Roland et la richesse des Florentins dans Aquilon de Bavière
p. 777-795
Texte intégral
1La vision du monde des versions tardives de la matière de France est souvent très difficile à caractériser. Ceci s'applique plus particulièrement aux oeuvres écrites en dehors de la France et dont la naissance a nécessité une longue période de gestation, comme par exemple Aquilon de Bavière que Raffaele da Verona1, selon ses propres indications, a composé entre 1379 et 1407.
2Les historiens - même s'ils mettent l'accent sur des faits différents - s'accordent pour dire que cette époque représente une période de crise dans toute l'Europe, mais plus particulièrement en Italie : "Una fortissima contrazione demografica (...) morte di grandi assi stradali o slittamento dei traffici versi nuove arterie ; caduta della produzione 'industriale' (...) sfaldamento di sistemi agrari ; un'immane destrutturazione sociale ; profondi cambiamenti negli ordinamenti politici"2.
3Quelle contribution spécifique pouvait apporter une oeuvre comme Aquilon de Bavière3 à la compréhension du monde en cette phase de bouleversement a côté des autres genres littéraires tels que la poésie lyrique, le roman, la nouvelle, l'historiographie, le tract philosophique, politique et religieux, la lettre ou le dialogue en langue latine ou vulgaire ? Aquilon de Bavière rapporte "li grand feit" (6), c'est-à-dire des épisodes jusque-là inconnus de la matière de France, que l'auteur prétend avoir tirés des sources Dal fin et Turpin et traduits "pour caver malanconie e doner dellit e giogie a ceus che unt giantil coragie" aux "homes e (...) dames litéres et non litéres" (6).
4Vu rétrospectivement, il semble que la réduction de la situation historique complexe à une lutte entre chrétiens et païens, fonctionnant selon le schéma de la Chanson de Roland "Païens unt tort et crestiens unt dreit" (1015) - offre avant tout la possibilité de glorifier des chefs d'armée nobles en tant que protecteurs de l'intégrité territoriale de l'Occident et - comme la bataille décisive a lieu en Italie - de la péninsule. Ceci d'une part et, d'autre part, le fait que les villes de Florence, Venise et Gênes, politiquement et économiquement prédominantes, ne jouent qu'un rôle secondaire a dû beaucoup flatter l'orgueil des signori, dont l'intérêt pour la chanson de geste, genre appartenant traditionnellement à la nobilité, est attesté, entre autres, par le recueil de manuscrits des Gonzaga4 et la Guerra d'Attila5 chantant la gloire de la maison des Este. Eu égard à tous ces faits, nous sommes tentés de considérer certaines parties d'Aquilon de Bavière comme un panégyrique pour Giangaleazzo Visconti.
5Dans Aquilon, Roland est la somme de toutes les vertus. Un acrostiche dont les initiales des premiers mots (Raixon, Onor, Liberalités, Ardimant, Nobilités et Deu soit cum lui)6 forment son nom, lui est dédié. Il était donc facile au public contemporain d'associer Galeazzo, le conte di virtu, "titolo (...) che ostentava con tanta pompa"7 avec le conte de Clermont, d'autant plus que les poètes à la cour de Galeazzo ne se lassèrent pas de glorifier leur seigneur en tant que dogne virtu digna radice8 et de lui prêter, en sa qualité d'élu de Dieu, - Et per toi aerti il cel tanto te honora (...) Et de sua gratia i cel t'han si dotato9 - toutes les vertus possibles et imaginables :
Iusto, clemente, forte, temperato
Pieno di tanto senno et di prudentia,
Che sovra ognaltro principe ei exaitato
In te larghezza, in te magnificentia.
In te piacevolezza, in te saduna
Quantunque in creatura è di bontade10.
Sobrio, onesto, mansueto, altero (...)
I'veggio che la fede in te s'alletta
Con molte donne e già non è soletta :
Speranza e carità le fan compagna ;
Nel suo fonte si bagna
La largita che fal perfetto amico (...)
Giustizia e temperanza e l'altra pare
Fortezza (...)
Io non sento signore oggi nel mondo
Ch'abbia da lodar Dio quanto tu hai (...)
Io per me sol non posso veder fondo
Al fonte di virtù dove tu stai (...)
