“Car tu es Cavalliers e clers” (Flamenca, v. 1899) : Guilhem, ou le chevalier parfait
p. 197-214
Texte intégral
1Dans l’extraordinaire concert intertextuel que représente la littérature occitane du Moyen Age, on sera à peine surpris que le débat sur la valeur respective du chevalier et du clerc auquel l’auteur anonyme du Roman de Flamenca a voulu apporter une conclusion synthétique au xiiie siècle soit déjà posé - et avec la franche vigueur propre à ce seigneur - par Guilhem d’Aquitania dans un vers à bien des égards fondateurs.
2En effet, dans cette chanson célèbre où le comte-duc raconte comment en contrefaisant le muet il a obtenu de bénéficier à de très multiples reprises des faveurs de deux dames qui allaient cherchant un plaisir discret, l’anecdote érotique est précédée de deux strophes, quelque peu fatrasiques dans leur début, que voici1 :
3“Je composerai un vers, puisque j’ai sommeil, que je chemine et que je m’abrite au soleil : il y a des dames qui ont de mauvaises intentions, et je sais dire lesquelles : celles qui méprisent l’amour d’un chevalier.
4Une dame qui aime un chevalier loyal ne commet pas un péché mortel; mais elle a tort si elle aime un moine ou un clerc. En toute justice on devrait la brûler avec un tison”.
5A la suite de cet avertissement vient l’anecdote et la rencontre entre les deux dames et l’impénitent séducteur dont nous ne saurons rien, sinon que la dame qui s’adresse à lui l’appelle don peleri, “Monsieur le pèlerin2”. Or, même si les deux premiers vers du texte revendiquent son caractère fantaisiste, il me paraît impossible de supposer que cette absence de logique doive être poussée jusqu’à nier tout rapport entre l’introduction et l’histoire qui suit, où précisément il va s’agir de sexe, à défaut d’amour. Le rapport entre l’introduction et la suite du vers ne s’éclaire alors que si l’on pense que les dames en question ont été les dupes de Guilhem par le fait qu’elles recherchaient le condamnable amour de monge o clergau, désirant ainsi frustrer le chevaler qui a su rétablir la situation à son avantage dans ce vers qui ressemble très fort à un fabliau. On pourrait donc jouer à réduire le vers de Guilhem IX à ce schéma : a) l’introduction condamne les dames qui préfèrent l’amour du clerc à celui du chevalier.
6b) l’anecdote n’est autre chose qu’un exemplar illustratif : mis en présence de deux dames qui préfèrent le méprisable amour de clerc, car elles ne recherchent que le plaisir furtif, un chevalier retourne la situation en se faisant passer pour clerc, avant de reprendre sa condition véritable parmi ses pairs à qui il rapporte ses “exploits”.
7Une bonne part de mon abusif résumé : un chevalier qui obtient l’amour d’une dame en se faisant passer pour clerc, résumerait, non moins abusivement, le Roman de Flamenca. La différence, et Dieu sait qu’elle n’est pas mince, c’est que, dans le roman, il n’est plus question de misogynie de fabliau, qu’il s’agit désormais d’amour et non de sexe et que le chevalier est véritablement un clerc. Roger Dragonetti3 a déjà trop longuement parlé du rapport entre Guillaume et la guille, la tromperie pour qu’on soit vraiment surpris d’apprendre que le héros de Flamenca s’appelle lui aussi Guilhem.
8Dans le roman, la place a été préparée bien à l’avance pour notre héros, puisque le cinquième de la nova s’est déjà écoulé quand Guilhem intervient pour la première fois En fait, il peut désormais apparaître parce qu’une question a déjà été réglée, question pourtant lancinante pendant les xiie et xiiie siècles, celle de l’amour dans le mariage. L’auteur anonyme de Flamenca est un tenant de la tradition troubadouresque : amour et mariage sont des antonymes. La preuve ? Quand Archambaut a épousé Flamenca, il en était éperdument amoureux : il avait pour elle un désir qui lui rendait tout délai insupportable : chevalier brillant, amoureux plein d’expérience, époux plein de prévenances pour la nouvelle mariée, il lui a offert une nuit de noces dont nous dirons, pour nous en tenir à la litote du texte, que la jeune épousée “ne s’en plaignit ni ne protesta”.4
9Toutes les conditions étaient donc réunies pour que l’amour ait sa part dans ce mariage; ce serait oublier que le mariage fait de l’épouse la propriété de son mari et annule donc par essence le libre choix, une des données fondamentales de l’amour. A la première menace, Archambaut tombera dans le piège de la jalousie et, de peur de perdre sa femme, il préférera littéralement l’ôter du monde des hommes, la “supprimer” symboliquement en l’enfermant dans la tour d’où elle ne sort que pour se rendre à l’église : on ne soustrait pas une vivante à Dieu. Mais l’église, lieu de Dieu, est aussi, et Archambaut ne l’apprendra pas à ses dépens (car il n’en saura jamais rien), le lieu des clercs. De fait, ce n’est qu’une fois que l’amour, devenu matrimonial, a fait la preuve qu’il ne pouvait rester passion qu’à la condition de se transformer en une jalousie dégradante, déshumanisante, qui ne saurait conduire qu’à une inversion du code courtois, que peut se poser la question de l’amour du clerc ou du chevalier, qui, dans un cas comme dans l’autre, sera bien évidemment adultère. Rien d’étonnant donc que Guilhem, dans sa première apparition, soit mis en parallèle avec le mari : “Au moment où Archambaut faisait étalage de jalousie, de dureté et de grossièreté, il y avait en Bourgogne un chevalier que Nature avait mis sa peine à façonner et à instruire, avec un complet succès”5.
