L'attitude à l'égard de Charlemagne dans le Renout van Montalbaen
p. 999-1016
Texte intégral
1Note portant sur l’auteur*
2Dans le Renout van Montalbaen, la version en moyen néerlandais du Renaus de Montauban1, nous trouvons une allusion à l'histoire du roi Charles, qui, sur l'ordre de Dieu, se met en route pour voler, et qui découvre ainsi que l'on a tramé un complot contre lui2. Cette histoire nous est connue du Karel ende Elegast en moyen néerlandais. Dans la littérature française elle était racontée par la Chanson de Basin aujourd'hui perdue. Voilà le contexte dans lequel le Renout évoque cette aventure : les frères de Renaus ont été faits prisonniers par Charles, qui les a mis dans sa geôle. Après, Baiart a été enlevé. Renaus est au désespoir. Tout à coup il voit clairement qu'il avait perdu de vue la réalité : "J'avais l'intention téméraire de délivrer mes frères par force d'entre les mains du roi. Mais Dieu ne veut pas y consentir ; tant Il aime le roi. Il est impossible de lui nuire, soit par de mauvais conseils soit par le fait. Dieu le lui montra nettement à Ingelheim sur le Rhin, quand Il lui ordonna d'aller voler la nuit en compagnie d'Elegast"3. Ici, Renaus se rend nettement compte que Charles est protégé par Dieu même.
3En vertu des mots de Renaus que je viens de traduire, vous pourriez supposer qu'a partir de ce moment Renaus tâche de se réconcilier avec le roi sans lui nuire d'aucune manière. Vous pourriez présumer qu'a partir de ce moment il montre plus de respect pour le roi que son pendant français. Et vous pourriez même aller jusqu'à supposer que dans la version néerlandaise on insiste tant sur le respect dû au roi, que ce respect détermine la conduite de Renaus et d'autres personnages de telle manière que les passages du Renaus français dans lesquels Charles est déshonoré de façon ou d'autre manquent dans le Renout.
4A l'aide de quelques exemples je vous montrerai tout à l'heure qu'il n'en est rien de tout cela. Cependant, il y a des différences entre l'attitude à l'égard du roi de la part des personnages de la version néerlandaise et du côté de leurs pendants français. Dans les minutes suivantes j'espère vous convaincre de ce fait aussi, bien que je ne puisse qu'essayer de vous donner une impression de l'attitude que montrent quelques-uns d'entre eux : Renaus, Maugis et les pairs. En outre, je me confinerai à la partie de l'histoire dans laquelle Charles et les Quatre fils Aimon sont en guerre l'un contre les autres. Enfin, je voudrais attirer votre attention sur le problème de la cause de ces différences.
5Chacun des personnages mentionnés - Renaus, Maugis et les pairs - joue un rôle dans l'épisode qui succède aux mots de Renaus que je viens de citer. Dans la tradition française il n'y a pas d'épisode parallèle4. Voilà ce qu'il contient : pendant que Renaus se lamente d'avoir perdu ses frères et Baiart, tout à coup un pèlerin très âgé sort des broussailles. Il s'avère être Maugis. Celui-ci promet à Renaus de lui rendre Baiart. Renaus n'aura qu'à suivre tout bonnement les instructions de Maugis. Déguisés en pèlerins les deux se mettent en route pour Paris. Chemin faisant ils apprennent que Charles a donné Baiart à Rollant et que celui-ci le montera le dimanche prochain. Ce jour venu, Renaus et Maugis s'asseyent au bord de la route. Entre lui et son compagnon Maugis place une coupe splendide. Voilà Charles et Rollant, des serviteurs amenant Baiart, et toute une quantité de curieux. Dès que Charles a remarqué la coupe, il adresse la parole aux pèlerins. Maugis lui fait accroire que cette coupe soit celle dont le Christ s'est servi à la Cène5. A celui qui mange un morceau de pain trempé dans la boisson qu'elle contient, tous les péchés seront pardonnés. Charles profiterait volontiers de cette chance. En retour, Maugis lui demande entre autres de vouloir consentir que l'autre pèlerin monte Baiart ; le pauvre hère serait aveugle, sourd et muet, et une femme lui aurait prédit qu'il guérira, dès qu'il montera Baiart. Charles est d'accord. Encore une condition que pose Maugis : avant que Charles ne consomme la boisson désirée, les serviteurs qui gardent Baiart auront la permission d'en boire aussi. La boisson dont Maugis a remplie la coupe, est un breuvage narcotique. Aussi les serviteurs tombent-ils enivrés. Et si Dieu Lui-même n'avait pas donné à Charles la force de se soutenir dans la selle, peu après le roi aussi serait tombé6. Maintenant on assied Renaus sur Baiart. Comme Maugis le lui a conseillé, il s'en laisse tomber deux fois de suite. La troisième fois le miracle a lieu : "l'invalide" guérit… et se sauve sur Baiart. Maugis se lamente que le pauvre pèlerin aura un accident. Charles commande aux pairs de suivre Baiart. Quand ils se sont approchés de Renaus, celui-ci se fait connaître à eux. Il tue un écuyer qui veut le faire prisonnier. Et que font les pairs ? Ils laissent aller Renaus et lui promettent de ne pas trahir Maugis à Charles. Quand ils sont retournés auprès du roi, Rollant ment à son oncle afin de lui expliquer la mort de l'écuyer. -Jusqu'ici mon résumé.
