Le petit théâtre de Cecco Angiolieri et la fabrique des personnages (Sienne, xiiie siècle)
p. 185-199
Texte intégral
1Avec ses cent onze sonnets1 exclusivement, et sa vie tumultueuse de « mauvais garçon », Cecco Angiolieri le poète siennois, mort avant 1312, est le type même du lettré en rupture de ban avec la société de son temps et avec tout ce qu’elle peut représenter d’institutions, de règles, de codes ou de principes contraignants voire aliénants : la famille, le monde politique avec ses « chefs » et leur mouvance, l’armée ou ce qui en tenait lieu (il écopa d’une amende pour avoir manqué à ses obligations militaires !), et même ceux qui l’entourent ou le fréquentent au-delà de l’étroit cercle familial.
2Exact contemporain de Dante avec lequel il échange, comme d’autres poètes contemporains, quelques poèmes, et pourtant si différent du scripteur délégué du « poème sacré » (la Divine Comédie), citoyen de surcroît d’une cité toscane voisine, Sienne (Sienne la gibeline) traditionnellement rivale de Florence la guelfe, Cecco Angiolieri défraye la chronique à son époque ; et pourtant, on sait fort peu de choses sur lui ; toute information le concernant est redevable essentiellement de ce recueil d’une centaine de sonnets où son moi prédominant porte la marque de l’infortune.
3Son existence et ce qu’on en sait font donc état d’un rebelle permanent contre l’ordre établi, à commencer par celui de sa propre cité, ce qui ne l’empêche nullement d’exercer une activité politique... payant plusieurs amendes pour non-respect des lois, et ayant même été, pour des raisons demeurées obscures, frappé de bannissement ; une sentence douloureuse dont un sonnet (le XXXII) s’est fait l’écho :
Que Dieu m’octroie, au nom des évangiles
de voir le jour qu’à Sienne on me rappelle... (v. 1-2).
4de même qu’un autre sonnet, c’est l’avant-dernier (CX), fait allusion à l’exil – définitif, lui – de Dante à Vérone avant de finir ses jours à Ravenne, comparé au sien, provisoire, qui lui vaut d’être exilé (toujours pour des raisons demeurées obscures) à Rome :
je me suis fait romain, et toi lombard. (v. 8)
5En somme, un révolté incorrigible que Cecco Angiolieri poète siennois ; et, pour s’en convaincre, il suffit de reproduire ici comme préliminaire à une meilleure connaissance de ce poète si atypique en son temps, ce jugement pittoresque campant le personnage haut en couleurs qu’est Cecco, reproduit au dos de la jaquette dans l’édition bilingue toute récente (2003) de Memini-Champion :
atrabilaire grincheux, fils à papa frustré, clown triste, va-de-la-gueule de municipe, potache attardé et bateleur de taverne,
6tel est, pour le commentateur de cette édition et pour l’essentiel, Cecco le Siennois, poète satirique s’il en est.
7Pourtant, et bien au-delà de tels qualificatifs plus que dépréciatifs, ce qui doit plutôt retenir notre attention est le parcours poétique confié uniformément à tant de sonnets, et qui constitue une sorte d’autobiographie revue et corrigée par son auteur. Cette histoire, « son » histoire, a au moins extérieurement un mérite : celui de se mettre en scène, d’afficher d’un bout à l’autre du recueil un Je qui est celui de la protestation véhémente et permanente, et de faire montre d’un art consommé de la provocation.
8C’est donc cette faculté exhibitionniste de jouer et de faire jouer toute une série de personnages que nous nous proposons de commenter :
- en premier lieu : lui-même, lui et son double ;
- en second lieu : un duo composé du mal-aimé qu’il se sait être confronté à celle qu’il rend responsable de tous ses malheurs, la prénommée Becchina ;
- en dernier lieu, un cercle de comparses ou de complices malgré eux qui gravitent autour des deux protagonistes et même autour du seul Cecco et le mettent en scène.
Cecco, poète du désamour et du désenchantement (Acte I)
9Qui dit pièce de théâtre, dit nécessairement rapport à l’autre, dialogue fût-il de discorde avec tous les autres. À ce premier acte, à cette première voix est confié, pour Cecco, un irrépressible besoin de communiquer un désaccord, sur tout. En conséquence, le premier protagoniste bien en vue, héros malheureux d’une telle geste à cent actes divers et plus, c’est bel et bien Cecco lui-même. Bien au-dessus des autres, on se retrouve en présence d’une plainte monocorde mais aussi bien variée, où constantes et variantes s’entremêlent au fur et à mesure du déploiement des sonnets de la discorde.
10Récit le plus souvent au présent, il est constamment celui du constat pour lequel la suite des sonnets, à l’image de la fuite des jours, ne change pas grand-chose à la douleur de n’être point aimé, à celle de ne plus pouvoir aimer. Voici quelques « attaques » de ces sonnets du tout début du recueil :
- J’ai si triste le cœur de chose cent (II, 1) ;
- Tremblez je sens dedans mon corps le cœur (IV, 1) ;
- Telle et si grande est ma mélancolie (VII, 1) ;
- Or n’est-ce pas grand pestilence à moi de ne pouvoir me départir d’aimer (XI, 1) ;
- L’Amour qui me fait guerre en ennemi (XV, 1).
