Ciperis de Vignevaux l'origine de la famille royale dans l'épopée française
p. 659-673
Texte intégral
1Ciperis de Vignevaux est une des plus tardives, sinon la dernière des épopées de la littérature française médiévale. Elle fut composée vers le milieu du 14e siècle1 et n'est que pauvrement transmise, ce qui est d'ailleurs normal pour les épopées de cette époque-là. Il n'existe qu'un seul manuscrit, qui en outre est fragmentaire : il manque tout le début de la chanson, et même dans la partie conservée du texte on trouve encore plusieurs lacunes2. Le nombre des vers perdus est considérable, et le fait que le texte ne commence que quand l'action épique est déjà assez avancée, se révélera être spécialement regrettable au cours de cette étude.
2D'abord quelques remarques préliminaires en ce qui concerne ma méthode. Je veux essayer d'expliquer, à l'aide de la chanson de Ciperis de Vignevaux, un trait caractéristique de la famille royale qu'on trouve assez souvent dans les chansons du 11e au 13e siècle. Ici naturellement le problème de la chronologie se pose. Car est-il légitime de résoudre les énigmes des épopées du 11e au 13e siècle en s'appuyant sur un texte du 14e siècle ? Cette question se pose d'une manière d'autant plus urgente que Ciperis de Vignevaux n'était évidemment pas très répandu et qu'on ne connaît pas d'allusions plus anciennes à cette matière, à l'aide desquelles on pourrait rendre probable l'existence de versions primitives perdues. La forme indubitablement savante de quelques noms propres (Clotaire = francique Chlotahari, forme populaire en ancien français : Lohier ; Ciperis = francique Chilpe-rich, forme populaire en ancien français : Helpri, Heldri ; Ludovis = francique Chlodowig, forme populaire en ancien français : Looïs) est un autre argument contre une transmission orale à travers les siècles précédents. Est-il quand-même permis de supposer que les poètes des époques antérieures aient connu la matière du moins sous une forme semblable à celle que nous possédons ? On ne peut certainement pas exclure tout à fait cette possibilité, car depuis que Menéndez Pidal a développé la notion d'"état latent" d'une poésie à l'exemple des romances espagnoles3, nous savons qu'une poésie originalement et essentiellement orale peut être vivante pendant des siècles sans qu'il soit nécessaire que nous possédions des témoignages directs ou indirects de son existence. De cette manière il se peut que des matières archaïques ne soient disponibles pour nous que dans des versions plus tardives, parce que par hasard elles n'atteignent le degré de la transmission écrite qu'à une époque plus récente. Ainsi il serait possible, sans qu'on puisse le prouver, que des récits épiques sur la fondation de la dynastie royale, identiques ou semblables à celui de Ciperis de Vignevaux, soient présupposés déjà dans les chansons plus anciennes et qu'on ne les comprenne de manière adéquate qu'en présupposant ces faits littéraires. Du point de vue méthodologique, je m'appuie donc sur M. Alfred Adler, dont le livre Epische Spekulanten est fondé sur trois hypothèses : d'abord, que toutes les chansons de geste constituent un réseau étroit de relations les plus diverses ; puis, que toutes les chansons de geste ont existé l'une à côté de l'autre déjà dans un temps relativement reculé, et enfin, que les poètes, en créant une nouvelle épopée, ont toujours pris en considération tout le reste de la matière épique4.