6Maugis, Renaus, les pairs - tous trompent le roi dans cet épisode. Bien que, jusqu'au recouvrement de Baiart, Renaus soit tout à fait guidé par Maugis, il est de fait que, comme faux pèlerin et comme faux invalide, il contribue d'une manière active à la supercherie dont le roi est victime. Et peu après, assisté de Maugis encore une fois, il va duper Charles de nouveau, en prenant part à la course incognito7. Comme dans le texte français, il s'empare alors de la couronne, et il fait savoir au roi, en le raillant, qu'il la détruira. Bien qu'à l'instant où il se souvient de l'histoire de Charles et Elegast, Renaus se rende nettement compte du fait qu'il est impossible de nuire au roi de quelle manière que ce soit, il apparaît que cette évidence ne l'empêche ni de tromper ce roi ni de se railler de lui peu après.
7Ne nous faut-il interpréter "nuire à" que comme "violer physiquement" ? Le respect que Renaus ressent pour le roi se borne-t-il pour ainsi dire au corps de celui-ci ? Il apparaît que cela n'est pas le cas non plus. Plus d'une fois Renaus ne craint pas de se battre avec Charles en personne8. Parmi les passages dans lesquels de tels combats ont lieu, il y en a au moins un qui à mon avis diffère d'une manière remarquable du passage parallèle français9 :
8Le texte français nous raconte que Renaus, dans la mêlée, engage le combat contre Charles sans connaître l'identité de son adversaire. A son tour, Charles ne sait pas que c'est Renaus avec qui il se bat. Ils se font vider les arçons l'un à l'autre, se relèvent d'un bond et tirent les épées. Alors Charles s'écrie :
"Se par .I. chevalier i sui pris ne matés,
Dont ne [doi] rois je estre ne corone porter. "
9A ce moment Renaus se rend compte avec qui il est aux prises. Il est accablé de confusion.
"Hé Dex ! ce dist li dus, qui me fesistes né,
Ja est çou Charlemaignes à cui je ai josté,
Ki norri mon linage et tot mon parenté.
Je ne parlai à lui bien a .xx. ans passés.
J'ai forfait le poing destre dont je l'ai adesé.
10Immédiatement il cesse de se battre. Il demande grâce et révèle son identité. Le roi n'est pas disposé à se réconcilier avec lui à des conditions acceptables pour Renaus, et l'attaque de nouveau. Il lui donne un coup énorme de Joieuse.
Quant l'a veü Renaus, à poi n'est forsenés ;
Ains nel vost de s'espée ferir ne adeser,
Ains est passés avant, par les flans l'a coubré ;
A son col l'encharga, qu'il l'en voloit porter
Trestot droit à Baiart qui là est enselés.
11Renaus tâche d'enlever Charles sur Baiart, parce qu'il ne veut pas férir de l'épée celui qui est son roi, son seigneur10. En enlevant Charles comme otage, il espère pouvoir imposer une réconciliation11. Dans le passage parallèle néerlandais Renaus sait très bien que c'est Charles à qui il fait vider les arçons. Il n'a pas de mal à l'attaquer, et ne demande pas grâce. Il est vrai qu'il lui fournit courtoisement l'occasion de remonter en selle et de retourner à Paris. Mais ici il n'est pas question de modestie ni d'un homme qui demande grâce ; par contre nous rencontrons ici de la bienveillance et un homme qui, à vrai dire, accorde grâce. Voilà Charles, le grand roi, à pied. Tandis que le Renaus français lui tombe aux pieds, le Renaus néerlandais est encore haut sur son cheval. Le roi n'a pas très envie de faire ce que Renaus lui conseille. Il veut faire prisonnier Renaus et appelle Rollant à la rescousse. Et alors c'en est fait de la générosité de Renaus : il saisit Charles et essaie de l'enlever sur Baiart. Mais tandis que le Renaus français procède à cet acte assez comique à nos yeux modernes, parce qu'il se trouve à pied vis-à-vis de Charles, qu'il ne veut pas férir de l'épée, il n'est pas question d'une situation aussi extrême dans la version néerlandaise. Là Renaus est simplementsi furieux du fait que Charles veut le faire prendre par Rollant, qu'il saute de Baiart et saisit le roi. Dans le passage discuté le Renaus néerlandais montre beaucoup moins de respect à l'égard du roi que son pendant français.
