Le sort de Fierabras en Allemagne
p. 717-735
Texte intégral
1Il est bien connu que la fortune de la Chanson de Roland a décliné vers la fin du xive siècle. La vieille Chanson a été évincée par une oeuvre qui raconte encore, entre autres, la bataille de Roncevaux : la geste de Galien le Restoré, et par une autre, dans laquelle les allusions à Roncevaux fourmillent, mais dont l'intrigue se place dans l'heureuse période qui précède le cataclysme, l'histoire de Fierabras. Mais tandis que, dans Galien, "Roncevaux n'est plus qu'un événement parmi d'autres"1, dans Fierabras, la future catastrophe est supposée connue des lecteurs - car il s'agit maintenant de lecteurs -, qui se réjouissent des prouesses d'héros dont ils savent qu'ils mourront sous peu -pour une cause, il est vrai, qu'on ne comprend plus très bien. Le public ne veut plus s'instruire mais se divertir dans ces temps particulièrement durs de guerres éternelles. Aussi est-il charmé par la courtoisie du géant Fierabras et enchanté par la beauté de sa soeur Floripes, qui - évidemment - finiront tous les deux non seulement par être baptisés par la force de Dieu, c'est-à-dire des chrétiens, mais qui aspirent même au baptême pour des raisons - soit - assez terrestres : Fierabras parce qu'il a été vaincu par la noblesse supérieure d'Olivier qu'il admire, le noble de coeur qu'il est lui-même, et sa soeur parce qu'elle veut épouser son Guy de Bourgogne. Toujours est-il que la geste de Fierabras et de Floripes - notons que les héros principaux sont maintenant des païens ! - fascine, plus encore que Galien le Restoré, l'Europe littéraire entière. En effet, elle a été si fameuse que Jehan Bagnyon, citoyen hautement respecté de la ville de Lausanne, en constituait la deuxième partie de son grand ouvrage La Conqveste du grand roy Charlemaigne des Espaignes2 (composé à la demande du chanoine Henri Bolomier, qui a joué un rôle important à la cour de Savoie au xve siècle), ouvrage publié pour la première fois à Genève en 1478. C'est grâce à la mise en prose de la vieille chanson en alexandrins par Bagnyon que l'histoire de Fierabras et de Floripes s'est répandue littéralement dans le monde entier3.
2Mais nous ne pensons pas tellement ici aux vieux Cantari de Fiorabraccia e Ulivieri italiens ni au Sowdone of Babylon anglais ni au poème perdu en moyen néerlandais (dont le fragment d'une seule page du xive siècle, conservé autrefois dans les Archives Municipales de Bourbourg près de Dunkerque, est égaré maintenant4), qui tous les trois remontent à la vieille chanson de geste en alexandrins du xiiie siècle. C'est ce que fait aussi l'adaptation de Bagnyon, mais - contrairement aux autres traditions - celle-ci a eu la fortune d'avoir été traduite en anglais par William Caxton (imprimée en 1485)5 et en espagnol par un auteur dont le pseudonyme est Nicolas de Piamonte6, dont l'oeuvre a été rendue en outre en portugais par Jeronimo Moreya de Carvalho (sa première édition date de 1728) ; cette branche ibéro-romane a atteint même le Nouveau Monde et a été transposée en matière théâtrale par des curés du Nord du Portugal et des régions basques7.
3Aujourd'hui, nous aimerions discuter encore d'une autre lignée, à savoir de la connexion allemande, qui se distingue des traductions de Caxton et de Nicolas de Piamonte (et par conséquent de celle de Jeronimo Moreya de Carvalho) par le fait que ce n'est que la deuxième partie de l'ouvrage de Bagnyon qui a été l'objet d'une adaptation en allemand. Celle-ci fut publiée en 1533 par les presses de Hieronymus Rodler à Simmern dans le Hunsrück (région montagneuse entre la Moselle et le Palatinat) avec le titre de Fierrabras. Eyn schóne kurtzweilige Histori von eym màchtigẽ Riesen auss Hispaniẽ/ Fierrabras gnant / der eyn Heyd gewest/ vnd bei zeiten des Durchleuchtigsten grossen Keyser Karls gelebt / sich in kämpffen vnnd in streitten dapfferlich /grossmüttig / mañlich vnnd eerlich gehalten hat8 ('Fierabras. Une belle histoire amusante d'un géant énorme d'Hispanie appelé Fierabras, qui a été un païen et a vécu du temps du monseigneur le grand empereur Charles (et qui) s'est maintenu vaillamment, généreusement, courageusement et honnêtement dans les combats et les luttes'). Rodler était le secrétaire du duc Jean II de Palatinat-Simmern, qui appartenait à la famille princière des Wittelsbach de Bavière. Un grand admirateur de Maximilien Ier d'Autriche, Jean II participait comme celui-ci activement à la publication des oeuvres de ses presses : il est l'auteur d'au moins quatre gravures sur bois, et il est hors de doute que c'est lui-même qui a traduit Fierabras ainsi que Les Quatre Fils Aymon, publié deux ans plus tard.