3Depuis les plus anciennes chansons de geste la dynastie épique est forcée de lutter contre des difficultés quand il s'agit de régler et d'assurer l'ordre de succession. Il est même justifié de parler d'une tare héréditaire de la famille royale. Qu'il s'agisse de brouilles du monarque avec son épouse (Macaire)5 ou avec son dauphin (Floovant, Macaire)6, de scandales de mariage (Girart de Roussillon, Garin le Loheren, Berte aux grands pieds, Girart de Vienne, Lion de Bourges)7, de résistances des féodaux contre l'héritier légitime du trône lors de son avènement au règne (Garin le Loheren, Huon de Bordeaux, Couronnement de Louis, Aiol)8, d'éliminations violentes d'un roi (Mainet), de projets d'attentat sur l'héritier du trône (Mainet)9, d'un taux de mortalité exceptionnellement élevé chez les héritiers potentiels du trône (Huon de Bordeaux, Jourdain de Blaye, Renaut de Hontauban, Chanson de Roland, Chanson des Saisnes)10 ou d'absence de descendants mâles (Cycle des Lorrains, Anseïs de Cartage, Galien, Aliscans, Hugues Capet, Gormont et Isembart)11 : dans toutes les générations la dynastie épique est caractérisée par une faiblesse frappante de transmettre la vie et la couronne à ses successeurs, bien que quelques-uns de ces rois soient individuellement des personnages forts. Et c'est justement dans son représentant le plus glorieux, Charlemagne, que la capacité insuffisante de cette dynastie de transmettre la vie et le pouvoir à la génération suivante atteint son point culminant : cet empereur héroïque s'empêtre dans des relations coupables avec sa soeur12, et en conséquence de cet inceste sa race va s'éteindre déjà dans la prochaine génération.
4A toutes les époques, la famille royale est incapable de former un lignage comme par exemple les Narbonnais, où, à côté des liens de parenté verticaux, on souligne également les liens horizontaux. Ce qui caractérise la dynastie royale, c'est le fait que dans chaque génération il n'existe ou il ne reste qu'un seul descendant mâle, dont les liens avec ses parents collatéraux, c'est-à-dire ses frères, oncles, neveux, cousins, etc. sont respectivement ou refroidis ou même tout à fait inexistants. Le nombre important de relations peu harmonieuses entre oncles et neveux (Pépin et Landri dans Doon de la Roche, Charlemagne et Baudouin dans la Chanson de Roland, Charlemagne et Beton dans Daurel et Beton, Louis et Raoul dans Raoul de Cambrai, Louis et Isembart dans Gormont et Isembart13 - les relations entre Charlemagne et Roland elles aussi sont extrêmement riches en tensions) est en ce sens symptomatique, tandis que chez les Narbonnais, les relations entre les oncles et les fils de leur frères et surtout de leurs soeurs sont toujours particulièrement cordiales. En outre, dans la Geste des Rois, les parents de la ligne horizontale ne sont que très rarement réunis ; le plus souvent, en effet, ils ne savent même rien l'un de l'autre. Et quand il y a une de ces rares entreprises où ils participent communément comme le font les cousins Roland et Gui de Bourgogne (dans Gui de Bourgogne), leurs relations sont remplies de tensions vraiment hostiles14. Par contre, chez les Narbonnais, la solidarité dans la manière de sentir, de penser et d'agir est très marquée spécialement parmi les parents collatéraux.
5Mais la question restée jusqu'ici sans réponse, c'est celle de savoir comment s'expliquer ce déficit continuel de cohésion familiale et de force vitale dans la race des rois épiques. Cette réponse, on la trouve à mon avis dans Ciperis de Vignevaux.
6Chronologiquement, cette épopée est située avant le règne de Clovis, considéré jusqu'ici comme le fondateur de la dynastie épique et comme le premier roi chrétien en France15. Ciperis de Vignevaux décrit comment à cause d'un changement de dynastie la race royale de l'épopée française arrive au pouvoir. Dans cette chanson de geste, le roi de France, Dagobert, a un fils Louis et une fille Orable ; le frère de Dagobert, le roi Philippe de Hongrie, a un fils, Ciperis de Vignevaux. On empoisonne l'héritier du trône français, de façon que, la loi salique n'étant pas encore en vigueur, le trône échoit à Orable. Mais à ce moment-la, elle est depuis longtemps mariée à son cousin Ciperis ; ce couple a 17 fils, dont le second est Clovis. Or, ces faits-là ont besoin de quelques remarques explicatives.