12Que le Maugis néerlandais ne recule pas non plus devant la lèse-majesté qu'implique un assaut contre le roi, vous n'en serez pas étonnés, quand vous vous avisez de ce que nous raconte de lui le texte français. Cependant, le Renaus et le Renout se distinguent l'un de l'autre quant aux rapports entre le roi et le sorcier. Dans le Renaus Maugis est un fils de Buef d'Aigremont. Dans la partie initiale celui-ci est assassiné traîtreusement avec l'approbation de Charles12. C'est pourquoi Maugis est rempli de haine envers Charles ; il veut venger son père13. Il est l'ennemi principal du roi. Aussi, jusqu'au bout de la guerre, celui-ci continue-t-il à exiger avec acharnement son extradition. Le Renout ne connaît pas l'histoire de Buef. Il n'est pas question que le père de Maugis ait été tué en traître et que Charles en serait coupable. A cause de cela Maugis est moins féroce envers Charles que son pendant français. En combattant comme chevalier "ordinaire" il rend des services précieux aux fils Aimon, mais il semble que le poète néerlandais se soit plu particulièrement à présenter Maugis comme sorcier, comme un personnage qui, par sa magie rusée, sait venir à bout de ce que l'on ne parviendrait pas à achever autrement, comme un personnage qui ne demande pas mieux que de blaguer et de tourmenter le roi ainsi que d'ailleurs ceux pour qui il se donne avec toute l'énergie dont il dispose14.
13Pour conclure je voudrais bien attirer votre attention sur l'attitude à l'égard de Charles que montrent les pairs dans le Renout et qui diffère de celle de leurs pendants français. L'épisode déjà discuté dans lequel Baiart est recouvré, n'est pas le seul à raconter qu'ils trompent leur seigneur. Voici un autre exemple15 : le siège de Montauban a duré longtemps. La famine est pressante. Dans le Renaus Aimon se trouve dans l'armée de Charles. Il sait que ses fils souffrent la faim et forme un projet artificieux pour les aider : à ceux d'entre ses hommes qui servent les mangonneaux, il ordonne de ne pas jeter des pierres par-dessus les murs de Montauban, mais de gros morceaux de viande et des barillets de vin. Dans le Renout ce bombardement spectaculaire n'est pas mis à exécution par Aimon et ses hommes, mais par… Rollant, Olivier, Ogier, Naimon et Turpin !
14Le fait que les pairs trompent le roi dans plusieurs épisodes du Renout est remarquable. En effet, dans la rédaction française qu'a éditée Castets, ils se moquent de lui, le réprimandent et le menacent, plus d'une fois ils refusent de faire sa volonté et ils l'abandonnent même plusieurs fois, mais - abstraction faite d'Ogier16 - ils ne le trompent jamais17. Dans cette rédaction française je n'ai pas trouvé non plus de passage dans lequel ils l'attaquent18. Sous ce rapport aussi le Renout se distingue. A un mauvais moment Charles veut pendre les frères de Renaus, qu'il détient. Turpin proteste. Charles le frappe, après quoi l'évêque lui saute à la gorge…19 Et l'un des représentants de la tradition néerlandaise raconte qu'après cela d'autres personnes de marque attaquent le roi elles aussi20. Selon les quatre rédactions françaises qui comprennent un épisode dans lequel Charles détient les frères de Renaus, des voies de fait n'ont pas lieu21.
15Je voudrais me limiter à ces exemples. A l'aide de ces quelques passages je n'ai certainement pas pu vous donner une idée nuancée de l'attitude à l'égard du roi de la part des personnages de la version néerlandaise. Mais j'espère que mes exemples vous ont convaincus de ce qu'il y a des différences évidentes entre l'attitude à l'égard de Charles dans cette version-ci et dans le texte français : que les personnages du Renout se montrent plus d'une fois moins respectueux envers le roi que leurs pendants français, tandis que Maugis est moins féroce envers lui que son pendant français.