4L'intérêt pour la littérature était une affaire de famille chez le duc, car sa mère était la petite-fille de cette comtesse Elisabeth de Nassau-Sarrebruck qui introduisit la première en Allemagne des romans en prose de la littérature française du moyen âge en publiant en 1437 une traduction de Lohier et Mailer et plus tard de Hugues Capet9. Mais Jean II publia ses propres traductions à un moment où les romans de chevalerie en prose étaient déjà devenus le bien de larges couches sociales et que des bourgeois avaient pris la relève des nobles comme traducteurs ; voilà pourquoi le duc fit paraître probablement ces produits de ses loisirs anonymement. Mais qu'il soit l'auteur des deux traductions n'étonne pas, car la langue française était parlée couramment a la cour de Simmern, et le duc envoya le fils aîné, le futur électeur Philippe III du Palatinat, pour l'éducation à la cour française des ducs de Lorraine et puis du prince-évêque de Liège.
5La forme facile et libre de la traduction témoigne d'une familiarité extraordinaire avec la langue française10, et la grande fidélité à l'égard de son modèle - qui n'est surpassée que par Caxton, dont le texte n'est souvent plus anglais - témoigne d'un sens d'historicité rare au xvie siècle. Ce sens pour l'historicité se révèle aussi dans la préface à sa traduction des Quatre Fils Aymon de 1535, où il essaie de rendre plausibles au lecteur les événements merveilleux et les traits fabuleux : Jean II y tente de prouver la force et la stature surhumaine de Charlemagne et de ses Pairs par des exemples trouvés dans la Bible ; de même, il y y signale que des ancêtres de familles nobles devaient dépasser les hommes vivants en force et en grandeur (nous traduisons) : "Ainsi j'ai vu d'une part le portrait, les proportions et les membres de mes propres ancêtres, et entendu d'autre part oralement de nobles qu'ils ne réussissaient pas à soulever des deux mains de pareils épées et boucliers"11. Cette observation prouve d'ailleurs que le traducteur a appartenu sans doute à la noblesse.
6En outre, Jean II a fort développé la fin du roman, où Floripes montre à Charlemagne la sainte Couronne d'épines du Christ, que Fierabras avait enlevée au pape et rendue à son père l'amiral Balan et que Floripes conservait (nous traduisons) : "L'empereur Charlemagne s'agenouilla des deux genoux avec dévotion et demanda à l'évêque de découvrir la relique. C'est ce qu'il fit, et tout d'abord il montra la précieuse Couronne d'épines de notre Monseigneur Jésus-Christ. Alors les chevaliers étaient pleins de dévotion et de divin recueillement. L'évêque, qui était un homme pieux et sage, voulait essayer s'il s'agissait de la vraie couronne et non d'une autre ; aussi souleva-t-il la couronne et en enleva-t-il la main, et, grâce à Dieu, elle resta en l'air sans être soutenue. Alors l'évêque assura les gens présents qu'il s'agissait [en effet] de la Couronne dont notre Seigneur Jésus-Christ fut couronné. Alors elle fut adorée religieusement par tout le monde, et une délicieuse odeur émana d'elle"12. Bagnyon avait seulement écrit : "L'Empereur Charles se mit à genoux, puis dit à l'Euesque qu'il les descouurit [c. -à-d. les reliques], ce qu'il fit : premièrement il monstra la precieuse Couronne de lesus-Christ, qui estoit d'espi-nes poignantes, & de ioncs marins. En grande deuotion fut monstrée & adorée, & ploroient plusieurs la mort de lesus-Christ, & furent en grande deuotion & contemplation. L'Euesque, qui estoit deuot & sage homme, la voulut esprouuer, & la leua haut en l'air, & retira sa main, & la Couronne se tint en l'air. Et adonc l'Euesque certifia au peuple qu'estoit present, que c'estoit la Couronne de lesus-Christ, laquelle lui fut mise sur la teste à sa passion. Ainsi chacun l'adora deuotement, & estoit moult odoriferante13. Jean II avait donc gardé l'épisode dans son entité, et même amplifié par-ci et par-là, comme il le fera aussi avec la fin pieuse de Renaud de Montauban14. Il n'y a pas de doute : Jean II a fait partie de la noblesse catholique de l'Allemagne15, mais il prêche encore la tolérance d'une religion pour une autre dans ce passage remarquable ajouté au texte de Bagnyon lors de l'armement de Fierabras par Olivier (nous traduisons) : "Il faut attirer l'attention de ceux qui sont séparés en religion qu'alors, ceux qui pourtant étaient là pour se faire mortellement la guerre, étaient serviables les uns aux autres ... Je crois qu'il plairait beaucoup à Dieu si une telle nobilité pourrait être trouvée parmi les chrétiens [d'aujourd'hui]16.