L'albero di virtù come in te veggio
De'miglìor ch'io conosca
Con te cantando andrai per l'universo,
Canzon, le sue virtù a verso a verso,
Po', fatto il tuo viaggio, a lui ritorna
E di'ch'alzi le corna
A pregar quel ch'è sopra ogni possanza,
Chè gli presta costanza
A tener le virtù che gli ha connesse :
Si ch'ai suo regno possa gir con esse11.
6Quand on sait que Giangaleazzo a été célébré comme le pater patriae, le pacificator, voire le messie12 par les auteurs de l'époque, on a du mal à concevoir le cri de guerre de l'armée de Roland "Galeaz, li bon chevaler" (786), "Galeaz, li sant chevaler (787 s) sans aucun rapport avec le conte di virtù13, se considérant lui-même et considéré par d'autres comme digne de la couronne14. Galeaz, le plus saint chevalier de la matière de Bretagne, annonce au meilleur chevalier de la matière de France que Dieu l'a toujours assisté de ses anges et qu'il l'accueillera dans son royaume. Avec l'aide céleste de Galeaz, Roland triomphe définitivement de l'armée éthiopienne du roi Malduc.
7L'osmose insinuée entre Roland et Giangaleazzo Visconti nous paraît être attestée également par un court passage qui vient juste après la victoire. Il se rapporte directement à un problème politique contemporain : sous quel signe l'Italie doit-elle être unifiée, sous le signe de la "signoria" des Visconti, ou bien sous celui de la constitution communale d'observance florentine ? Nous interprétons ce passage comme un habile morceau de littérature de propagande, qu'on ne peut comprendre adéquatement que si on le reporte sur le véhément conflit idéologique entre Florence et Milan au temps de Giangaleazzo, que Hans Baron a très justement qualifié de "war of ideas which had accompanied the contest of diplomacy and of arms (...)"15.
Roland, l'élu de Dieu, distribue le butin :
E pois fist domander li Fiorentins che forent venus a la bataile e tout cil Alpins che abiterent in les Alpes, e li dona tout li texor, la somarie che avoit cum soi li roi Malduc, e insimant armes e cival, che por lor non torent niant, for solemant li cival che torent cellor che li ont afanés. E devés savoir, segond cum li cont devixe, che cestor richeze fu tant magne ch'eie fu caixon de metre Fiorenze in la possanze ch'elle est a prexent, che prime non estoit tant renomee ; e la raxon porcoi, vos devés savoir che depois la nativités de Notre Sire quatre cent ans, li roi de Ungarie, che fu apellés Atilla flagielum Dei, desfist grand part de Itallie, e Fiorenze fu une de les teres che furent destrutes. E allor estoit iiiicxl. ans che la terre estoit desfate, e non estoit mie ancor trop bien refate. Mes les grand richezes de li roi Malduc/ 161 rb/li fist cum poés veoir, che depois avant li furent de ceus Alpins che por li grand texor che gua-gnerent a cil pont soi ferent grand omes e puisant de castiaus e de grand tenimant cum forent li Ubaldins e de les autres che abiterent in les Alpes. E non feit a merveiler se cist roy avoit tante richece cum soi, che, segond che dist Dalfin, in cil pais se trove plus or e arzant che non feit deza Rome, e bien dist che li texor de li Etiopians valloit plus che trois tel cités, cum in lor valoit Fiorenze, e por tant non est mervoile se celle terre est de tante richeze (7991 7 95)
8Roland fait venir Florentins et Alpins pour leur offrir des cadeaux. Le fait que les Florentins font partie de la fête est surprenant, étant donné que - au contraire des autres groupes - il n'a pas été fait mention d'eux une seule fois pendant la bataille décisive, et ils n'ont participé à aucune des batailles antérieures. Le cadeau aux Florentins n'est donc absolument pas mérité. Il devient d'autant plus problématique qu'il les écarte de l'entourage de Roland, lequel ne prend pour lui et ses compagnons d'armes - bien qu'en fait tout leur appartenait - que le iustum pretium : " (...) che por lor non torent niant, for solemant li cival che torent cellor che li ont afanés". Par ce désintéressement total envers des biens matériels, Roland soutient encore une fois sa réputation de chevalier idéal dont l'une des principales vertus est liberalités (387, 398). Comme nous l'avons souligné ailleurs, Roland tend ainsi vers la non-possession par laquelle il s'oppose aux Florentins, ceux-ci passant pour être l'incarnation de l'homo oeconomicus. L'auteur, parfaitement conscient de la force explosive de son argumentation, se sert de procédés stylistiques traditionnels comme l'apostrophe et la référence à la source - "E devés savoir, segond cum li cont devixe (...)" -, pour soutenir sa thèse principale : la richesse de Florence n'est rien d'autre que la conséquence du cadeau de Roland. C'est ainsi qu'il attaque de front cette image en cours des Florentins, particulièrement en vogue depuis les guerres avec les Visconti, selon laquelle la richesse de la ville proviendrait du commerce, de la constitution communale libérale et hostile à toutes les tyrannies, ainsi que du travail accompli par ses illustres citoyens, les uomini illustri16.