10On l’aura noté, le premier mot qui désigne Guilhem est cavallier. Le terme “clerc” n’apparaîtra que plus tard. On remarquera de même que, dans le long portrait qui lui est consacré et qui s’étale sur deux cents vers, la partie qui concerne la clergie au sens large, c’est-à-dire ce que nous appelons la culture, n’en occupe guère que cinq : “Il étudia si bien les sept arts à Paris que, s’il l’avait voulu, il aurait bien pu tenir partout une école. Quand cela lui plaisait, il savait lire et chanter mieux qu’un autre clerc.”6 Dès le vers suivant, alors que le lecteur croit qu’on va s’étendre sur les qualités de son précepteur qui lui a donné une si vaste culture, on se rend compte que son maître est surtout un maître d’armes : “Son maître s’appelait Dominique, et il lui avait si bien enseigné l’escrime...”7. Quel que soit le propos de l’auteur et son désir de présenter en Guilhem un parangon de culture, à le voir décrire longuement la beauté de son héros, ses capacités physiques, sa richesse, sa générosité, son goût pour la vie de cour, pour les tournois, pour les jongleurs, on se dit que le romancier a meilleur jeu à décrire un chevalier qu’à célébrer les vertus et l’intelligence d’un clerc. En réalité, ce que j’ai dit sur la culture de Guilhem ne concernait que la culture “classique” : entre un paragraphe consacré à son goût pour les plaisirs de cour et un autre qui souligne sa largesse, parmi des qualités bien propres à un chevalier, on rencontre, et cela à un moment crucial puisque c’est celui où se dévoile le nom du héros : “Il se faisait appeler Guilhem et son surnom était “de Nevers”; il savait plus de chansons, de lais, de descorts, de vers, de sirventés et d’autres poésies qu’aucun jongleur : même Daniel, qui en savait quantité, n’aurait pas pu rivaliser avec lui”.8 Ainsi les cinq vers sur la culture “classique” de Guilhem se doublent de cinq autres vers garantissant, eux, une culture moderne dont, à voir les origines sociales des troubadours, il me paraît difficile de dire, sans plus, qu’elle est cléricale.
11En un mot, on ne saurait dire que la présentation du héros mette particulièrement l’accent sur sa clergie; par exemple, nulle trace d’une tonsure à ce moment du texte alors même qu’on nous décrit très traditionnellement sa chevelure : “Il avait les cheveux blonds, frisés et bouclés”9.
12Or, dès qu’il va être question de l’amour, présenté ici comme le dernier trait d’une éducation parfaite, nous allons entrer dans un système qui rappelle bien plus l’apprentissage du clerc que celui du chevalier : “Il ne s’était pas encore occupé de connaître la réalité de l’amour; en théorie, il savait bien ce qu’était l’amour pour avoir lu tous les auteurs qui en parlent et imaginent comment se comportent les amants. Comme il se rendait bien compte que, selon les règles de Jeunesse, il ne pouvait longtemps s’abstenir de s’occuper d’amour, il imagina d’engager son coeur dans un amour qui lui serait profitable et qui ne prêterait pas le flanc à la critique. Voilà ce dont il se préoccupa”10. Cette connaissance théorique de l’amour, fondée sur l’étude de livres, ne ressemble pas à un apprentissage, mais à une propédeutique. D’ailleurs, pour la déesse Amour qui va favoriser notre héros d’une apparition, son double statut ne fait aucun doute. On est même assez surpris de la voir lui attribuer des “qualités” qui ne figuraient pas dans le portrait précédent : “Tu es très fin, le plus ingénieux des hommes; tu t’y connais en augures et en sorts, mais tu ne connais pas encore le magnifique plaisir que je t’ai réservé dans une tour où on le tient enfermé pour toi. Un jaloux insensé dissimule sous clé la plus belle dame du monde et la mieux faite pour l’amour; c’est toi seul qui dois la délivrer, car tu es chevalier et clerc...”11. Admettons que les augurs et les sortz fassent partie de la culture cléricale des sept arts, il n’en reste pas moins qu’Amour ne cite que deux qualités de Guilhem : il est artos, “fin, rusé” et ginos, “adroit, ingénieux; fin : rusé : faux, trompeur”12. Si les qualités citées dans le portrait caractérisaient le chevalier, il faut que celles-ci soient l’apanage du clerc.
13Toutefois, comme je l’ai dit, Guilhem n’est pas, comme son illustre homonyme du xie siècle un chevalier qui prend l’apparence d’un clerc : il est aussi un clerc et donc, à côté de l’homme de ruse, il est un homme de culture, et cette culture est d’abord ecclésiastique, ce qui va lui permettre de se fondre dans l’ombre complice de l’église où son excellence n’en fera jamais aux yeux du public qu’un clerc particulièrement doué; or, il s’agit d’un public qui comprend tout de même, outre le mari jaloux, l’hôte, Peire Guyon, le chapelain, don Justin et, un certain temps, l’enfant de choeur Nicolas, qui ont tous des motifs de l’observer. Même si la générosité de Guilhem fermera les yeux des trois derniers encore plus sûrement que sa ruse, il est fort nécessaire qu’il possède pleinement les connaissances qui distinguent le clerc, mais le texte nous rassure : “car il connaissait son rôle”13, “Guilhem connaissait très bien son rôle, il connaissait par coeur l’office, l’offrande et la communion”14 et Guilhem lui-même nous en a assurés : “Dieu merci, je sais ma messe”15.
14Au demeurant, il a su faire montre de cette culture dès avant d’avoir pris la place de l’enfant de choeur. Quand son hôte, qui a lui-même plus de savoir que la moyenne, devine ses connaissances, Guilhem reconnaît : “je sais lire mon psautier, chanter sur le livre des répons et dire les leçons sur le lectionnaire.”16. Savoir chanter semble en effet être un trait important de cette culture : “Le prêtre sortit du choeur...et tout le chant resta à la charge de Guilhem et de son hôte qui l’aidait”17, “il entonne le “signum salutis”. Sa façon de chanter plut beaucoup à tous, car il avait une voix claire, chantait bien et avec plaisir”18. Au demeurant, ce chant n’a pas pour seul effet d’intégrer Guilhem au monde des clercs : comme le précise tout de suite l’Anonyme : “Si l’on avait su qu’il était chevalier, on aurait encore plus apprécié son chant”19 et d’ailleurs, fine mouche, la suivante Margarida a bien remarqué que ce clerc nouveau, entre autres supériorités, “lit et chante mieux”20. Naturellement, Guilhem ne se contente pas de savoir chanter, il le fait à propos : “Le prêtre dit : “Asperges me” et Guilhem reprit au “Domine” en disant le verset en entier. Je ne crois pas qu’on l’avait jamais si bien dit dans cette église”21.