7A part cela, on peut déceler dans la traduction de Jean II une certaine sensualité de la Renaissance dès qu'il s'agit de Floripes et de son entourage. Ainsi, par exemple, le duc continue à tracer le portrait de la princesse lors de son introduction dans le récit, tandis que Bagnyon se contente de la description générale de son corps et se concentre sur son visage et surtout sur ses yeux avant de passer à sa robe précieuse17. Jean II, par contre, se fait un plaisir de décrire la beauté de Floripes de la tête jusqu'aux seins, suivant en cela les règles classiques de la description de la beauté féminine au moyen âge ; mais il semble avoir eu du plaisir à anticiper la peinture de la jeune fille à la fin du roman, où elle sera déshabillée devant tout le monde pour être baptisée, - épisode que Bagnyon avait d'ailleurs trouvé déjà dans la vieille chanson de geste18. Néanmoins, il est évident que le duc se régala de s'arrêter à ce sujet, car il saisit l'occasion pour développer en même temps l'expression du plaisir qu'éprouve même le vieux duc Naimes - de Bavière comme lui, le duc Jean II, rappelons-le, étant issu de la famille des Wittelsbach bavarois ! - en apercevant Floripes pour la première fois (un plaisir d'ailleurs amèrement déploré par Roland19), ainsi que Charlemagne a la barbe fleurie à la vue de la princesse nue prête à entrer dans le bassin baptismal20.
8En général, Jean II tend à ajouter, a développer et à expliquer21. Donc, étant donné que le traducteur se tient si fidèlement à son modèle, il est fort déroutant d'observer la façon dont il a traité les noms propres et de lieu. En particulier, les noms des chevaliers païens ont été maltraités : Sortibrant de Conimbre (Coïmbre) devient Sortibrant de Cunieber, Galafre, le géant gardien du pont de Mantrible, Gollaffer ; le roi Caldore, compagnon de l'amiral Balan au dîner où ils sont surpris par les chrétiens, devient Kunig Codras, etc. Même le nom de l'épée d'Olivier, Hauteclere, est défigurée en Haiteclere, bien qu'expliquée correctement comme 'de haute clarté' ('zuteutsch Hoher Clarheyt', p. A v). Il est vrai que nous n'avons pas encore eu la possibilité de voir le texte de l'édition originale de Genève (1478), mais puisque ces différences orthographiques se trouvent d'une façon régulière, on est tenté de les attribuer à une mauvaise lecture de la part du duc, due peut-être au fait qu'il a travaillé sur un manuscrit plutôt que sur une édition imprimée22. Il va de soi que le duc n'a dû commettre la faute de lecture qu'une seule fois et que son secrétaire et imprimeur Hieronymos Rodler l'aura appliquée systématiquement.
9La fonction de Rodler s'est limitée d'ailleurs strictement à l'exécution physique de l'impression, comme il ressort clairement d'un examen des traits linguistiques du texte. De l'inscription tumulaire érigée par son fils Mathias en 155423, on apprend que Rodler - mort en 1539 - était originaire de Bamberg en Franconie, tandis que la langue des adaptations de Fierabras et des Quatre Fils Aymon indique indubitablement que celles-ci ont dû être composées par quelqu'un qui était né et vivait dans la région de Simmern, c'est-à-dire entre la Moselle et le Palatinat proprement dit24 (région dans laquelle Jean II a passé toute sa vie (1486-1557), comme déjà son père Jean Ier.
10Par contre, la langue de la deuxième édition du même xvie siècle est clairement celle des imprimeurs de Francfort-sur-le-Main25. Cette nouvelle édition parut en 1594 chez les héritiers de Wendel Homm (ou Humm) sous le titre de Vo Fierrabras dea Riesen auss Hispanien / der ein Heyd / vnd zur zeit des grossen Keyser Carls gelebt26. C'est un produit de la littérature populaire de l'époque, comme il ressort clairement du sous-titre dans lequel la lecture de ce roman est recommandée, car il est gantz kurtzweilig zulesen 'très amusant à lire'27. Cette édition contient 39 gravures sur bois, mais plusieurs se répètent jusqu'à quatre fois, de sorte qu'en réalité il n'y en a que vingt-trois, qui toutes proviennent d'une autre publication (mais de laquelle ?) et qui sont parsemées dans le livre sans faire beaucoup d'attention au contenu du texte - contrairement à l'édition de 1533, où les gravures suivent le texte de près et où il n'y a que quatre qui proviennent d'une autre publication de Rodler28, tandis que seize gravures sont originales.