11Un premier et évident face-à-face anime le « petit théâtre » de Cecco Angiolieri, le mal-aimé siennois : celui qui l’oppose d’emblée à son double. Cecco se regarde constamment dans « son » miroir pour interroger ce double de lui-même. Chez lui, et bien avant Pétrarque, l’histoire plus de cent fois répétée consiste à moraliser une expérience malheureuse, celle qu’il se raconte à lui-même, bien avant de faire intervenir l’objet amoureux cause de tous ses déboires et de tous des tourments, celle qu’il nomme Becchina qui fera partie d’un autre face-à-face, cible d’une autre dramaturgie.
12Dans l’ensemble du recueil si égotiste, à l’écriture de nature si solipsiste, pas moins des trois-quarts des sonnets constituent une mise en scène de soi, un « ego » qui pourrait être le lointain ancêtre d’autres voix comme celle des « pauvres » François Villon, Lélian ou Gaspard, ou encore du ténébreux desdichado nervalien. Dans cet esprit, il arrive à Cecco Angiolieri de jouer sur son propre patronyme (pseudonyme ? : « le mauvais ange ») comme dans le sonnet LXXVI qui fait intervenir un « démon angelier » (v. 8), ou encore le sonnet plus tardif (LXXXIII), montrant un « angelier » durement malmené au fil des saisons (et de l’hiver tout particulièrement), comme au sortir de l’enfer.
13En termes plus strictement dramaturgiques, Cecco chante sa plainte, conforte son planh et déroule son monologue mais en s’efforçant d’en varier et la tonalité et l’éclairage. À cet égard, on peut relativement aisément distinguer plusieurs phases dans ce psychodrame à une seule voix :
14– d’abord, première phase qui intéresse toute la première moitié du recueil, cette plainte (et la révolte qui l’accompagne) porte un nom qui est comme un néologisme : disamore ; elle est la manifestation existentielle de celui qui n’aime plus, qui ne peut plus aimer. Proche d’une moderne mélancolie (le terme apparaît plusieurs fois) et qui sera plus récurrente dans la seconde moitié du recueil, ce chant plaintif revêt la forme d’un lamento aux accents funèbres parfois. Et ce, d’autant plus que se trouve nié, dans les sonnets de Cecco, tout recours évident à une quelconque transcendance. À noter cependant que nuancée est la désespérance du fait que, fort épisodiquement néanmoins, l’Amour peut être un Bien, relever d’une noble aventure et que, sous certaines conditions, il peut se faire que l’Amour, cet Amour-là, soit heureux (sonnets XXIV, XXV et XXVI).
15Néanmoins, convenons qu’il s’agit là, sous la plume de Cecco, d’un cas exceptionnel, d’une parenthèse fugitive au regard du profond désenchantement et du sentiment de révolte qui en découle.
16– À ce sujet, une seconde phase se dessine clairement, sous l’égide du soliloque de l’infortune (du sonnet XLI au sonnet LVI, soit au cœur même du recueil) : si, dans ce recueil, pièce théâtrale à sens unique, l’Amour est dans l’ensemble si négatif, c’est qu’à l’évidence il ressortit à une fatalité, thème qui revient avec insistance sous forme d’une réflexion philosophique, dans la dernière dizaine de sonnets du recueil (soit à partir du sonnet CIII), au sujet d’une Fortune presque toujours malveillante et bien faite pour colorer une destinée funeste.
17– Entre ces deux phases, trouve place, à vrai dire, une troisième phase, au cœur du recueil des sonnets ; apparaît, sous les feux de la rampe, Cecco Angiolieri poète satiriste et polémiste à la gouaille assassine ; une personnalité qui préfigure, de l’autre côté des Alpes, un François Villon ou un Rutebeuf chez nous.
18En effet, brutalement, et ce après les tribulations et les déboires d’une existence et d’une aventure sentimentale orageuses, le poète intègre à sa plainte existentielle de mal-aimé celle, à la fois autre et très proche de la précédente, du poète désargenté.
19À partir du sonnet LVI, la soif de l’argent est d’autant plus aiguë que plus cruellement se fait sentir le manque chronique de subsides, plaie mortelle va jusqu’à écrire Cecco (LXXXVII). Ce thème devient, chez lui, obsédant au point de faire le dérisoire éloge de l’Amour comme... seule richesse ! (XCIII)
20Les sonnets de la seconde moitié du recueil de doléances et de récrimination de Cecco virent alors à la violente satire ; au premier plan, se déchaîne une véritable haine de la société des nantis où lui-même est condamné à vivre une vie de traîne-misère, à endurer une existence de pauvre hère avec tout le lexique du dénuement qui l’accompagne sous les formes les plus populaires voire les plus crues qui soient. La satire se fait même parodique et en vient à faire l’éloge grimaçant et ricanant du gueux et de la gueuserie, avec la mort pour seul horizon... viable ! (LXXX et LXXXI) :
telle est la vie au pauvre malchanceux !