71. Le mécanisme du changement de dynastie est le même que dans Hugues Capet : le dernier monarque de la dynastie en train de s'éteindre laisse en mourant une fille, dont l'époux devient par son mariage avec l'héritière du trône roi de France et en même temps le fondateur d'une nouvelle dynastie. Il ne s'agit donc pas d'une discontinuité totale, mais la nouvelle race royale provient respectivement du côté Féminin de l'ancienne dynastie. De la même façon que la famille des rois épiques acquit la couronne, elle la transmettra un jour à une race plus jeune.
82. Orable et Ciperis, le couple fondateur de la nouvelle dynastie, étant cousin et cousine, sont donc consanguins au deuxième degré : leurs pères sont des frères, ils ont des grands-parents identiques. Le mariage de Ciperis et d'Orable est par conséquent incestieux16. Comme le début de l'épopée n'a pas été conservé, on ne peut rien dire sur les circonstances détaillées de la conclusion de ce mariage, par exemple, si et par quelle justification on sollicita une dispense du pape. Mais on peut déduire une seule chose avec sûreté : les futurs époux ont dû connaître leur consanguinité très proche dès le début. Car, bien que Ciperis soit un enfant illégitime et que pendant longtemps on croie son père disparu ou mort, il est informé par sa mère sur le nom et l'origine de son père, et ses liens de parenté lui sont tout à fait clairs, car le roi Dagobert appelle Ciperis son neveu, et Ciperis appelle le roi son oncle longtemps avant que Ciperis ait identifié son père en Philippe de Hongrie17. En outre, on aurait dû dissoudre ce mariage, s'il avait été conclu par ignorance ou erreur concernant les liens de parenté réels, aussitôt que la vérité eut été dévoilée18. En tout cas, il reste à constater que, sous l'aspect de leur consanguinité, le premier père et la première mère de la nouvelle race royale sont dangereusement proches l'un de l'autre. C'est pourquoi il ne peut être question d'un vrai changement de dynastie, parce que l'entrée par mariage de sang frais n'a pas lieu : la "nouvelle" dynastie est fondée par la combinaison de l'ancienne race, éteinte dans sa ligne masculine, avec sa ligne collatérale.
93. Dans ces conditions, il est extrêmement surprenant que le thème de l'inceste ne soit pas une seule fois mentionné dans notre fragment et qu'Orable et Ciperis soient mariés dès le début du texte, sans qu'il y ait d'allusions au caractère problématique de leur union. Cela est d'autant plus étonnant que dans des cas comparables les chansons de geste réagissent avec beaucoup de sensibilité. Voici trois exemples pour illustrer ce fait. Le mariage envisagé de Garin le Lorrain avec Blancheflor n'a pas lieu, après qu'on a prétendu avoir remarqué que les futurs époux ont des arrière-grands-parents identiques19. Dans une liaison illégitime avec sa cousine Clarisse, Tristan de Nanteuil engendre un fils, mais tous les deux sont épouvantés quand ils remarquent leur consanguinité au deuxième degré ; désormais, ils renoncent à tout commerce l'un avec l'autre20. Et la Karlamagnús saga raconte le divorce de Ganelon d'avec Gelem, la soeur de Charlemagne, quand après coup on découvre entre eux une consanguinité du quatrième degré21.
104. En outre, il est étrange qu'ici l'inceste ne soit en aucune manière combiné avec la déchéance des personnes concernées. Au contraire : comme cette union incestueuse est richement dotée de fils, toutes les conditions pour fonder un lignage puissant sont remplies ! Néanmoins le poète nous dit expressément que quelques-uns seulement des fils de Ciperis ont une progéniture22. Est-ce qu'ici la nécessité naturelle d'extirper une famille chargée par la tare de l'inceste entre en jeu ?
115. Une autre chose digne d'être retenue, c'est le fait que les fils de Ciperis qui sont tous les fruits d'un inceste, montrent de leur part une conduite absolument normale, c'est-à-dire exogame, quand ils se mettent à la recherche d'une femme ; à cet égard, leur conduite ressemble à celle des Narbonnais.
