Le clerc et la clergie à travers les Dolopathos de Jean de Haute-Seille et d’Herbert
p. 363-383
Texte intégral
1Dans la tradition abondante et multiforme des Sept sages de Rome on peut isoler à la fin du xiie siècle et au début du xiiie une excroissance particulièrement intéressante, un rameau original à plus d’un titre, celui du Dolopathos. Bien connue depuis longtemps, grâce surtout à l’édition de Brunet et Montaiglon (1856) et à divers travaux anciens, dont des articles de Gaston Paris dès le deuxième numéro de la Romania, la version en octosyllabes français, signée par un certain Herbert, est l’enromancement d’un petit récit en prose latine dont une édition, qui fait autorité, a été publiée par Alfons Hilka en 1913.1
2Pour les besoins de mon exposé je dois rappeler quelques points, à savoir que, dans les versions qui relèvent de la tradition occidentale « vulgate » des Sept sages, le héros, fils d’un roi, est accusé injustement par sa male marastre, émule de madame Putiphar, d’avoir attenté à sa pudeur ; condamné au bûcher, il est sauvé in extremis à sept reprises grâce, chaque fois, à l’intervention inattendue d’un sage de Rome qui raconte un, ou parfois deux exemples, pour illustrer la malice ou la perfidie des femmes ou le danger des jugements précipités. À ces exemples la reine réplique chaque fois par un exemple contraire, qui illustre donc essentiellement la vertu et les mérites des femmes. Or, dans le Dolopathos, la reine se contente de grommeler, puis de protester et enfin d’agonir d’injures le roi et sa cour, avant de périr, finalement, après l’intervention de Virgile en personne, sur ce même bûcher auquel elle avait tenté de faire envoyer le jeune prince.
3Autre originalité du Dolopathos, ce qui n’était dans la vulgate qu’un conte-cadre ténu, un prétexte à l’insertion des contes narrés par les sages et par la reine, à savoir le roman proprement dit du roi et de son fils, fait l’objet d’un développement tel que le poème mérite bien d’être considéré comme le roman de Dolopathos, et plus encore de son fils Lucimien. Enfin une dernière partie du roman est constituée par la catéchisation de Lucimien, qui bien entendu, comme d’autres héros — je pense par exemple à celui du Conte de Floire et Blancheflor —, va se convertir au christianisme et entraîner la conversion de son peuple.
4Je n’ai pas la prétention de révéler des vérités inédites touchant l’état de clerc ou le sens de la clergie. Mais si le texte d’Herbert, composé autour de 1223, est sur bien des points une œuvre comparable aux romans courtois dont se repaissaient les lecteurs et les lectrices de l’époque, ces derniers étaient écrits par des clercs qui vivaient dans le siècle, alors que le Dolopathos est sorti explicitement du sérail monastique, puisque son premier auteur frater Johannes, ou comme le nomme Herbert, dam Jehan, était un moine de l’Abbaye cistercienne de Haute-Seille, près de Nancy.
5Je distingue trois niveaux d’intérêt du point de vue qui est celui de ce colloque : le niveau des contes et exemples enchâssés, le niveau des personnages du roman proprement dit (ou conte-cadre), et enfin le niveau des auteurs. Je serais particulièrement satisfait si nous pouvions aboutir à une caractérisation pertinente de l’œuvre d’Herbert.
I. LE NIVEAU DES CONTES ENCHÂSSÉS
6Il y a sept exemples, chacun de ces exemples dû à l’un des sept sages. Dans l’ordre où ils apparaissent, en les désignant par leur nom latin traditionnel : Canis, Gaza, Senex, Creditor, Viduæ Filius, Latronis Filii, et Cygni. Dans la version en latin, Virgile s’approprie le conte Puteus, qu’Herbert fait précéder d’un premier conte, Inclusa, en rattachant ces deux récits l’un à l’autre par un artifice curieux.
7Les contes insérés occupent quelque 6 000 vers sur les 12 926 qu’aligne le roman d’Herbert. Or le clerc ou la clergie n’apparaissent que dans deux des exemples racontés par des sages : Creditor et Cygni, ainsi que dans le récit de Virgile Puteus (Inclusa-Puteus chez Herbert).
8Dans le septième exemple, Cygni, qui est le récit de la légende des enfants-cygnes et où le Chevalier au cygne
qui tint de Bullon la duché 10111
9est explicitement cité, le personnage que je retiens parce qu’il est présenté avec les attributs de la clergie est un ermite ; c’est un personnage fonctionnel, un auxiliaire dans le fonctionnement structurel de ce conte merveilleux : c’est lui qui recueille les sept nouveau-nés dans la forêt où ils ont été abandonnés et qui les élève. Ce personnage, indispensable mais toujours en retrait, est un instrument évident, et d’ailleurs déclaré, de la providence divine. Dans ce « désert » qu’est la forêt, un ermite est particulièrement bien placé pour avoir un comportement aussi charitable et efficace, et sauver les enfants. Cependant ce vieil homme est assez longuement et complaisamment décrit, au delà des seules nécessités du récit :
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10Pourquoi ce développement destiné à camper un philosophe, un « maître qui tant savoit »2 ? Il ne gardera pourtant les enfants que jusqu’à ce qu’ils atteignent l’âge de sept ans, c’est-à-dire qu’il est séparé d’eux au moment même où il aurait pu fonctionner utilement comme pédagogue, alors qu’il n’aura été pour eux qu’une sorte de nourrice3 ?