9L'attribution du tournant décisif dans la destinée de la ville de Florence au cadeau de Roland se trouve en opposition totale avec la riche historiographie florentine dont le but a toujours été d'apporter les preuves de la précellence de la ville depuis sa fondation afin de la soustraire autant que possible a la contingence et de la protéger pour ainsi dire ontologiquement. A l'instar de beaucoup d'autres villes - mais avec plus de verve - les Florentins prétendaient avoir été fondés par Rome : "According to the Chronica [de origine civitatis], Florence was founded ex flore hominum Romanorum (...) and she was a parva Roma (...) Thus she was marked out for a special destiny from her very beginnings, and in the earliest Florentine history prophecy and history were intertwined"17. Vers 1400 les écrivains politiques de Florence se sont évertués à déformer le passé romain de façon à ce qu'il pût satisfaire à la fois aux exigences humanistes de l'interprétation affranchie des accessoires mythologiques qu'à l'image républicaine : les débuts de la ville ne devaient plus être attribués au tyran César, mais à la république romaine. S'appuyant sur le Bellum Catilinae de Sallus-te, le second discours de Cicéron contre Catilina, et Taci-tus, Coluccio Salutati et Leonardo Bruni prétendaient que Florence avait été fondée par les vétérans de Sulla :
10"Haec igitur splendidissima Romanorum colonia eo maxime tempore deducta est, quo Populi Romani imperium maxime florebat, quo potentissimi reges et bellicosissimae gentes armis ac virtute domitae erant (...) nichil calamitatis Populo Romano ab ullis hostibus inflictum erat, nondum Caesares Antonii Tiberii Neronis pestes atque exitia reipublicae libertatem sustulerant. Sed vigebat sancta et inconcussa libertas, quae tamen non multo post hanc coloniam deductam a sceleratissimis latronibus sublalata est, ex quo illud evenire arbitror, quod in hac civitate egregie praeter cetera et fuisse et esse videmus, ut Fiorentini homines maxime omni libertate gaudeant et tyrannorum valde sint inimici (...) et simul intellegeretur, recto illo tempore hanc coloniam deductam fuisse, quo urbs Romana potentia libertate ingeniis clarissimis civibus maxime florebat. Nam postea quam respublica in unius potestatem deducta est, praeclara illa ingenia, ut inquit Cornelius, abiere, ut plurimum intersit, tunc an inferiori tempore a colonia haec fuerit deducta, cum ita iam omnis virtus ac nobilitas Romanae urbis extirpata erat, ut nichil praeclarum neque egregium, qui ex ea migrabant, secum possent offerre"18.
11Les savants propagandistes florentins en déduisirent que leur ville avait été, dès le début, un asile de liberté républicaine et de vertu et survivrait en tant que tel, alors que le règne d'un seul homme, glorifié par Antonio Loschi au service des Visconti, mènerait tôt ou tard à la décadence : à un Auguste succède nécessairement un Néron.
12Ne disposant pas d'informations sûres sur la vie de Raffaele, il ne nous est pas possible de dire à quel point il était instruit de la polémique contemporaine entre Milan et Florence. Par contre, et ceci en dépit de toute différence dans le ton, nous croyons reconnaître une parenté relativement étroite entre son argumentation et celle du porte-parole des Milanais, Antonio Loschi.
