Une fenêtre à l’aurore (Tristan de Béroul, v. 4267-4485)
p. 423-432
Texte intégral
1Sauter par la fenêtre d’une chapelle – qui plus est, située au sommet d’une falaise – n’est une démarche habituelle ni pour un prince (v. 942-960), ni pour son chien (v. 1508-1517) ; déposer en pleine nuit une lettre sur la fenêtre de son oncle, le roi – subrepticement, mais en le réveillant néanmoins – est tout aussi étrange (v. 2449-2477). Ces deux épisodes du roman de Tristan et Yseut par Béroul1 ont soulevé nombre d’interrogations et suscité quelques réponses de la part de la critique. Le précieux manuscrit 2171 de la BnF, seul témoin, nous le savons, de l’œuvre, s’interrompt sur le décor d’une troisième fenêtre qui n’a pas, à ma connaissance du moins, beaucoup intéressé les commentateurs, comme si, puisque censément le texte est mutilé, il n’y avait plus grand chose à apprendre de ces quelques vers résiduels qui suivent le serment d’Yseut sur la Blanche Lande, apothéose de la reine.
2Cependant cette ultime séquence, déjà complexe en elle-même, parfait le portrait des personnages ; elle oblige aussi à s’interroger sur l’intention de l’auteur, au-delà du flamboiement dont il vient de faire, par Yseut interposée, une ultime fois preuve, ainsi que sur la structure qu’il entendait donner à son œuvre, ce roman que l’on n’a cessé de juger par référence à la globalité de la légende et aux canons courtois (version commune, version courtoise, le débat avait été relancé par la thèse de Pierre Jonin2, il y a une cinquantaine d’années). Est-ce le bon angle de vue ?
3Yseut donc, disculpée par son serment, a été confirmée dans son statut et son prestige de reine auprès du roi Marc. L’autorité royale est affermie, la vie du couple apaisée :
Li rois a Cornoualle en pes,
Tuit le criement et luin et pres. 4268
En ses deduiz Yseut en meine,
De lié amer forment se paine.
4Tel est le début de la scène. Prenant congé de Marc, sur la Blanche Lande, Gauvain3, parlant au nom de ses compagnons, avec la caution morale du roi Arthur (v. 4252-4259), avait été très clair : il interviendrait en personne contre les félons, sur les terres de Marc, pour protéger Yseut s’ils avaient la moindre velléité d’une nouvelle nuisance (v. 4235-4246). Donc, à la fin de l’épisode du serment, le lien est déjà suggéré avec notre passage ; demeurent en effet trois félons4, mais, quoi qu’ils fassent, ce sera leur perte, sans qu’Arthur ou Gauvain aient même à intervenir. Tristan et Yseut viendront eux-mêmes à bout de leurs ennemis, dénouement tout à fait inattendu de leur histoire.
5Les traîtres totalement anéantis, incapables, semble-t-il, de la moindre initiative, reçoivent des informations d’un vulgaire espion dont le seul mobile est l’argent (v. 4274, 4306-4310). Il met soixante vers (v. 4275-4336) à tenter de les convaincre d’aller simplement « voir » par une fenêtre une rencontre des amants. C’est Godoïne qui est désigné pour ce faire, pour – simplement – voir5 :
Mais oiez con li avint.
Goudoïne fu acoruz
Et fu ainz que Tristran venuz. 4412
La cortine ot dedenz percie :
Vit la chanbre qui fu jonchie
Tot vit quant que dedenz avoit.
...
Le fel qui fut a la paroi 4420
Garda si vit Tristran entrer,
Qui tint un arc d’auborc anter ;
En sa main tint ses deux seetes.
6Tableau exactement conforme à la description qu’avait faite l’espion.
« De moi faciez en un feu cendre, 4288
Se voz alez a la fenestre
De la chanbre, derier a destre,
Se n’i veez Tristran venir,
S’espee çainte, un arc tenir, 4292
Deus seetes en l’autre main ;
Enuit verrez venir, par main. »
7Son don de l’observation était néanmoins intéressant, puisqu’il avait pu faire une description précise de la fenêtre et suggérer la manière de mieux regarder à l’intérieur (écarter le rideau avec un bâton pointu) :
« Or m’entendez, » fet li cuvert,
Et un petit pertus overt
Endroit la chambre la roïne :
Par dedevant vet la cortine. 4316
Triés la chanbrë est grant la doiz
Et bien espesse li jagloiz.