11On relèvera que le moine Jean, et après lui Herbert, prenaient sans doute plaisir à vanter les mérites de la retraite érémitique, mais je pense qu’il faut aussi souligner cette rencontre de la sagesse et de la science d’un vieux philosophe avec la nature, rencontre que cristallise l’accessoire de la biche apprivoisée. Même si la domestication d’un animal sauvage peut nous sembler quelque chose de relativement banal, elle est ici une manifestation du pouvoir efficace que par sa clergie le vieil ermite a pu acquérir, et qui lui permet de remédier à l’absence de femme nourricière.
12L’autre conte où il est question de clergie, Creditor4, présente à son début un riche seigneur qui avait une fille unique :
Quant [filiam] ipse, cum nullum alium haberet heredem, liberalibus artibus decreuit imbuendam, quatinus ex artium disciplina philosophorumque libris sapientiam que melior est fortitudine mutuaret, per quam paternam sciret hereditatem tueri, quod posse armis aut uiribus ei muliebris infirmitas denegarat. Nec fefellit eum in hoc spes sua. Tantam siquidem illa scientiam subtilitatemque ex artibus comparauit, ut magicam quoque artem nullo se docente magistro perciperet.5
13Herbert a traduit assez fidèlement :
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14On observe ici une situation assez rare, mais non exceptionnelle : une fillette que l’on instruit comme on le fait d’un garçon6. La clergie et la philosophie qui en est le couronnement ne sont pas en effet l’apanage des seuls clercs, puisque une jeune fille peut y parvenir par l’étude. Ce qui est à retenir, c’est la motivation du père : une « faible femme », faute d’avoir la force physique, doit y suppléer par les ressources de la science et de l’intelligence. On retrouve donc, mais inversée, la situation précédente, celle du vieil ermite qui supplée grâce à sa sagesse à la carence de l’autre sexe. Dans les deux cas, les personnages sont à la frange du surnaturel : l’ermite est un homme de Dieu qui apprivoise une bête sauvage et maîtrise donc les forces de la nature, la jeune fille est une magicienne qui utilisera sa magie pour parvenir à ses fins7. Dans les deux cas le pouvoir dont ils disposent, la domination de la nature, a été procuré par l’étude. J’ai employé le terme de surnaturel, mais telle est notre façon de penser aujourd’hui que nous le percevons comme du « non naturel » ; or il est évident qu’il n’y a pas de solution de continuité, pour un esprit du moyen âge, entre le naturel et ce que nous percevons comme surnaturel, et qui n’est, si j’ose m’exprimer ainsi, que du « naturel supérieur ».
15Lorsque Virgile intervient, après les sept sages, pour mettre fin aux tribulations de Lucimien, il raconte lui aussi une histoire. À la différence des récits qu’ont racontés les sept sages, celui de Virgile qui, je l’ai déjà rappelé, est dédoublé dans la version d’Herbert, n’est pas présenté par son narrateur comme un exemple, mais comme une aventure, disons plutôt une mésaventure vécue par un de ses amis et qui sert à justifier la violente imprécation qu’il vient de proférer contre les femmes en général et la marâtre de Lucimien en particulier. L’implication personnelle de Virgile est en fait assez mince dans ce récit inséré (elle se réduit à la mention quod ip.se uidi, et à un avis dissuasif donné à l’ami philosophe tenté par le mariage). L’importance de cette implication doit plutôt s’apprécier du point de vue de l’architecture du roman.
16Le héros de Puteus est donc présenté ainsi par Virgile : a muliere quidam deceptus philosophus. L’aventure qui lui arrive est un sujet de fabliau : c’est le thème de « l’enfermeur enfermé » par sa femme rusée, et contraint, après sa mésaventure, de renoncer à la cloîtrer. L’idée qu’on ne peut tenir l’oiseau en cage est un lieu commun de la littérature médiévale, qui déborderait de notre propos s’il ne se trouvait que chez Jean et chez Herbert le mari victime de la ruse de sa femme est un philosophe, et que ce philosophe ne va pas se montrer plus sage que le héros du lai d’Aristote... Pour étoffer le motif du philosophe pris au piège de la ruse et du charme féminins, Herbert a joliment amplifié sa mésaventure en y adaptant comme une sorte de prologue le conte bien connu, Inclusa8, de la femme enfermée dans une tour, qu’un amant parvient néanmoins à rejoindre par un souterrain. Chez Jean l’amant d’Inclusa est justement le futur cocu de Puteus. Il a demandé conseil à Virgile au sujet de son projet d’épouser celle qu’il a enlevée à son mari ; Virgile cherche a l’en dissuader,
asserens sapienti ut uxorem ducal omnino non expedire, quia per hanc maxime impeditur philosophia nec a quodam seruari potest in uita, cetera quoque que in libro aureolo ponit Theophrastus mulieris impedimenta.9
17Mais le philosophe passe outre, se fiant à sa sagesse pour trouver le moyen de déjouer les ruses de sa future épouse :
respondit ille se artem cogitasse qua eius omnes insidias eluderet.10
18Et Virgile de préciser :
Nupsit erga preter uoluntatem meam fabricauitque turrim lapideam, uno tanto ostio ac fenestrula contentant.11
19Voici l’amplification à laquelle procède Herbert à partir du texte de Jean, pour présenter cet imprudent philosophe :
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20Je me borne à souligner, tant la thématique est banale, la fidélité d’ensemble à la présentation faite par Jean, et la disparition du nom de Théophraste, inconnu ou peu susceptible d’être connu de lecteurs du texte en langue vulgaire. Il en reste en filigrane une trace, suggérée par les vers 10 365-67 et 10 389 (encombrier <= impedimenta). L’intention très claire de Virgile est de proclamer l’incompatibilité de l’état de philosophe avec la condition d’homme marié, non seulement parce que le mariage est dangereux, mais parce que le fait même de songer au mariage fait douter de la sagesse du philosophe et en dernière analyse conduirait à contester à ce dernier cette qualité de philosophe12.