Il n’est pour lui qu’un seul remède au monde
Qu’il se noie aujourd’hui, non pas demain
Car il lui convient la mort et non la vie. (LXXXVII, v. 8-10)
21Théâtre de la déchéance, dès lors, se fait l’enfilade, la litanie des sonnets « redoublés » où plus que jamais le poète met en scène l’allure fantomatique de son triste double tenté par l’ivresse et par la délinquance : l’éloge forcené du vin (LXXV) ou de la volerie (CII) devient le remède salutaire à une aussi misérable et piteuse condition.
22Cecco, porteur d’une incurable mélancolie (XCVIII) côtoie alors dans ses sordides métamorphoses, des personnages symboliques comme Deuil, ou encore Extrémité, ou même Déchéance (XCV) : il devient celui qui personnifie le mal de vivre (XCIX) :
puisque bonne aventure ainsi m’a fui
que dans la rue on me montre du doigt. (LXXXVIII, v. 7-8).
23Et d’ajouter amèrement :
Et d’ire et de dépit j’ai tant de richesse
que je puis en vendre et en donner. (XCIX, v. 7-8)
24« Se pendre dans la rue », ou encore « se cogner la tête au mur », ou « aimer mieux qu’on le jette dans la fosse » sont autant d’expressions que l’on peut rencontrer sous sa plume subversive et vénéneuse.
25À ce stade, et toujours dans une optique de psychodrame où le moi envahit tout, le vocatif, à l’occasion, est de mise comme, par exemple, dans le sonnet CII qui s’adresse « aux beaux sires » ou, antérieurement, dans le sonnet LXXIX, de manière plus collectivement anonyme :
Vous voyez si j’ai lieu d’être dolent. (v. 12)
26Dans la première moitié du recueil, par deux fois déjà, un public indifférencié avait été pris à témoin de son infortune.
27Mais, pour en finir, c’est en poète que Cecco Angiolieri signe cette sinistre pièce de théâtre : en effet, une bonne dizaine de fois, et ce du tout début (III) jusqu’à la fin (CVIII), le seul interlocuteur valable, complice et confident de Cecco, est celui-là même dont il fait la matière de sa tragédie : le sonnet. Toutes les facettes en sont envisagées ; tous les tons sont adoptés : sonnet-litote qui sait faire entendre plus, microcosme de quatorze vers pour un désastre infiniment plus étendu.
28Certes, traditionnellement, le sonnet est souvent ce messager chargé par Cecco Angiolieri d’atteindre la personne désirée, ou honnie selon les cas : d’entrée avec le sonnet II, le sonnet court à la Dame, Becchina ; à la fin du recueil encore, le sonnet CVIII « vole » jusqu’à Florence (l’interlocuteur est un Florentin illustre, Dante).
29Mais le sonnet peut être aussi signe de pardon (XVIII), symbole de renouveau (LXXXIII), pardon ou renouveau certes éventuel ou factice, ou encore de commémoration comme celui – le seul daté à la différence de tant de sonnets – anniversaires pétrarquiens, daté du 12 juin 1290 (XXXIX). Mais dans bien d’autres cas, le sonnet, autre versant maléfique, peut se faire « menteur » (XLIV), ou cruellement déficitaire (XLIX) ou encore, celui des folles hypothèses que chaque en-tête de vers proclame : « si j’étais pape... », « si j’étais empereur... » etc. (LXXXII) jusqu’à la toute dernière hypothèse, vrai fantasme de lui-même :
Si j’étais ce Cecco qui suis et qui fus...
30On le voit, la pièce de théâtre, par ailleurs si semblable à un chemin de croix, à un itinéraire semé d’embûches, est par essence des plus chaotiques. Parmi tant de variantes, celle qui, en définitive s’impose sur la scène du « petit théâtre » de Cecco, metteur en scène de la controverse et du refus, c’est, dans les deux dernières occurrences du genre, celle de la vérité, de la vérité psychique la plus authentique. C’est ce que Cecco réaffirme, pour conclure, à trente sonnets de distance, entre le sonnet XXXV et le sonnet CV.
31Dans le premier des deux (sonnet LXXXV), le processus de vérité est saisi « en marche », au fur et à mesure qu’il s’écrit en deux temps (quatrains + tercets). Cecco confesse ainsi :
Dans le prochain tercet de ce sonnet
je vous dirai tout ce que je veux dire
et béni soit qui saura bien l’entendre.
(v. 9-11)
32Dans le second sonnet, si proche de la fin (sonnet CV), il en va différemment après que le premier a résumé la totalité de ses mésaventures, amoureuses et familiales ; cette fois, Cecco Angiolieri plonge dans le plus total esseulement, le plus total dénuement ; esseulement et dénuement que seul le sonnet le plus véridique qui soit saurait traduire en toute sincérité et dans toute son authenticité :
Ne prenez pas mon dit pour moquerie
Qu’il plaise autant à ma dame m’aimer
Qu’il fut jamais sonnet plus véridique
(come non fu giammai me’ver sonetto). (CV, v. 12-14)
33En d’autres termes, et ce d’autant plus que le recueil est tout proche de sa fin, rien de plus révélateur en matière de maïeutique que le microcosme du sonnet.