15Au demeurant, ne nous avait-on pas dit qu’il aurait pu tenir école ? Il va en effet l’improviser - assez curieusement en pleine messe : lorsque Nicolas vient de faire baiser le psautier par Flamenca, Guilhem est prêt à tout pour s’emparer de ce livre qui lui est désormais sacré d’un très profane point de vue. Pour se livrer à son aise à une adoration qui risque bien de nous paraître très fétichiste, “Il lui dit à voix basse : “Mon ami, est-ce qu’il y a dans ce livre un comput et un calendrier ? L’envie m’a pris de savoir à quel moment de juin tombe la Pentecôte.
- Oui, seigneur”, lui répondit-il en lui donnant le livre. Guilhem n’a pas la moindre envie qu’on lui fasse un exposé sur les lunaisons ou l’épacte : il tourne les pages une après l’autre et il voudrait les baiser une à une s’il pouvait le faire en cachette, sans que le voie son hôte assis auprès de lui. Mais il a trouvé un beau stratagème et se dit : “Il serait bon que j’enseigne afin d’être renseigné”, ajoutant : “Clerc, à quel endroit du livre donnez vous la paix ? Autant que possible, vous devez la donner avec le psautier.
- Oui, seigneur, et c’est bien comme cela que je viens de la donner” et il lui montra la page et l’endroit”22.
16Décidément l’éducation du jeune Nicolas tient beaucoup à coeur à Guilhem - il finira d’ailleurs, pour prendre sa place, par l’expédier à Paris où il a lui-même été éduqué, car il n’est bon clerc que de Paris, mais avant cela, et toujours dans le même but, Nicolas recevra une seconde leçon où Guilhem semble bien assumer avec quelque plaisir la pédanterie traditionnelle du clerc: ““Ami, je vais vous montrer l’endroit où il vous faudra donner la paix quand je serai parti, car vous devez progresser grâce à moi; vous devez à chaque fois la donner à “Fiat pax in virtule”; et je ne veux pas que vous ayez fait un pas avant que je ne vous en aie expliqué la raison : une fois qu’il eut achevé les Psaumes, David dit à Salomon de baiser ce mot chaque jour et, pendant tout le règne de Salomon, son royaume connut une paix profonde
- Je vous en croirai, seigneur, répondit Nicolas, et je la donnerai toujours en cet endroit.
- Quoi que vous fassiez, rendez-moi le livre, ami, dit Guilhem; il s’y trouve une quantité de prières que je voudrais apprendre, avec votre permission”23.
17Par ces interventions dont le but premier n’est pas pédagogique, Guilhem montre une connaissance profonde des choses de l’Eglise, sans doute celle même qu’en possédait l’auteur anonyme, et elle va fort loin : pour nous expliquer que l’évangile a paru bien court à Guilhem, très occupé à contempler Flamenca, l’auteur nous dit : “Mais il lui a paru si court qu’il lui a semblé que c’était celui de la nouvelle année”24 ; on conviendra qu’il faut au moins une bonne mémoire pour savoir quel passage de l’Evangile on doit lire chaque dimanche.
18Ce type de culture serait tout à fait suffisant pour les nécessités de l’action romanesque; il semble qu’elle ne le soit pas pour esquisser l’idéal de clerc-chevalier qu’Amour nous avait annoncé. Il existe donc un Guilhem métaphysicien dont le lecteur fera la connaissance pendant les longues nuits de veille qu’Amour lui inflige. De fait, le parallélisme entre les deux héros n’est pas parfait : dans la tour, Flamenca s’éprend de Guilhem grâce aux discussions sur l’amour et sur le héros qu’elle entretient avec ses deux suivantes; dans la chambre, Guilhem à qui le fantôme de Flamenca a imposé la discrétion la plus absolue, le celar de la fin’amor, n’a pour tromper son ennui, que l’artifice de longues dissertations sur l’amour. Flamenca ne sait pas à quel point Guilhem est concerné par ses propos quand elle dit : “loin d’être un bien pour l’homme, sans la culture, le loisir n’a aucune valeur et a une sorte de goût de mort”25.
19J’en prendrai pour seul exemple la première nuit de Guilhem à Bourbon. Après quelques plaintes contre l’amour, notre rhétoricien pose sa thèse : “L’amant doit avoir un coeur de fer; je vais prouver par le nom que tout amant de coeur sincère doit être plus résistant que le diamant”26. La démonstration, qui repose explicitement sur l’Ars Grammatica de Donat est fondée sur le mot amans et sur adimans, considéré comme composé du premier. L’idée est que l’amour est un corps simple et donc plus stable qu’un corps composé (la preuve en étant qu’un coeur ne peut recevoir qu’un seul amour) : “Je l’appelle corps simple ou pur parce qu’il ne comporte aucun mélange. Et Yadimans, pour dur qu’il soit, n’est pas aussi simple ou aussi pur, car si d’adiman vous ôtez di, vous aurez aman; et en latin, le nominatif est adamas qui se compose de ad et d’amas, mais le vulgaire a tellement réduit cet a qu’il en a fait un”27. Outre une attaque en règle contre les faux amants, la conclusion la plus nette de notre belle démonstration sera : “Je vais me lever, car il fait bien jour et je ne prends aucun plaisir à rester couché”.
20On notera encore que Guilhem n’ignore pas la littérature profane de l’antiquité et on le verra faire ainsi allusion à Tantalus28, à la sirène qui attire à elle29 et à Enée qui tua Didon sans la frapper30, mais il peut s’agir ici de littérature d’oïl puisque Flamenca (qui connaît Ovide !31) lit, elle, lo romanz de Blancaftor (4477).
21Ainsi donc, par ses fonctions, le clerc doit connaître à fond une culture ecclésiastique, et on n’hésitera pas à recourir aux grands moyens pour la lui faire acquérir, puisque, nous dit-on à propos de notre héros : “Il ne fut pas nécessaire de lui donner des coups sur le dos ni de lui enfoncer les ongles dans les mains, car il en savait plus que le chapelain”32. II en est pourtant une autre qui ne semble pas si rebutante, la poésie lyrique, et nous avons déjà vu que Guilhem la possédait7. Il en donnera une éclatante preuve en envoyant vers la fin de l’oeuvre des salutz que les trois femmes “apprennent et récitent en se gardant bien de les faire connaître”33.
