Avant-propos
p. 7-8
Texte intégral
1« Façonner son personnage », tel a été le sujet du colloque international organisé par le Centre universitaire d’études et de recherches médiévales d’Aix (CUER MA/EA 2207), les 9, 10 et 11 mars 2006 à l’Université de Provence, colloque que les membres du CUER MA dédient à la mémoire d’Emmanuelle Baumgartner. Les contributeurs, au nombre de vingt-neuf, ont montré par des voies différentes la spécificité de la fabrique du personnage littéraire à l’époque médiévale. Comment celui qui travaille sur les mots parvient-il à donner existence aux yeux du lecteur à des personnages – certes fictifs – que ce lecteur identifie, distingue, reconnaît comme presque semblable, s’approprie, admire ou observe ?
2Cet être de parchemin/papier a été étudié dans presque tous ses états : aux périodes successives du Moyen Âge, du xiiie au xve siècle, dans des genres différents (épopée, roman, poésie, théâtre, historiographie...), dans des postures distinctes (héros ou comparse), sous des éclairages variés (rapport à un individu réel, à l’auteur, au lecteur, à d’autres personnages intra ou extradiégétiques, à l’art sculptural...).
3C’est dans la période classique du Moyen Âge, fin xiie-début xiiie siècle, que la notion de personnage s’enrichit de la réflexion philosophico-théologique et juridique sur la personne et de la reconnaissance progressive de l’individu au sein du groupe social. La forme narrative du roman, qui trace le destin d’êtres singuliers, offre des exemples forts du passage du mythe au roman (A. Berthelot, J.-M. Pastré, B. Wahlen), parfois du type au particulier (S. Menegaldo). Ce façonnage dans le temps ne va pas sans hybridation : le personnage romanesque tient encore au personnage épique (C. F. Clamote Carreto) ; à la frontière des genres, il se constitue aussi en ensemble complexe de références à des êtres réels et à des êtres fictionnels (F. Bouchet, R. Trachsler). Son existence intertextuelle prend forme au sein d’un texte par le tissage d’un réseau définitoire (S. Albert, A. E. Korczakowska).
4L’auteur en quête de personnage le devient lui-même (J. Lacroix, H. Legros). Si le développement du temps romanesque facilite la lente élaboration d’un personnage, par la forme brève, fixe et répétitive de la poésie se rassemblent, comme morceaux de mosaïque, les éléments constitutifs de son « être » et de son « faire » (N. Khémir).
5Personnages bibliques, figures de sages, personne du roi, entrent en littérature en habits neufs, modèles plus proches du lecteur (É. Andrieu) ou significatifs d’une remodélisation (A. Leclercq) et d’une esthétique moderne (C. Nicolas, J. de Boissoudy).
6À l’intérieur d’un texte, la délimitation du personnage se fait par le regard des autres (D. de Carné, C. Noacco, J.-R. Valette) ; c’est par opposition que la figure d’un héros se présente ou déjà d’un « anti-héros » (D. Kelly) ; c’est par son nom qu’il se singularise et oriente le roman (A.-M. Babbi), par son absence de nom ou, à l’inverse, par un nom surdéterminé qu’il manifeste une synergie actancielle (D. James-Raoul, B. Milland-Bove) ; c’est dans le moment du portrait que se réfléchit la relation entre le geste de mise en forme de Nature, celui du sculpteur de pierre et celui de l’ouvrier des mots (A. Combes) ; c’est dans une aventure comme « avortée » que l’auteur se met à distance d’une veine romanesque arthurienne en train de s’épuiser (H. Bouget).
7À la fin du Moyen Âge, des personnages singuliers, maîtres de la parole, du geste et du masque, se trouvent ou se retrouvent dans le genre dramatique (J. Abed, M.-P Suarez, K. Ueltschi) : dans le genre romanesque, les procédés de réécriture, tout tributaires qu’ils soient de modèles initiaux, jouent sur l’amplification et l’appropriation idéologique et esthétique (J.-P. Martin).
8Façonner son personnage, est autant façonner le sien, celui qui vous prononce, que celui d’« un » personnage à qui une vie fictive est prêtée. Cet acte est à la rencontre d’un imaginaire collectif et individuel, d’une culture sur laquelle on s’appuie, avec laquelle on joue et prend distance. Ces contributions ici rassemblées montrent que l’auteur comme le lecteur de l’époque médiévale placent le personnage – même bien individualisé à partir du xiiie siècle – au centre de relations intertextuelles contemporaines et passées, que s’opère le dépassement de formes ou de modèles anciens ou que se manifeste une poétique nouvelle. Tension entre tradition et innovation, fluctuation des frontières génériques, vacillement des certitudes humaines...
Auteur
Université de Provence – Aix-Marseille I
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