13Pour Loschi, les Florentins, les ennemis de son maître Giangaleazzo, sont des "perditissimi cives, vastatores patriae et quietis Italiae turbatores", dont la politique ne consiste qu'en "praestigia"19 criminels. Il leur conteste donc toute compétence guerrière - et c'est en ceci qu'il peut avoir influencé Raffaele -, alors que Coluccio Salutati, le chancellier de la ville sur l'Arno, lui, prétend à plusieurs reprises que c'est par la richesse et l'épée - opibus ferroque20 - que Florence défendait sa liberté. En outre, Loschi polémique contre la thèse centrale des Florentins selon laquelle ceux-ci seraient d'origine romaine, ce qui a attiré une violente réplique de la part de Salutati :
Verum cum negare videaris Florentinos genus esse romanum, dic, precor, ubinam contrarium repperisti ? Cur nobis invides quod, praeter te solum, tota consentit Italia, quod nullus unquam, nisi tu, teterrima belua, contradixit, quod urbs Roma romanique principes nullis unquam temporibus negaverunt, sed nos filios, carnem ex carne sua et ossa ex ossibus suis etiam in singula-rem sui nominis honorem et gloriam reputant atque vocant ? Quoque te pudeat hoc in dubitationem stultissime revocasse, volo referre quid sentiam de tantae civitatis origine, et his auctoribus quos adducere potero confirmare ut, postquam alio tibi dicendum loco reservasti quam impudenter praedicemus nos genus esse romanum, et auferam tibi delirandi materiam et occasionem exhibeam rectius sentiendi21.
14Raffaele non plus ne fait pas la moindre mention de l'origine romaine de Florence, mais invoque comme premier fait la destruction de la ville par "Attila flagellum Dei" en l'an 400 après Jésus-Christ. L'histoire de Florence n'est donc pas significative pour elle-même, mais uniquement en tant que partie intégrante de l'histoire sainte et de celle de l'Italie "Attila (...) desfist grand part de Itallie, e Fiorenze fu une de les teres che furent destrutes". La longueur du temps qu'il a fallu pour reconstruire la ville -440 années sont beaucoup, même pour les conditions moyenâgeuses - et la sentence "e non estoit mie ancor trop bien refate" ne mettent pas à jour des qualités exceptionnelles des Florentins ...
15La destruction de la ville par Attila/Totila joue également un grand rôle dans l'historiographie florentine, étant donné que c'est elle qui a amené la splendide fondation nouvelle de Florence par personne autre que Charlemagne. "The legend that Charlemagne had rebuilt the city of Florence after her alleged destruction by Totila placed the chief emphasis on the fact that the royal helper had been a king of France. In fact, the idea that Florence owed her second founding to the 'French' emperor and patron saint of the Guelphs appealed so greatly to the Florentine citizens that their adherence to the legend of Charlemagne also saved their faith in the taies about Totila. Whereas Leonardo Bruni's Historiae succeded in destroying the story of the original founding of Florence by Caesar, the story of Florence's destruction by Totila, like that of her refounding by Charlemagne, retained wide, currency in the Quattrocento in spite of Bruni's penetraiting criticism"22.
16La substitution de Charlemagne par Roland dans Aquilon de Bavière est, d'une part, dans la tradition de la poésie épique franco-italienne23 dépréciant l'empereur au profit de Roland de plus en plus italianisé ; d'autre part, elle offre la possibilité idéale d'associer une fois de plus Roland avec Giangaleazzo, le pater patriae, le pacificateur qui, grâce à sa victoire et à sa générosité, a jeté les bases de la richesse de la région. L'affirmation suivante selon laquelle les trésors de Malduc auraient fourni l'occasion à certains de se doter de riches propriétés dans les Alpes et de devenir de "grand omes" est un argument indirect contre la fierté que tire la ville de ses vertus républicaines et communales.
17Ceci est dans notre perspective d'une importance centrale, étant donné que le seul nom cité - Ubaldini - a la valeur d'un signal dans l'histoire de Florence et possède des contours uniques. L'ensemble du Trecento est empreint de conflits entre la commune et la famille de magnats d'origine gibeline qui possède de riches terres dans le contado. Nous ne choisirons que quelques-uns des événements les plus importants. Entre 1305 et 1310, la commune dut enrôler des mercenaires pour pouvoir faire la guerre à Pistoia, Arezzo et les Ubaldini. En 1340 ils se rébellèrent aux côtés des Bardi, des Frescobaldi et d'autres lignées féodales contre la politique extérieure proguelfe de Florence ; en 1347 les Ubaldini firent partie de ceux qui réservèrent un accueil ostentatif d'amitié au roi de Hongri ; 1351 : ils brûlèrent (en tant qu'alliés de Giovanni Visconti) Firenzuola ; 1352 : ils prêtèrent leur appui au condottiere Luchino dal Verme, opérant au service de Milan. La tentative de la commune " (...) to extend republican jurisdiction into the outer reaches of the countryside and to bring these remote territories 'under the arm of communal justice' was accelerated in the late 1370 s and culminated in 1384 with the destruction of the liberties, immunities and exemptions of the great Fiorentine feudatories, the Counts Guidi and Ubaldini"24.