22Toutefois, la caractéristique essentielle de cette culture vernaculaire me paraît son caractère ouvert. Il arrive bien que les trois femmes imitent la culture ecclésiastique : pour voir si Guilhem a bien pu entendre les mots de Flamenca, Alis fait mine de lui donner la paix avec le Roman de Blanche-fleur: Flamenca “eut du mal à retenir son rire en voyant qu’Alis était sur le point de rire en imitant “Guilhem34. Il n’y aura en revanche rien qui fasse rire le trio féminin quand il entrera en composition poétique pour entrebescar les mots dont on a bien montré qu’ils étaient à la fois paroles d’amour et paroles de poésie. Comme une chanson de troubadour, le texte composé est prélude à l’amour; à la différence d’une cançon, il est composé par une multiplicité d’auteurs et on a pu montrer que ces auteurs avaient pleinement conscience d’être en train de composer un texte poétique. Quand Alis conseille à Flamenca de répondre au “A lias ! “de Guilhem par la question “Que plans ?”, la réponse porte sur la conveniencia poétique beaucoup plus que sur les convenances morales : “Ailas ! - Que plans ? Certes, cela va bien ensemble; bénie soit celle qui a choisi ce mot ! Ailas ! - Que plans ? Cela va parfaitement ensemble”35. Plus explicitement encore, lorsque Margarida aura proposé le mot qui s’accorde (s’aven) aux autres pour former le premier octosyllabe du texte/amour ; Ailas ! - Que plans ? - Muer mi - De que ?, Flamenca lui dira : “tu es désormais une bonne troubairitz - Oui, Madame, on n’en a jamais vu de meilleure, en dehors d’Alis et de vous”36. Le texte lyrique sur l’amour ne fait donc pas de la femme une simple spectatrice, il lui permet de participer activement à la culture en créant. C’est que, si Guilhem est un maître des deux cultures, les femmes auxquelles il a affaire sont loin d’être sottes et elles n’ont pas eu besoin d’une longue éducation pour savoir bien des choses, comme le dit Flamenca à Margarida : “Qui t’a instruite, Margarida, qui t’a appris tant de dialectique ? Si tu avais étudié l’arithmétique, l’astronomie, la musique, tu ne posséderais pas mieux la physique des maux que j’ai longtemps soufferts”37.
23Qu’on ne s’y trompe pas, cela ne veut absolument pas dire que l’instruction soit inutile, bien au contraire, Flamenca devient même un vibrant hommage à la culture : ““Nous venons de passer cinq semaines pendant lesquelles il n’y a pas eu d’autres fêtes que les dimanches, mais le clerc les relève et désormais les dimanches sont excellents grâce à Dieu et au beau clerc Béni soit qui l’a éduqué et, le premier, lui a enseigné les lettres; je vois bien que, sans culture, personne ne vaut ni pain ni sel et tout puissant seigneur perd l’essentiel de son prix s’il n’a pas un peu de culture; une dame est bien mieux pourvue si elle est parée d’un peu de culture. Par la foi que vous me devez, si vous n’aviez pas su ce que vous savez, dites-moi ce que vous auriez fait pendant les deux années qu’a duré cette misère : vous seriez morte sur votre croix !”” Flamenca ne put s’empêcher de l’embrasser en lui répondant : “Mon amie, vous n’êtes pas une sotte, et je suis bien d’accord avec vous là-dessus : loin d’être bon pour l’homme, sans la culture, le loisir n’a aucune valeur et a une sorte de goût de mort; vous aurez beau chercher, vous ne trouverez pas un homme, pour peu qu’il soit cultivé, qui ne regrette pas de ne pas en avoir appris encore davantage; et l’homme sans culture voudrait bien pouvoir en acquérir s’il était possible. Et si l’on pouvait acheter la science, pour avare que fût un homme, il en achèterait au moins un peu pour peu qu’il en trouvât à vendre. Jamais un homme sans culture ne se serait lancé dans une telle entreprise””38.
24Il ne faudrait pas croire que l’Anonyme tente de nous fournir une image entièrement positive du clerc : n’oublions pas notre point de départ; si Guilhem doit se souvenir qu’il est clerc, c’est d’abord parce que, sans cela, il lui serait impossible de parvenir jusqu’à Flamenca. Comme pour Guilhem d’Aquitaine, pour que le chevalier puisse faire triompher à plein son mérite, il lui faut passer par la ruse et présenter des visages qui sont parfois peu brillants.
25Il est intéressant de voir comment Guilhem se perçoit lui-même et se fait percevoir par les autres : assez curieusement, quand il arrive à Bourbon, sa première adresse à la déesse Amour commence par ces mots : “Amour, ma dame, que va-t-il se passer ? Qu’allez-vous faire du chevalier que je suis ?”39, avant d’employer un peu plus loin une formule qui fait croire qu’il se définit comme clerc : “Mais les laïques disent un proverbe que je viens d’expérimenter sur moi-même”40.