L’un de voz trois i aut matin,
Par la fraite du nuef jardin 4320
Voist belement tresque au pertus ;
Fors la fenestre ni a nus.
Faites une longue brochete,
A un coutel, bien aguëte ; 4324
Poigniez le drap de la cortine
O la broche poignant d’espine.
La cortine souavet sache
Au pertuset (c’on ne l’estache), 4328
Que tu voies la dedenz cler,
Quant il viendra a lui parler. »
8Il concluait, comme il avait commencé, en mettant sa vie en jeu, en signe de persuasion :
« S’eissi t’en prenz sol trois jors garde,
Atant otroi que l’en m’en arde, 4332
Se ne veez ce que je di. »
9C’est le matin qu’il faut se mettre en observation6, parce que c’est le moment où vient Tristan ; et il faut écarter le rideau pour voir, – ce qui présente un risque que le traître ne paraît pas mesurer ; on l’avait connu, avec ses comparses, plus avisé.
10Jusqu’à présent, le regard par la fenestre est un regard de l’extérieur vers l’intérieur. Mais Yseut, toujours sur le qui-vive,
Par sa fenestre vit la nue 4428
De la teste de Gondoïne
11Avec une parfaite maîtrise d’elle-même, malgré son émotion7, elle fait comprendre le danger à Tristan.
Tristan s’estut, si pensa pose,
Bien soit q’el voit aucune chose
Qui li desplait. Garda en haut.
Grand paor a, trenble et tresaut. 4460
Contre le jor, par la cortine,
Vit la teste de Godoïne.
12Cette fois-ci, il s’agit des regards d’Yseut puis de Tristan ; regards qui vont de l’intérieur vers l’extérieur. La tête de Godoïne se détache par la fenêtre, à contre-jour de la lumière naissante, vraisemblablement en ombre chinoise sur le rideau.
13Tristan parvient à bander son arc et atteint le traître :
Lors se torna vers la paroi 4472
Sovent ot entesé, si trait.
La seete si tost s’en vait
Riens ne peüst de lui gandir ;
Par mie l’uel la li fait brandir, 4476
Trencha le test et la cervele.
Esmerillons ne arondelle
De la moitié si tost ne vole.
14Il prend le temps de viser et Godoïne n’esquive pas, preuve qu’il n’était pas sur ses gardes, nouveau signe, s’il en était besoin, du déclin des traîtres. Le coup de Tristan est fulgurant et atteint le félon dans l’œil qui est la fenêtre du cœur.
15Que nous apprend cette scène sur les personnages ?
16Yseut d’abord ! Elle mène enfin la vie de reine qu’elle souhaitait, depuis son examen de conscience dans la forêt du Morois, au côté de Marc. Elle reçoit son amant avec discrétion sans doute, mais aussi en pleine lumière et sans crainte particulière8. Et si nous jetions, nous aussi, d’aventure, un regard par la fenêtre de sa chambre, sans l’esprit pervers d’un Godoïne, nous ne contemplerions qu’une scène courtoise aimable : En présence de Pérmis, Brangien finissait de peigner la reine quand Tristan entrait. Toutefois, c’est elle qui aperçoit le danger, comme autrefois ; elle a conservé l’énergie et le « savoir9 » qui conviennent pour mettre en garde Tristan et lui faire faire discrètement les gestes (préparer son arc, encocher une flèche, viser) qui les sauveront. Elle est à la limite de la tension nerveuse supportable, elle « tresue10 ».
17Tristan, quant à lui, fort sans doute de la longue pratique qu’il a des réactions et du sang-froid d’Yseut, en fusion psychologique intime avec elle, obéit sans demander d’explication, pressentant qu’il n’a pas le droit à l’erreur. Tout en tendant son arc et en visant, il se rassure par la mémoire et la prière : il prend Dieu à témoin de ses exploits antérieurs d’archer et, au nom de la mort du Christ, demande la grâce de faire justice contre un félon11. Il est exaucé.