34Le recueil aux cent sonnets et plus, est aussi œuvre d’un duo qui oppose Lui et Elle, mais il s’agit, à bien y regarder, d’un duo à sens unique. La pièce que se joue Cecco avec ou sans Becchina, n’est jamais qu’un long monologue déguisé.
Lui et Elle, Cecco et Becchina : un duo à sens unique (acte II)
35Si l’acte I pouvait être d’emblée annonciateur des actes successifs, actes du double de l’ego du poète, l’acte II pourrait être celui d’un autre type de rapport conflictuel et tout à fait différemment de ce qui se passera chez Pétrarque avec Laure, vivante d’abord puis morte. Cecco, lui, reste Cecco en face d’une Becchina rétive la plupart du temps et qui fait de lui presque constamment le mal-aimé.
36D’ailleurs le prénom de sa Dame pourrait fort bien évoquer à ses yeux, en guise de senhal de mauvais augure, à la fois le cocufiage (becco en italien, et ce dans un recueil où le maudit bestiaire repose en partie sur les oiseaux)2 et l’idée de mort et d’ensevelissement (becchino, au masculin, le croque-mort, le fossoyeur). Au fond, et pour résumer sur ce chapitre, des amours trahies et condamnées par avance au trépas.
37Ce que confirment éloquemment, d’emblée, les trois premiers sonnets du recueil qui sont, à ce titre, fort exemplaires de tout le recueil dans son ensemble : le premier qui reprend quatorze fois l’anaphore de la déploration (Ohimè... ohimè : hélas... hélas !) ce que Pétrarque ne fera, lui, que dans le corps de son Canzoniere-leitmotiv (II, CCLXXVI) emprunté vraisemblablement au toscan Cino da Pistoia, l’un des Stilnovistes, mais, qui, lui, souligne avec raison Gérard Genot dans son commentaire des Sonnets d’Angiolieri, était pleinement justifié par le fait qu’il s’agissait d’un planh authentique en hommage à la dame aimée défunte ; puis le second sonnet si essentiellement funèbre avec le thème de la vie qui porte en elle la mort :
Et si cruelle est ma vie endeuillée
que je suis deuil... (II, v. 12-13)
38Quant au troisième sonnet du recueil de Cecco, il fait retour à la Dame et au mal d’amour, celui-ci conduisant tout droit à une véritable aliénation par perte de mémoire (le smemorato du IVe, v. 1) aliénation que l’on retrouvera tout à la fin, avec le tout dernier sonnet (CXI), avec la citation en latin du proverbe de Caton (v. 13-14), sonnet adressé à un certain Simone dont malheureusement on ne sait rien.
39Pour ne nous en tenir, momentanément, qu’à ces trois premiers sonnets, on le constate d’entrée ; la Dame en question – elle n’est point encore nommée – est déjà ou peu s’en faut, celle par qui tous les maux lui sont arrivés. Elle est bien loin, et même tout le contraire, de la Dame des poètes de l’école sicilienne antérieure ; bien loin et même tout à fait étrangère à la donna angelicata des poètes toscans du Dolce Stil Novo dont Cecco Angiolieri est, cette fois, le contemporain. On pourrait presque écrire à son sujet qu’elle en est, dans l’un et dans l’autre cas, le parfait négatif. Pareille dramaturgie (une Dame ennemie, des amours orageuses, voire stériles et même délétères) est vérifiable immédiatement dans la suite des sonnets.
40En effet, s’il est vrai que Becchina est nommée bien avant son malheureux soupirant (plus de dix sonnets en avance, XII, 1), Cecco maître d’œuvre de la pièce désenchantée ne se nomme, lui, qu’en la compagnie de Becchina, et pour débuter le sonnet XXIII (v. 3), sonnet malheureusement lacunaire (c’est le seul de cette nature de tout le recueil). Mais, bien avant d’être désigné par son prénom, la Dame était apparue antérieurement sous la forme de madonna (mia donna) dès le quatrième sonnet (v. 3) puis au huitième (v. 2).
41Prééminence bien trompeuse en vérité que la présence précoce de celle-ci sur le devant de la scène. En réalité, c’est le sonnet, arme et interprète préféré du poète, qui est le vrai et pour ainsi dire le seul ou le principal interlocuteur et confident de celui-ci (III, 1) ; juste après Amour, Amour au négatif (I, 1). Et, au-delà, la triste aventure sentimentale se colore d’une très humaine et très quotidienne localisation : localisation siennoise, celle de la cité natale de Cecco (VIII ; 12) et qui le restera jusqu’au bout, avec l’exil, c’est-à-dire jusqu’au dernier sonnet (CXI, 9) ; localisation plus généralement et plus anonymement urbaine avec la rue qui intervient dans ce parcours du malheur (IV, 9 ; XI, 4 jusqu’à LXXX-VIII, 8 et XCI, 11).