26Il est plus délicat de voir comment les autres perçoivent Guilhem; il arrive visiblement en équipage de chevalier à Bourbon, mais d’emblée son hôte devine sa culture : “Nous avons ici un superbe autel et de très glorieuses reliques; vous vous en êtes bien rendu compte, car vous êtes très cultivé”41. Bien loin de le nier, Guilhem dispose ses filets : la maladie qui l’a conduit à Bourbon met en péril sa vie et le pousse à remettre en cause la vie mondaine qu’il a préférée à la vie religieuse qu’il a abandonnée; pour cela, il faut que le chapelain lui fasse une nouvelle tonsure : “Je l’ai portée jadis et je sais que c’était un péché de m’y laisser autant pousser les cheveux. Je suis chanoine de Péronne et je veux revenir en arrière”42. Le sacrifice de la chevelure blonde de Guilhem tirera des larmes à toute l’assistance qu’il a fort bien disposée à son égard par la quantité et la valeur des présents dont il l’a comblée. Personne ne doute de la profondeur et de la sincérité du jeune homme qui, en véritable Tartuffe, s’adresse à Don Justin : “Je veux que vous me promettiez de me traiter comme un petit clerc. Sinon, cela ne servirait à rien, car je veux servir très humblement et Dieu et vous-même, pourvu que je puisse entendre ma messe, ne m’épargnez pas. Si vous me marquiez plus d’égards qu’à un autre serviteur, ces égards me causeraient du tort, cher seigneur, et seraient pour vous à charge. Faites-moi couper une cape ronde, grande, large et profonde, dans de la serge noire ou du drap gris, de la bure ou de l’étoffe grossière; qu’elle me couvre de la tête aux pieds. Je ne suivrai plus les vanités des cours; on n’y trouve que tromperie et billevesées; celui qui croit en tirer le plus s’aperçoit au soir qu’il a le moins”43. La haire et la discipline ne sont pas loin ! Le pauvre don Justin, dont l’Anonyme laisse sentir la bêtise et la cupidité, a des airs d’Orgon : Guilhem “était toujours attentif pour le cas où le chapelain dirait quelque chose et celui-ci a sans cesse l’impression que le Saint Esprit parle par sa bouche et que Dieu l’a illuminé, car jamais un si jeune homme n’avait manifesté tant d’humilité. Plus il voit Guilhem, plus il lui semble beau, avec son regard simple et pieux qui lui donnait tout à fait l’air d’un ange venant d’apporter le salut. Justin est au comble du ravissement : Dieu lui a donné un clerc qui l’habille, le nourrit, pourvoit à ses besoins et le sert aussi volontiers que s’il s’agissait d’un pénitent”44. Etrange atmosphère : même s’il s’agit de délivrer une jeune femme, le lecteur sent un certain malaise devant ce jeu où une jeune homme exerce sa duplicité contre des gens que la cupidité aveugle. Où est la largue sa traditionnelle du code courtois quand elle s’exerce pour fermer les yeux à des benêts ? Sommes-nous dans la fin’amor ou dans la renardie ? Rien d’étonnant à ce que l’auteur passe par-dessus la tête de ses personnages pour s’adresser aux lecteurs en citant un passage inconnu du Roman de Renart où, visiblement, le loup cherchait à tromper le mouton : “C’est ainsi que prêche Isengriri, mais si le chapelain était devin, il pourrait bien dire comme Renart : “Que Belin se garde de tous les côtés !””45.
27Même les cousins de Guilhem tombent dans le piège ; alors qu’ils souffrent de le croire malade, il ne songe jamais à les détromper et ils tombent dans le panneau du faux converti : “En allant en ville faire fabriquer la cape, les jeunes gens disent : “S’il en réchappe, monseigneur sera réellement moine; il ne demeurera jamais à la cour. Il aurait tout à fait l’air de venir de se faire moine de Chartreuse et de Cîteaux s’il en avait revêtu les habits””46.
28Il faut croire que lorsque Guilhem se montre à l’église, il ne fait pas trop chartreux ni cistercien : si lui-même craint que Flamenca ne le désigne du dépréciatif clergang (4084), chacune des suivantes dira : “Je n’ai jamais vu d’aussi beau clerc”47, puis Alis parlera "du beau clerc”48. Mais il importe bien sûr de savoir comment Flamenca voit le jeune homme, et là, surprise : quand Flamenca, toute retournée qu’on lui ait adressé le Ailas ! qu’elle trouve d’abord insultant, y pense en son for intérieur ou en parle à ses suivantes, le mot “clerc “n’apparaît pas; elle a bien vu que celui qui l’a apostrophée est bels e gras (4134), qu’il a changé de couleur et soupiré (4151-52), mais le seul mot qui le définit est le bien vague us vassalz (4183). Non moins curieux, Guilhem a bien été observé par les suivantes qui ont bien vu qu’” il a tout à fait l’air d’un gentilhomme”49, mais là non plus, le mot “clerc” n’apparaît pas, même si toutes ses fonctions sont citées. Tout se passe comme si le déguisement de Guilhem n’abusait que ceux qu’il veut abuser et que l’épaisse et rude cape ne dépiste pas un seul instant le trio de la tour. Ont-elles remarqué avec l’Anonyme que “la cape qu’il s’était fait faire semblait au premier coup d’oeil un peu courte, car il voulait toujours mettre les poings sur les hanches à son habitude”50 ? Leur long loisir forcé en fait de remarquables observatrices...
29Toujours est-il que jamais Flamenca ne prononcera le mot de “clerc” ; d’ailleurs, lors de la première rencontre où les amants se donneront des gages de leur amour sans aller jusqu’à la consommation, l’Anonyme fait la dernière référence du roman à la clergie de Guilhem en nous disant : “Guilhem ne fit pas trop le clerc : il ne demanda rien de plus que ce que lui offrait sa dame qui ne se montra pas réticente à lui faire plaisir”51. Evidemment, faute de savoir quel était le sens du verbe clerguejar, on ne peut le traduire qu’en fonction du contexte52 ; serait-ce trop s’avancer que de supposer que, si le “pèlerin “du premier Guilhem avait fait le clerc jusqu’au bout, celui-ci n’a fait le clerc qu’avec ceux qu’il devait tromper ?
30Au demeurant, il me paraît normal que la notion de clerc ne figure pas dans le monde de Flamenca : dès que Guilhem a réussi à jeter le pont qui lui permettra de rencontrer sa dame, il jette aux orties le déguisement d’enfant de choeur, faisant dire à don Justin (qu’il continuera de nourrir...) “qu’il lui faut désormais chercher un autre enfant de choeur pour le remplacer”53 et il n’en sera plus question. La clergie Guilhem est bel et bien terminée.
31En fait, il est une autre interprétation du personnage de Guilhem qui dépasse la simple renardie d’un pré-Tartuffe. Nous l’avons dit : au moment où Guilhem entre en scène, il est un jeune homme parfait; jeune, il le restera d’un bout à l’autre du roman puisque, lorsqu’Archambaut parle à Flamenca de celui qu’elle connaît mieux que lui, il lui en dit qu’” il est si jeune qu’il n’a pas terminé sa croissance”54, mais, comme d’ailleurs il le sent bien lui-même, il n’atteindra la perfection véritable qu’une fois que son éducation aura été couronnée par l’expérience amoureuse9.
