De la gymnastique à l’art graphique. Apprentissage et enseignement dans les écoles élémentaires chinoises
p. 157-177
Texte intégral
1En arrivant le lundi matin à huit heures dans une école primaire chinoise1, on peut généralement observer dans la cour tous les enfants qui assistent à la levée du drapeau national. Ils sont en rang, alignés par classe. Ils pratiquent ensuite, comme tous les autres jours de la semaine, la « gymnastique radiodiffusée » (guangbo ticao 广播体操). Durant dix à vingt minutes, ils exécutent une chorégraphie quelque peu martiale au son d’une musique propagée à plein volume par des haut-parleurs accrochés à des pylônes. En début d’année un enseignant, parfois placé sur une estrade, montre les mouvements à effectuer, en hurlant toutes sortes de conseils ; quelques semaines plus tard, il est remplacé par un élève « modèle » (bangyang 榜样) qui agit pour l’ensemble de l’école, mais chaque groupe de classe possède également son propre élève « modèle » placé légèrement en avant de ses camarades et chargé de les guider dans l’exécution des mouvements. Cette scène matinale se répète inlassablement de jour en jour, sauf en cas d’intempéries particulièrement virulentes. Les enchaînements de « gymnastique radiodiffusée » et la musique qui les accompagne sont décidés au niveau du ministère de l’Éducation, ils sont ensuite pratiqués dans toute la Chine. L’aspect militaire de ces exercices et le fait qu’ils succèdent généralement à la levée du drapeau peut laisser entendre qu’il s’agit des vestiges d’une éducation purement maoïste. Néanmoins, en pénétrant davantage dans une école, cette première interprétation se révèle largement insuffisante2.
2Depuis 1999, j’ai effectué plusieurs enquêtes de terrain dans des écoles primaires chinoises. Je me suis aperçue que la formation et l’éducation du corps y tiennent une place prépondérante. La scène de gymnastique matinale précédemment évoquée n’en est qu’un exemple parmi d’autres. Je vais tenter d’analyser ici le rôle et l’importance de l’éducation corporelle dans les écoles primaires chinoises : que tente-t-on de transmettre aux enfants à travers cet enseignement basé sur un véritable « modelage » du corps ? Pour ce faire, je partirai des conceptions de la philosophie classique chinoise relatives à l’éducation et à l’enfance, car elles expliquent en partie les pratiques contemporaines. Dans une seconde partie, je m’attacherai à décrire et à analyser les enseignements généraux relatifs au corps, pour finir sur la place que tient celui-ci dans l’apprentissage de l’écriture.
3J’ai effectué une première enquête de terrain de six mois en 1999-2000 dans une « école primaire expérimentale ». Il s’agissait de l’école dépendant de l’Université Normale de Pékin, spécialisée dans la formation des professeurs et dans ce que nous appellerions en France les sciences de l’éducation. Cette école élémentaire était donc un modèle à bien des égards. On y appliquait les dernières théories pédagogiques voulues par l’État. Les professeurs, considérés comme excellents, accueillaient de nombreux stagiaires en formation. Les élèves étaient principalement les enfants du personnel de l’université, ils étaient donc issus d’un milieu « d’intellectuels d’État ». L’école accueillait aussi des enfants dont les parents ne travaillaient pas à l’université, mais qui étaient suffisamment aisés pour payer les frais d’inscription supplémentaires, obligatoires dans ce cas-là.
4À partir de septembre 2001, pour compléter et diversifier mes données, j’ai commencé une enquête dans une école municipale plus ordinaire. J’ai choisi de travailler à Langfang (廊坊), province du Hebei, entre Pékin et Tianjin. Cette situation privilégiée entre deux grandes métropoles semble avoir grandement favorisé le développement du lieu. À l’origine simple village, c’est aujourd’hui une ville nouvelle de plus de 500 000 habitants. À la fin des années 1970, du pétrole a été découvert dans les environs, entraînant le déploiement d’industries et de centres de recherche liés à son extraction. Par la suite, le gouvernement local a cherché à créer un véritable pôle technologique pour attirer encore davantage d’investissements sur son territoire. En raison de cette volonté politique, Langfang a connu un développement économique et démographique remarquablement rapide. J’ai donc mené mes recherches dans une école municipale de cette ville, « l’école élémentaire n° 12 », ouverte en 1997, et située dans la périphérie Est3.
5 Il existe, en Chine, plusieurs types d’établissements scolaires : les écoles municipales ou de district, comme l’école primaire n° 12, les écoles d’unités de travail, (danwei xuexiao 单位学校4), à l’instar de l’« École primaire expérimentale de l’Université Normale de Pékin » (Beijing shifan daxue shiyan xiaoxue 北京 师范大学实验小学) précédemment évoquée, et les écoles privées5. Les premières constituent des unités de travail en soi qui dépendent directement des autorités locales quant au financement, au choix du système et des manuels utilisés, au recrutement et à la nomination du personnel. Les secondes dépendent d’unités de travail plus importantes (universités, usines, hôpitaux, etc.) et peuvent fonctionner différemment, notamment en utilisant d’autres manuels que ceux choisis par le bureau municipal de l’Éducation. Tous les enfants dont les parents travaillent dans la danwei en question sont prioritaires pour s’y inscrire, mais d’autres peuvent également y être intégrés, moyennant des frais de scolarité plus élevés. Malgré la loi qui prévoit neuf années de scolarité obligatoire6, toutes les écoles sont en réalité payantes en Chine. Les écoles privées sont en général un peu plus onéreuses, mais certains établissements publics (municipaux, ou d’unités de travail) particulièrement réputés peuvent être tout aussi coûteux. En 2003, les frais nécessaires à l’inscription d’un enfant dans l’école primaire n° 12 de Langfang s’élevaient à environ 250 yuans7 par semestre, ce à quoi il fallait ajouter 200 yuans supplémentaires pour les enfants dont le livret familial de résidence (hukou 户口8) ne correspondait pas à la ville, ou même au quartier de l’école9.