18Dans notre contexte, il est de la plus haute importance qu'un membre de la famille des Ubaldini ait fait la déposition suivante au cours d'un procès contre Ser Ludovico di Ser Paolo de città di Castello le 7 février 1402, c'est-à-dire au sommet de la tension entre Florence et les Visconti :
19"Io veggio tucti i gentili uomini dintorno acostarsi col duca de Melano, e se io m'indugio ad accostarmi col detto duca de Melano, forse a tale ora vorro ch'io non potro, pero come sai, Bartolomeo da Pietramala è mio nimico e se io non mi concio a buon ora, elli mi potrebbe notare"25.
20Richesse et sécurité sont associées avec Giangaleazzo Visconti. Un auteur qui, - dans le sens du conte di virtù -voulait faire de la propagande pour la signoria, avait donc toutes les raisons de prendre la famille des Ubaldini comme exemple.
21Raffaele a ainsi préparé le terrain au coup de grâce à la conscience de soi des Florentins. Pour faire voir la portée de son argumentation sous son vrai jour, nous nous proposons de citer tout d'abord l'hymne de Salutati à sa ville, qui - en tant que réponse à l'invective de Loschi -comprend tous les lieux communs :
Non credam Antonium Luschum meum, qui Florentiam vidit, nec aliquem alium, quisquis fuerit, si florentinam viderit urbem istam, esse vere florem et electissimam Italiae portionem, nisi prorsus desipiat, negaturum. Quaenam urbs, non in Italia solum, sed in universo terrarum orbe, est meonibus tutior, superbior palatiis, ornatior templis, formosior aedificiis, quae porticu clarior, platea speciosior, viarum amplitudine laetior, quae populo maior, gloriosior civibus, inexhaustior divitiis, cultior agris ; quae gratior situ, salubrior caelo, mundior caeno ; quae puteis crebrior, aquis suavior, operosior artibus, admirabilior omnibus ; quaenam aedificatior villis, potentior oppidis, municipibus numerosior, agricolis abundantior ; quae civitas portu carens tot invehit, tot emittit ? Ubi mercatura maior, varietate rerum copiosior, ingeniis-que subtilioribus excitatior ? Ubinam viri clariores ? Et, ut infinitos omittam quos recensere taedium foret, rebus gestis insignes, armis strenuos, potentes iustis dominationibus et famosos ? ubi Dantes ? ubi Petrarca ? ubi Boccaccius ? Dic, precor, ubinam summum Italiae loco virisque, foedissima belua, poteris assigna-re, si Fiorentini sique Florentia faex Italiae dici possunt ? Vellet Deus quod, stante gloria stanteque Republica Fiorentina in eo quod est libertatis atque potentia, talis esset, si tamen esse potest, reliqua mediae nominationis Italia, quod comparati ceteris Fiorentini faex Italiae dici possent. Verum quia tantus excessus rebus his corruptibilibus impossibilis prorsus est, pudeat te, spurcissimorum spurcissime, stercus et egeries Lombardorum, vel potius Longobardo-rum, Florentinos, verum et unicum italiae decus, faecem Italiae nominare !
22Raffaele n'entre pas dans les détails de ce panégyrique, qui possède beaucoup de précurseurs, mais constate lapidairement - en s'appuyant à deux reprises sur Dalfin pour donner plus de crédibilité à sa thèse - qu'au pays de Malduc "se trove plus or e arzant che non feit deza Rome (...) li texor de li Etiopians valloit plus che trois tel cités cum in lor valoit Fiorenze : e por tant non est mervoile se celle terre est de tante richeze." On est en droit de supposer que l'auteur pieux se réfère ici à la parabole des talents (Matthieu 25, 14-30 ; Luc 19, 12-27), les serviteurs étant tenus, pour soutenir leur épreuve devant Dieu, de faire fructifier les leurs. Mais les Florentins n'en sont pas capables ; pire que le pire des serviteurs de la parabole, ils ont même perdu une partie de la somme qu'on leur avait confiée. Leur valeur morale est donc nulle.