126. Toutefois, il n'est pas nécessaire de ne voir dans l'inceste qu'une tare. Comme M. Adler l'a démontré à l'exemple de la famille d'Aimon de Dordone et surtout à l'exemple de l'origine de Doon de Mayence, premier père de la troisième geste, l'inceste peut aussi avoir l'effet de rendre plus noble l'extraction d'un héros comme fons et origo de toute une geste ; le facteur douteux doit en effet justifier les prétentions exclusives et ultra-nobles, qui n'ont pour but que de participer à la majesté23. Le ton de première origine créé par l'inceste doit illustrer la prétention aristocratique et quasi-endogame d'une famille, l'extraction ab ovo24. Car la chose pénible est, sous un autre aspect, une chose supérieure, au-delà des évaluations normales25. Si donc, d'une part, l'origine incestueuse est considérée comme une malédiction funeste qui normalement inclut d'avance la ruine des personnes concernées, elle peut, d'autre part, être la preuve d'une extraction particulièrement noble. Mais si même des familles féodales comme celle d'Aimon de Dordone (en raison de sa structure quasi-endogame) et la Geste de Mayence (en raison de l'origine quasi-incestueuse de son premier père, Doon étant le fils d'un très vieil homme et d'une très jeune femme) peuvent rivaliser avec la majesté, alors la famille royale doit d'autant plus porter en elle-même sa valeur comme ensemble saturé, elle doit se comporter d'une manière exagérément aristocratique26. Afin de légitimer ses prétentions sur la couronne de France, des allusions fur-tives à l'inceste ne suffisent plus, mais la race royale doit être capable de dériver son origine d'une liaison incestueuse pour prouver que, parmi toutes les familles aristocratiques, elle est la seule élue à régner. Cette condition, elle la remplit parfaitement dans Ciperis de Vignevaux. Quand cousin et cousine s'unissent l'un à l'autre, les enfants royaux restent entre eux, et on évite le mélange de leur sang pur et précieux avec celui qui est seulement noble et par conséquent de moindre qualité. Leur progéniture peut donc se vanter de la plus grande pureté possible de sa race. Peut-être le poète voulut-il souligner le caractère anoblissant de cette origine incestueuse ; cela pourrait expliquer pourquoi il omit toute anticipation funeste du destin futur de la race royale, destin qui devait être connu de lui-même et de son public. Il n'est certainement pas sans intérêt d'observer que le poète a avancé la constellation jusqu'à l'ultime frontière du tolérable, afin de rendre le premier père et la première mère de la race royale aussi proche que possible, mais que néanmoins il n'a pas franchi cette frontière, au-delà de laquelle il ne peut exister qu'une confusion complète des sentiments et la ruine : il ne fait pas provenir la dynastie future d'un inceste entre frère et soeur.
137. En dépit de toutes ces difficultés-là, il reste à constater un fait : à l'origine de la famille royale de l'épopée française se trouve un cas d'inceste, bien que de moindre gravité. Dès le début, cette race a donc une faute de construction généalogique, qui pèse fatalement sur toutes ses générations suivantes : pour elle, c'est toujours un problème très délicat d'assurer l'ordre de succession27. Le péché initial de l'inceste serait une explication satisfaisante du fait que la famille royale est toujours en danger de perdre son pouvoir ou de s'éteindre. La malédiction de l'inceste pèse sur elle, et dans son représentant le plus prééminant, le "péché originel" de cette race se répète sous la forme beaucoup plus grave encore d'un inceste entre frère et soeur. Roland, consacré à la déchéance lui-même, ruine presque toute la France en courant à sa perte. Désormais, le pouvoir de Charlemagne est anéanti, ses plus belles espérances se sont envolées. Sa complainte sur la mort de Roland exprime clairement ses vues pessimistes sur l'avenir de son règne28. Il se doute qu'il ne trouvera pas de successeur digne parmi les membres de sa famille ; son oeuvre ne pourra pas lui survivre, il craint même d'être forcé de devenir le témoin de cette chute. Son fils Louis n'est rien d'autre qu'un épigone