Richard de Fournival, ou le clerc de l’amour
p. 401-416
Texte intégral
(Et quand bien même... - Isaïe 54, 10 et suiv.)
1Au moment de présenter le Bestiaire d’Amours, Richard de Fournival - ou l’amant qui le personnifie - se compare à un roi contraint de lever son ariereban, c’est-à-dire son arrière-garde, afin qu’elle vienne au secours de l’armée qu’il avait envoyée hors de son royaume combattre en territoire ennemi, mais qui a été incapable d’obtenir la victoire1. Richard de Fournival reprend ici la métaphore de la militia amoris qui provient de l’Art d’aimer d’Ovide : si l’amant veut réussir la conquête de sa dame, qu’il ne se montre pas timide, mais qu’il se fasse plutôt le soldat ou le chevalier de l’amour (II. 233). Cette comparaison sera exploitée par plusieurs enluminures accompagnant le passage concerné dans différents manuscrits du Bestiaire d’Amours. Le ms. 412 du Fonds français de la Bibliothèque Nationale (f° 228v) offre, par exemple, l’image d’un roi, assis, entouré de ses conseillers, donnant des instructions à un jeune soldat armé d’une lance qui représente l’ariereban ; devant eux se dresse une tour, absente du texte même du Bestiaire d’Amours, mais qui apparaît avoir été engendrée par cette métaphore chevaleresque afin de figurer la dame. Se profile ainsi, en arrière-plan, le château sur l’érection duquel s’achevait le Roman de la Rose de Guillaume de Lorris.
2Ce scénario militaire de la séduction amoureuse ne joue cependant pas, ici, sur le plan du récit, mais sur celui de l’écriture. L’ariereban désigne en effet le Bestiaire d’Amours, qui doit mettre un terme aux différents écrits (cf. p. 7) que cet amant travesti en roi a envoyés à sa dame comme autant de combattants chargés de vaincre sa résistance. Derrière cette figure royale se tient par conséquent un clerc.
3C’est d’abord le cas sur le plan biographique. Né à Amiens le 10 octobre 1201, d’après la Nativitas, l’autobiographie astrologique qui peut lui être attribué, et mort le 1er mars 1260, Richard de Fournival concentre sur lui la plupart des domaines de la clergie médiévale. Il acquit vraisemblablement le titre de magister ou de maistre, qui lui est habituellement apposé, à la Faculté des Arts de l’Université de Paris. A la suite de son père, il pratiqua la médecine et la chirurgie. Il est l’auteur d’un traité alchimique, et peut-être davantage, où il apparaît sous le surnom énigmatique d’Arturus. Au sein de la hiérarchie ecclésiastique, il atteignit le rang de diacre, qui relève des ordres majeurs. Il occupa la fonction de chanoine dans les cathédrales de Rouen et d’Amiens, notamment au temps où Notre-Dame d’Amiens voyait l’édification de son portail occidental. En 1241, il en est le chancelier. C’est à ce titre que l’auteur du Roman d’Abladane, qui dit être notamment le "disciple" de ce "boins clers maistres Richard de Fournival, chancelier de l’Eglise Nostre Dame d’Amiens", se réfère à ce dernier comme le garant de son œuvre, présentée comme une traduction d’un livre latin qui aurait disparu dans l’incendie qui s’empara d’une partie de la cathédrale2. Richard de Fournival exerça en outre la justice sur le territoire de Noientel qu’il reçut en prébende. Il réunit ainsi sur sa personne l’ensemble des disciplines enseignées dans les quatre Facultés que comprenait l’Université de Paris. La bibliothèque qu’il mit à disposition des élèves d’Amiens en est d’ailleurs l’équivalent sous forme livresque. Son catalogue, la Biblionomia, la divise en trois sections. La première contient les textes associés à la philosophie, relevant par conséquent des sept Arts libéraux, auxquels sont ajoutés la physique, la métaphysique, l’éthique, ainsi que presque toute la littérature latine classique. La deuxième section regroupe, d’une part, les ouvrages de médecine, d’autre part, ceux relatifs au droit. La troisième section concerne enfin la théologie.
4Richard de Fournival apparaît ainsi comme la figure exemplaire de cette maison de memoire que met en scène le prologue du Bestiaire d’Amours. Grâce à ses deux portes, la vue et l’ouïe, ainsi qu’aux deux chemins qui se dirigent vers elles, la peinture et la parole, la mémoire permet à l’homme de satisfaire le désir de savoir qui caractérise sa nature, ainsi que l’affirme la sentence initiale de la Métaphysique d’Aristote que Richard de Fournival place en tête de son œuvre. La mémoire permet à chacun de conserver la totalité du savoir acquis par tous ceux qui sont absents. A la croisée des chemins que tracent les lettres au sein des livres dont est composée sa bibliothèque, véritable homme de sçavoir3, Richard de Fournival incarne l’idéal du clerc - lui-même figure idéale de l’homme selon la tradition philosophique aristotélicienne. La tour qui représente la maison de memoire au seuil du Bestiaire d’Amours contenu dans le ms. 412 de la B.N. (f° 228r) serait en quelque sorte le portrait symbolique de son auteur.