11On ne sait que peu de l'imprimerie de Wendel Homm (ou Humm) et de ses héritiers, sauf que son fondateur était originaire d'Oberursel dans le Taunus, près du Bad Homburg au nord de Francfort, donc en plein pays de Hesse29. Il ne semble pas que cette publication ait été très répandue : nous ne l'avons pas trouvée dans les bibliothèques de l'Allemagne Fédérale30, et il semble bien qu'uniquement la British Library en conserve une copie31. Elle repose sans aucun doute sur l'édition de Rodler, bien que la langue soit adaptée - nous l'avons déjà dit - à celle des imprimeries de Francfort renforcée par le dialecte franconien natal de Wendel Homm (Humm) lui-même, que la syntaxe soit modernisée et qu'il y ait bien des passages supprimés et ajoutés (ces derniers, cependant, ne concernent que de menus détails32). Les noms propres et de lieu sont altérés encore davantage : Durandal devient Durendel (p. B v), Haiteklere (= Hauteclere) Hartecklere (ibid.) ; Sortibrant de Cunieber est maintenant de Conuber, Agrimore, la capitale de l'amiral Balan, Angrinore (p. L vj), etc. Le grand mérite de cette édition réside indubitablement dans l'organisation du texte en chapitres plus petits et plus maniables, ce qui est fort agréable, car Rodler - ou son duc - avait supprimé bien des titres de l'ouvrage de Bagnyon.
12Léon Gautier écrit33 que "l'Allemagne a aussi sa Bibliothèque bleue" en renvoyant à une réimpression de Fierabras en 1809. Mais, à la vérité, dans cette réimpression, il ne s'agit pas du tout d'une publication pour le "bas peuple" : c'est une réédition - fort romantique, soit - de la version de 1594 pour l'illustration du moyen âge en face de la domination de Napoléon imbu de l'empire romain, entreprise par le savant Friedrich Heinrich von der Hagen (1780-1856), qui était un disciple du philologue Friedrich August Wolf à Halle et d'August Wilhelm Schlegel à Berlin, où il devint professeur de philologie germanique en 1824 après avoir enseigné pendant treize ans à l'université de Breslau (Wroclaw). En collaboration avec son ami Johann Gustav Bùsching, il a publié une anthologie Buch der Liebe34, dont le premier volume (Berlin : Julius Eduard Hitzig, 1809) contient aux pp. 145-267 notre Fierrabras (sic). Le texte de Hagen est intentionnellement archaïsant, gardant délibérément bien des tournures, expressions et structures de l'édition de 1594, que Hagen a suivie jusque dans sa répartition en chapitres et en phrases (souvenons-nous que les premiers textes imprimés ne contiennent pas encore d'interponctuation). Mais Hagen a consulté aussi l'édition originale de 1533, car il a adopté pour la plupart la forme des noms propres et de lieu de celle-ci, parfois en les modernisant, notamment par l'introduction de la lettre k (Gaskon, Taraskon, etc.). L'édition de Hagen est tout à fait charmante, mais elle était démodée a son époque et ne semble pas avoir eu de grande diffusion, au moins d'après notre enquête auprès des bibliothèques allemandes35.
13L'édition qui a donné à Fierabras une certaine notoriété permanente dans la littérature allemande est celle de Karl Simrock (1802-76), premier professeur de philologie germanique à Bonn (depuis 1853)36. Simrock était un romantique tardif et rêvait de rendre au "peuple" allemand son ancienne littérature et de la vulgariser ; à cet effet, il traduisait une grande partie des oeuvres de la littérature médiévale et les publiait dans un format qu'on pourrait appeler "bibliothèque bleue savante" dans des séries qu'il dirigeait. Dans la série Die deutschen Volksbücher, nach den ältesten Ausgaben hergestellt (Frankfurt am Main : H. L. Brönner), Simrock publia comme n° 30 Eine schöne kurzweilige Historie von einem Riesen Fierabras gennant, und welche Kämpfe Kaiser Karl und seine Helden mit den Heiden stritten (1849), avec 6 illustrations originales. Le même texte se retrouve dans une autre série intitulée Die deutschen Volksbücher. Gesammelt und in ihrer ursprünglichen Echtheit wiederhergestellt (Frankfurt am Main : H. L. Brbnner, 2e éd., Basel : 1864-67, puis Frankfurt am Main : H. L. Brbnner, 1867-80, en in-octavo, sans illustrations)37 ; Fierabras y figure comme le n° 28 dans le volume 7 (1850). Simrock s'intéressait beaucoup à Charlemagne et faisait partie du groupe de romantiques qui ont contribué puissamment à la renaissance de cet empereur en Allemagne, effort qui allait l'opposer avec Jakob Grimm à Gaston Paris à propos de Karl Meinet, puisque ce dernier disputait - à juste titre d'ailleurs38 - l'origine germanique de cette épopée dans son Histoire poétique de Charlemagne39.