II. LE NIVEAU DU CONTE-CADRE
21L’histoire de l’ami de Virgile nous a déjà fait aborder incidemment ce second niveau de notre prospection.
22Les personnages concernés par la clergie sont Lucimien, Virgile, les sept sages, le médecin qui fait revenir Lucimien de son évanouissement et le saint homme qui le convertit au christianisme. Dolopathos n’est pas directement concerné, il reste essentiellement un type de bon roi justicier ; il ne pouvait être question, malgré ses vertus, de le présenter comme un philosophe notamment parce que, pour les besoins de l’intrigue, il faut bien qu’il se remarie, à un âge avancé, et avec une femme jeune et belle !
23Les sept sages de Rome : commençons par eux notre revue des autres personnages. Leur rôle fonctionnel global est si important que l’on ne peut s’attendre à une individualisation poussée ; d’ailleurs ils n’ont pas de nom, et si dans les versions de la vulgate on leur en a attribué, l’individualisation ne va pas plus loin. Les attributs que leur confèrent Jean et Herbert sont traditionnels, et symbolisent la sagesse et la clergie : longue barbe chenue, toge romaine, couronne de lierre et férule pour signifier érudition et magistère. Leurs montures présentent, de Jean à Herbert, quelques différences de détail à mon avis sans signification — mais je me trompe peut-être —, les deux auteurs s’amusant à varier de l’âne à la mule et à différentes races de chevaux13. Ces montures témoignent de leur humeur voyageuse, car ce sont des personnes qui accumulent de l’expérience. Je retiens le seul développement notable, c’est à propos du septième et dernier sage :
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24Il ne me semble pas utile de commenter un texte aussi explicite14.
25Le médecin : Lorsque Lucinius apprend par les astres la mort de sa mère, il s’effondre et semble mort. “Un bon physicien”, comme dit Herbert, se trouve là, qui le soigne. Ce médecin est présenté par Herbert, au v. 1928, comme un “saiges tiers ke la nature de fysique toute savoit”. Mais Jean ne lui avait pas attribué d’“état”, de statut ; c’est seulement “quidam medicinalis artis peritus”15, le nom de philosophus lui étant refusé. Lorsque Virgile revient, Lucimien lui explique que ce qui l’a sauvé c’est l’humana ars, ce que je pense devoir traduire par “la science du corps humain”. Sans vouloir faire un sort à ce détail, il semble que le spécialiste, quelque utile qu’il soit, même si on le présente avec sympathie, ne soit pas digne du nom de philosophe : il a en effet été initié aux secrets de l’homme, mais non aux secrets de Dieu, auxquels le clerc philosophe accède lorsqu’il étudie la théologie, que le maître païen Virgile doit remplacer par divers enseignements de sagesse antique, notamment par des arts de mantique. Virgile dira à Lucinius : « Scis me nichil de humanis diuinisque te celasse secretis ».
26Le saint homme : avec ce « disciple de Jésus Christ » qui apparaît au vers 11500, c’est un personnage type de la littérature édifiante qui entre en scène :
uns des desciples Jesucrist, 11500
ke malt amait Deu et tint chier,
vint an Cesille preoichier
foi et creance et veriteil.
27Sa venue est annoncée au roi par des gens simples,
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28La cécité spirituelle des ignorants, qui jugent aux seules apparences, explique ces remarques. Il est vrai que la fière, vénérable et riche apparence des sept sages de Rome contraste avec celle qu’offre ce pauvre hère, qui pourtant se signalera par son sens et sa clergie — son intelligence et sa culture —, auréolé en outre du prestige de la foi chrétienne, indispensable pour mériter d’être considéré comme le clerc accompli. Au contraire de la plèbe, Lucimien comprend, pour ainsi dire intuitivement, que cet homme est porteur d’une promesse de réalisation des prophéties qui dès avant sa naissance annonçaient qu’il « croirait en un Dieu nouveau ». Aussi engage-t-il avec le saint homme un long débat courtois mais contradictoire, sorte d’exercice d’école sur les thèmes de l’apologie du christianisme et de la condamnation du paganisme, débat qui se conclut par la conversion du roi Lucimien. Mais nous sortirions de notre propos en nous attardant sur ce point. Ce qui nous intéresse, c’est le couronnement de cet argumentaire de propagande : Lucimien est presque convaincu, mais il est des autorités qu’il a appris à respecter :
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29Pour affirmer la légitimité de cette translatio, le saint homme va évoquer non pas un, mais de nombreux clercs paiens qui ont prophétisé l’arrivée d’un Dieu nouveau : après la Sibylle tiburtine,
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30Suit la mention anonyme et collective d’« évêques » égyptiens (païens), et même Romulus est cité d’une manière qui suggère qu’il appartient lui aussi à la légion des clercs de l’Antiquité.