5On pourrait penser que, le prologue du Bestiaire d’Amours mis à part, ce personnage de clerc ne concerne pas véritablement l’œuvre amoureuse de Richard de Fournival, écrite en langue vernaculaire. Mais tel n’est pas le cas. La figure du clerc est tout d’abord impliquée dans les différents arts d’aimer qui peuvent être plus ou moins attribués à notre auteur. La Poissance d’Amours se présente, par exemple, comme un dialogue entre un Maistres et son biaus fieus. Ainsi que le précise l’explicit du ms. 526 de la Bibliothèque Municipale de Dijon, à travers ce texte "Maistres Richars de Furnival aprist a son filg comment il se devoit maintenir en amour. Nous entendons en son filg ke c’est autant a dire comme desciples"4. Cette figure de clerc apparaît également liée aux autres types de discours amoureux qu’a composés Richard de Fournival. C’est ainsi que les rubriques des manuscrits le qualifient généralement de maistres. Dans le chansonnier d’Arras, une enluminure peinte en tête du groupe formé par les chansons de Maistres Ricars de Fournival, le représente explicitement en habit de clerc, une calotte sur la tête, assis devant un lutrin sur lequel est posé un livre ouvert ; alors que, par exemple, dans ce même manuscrit, monseigneur Gautier de Dargies, avec lequel Richard de Fournival a composé deux jeux-partis, est représenté sous la figure d’un chevalier5. Quant, en introduction à la Vraie Médecine d’Amours, Bernier de Chartres cite le début du prologue du Bestiaire d’Amours, il l’attribue au "boins clers maistre Richars de Furnival"6. Et lorsque la Response du Bestiaire s’adresse à l’amant du Bestiaire d’Amours, elle ne manque pas de le qualifier de "biaus sire, chiers maistres"7.
6Qui dit clerc, dit écriture. Mis à part sa production lyrique, les œuvres de Richard de Fournival se présentent d’ailleurs explicitement comme des écrits. Nous l’avons indiqué plus haut, c’est notamment le cas du Bestiaire d’Amours. Aussi les enluminures accompagnant son prologue associent-elles fréquemment le personnage de l’amant avec celui du clerc. Par exemple, dans le ms. Harley 273 de la British Library de Londres, l’image d’un scribe à son lutrin est suivi de celle de l’amant offrant un livre à sa dame. La métaphore de l’ariereban retrouve ici son versant littéral : celle d’une entreprise de séduction menée par l’écriture. Le Codex Vindobonensis Palat. 2609 de V Österreichische Nationalbibliothek de Vienne combine, quant à lui, les deux modes, chevaleresque et clérical, de la conquête amoureuse, en peignant, en tête du Bestiaire d’Amours, un clerc confiant un message à un personnage armé d’une lance (f° 11v).
7Ce titre de maistres n’intéresse donc pas seulement la biographie de Richard de Fournival, mais également son œuvre littéraire. Toutefois, s’il apparaît qu’une telle figure cléricale du savoir et de l’écriture fait pleinement partie du projet qui anime cette dernière, quelle est plus précisément le rapport qu’elle entretient avec le personnage de l’amant ?
8Dans la majorité des "débats du clerc et du chevalier", qui opposent ces deux personnages sur le plan de l’amour, c’est le clerc qui est préféré. Il n’est pas dans mon intention d’entrer dans le détail des arguments avancés en faveur de l’un ou de l’autre. Je me contenterai de mentionner ce qui me semble être la principale raison légitimant la décision finale. Je cite ici le ms. D du Du Jugement d’Amours :
Je quit qu’il n’ait honme el monde,
Tant con il dure a la reonde,
Qu’il a son clerc prendre se puist,
Ne de solas ne de deduit,
Ja n’avenra que nus s’i prenge !
Li livres lor monstre et enseigne
Tout bien et toute cortoisie
Ne chevaliers ne porroit mie
Envers clercs amours maintenir,
Si ne le saroit deservir.
Et si vous di tout sans mentir
Que amours fust piecha perdue,
Se clers ne l’eüst maintenue8.
9La supériorité du clerc en amour est justifiée par le rôle qu’il occupe dans la translatio studii. De même que les livres permettent de connaître "les fez des anciens"9, de même ils transmettent un savoir sur l’amour. Sans le clerc qui s’attache à recopier des manuscrits, l’amour aurait été perdu ; sans livre, il aurait disparu dans l’ignorance et l’oubli. Le chevalier lui-même ne saurait s’y consacrer véritablement. "Factus est par cle-ricum miles Cythereus", lit-on dans l’Altercatio Phyllidis et Florae (v. 163). Le chevalier de l’amour ne serait en quelque sorte qu’un produit du clerc (à commencer par Ovide) : soit une fiction née de ses écrits.