14Etant donné le caractère savant de l'entreprise de Simrock, son texte se base sur la traduction de Fierabras du duc Jean II de 1533 ; néanmoins, certaines formes de noms propres et de lieu prouvent que l'édition de 1594 ne lui a pas été inconnue. Et, chose intéressante, lui aussi adopte la répartition des chapitres telle qu'elle se trouve dans l'édition de 1594. D'autre part, l'effort d'une "germanisation" du texte est évident : Gui devient maintenant Wido, Geoffroy Gottfried, etc. Bref, c'est une tentative fort curieuse de faire revivre le passé médiéval en lui donnant une note nationaliste allemande moderne.
15Mais même l'initiative de Simrock pâlit en face de celle du duc Jean II de Palatinat-Simmern, qui a introduit la "matière" de Fierabras en Allemagne à une époque où la chevalerie avait encore une raison d'être, au moins comme idéal éthique et religieux, pour une noblesse attachée à l'empereur Charles V, nouveau Charlemagne et descendant direct de ces ducs de Bourgogne si épris des exploits chevaleresques d'un moyen âge déjà très légendaires à cette époque.
16Cependant, les traductions de Jean II ne méritent pas seulement notre attention à cause de la période dans laquelle elles ont vu le jour : grâce à la maîtrise remarquable du français et à la domination impressionnante d'une langue allemande littéraire encore en pleine gestation, Jean II a donné à son époque des chefs-d'oeuvre inconnus jusqu'ici, et a légué avec Fierabras et les Haymonskinder à la littérature allemande des monuments qui, bien qu'issus de l'imagination des Français, sont devenus également la propriété spirituelle de leurs voisins d'Outre-Rhin.
Notes de bas de page
1 Jules HORRENT, "La Chanson de Roland" dans les littératures française et espagnole au Moyen âge (Paris : Les Belles Lettres, 1951), p. 377.
2 Voir Hans-Erich KELLER, "Une Histoire de Charlemagne en Suisse Romande", in Mélanges d'études romanes du moyen âge et de la Renaissance offerts à Monsieur Jean Rychner (Paris : C. Klincksieck, 1978) (r Travaux de Linguistique et de Littérature 16/1), pp. 259-69.
3 Soulignons ici que la version en prose d'un anonyme du xve s. (voir Maria Carla Marinoni, Fierabras anonimo in prosa, Parigi, B. N. mss. 2171, 4969. Milan : Istituto Editoriale Cisalpina Goliardica, 1979) n'a eu aucune influence sur le sort européen de la geste de Fierabras, comme le prouve le nombre réduit (deux !) des manuscrits conservés.
4 Voir Bart BESAMUSCA, Repertorium van de Middelnederlandse Karelepik (Utrecht : HES, 1983), p. 22.
5 The Lyf of the Noble and Crysten Prynce Charles the Grete, éd. Sidney J. H. HERRTAGE. The English Charlemagne Romances, parties III et IV, Early English Text Society, Extra Series, n° 36 et 37 (1880-81) ; réimpression Bungay, Suffolk : Richard Clay (The Chaucer Press) Ltd., 1967.
6 Cf. Francisco MARQUEZ VILLANUEVA, "El sondable misterio de Nicolas de Piamonte (Problemas del Fierabras español) ", dans ses Relecciones de Literatura Medieval. Colleccion de Bolsillo, n° 54 (Sevilla : Publicaciones de la Universidad, 1977), pp. 95-134.
7 Voir Hans-Erich KELLER, "La Pastorale de Roland : A Basque Theatrical Interpretation of the Battle of Roncevaux", Olifant 5 (1977-78), 29-41, ainsi que Claudio Basto, "Auto da Floripe", in Silva etnografica (Porto : Marânus, 1939), pp. 39-45 (nous remercions M. de Mandach de ce renseignement précieux ; il nous apprend en outre que l'Auto da Floripes fut même représenté le 5 août 1982 a Viana de Castelo). - Rappelons aussi le cycle de huit ballades intitulé Carlo-Magno de Juan José Lopez de la première moitié du xviiie siècle, qui est également tiré de la Hystoria del Eaperador Carlomagno y de los doze pares de Francia (1521) de Nicolas de Piamonte, cf. Hans-Erich KELLER, "Un autre legs de l'Histoire poétique de Charlemagne en Espagne", in Essor et fortune de la chanson de geste dans l'Europe et l'Orient latin. Actes du IXe Congrès International de la Société Rencesvals pour l'Etude des Epopées Romanes (Padoue-Venise, 29 août - 4 septembre 1982), t. 1 (Modena : Mucchi Editore, 1984), pp. 321-31.