42En réalité, dans ce théâtre du double où les miroirs accusent, ce duo d’antagonistes illustrant des amours orageuses et finalement impossibles se place d’emblée sous les auspices de Mélancolie (terme si récurrent I, 11 ; VII, 1 jusqu’à XCVLTI, 6), et, bien au-delà sous ceux d’influences infernales (ex. XI, 8 ; XXV, 10 jusqu’à LXXXIX, 6 et C, 9). Amour n’est plus l’enjeu d’un noble débat comme chez d’autres poètes déjà cités (les Stilnovistes) ; Amour prend les allures d’un combat, et d’un combat meurtrier à l’issue quasi fatale. Il suffit, pour s’en convaincre davantage, d’examiner la présence de deux préfixes antagonistes disl et tral qui constituent au regard du verbe-souche amare les pôles extrêmes d’un tel conflit sans merci : Cecco joue d’entrée, dès la première dizaine des sonnets de son recueil, sur ces deux options que sont le fait de ne plus (pouvoir) aimer, c’est-à-dire disamare (IX, 1, 10 ; X, 12) ou, au contraire, position paroxystique, le fait de trop aimer soit trasamare (IX, 8 ; XI, 12). Le petit théâtre de Cecco est tout de tension entre carence et surabondance. Et le fait que quantitativement les deux amants soient nommés par leur prénom et/ou par leur nom (valable seulement pour Angiolieri) un nombre quasiment égal de fois (24 pour le poète, 23 pour Becchina) ne donnerait qu’une impression fausse d’égalité entre eux, au regard du traitement amoureux.
43En effet, combien est différente l’image partielle de la Dame par rapport à celle, prépondérante et durable tout au long du processus dramatique, de l’infortuné amant ! En fait, c’est seulement dans la première moitié du recueil qu’apparaît la figure du protagoniste, cause de tant de douleurs et de tant de tourments chez Cecco. À de rares exceptions, on l’a noté (XLX et XX), où l’Amour est vu sous l’angle positif, ailleurs Becchina est « vue », elle, comme la personnification et comme l’incarnation vivante de tous les maux : froideur (XII), humeur chagrine et tempérament coléreux (XIII) ; versatilité voire agressivité chronique (XXXVI), image de fausseté (XLVII), de ruse innée (LII) toujours prête à trahir.
44Bref, archétype de tous les tourments (XLVI), Becchina, au fil des cinquante ou cinquante-cinq premiers sonnets est, par essence, celle qui fuit (XXXVII, XLV) ou tout simplement celle qui s’éloigne (XXXIII). Elle est la Dame du refus. Le feint éloge de la Dame de Paradis (XXVIII) est à prendre, selon nous, comme dérision et comme parodie de la femme sublimée et pour ainsi dire « déifiée » du Dolce Stil Novo : elle n’est, au contraire, aux yeux du poète mal-aimé qu’objet haïssable et même, à l’occasion, incarnation du Mal.
45L’acte II d’un tel psychodrame-repoussoir est en réalité un acte inachevé. La Dame en question, nommée, on l’a vu, un peu plus de vingt fois n’apparaît qu’une trentaine de fois dans le recueil (première moitié presque exclusivement), jusqu’au sonnet LV, sous les auspices de la femme mariée à un autre.
46Ensuite, ce ne seront guère plus de trois ou quatre incidences mais alors sous l’aspect d’une femme « damnée » à l’image des parents si honnis du poète et fils frustré (LXII), une femme de perdition telle que la voit le sonnet LXXVI ou, à la rigueur, celle qui pourrait apporter son aide à Cecco mais qui s’en garde bien (XCIX). C’est tout pour la seconde moitié du recueil. À sa place, Cecco Angiolieri développe toute une « philosophie » de l’Amour, mais de l’Amour malheureux de l’existence qui en découle, à l’image de celui-ci. Pauvreté s’installe mais en négatif de l’idéal franciscain : il arrive à Cecco de railler la condition de « frère mineur » qu’il évoque au sonnet CII (v. 7-8). Si Pauvreté n’est pas vice, elle est tare pour Cecco !
47Si le poète Cecco tôt s’exprime pour se mieux lamenter, et s’il nomme en premier sa Dame Becchina, il sait aussi, et de bonne heure dans le recueil, organiser un semblant de dialogue ou d’échanges généralement peu amènes auquel se prête admirablement la double structure du sonnet. En d’autres termes, il enrichit de ce fait le schéma dramaturgique ; il fait intervenir plusieurs canevas, provisoires, pour une mise en scène à plusieurs dimensions.
48– Un premier canevas par ordre chronologique est celui que mettent en évidence les trois sonnets XVI, puis, plus loin, XL et XLII où chaque amant prenant la parole a droit brièvement à un hémistiche, dans un sonnet ainsi dédoublé dialogiquement parlant :
Mais moi je suis à toi (Cecco),
49ce à quoi répond dans l’hémistiche suivant :
Et moi je ne veux pas (Becchina).
