplira.
72Après de terribles tribulations, réduite à la plus extrême détresse, pauvre, décrépie, aveugle, totalement consumée et, toutefois, persévérant dans l’amour, Zuleikhâ prendra soudain conscience que son amour était de l’idolâtrie, elle « brisera son idole ». C’est alors que le désir de son cœur pourra s’accomplir : Yusuf ressuscitera sa jeunesse et sa beauté, il l’épousera.
73L’amour de Zuleikhâ se communique à Yusuf. Car Yusuf est la beauté incarnée, mais Zuleikhâ est l’amour. Elle lui apprend ce que c’est que d’aimer, elle devient son maître en amour.
74A son tour, Yusuf, brûle pour elle de l’ardent désir des corps. A son tour, il la poursuit une nuit, et il déchire sa chemise. Désormais, ils sont sur un pied d’égalité, comme le lui fait observer Zuleikhâ40.
75Le brûlant désir de Yusuf, qui sollicite sans cesse Zuleikhâ, lui offre un tableau de ce qu’elle fut autrefois, elle en a honte.
Enfin, grâce à lui, le rideau se fendit41 devant Zouleikhâ, et un rayon du soleil de la vérité (khorshid-e haqiqat) la frappa avec un tel éclat que Yusuf s’y perdit comme un atome42.
Car après que bien des obstacles eurent fondu dans le creuset de l’amour métaphorique43, le dernier disparut devant ses yeux une fois que se leva l’astre de la vérité. Son attraction s’empara de tout son être, et elle oublia tout ce qu’elle avait cru indispensable44.
76Yusuf, ému par la profondeur et la sincérité de sa dévotion envers la divine source de la beauté et de l’amour, lui fait construire un pavillon doré où elle peut aller prier. C’est un second parallèle que fait Jâmi pour établir l’équilibre entre Yusuf et Zuleikhâ : le pavillon qu’autrefois Zuleikhâ fit construire pour y entraîner Yusuf et le faire céder par des images séductrices peintes sur toutes les parois, trouve son pendant, mais métamorphosé, dans ce palais de prière.
77Yusuf prend tendrement Zuleikhâ par la main, s’assoit à côté d’elle dans ce temple, offre sa reconnaissance à Zuleikhâ puis à Dieu car Il a accompli en elle son œuvre de résurrection et d’union.
Notes de bas de page
1 Jâmi vit à la très brillante cour de Hérat (qui se trouve dans l’actuel Afghanistan).
2 Toutes mes références renvoient à une double source pour que les lecteurs non-persanophones puissent aussi se référer au texte de Jâmi : en premier lieu, la traduction d’Auguste Bricteux, Paris, Geuthner, 1927, désignée par la lettre B., en second, le texte Persan de Jâmi, t. III de l’édition Morteza Moddares-e Guilâni, Téhéran, H. 1351, désigné par la lettre J. La traduction d’Auguste Bricteux est fluide, élégante, souvent inspirée. Dans bien des cas, elle est loin du texte : elle omet certains mesrâs redondants (un mesrâ est un demi beyt, étant entendu que les romans persans en vers se présentent sous la forme de distiques nommés beyts), elle condense ; parfois elle s’élève au-dessus du texte pour en donner une version juste mais sans le suivre littéralement. Il m’arrivera de donner ma propre traduction quand B. est vraiment trop loin du texte ou quand j’ai une autre interprétation. L’élégance et la vigueur poétique de cette traduction rendent l’œuvre très accessible sans la trahir. Mais on ne peut fonder sur elle une analyse précise et minutieuse du texte, qui seule permet d’entrer dans les intentions profondes de l’auteur. Il faut serrer les mots de plus près, ce qui n’est pas toujours à ma portée car le style de Jâmi, quoique sans maniérisme, est difficile. L’édition iranienne de Jâmi dont je dispose n’est pas aisée à citer car les chapitres ne sont pas numérotés, et les beyts non plus. Je ne peux renvoyer qu’aux pages, ce qui est tout à fait insuffisant car il suffit qu’une réimpression (ou une réédition) change la pagination pour que toutes les références soient caduques. J’ai donc numéroté les chapitres (il y en a 74), et reporté cette numérotation sur ceux de la traduction de Bricteux. J’ai aussi numéroté les beyts page par page. De la sorte, il est à peu près possible de s’y repérer. Mes références ne donneront les numéros des beyts que lorsque cela se justifie.