16Comment ces différences s'expliquent-elles ? Il y a des passages dans lesguels la conduite des personnages peut avoir été influencée par un goût des scènes grossières que semble avoir eu soit le poète de la version néerlandaise conservée soit le public auquel celle-ci était destinée. Cependant, pas toutes les différences ne se laissent expliquer à l'aide d'un tel goût. En outre, ainsi nous restons assez à la surface du texte. Peut-être est-il possible de trouver une explication dans un sens que nous ont indiqué M. Calin et M. Bender22. Ils nous ont fait voir que Renaus de Montauban reflète, entre autres, la situation politique de la France du douzième siècle. Dans la réalité de cet âge les rapports entre le roi, dont le pouvoir va croissant, et les grands seigneurs sont tendus. D'une part, ainsi que le dit M. Calin dans The Old French epic of revolt, les grands vassaux désirent un monarque qui prenne des mesures énergiques, d'autre part ils n'acceptent pas que celui-ci se mêle trop de leurs affaires. De quelle façon leur faut-il vivre avec leur mécontentement, provoqué par la situation actuelle ? Dans les epics of revolt nous voyons comment les barons luttent avec cette problématique. Leur faut-il soutenir leurs droits et se révolter ? Leur faut-il choisir pour la loyauté à la famille ? Leur faut-il, malgré tous les défauts qu'il puisse avoir, être fidèles à celui qui n'est pas seulement leur seigneur mais encore leur roi ?
17Dans le Renout cette problématique politique n'est pas absente : Renaus avait l'intention d'user de violence contre le roi, mais soudain il se rend compte de l'inviolabilité de celui-ci ; son frère Richart veut tuer Charles, qui a été enlevé à Montauban, mais en dépit de toute la misère que le roi leur a causée, Renaus lui interdit de le faire, parce que Charles est leur seigneur23 ; Ogier se trouve dans une situation pénible, parce qu'il ne veut trahir ni les fils Aimon, ses cousins, ni Charles24. Cependant je crois que toutes sortes d'aspects du texte français qui ont rapport à cette problématique politique, sont accentuées moins fortement dans le Renout que dans le Renaus. Pour donner quelques exemples : Charles trahit moins souvent dans le Renout25 ; il inspire moins de terreur et de respect à ses vassaux26 ; on prend une position plus "aisée" envers lui, ce sont plutôt, pour ainsi dire, des hommes qui se trouvent vis-à-vis d'un autre homme que des inférieurs qui se trouvent vis-à-vis du plus haut placé27 : la position élevée qu'occupe Charles n'empêche ni que Renaus lui fasse vider les arçons de propos délibéré, sans scrupules, ni qu'un pair lui saute à la gorge, les pairs semblent avoir moins de peine à se ranger du côté de Renaus, ils abusent Charles et l'on aime à le tourner en ridicule ; dans le Renout, au contraire du Renaus, on n'insiste pas coup sur coup sur ce que les fils Aimon ont le droit de leur côté et que Charles a tort28 ; il est beaucoup moins évident dans quelle position d'impuissance entière le roi se trouve, quand les pairs l'abandonnent29. Pourrions-nous résumer tout cet ensemble de différences en disant que dans la version néerlandaise la tension politique soit moins intense que dans le texte français ? ; que le Renout montre moins nettement avec quels dilemmes politiques sérieux les barons français du douzième siècle se voyaient confrontés ?