31Lucimien et Virgile : revenons aux protagonistes. Ils sont étroitement solidaires et plusieurs traits soulignent cette solidarité. Ce que Jean et Herbert cherchent à dire, c’est que Lucimien est un nouveau Virgile, mais encore plus accompli. Virgile, son maître qu’il vénère, lui transmet toutes ses connaissances, y compris les opuscules confidentiels dans lesquels il a mis la quintessence de son savoir et qu’il emportera dans sa tombe pour éviter que ce savoir ne soit vulgarisé, banalisé :
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32Il semble que Jean et Herbert ne veuillent pas retenir l’explication que donnent « les uns », et qu’ils préfèrent celle des « autres ». Comment en effet accepter que Virgile ait pu par mesquinerie refuser de transmettre la clergie, alors que tous les auteurs du moyen âge exaltent l’obligation sacro-sainte des clercs, qui est de transmettre le savoir ! En fait Virgile n’a pas vraiment emporté dans la tombe tous ses secrets, puisqu’il les avait transmis à Lucimien. Il y a là une rectification notable, une sorte de réhabilitation du geste qui lui est prêté ; le devoir de transmission ayant été accompli au bénéfice d’un être d’élite jugé digne, le geste est justifié par des motivations qui peuvent nous paraître spécieuses, mais qui étaient sans doute recevables pour les contemporains des deux auteurs.
33Le Virgile médiéval16 est quelque peu déconcertant quand on le compare au poète des Bucoliques. Dans le Dolopathos ce vénérable maître, parangon de la clergie, flor de philosophie, passe son temps à enseigner. Il pratique la pédagogie déambulatoire. Il ne dédaigne pas, lorsqu’il reçoit les messagers de Dolopathos, de boire « selon clergie »17. Sa vitupération contre les femmes18 est d’une violence remarquable, quoique dans le droit fil de la tradition cléricale médiévale. La cohérence fonctionnelle du récit l’exige sans doute, mais je relève que parfois Herbert est conscient de l’incongruité de ces propos misogynes alors que son enromancement est destiné à toucher un public depuis longtemps imprégné d’idéologie courtoise. Aussi, lorsqu’il dit de Lucimien, mis à rude épreuve par les manoeuvres et la lubricité éhontée des femmes, qu’il est comme « parmi des serpents », il croit nécessaire de se justifier :
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34Lucimien est le véritable héros du roman. C’est son nom qui aurait dû apparaître dans le titre. Certes le bon roi Dolopathos a été campé lui aussi avec sympathie et complaisance, par Jean d’abord, et surtout par Herbert — la dédicace à Louis VIII expliquant sans doute cela. Mais ce roi n’est ni un clerc — même s’il connaît Platon —, ni un chrétien. En effet il se réfère à Platon ;
ad memariam regis reuocata est quedam Platonis sententia, qua ait felicem fare rem publicam si philosophi regnarent uel reges philosopharentur.19
35Herbert traduit :
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36Si la clergie n’est jamais mentionnée parmi les mérites de Dolopathos, il n’est donc pas ignorant (on vient de le voir) et il se comporte à l’égard de Virgile et des sages avec une extrême déférence. Ainsi, lorsqu’il constate le mutisme dont son fils est frappé, si sa lamentation contient certaine suspicion à l’endroit de l’illustre sage, elle sera vite balayée :
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37Une étude complète du clerc Lucimien et de Virgile serait trop longue à mener ici, et somme toute risquerait d’être décevante, tant la perfection des personnages les rend parfois, d’un certain point de vue, trop stéréotypés, « conformes au type reçu ».
38Voici, par exemple, pour illustrer la vertu d’humilité, comment Lucimien se comporte en présence de Virgile :
Ipse autem cum tantus esset tantusque estimaretur ab hominibus paremque eum sibi in omni facultate Virgilius predicaret, nunquam tamen ei cansedere ualuit uel equari, sed semper sub uirga eius et disciplina mansit, ac si tunc primum elementa disceret litterarum. Vnde ex hoc maxime eius humilitas comprobatur, quia cum ipse procere stature essel, Virgilius uero pusille, ambulans uel stans cum magistro incuruato contracto corpore erat, ne altior eo uel prestantior uideretur.20
39Herbert traduit ;
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40Par deux fois Lucimien répond à son maître, alors que celui-ci lui adresse une demande, de ne pas demander, mais de commander21. Cette vertu d’obéissance, vertu monastique dont Jean déplore ailleurs qu’elle se perde22, est le fondement même du conte, puisque c’est par elle que Lucimien, jusqu’à l’arrivée de Virgile, se contraint au mutisme et s’interdit par conséquent de se disculper23. Lucimien sera donc exemplaire sur ce point aussi.
41Virgile n’est cependant pas imperméable aux émotions : son affection pour son brillant disciple est sans doute un cliché24, mais Jean l’humanise davantage ; lorsqu’il croit que Lucinius est mort, il perd son impassibilité stoïcienne et ne peut réprimer larmes ni sanglots25. De même, lorsqu’il voit dans les astres que sa mère est morte, Lucimien tombe dans un état de catalepsie.
42Lorsque Lucimien est rappelé en Sicile par son père pour se faire couronner, Virgile lui fait un certain nombre de recommandations, entre autres celles-ci :
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43Lucimien se conformera à tous les préceptes que lui a inculqués son maître et sera donc comme lui un parangon de clergie26, mais il aura sur lui l’avantage du baptême. Il sera roi et philosophe, selon l’adage de Platon et conformément au vœu de son père et aux recommandations de Virgile27, mais s’il amorce un règne idyllique28, Lucimien abandonne son trône une fois que la grâce l’a touché : il part pour la Terre Sainte, et il y restera. Somme toute, Jean et Herbert lui font choisir la clergie contre le trône, ce qui réduit la portée du mot de Platon : si un philosophe parfait, donc chrétien, doit choisir la sainteté, il ne peut rester roi.