10Mais qu’en est-il de cet amour transmis par les scribes ? Et quel est, en premier lieu, ce livre auquel il doit d’avoir été maintenu ? Il s’agit très certainement des "Praecepta Ovidii, doctoris egregii", ainsi que l’indique le Concile de Remiremont (v. 25), soit de l’Art d’aimer, composé par celui qui se définit lui-même comme le "praeceptor Amoris"10. Ce serait donc grâce à l’existence d’un tel ouvrage, conservé et recopié par les clercs, qu’en cet aetas ovidii l’amour est encore réalité.
11Une telle filiation n’est pas sans conséquence sur la conception de l’amour associé à la figure du clerc. Il apparaît en effet soumis aux règles d’un art. "Arte regendus amor" affirme Ovide au seuil de son traité (v. 4). C’est également ce que proposent les différents arts d’aimer composés au xiiie siècle surtout par ceux que Michèle Gally appelle les "nouveaux maîtres du discours amoureux"11. Si certains auteurs de ces textes avouent avoir une expérience de l’amour, ils s’expriment avant tout sur la base de la connaissance qu’ils en ont. Drouart La Vache précise ainsi au début de sa traduction du De amore d’André le Chapelain, n’avoir pas l’intention
De parler ausi com amerres,
Ains weil parler com enseignerres12.
12Une telle position est parfaitement conforme à la conception de l’amour qui régit les arts d’aimer. Comme le soutient Ovide, l’Art d’aimer doit permettre à ceux qui le liront d’aimer "avec science" ("doctus amet" : v. 2). Le maître mot est ici celui de raison. Il s’agit d’abord de soumettre à la raison cette folie à laquelle est assimilé l’amour. L’art d’aimer apparaît donc comme un discours de maîtrise sur l’amour. Mais il suppose en même temps une maîtrise du discours. Il nécessite notamment un art du raisonnement, afin, comme le dit par exemple Drouart La Vache, de "mestre s’amie a raison" (v. 268). L’amant doit savoir "bel et gent Et tout hardiement parler", affirme encore Drouart de la Vache (vv. 754-55), et non pas, lorsqu’il se retrouve devant sa dame, rester "esbahis" (v. 765). L’amour apparaît dès lors comme un art de la séduction fondée sur un art de la parole : telle est la véritable arme de l’amour, plutôt que la lance avec laquelle le chevalier signe ses hauts faits. Il n’y aurait pas d’autre militia amoris que celle formée du clerc. La préférence que lui accorde les "débats du clerc et du chevalier" s’en trouve doublement légitimée. Drouart La Vache rattache d’ailleurs la remarque d’André le Chapelain concernant la noblesse particulière des clercs, à l’argument avancé par le "Jugement d’amour" afin de justifier son choix :
Clerc se maintiennent bel et gent,
Car bonne amour fust or perdue,
Se clerc ne l’eussent soustenue (vv. 716-18).
13Sans la raison du clerc, sans un art d’aimer qui serait aussi un art du langage, l’amour ne serait finalement qu’une folie, c’est-à-dire un désir dont l’excès mettrait en cause la nature même de l’homme : analogue par conséquent à cette luxure qui caractérise ceux qui ne peuvent s’empêcher de désirer toutes les femmes, et que Drouart La Vache, avec André le Chapelain, compare à un "amour de beste" (v. 544), en référence aux créatures privées de raison et de parole. C’est pourquoi celui qui cède à une telle convoitise,
...vaut pis d’un chien ou d’un asne
Qui brait laidement et recane (vv. 4487-88).
14Qu’en est-il de l’amour chez Richard de Fournival ? On lui attribue tout d’abord, avec plus ou moins de certitude, un certain nombre de textes relevant de la tradition des arts d’aimer. A l’exception d’un seul, ils forment un ensemble groupé qui précède le Bestiaire d’Amours dans le ms. 412 de Dijon. Il s’agit d’abord de l’Amistiés de vraie amour, compilation de sentences issues de la tradition chrétienne et des moralistes antiques, suivi d’un centon de citations latines traduites pour la plupart dans le texte précédent et que son éditeur a intitulé Hec sunt duodecim signa...13. Vient ensuite le Commens d’Amours, dans lequel son auteur traite "comment fins amans qui amer velt dame ou damoisele se doit maintenir et gouverner ; et comment il se doit au commencement a sa dame acointier ; et comment il le doit requerre de s’amour ; et tout par examples d’amours et de chevaleries"14. Ce texte est suivi de la Poissance d’Amours, où le Maistres se propose d’enseigner à son biaus fils "vérité et le raison par coi ne de coi ne conment corages de femme est par force de nature esmeüs en amour", soit "conment hom se doit faire amer de dame d’amour seüre et durant"15. A cet ensemble s’ajoute le Consaus d’Amours, le seul art d’aimer dont on peut être à peu près sûr qu’il est bien de Richard de Fournival. L’auteur, sous le masque d’un chevalier, l’adresse à sa "bele tres douce suer" afin qu’elle puisse, dit-il, "aucun conmencement avoir a vous gouvrener a amours"16. Le point de vue qui se dégage de ces différents textes apparaît parfaitement conforme à celui des "maîtres du discours amoureux" mis en scène par la tradition cléricale des arts d’aimer.