18Eh bien, si dans le Renout la tension politique est en effet moins intense que dans le texte français, et si les différences entre l'attitude à l'égard de Charles peuvent être en rapport direct avec le degré de tension, ces différences s'expliquent peut-être du fait que la version néerlandaise naquit et vécut dans une autre région que le texte français. La vie des grands seigneurs aux Pays-Bas, était-elle, à l'époque de la naissance de la version néerlandaise conservée, beaucoup moins dominée par les problèmes avec lesquels les hauts barons français du douzième siècle étaient aux prises ? Pourrions-nous expliquer ainsi que les dilemmes de ces derniers sont accentués moins explicitement dans cette version, qu'elle nous donne une autre idée de Charles et que l'attitude des personnages à son égard diffère de celle de leurs pendants français ? Nous ne connaissons ni le lieu exact où cette version naquit ni la personne à qui elle fut destinée29. Le plus ancien fragment manuscrit du Renout a été localisé dans le Brabant de l'ouest, dans la région entre Dendre et Senne31. Eh bien, sur le Dendre se trouvaient les châteaux de quelques grands seigneurs étant du nombre des pairs de Flandre, les nobles puissants qui gardaient les frontières du comté32. Parmi ces pairs dont les châteaux étaient situés sur le Dendre comptaient les seigneurs d'Alost et de Termonde, les deux villes qui sont mentionnées dans la chanson populaire néerlandaise du Cheval Baiart, et dont la dernière, Termonde, a vu ce cheval maintes fois dans ses rues pendant l'Ommegang33. Serait-il possible que le Renout soit né dans cette région, au milieu des pairs de Flandre ? Et serait-il peut-être possible - je propose cette possibilité sous toutes réserves ; ce n'est qu'une hypothèse - serait-il peut-être possible que l'attitude des vassaux épiques à l'égard de Charles montre quelque peu l'influence de l'attitude des pairs flamands historiques à l'égard du roi de France et à l'égard de leur seigneur, le comte de Flandre ?
19Ces questions méritent d'être examinées à fond. Il nous faudra ne pas borner nos recherches au Renaus : il nous faudra voir si les différences entre l'attitude à l'égard de Charles que nous avons constatées dans le Renout et le Renaus se trouvent aussi dans d'autres textes en moyen néerlandais et leurs pendants français ; il n'est pas impensable que la littérature en moyen néerlandais donne dans son intégralité une autre idée de Charles que la littérature française. Bien entendu, les chroniques aussi devront être examinées sous ce rapport. Il faudra que néerlandistes, romanistes et historiens se penchent ensemble sur le problème de l'attitude à l'égard du roi Charles.
Notes de bas de page
1 Du Renout en vers il ne nous reste que des fragments. M. Ph. Verelst a mentionné les éditions les plus importantes de ces fragments aux pp. 223-224 de sa bibliographie '"Renaut de Montauban", textes apparentés et versions étrangères : essai de bibliographie' (dans : J. Thomas, Ph. Verelst et M. Piron, Etudes sur "Renaut de Montauban", Gent, 1981, Romanica gandensia 18, pp. 199-234). Nous pouvons nous faire une idée du texte complet à l'aide d'une traduction allemande en vers et d'une mise-en-prose, qui a été conservée dans une grande quantité d'imprimés. Autant que nous sachons, aussi bien la traduction allemande que la mise-en-prose suivent de près le Renout en vers. Edition de la traduction allemande : Reinolt von Montelban oder Die Heimonskinder, hrsgeg. von F. Pfaff, Tübingen, 1885, Bibliothek des litterarischen Vereins in Stuttgart 174 (désignée ci-après comme : éd. Pfaff). Edition de la plus ancienne mise-en-prose néerlandaise qui nous est conservée : De historie van den vier Heemskinderen, uitgeg. naar den druk van 1508, berustende op de Universiteitsbibliotheek te München door G.S. Overdiep, Groningen etc., 1931, Groninger bijdragen voor taal-en letterkunde 1 (désignée ci-après comme : éd. Overdiep).
2 Ed. Pfaff, v. 4248-4259 (éd. Overdiep, p. 86, 1. 32-p. 87, 1.2. Dans ce passage-ci le texte de la mise-en-prose est corrompu.) Le Renaus français fait une allusion à cette histoire lui aussi. Voir La chanson des quatre fils Aymon, [éd.] d'après le manuscrit La Vallière, […] par F. Castets, Montpellier, 1909, Publications de la Société pour l'étude des langues romanes 23 (désignée ci-après comme : éd. Castets), v. 10.114-10.129. Mais le contexte dans lequel le Renaus évoque cette aventure diffère complètement du contexte dans lequel le Renout y fait allusion. De ce fait-ci et du fait que dans le Renout le voleur s'appelle "Elegast", tandis que dans le Renaus il s'appelle "Basin", il résulte que le poète néerlandais n'a pas emprunté de but en blanc cette allusion à une source française. Dans cette étude-ci je ne traiterai pas la problématique compliquée des relations stemmatiques entre le Renaus et le Renout (pour cette problématique, voir ma thèse de doctorat pas encore terminée au moment où je rédige cet article). Je voudrais bien me contenter de dire que le Renout a sans doute son origine dans la tradition française, mais qu'il n'est ni une traduction ni une adaptation suivant de très près son exemple, d'une des rédactions ou versions françaises conservées.