III. LE NIVEAU DES AUTEURS
44Jean de Haute-Seille a rédigé une petite préface (prefatiuncula) dans laquelle on trouve une dédicace flatteuse à l’évêque Bertrand de Metz, un éloge des clercs antiques et une brève réflexion sur ses propres prétentions littéraires. La fidélité d’Herbert à son modèle lui fera intégrer dans son enromancement tous ces éléments, mais sa dédicace, tout aussi flagorneuse, est adressée au roi Louis, qui est associé dans la flatterie à son père Philippe Auguste.
45Jean se présente ainsi :
frater Johannes, qualiscumque in Alta Silva monachus (.. .)29
46Avant de louer la sainteté de l’évêque Bertrand, il déplore de n’avoir guère trouvé, dans l’Église et dans les cloîtres, que des gens indignes. Puis il offre à l’évêque les « prémices de son faible talent » :
Accipiat uestra dignacio fructus plante quam plantauit amicus uester, dominus Henricus, monasterii mei uenerahilis dispensator.
47Il ne nous dit pas si cet Henri a été son mentor, ou si son rôle s’est limité à l’encourager à écrire.
48Vient ensuite l’éloge des anciens clercs, qui débute ainsi :
Veterum philosophorum studium hoc totum fuit rerum ueritatem proprietatemque multiplici uarioque sermone disquirere, regum bella el illustrium gesta uirorum, ...
49On trouve chez Herbert une traduction presque littérale de ce développement :
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50Herbert et Jean sollicitent l’indulgence du lecteur, ce dernier s’excusant en ces termes :
[scias, o lector,/ me non multum in Prisciani regulis desudasse, necdum me in florigeros Quintilliani Tulliique ortulos recubasse.30
51Au cours de son récit, Jean parle souvent à la première personne, ponctuant le texte de dico, dixi, dicam, arbitror, ut melius dixerim, etc. Herbert en fait autant, mais se retranche parfois explicitement derrière son modèle.
52Ce qui distingue le plus Jean de son traducteur, c’est l’abondance des citations ou réminiscences classiques dont il émaille son texte. Juvénal, Horace, Virgile, Ovide, Lucain et d’autres encore, fournissent des citations, accompagnées ou non de la mention du nom de l’auteur. Convention des arts poétiques de son temps, qui ne peut cependant se pratiquer aisément en langue vulgaire : d’une part parce qu’on ne s’adresse pas au même public, et aussi tout simplement parce qu’on ne peut citer littéralement du latin dans un texte en vers français. Que deviennent donc dans le texte d’Herbert, dont on a pu apprécier la fidélité au modèle, ces nombreuses citations ? Elles sont adaptées, intégrées au contexte, où elles prennent parfois des allures sentencieuses ; ainsi, lorsque des barons envieux se rendent devant l’empereur Auguste pour accuser faussement Dolopathos de gouverner la Sicile en tyran31, ils lui conseillent d’agir rapidement pour mettre fin à ses crimes. Jean leur prête — sans nommer le poète — des vers d’Ovide (Remedia Amoris, V, 81 et 91-92) :
Opprime, dum nnua sunt, subiti mala semina morbi.
Principiis obsta, sero medicina paralur.
Cum mala per longas conualuere moras.32
53Ce qui devient chez Herbert :
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54Lorsque Dolopathos expose devant son fils une sorte de long testament politique et moral, il cite des vers des Pontiques d’Ovide, des Odes d’Horace, de la Pharsale de Lucain, qui se diluent dans le contexte chez Herbert. Il en va de même pour d’autres citations d’Horace (Hilka, p. 38, 10-14 ; 45, 17-19 ; 45, 21 ; 99, 12-18 « ut ait Oratius » ; 99, 19-26 « ut ait idem poeta »), de Virgile (39, 17 : « ut ait poeta » ; 45,8 ; 102, 9 « quod poeta Virgilius sentiebat » ; 104, 35-36), d’Ovide (73, 6 ; 93, 27-29). Des allusions diverses, plus discrètes, soigneusement relevées par l’éditeur Hilka, s’ajoutent à la liste. Il n’est pas toujours aisé de savoir si elles sont de première ou de seconde main, comme la fameuse citation de la République de Platon, à propos des rois philosophes.
55Le clerc dam Jehan possède donc la culture classique type de son époque et de son état ; elle s’étale volontiers, parfois avec mention de l’auteur, et s’ajoute à sa connaissance des textes sacrés, des auteurs chrétiens (Lactance, Saint Augustin, Isidore de Séville), des grammairiens (Quintilien, Servius), des auteurs (Gautier Map) et philosophes contemporains (Alexandre Neckham, peut-être Alfred l’Anglais). Ce qui transparaît à travers la lecture de son petit roman suggère une curiosité très étendue, par exemple pour l’astronomie et pour la médecine33, caractéristique du bouillonnement intellectuel de son temps.
56Son imitation des anciens peut le conduire à utiliser le style allégorique :
Verum, cum Phebus suo cursu peracto in Esperias se recepisset undas noxque sopori quietique hominum ordinata preuiis tenebris aduenisset, rex Dolopathos...