32L’hypothèse que l’on peut avancer ici est que, pour obtenir le plus, Guilhem devra passer par le moins : ici la clergie représentera l’antithèse de la chevalerie, de même que ce héros solaire ne parviendra à la plénitude éclatante de l’amour qu’en passant par l’obscurité de l’église et du souterrain qui relie sa chambre aux bains où aura lieu le premier rendez-vous.
33Ordinairement, on peut dire que, chez les troubadours, l’amant ne peut obtenir la grâce de la Dame qu’à la condition, nécessaire, sinon suffisante, de s’en être rendu digne. Souvent, il le fait en portant à leur plénitude les qualités les plus brillantes de la vie courtoise. En cela, il serait chevalier. Ici, non seulement la ruse exige que Guilhem obombre son soleil, mais la soumission amoureuse qui le rendra digne de Flamenca (qui porte en son nom la flamme comme Guilhem porte la ruse) exige une véritable renonciation. L’auteur est clair sur cette attitude qui semble contraire à celle d’une cour classique : “Amour l’a fait tondre et raser, Amour l’a fait changer de vêtements. Ah, Amour, Amour, que de tours tu as ! Qui aurait pensé que Guilhem se serait fait tondre pour faire sa cour ? Quand les autres amoureux se parent, s’embellissent, s’enjolivent, s’occupent de belles parures, de chevaux et de vêtements, frère Guilhem fait le Patarin et sert Dieu pour l’amour de sa dame”55.
34J’avoue bien volontiers ignorer comment il faut comprendre le s’apataris; il est sûr en tout cas que la Dame prend plus d’une fois la place de Dieu dans notre roman. Le meilleur exemple nous en est donné par l’épisode de la tonsure: en tant que clerc, donc, Guilhem avait déjà été tonsuré par le passé pour Dieu; il va l’être cette fois pour la Dame. Il renonce très symboliquement à l’or solaire de sa chevelure avant de se camoufler sous sa cape-éteignoir. Mais le sacrifice de la chevelure qu’implique la “large tonsure” n’est pas que l’image du renoncement à la vie mondaine que notre clerc met en avant. L’auteur lui-même le dément dans un des rares passages qui renvoient à un après du roman : “Ne croyez pas que Dame Bellepile brûle les cheveux, elle les enveloppe dans une belle étoffe de soie blanche bien propre; elle en fabriquera un beau galon pour faire des attaches de manteau et en fera présent à Flamenca quand il sera fini; ces cheveux seront baisés mille fois avant d’être usés”56. La tonsure est donc en fait une offrande à Flamenca, mais Guilhem n’a rien du Pharisien en amour et il ne se vante pas de ce renoncement : au premier rendez-vous, “il avait sur la tête un chapeau de lin, brodé de soie et tout moucheté” ; l’auteur s’empresse de nous mettre en garde: “ce n’était pas pour cacher la tonsure, mais pour protéger ses cheveux de la chaux du tunnel”57. Désormais, le souci de l’élégance l’emporte sur l’affirmation du sacrifice sur lequel il serait de mauvais goût d’insister. Au demeurant, si Flamenca est bien consciente de tout ce que Guilhem a fait pour elle et le reconnaît devant ses suivantes, quand elle expose au jeune homme les raisons de son amour pour lui, on chercherait en vain cette reconnaissance : “Je vous vois si beau, si agréable, si courtois, si bien tourné que. selon la fin ‘amor et le droit, vous possédez mon coeur depuis longtemps”58.
35Seul cet abandon de la chevalerie par Guilhem pouvait lui ouvrir le chemin du coeur de Flamenca, mais pour autant, il est impossible à la Dame de se contenter de ses amours de l’ombre. La récompense de Guilhem dure quatre mois, mais désormais Flamenca, totalement changée par les décisions qu’elle a dû prendre, est la maîtresse de la situation. Elle met fin à la jalousie d’Archambaut et, en véritable dame féodale, rend à Guilhem ce dont il lui a fait hommage. Il lui a donné sa chevalerie, elle va la lui rendre, il serait même plus exact de dire qu’elle le force à la reprendre. Alors que Guilhem et ses cousins ont tout à fait l’air de se complaire dans une vie d’amours faciles, la Dame décide d’y mettre fin. Elle renvoie Guilhem à la chevalerie afin qu’il puisse revenir en chevalier, c’est-à-dire publiquement : “Je veux que vous partiez et retourniez dans votre pays, vous reviendrez ici pour le tournoi”59. En dépit de larmes et même d’un évanouissement qui montrent que Flamenca n’avait pas tort, Guilhem quitte la place et s’exécute; il va reconquérir sa chevalerie en Flandres et, nous dit l’auteur : “il y conquit le prix de la chevalerie avant d’en revenir et je ne crois pas qu’il y était allé pour autre chose”60.
Notes de bas de page
1 Guglielmo IX d’Aquitania, Poesie, Edizione critica a cura di Nicolò Pasero, S.T.E.M Mucchi, Modène 1973, 125: Farai un vers, pos mi sonelh,/e m vauc e m’estauc al solelh / donnas i a de mal conselh, / et sai dir cals : / cellas c’amor de chevaler / tornon a mals. I. Donna non fai pechat mortau / que ama chevaler leau;/ mas s’ama monge o clergau / noi a raizo;/ per dreg la deuria hom cremar / ab un tezo.
2 Comment ne pas remarquer que Guilhem, à peine commencée son aventure à Bourbon, s’écrie : Partilz soi de tota ma gent / E vengutz sai en est païs / Aisi con estrainz pellegris (2041-43), “ j’ai quitté tous les miens et je suis venu dans ce pays comme un pèlerin étranger” Je suis pour l’essentiel le texte de J.-Ch. Huchet (Flamenca. Roman occitan du xiiie siècle. Bibliothèque Médiévale, 10/18, Paris 1988).
3 Le gai Savoir dans la rhétorique courtoise. Flamenca et Joufroi de Poitiers, Seuil, Paris 1982, 2° partie : les Guillaume, 33-48.
4 Anc non s’en plais ni clam non fes (339).
5 El termini qu’Eus Archimbaus / era gelos e fers e braus, / un cavallier ac em Bergoina / en cui Natura mes sa poina/ en faisonar et e nuirir, / e saup i trop ben avenir (1561-66).