15Quelle conception de l’amour manifeste cependant l’œuvre lyrique de Richard de Fournival ? Il faut tout d’abord rappeler qu’à cette figure de amant hardi, fort de sa raison et de sa rhétorique, que défendent les arts d’aimer et qui légitime leur enseignement, le grand chant courtois préfère celle de l’amant couart ou esbahi, qui demeure, bouche bée, figé sur le silence de son amour. Toutefois, comme le remarque Roger Dragonetti, "parmi les quelques trouvères qui rejettent la couardise, figure... Richard de Fournival"17. Son œuvre lyrique privilégie en effet l’amant hardi. Mais celui-ci se distingue nettement du personnage décrit par les arts d’aimer. Il devient le fol hardi. C’est ce que met en scène la chanson suivante18 :
Ains ne vi grant hardement
Furnir sans folie,
Et qi vient couardement
Si pert s’envaie.
Pour ç’osai jou folement
Ma dame proiier merchi,
Car qi fait le fol hardi
Plus tost a amie
Que teus repaire entour li
Sagement (w. 1-10).
Jamais je ne vis chose très hardie
Etre accomplie sans folie,
Alors que celui qui s’avance craintivement
Perd son attaque.
C’est pourquoi, folement, j’ai osé
Demander merci à ma dame,
Car celui qui fait le fou hardi
Obtient plus vite une amie
Que celui qui se tient autour d’elle
Sagement.
16Richard de Fournival reprend ici la condamnation ovidienne de la couardise, à laquelle il préfère la hardiesse qu’implique la métaphore de la militia amoris. Au lieu cependant d’assimiler la crainte de l’amant à la folie, il l’associe à la sagesse ; inversement, c’est à l’amant hardi qu’est attribuée la folie (ce qui est souligné par les quatre mots suivants placés à la rime : hardement - couardement I folement - sagement). Au silence de l’amant couart, s’oppose par conséquent, non pas la raison d’une parole maîtresse de son pouvoir de séduction, comme c’est la cas des arts d’aimer, mais la folie d’une prière osant avouer la présence de l’amour. Alors qu’une sage retenue apparaît vouée à l’échec, l’excès de la parole serait la seule arme capable d’obtenir la merci de la dame.
17Ainsi que le souligne Dragonetti, cette "première strophe a l’accent d’un manifeste"19. De fait, la chanson tout entière peut être lue comme le programme poétique relatif aux œuvres composées par Richard de Fournival dans le cadre de la tradition lyrique. Voici à présent la deuxième strophe :
Il a au siecle une gent
Si de sens garnie
Qi sans grant cointoiement
Ne proieront mie.
Amours n’achate ne vent
Ne ne parole par si
Ne par langaje poli ;
Atout sa maistrie
En voit on maint esbahi
De noient (vv. 11-20).
Il est au monde une espèce de gens
Tellement pourvus de sens
Qui, sans grande élégance,
Ne prieront jamais.
Amour n’achète ni ne vend
Ni ne parle avec des si,
Ni avec un langage poli ;
Avec toute leur maîtrise,
On en voit beaucoup être ébahis
Pour rien.
18Ainsi que l’avait déjà suggéré la strophe précédente, l’amant couart ou esbahi apparaît comme celui qui préfère les ornements de sa rhétorique à la voix de son désir. Tout son sens est consacré à composer cointement, avec grâce et savoir-faire, de belles paroles dans un langage poli, à la fois travaillé avec art et plein de retenu, afin que ses chansons ne puissent choquer les oreilles de la dame en laissant transparaître un amour dont elle ne veut rien savoir. Richard de Fournival compare ainsi l’amant couart à celui qui croit pouvoir acheter la dame avec ses mots, c’est-à-dire avec un langage orné, riche et précieux, artistement sertis dans l’écrin de son chant. Ainsi que le remarque Dragonetti, "la thèse que Richard de Fournival soutient dans cette seconde strophe, c’est qu’en amour, toute maîtrise est vaine et ne conduit qu’à feindre". "La prise de position de Richard de Fournival, conclut alors Dragonetti, ...a ceci de remarquable qu’elle se présente comme une protestation contre une forme de couardise qui n’est pas celle des trouvères esbahiz, mais d’un type d’amant prudent et habile dans la parole, dont la maîtrise n’aboutit en somme qu’à la mise en scène d’un ébahissement simulé"20. Cependant, Richard de Fournival ne se contente pas de dénoncer un amant qui jouerait d’une rhétorique de la couardise pour tromper la dame, soit un lozengier déguisé en amant esbahi. Sa critique vise plus fondamentalement, me semble-t-il, la figure même de l’amant couart qui se dégage de la lyrique courtoise. Représenté, de manière exemplaire, par cette remarquable figure d’esbahi qu’offre l’œuvre de Thibaut de Champagne, né la même année que Richard de Fournival, le trouvère élève son chant au lieu même de ce silence émerveillé auquel l’amant voue son amour. C’est contre une telle esthétique rhétorique et musicale du grand chant courtois, soumis à l’exigence formelle du "bel parler"21, contre un langage prisonnier de la généralité des métaphores et des lieux-communs de la fin’amour, que Richard de Fournival revendique le personnage du fol hardi dont la parole singulière se refuserait à tout art du discours.