57Herbert est par nécessité beaucoup plus discret, notamment dans la dernière partie, où les développements théologiques du « saint homme » sont allégés et simplifiés, de manière à être rendus accessibles à des non clercs. Il nomme cependant Orphée (Alpheiis), Platon, Homère, et Cicéron (Tulles), les principaux dieux latins, quelques personnages des romans antiques, et bien sûr des prophètes bibliques, des auteurs chrétiens. La connaissance de ces noms était suffisamment répandue pour qu’on ne puisse y percevoir de pédantisme excessif. C’est sans doute cette attitude qui a conduit Herbert à supprimer, à côté du nom de saint Augustin, celui d’Isidore de Séville alors que Jean les invoque solidairement comme garants de certaines « miracles » survenus dans le monde païen :
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58Il n’est certainement pas indifférent que le dernier auctor invoqué, juste avant l’explicit et l’amen final, soit saint Augustin, dans ce texte monastique et clérical, cistercien, inspiré par l’esprit de propagation de la foi chrétienne.
CONCLUSIONS
59La clergie s’acquiert, on le sait, par degrés : trivium, puis quadrivium, bien sûr. La plus prestigieuse de ces disciplines, c’est l’astronomie, qui a la faveur de Lucimien (c’est par la divination astronomique qu’il évente le complot des clercs envieux, c’est par elle qu’il est informé de la mort de sa mère, par elle aussi qu’il devine et déjoue les manœuvres de la reine34). Lorsque les sept disciplines sont parfaitement dominées par le clerc, il est digne d’étudier la philosophie, à savoir la théologie35 mais aussi les sciences de la nature, et la physiologie36, et ainsi, initié aux choses de Dieu, de la Nature et de l’homme, il devient philosophe, clerc de philosophie. C’est le terme philosophus, jamais celui de clericus, qui revient sans cesse sous la plume de Jean, là où Herbert traduit tantôt par clerc tantôt par philosophe. Et lorsque le récit le conduit à présenter des « clercs imparfaits », Jean évite de les nommer et se contente de les désigner par des périphrases37. Le philosophe est un clerc d’élite, même s’il reste faillible. À ce niveau d’érudition il a accès aux secrets de Dieu et de la nature, ce qui lui confère des pouvoirs de divination, voire de magie, que nous appellerions des pouvoirs surnaturels, par opposition à naturels : mais au moyen âge ils ne sont pas perçus en opposition mais dans une continuité graduelle. ...
60Le clerc n’est pas infaillible ; il y a donc de mauvais clercs : ainsi les clercs anciens sont ils dignes d’éloges (au début du roman d’Herbert, ou dans la préface de Jean), mais certains
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61Ce que reprochent Jean et Herbert à ces « autres clercs », c’est d’avoir exagéré, qui dans la louange, qui dans le blâme, bref de n’avoir pas observé la juste mesure que recommandait le poète Horace.
62Il y a aussi des clercs envieux, comme ceux qui essaient d’empoisonner Lucimien, des clercs cupides, du moins selon Dolopathos, qui, lorsqu’il soupçonne les messagers d’être responsables du mutisme de Lucimien et d’avoir trahi pour de l’argent, maudit l’attrait de l’argent en précisant que tout le monde y cède : évêques, moines et abbés38. Ces critiques s’inscrivent sans doute dans une tradition cistercienne déjà conventionnelle.
63Mais s’il le veut, le clerc, lorsqu’il a atteint les plus hauts degrés du cursus de la clergie, est bien armé contre les vices. On sait que les philosophes doivent, entre autres tentations, repousser les femmes. Lucinius résiste héroïquement lorsqu’il est exposé aux entreprises impudiques de séduction de la reine ;
ille pretenso continencie clypeo iacula machinasque eius fortiter repellit.39
64La clergie est en effet — ou devrait être — un écu et un haubert40 contre les tentations ; la métaphore « militaire » n’est pas innocente dans société où la chevalerie et la clergie sont souvent en concurrence, voire en conflit. On a vu aussi que pour la jeune femme du conte Creditor la clergie se substitue à la force, c’est donc une sorte de palliatif et de remède aux carences (infirmitates) naturelles.
65Les rois, selon Platon, devraient être philosophes. C’est ce qui se produit lorsque Lucimien succède à son père. Et son royaume connaît un nouvel âge d’or. Mais lorsque le baptême fait de lui un roi chrétien, Lucinius-Lucimien cède son trône et se voue à Dieu. Le moine Frater Johannes ne pouvait sans doute pas choisir d’autre dénouement, mais on peut s’interroger sur l’attitude ambiguë d’Herbert. N’avait-il pas dans sa dédicace comparé Louis VIII à Alexandre le Grand, en précisant que le premier avait un avantage sur le second, puisqu’il était chrétien ? Si le roman devait convaincre le roi, ne dirait-on pas qu’il le pousserait à l’abdication ? ou alors à la Croisade ? On pourrait se poser cette question : comment peut-on être philosophe, roi et chrétien ?
66Car la sainteté chrétienne est au dessus de tout : Virgile, parangon de la clergie, eût sans doute été un saint, s’il avait été chrétien :
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67J’arrive au terme de ce parcours alors que je n’ai pas épuisé la matière, tant s’en faut. Rien de révolutionnaire dans les constats que j’ai dressés, dans les réflexions que j’ai cru bon de développer. Je pense cependant qu’il est peu de textes qui aient, dans le genre narratif d’agrément, dans la langue et dans le style des romans courtois, aussi systématiquement traité ces thèmes. Le Dolopathos peut être abordé comme une sorte de manuel « illustré » et plaisant de la clergie. Ce plaidoyer pro domo de dam Jehan, moine de l’abbaye de Haute-Seille, a dû faire florès dans le monde des clercs.41 Même si l’apologie de la foi demeure sa principale préoccupation, Jean avait la plume romanesque. Se sentait-il inapte à composer en langue vulgaire ? Sa condition de moine a-t-elle bridé sa vocation littéraire ? Il ne semble pas que l’évêque de Metz Bertrand ait dû juger sévèrement le travail de Jean, et je suis même porté à penser que l’enromancement d’Herbert a été une commande, dans le sillage du succès du roman latin, afin de lui assurer une plus ample diffusion42. C’est pourquoi son texte nous donne l’impression de relever à la fois de la littérature édifiante et de la littérature d’agrément. La dédicace d’Herbert à Louis VIII est parallèle à la dédicace de Jean à Bertrand de Metz. Les modifications apportées par Herbert sont négligeables et relèvent de l’esprit de propagande, ou du moins d’apologie systématique de la clergie et du clerc. Ce n’est pas le moindre mérite d’Herbert, en tout cas, que d’être parvenu à se prêter à cette opération sans cesser de distraire et de plaire au lecteur.