50– Un autre type de canevas est celui qu’exploitent trois autres sonnets (XXI et XXII puis, pour finir, LIV) et qui offre deux variantes. C’est le schéma selon lequel on n’est plus en présence de fragmentation à l’intérieur d’un même vers (scission entre les deux hémistiches) mais, cette fois, d’une répartition de type regroupement strophique puisque, première variante, à chacun des amants est attribué, en alternance un quatrain puis un tercet ce qui a pour avantage de donner la parole, comme dans une scène de théâtre, à tour de rôle, aux deux intervenants, et selon un quantitatif binaire (quatrains) puis ternaire (tercets) avec, à chaque fois, le vocatif à l’adresse du prénom de l’autre interlocuteur.
51Une seconde variante fait partie de ce canevas, que l’on trouve dans le sonnet XXIII (sonnet lacunaire en partie, on l’a vu) qui partage par moitié chacun des quatrains de sorte que chaque interlocuteur, dans un échange à présent plus serré, a droit à deux vers de suite et non plus à quatre.
52– Un canevas supplémentaire d’un genre spécial peut venir s’ajouter aux précédents : celui, par exemple, où Becchina demeure bouche bée (sonnet LI) tandis que l’apostrophe avec véhémence son accusateur Cecco comme dans un tribunal ; ou encore, un canevas qui réunit des voix « autres » (autres que celle de Becchina) et qui sont comme dans le sonnet XVI de vraies scènes de rues, voix anonymes mais fort suggestives de la vie quotidienne comme dans le sonnet commençant ainsi :
Ah cesse désormais, par courtoisie,
en vérité tout doit avoir sa fin... (XXII, v. 1-2)
53où le quatrain encore se partage en deux, pour deux intervenants.
54Arrêtons-là ce bref inventaire d’une vivante dramaturgie de voix protestataires qui, toutes, à des degrés divers, animent le petit théâtre du désenchantement et des doléances. En effet, plus l’on se rapproche de la fin du recueil, et plus se fait sentir chez Cecco, le besoin d’avoir sa vie à soi, et plus, par conséquent, s’affirme et s’affiche le moi blessé du poète siennois. Une « fin » assombrie aussi par la tentation du suicide (voir index, p. 215) qui lui avait fait rédiger très tôt, au sonnet XLVIII, donc dans la première moitié du recueil, des dernières volontés qui ressemblaient fort à un message testamentaire.
55Après Becchina et toujours sous la férule de Cecco, restent les autres, tous les autres.
Lui et les autres : le rapport relationnel familial et social (acte III)
56Si les deux premiers actes de la pièce pathétique de Cecco touchaient l’un comme l’autre à un moi déplorable mais peut-être aussi délectable, du moins aux yeux du mal-aimé, le troisième acte serait, et toujours en élargissant la distribution des personnages, celui d’un autre type de relations intéressant, cette fois, la collectivité des proches (parents et amis) et, au-delà, la communauté sociale, municipale siennoise : Sienne par opposition, dans tout le recueil, à deux autres cités toscanes rivales, Florence bien sûr (encore à CVIII, 9 avec les Florentins : XIX, 4 ; XLIX, 1 ; CI, 12) mais Pise également (LI, 14 ; XCIV, 4).
57Ainsi, le petit théâtre de Cecco Angiolieri ne cesse de s’agrandir au fur et à mesure que le poète siennois égrène sa rancœur de mal-aimé, sa douleur d’individu qui éprouve chaque jour davantage un profond mal de vivre, et qui réitère chaque jour son besoin de révolte, comme par exemple dans ces vers (sonnet CVII, v. 4-5) :
... que male meschéance
puisse advenir à trestous mes voisins.
58Après les péripéties d’un amour insolite et si instable, et si tumultueux et vain pour tout dire, s’instaure parallèlement ou concomitamment un discours de violence qui déplace son sens de gravité jusqu’à un mode de vie proche de l’Enfer de plus en plus souvent invoqué, depuis le sonnet XI jusqu’au sonnet C encore, et souvent rapporté sur le mode proverbial : le recensement de l’index (p. 214) prouve que ce type de langage populaire et moral ne se départit guère, d’une moitié à l’autre (respectivement 20 et 13 occurrences), d’une notable fréquence.
59Un public de témoins anonymes s’était fait jour dans la première partie, notamment au sonnet XXX, puis, vers le milieu du recueil, au sonnet LI. C’en était assez pour introduire alors, dans la seconde moitié du recueil, un personnage maudit, le père cible de toute la hargne vengeresse du poète, une hargne prenant même la forme d’une vindicte nullement déguisée à l’encontre de ses deux parents qu’il accuse de tous les maux et à qui il impute, aussi bien qu’à Becchina, une grande part, une grande responsabilité de ses infortunes.