3 Ch. 12, B. 23-24 ; J., 594, b. 10-18.
4 Ch. 6, B. 7-8 ;J. 582, b. 20-22.
5 Ch. 74, B., 225 ; J. 747, b. 14 : « Le livre que tu vois ici fut tracé par le roseau de la sincérité et marqué des noms de l’Amant et de la Bien-Aimée… »
6 Ch. 68, B. 199 ; J., 729, b. 4.
7 A propos de Zuleikhâ : ch. 68, B., 198-99 ; J., 728-729, en particulier. Sa sincérité (sedq) est évoquée à plusieurs reprises, dans les seize premiers beyts de ce chapitre.
8 Genèse, 39. C’est l’épisode célèbre de la femme de Putiphar.
9 Coran, XII, 23-34.
10 Ch. I.B., I ; J., 578, b. 9-12.
11 Il existe un roman, sur les mêmes personnages, attribué à Ferdowsi.
12 Ch. 13. B., 25-26 ; J., 596, b. 9-14.
13 Ch. 73. B., 223 ; J. 746, b. 8-11.
14 Tel était aussi l’objectif de Nezâmi, clairement énoncé dans les Haft Peykar, Les Sept Princesses.
15 Ch. 72. B. 216 ; J. 741, b. 12-13.
16 Ch. 72. B. 219 ; J. 743, b. 12.
17 Ch. 17. B., 38 ; J., 604, b. 23.
18 Aziz signifie « cher », « précieux » : c’est le surnom que, selon la légende, le roi d’Egypte avait donné à son ministre.
19 Majnun signifie « fou », c’est le surnom qui fut donné à un jeune homme fou d’amour pour Leyla. Leyla et Majnun sont parmi les plus célèbres personnages de roman (immortalisés par Nezâmi, puis par Jâmi, et par une foule d’allusions répandues dans toute la littérature persane). Voir l’article d’Elodie Burle dans ce volume-ci.
20 Ch. 12. B. 22-23 ; J., 593, b. 13 (en fait le 1er b. du chapitre) ; puis p. 594, b. 2-8.
21 On retrouve la même idée (fondée sur la bipolarité surat/ma’ni), énoncée avec insistance en maint endroit du récit et, particulièrement, après la première apparition, en rêve, de Yusuf à Zuleikhâ : ch. 17. B. 39 ; J., 605, dern. Beyt et 606, b. 1-7. « Zuleykhâ cessa d’être Zuleykhâ, se reposant de cette image, surat, (celle de Yusuf) dans l’Idée, ma’ni. Si elle avait été consciente de l’Idée, elle aurait aussitôt fait partie de ceux qui arrivent au but (de la voie spirituelle). Mais comme elle était prise par l’image, elle n’eut pas, au début, conscience de l’Idée. Tous nous sommes, comme elle, liés par ce que nous nous imaginons (pendârim), captifs des images (surat-hâ). » Les images, c’est à dire les apparences.
22 Ch. 11. B., 20 ; J., 591-592 (les trois premiers beyts du chapitre). J’ai légèrement modifié la traduction de Bricteux.
23 Ch. 11. B. 21 (j’ai tenté de donner ici une traduction plus proche du texte, au moins pour quelques beyts) ; J. 592, b. 14-19.