Mais cil qi garde ne prent
De cose q’il die
Ains aime si durement
Que tout s’i oublie,
Bien aperçoit qi entent
Q’il ne proie fors ensi
Corn Amours l’a esceulli
Ne n’a baarie
Fors a çou c’on ait oï
Son talent (vv. 21-30)22.
Mais de celui qui ne prend pas garde
A ce qu’il dit,
Et qui, au contraire, aime si fortement
Qu’il s’y oublie entièrement,
Celui qui est attentif se rend bien compte
Qu’il ne prie sinon de la manière
Dont Amour s’est emparé de lui,
Et qu’il n’aspire à rien d’autre
Qu’à ce qu’on ait entendu
Son désir.
19A quoi peut toutefois ressembler une telle prière, qui n’aurait d’autre objectif que de faire entendre le désir de l’amant ? Une réponse est apportée au cours de la cinquième strophe : "Je li dirai briement : Amés moi, je vous en pri !" (vv. 45-46). Bien sûr, une telle demande est insérée à l’intérieur d’une chanson qui, si elle met en cause l’esthétique courtoise, ne se réduit pas pour autant à cette simple expression du désir. Cependant, ce "dire bref apparaît comme la parfaite illustration de la poétique de Richard de Fournival. On peut le commenter au moyen du premier vers de la quatrième strophe de cette même chanson (pour autant qu’on en restitue le premier vers, corrigé par Alfred Jeanroy et Yvan G. Lepage malgré la leçon des manuscrits) :
A asne vient qi i tent.
Qi par raison prie,
Par raison aime ensement,
S’a joie demie.
Mais qi l’ot raisnablement,
Par quartiers ou a demi
Cil a a joie failli (w. 31-37)23.
Il en vient à faire l’âne, celui qui y tend.
Celui qui prie de manière raisonnable,
Aime de même de manière raisonnable,
Et obtient une demi-joie ;
Mais celui qui l’a obtenu par la raison,
Pour un quart ou pour la moitié,
Celui-ci a manqué à la joie.
20C’est-à-dire que, celui qui tend à faire entendre son désir sans prendre garde à ce qu’il dit (pour résumer ce qu’affirme la troisième strophe), qui aime par conséquent sans raison, celui-là en vient à faire l’âne, ou même, le devient (ce qui n’interdit pas nécessairement le succès). Au lieu de rejoindre l’amant hardi des arts d’aimer, c’est à l’amant luxurieux que s’apparente par conséquent le fol hardi.
21Le premier vers de cette strophe trouve un écho suggestif dans le Bestiaire d’Amours. En effet, le passage du chant au livre que mettent en scène les premières figures animales de cette œuvre se joue du coq à l’âne, ou plus précisément, à un asnes salvages qui est "la beste del monde ki plus s’esforce de braire et ke plus a laide vois et orrible" (p. 10). Alors que le coq incarne un chant solaire - celui, ici, de la lyrique courtoise - l’âne est le représentant emblématique d’une voix forte et singulière, d’un cri, marqué par le désespoir auquel l’entraîne le gouffre nocturne de son désir et condamné à disparaître au terme de son émission. "Car sa nature si est qu’il ne recane onques, fors quant il a tres erragie faim et il ne puet trover en nule maniere de quoi il se puist soeler. Mais adont met il si grant paine a racaner qu’il se desront tous" (ibid.). Cet ariereban qu’est le Bestiaire d’Amours, dans lequel l’amant dit "metre grengnor paine c’onques mais, ne mie a forment canter, mais a forment et atangnamment dire", apparaît ainsi comme l’ultime parole d’un coq devenu âne avant que sa voix ne se brise24
22Ce déplacement du coq à l’âne emblématise le passage du trouvère au clerc qui sous-tend le projet poétique du Bestiaire d’Amours, dont l’escrit recueille sur les chemins de sa mémoire les restes du grand chant courtois. A la célébration d’Amours et de la dame qui caractérise ce dernier, son ariereban oppose le dévidement des lieux-communs du discours amoureux, érigés en guirlande pour servir d’épitaphe (auto)biographique au trouvère mort d’amour de la lyrique. Quelles sont cependant les conséquences de sa substitution par la figure du clerc ?
23Le Bestiaire d’Amours est en partie construit comme une description du processus psychophysiologique qui entraîna sa mort. C’est à quoi servent les nombreuses références à la tradition érudite, médicale et philosophique, qui font de cette œuvre une variante, ludique et ironique, de quelque De corporis et animae relatif à l’amant aux prises avec la dame. On assiste ainsi aux différentes étapes de la séduction amoureuse à laquelle cèdent les sens et qui entraîne l’anéantissement de l’intelligence et de la mémoire. C’est ce qu’introduit la figure du corbeaus (ou du corbel).