60Certes, Cecco Angiolieri se livrant, dans la seconde moitié uniquement de son recueil, à une vindicte en règle contre l’auteur de ses jours, si pingre et si aride, si mesquin également, ce Cecco Angiolieri-là n’intervient pourtant guère plus d’une dizaine de fois ; mais toujours avec une telle virulence qu’il n’hésite pas, toutes les fois qu’il le peut, à envisager pour ce père honni, la mort la plus atroce, en dépit de ses quatre-vingts ans ou peu s’en faut (LIX, v. 4). Et c’est presque toujours dans le cadre de sonnets immédiatement consécutifs qu’il procède froidement à ce genre d’exécution expéditive : LVIII et LIX, puis LXII ; encore LXXIV puis LXXVII, LXXVIII et LXXIX et, pour finir, LXXXII, puis LXXXIV et LXXXV. Le père et la mère sont parfois associés dans une même condamnation à la peine capitale et réunis dans la même vindicte. (LXXI, premier quatrain).
61En somme, ce sont autant de séries meurtrières qui s’acharnent à faire défiler des sentences fatales. La rage filiale, en l’occurrence assortie de vengeance-expiation, est le ressort dramatique puissant qui pousse Cecco obnubilé à faire intervenir en premier lieu son entourage direct mais au-delà, également, quoiqu’en filigrane, des silhouettes du milieu municipal, des personnalités politiques de sa ville natale, Sienne. Certains sonnets comme les sonnets LXII ou encore LXXXV dans leur premier quatrain rassemblent pêle-mêle quelques-unes de ces figures bien en vue (certaines ont pu être identifiées) ou bien demeurées anonymes malgré les recherches, de ce quotidien siennois. De telles figures sont tôt apparues dans le recueil, dès le sonnet XXX (les deux quatrains), plus loin au sonnet LI (second tercet) ou encore au sonnet LXXVII, au vers 13 avec Maître Thadée, ce Taddeo Alderotti qui n’est autre que le médecin florentin qui fonda l’école de médecine de l’Université de Bologne, cité ailleurs dans le Novellino (nouv. 25) et également par Dante au chant XII du Paradis (v. 83).
62En réalité, la haine si tenace du père, et de ses parents, découle en très grande partie du manque cruel d’argent, on l’a vu, dont maints sonnets font état dans la seconde moitié mais dans certains sonnets aussi de la première moitié comme le sonnet X par exemple :
autant meilleur est le bon florin d’or
que toute autre piécette plus menue. (v. 3-4)
63ou encore ce sonnet XV qui le voit se déguiser en mendiant aux yeux des passants :
voyez si je suis pas de voir mendiant. (v. 4)
64L’indigence cruelle en la matière côtoie parfois (rarement il est vrai) une surabondance qui tient du miracle et qui, alors, est source avouée d’orgies en tout genre. On vient de le constater, le spectre du florin d’or, monnaie de prestige dans l’Europe à cette époque, alimente en contrepartie l’éloge de toute gueuserie. Le théâtre dans ces conditions, la scène de Cecco Angiolieri devient le lieu de tensions maximales entre les pires excès qui soient.
65À l’infortune sentimentale incarnée par le personnage de Becchina a donc succédé la misère économique dénoncée dans la figure du père, figure de carence et de frustration notoire, au même titre que le topos de la misogynie (XLVII, v. 9). Au point qu’en fin de recueil, les sonnets, pour certains d’entre eux, sont devenus des sonnets de bilan, de bilan désastreux convoquant pêle-mêle ceux et celles qui sont les premiers responsables de la figure de Cecco avec sa dégaine de victime que l’on montre du doigt dans les rues de la cité (LXII, v. 1-4 ; LXXXV, v. 1-4).
66Mais les autres, ce ne sont pas seulement les proches ; ce peut être aussi bien le cercle étroit des amis ou des connaissances qui font l’objet, pour terminer le recueil poétique à visée égocentrique, de quelques sonnets comme les trois sonnets adressés à Dante (CVIII, CLX et CX). Mais contrairement à ce qui se passe chez d’autres poètes, toscans également et à la même époque, qui pratiquent cet échange, et dialoguent avec le plus illustre d’entre eux, ils sont là surtout, en trois temps, pour prendre à témoin l’auteur de la Divine Comédie, poète chrétien, engagé, de conduites autres de le prendre en défaut éventuellement sur sa vision amoureuse (CIX, 9-14), de s’opposer à lui en tant que poète rebelle et poète dissident qui, lui, se préoccupe de choquer, et joue, au besoin de la contestation grossière :
– Car je suis l’aiguillon et toi le bœuf (v. 14)
– je me dissipe, et tu te freines un peu. (v. 6)
67Ainsi, successivement, lui-même d’abord (avec son double), puis Becchina, la femme-ennemie et l’amour trahi, déçu, rejeté, puis les parents et l’entourage des proches jusqu’aux amis compris, jouent, chez Cecco Angiolieri, le rôle de témoins à charge, le rôle d’accusés. Tous, à des degrés divers, le confortent dans son rôle d’accusés. Tous, à des degrés divers, le confortent dans son rôle à lui de rebelle et de victime mais qui demeure néanmoins jusqu’au bout maître de son destin de poète, fût-il au bout du compte sombre destinée.