3 Traduction de l'éd. Pfaff, v. 4249-4259.
4 Ni dans les rédactions "traditionnelles" (ACDHb LMNOPVZ) ni dans les autres rédactions en vers (B, Ha et R). J'emprunte la dénomination "traditionnelles" a M. J. Thomas. Voir J. Thomas, L'épisode ardennais de "Renaut de Montauban" ; édition synoptique des versions rimées, Brugge, 1962, Rijksuniversiteit te Gent, Werken uitgeg. door de Faculteit van de Letteren en Wijsbegeerte 129-131, tome 1, p. 139. Je me sers des sigles par lesquels MM. Thomas, Verelst et Piron désignent les manuscrits du Renaus dans leurs Etudes sur "Renaut de Montauban". (Voir n.1).
5 Ed. Pfaff, v. 5044-5047. Dans la mise-en-prose (éd. Overdiep, p. 97, 11. 12-13) Maugis dit qu'en fabriquant la coupe l'on a fait usage de matière provenant de la coupe dont le Christ s'est servi à la Cène.
6 La mise-en-prose ne dit ni que les serviteurs tombent enivrés ni que le roi manque de tomber. Cf. l'éd. Pfaff, v. 5212-5259 avec l'éd. Overdiep, p. 99, 11. 9-15.
7 Voir pour cet épisode l'éd. Pfaff, v. 6236-7364 (éd. Overdiep, p. 113, l.10-p. 123). Voir pour l'épisode parallèle français : éd. Castets, v. 4656-5091.
8 Ed. Pfaff, v. 1971-1985, 11.310-11.384 et 12.099-12. 130 (éd. Overdiep, p. 51, 11.3-7 ; p. 164, 1. 21-p.165, 1.13 et p. 172, 11. 28-35).
9 Pour ce passage voir l'éd. Pfaff, v. 11.310-11.384 (éd. Overdiep, p. 164, 1. 21-p. 165, 1. 13). Pour le passage parallèle français voir l'éd. Castets, v. 10. 878-11.064. Je cite v. 10.895-10.896, 10.898-10.902 et 11.010-11.014 d'après cette édition. Les mêmes différences que je signale ici, en comparant le Renout avec la rédaction française qu'a éditée Castets, c'est-à-dire L, se révèlent quand on compare le texte néerlandais avec les autres rédactions françaises en vers qui contiennent le passage discuté.
10 Cette raison est mentionnée par L et par quelques-unes des autres rédactions françaises, p. e. N (F. 129R, b, 28) et P (F. 125 V, a, 40). Il y en a aussi dans lesquelles le vers "Ains nel vost de s'espée ferir ne adeser" ne figure pas, dont D (voir F. 106V, infra-F. 107 R, supra). L'épisode ardennais contient un passage dans lequel Renaus a bien le désir de férir Charles de l'épée. Aalart l'en retient. Plus loin dans cet épisode il attaque le roi de la lance. L'un des hommes du roi intercepte le coup. Voir l'éd. Castets, v. 2484-2492 et 2847-2857 respectivement.
11 Voir p.e. l'éd. Castets, v. 11.017-11.018 ; N F. 129R, b, 34-35 et P, F. 125 V, b, 5-6. Il y a des rédactions dans lesquelles ces vers ne figurent pas, dont D. Voir F. 107R.
12 L'épisode de Buef figure dans les rédactions traditionnelles. Dans B et R elle ne figure pas, mais ces rédactions font bien allusion au meurtre de Buef. Voir p. e. Thomas, L'épisode ardennais (voir n.4), tome 1, p. 184, n.1.
13 Voir p.e. l'éd. Castets, v. 8259-8284 et 11.140-11.150.
14 Que le Maugis français veuille venger la mort de son père, n'implique d'ailleurs pas le moins du monde que dans le Renaus son comportement n'aurait jamais un caractère comique ! Lui aussi aime beaucoup les blagues - aussi les blagues dont le roi est victime. Voir Ph. Verelst, 'Le personnage de Maugis dans "Renaut de Montauban" (versions rimées traditionnelles) ', étude publiée aux pp. 73-152 des Etudes mentionnées sous n.1. Afin de pouvoir juger la conduite du Maugis néerlandais d'une manière correcte, il nous faut nous rendre compte de ce que le rôle et le caractère de son pendant français se modifiaient selon que le Renaus se développait. Voir Verelst, pp. 145-147. Il serait intéressant et utile d'examiner la question, à laquelle des rédactions françaises le Renout correspond le mieux en ce qui concerne le rôle et le caractère de Maugis. Une comparaison précise avec C et N en particulier me semble valoir la peine ; ces deux rédactions contiennent des passages légers, parfois burlesques, dont l'atmosphère me semble s'approcher de celle de quelques passages pareils du Renout.