6 Lai apres tan de las VII artz / que pogra ben en totas partz / tener escolas, si-s volgues. / Legir e cantar, si-I plagues, / en gleisa saup mieilz d’autre clergue (1623-27).
7 Sos maïstre ac nom Domergue; / cel l’ensenet tan d’escrimir... (1628-29).
8 Vilelme si fes appelar, / el sobrenom fon de Nivers. / Chansons e lais, descortz e vers, / serventes et autres cantars / sapia plus que nuls joglars, / neis Daniel que saup ganren / nos pogr’ab lui penre per ren (1704-10).
9 Lo pel ac blon, cresp et undat (1583).
10 Ancar d’amor no s’entremes / per so que lo vers en saupes; / per dir, saup ben que fon amors, / cant legit ac totz los auctors / que d’amor parlon e si feinon / consi amador si capteinon. / Car ben conosc que longamen / nom poc estar segon Joven, / ques el d’amor non s’entrameta, / per so pessa que son cor meta / en tal amor don bens li venga / e que a mal hom non lo tenga. / En aisso ac son pessamen (1761-1773).
11 “ Es ben artos / e sobre toz homes ginos; / saps pron d’augur e pron de sort; / ancar non saps lo ric deport / qu’eu t’ai en una tor servat; / a ton obs lo ten hom serrat. / Us fols gelos clau e rescon / la plus bella dona del mon / e la melhor ad ops d’amar; / e tu sols deus la desliurar, / car tu es cavalliers e clercs... (1789-99).
12 E. Levy, Petit dictionnaire provençal-français, 3° éd., Heidelberg 1961.
13 Car son titol sabia be (3710).
14 Guillems saup mout ben sa fasenda, / l’ofizi i saup ben e l’uffrenda / de cor e la comunio (3907-09).
15 Merce Dieu, mon orde sai (3557).
16 Ben sai legir mon sauteri / e cantar en un responsier / e dir leisson en legendier (2311-13).
17 El preire issi / fora del cor... A Guillem remas totz le canz / et a son oste que l’ajuda (2474-80).
18 E signum salutis comensa. / Le sieus cantare plac mout a toz, / car mout avia clara voz / e cantet ben e volontiers (2496-99).
19 Qui saupes qu’el fos cavaliere, / ben amer’om plus son cantar (2500-2501)
20 E mielz legens e meilz cantans (4210).
21 Le preires dis : Asperges me I Guillem s’i pres al Domine I e dis lo vers tot per enter. / Anc non cug mais qu’e cel mostier / fos tam ben dig (2470-74).
22 Ha dig suau : “ Ha i comtier, / amics, aqui ni calendier ? / Quar saber voil, per qu’ansim gosta, / quant es dins jun la Pantecosta. / - Seiner, oi lo”, el libre-l dona. / Guillems non vol ques hom l’espona / comte de luna ni d’epacla; / las cartas una e una tracta / e volgras las totas baisar / per sol una, s’o pogues far / cubertamen que non o vis / s’ostes que josta lui sis. / Mais trobat ha un asaut gen : / "Bon es, fai s’el, ques ieu ensein / per so que sia enseinatz. “ / Pueis dis : “ Clergues, et on donatz / vos paz ? Quar donar la devetz / ab lo sauteri, si podes. - Seiner, sim fas, e neis aisi / la donei ar”, e mostret li / le foil e-l luec... (2575-95).
23 “ Amix, eus mostrarai / on dones pas quan m’en irai, / quar per mi deves mellurar; / e tot’ora la deves dar / en Fait pax in virtute, / e non voil que movas lo pe / entro qu’ie-us diga la raso : / David o dis a Salamo, / quan hac fait lo sauteri tot, / que cascun jorn baises cel mot; / e tan quan Salomos reinet / sos regnes en gran pas estet.” / Nicolaus dis : “ Be-us en creirai, / sener, e tos tems lai darai.” / Guillems dis : “ Lo libre-m tornas, / amix, consi ques o fassas : / orasons i a trop ades / qu’eu voil apenre, si-us voles.”
24 Mais tam petitet l’a durat / que cel d’an nou l’a ressemblat (2528-29).
25 Negus repaus non es bos / ad home si letras non sap, / ans es vilzis e quais mort sap (4824-26).
26 Amans deu portar cor de ferre, / e per lo nom bem proarai / que totz amanz am cor verai / deu esser plus ferms qu’azimans (2065-68)
27 Per so l’apel simpla e pura / car non recep nulla mestura. / E l’azimans, si tot s’es durs, / non es tan simples ni tan purs, / car, si d’adiman ostas di, I aures aman; et en lati / le premier cas es adamas, I et compos si d’ad e d’arras, / mas lo vulgar a tan mermat / cel ha que l’a en i tornat (2096-2105).
28 Mais hom dis que Tantalus plora (4030)
29 Car fui tan pres de la serena / que vaus si-m trais ab la douzor / de som pres e de sa valor (4040-42).
30 Eneas aucis en aisi / Dido ques hanc non la feri (4609-10).
31 Aissi con Ovidi retrai (6275).
32 Non l’en cal batre las esquinas / ni premer onglas per las mans, / car mais en sap quel capellans (3770-72).
33 Ben las aprendon e decoron, / e gardon ben non las aforon (7123-7124).
34 A penas si ten / de rire quan vu ques Alis / a contrafar ap pauc non ris (4482-84).
35 Ailas ! - Que plans ? Certas, fa si; / ben aia qui cest mot chausi ! / Ailas ! - Que plans ? Trop ben si fa ! (4310-13).
36 E ja iest bona trobairitz / - O eu, domna, mellor non vist, / daus vos e daus Alis en fora (4377-79).
37 Qui t’ensenet, / Margarida, ni qui-t mostret, / fe que-m deus, tan de dialetica ? / S’agues legit arismetiga, / astronomia e musica / non agra meils la fesica / dels mals qu’eu ai lonos tems suffertz (5441-46).