68Dans ce contexte et dans cette optique, Cecco parvient tout naturellement à user de plus en plus de la forme hyperbolique, proche de l’adynaton parfois ; déjà présente vers la moitié du recueil (XLV, XLVII ou LVII par exemple), celle-ci s’exaspère vers la fin (LXXXXVIII, XCVII notamment). Cecco va ainsi jusqu’à confesser, résultante de tant de déboires et de tant de tourments :
trop aimer rend les hommes stupides (LXVIII, v. 12)
(chè troppo amare fa gli uomini stolti).
69Et s’il fallait, en définitive, ne garder du recueil de Cecco Angiolieri qu’une image, de ce parcours de cent sonnets et plus, nous proposerions volontiers que ce soit celle du poète hagard, « sans mémoire » qui porte sur le monde un regard pour ainsi dire aliéné, et que deux sonnets des extrêmes (IV et XCI) qualifient de la même épithète (smemorato) :
70– le sonnet du début (IV, 10-11) :
Tous ceux qui voient comme je vais marchant
disent : Voyez comme il est ébaubi !
71– le sonnet de la fin (XCI, 8-9) :
Alors dis, l’ébaubi, que vas-tu faire ?
Eusses-tu ton bon sens, tu t’irais pendre ?
72Rien de mieux que cette épithète (smemorato) sur la voie de l’aliénation, pour caractériser un poète aussi atypique que le poète siennois Cecco Angiolieri.
Conclusion
73Cecco Angiolieri le mal-aimé aura eu recours à une seule et même arme pour sa révolte permanente : le sonnet, forme à la fois close et ouverte, simple et double, mais double différemment, qui, plus de cent fois répété, redit c’est-à-dire décompose et recompose les multiples péripéties d’une vie tumultueuse où prime sa vocation de poète à contre-courant de son époque.
74Le recueil du poète siennois est l’histoire d’un parcours biographico-poétique sous-tendue par une écriture qui fixe et pourfend, affirme et conteste, se récrie ou dénonce. Mais ce recueil ne comporte aucun titre à la différence de celui de Pétrarque qui utilisera trois fois plus de sonnets (317 exactement), et point seulement le sonnet. Ceux de Cecco Angiolieri se suffisent à eux-mêmes, ne renvoient qu’à eux-mêmes, à la fois identiques et dissemblables comme le sont les scènes d’une pièce de théâtre. Leur enchaînement comme leurs interférences, leurs connexions aussi bien que leurs stridences attestent d’abord, dans leur unicité et dans leur variété, un savoir-faire dont Cecco reste le seul maître d’œuvre.
75Pour Cecco Angiolieri, poetar (faire acte de poète), c’est faire mais, en ce qui le concerne, défaire sans rien perdre de son identité de poète, et pour, au besoin, refaire autrement3 de manière à la fois continue et discontinue, au rythme alterné des quatrains et des tercets toujours recommencés. Bien différemment que la plupart des poètes de son temps ou même antérieurs, la Dame (Becchina, elle aussi, à sa manière, rebelle) n’est plus objet d’adoration et de sublimation mais la cible préférée d’une détestation tellement en accord avec la propre destinée de rebelle de Cecco, de rebelle à la société de son temps.
76Aussi, mettre en scène sa propre histoire, fût-elle manifestement déformée et arrangée par la fiction poétique, revient, chez lui, à convoquer tout au long du recueil à variantes, toute une pléiade de comparses et de complices qui auront servi au minimum à lui renvoyer, miroir théâtral, une/des image(s) de « poète maudit » ou de « mauvais garçon » qui va jusqu’à user du vieux topos de la taverne, des filles faciles et du jeu (les dés). Une manière qui lui est propre, bien que partagée par ailleurs avec d’autres poètes satiriques et « comiques », une manière d’adresser un pied de nez à l’ordre établi d’où la religion est absente toutefois (LXXIV).
77En définitive, le tour de force de ce poète toscan, siennois, aura été de redire sans trop se répéter et sans se lasser aussi de la remettre en scène en quinze cents vers au total, une histoire personnelle et pour, chaque fois, l’enfermer dans l’écrin de quatorze vers, ceux de la petite musique du sonnet.
Notes de bas de page
1 Cecco Angiolieri, Sonetti/Sonnets (bilingue), Édition Antonio Lanza, préface de Claudio Galderisi, introd., trad., commentaires, notes et index de Gérard Genot, Translatio, Paris, Honoré Champion/Memini, 2003.
2 Oiseaux : cf. index, p. 209-210.
Sur les vingt-huit animaux recensés, huit sont des oiseaux (et, parmi eux, des oiseaux de proie, des rapaces ; busard, milan, gerfaut). Cf. à ce sujet, notamment, les sonnets LXXIV ou LXXXVII.
3 J. Lacroix, « Comment régénérer le monde en l’an 1300 : les adverbes de la Divine Comédie », in Mélanges au Prof. Noboru Harano, à l’occasion de son départ à la retraite, in Études de langue et littérature française, n° 24, 2005, p. 158-188, Société d’Études de Langue et Littérature françaises, Université d’Hiroshima (Japon).
Auteur
Université Paul-Valéry – Montpellier III
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