15 Ed. Pfaff, v. 12.869-12.918 (éd. Overdiep, p. 179, 1. 31-p. 180, 1.20). Pour le passage parallèle français voir l'éd. Castets, v. 13.560-13.593. La leçon du Renout ne se trouve dans aucune des rédactions françaises en vers.
16 Au moment où Ripeu de Ribemont va pendre Richart, Renaus se précipite au secours de son frère. Il tue Ripeu et délivre Richart. Ce dernier endosse l'armure de Ripeu et chevauche au camp du roi. Quand Ogier le voit approcher, il veut tuer 'Ripeu'. Richart lui révèle son identité. Peu après Ogier ment à Charles, en prétendant que le chevalier soit Ripeu. Voir l'éd. Castets, v. 10.765-10.775 (pour le passage parallèle néerlandais voir l'éd. Pfaff, v. 11.268-11.277 ; éd. Overdiep, p. 164, 11.2-7). Un autre passage digne d'être mentionné ici, se trouve dans l'éd. Castets, v. 7515-7539. (Cf. l'éd. Pfaff, v. 8659-8671 et l'éd. Overdiep, p. 137, 11.6-13.)
17 Dans la rédaction L, il n'y a qu'un passage dans lequel Rollant a l'intention de mentir à son oncle. Cependant, il n'a pas l'occasion de le faire. Voir l'éd. Castets, v. 9663-9698 (dans le Renout il n'y a pas de parallèle).
18 Quant aux passages discutés dans cette étude, j'ai consulté toutes les rédactions en vers et il est sûr que le Renout s'y distingue de chacune de ces rédactions. Par contre, il n'est pas exclu qu'il y ait une rédaction française qui contienne un passage dans lequel les pairs trompent et/ou attaquent Charles ; en ce qui concerne cet aspect je n'ai pas examiné toutes les rédactions en vers d'un bout à l'autre. L est la seule rédaction que j'ai examinée vers par vers, en me confinant toujours à la partie de l'histoire dans laquelle Charles et les Quatre fils Aimon sont en guerre l'un contre les autres.
19 Ed. Pfaff, v. 5694-5695 (éd. Overdiep, p. 105, 11. 4-5).
20 Il s'agit de la traduction allemande en vers. Voir l'éd. Pfaff, v.5696-5699. D'après la mise-en-prose (éd. Overdiep, p. 105, 11. 5-6) les autres personnes de marque ne l'attaquent pas. Ils interviennent par contre, afin d'empêcher que Turpin n'étrangle le roi.
21 Il s'agit de CNOV. On trouve une édition de cet épisode d'après chacune de ces rédactions dans L'épisode ardennais (voir n.4), tome 2, pp. 225-233 ; tome 3, pp. 23-35 et pp. 200-209.
22 W.C. Calin, The OldFrench epic of revolt : Raoul de Cambrai, Renaud de Montauban, Gormond et Isembard. Genève etc., 1962, voir en particulier le ch. III. K.-H. Bender, König und Vasall; Untersuchungen zur Chanson de Geste des XII. Jahrhunderts. Heidelberg, 1967, Studia romanica 13, voir en particulier pp. 138-175.
23 Ed. Pfaff, v. 12.600-12.612 (éd. Overdiep, p. 177, 11.28-35). Cf. l'éd. Castets, v. 12.622-12.640, 12. 741-12.753, 12.780-12.787 et 12.891-12.914.
24 Voir p.e. l'éd. Pfaff, v. 8481-8502 (éd. Overdiep, p.135, 11.16-22). Cf. l'éd. Castets, v. 7349-7360.
25 Dans le Renout on ne trouve p.e. pas de passage parallèle du passage français dans lequel Charles ordonne de faire prisonniers Renaus et Aalart, et dans lequel il veut même tuer Renaus, nonobstant la trève qu'il a promise (éd. Castets, v. 11.791-11.799 et 11.987-12.085).
26 Dans le Renout on ne trouve p.e. pas de parallèle des vers 10.136-10.138 de l'éd. Castets. Dans le Renaus l'atmosphère de tout le passage dont ces vers font partie est plus comminatoire que dans le Renout. Cf. l'éd. Castets, v. 9934-10.250 avec l'éd. Pfaff, v. 10.662-10.745 (éd. Overdiep, p. 158, 1.32-p. 159, 1.7).