24 Ch. 11, fin. B. 22 (mais je donne ici ma traduction) ; J., 593, b. 5-9.
25 Ch. 12, début. B. 22 ; J. 593, b. 17.
26 Ch. 15, fin. B. 31 ;J. 600, b. 18-19.
27 Ch. 38. B. 97 ; J. 651, b. 18-19.
28 Ch. 32. B. 83 ; J. 641.Dans ce court passage, le mot ‘chemise’, pirâhan, apparaît trois fois.
29 Khezr est un prophète dont le nom signifie « le Verdoyant ». Il est associé à la puissance végétative des plantes qui sortent des profondeurs de la terre. La légende veut qu’il soit parvenu à la Source de Vie, qu’Alexandre chercha sans la trouver, au pays des Ténèbres.
30 Ch. 33. B. 84 ; J. 642, b. 11-14.
31 Voir à ce sujet l’excellent travail de Nadia Ali, qui, je l’espère, sera bientôt publié : Le Nu dans les peintures de manuscrits persans du xiiie au xviie siècle, maîtrise d’histoire de l’art soutenue sous la direction d’Yves Porter, Université d’Aix-en-Provence, 1997-1998, 153 pages, auxquelles s’ajoutent 72 illustrations, bibliographie et annexes. Ce travail de synthèse sur le nu dans la peinture persane n’a pas d’équivalent jusqu’à présent, à ma connaissance, et il est très utile tant pour les historiens de l’art que pour les littéraires.
32 Elle se trouve aux ch. 35 et 36. Ch. 35 : le bain de Yusuf, puis son apparition hors du palanquin.
B. 88-91 ; J. 645-646. Ch. 36 : son apparition à Zuleikhâ qui arrive elle aussi en palanquin.
B. 91-92 ;J. 646-647.
33 Pour toute l’interprétation de cette page (J. 645), qui comporte plusieurs passages difficiles, je suis redevable, et reconnaissante, au Professeur Javâd Hadidi, qui a eu la bonté de la traduire avec moi, beyt après beyt, et de m’expliquer plusieurs métaphores dont je ne pouvais, seule, comprendre le sens. Ce n’est qu’après cette traduction en commun que j’ai pu, enfin, lire le texte dans son entier et comprendre tout le processus que Jâmi met en scène. Comme me le faisait observer le Professeur Hadidi, Yusuf procède simplement, communément, et c’est seulement l’art de Jâmi qui donne à chaque geste une présence poétique.
34 Le mot « chemise », pirâhan, apparaît par trois fois, comme dans l’épisode du puits, et s’y ajoutent (une fois chacun) pardeh, voile, daman, pan (de robe), qabâ, vêtement long, jel-bâb, tunique. Après quoi, les matières précieuses de la parure…, soie, brocart, or.
35 Ce passage se trouve encore au ch. 35, B. 90 ; J. 646, b. 5-16.
36 Curieusement, ce n’est pas pardeh, voile, qui est ici mais dâman, qui désigne le pan d’un vêtement.
37 Ch. 36. B. 91 ; J. 647, b. 7-8.
38 La qiblah, est la direction de La Mecque, vers laquelle il faut se tourner dans la prière. Ici, on pourrait traduire : « il est l’Orient de mon âme ».
39 Ibid., B. 92 ; J. 647, b. 15-21.
40 Ch. 68. B. 198-200 ; J. 728-730.
41 Pardeh be-shekâft : le voile se fend comme un bourgeon qui éclate (shekâftan est si proche de shekoftan !)
42 J. 629, b. 10 : tchenân khorshid bar vey oshtolom kard/ke Yusuf-râ dar u tchoun zarreh gom kard.
43 ‘eshq-e majâzi, c’est l’amour humain avec ses illusions et sa volonté de saisie : cet amour-là n’est qu’une métaphore du véritable amour, lequel reconnaît sa véritable source et son véritable but.
44 Ch. 68, toujours. B. 199 ; J., 629, b. 10-13.
Auteur
CNRS, Paris
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