23La brève entrée en scène des Florentins dans Aquilon de Bavière se termine par cet épisode ; ils ne participent nulle part aux luttes postérieures pour la libération du monde chrétien.
24Une fois ce passage court mais hautement politique replacé dans le contexte de l'époque, il apparaît que la thèse, selon laquelle l'auteur tient ici à défendre la "signoria" comme la forme étatique idéale pour l'Italie, est justifiée : à l'origine de la richesse de tous - y compris des Florentins -, il y a le meilleur chevalier et ses nombreux exploits héroïques, sans lesquels l'Italie et l'ensemble de l'Occident seraient menacés dans leur existence26. Le vêtement carolingien de son récit permet à Raffaele d'être beaucoup plus modéré dans son argumentation que le polémiste Antonio Loschi. Son point de vue idéologique est, par contre, identique.
Notes de bas de page
1 Le problème de l'auteur a été traité en tout dernier lieu par Peter Wunderli, Un nuovo autore dell'Aquilon de Bavière' in Vox Romanica 43/1984, pp. 81-84, discutant toutes les thèses avancées jusque-là.
2 Ruggiero Romano, Tra due crisi : l'Italia del Rinascimento, Torino 1971, pp. 15, 16
3 Les indications de page entre parenthèses se rapportent à Raffaele da Verona, Aquilon de Bavière - Introduction, édition et commentaire par Peter Wunderli, 2 vol., Tübingen 1982
4 Cf. W. Braghirolli, P. Meyer, G. Paris, Inventaire des manuscrits en langue française possédés par Francesco Gonzaga I, in Romania IX/1880, pp. 497-511 ; P. Rajna, Ricordi di codici francesi posseduti degli Estensi nel sec. xv, in Romania II/1873, pp. 49-58.
5 Guido Stendardo (éd.), Niccolà da Casola, La Guerra d'Attila, 2 vol. Modena 1941.
6 Aquilon, pp. 398 et 387 ; cf. aussi Henning Krauss, Metamorfosi di Orlando nell' 'Aquilon de Bavière', in Atti e Memorie dell'Accademia Patavina di Scienze, Lettere ed Arti, vol. XCV (1982-83), Parte III : Classe di Scienze Morali, Lettere ed Arti, pp. 425-440.
7 Giorgio Giulini, Memorie spettanti alla storia, al governo ed alla descrizione della città e campagna di Milano ne'secoli bassi, vol. V, Milano 1856, p. 717.
8 Giuseppe Ferraro (éd.), Alcune poesie inedite del Saviozzo e di altri autori, Scelta di curiosità letterarie inedite o rare, CLXVIII, Bologna2 1968, p. 34.
9 Passim
10 G. Ferraro, op. cit., pp. 34, 35
11 E. Sarteschi (éd.), Poesie minori del secolo xiv, Scelta di curiosità letterarie inedite o rare, LXXVII, Bologna2 1968, pp. 36, 37, 38.
12 Cf. Hans Baron, The Crisis of the Early Itali an Renaissance - Civic Humanism and Republican Liberty in an Age of Classicism and Tyranny, Princeton2 1966, pp. 37, 38 ; cf. aussi Giovanni da Schio, Sulla vita e sugli scritti di Antonio Loschi vicontino, uomo di lettere e di stato, Padova 1858 ; A. Medin, Letteratura poetica viscontea, in Archivio Storico Lombardo XIL, 1885, pp. 568-581 ; C. Cipolla/F. Pellegrini, Poesie ainori riguardanti gli Scaligeri, in Bullettino dell'Istituto Storico Italiano, 24/19o2, pp. 172 ss. ; Ezio Levi, Francesco di Vanozzo e la livica nelle corti lombarde durante la seconda metà del secolo xiv, Firenze 1908, pp. 254-279 ; N. Valeri, L'insegamento di Giangaleazzo Visconti e i consigli al principe di Carlo Malatesta, in Bollettino Storico-Bibliografico Subalpino XXXVI/1934 pp. 452-487 ; D.M. Bueno de Mesquita, Giangaleazzo Visconti, Duke of Milan (1351-1402) - A study in the politicai carreer of an Italian despot, Cambridge 1941, pp. 301-319.