27 Il est remarquable que dans le Renaus pas mal de vols ont lieu dont le sens symbolique est l'essentiel : on s'empare p. e. de la couronne de Charles, de son sceptre et de son aigle d'or, qui sont tous des symboles du pouvoir royal. Voir p. 138 de l'étude de M. Verelst mentionnée sous n.14. D'entre les vols que M. Verelst énumère ici, il n'y en a que trois dont nous trouvons un parallèle dans le Renout : le vol des épées des pairs, la conquête de la couronne dans l'épisode de la course et l'enlèvement du roi. Une différence caractéristique entre Renaus et Renout saute aux yeux, quand on compare v. 11.626-11.633 de l'éd. Castets avec le passage parallèle du Renout (éd. Pfaff, v. 11.623-11. 627 ; éd. Overdiep, p. 168, 11.7-9) : tandis que le Maugis français s'empare de Joieuse, des épées des pairs et de la couronne royale, son pendant néerlandais s'empare des épées des pairs et de toutes les choses précieuses qu'il puisse trouver dans le coffre du sénéchal : coupes, plats, argent, or et pierres précieuses.
28 Pour le droit de Renaus et le tort de Charles, voir l'étude de M. Bender mentionnée sous n.22.
29 Un exemple : dans le Renout nous ne trouvons pas de parallèle du passage important français (éd. Castets, v. 15.025-15.067) faisant partie de l'épisode rhénan, dans lequel les pairs abandonnent Charles, parce que celui-ci persiste dans son refus de faire la paix à Renaus et de sauver de la mort Richart de Normendie. (Dans le Renout l'épisode rhénan ne figure pas en tant que tel.) Un autre exemple : au commencement de l'épisode dans lequel Maugis est fait prisonnier par Olivier, le Renout ne raconte pas, au contraire du Renaus (éd. Castets, v. 11.248-11.279), que Charles, se sentant abandonné par les pairs, veuille abdiquer.
29 Selon M. E. van den Berg le Renout est d'origine flamande. Voir E. van den Berg, 'De Karelepiek. Van voor-gedragen naar individueel gelezen literatuur', dans : Tussentijds ; bundel studies aangeboden aan W. P. Gerritsen ter gelegenheid van zijn vijftigste verjaardag, onder redactie van A.M.J. van Buuren, H.van Dijk, O.S.H. Lie e.a., Utrecht, 1985, pp.9-24. Voir en particulier pp. 13 et 23.
31 Voir le Corpus van Hiddelnederlandse teksten (tot en met net jaar 1300), uitgeg. door M. Gysseling, m.m. v. en van woordindices voorzien door W. Pijnenburg, série II : Literaire handschriften, tome 1, Fragmenten, 's-Gravenhage, 1980, p. 520. Il s'agit du fragment Ar, qui se trouve à Riga. La langue des plus grands fragments (H et Ma, conservés à La Haye et à Berlin respectivement), a des caractéristiques du moyen néerlandais de l'ouest. Voir p. e. J. Deschamps, Middelnederlandse handschriften uit Europese en Amerikaanse bibliotheken. Tentoonstelling ter gelegenheid van het honderdjarig bestaan van de Koninklijke Zuid-nederlandse Haatschappij voor taal-en letterkunde en geschiedenis. Brussel, Koninklijke Bibliotheek Albert I, 24 okt. -24 dec. 1970. Catalogus, 2e, herz. dr., Leiden, 1972, p.23.
32 Pour les pairs de Flandre, voir E. Warlop, De Vlaamse adel voor 1300, Handzame, 1968, tome 1, ch. III, § 2 et ch. V, § 2. Aux pp. 437-442 on trouve un résumé en français du contenu du tome 1.
33 Pour la chanson et pour l'Ommegang, voir H. van Hese, De rivaliteit tussen Aalst en Dendermonde, vroeger en nu, Gent, 1962, Bond der Oostvlaamse volkskundigen.
Notes de fin
* Les recherches qui ont mené à cette étude furent faites dans le cadre d’un projet de recherche qui a été subventionné pendant plus de trois ans par l’Organisation néerlandaise pour le développement de la recherche scientifique (Z.W.O., projet 301-177- 006). Mme D.E. van der Poel et MM. A.A.M. Besamusca, A.M.J. van Buuren, H. van Dijk et W.P. Gerritsen ont bien voulu lire d’un oeil critique une version antérieure de cette étude ; je les remercie de leurs remarques et suggestions utiles. Mme C. Hogetoorn a eu l’amabilité de corriger mon français.
Auteur
Université d'Utrecht
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