18Mais son rôle se trouve être plus important et il a su, lui aussi, faire preuve de « savoir ». En effet, tandis qu’il était déjà en route vers le château, il avait aperçu Godoïne et s’était mis en embuscade mais le traître, qui allait où nous savons – Tristan, lui, ignorait sa destination, – était passé trop loin, au grand dam du héros. En revanche, ayant repéré Denoalen qui poursuivait à proximité sur un palefroi noir avec ses deux chiens un sanglier, il avait décapité le traître :
Ne li lut dire : « Tu me bleces. » 4388
19Quelque moment plus tard, Godoïne, atteint de la flèche mortelle par l’embrasure de la fenêtre :
Seulement dire ne li lut : 4484
« Bleciez sui !... »
20Extraordinaire symétrie dans la litote ironique ! Or, les traîtres, jusqu’à cette scène exclusivement, se retrouvaient toujours trois12, même si l’un mourait, comparables en cela aux têtes de l’hydre ; cette fois-ci, deux sont tués coup sur coup, le trio n’a pas le temps de se reconstituer. Il ne reste plus que Ganelon, qui porte le nom, dans toute la tradition médiévale, du chevalier coupable de forfaiture, qui a perdu, qui est condamné, qui va mourir13. Bref, c’était probablement leur ultime malfaisance, et... leur ultime échec.
21Il ne reste plus qu’à s’interroger sur la senefiance et la portée de l’événement.
22L’espion insiste à plusieurs reprises sur l’heure à laquelle l’on peut voir Tristan auprès d’Yseut : à la fin de la nuit, au lever du soleil14 (v. 4294, 4297, 4319). Et c’est bien, dans l’obscurité de la nuit (v. 4352) qu’a été surpris Godoïne, qu’a été tué Denoalen. Mais c’est avec l’aurore que Tristan arrive auprès d’Yseut ; il fallait que l’aube apparût (v. 4459) pour que la silhouette de Godoïne pût servir de cible à Tristan. De plus, avant de mourir, le traître avait vu clairement (v. 4415 déjà cité) tout ce qui se passait à l’intérieur, ce qui laisse supposer une fenêtre ouvrant à l’orient, car, au petit matin, avec une autre « orientation », la chambre serait restée dans la pénombre et la silhouette de Godoïne eût été moins découpée. A l’orient donc, signe de l’espérance d’une vie qui va enfin s’épanouir en pleine lumière ; signe aussi, et c’est très important, que les amants n’ont plus besoin, comme autrefois, de la nuit pour se cacher !
23C’était, en effet, dans la nuit, par le reflet du roi Marc dans l’eau, que Tristan et Yseut avaient été une première fois provisoirement sauvés et c’est ensuite parce que les traîtres avaient épié, de l’extérieur, les amants, ensemble dans le lit du roi que le piège de la fleur de farine leur avait été tendu et qu’ils avaient été surpris en pleine nuit. Frocin, fort de son pouvoir sur le roi, avait voulu faire voir à Marc le rendez-vous sous le pin et les félons avaient fait voir à Marc les amants pris au piège de Frocin. Le nain est ici lamentablement remplacé par un espion sans envergure qui, loin de nuire aux amants, envoie les félons à leur perte.
24Les amants, dans cette ultime scène, se rencontrent dans une chambre sous la fenêtre de laquelle se trouve aussi une nappe d’eau (v. 4317), comme si Béroul avait fait la synthèse des deux décors du début du texte (la fontaine sous le pin, la chambre du palais royal). C’est encore par le reflet d’une ombre qu’ils sont sauvés, mais il ne doit pas, il ne peut plus y avoir, cette fois-ci, de conséquence dramatique, car le jour se lève qui chasse les périls de la nuit et les traîtres meurent. Cette lumière rappelle enfin deux autres scènes elles aussi décisives : c’était au matin que Tristan avait sauté par la fenêtre de la chapelle pour son salut et celui d’Yseut ; c’était en plein jour avec un rayon de soleil illuminant le visage d’Yseut15, que le roi avait contemplé les amants endormis dans la forêt ; c’est à ce soleil que tout avait basculé. Frocin mort peu de temps auparavant (v. 1347), le roi était libéré, il pouvait se laisser aller à toute sa tendresse à l’égard des jeunes gens. Rien ne saurait plus être comme avant.
25Cette ultime scène de la fenêtre à l’aurore se présente trop comme une somme de ce qui fut essentiel, a décidément trop de corrélations avec les deux scènes initiales pour que ce soit fortuit16. Les deux ensembles encadrent trop bien des événements qui vont d’une crise violente où le roi était sous influence à une heureuse conclusion où il n’y a même plus lieu de parler de Marc.