Notes de bas de page
1 Johannis de Alta Silva Dolopathos sive De rege et septem sapientibus : avant 1210 ; le Roman de Dolopathos d’Herbert, autour de 1223. Voy. Alfons Hilka, Historia septem sapientum. II. (Sammlung mittellateinischer Texte, 5), Heidelberg 1913, et J.-L. Leclanche, Ramania 111, 1990, p. 563-569. Les citations du texte d’Herbert sont données avec la numérotation de notre édition du ms de Montpellier, à paraître très prochainement dans la collection Senefiance, numérotation qui ne s’écarte jamais beaucoup (deux à trois dizaines de vers) de celle de l’éd. de Brunet-Montaiglon.
2 Cet ermite sera mentionné de nouveau lorsque la fillette-cygne racontera son enfance : li vielz maistres ke tant savoit (v. 9934).
3 Johannes de Alta Silva [infra JdAS], éd. Hilka, 82, 11-19, dit la même chose : « deus /.../ nutricium misit, senem uidelicet quendam quiphilosophandi gratia siluam pro urbe elegerat inque specu quodam morabatur. Hic eos repperiens ut proprios filios collegit tulitque ad antrum suum, septem annis eos lacte cuiusdam cerue nutriens ».
4 Rappelons qu’il s’agit du motif que Shakespeare a repris dans sa comédie du Marchand de Venise.
5 JdAS 63, 7-14.
6 Blancheflor aussi va à l’école, ce qui lui permet de s’entretenir en latin avec Floire.
7 Rappelons qu’il s’agit pour elle d’« enchanter » ses prétendants pour neutraliser leur virilité en les plongeant dans le sommeil.
8 Dans certaines versions de la vulgate des Sept sages, ce conte est narré par le fils du roi.
9 JdAS 88, 19-22.
10 JdAS 88, 23.
11 JdAS 88, 24-25.
12 Dans l’arrangement dû à Herbert, l’« ami » de Virgile tombe amoureux de sa conquête et veut l’épouser ; il prend conseil auprès de Virgile, qui fait tout pour l’en dissuader mais en vain (vers 11057-11076) : Quant la dame fut demoreie, Li Romains ke l’ot ameneie, Ke fenme prande ne voloit Et ke tant haiir les soloit, Fut de li si tres fort soppris Et tant fut de s’amor espris K’espouseir la vot loialmant. A moi s’en conciliait briemant, Et je dis ke ja n 7 seroie Ne ja ceu ne li loieraie : « Elle avoit laixiet son signor Ke li partait si grant honor ; Comant poroit estre don voir ? » Et dis k’i pooit bien savoir K’ai malt grant poinne se repant La fenme puis k’elle mesprant. Et dis : « Ke feme ait ai amie N’ait cure de philosophie. » I dist ke bien an ponceroit, Jai por ce ne la lesseroit Et se la garderait malt bien. Ansi l’espousait mal greit mien. On rapprochera la situation de celle qui fournit à Gautier Map le prétexte à sa dissuasio Valerii ad Rufinum philosophum ne uxorem ducat (Walter Map, De nugis curialium, éd. J. M. Rhodes, Oxford, 1914, p. 142ss).
13 On ne voit guère d’autre raison d’être à cette variété que le souci stylistique de ne pas trop stéréotyper les interventions.
14 Jean [JdAS 80, 2] dit les choses plus brièvement. Ce 7e sage, « Monge ceteros (...) precellens », est le seul des sept à parler de Lucinius comme d’un philosophus [80, 13].
15 JdAS 18,24-19-5
16 Domenico Comparetti |Virgilin nel medio evo, Livorno, 1872|, ne tenait pas en haute estime ce Virgile « de la légende populaire », tant était grande son admiration pour le Virgile de Dante.
17 Je ne saisis pas la portée exacte de cette locution. La conduite de Virgile consiste à composer une mixture d’épices précieuses, et à faire circuler la coupe.
18 JdAS 87,31-88, 15 ; Herbert 10275-10318.
19 JdAS 13, 23-25.
20 JdAS 18, 2-9.
21 2209-10 : Par amor le wel demandeir. — Cui ! bialz maistre, mais cnnmandeir ! et 2220-22 : Autre chose te wel requerre. — Biaus doulz maistre, dont commandeiz, Ne me proieiz ne demandeiz !
22 JdAS 91, 17 : Quis |hodie| pauperum monachorum dumtaxat, ne dicam secularium, filii /= Lucinii/ obedientiam et patientiam exequatur ? Cette plainte qui semble relever d’une rhétorique de convention, disparaît du texte d’Herbert, ainsi que les autres allusions au délabrement des mœurs ecclésiastiques ou monastiques : il peut être de bon ton de médire en latin des prêtres et des moines, mais mieux vaut sans doute que cela « ne sorte pas trop de la famille ». Cette attitude d’Herbert semble conforter l’hypothèse d’une traduction commanditée à des fins de « propagande ».