13 Dans son analyse de Cantilena pro comite Virtutum (1388), Ezio Levi, op. cit., p. 259, attire l'attention sur le fait suivant, important dans notre contexte : "Le bastie capitolarano una dopo l'altra, i seragli venivano abattuti, i marescalchi disertavano con le loro truppe, mentre i contadini percorrevano le strade maestre gridando a squarciagolo : 'Galeazzo, Galeazzo ! Ormai gli occhi di tutti si affissavano sul signore di Milano".
14 G. Giulini, op. cit., p. 678 ; la commune de Pavia p. ex. écrivit en 1402, Giangaleazzo serait "Totius Italiae Diadematis non immerito digno", cité d'après Carlo Magenta, I Vixconti e gli Sforza nel Castello di Pavia, 2 vol., Milano 1883, I, p. 210, 18 mai 1402.
15 Baron, Crisis, op. cit., p. 36.
16 "Coluccio sostenne con forza l'idea che nelle libere città sovrano è il popolo : a Firenze, Città di artigiani e di mercatores, non di cavalieri e soldati, città pacifica e operosa, governano le arti e le tiranni de doveva essere bandita. Dei mercatores Coluccio fa di continuo l'elogio : 'genere d'uomini necessario al consorzio umano, senza i quali non potremmo vivere' - scrive ai Perugini nell'81. E (...) agli scabini e ai borgomastri di Bruges tesse l'elogio di quelli che chiama i padri della mercatura, necessaria al mondo, e che deve esser difesa 'velut pupilla oculi' (...) L'ideale politico di Salutati si definisce nell'89, nell'urto col Visconti. "Noi città di popolani, dediti soltanto alla mercatura, ma liberi e per questo odiatissimi ; noi, non solo fedeli alla libertà in patria, ma difensori della libertà oltre i nostri confini, siamo noi che vogliano la pace necessaria per conservare la dolce libertà". "Eugenio Garin, I cancellieri umanisti della repubblica fiorentina da Coluccio Salutati a Bartolomeo Scala, in Rivista Storica Italiana, 71/1959, pp. 195, 196 ; cf. aussi Baron, Crisis, op. cit., pp. 28, 74 ss, 95
17 Donald Weinstein, The Myth of Florence, in Nicolai Rubinstein (éd.), Florentine Studies - Politics and Society in Renaissance Florence, London 1968, p. 21 cf. aussi Marvin B. Becker, Florence in Transition, vol. II, Baltimore 1968, pp. 202, 203 :
"Whole groups of prophecies composed in the seventies and eighties made the polis an object of religious veneration. Even the most agitated mystic appeared to find rest and some solace in the contemplation of this blessed civitas. Hope for politicai reform as well as for spiritual renovatio focused on the state : under Fiorentine leadership Italy will be renewed and peace and libertas assured ; later, Florence, the "new great city" and "daughter of Rome", would work to heal the dread schism : soon the "bella città" will extend her rule over her neighbors, bringing happiness and libertas to those opposing the Lombard Visconti of Milan. Predictions casting Florence in the role of savior and agent of renovatio multiplied (...)".
18 Leonardi Bruni Aretini Laudatio Florentinae urbis, in Theodor Klette, Beiträge zur Geschichte und Literatur der Italienischen Gelehrtenrenaissance, Greifswald 1888, Neudruck Hildesheim/New York 1970, pp. 91-94.
19 Colluccio Salutati, Invectiva in Antonium Loschium Vicentinum, in Eugenio Garin (éd.), Prosatori Latini del Quattrocento, Milano/Napoli 1952, p. 8. Le texte du pamphlet de Loschi n'est transmis que dans la réponse de Saluti.
20 Ibid. p. 14 ; cf. aussi p. 34.
21 "Et, ut ad nos redeam, cum perstet animus, suppetant vires, adsit et virtus, fines nostros confidimus nos sine dubio defensum ire. Et licet, ut subdis, tu sane non videas tantum virium nobis esse, ut quattuor equitum legionibus, tot enim, ut inquis, contra nos armantur, possimus obstare, videmus et sentimus nos, qui scimus audaciam in bello pro muro heberi, qui novimus victoriam non in exercitus multitudine, sed in manibus Dei esse, qui scimus pronobis esse iustitiam, qui recordamur, quod tu negas, nos genus esse romanum, qui legimus majores nostros contra vim maximam hostium saepissime restitisse, parvaque manu non solum defendisse res suas, sed insperatam habuisse victoriam ...