8 Le sous-titre continue : Wie derselbig võ des gemelten Keyssers Grauen vnd diener eynem / genant Oliuier / lóblich vñ ritterlich bestritten worden / mit sunderlicher meldung der eerlichen gemủte / so sie beyde (wiewol als zwen feind) doch schier zu sagen / freundtlich gegen eynander im kampff gefủrt vnd bewisen / auch was sich nach sὁlchem weitter / zubestreittung des Heyden vatters / des Amirals von Hispanien begeben hat / newlich auss Frantzὁsischer sprach in Teutsch gebracht darauss die gross vñ sterck gmelts Keyser Karls / vnd seiner Fὑrsten / so dazumal gelebt / sunderlich abzunemen. L'identification de Jean II avec l'artiste des gravures sur bois a été faite par Elsbeth BONNEMANN, Die Presse des Hieronymus Rodler in Simmern, Eine fürstliche Hofbuchdruckerei des 16. Jahrhunderts. Sammlung bibliothekswissenschaftlicher Arbeiten, 48. Heft (II. Serie, 31. Heft) (Leipzig : Otto Harrassowitz, 1938), p. 45.
9 Voir Wolfgang LIEPE, Elisabeth von Nassau-Saarbrücken. Entstehung und Anfänge des Prosaromans in Deutschland. Halle : Max Niemeyer, 1921.
10 De traduire p. ex. Et quand vous fustes en aage pour vous determiner en parlant de Jésus par vnnd da die zeit deines leidens sich nachnet (p. B iiij) est peut-être une traduction fort libre mais certainement pas incorrecte. Les endroits où Jean II a mal rendu son modèle sont extrêmement rares : ainsi, p. ex., lorsque Fierabras dit à Olivier après avoir été vaincu ... & sont cinquante mille hommes qui sont tous aes subjects, & leur ay dit que nul ne bougeast tant que ie fusse retourné de la bataille. Quand Oliuier l'entendit, il n'en fit aucun effroy, ains lui dit, ce que le duc traduit (à la fin) par ... der red erschrack Oliuier hart jedoch sprach er (p. C ij), ce qui est justement le contraire du texte français. La méprise la plus grave a eu lieu cependant lorsque le duc a confondu chaire ‘chaise' avec ‘chère' dans la phrase suivante dite par Floripes : Nobles Seigneurs, pensons sagement à nos affaires, puis que vous estes à seureté, prenez vn petit de repos, voyez ici six hautes chaires, chacun de vous prenne la sienne pour plus commodement, se reposer & prendre repos sans grand ennui, ce que le duc a rendu (p. D) par Lieben Herren lassent vas weisslich vnd fursichtigklich mit diesen dingen vmbgeen dieweil jr sicher seit so thut ewern leibẽ wol Sehent alhie sechs Junckfrawen (‘vierges') gar gutter geburt ewer jeder neme die ja gefalle ewer zeit darmit desterbaB zuuertreiben legent euch mit jnen zú rúhe vnd kurtzweilent ; cela fait partie de l'atmosphère sensuelle que nous discuterons plus loin. Mais cette traduction fautive n'est pas aussi déconcertante que de rendre Guy de Bourgogne son espoux à plusieurs reprises par Gui jr Ehlich man (p. E v, etc.), lorsque espoux doit avoir, dans ce contexte, encore l'ancienne signification de ‘fiancé' ; cependant, ce cas est unique et pardonnable au xvie siècle, car espoux est très régional dans ce sens et limité au Sud-Est, cf. ancien dauphinois espos (début xiiie siècle, FEW 12, 211 b) et encore aujourd'hui dans la Suisse Romande (Glossaire des Patois de la Suisse Romande 4, 622), donc précisément dans la patrie de Bagnyon.
11 So hab ich eyns theyls / meiner Eltern bildnuss / Proportz und glidmass gesehen / und von andern von Adel mündlich gehort / das sie jrer Anichen schwerdter uñ wehren mit beyden henden nit wohl erheben mogen (cité ap. BONNEMANN, Die Presse des Hieronymus Rodler, p. 27).
12 Keyser Karle kniet nider vff beyde knie mit andacht / vnd bat den Bischoff / das er das Heylthumb vffdeckt / das thet er also / vnnd von erst zeygt er die kostlich dorne Crone vnsers lieben herren Jesu Cristi / da waren die herren in grosser andacht / vnd Gótlicher betrachtung / der Bischoff welcher eyn frum vnd weiss man was / molt versuchen / ob es die recht / vnd keyn andere Cron were / darumb hűb er die Crone in die hὁhe vnd entzucket jr sein hand / vnd durch die craft Gottes bleib sie vngehalten inn der lufft hangen / da machet der Bischoff das gegẽwertig volck gewiss / das es die cron were / darmit vnser lieber herr Jesus Cristus gekrónet wardt / vnd also wardt sie võ mahigklich andechtigklich angebetet / vnd von jr ging eyn wolschnackender gerüch (p. J iii).