misérable, qui néanmoins a la fortune d'avoir autour de lui Guillaume d'Orange, le vassal fidèle. Mais la position de Louis dépend tout à fait de la grâce des Narbonnais. Ainsi la dynastie de Charlemagne s'est en vérité déjà retirée avant que sa destinée ne s'accomplisse avec la mort de Louis. Le vrai roi de France, c'est Guillaume d'Orange. La distribution réelle du pouvoir ne pourrait s'exprimer mieux que par le fait que ce n'est pas Louis, mais Guillaume qui possède l'épée sainte de Charlemagne, Joiose. Même les adversaires les plus acharnés de Guillaume ne peuvent pas lui refuser leur profond respect en vue de son caractère vraiment royal. "Frans chevaliers, bien deüssiez reis estre," disent à son sujet les vassaux vaincus du rebelle Richard de Normandie29. Mais pour proche que ce vassal dévoué, à qui le dernier descendant de la race de Ciperis et Clovis doit son trône, vienne de la couronne, c'est quand-même une des caractéristiques les plus proéminentes de Guillaume et de tous les Narbonnais d'être libre des aspirations vers la royauté française. Leur fonction ne consiste pas à donner le coup de grâce à la vieille dynastie fatiguée, fragile et stérile, et a prendre sa place, mais à servir cette dynastie avec une fidélité inconditionnelle et à lier à la grâce de Dieu sa propre destinée avec celle de la race de Charlemagne étant sur son déclin30.
Notes de bas de page
1 Cf. William S. Woods (éd.), A Criticai Edition of "Ciperis de Vignevaux", with Introduction, Notes, and Glossary (University of North Carolina Studies in the Romance Languages and Literatures 9), (Chapel Hill, 1949), p. 6.
2 De même il n'existe qu'un seul manuscrit par exemple de Tristan de Nanteuil, de Lion de Bourges (version en alexandrins), du Bâtard de Bouillon, de Dieudonné de Hongrie, de Théséus de Cologne et de Hugues Capet.
3 Ramón Menéndez Pidal, La Chanson de Roland et la tradition épique des Francs. Deuxième édition revue et mise à jour par l'auteur avec le concours de René Louis, traduite de l'espagnol par I.M. Cluzel (Paris, 1960), pp. 78-80.
4 Alfred Adler, Epische Spekulanten. Versuch einer synchronen Geschichte des altfranzösischen Epos (Theorie und Geschichte der Literatur und der Schönen Künste 33), (München, 1975), pp. 19-22.
5 Charlemagne bannit son épouse Sebile/Blancheflor en conséquence des calomnies lancées contre elle par le traître Macaire.
6 Clovis est obligé d'exiler son fils aîné Floovant après que celui-ci a coupé la barbe à son éducateur. -Dans Macaire, Sebile/Blancheflor est enceinte au moment de son bannissement, de sorte que Louis, fils de Charlemagne, naît en exil et passe son enfance loin de la cour de son père.
7 Dans Girart de Roussillon, Charles Martel force son vassal Girart à renoncer à sa fiancée, que le roi convoite lui-même. Des scandales semblables se répètent dans Garin le Loheren et Girart de Vienne. En construisant une parenté trop proche entre Garin et Blancheflor, Pépin réussit à empêcher le mariage des deux amants et à gagner Blancheflor pour lui-même. -En récompense de ses services fidèles, Charlemagne promet à Girart la main de la duchesse de Bourgogne, mais après avoir vu la belle veuve, c'est le roi qui l'épouse sans tenir sa promesse. - Dans Berte aux grands pieds, Pépin croit se marier avec la fille du roi de Hongrie, mais en vérité, c'est sa servante rusée Aliste qu'il épouse. - Dans Lion de Bourges, le vieux Charlemagne, insatiable dans ses désirs érotiques, fait enlever Honorée a son père, le roi Guite-quin de Trémogne, qui la lui reprend, ce qui aboutit à une guerre acharnée entre Charles et Guitequin.
8 Dans Garin le Loheren, les Bordelais refusent d'abord de consentir au couronnement de Pépin, fils de Charles Martel ; dans Huon de Bordeaux, Charlemagne est confronté à des difficultés semblables, lorsqu'il propose à ses vassaux son fils Chariot comme successeur. - Les conflits entre Guillaume et Arneïs d'Orléans lors du couronnement de Louis sont connus. La Chanson d'Aiol, dans sa première laisse, fait également allusion à ces événements-là, mais cette fois, c'est Elie qui aide son beau-frère Louis contre les vassaux rebelles.