38 V. semanas n’avem estat / que noi ac festas mais dimenegues, / mais celz nos mellura le clergue, / e fort bon son ara dimergue, / la merce Deu e del bel clergue. / Qui ben aia qui l’ensenet / ni hanc primas letra-l mostret, / quar ben conosc que pa ni sal / negus hom ses letras non val, / e trop ne val meins totz rix hom / si non sap letras queacom; / e dona e; trop melz cabida / s’es de letras un pauc garnida. / Ara digas, fe quem deves, / si non saupes tan con sabes / ques agras fag ara dos ans / qu’aves durat aquestz afanz, / morta foras e cruciada. / Mais non seres ja tan irada / quan leges, que l’ira no-s fonda. “ / Nos pot tenir que noil responda / Flamenca e daus si l’acolla : / “ Amiga, vos non es ges folla, / e be m’acort d’aitant ab vos / que negus repaus non es bos / ad home si letras non sap, / ans es vilzis e quais mort sap; / e ja tan non encercares / que negun home atrobes, / si letras sap, que non volgues. aneara mais aver apres; / e cel que non sap ne volria / anear apenre si podia. / E quil saber pogues comprar, / anc non vist home tan avar / que sivals un pauc non compres, / sol que a vendre n’atrobes. / Ja hom que letras non saupes / d’aiso no- s foro entrames (4800-38)
39 “ Amors, domila, com er ? / Que fares d’aicest cavallier ?” (2035-36)
40 Mais un proverbi diso-l laic qu’ieu ai proat aras en me (2053-54).
41 Mout avem saïnz ric amar / e mout gloriosa vertut / vos o aves ben conogut, / que de letras sabes assas. / - Ostes, ben sai, mais no m’en fas / ges ara trop gai ni trop leri / si ben sai legir mon sauteri / e cantar en un responsier / e dir leisson en legendier. / - Sener, ben mout ne vales mais ! / Si fos mon sener aitan gais / con esser sol, be-us acullira / et onrera sempre que-us vira (2305-17)
42 Quar aüt n’ai autra vegada / e sai que peccat i fazia / quar aitant creisser mi giquia / los pels ques ai en la corona. / Eu sui canorgues de Peirona / e ancor i voil retomar; (3550-55)
43 Voil que m prometas / c’aissi-m menés con un clerson. / D’autramen no seria bon, / qu’ieu voil servir mout humilmen / e vos et a Dieu eissamen; / e sol mon orde posc’ausir, / no m’estalbies de servir. / Sim portavas major honor / ques ad un autre servidor, / cil honors mi seria dans / et a vos, bel sener, afans. / Fais mi tallar capa redonda, / granda e larga e prionda, / de saia negr’o d’esimbru, / de nacliu o de galabru, / que m cobri tot d’oris en oris. / Non segrai plus los torris loris / de las cortz, que non es mais trufa / tot quant i a, et joc de bufa, / e cel que plus i cuj’aver / i troba meins quan ve al ser.” (3666-86).Aissi presica’n Aengris, / mais, si-l capel las fos devis, / ben pogra dir si con Rainartz : / “ Gar si Belis daus totas partz !”
44 Al capellan ades enten / per saber si dira nien. / Le capellas cuja s’ades / que per Sant Esperit parles / e Dieus l’agues enluminat, / quar hanc tan gran humilitat / non ac mais homs tan jovenselz. / On plus lo ve, mais li par belz, / quar l’esgart hac simple e piu : / un angel semblava tot viu / ques ades aportes salutz. / Ben es Justiz totz ereubutz, / quar Dieus l’a tal clergue donat / quel vest e-l pais el fai son at / el servis aissi volontiers con s’era un penedensiers (3751-66).
45 Aissi presica’n Aengris, / mais, si-l capellas fos devis, / ben pogra dir si con Rainartz : / “ Gar si Belis dans totas partz !” (3687-90)
46 El borc s’en van per far la capa; / li donzel dison : “ Si escapa, / monsener bem bos hom sera, / jamais en cort non estara. / Ben semblara morgues novels, / de Chardossa o de Sistels, / s’agues los draps aras vestitz.” (3691-97).
47 Ieu non vis aici bel clerc (4549).
48 Del bel clergue (4804).
49 E fort ben gentil home sembla (4211)
50 Ab sa capa ques ac facha / qu’es de primas un pauc retracha, / car ades cuja-ls bras gitar / als ladriers, aisi con sol far (3743-46)
51 Anc Guillems trop non clergueget, / quar ren non quis ni demandet / mais tant con sidons li presenta / que de far plasers non fon lenta (5961-64)
52 J.-Ch. Huchet traduit “ ne se montra pas aussi convoiteur en paroles qu’un clerc”. R. Nelli et R. Lavaud, Les Troubadours. Jaufre, Flamenca, Barlaam et Josaphat, Bibliothèque européenne, Desclée de Brouwer, 2° éd. 1960, 951) comprenaient "ne discourut pas trop ".
53 E ben ha ops ueimais encerc, / si-s pleu, per lui un autre clerc (6339-40).
54 Et es tan joves c’ades creis (6950).
55 Amors l’a fag tondre e raire, / Amors l’a fag mudar sos draps./ Ai ! Amors, Amors, quant saps !/ E quis pessera ques tondes / Guillems per tal que dompnejes ? / Cant autr’amador s’acomptisson / es genson e s’afiffolisson / e penson de bels garnimens, / de cavals e de vestimens, / fraire Guillems s’apataris / e per sidons a Dieu servis (3809-18)
56 Nous cujes ges que las crins arga / Na Bellapila, ans los met / en un bel cendat blanc e net / et obrar n’a un bel fresel / per far afflibles de mantel, / e per joia lo donara / a Flamencha, quan fag sera; / encar seran mil ves baisat / cil cabeil, ans que siu usat (3584— 92).
57 Un capel lini, ben cosut / ab seda e moscat menut / ac en son cap, non per celar / la corona, mais per garar / sos pels de la cauz qu’es el trauc (5835-39).
58 Quar tam bell e tant gent vos vei, / e tan cortes e tan adreg / que per fin’amor e per dreg / aves mon cor lonc tems avut (5864-67).
59 Per so vueil tengas vostra via / et en vostra terra tornes / et al tomei sa tornares (6784-85).
60 Quar lo pres de cavallaria / lai conquis abans que tomes; / e non cug per als lai anes (6934-36).
Auteur
Université de Montpellier III
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