22 Baron, Crisis, op. cit., pp. 97, 98.
23 Cf. Henning Krauss, Epica feudale e pubblico borghese - Per la storia poetica di Caxlomagno in Italia (a cura di A. Fasso), Padova 1980.
24 Marvin B. Becker, Florence in Transition, vol. 2, Baltimore 1968, p. 127.
25 Cf. Gene Brucker, The Civic World of early Renaissance Florence, Princeton 1977, p. 127.
26 Le passage suivant, qui précède la bataille décisive, pourrait fournir matière à objection à notre interprétation :
Depois mant jor li cont soi parti de Rome cum licencie de l'apostolice cum sa compagnie, e forent cinc cent omes a cival. E verent a Blavie, ce est Fiorenze, o il furent molt bien receus e honorés da li Fiorentins, por coi le amerent de bon amor, che a lor paroit ch'il fust de lor nacion. Che segond che dist li contes, quand li dus Millon fu in band de Paris, il demora asutri in cil pais, e li cont amoit lor de bon talant.
En effet, on est en droit de se demander si l'amour réciproque entre le Roland franco-italien, qui, selon la tradition, est né à Sutri, et les Florentins n'est pas en opposition avec la situation actuelle a laquelle nous nous sommes référés dans notre interprétation. Cependant, nous pensons que ce passage se laisse facilement expliquer dans la perspective pro-Visconti de l'auteur que nous avons supposée. Celui qui veut présenter Giangaleazzo - dans l'habit épique de Roland - comme pacificateur et unificateur, celui-ci a beaucoup intérêt à minimiser le conflit actuel en rendant caduque l'opposition entre les deux parties. Il pourrait aussi être pris comme invitation à Florence de se rallier aux autres communes (f. Baron, Crisis, op.cit.) "The never-ceasing expansion of the Milanese empire had been justified from the first by Italy's need for national strength and peace through unification by the power of one ruler. If one after another of the old city-states of northern and central Italy gave themselves up to the Visconti as Lord - even before the appearance of Milanese troops made this last step inevitable - the cause was note merely and not always expediency. In every Italian province and town there had been a pro-Viscontean groupe, inspired by Viscon-tean propaganda as well as Viscontean money. Whereas in all preceding and later centuries the spirit of autonomy in Italian towns, and their pride in the glorious past of civic liberty, were loath to die, we hear of almost no protests in the name of liberty against the triumph of tyranny in the hectic decades of Giangaleazzo's advance - except in Florence. From all the occupied towns there was a steady accretion to the Milanese camp of writers and humanists who were ready to celebrate the Viscontean conquests as the long over-due and hoped-for defeat of particularism and unending strife.
C'est dans ce sens qu'argumente Saviozzo, qui, dans huit sonnets, fait apparaître les villes les plus importantes d'Italie - dont Florence évidemment - reconnaissant en Giangaleazzo leur messie :
Una dopo l'altra sfilano davanti al sovrano le città lombarde chiedendo, a sollievo dei loro mali provocati dalle parti, la sua signoria ; Venezia gli offre il porto per imbarcare le truppe che dovevano liberare il Santo Sepolcro dopo aver spazzato di Lombardia "ogni signore", Ferrara protende la sua regale insegna, Bologna si rallegra che la servitù al potere pontificio, procuratale da Giovanni Visconti da Oleggio, da un altro Visconti sia rotta : Firenze mossa da libertà apre le sue porte al Signore, seguita ed imitata da Perugia, Siena, Arezzo, Lucca e Pisa ; Rimini si fa avanti "zettandoli in le braccia ogni persona", e poi vengono Ancona e Viterbo e Udine. Il coro dele venti città è chiuso dalla solenne voce di Roma.
Io son la negra Roma che l'aspetto
per farmi bella con pulita lena :
e non dubbiar che zo che a te lui mena
è'l priego mio che al cielo ogni di zetto...
Alla fine il poeta si congeda dal suo poemetto con questo bellissimo "commiato" :
Donque correte ensienne, o sparse rime
e zite predigando in ogni via
che Italia ride ez è zunto il Messi (1)
Ezio Levi, Vannozzo, op. cit. p. 260.
Auteur
Université d'Augsbourg
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