9 Dans Mainet, le couple royal Pépin et Berte est empoisonné par Hainfroi et Heudri, et ces deux fils de Pépin et d'Aliste ont aussi l'intention de tuer leur demi-frère Charles.
10 Dans Huon de Bordeaux, Chariot, fils de Charlemagne, est tué par Huon. - Dans Jourdain de Blaye et Renaut de Montauban, Charlemagne perd chaque fois son fils Lohier. Renaut de Montauban assassine encore Bertolai, neveu de l'empereur. - La Chanson de Roland, nous raconte la mort héroïque du "neveu" préféré de Charlemagne, et dans la Chanson des Saisnes, c'est la perte de son neveu Baudouin que Charles déplore.
11 Dans tout le cycle des Lorrains, le mariage de Pépin avec Blancheflor reste sans enfants. - Dans Anseïs de Cartage, Charles meurt sans laisser d'héritier. - Dans Galien (David M. Dougherty, Eugene B. Barnes (éds), Le "Galien" de Cheltenham (Purdue University Monographs in Romance Languages 7), (Amsterdam, 1981), vv. 1290-97), Ganelon dit expressément que Charles n'a pas de descendants mâles. - Louis n'a que des filles (Aelis dans Aliscans, Marie dans Hugues Capet), et dans Gormont et Isembart, Louis meurt après la bataille de Cayeux, de sorte que "puis n'ot en France nul dreit eir" (éd. Alphonse Bayot (Les Classiques Français du Moyen Age 14), (Paris, 31969), v. 419).
12 En ce qui concerne les témoignages sur l'inceste de Charlemagne cf. Gaston Paris, Histoire poétique de Charlemagne (Paris, 21905), pp. 378-382 ; Baudouin de Gaiffier, "La légende de Charlemagne. Le péché de l'empereur et son pardon", dans : Recueil de travaux offert à M. Clovis Brunel (Paris, 1955), tome I, pp. 490-503 ; Rita Lejeune, "Le péché de Charlemagne et la Chanson de Roland", dans : Studia philologica. Homenaje ofrecido a Dámaso Alonso (Madrid, 1961), tome II, pp. 339-371.
13 Isembart figure comme neveu de Louis dans la Historia Regum Britanniae de Geoffrey de Monmouth (livre XI, chapitre 8), dans le Roman de Brut de Wace (il s'agit d'un passage contenu seulement dans le manuscrit B.N., f. fr., 1416 du 13e siècle, éd. Le Roux de Lincy, tome II (Rouen, 1838), v. 13933), dans une note marginale ajoutée au manuscrit Cod. Bern. 90 de la Chronique de Hugues de Fleury, dans un récit de Gui de Bazoche contenu dans la Chronique d'Albéric de Trois-Fontaines, dans le Auctarium de Nicolas d'Amiens, dans la chanson de geste de Hugues Capet (éd. Marquis de la Grange (Paris, 1864), v. 496), dans la Chronique de Baudouin d'Avesnes, dans la Chronique rimée de Philippe Mousket (éd. Baron de Reiffenberg, tome II (Bruxelles, 1838), vv. 14073, 14175) et dans le roman allemand en prose de Loher und Mailer. - Pour plus de détails cf. Theodor Fluri, Isembart et Gormont. Entwicklung der Sage und historische Grundlage (Basel, 1895), et Rudolf Zenker, Das Epos von Isembard und Gormund. Sein Inhalt und seine historischen Grundlagen, nebst einer metrischen Obersetzung des Brüsseler Fragments (Halle, 1896).
14 Cf. François Guessard, Henri Michelant (éds), Gui de Bourgogne. Chanson de geste publiée pour la première fois d'après les manuscrits de Tours et de Londres (Les Anciens Poètes de la France 1) (Paris, 1859), v. 4257.