Car sa nature si est ke quant il trove .I. homme mort, la primiere cose k’il mangue che sont li oeil ; et par illuec en trait le chervelle, et com plus en trove, miex en trait. Ausi fait Amours. Car es primierres acointances est li hom pris par ses iex, ne ja Amors ne le prisist, s’i n’i eüst esgardé (p. 23).
24Cette version macabre de la flèche métaphorique du dieu Amours transperçant l’oeil de l’amant, est interprétée de la manière suivante :
Dont prent Amours l’omme es primierres acointances par les iex, et par illuec pert li hom sa cervelle. Le cervelle de l’homme signefie sens. Car ausi com li essperis de vie ki done movement maint en cuer, et caleurs ki done norissement maint en foie, et ausi maint en chervel sens ki entendement done. Et quant li homme aime, nus sens ne lui puet avoir mestier, ains le pert a tout fait ; et com plus en a, plus en pert. Car com plus est sages li homme, tant se paine plus Amors de lui esragiement tenir (p. 25).
25La métaphore courtoise se retourne ici en une exposition du processus psychique de l’amour. Celui-ci équivaut à une perte de la faculté cérébrale. Ce que permet le livre, apportant jusqu’à l’oeil et à l’oreille le savoir des anciens, se voit, du même coup, défait. La "maison de mémoire", sur laquelle s’était ouvert le Bestiaire d’Amours, n’est plus qu’un crâne désorbité dans lequel a élu demeure, en lieu et place de la "chervel" - par paronomase -, la figure inversée - par métaplasme - du "bel cors"25 de la dame célébrée par la lyrique.
26A cette analyse psychophysiologique de l’amour s’ajoute sa version théologique. C’est ce que représente, par exemple, la deuxième figure animale introduite dans le Bestiaire d’Amours afin de décrire la naissance de l’amour par les yeux, le lion :
Car Amors fait ausi com li lions : quant li lions mangue sa proie, s’il avient c’uns hom past d’encoste li, s’il le regarde, por che ke figure d’omme porte ausi comme unes ensanges de sengnorie, de tant com il est fais a l’ymage et a le samblance le Siengeur des siengneurs, si covient ke li lions resongece son vis et son regart ; mais por che k’il a naturel hardement, si a honte d’avoir paour, si court sus a l’homme, si tost com il le regarde. Et cent fois porroit passer li hom encoste le lion, ja li lions ne se moveroit por tant com li hom ne le regardast. Dont di je ke Amors resamble le lion, car ausi ne keurt Amours sus a nullui, s’il ne le regarde (pp. 23-24).
27Comme c’était déjà le cas dans le Bestiaire de Pierre de Beauvais que reprend ici Richard de Fournival, cette nature du lion fait référence à deux passages de la Genèse se rapportant à la création de l’homme : l’un qui affirme que Dieu le fit à son image et à sa ressemblance (I, 26) ; l’autre qui soutient que l’homme a reçu le pouvoir de dominer les poissons des mers, les oiseaux du ciel ainsi que tous les animaux qui vivent sur terre (I, 28 et VIII, 17). Créé à l’image de Dieu, l’homme est le maître des créatures. Mais la Chute lui a fait perdre son pouvoir. Ce sont ces deux moments de la relation entre l’homme et les animaux que met en scène la nature du lion décrite ici. Tant que l’homme ne regarde pas ce fauve, il n’a rien à craindre. Le lion ne peut que respecter celui dont le visage est tourné vers Dieu et se soumettre à son autorité. Mais que l’homme détourne son regard pour le diriger vers cet autre dieu qu’est Amour, qu’il se laisse séduire par Eve, l’Amour se transformera en un lion rugissant se jetant contre son visage pour le défigurer. C’est dire qu’au moment où il porte son regard sur sa dame, l’amant ne peut que laisser surgir en lui cette force sauvage qu’est l’amour - qui se révèle d’ailleurs d’autant plus puissant que, pour vaincre sa paour, celle qui était la sienne comme trouvère, il manifeste pleinement son naturel hardement. La naissance de l’amour rejoint ainsi l’histoire biblique du péché originel. A l’instar de ce lion qui représente le diable (I Pierre V, 8), l’Amour substituera à l’image de Dieu que l’homme porte en lui, le portrait trompeur de la dame. L’amour apparaît comme une Chute dans la mort déchaînant les animaux qui composaient ce bestiaire dont, au temps où Dieu les lui présenta pour qu’il leur attribue un nom, l’homme avait la maîtrise.
28Diagnostic porté sur une maladie d’amour assimilée à la Chute d’Adam, le Bestiaire d’Amours est le livre d’un clerc consacré à l’amant de la tradition lyrique. Mais il s’inscrit en même temps dans son prolongement. Son auteur conserve en effet dans sa mémoire "la trace de l’amour" qu’il porte à sa "bele tres douce amie" (pp. 5-6). Aussi, si ce clerc s’oppose à l’amant esbahi pour revendiquer la figure du fol hardi, il ne s’identifie pas pour autant au séducteur prôné par les arts d’aimer. Il en rejette au contraire la raison, incompatible avec l’amour. Sous le vêtement du clerc, c’est l’amant mort de la lyrique qui fait retour au sein de l’écriture.