13 Jehan BAGNYON, Conqveste de Charlemagne, grand roy de France et des Espagnes (Lyon : Pierre Ricaud, 1617), p. 99.
14 BONNEMANN, Die Presse des Hieronymus Rodler, p. 27sq., rapporte qu'une version allemande des Quatre Fils Aymon publiée en 1531 en Suisse, par contre, omet toute la fin légendaire qui fait de Renaud un saint et supprime tous les passages se rapportant à la religion catholique.
15 Cf. aussi BONNEMANN, Die Presse des Hieronymus Rodler, p. 28 sq.
16 Mañ sol billich acht haben der trew vnder den gescheydene des glaubens / vñ die aida waren / eynander dodtlichen krieg zuthun / das die selbigen je eyner den anndern dienstbar was. / ... ich glaub es wer Gott vast gefellig / wo solche trew auss eygner natur / vnder den Cristen gespúrt wurde (p. B).
17 BAGNYON, Conqveste de Charlemagne, p. 48sq.
18 Vv. 5999-6003, éd. A. KROEBER et G. SERVOIS (Paris : F. Vieweg, 1860). - Notons, en passant, que la version anonyme en prose du xve siècle abrège considérablement la scène, cf. Fierabras anonimo in prosa, éd. Maria Carla MARINONI, p. 116.
19 BAGNYON, Conqveste de Charlemagne, p.61 ; Fierrabras, p. E.
20 BAGNYON, Conqveste de Charlemagne, p.98 ; Fierrabras, p. iij.
21 P. ex. il explique le nom de Fierabras : "(ist in Teutsch grimmiger arm)", même des termes allemands tels que Ger ‘javelot' : "(das ist eyn wehr an eynem langen stab)" (p. A vij), etc. Parmi les adjonctions, il faut signaler surtout le début lorsque l'empire de Fierabras est décrit : tandis que Bagnyon se contente de circonscrire vaguement le Proche-Orient, Jean II précise et parle de Russie aussi bien que de Galicie ; évidemment, les Sarrasins sont devenus maintenant des Turcs.
22 Rappelons que deux manuscrits de la Conqveste de Charlemagne sont encore conservés, l'un à la Bibliothèque Publique et Universitaire de Genève, ms. fr. 188, tandis que l'autre, plus élaboré, forme maintenant le ms. fr. 15 de la Biblioteca Bodmeriana à Cologny-Genève (cf., pour ce dernier, Françoise VIELLARD, Manuscrits français du moyen âge (Cologny-Genève : Fondation Martin Bodmer, 1975), pp. 19-22.
23 Elle se trouve encore aujourd'hui dans le choeur de l'église Saint-Etienne à Simmern. D'autres documents manquent, puisque Simmern fut dévastée complètement par les Français en 1689.
24 Ce n'est pas ici l'endroit de discuter les traits linguistiques de Fierrabras et des Haymonskinder, ce qui mériterait d'être fait systématiquement. Mentionnons donc seulement qu'on y trouve p. ex. Bruck ‘pont' (p. D iij) sans umlaut, ce qui est une marque caractéristique du haut allemand proprement dit, mais aussi Karch ‘char à deux roues' (p. H iij), mot typique de Souabe, Bade, Alsace, Lorraine et précisément du Palatinat (cf. Theodor FRINGS, Germania Romana, vol. 1, 2e éd. Mitteldeutsche Studien, 19/1, Halle : VEB Max Niemeyer Verlag, 1966, p. 75, et surtout vol. 2, Mitteldeutsche Studien, 19/2, Halle : VEB Max Niemeyer Verlag, 1968, p. 94 sq.).
25 Un seul exemple doit suffire : Bagnyon rend (p. 93) le coffre ‘chasse' de la chanson de geste (v. 5240) par coffret, ce que Jean II traduit par Kiest oder Kopffer (p. H iij) - par deux mots apparemment parce qu'il n'avait pas de mot spécial a sa disposition pour le coffret ‘châsse' de Bagnyon ; l'imprimeur de Francfort ne connaît pas le mot rhénan Koppfer ‘coffre' et le rend par Kupffer ‘cuivre' !
26 En voici le sous-titre : Ein schône Histori / wie er sich in kἁmpffen vnd streittè also tapffer / mañlich vnnd wol gehalten / biss er doch nachmals ist von gemeldts Keysers Graffen eim / Oliuier genañt / Ritterlich bestritte worde : Mas sie auch einander fùr treuw im kempffen bewiesen / vnd Mie sich's mit des Risen Vatter / dem Ammiral / zugetragen hat. Auss Frantzὁsischer Sprach verteutscht / gantz kurtzweilig zulesen.