26Alain-Fournier terminait son roman du Grand Meaulnes en imaginant Augustin, son personnage, « partant avec [sa fille] vers de nouvelles aventures17 ».
27Pourquoi Béroul aurait-il absolument voulu « achever » les amours de ses héros ? Au nom de quelle esthétique ? Parce que d’autres versions de la légende les font mourir ? Mais ces morts sont diverses18, il n’y avait pas de canevas contraignant. Et si cette ultime fenêtre qui accueille la lumière de l’aurore était une ouverture sur un futur que Béroul refusait de détailler, le laissant sereinement à notre rêve, le laissant aussi à la pudeur et à la tendresse passionnée des amants entourés de Périnis et de Brangien mais débarrassés des voyeurs, des « faus felons enquereors », comme les appellera plus tard l’auteur de la Châtelaine de Vergy.
28Avons nous besoin d’en savoir davantage, sauf à devenir à notre tour d’une indécente curiosité ? A-t-on reproché à Chrétien de Troyes d’avoir tu le détail des amours de Lancelot et Guenièvre, à la cour d’Arthur, jusqu’à leur fin, ou d’avoir, avec tact, laissé Erec et Enide vivre leur vie comme ils l’entendaient, après avoir rassuré ses lecteurs sur leur équilibre amoureux reconquis ? A-t-on reproché à Marie de France de s’être contentée d’une anecdote infime de la vie des amants dans son lai du Chèvrefeuille ? A-t-on jamais reproché aux auteurs des Folies de clore sur l’instant de bonheur d’une étreinte entre les amants ? Pourquoi Béroul aurait-il dû nécessairement, comme Thomas, écrire « un beau conte d’amour et de mort » dont, soit dit en passant, le contenu est bien désespérant19 ? N’avait-il pas le droit d’avoir une conception plus confiante de l’amour sans l’associer à la mort, préférant, en cela, suivre l’une des plus grandes traditions de la courtoisie, celle de l’optimisme ?
29Cela oblige, par conséquent, à s’interroger aussi sur le commencement du roman. Etait-il indispensable à Béroul de remonter aux « enfances » de ses héros dont la légende faisait partie du domaine public ? N’avait-il pas pu envisager d’ouvrir son récit sur une situation de crise tragique, comme Chrétien de Troyes commence son Roman de la Charete en plein drame dans un cour tétanisée en présence d’un roi inerte.
30Le manuscrit du Tristan est certes amputé. Mais que manque-t-il ? Les deux tiers de l’œuvre comme on tend à le penser par souvenir implicite de l’ensemble de la légende et du parallélisme convenu avec Thomas20, voire Eilhart, ou, plus simplement trois ou quatre feuillets au début et à la fin ? Ce serait d’ailleurs, matériellement, au moins aussi plausible. Il serait, à ce propos, salutaire de méditer, mutatis mutandis, les réflexions de Jacques Ribard sur « ces quêtes qu’on dit inachevées21 ».
31Je n’ignore pas ce que ces simples suggestions ont d’iconoclaste, peut-être (sans doute ?) d’aberrant et je ne prétends pas avoir raison ; mais, maintenant que l’on a dépassé ce qu’avait de manichéenne l’opposition longtemps obligée entre version courtoise et version commune22, les meilleurs critiques ont osé avancer des lectures plus originales du roman de Béroul23 et aussi supputer qu’il ne finissait pas comme les autres24. C’est sur leur exemple et leur autorité que nous prenons appui pour, à notre tour, imaginer ou rêver que Béroul, le plus atypique et le moins apprêté des romanciers de sa génération, a pris plaisir à laisser ses amants dans cette « chambre avec vue » dont la fenêtre laisse entrer une « aurore » sans que rien soit désormais « gâché » ou « saccagé » d’un amour qui avait trop longtemps et stupidement été meurtri.
Notes de bas de page
1 Nous citons le texte d’après l’édition de Daniel Poirion, in Tristan et Yseut, les premières versions européennes, édition publiée sous la direction de Christiane Marcello-Nizia, avec la collaboration de [...] Daniel Poirion [...], Bibliothèque de la Pléiade, Paris, Gallimard, 1995.