29Nous avons vu que ce trouvère à moitié repenti qu’est le clerc du Bestiaire d’Amours désigne son œuvre à l’aide d’une métaphore chevaleresque. Mais derrière le "beau cheval paré" que laisse entendre la comparaison de l’ariereban, se profile l’ombre parodique d’un âne. A l’instance imaginaire d’une rhétorique déployant ses moyens de séduction, d’une chevalerie des lettres lancée, toutes armes dehors, à la conquête de la dame, succède l’ânerie d’une œuvre qui ne peut que revenir sur les traces laissées par un amant mort d’amour. Elle en retrace, sur un mode parodique, le parcours, qu’elle fixe dans l’escrit de la mémoire comme pour en formuler le savoir, tout en faisant retentir la voix d’un désir incapable d’être retenu dans les figures du grand chant courtois auxquels se plie l’amant couart - celle du fol hardi qui avait été laissé en arrière.
30Du coup, à l’autorité d’Ovide succède, pourrait-on dire, la figure d’Aristote. En effet, le Bestiaire d’Amours rejoue, à sa manière, le Lai d’Aristote de Henri d’Andeli, dans lequel "le meillor clerc du mont" finit par être mené "a loi de beste", comme un "roncin" que monte celle à la beauté de laquelle il s’est laissé prendre26. C’est, en quelque sorte, comme si Aristote lui-même avait décidé d’établir le bilan de son aventure amoureuse. Cependant, la soumission du clerc à la dame continue sur le plan même de l’écriture. Le Bestiaire d’Amours est l’œuvre d’un clerc, mais d’un clerc que chevauche encore celle qui hante sa mémoire. Et si, afin de vaincre sa résistance, il rêve de devenir le cheval, ou le chevalier, de l’amour, il n’en est jamais que la figure caricaturale : un âne. Au fond, il n’y a peut-être pas de meilleure représentation du clerc de l’amour.
Notes de bas de page
1 Je me réfère à l’édition de C. Segre, Li Bestiaires d’Amours di Maistre Richart de Fornival e li Response du Bestiaire, Milan-Napoli, 1957, pp. 7-8. Je rappelle la traduction française de G. Bianciotto, dans Bestiaires du Moyen Age, Paris : Stock, 1980, pp. 125-68. Pour certaines références concernant ce que je présente ici, et pour de plus longs développements, je renvoie à ma thèse, Les portes de la mémoire. Richard de Fournival ou l’"ariereban" de l’amour, Genève, 1993 (à paraître).
2 "Le Roman d’Abladane", éd. L.-F. Flûtre, Romania XCII, 1971, p. 475.
3 Cl. Fauchet, Recueil de l’origine de la langue et poesìe françoise, Paris, 1581, p. 146.
4 La poissance d’Amours dello pseudo-Richard de Fournival, éd. G.B. Speroni, Florence : La Nuova Italia, 1975, p. 79.
5 Ms 139 (657) de la Bibliothèque de la ville d’Arras, ff 140r et 133r ; reproduit en phototypie par A. Jeanroy, Le Chansonnier d’Arras, Paris : SATF, 1925.
6 In F. Wolf, "Über einige Altfranzösische Doctrinen und Allegorien von der Minne nach Handschriften der K.K. Hofbibliothek", Denkschriften der Kaiserlichen Akademie der Wissenschaften. Philosphisch-Historische Classe 13, Vienne, 1864, p. 1.
7 In Li Bestiaires d’Amours di Maistre Richart de Fomival e Ii Response du Bestiaire, op. cit., p. 105.
8 Edité par Ch. Oulmont, Les Débats du clerc et du chevalier dans la littérature poétique du moyen-âge. Paris, 1911, vv. 300-12. J’ai modifié la ponctuation du vers 309 et tenu compte des corrections proposées par E. Faral, dans "Les débats du clerc et du chevalier dans la littérature des xiie et xiiie siècles", Recherches sur les sources latines des contes et romans courtois du moyen âge, Paris : Champion, 1913, p. 233. Les autres Débats que je citerai, le seront également d’après l’ouvrage de Ch. Oulmont.
9 Pour citer le célèbre prologue du Cligès de Chrétien de Troyes, v. 26.
10 Ovide, Ars amoris, v. 17, éd. et trad. E. Ripert, Les Amours, suivis de L’Art d’aimer, etc., Paris : Gamier, 1941.
11 Cf. M. Gally, "Le huitième art. Les clercs du xiiie siècle, nouveaux maîtres du discours amoureux", Poétique, 75, 1988, pp. 279-95.
12 Li Livres d’Amours de Drouart la Vache, éd. R. Bossuat, Paris : Champion, 1926, w. 135-36.
13 Cf. J. Thomas, (éd.), "Un Art d’aimer du xiiie siècle : l’Amistiés de vraie amour", Revue belge de philologie et d’histoire 36, 1958, pp. 786-811.
14 "Li Commens d’Amours de Richard de Fournival (?)", éd. A. Saly, Travaux de Linguistique et de Littérature X/2, 1972,11. 5-9, p. 41.