27 Voir Lutz MACKENSEN, Die deutschen Volksbücher. Forschungen zur deutschen Geistesgeschichte des Mittelalters und der Neuzeit, 2 (Leipzig : Quelle & Meyer, 1927), en particulier p. 33sq. - MACKENSEN, p. 68 n. 15, discute aussi le sort de l'édition Rodler de Fierrabras : il y en a 36 copies dans l'héritage de David Zöpfel (Francfort-sur-le-Main) en 1564, 3 copies dans celui de Christoph Ziehenaus en 1563 ; Sigmund Feyerabend en fait de médiocres affaires, tandis que la librairie Gülfferich en possédait en 1568 685 exemplaires. D'autre part, le libraire Simon Hüter à Leipzig - notons la position géographique - n'en commande en 1568 que vingt exemplaires, mais aussi Michel Harder de Francfort-sur-le-Main n'en vend que 37 copies en 1569 (en cinquième position dans sa liste des ventes en comptant d'en-bas) ; d'autre part, le libraire Andreas Hoffmann de Leipzig en possède cinq copies (s'agit-il de l'édition Rodler ?) en 1600, ce qui est le nombre le plus élevé pour lui en ce qui concerne les "livres populaires".
28 D'après BONNEMANN, Die Presse des Hieronymus Rodler, p. 29, elles proviennent du livre de Georg Rüxner, Anfang, Ursprung und Herkommen des Turniers [Titre modernisé ?]. Simmern : Hieronymus Rodler, 31. Oktober 1530.
29 Cf. Josef BENZING, Die Buchdrucker des 16. und 17. Jahrhunderts in deutschen Sprachgebiet (Wiesbaden Otto arrassowitz, 1963), p. 120 n° 28. - Les Archives Municipales de la ville de Frankfort-sur-le-Main nous écrivent (lettre du 18-6-1985) que Wendel Hom(m) ou Hum(m) a acheté la citoyenneté de cette ville le 21 juin 1582, qu'il a acheté la maison, dans laquelle il installa probablement son imprimerie, des Carmélites le 1er juin 1590, mais qu'il est déjà mentionné en 1594 comme étant mort.
30 Nous nous sommes informé auprès des Bibliothèques suivantes : Berliner Gesamtkatalog, Hessischer Zentralkatalog, Stadt- und Universitätsbibliothek Frankfurt am Main, Zentralkatalog des Hochschulbiblio-thekszentrum des Landes Nordrhein-Westfalen, Nieder-sächsischer Zentralkatalog, Staats-und Universitätsbibliothek Hamburg, Bayerische Staatsbibliothek, Zentralkatalog Baden-Württemberg.
31 Voir British Library Catalogue, vol. 108, p. 265a.
32 P. ex. p. J v : "der Mannlich vnd Ritterliche Herr Ruland ; p. M ij : "des Gannelons leiblicher Vatter", etc.
33 Les Epopées françaises, vol. 2 (Paris : Victor Palmé, 1865), p. 310.
34 Ce titre s'explique par le fait que Friedrich von der Hagen s'est basé sur l'édition de luxe de treize "livres populaires" publiée sous ce nom par Sigismund Feyerabend (cf. BENZING, Buchdruckerlexikon des 16. Jahrhunderts (Deutsches Spracngebiet), Frankfurt am Main : Vittorio Klostermann, 1952, p. 53) en 1589 à Francfort-sur-le-Main.
35 Cf. n° 31.
36 Cf. Hugo MOSER, Karl Simrock, Universitätslehrer und Poet, Germanist und Erneuerer von "Volkspoesie" und älterer "Nationalliteratur" : Ein Stück Literatur-, Bildungs- und Wissenschaftgeschichte des 19. Jahrhunderts. Philologische Studien und Quellen, 82. Berlin : Erich Schmidt, 1976.
37 Sur la maison d'éditions et d'impression Heinrich Ludwig Brönner, fondée en 1727 et qui existe toujours, voir Alexander DIETZ, Frankfurter Handelsgeschichte, vol. 4/11 (Glashütten im Taunus : Detler Auvermann KG, 1970), pp. 504-07.
38 Cf. Jacques HORRENT, Les versions françaises et étrangères des enfances de Charlemagne. Académie Royale de Belgique, Mémoires de la Classe des Lettres, Collection in-8°, 2e série, 64/1 (Bruxelles : Palais des Académies, 1979), pp. 176-201.
39 1865 ; 2e éd. (Paris : Emile Bouillon, 1905), pp. 127-28. - Sur Simrock et la renaissance carolingienne voir MOSER, Karl Simrock, pp. 321-24.
Auteur
Ohio State University, Colombus
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