2 Pierre Jonin, les Personnages féminins dans les romans français de Tristan au xiie siècle. Etude des influences contemporaines, Publication des Annales de la Faculté des Lettres d’Aix-en-Provence, Gap, éditions Ophrys, 1958. L’enjeu du débat est bien apparu dans le double article de Jean Frappier, « Structure et sens du Tristan : version commune, version courtoise », in Cahiers de Civilisation Médiévale, 1963, VI, 3, p. 255-280 ; VI, 4, p. 441-454.
3 Pour une lecture différente de ce passage, voir t. I p. 238-239 et t. II, p. 167 dans Tristan et Iseut, poème du xiie siècle, t. I, édition et traduction ; t. II, notes et commentaires par Hermann Braet et Guy Raynaud de Lage, Paris-Louvain, Peeters, 1989 (2e édition revue du t. I, 1999). La consultation de cette édition est souvent très instructive.
4 Nous pensons, comme beaucoup, que le nombre de trois reste symbolique et n’est pas à mettre en contradiction avec le fait que des traîtres ont déjà été tués pour supputer une dualité d’auteurs (cf. infra, n. 12). Voir sur ce point la remarque de Daniel Poirion : « c’est sans doute qu’il s’agit d’un nombre typique dans les contes. » (Pléiade, p. 1136). Sur la signification de ces noms, voir Jean-Charles Payen « Ordre moral et subversion politique dans le Tristan de Béroul », p. 475, in Mélanges de littérature du Moyen Age au xxe siècle offerts à mademoiselle Jeanne Lods, collection de l’Ecole Normale Supérieure de Jeunes Filles, Paris, 1978, p. 473-484.
5 C’est Yseut, en apercevant sa silhouette, qui craint un drame provoqué par une nouvelle dénonciation au roi Marc (v. 4447-4448).
6 Le texte n’est pas très clair sur la situation exacte des ouvertures : la « fenestre », le « pertus ». « On ne voit pas bien le rapport entre les deux ouvertures mentionnées, le pertuis et la fenêtre. Il est possible que la fenêtre soit une ouverture intérieure, comme celle où Tristan a disposé sa lettre pour Marc (v. 2460, [...]) près de son lit, et le pertuis une petite ouverture donnant sur le jardin, sorte de meurtrière ne permettant pas d’entrer. » (Daniel Poirion, Pléiade, p. 1206).
7 De grant savoir fu la roïne.
D’ire tresue sa persone.
Yseut Tristran en araisone. 4432
8 Dex ! La franche ne se gardoit
Des felons ne de lor tripot.
Par Permis, un suen prochain,
Avait mandé que l’endemain 4348
Tristran venist a lié matin.
9 Daniel Poirion glose ce terme par « sagacité » (Pléiade, p. 1140).
10 Cf. supra n. 7. Elle s’était presque effondrée devant Brangien en lui rapportant ce qui s’était passé sous le pin (v. 339 sq.). Lorsque le roi était revenu de la chasse, mécontent de ses barons qui exigeaient un escondit de la reine, elle s’était évanouie (v. 3166-3172).
11 Ah ! Dex, vrai roi, tant riche trait
Ai d’arc et de seete fait ; 4464
Consentez moi que cest ne falle !
Un des trois feus de Cornoualle
Voi, a grant tort, par la defors.
Dex, qui le tuen saintisme cors 4468
Por le pueple meïs a mort,
Lai moi venjance avoir du tort
Que cil felon muevent vers moi ! »
12 Cela a parfois gêné les critiques qui en ont tiré argument pour montrer les incohérences du texte, voire l’attribuer à deux auteurs différents (Béroul I, Béroul II), la coupure se situant au v. 2765. Cf. supra n. 4.
13 A la cour arthurienne, l’élimination des trois traîtres avait été jugée inévitable par Gauvain, Girflet, Ivain (v. 3457-3503).
14 Se rappeler tout ce que Richard Donner a su tirer, dans son film Ladyhawke (1984), du double passage de l’aurore et du crépuscule.