15 La Puissance d’Amours I, 1-3, op. cit., p. 30.
16 "Il Consaus d’Amours di Richard de Fournival", éd. G.B. Speroni, Medioevo Romanzo 1, 1974, I, 1-3, p. 242.
17 R. Dragonetti, "Trois motifs de la lyrique courtoise confrontés avec les Arts d’aimer (Contribution à l’étude de la thématologie courtoise)", Romanica Gandensia VII, 1959, p. 40 (repris dans "La Musique et les lettres". Etudes de littérature médiévales, Genève : Droz, 1986).
18 Chanson II de l’éd. de Y.G. Lepage, L’œuvre lyrique de Richard de Fournival, Ottawa, 1981, pp. 36-40. La traduction est mienne.
19 R. Dragonetti, "Trois motifs de la lyrique courtoise confrontés avec les Arts d’aimer", op. cit., p. 41 ; cette chanson est traitée aux pp. 41-44.
20 Id., pp. 42 et 47.
21 "Je cuidoie faire vertus D’amie avoir par bel parler..." dit Richard de Fournival dans la Chanson I, w. 9-10, de l’édition Lepage.
22 J’ai ajouté une majuscule à Amours (v. 27). Avec des mots auxquels il ne souscrirait probablement plus tout à fait aujourd’hui, R. Dragonetti, affirme dans son article sur "Trois motifs de la lyrique courtoise confrontés avec les Arts d’aimer", que, pour Richard de Fournival, "l’amour est spontanéité, gratuité et donc refus de tout calcul" (op. cit., p. 43), "élan sincère du coeur qui s’exprime spontanément dans le simple but de se faire accueillir" (p. 47). "Le fol hardi de Richard de Fournival, ...c’est tout simplement, disons-le, l’amant à l’état de nature, profondément épris, et qui n’éprouve aucune crainte à le dire. Comment pourrait-il se soucier de beau langage, lui qui aime si profondément qu’il ne saurait faire attention à ce qu’il dit. Qui l’écoute, s’aperçoit fort bien que l’amant hardi ne prie que de la façon dont Amour l’inspire, et qu’il ne vise qu’à une chose : faire en sorte qu’on ait compris son désir" (p. 43).
23 Alors que trois manuscrits sur cinq donnent asne, un quatrième agne, tandis que le cinquième, qui ne comprenait vraisemblablement pas ce vers, le transforme entiè rement, Y.G. Lepage considère avec A. Jeanroy que "A asne n’a pas de sens ; il faut corriger en A asme, c’est-à-dire A esme" (L’Œuvre lyrique de Richard de Fournival, op. cit., p. 39 ; Lepage fait référence au compte rendu consacré par Jeanroy à l’édition de P. Zarifopol, Romania XXXIII, 1904, p. 427). La traduction, proposée par Jeanroy et reprise par Lepage, serait alors la suivante : "Celui-là y réussit (à faire entendre son désir) qui y tend (avec ardeur)" (p. 40). Cette correction semble corroborée par les w. 2 et 7-10 (cf. ci-dessus) et soutenue par la progression négative : a asme - a joie demie - a joie failli. Toutefois, son optimisme s’apparente à une lectio facilior banalisante qui n’est guère dans le style de Richard de Fournival (et qui se trouve d’ailleurs contredite par la fin de la chanson, w. 47-50). Par contre, la tournure proverbiale de ce vers ressemble bien davantage à la manière de notre auteur. Aussi cette correction ne m’apparaît-elle pas s’imposer. En outre, j’ai interprété ot du v. 35 comme le parfait du verbe avoir et non comme le présent du verbe oïr, ainsi que l’indique Lepage dans son glossaire (p. 153). Celui-ci traduit d’ailleurs ce vers de la manière suivante : "En revanche, celui qui pratique l’amour avec sa raison" (p. 40). Dans son compte rendu de l’édition Lepage, J.H. Marshall, en se fondant sur C, propose quant à lui de corriger par qi jot, présent du verbe joïr (Medium Aevum LII, 1983, p. 164).
24 Voir à ce sujet mon article, "Du ban du coq à l’Ariereban de l’âne (à propos du Bestiaire d’Amour de Richard de Fournival)", Reinardus, 5, 1992, pp. 109-24.
25 Chanson V, v. 23, L’Œuvre lyrique de Richard de Fournival, op. cit., p. 55.
26 Henri d’Andeli, Le Lai d’Aristote, vv. 449, 476 et 450 ; éd. M. Delbouille, Paris, 1951 (Bibliothèque de la Faculté de Philosophie et Lettres de l’Université de Liège CXXIII). "Son cheval en fist la barnesse Et le poignoit comme une asnesse", dit Jean LeFèvre dans sa traduction des Lamentations de Matheolus, Livre I, w. 1091-92 (Les Lamentations de Matheolus et le Livre de leesce de Jehan LeFèvre, de Ressort, éd. A.G. van Hamel Paris, 2 vol., 1892-1905).
Auteur
Université de Genève
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