15 Cf. Sven Andolf (éd.) Floovant. Chanson de geste du xiie siècle publiée avec introduction, notes et glossaire (Uppsala, 1941), vv. 1-13, 22-33.
16 Selon la règle établie par le canoniste italien Gratian (+ avant 1157) "(...) ist eine Ehe bis zum 7. Grade einschlieBlich unzulässig" (Willibald Plbchl, Das Eherecht des Magisters Gratianus (Wiener Staats - und Rechtswissenschaftliche Studien 24), (Leipzig, Wien, 1935), p. 72).
17 Cf. Ciperis de Vignevaux, éd. cit., vv. 1305, 2633-34, 2715-19, 2749-78, 3998-4000 et 552, 2686, 2689, 2831, 3967. Selon la définition donnée par Gratian, le mariage de Ciperis et d'Orable inclut donc les éléments constitutifs de l'inceste : "Der Täter muB jedoch, um dieses Verbrechens schuldig erkannt zu werden, bewuBt (dolos) die Handlung setzen, d. h. er muB der tatsächlichen Überzeugung sein, daB der Umgang mit der in Frage stehenden Person wegen der bestehenden Verwandt schaft Inzest sei." (Plöchl, op. cit., p. 87).
18 Cf. la prescription du droit canonique selon Gratian : "Wir haben es also beim Hindernis der Verwandtschaft mit einem Impediment zu tun, das innerhalb der ersten fünf Grade eine gültige Ehe nicht zustande kommen läBt (...) Der 6. und 7. Grad sind durch Dispens zur EheschlieBung freigegeben" (Plbchl, op. cit., p. 75).
19 Cf. Joséphine Elvira Vallerie (éd.), Garin le Loheren, according to Ms. A (Bibl. de l'Arsenal 2983), with Text, Introduction, and Linguistic Study (Ann Arbor, Mich. 1947), vv. 5691-6021.
20 Cf. Keith Val Sinclair (éd.), Tristan de Nanteuil, chanson de geste inédite (Assen, 1971), vv. 10318-43.
21 Cf. Paul Aebischer, Textes norrois et littérature française du moyen âge II. La première branche de la Karlamagnús saga. Traduction complète du texte norrois, précédée d'une introduction et suivie d'un index des noms propres cités (Publications Romanes et Françaises 118), (Genève, 1972), p. 136, chap. 54.
22 Cf. Ciperis de Vignevaux, ed. cit., v. 7821.
23 Cf. Adler, op. cit., p. 152 s.
24 Cf. Adler, op. cit., p. 127 s.
25 Cf. Adler, op. cit., p. 156.
26 Cf. Adler, op. cit., p. 127.
27 Gratian établit comme conséquences d'un inceste entre autre une défense permanente pour les partenaires de se remarier et l'illégitimité de leurs enfants : "Als ernsteste Folge der Blutschande ist an erster Stelle die dauernde Eheunfähigkeit zu nennen (...) Als weite-re Folgeerscheinungen, die die Blutschande begleiten, sind die Infamie, die Unfähigkeit als Kläger oder Zeuge vor Gericht auftreten zu können, und die Illegitimität der Kinder zu nennen". (Plöchl, op. cit., p. 87 s.)
28 Cf. Cesare Segre (éd.), La Chanson de Roland. Edizione critica (Documenti di Filologia 16), (Milano, Napoli, 1971), vv. 2881-2944.
29 Ernest Langlois (éd.), Le Couronnement de Louis. Chanson de geste du xiie siècle (Les Classiques Français du Moyen Age 22), (Paris, 21978), v. 2175.
30 Je tiens à remercier ma collègue Françoise Quintin d'avoir surveillé la rédaction de cet article.
Auteur
Université de Göttingen
Le texte seul est utilisable sous licence Licence OpenEdition Books. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.
Fantasmagories du Moyen Âge
Entre médiéval et moyen-âgeux
Élodie Burle-Errecade et Valérie Naudet (dir.)
2010
Par la fenestre
Études de littérature et de civilisation médiévales
Chantal Connochie-Bourgne (dir.)
2003