15 L’on pourrait opposer à ces arguments la longue nuit où Tristan dépose la lettre d’Ogrin sur la fenêtre du roi, où le roi réunit son conseil et dicte la réponse que Tristan reprendra, encore, de nuit, à la Croix Rouge. Cette nuit est, de fait, ambiguë : nuit ou le héros œuvre pour le salut de la reine, nuit de tendresse du roi pour son neveu. Nulle clarté, à sa fenêtre, lorsqu’il prend la lettre. Mais, il faut penser, sans doute, au double sens des symboles. La nuit est bénéfique aux justes, même si elle préfigure une douloureuse séparation des amants qui ne sera que provisoire, comme elle est néfaste aux méchants.
16 « Le hasard a bienfait les choses en encadrant les reliques de l’œuvre par ces deux scènes symétriques. L’attention est ainsi attirée sur la manière et le sens les plus caractéristiques de Béroul » écrit avec « savoir » Daniel Poirion (Pléiade, p. 1127).
17 Cf. infra n. 24
18 On pourra consulter sur ce point : Laurence Harf-Lancner « ‘Une seule chair, un seul cœur, une seule âme’. La mort des amants dans le Tristan en prose », in Miscellanea Mediaevalia. Mélanges offerts à Philippe Ménard, Paris Champion, 1998, t. I, p. 613-628.
19 Relire simplement les derniers vers de son roman !
20 Félix Lecoy estimait que l’intégralité du roman de Thomas « ne devait pas dépasser les 13 000 vers », quand Bédier avait proposé « un total approximatif de 17 500/19 500 vers » : « Sur l’étendue probable du Tristan de Thomas », in Romania, CIX, 1988, p. 398-399.
21 Jacques Ribard, « De Chrétien de Troyes à Guillaume de Lorris : ces quêtes qu’on dit inachevées », in du Mythique au mystique. La littérature médiévale et ses symboles, Paris, Champion, 1995, p. 97-103. Il s’agit du texte d’une communication prononcée ici, à Aix-en-Provence, lors du premier colloque du CUER MA en 1975 et d’abord publiée dans Voyage, quête, pèlerinage dans la littérature et la civilisation médiévales, Senefiance n° 2, Aix-en-Provence, 1976, p. 315-321.
22 Cela paraît en effet un débat quelque peu en porte-à-faux. En effet, pour ne prendre qu’un exemple, la conduite douloureuse mais également cruelle de Tristan vis-à-vis d’une Yseut aux blanches mains bafouée et trahie peut-elle ressortir au registre courtois ? Imagine-t-on Lancelot aussi... discourtois avec une jeune femme ? Chrétien de Troyes n’aurait, Dieu merci, pas osé le mettre en telle situation.
Quant au roman de Béroul, nous continuons de penser que l’essentiel, pour son auteur, est d’un autre ordre, c’est pourquoi nous nous permettrons de renvoyer à une étude ancienne qu’il faudrait assurément corriger : Jean Subrenat, « Sur le climat social, moral et religieux du Tristan de Béroul », in Le Moyen Age, 1976, p. 219-261.
23 Cf., par exemple, Jean Batany, « le Tristan de Béroul : une tragédie ludique », in L’Hostellerie de Pensée. Etudes sur l’art littéraire au Moyen Age offertes à Daniel Poirion par ses anciens élèves, Paris, Presses de l’Université de Paris-Sorbonne, 1995, p. 27-39. Voir aussi du même critique : « Le manuscrit de Béroul : un texte difficile et un univers mental qui nous dérange », p. 43, in La légende de Tristan au Moyen Age, actes du colloque des 16 et 17 janvier 1982, publiés par les soins de Danielle Buschinger, Göppingen, Kummerle Verlag 1982, p. 35-48. Jacques Ribard, « le Tristan de Béroul, un monde de l’illusion ? », in Du mythique au mystique. La littérature médiévale et ses symboles, Paris, Champion, 1995, p. 157-173 ; « Pour une interprétation théologique du Tristan de Béroul », in Symbolisme et christianisme dans la littérature médiévale, Paris, Champion, 2001, p. 49-63.
24 « On peut se demander si le texte de notre poème continuait vraiment par le récit d’autres aventures de Tristan en exil, introduisant ainsi la figure de la seconde Yseut », écrivent Hermann Braet et Guy Raynaud de Lage in Tristan et Iseut, poème du xiie siècle, op. cit., t. II, p. 176. « Rien n’indique que notre narrateur ait voulu conduire les amants à une fin analogue à celle des autres versions » affirme de son côté Daniel Poirion (Pléiade, p. 1207, voir encore p. 1146).
Auteur
Université de Provence
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