23 Comme il l’avait déjà fait par deux fois, Lucimien, ne pouvant parler lorsqu’il est accusé, aurait pu écrire. Apparemment les auteurs n’ont pas jugé utile de chercher à pallier ce défaut de cohérence du récit, hérité de la vulgate des Sept sages. La passivité de Lucimien est donc perçue comme une sorte d’exaltation de la vertu de soumission et si l’on veut comme une forme de zèle du jeune philosophe dans l’épreuve.
24 Il aime Lucimien et attend de lui en retour un amour égal. La paternité intellectuelle et spirituelle est supérieure à celle de la chair (JdAS, 20, 21-26) : son père charnel lui a donné le jour, Virgile lui a offert la lumière des choses divines.
25 JdAS, 19, 15-1 : quamquam (...) adversa et prospera equa lance ponderare doctus esset, non omnino tamen dissimulare potuit quin conceptum dolorem singultibus uerba et spiritum intercludentibus et prorumpentibus lacrimis uellet nollet manifestaret.
26 Je note que Lucimien apprend le latin et le grec. La connaissance du grec a fait à la fin du xiie siècle de notables progrès.
27 JdAS 21, 7-8, exhibeas te in rege philosophum et in philosopho rege.
28 JdAS 91, 22-25, Herbert, 11466-11483 :
Je ne cui c’onques rois paiens
a plus grant pais terre tenist
Por nul plait ki an avenist
ne voloit soffrir deraison.11468
A mervelle fut saiges hons,
loialz et de molt granl savoir,
et fut riches de grant avoir
moll plus ke ces peires ne fut,11472
ce fut de molt plus grant vertut.
Dire vos puis seüremant,
bien se maintint et saigemant 11476
com cil ki asseiz ot apris.
De grant los fut et de granl pris,
boins clerz fut et bien lou sambloit.
Toute riens devant lui trambloit,
car conme rois tenoit sa terre 11480
si ke nuns ne li faisoit guere.
Muedres rois paienz ne fut onkes.
29 JdAS 1, 2-3
30 JdAS 3, 34.
31 Le ton de ce réquisitoire contre un roi de Sicile est très cicéronien (les Verrines).
32 JdAS, 9, 7-9.
33 Lorsque Lucinius apprend par les astres la mort de sa mère, il s’effondre et semble mort. « Le bon physicien », comme dit Herbert, se trouve là, qui le soigne (JdAS 18, 24-19-5). On a alors droit à un développement assez important sur le mouvement du cœur qui nous rappelle les préoccupations d’Alfred l’Anglais à la même époque.
34 JdAS 37, 10. « omnia precognoscens », Herbert 4031 : « il seit tout par estronomie ».
35 Il ne peut en être question lorsque Lucimien suit l’enseignement païen de Virgile. Les deux auteurs laissent dans le flou la question de savoir ce qui se substitue à cette discipline ; probablement, tout simplement, l’étude des philosophes antiques. Mais l’astronomie, reine des disciplines classiques, a déjà permis à Lucimien de pénétrer des secrets de « la divinité ».
36 Voy. Brunetto Latini, li livres dou Tresor, éd. Francis J. Carmody, Berkeley et Los Angeles, 1948, 4.
37 JdAS 3, 5-6 : alii philosophantes, quos melius dicam delirantes. L’ami de Virgile conserve le titre de philosophe, sans doute parce qu’il a été vaincu non par le Diable mais par la femme, « qui a un art plus d’un Diable ».
38 Cette précision est seulement chez Herbert (vers 3501).
39 JdAS 36, 21-22
40 Ce sont les termes qu’emploie le traducteur :
Il conoist bien et seit de voir
kefeme seit plus art ke nulz,
mais ne veut pais estre conclus, 3812
ains se garde molt saigemant
et maint an son propozemant ;
ke por la graice et par l’onor
del roi son peire, son signor, 3816
et por esproveir et savoir
c’il puet tant de vertuit avoir,
toute lor volenteit ferait,
ne jai por ceu ne parlerait, 3820
fors tant k'il ne sofferrait mie
lou jeu ke tort a vilonnie.
Molt serait liés an son coraige
se il, ke jones est d'aaige, 3824
puet refrainde sa volenteit,
dont main valant sont asoteiz.
Bien seit, c'il est de ceu vancus,
ke percierz serait ces escus, 3828
ces haberz ros et demailiez
et se dont tant est travilliez
avrait puis molt poc de duree ;
41 Hilka en connaît six manuscrits : à Londres, Luxembourg, InnsbrUck, Prague (2 mss) et Vienne.
42 J’envisage l’objection : nous ne sommes pas submergés de manuscrits du Dolopathos d’Herbert (deux mss complets, un ms amputé du dernier tiers, un fragment, et un ms perdu qu’avait lu Fauchet : ce n’est certes pas le Roman de la Rose, mais ce n’est déjà pas si mal. Plus sérieuse me semblerait une autre objection : nulle part on n’a signalé, à ma connaissance, la moindre allusion au Dolopathos dans d’autres textes du moyen âge... Je pense donc que si le poème d’Herbert est à nos yeux une jolie réussite, la manœuvre de « propagande » — si elle a existé — à dû partiellement échouer, dans ce sens que le public visé, celui des romans courtois, n’a pu que bouder une œuvre aussi agressivement hostile aux femmes.
Auteur
Université de Limoges
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