6Comme toutes les écoles municipales de Langfang, l’école dans laquelle j’ai effectué mes recherches fonctionne sur six niveaux, auxquels s’ajoute une « classe préparatoire » (xueqian ban 学前班) pour les enfants n’ayant pas encore atteint l’âge légal d’entrer en première année (six ans et demi)10. Il y a deux classes par niveau de la 1re à la 6e année, avec quarante à soixante-dix élèves par classe. Les classes de niveau plus élevé (4e-6e années) sont les plus peuplées, car l’État chinois considère désormais qu’il ne devrait pas y avoir plus de cinquante élèves par classe et la politique de l’enfant unique portant apparemment ses fruits, le nombre d’enfants baisse d’année en année. Il y a au total environ sept cents élèves pour trente-huit adultes. Il s’agit donc d’une école municipale urbaine tout à fait banale pour la Chine, hormis son apparence particulièrement moderne : les bâtiments sont neufs, il y a une grande salle de musique et de danse avec un piano, une salle informatique, une télévision dans chaque salle de classe, un terrain de sport avec des paniers de basket-ball, etc. Ceci est dû, d’une part à la situation de Langfang, ville nouvelle et riche, d’autre part à la personnalité peu commune du directeur qui mène son école à la manière d’un chef d’entreprise et sait trouver les fonds nécessaires à la réalisation de ses projets11.
7Pour analyser de manière plus approfondie l’enseignement de l’écriture à l’école primaire, je vais tout d’abord rappeler quelques références de la philosophie classique chinoise, car, d’une certaine manière, celle-ci imprègne toujours les méthodes d’éducation contemporaines.
Les fondements philosophiques de l’éducation chinoise
8Selon la tradition philosophique occidentale, l’âme, ou l’esprit, et le corps sont généralement considérés comme deux entités distinctes et opposées, la seconde étant d’ailleurs souvent perçue comme un outil au service de la première, supérieure12. Les pensées cosmologiques et philosophiques chinoises ont, de manière différente, toujours mis l’accent sur la complémentarité et la communion des principes. Le diagramme représentant le yin et le yang en est la meilleure illustration13. Toute réalité doit ici être appréhendée dans sa totalité, et on ne peut opposer les différents éléments qui constituent l’homme. Le concept chinois qui se rapproche le plus de ce que nous appelons esprit ou âme, le cœur (xin 心), a toujours été considéré comme partie prenante d’un « corps composite », lieu de façonnement et d’expression du soi14. L’homme peut transformer son « cœur » en agissant avant tout sur son « corps » (ti 体), par l’intermédiaire des « rites » (li 礼). Le terme de « rite » est d’origine religieuse. Il désignait le vase sacrificiel, puis par extension le rituel du sacrifice à la divinité, mais Confucius a repris ce mot pour former l’un des concepts les plus importants de sa pensée. Il a retenu de l’origine religieuse l’attitude de celui qui participe à un sacrifice : « attitude d’abord et surtout intérieure, pénétrée de l’importance et de la solennité de l’acte en cours, qui ne fait que se traduire au-dehors par un comportement formel contrôlé » (Anne Cheng 1997 : 69). Dans les Entretiens, le mot « rite » est mis en relation avec son homophone « se tenir debout/droit » (li 立). Par la suite, de nombreux penseurs n’ont pas manqué de relever et de jouer sur la ressemblance graphique existant entre les idéogrammes « rite » (禮) et « corps » 體, que les caractères simplifiés adoptés en République populaire ont effacée (礼 et 体) (Lewis 2005 : 14). Dans le système confucéen, la correction du corps par les rites représente la base de l’ordre social et moral. Selon Jean Lévi (1997 : 158), « les rites constituent les règles intangibles auxquelles les hommes doivent se conformer car elles fournissent la trame de la raison universelle ». Il ne s’agit pas simplement de régler son comportement sur des codes préétablis, car la sincérité de l’intention doit idéalement toujours se confondre avec le mouvement. Les rites désignent finalement l’ensemble de la liturgie sociale qui préside aux relations des humains entre eux et qui les distingue véritablement des animaux ou des « barbares ». Il s’agit d’une « orthopraxie », selon le terme de James L. Watson (1988 : 10 et 1993 : 84), qui s’acquiert grâce à « l’éducation-instruction » (jiao15) ou une sorte de polissage culturel et permet d’être véritablement reconnu comme un être humain civilisé, et de tendre vers l’idéal chinois de « l’homme de bien » (junzi 君子).
9Ces conceptions ont engendré très tôt un véritable intérêt pour la petite enfance, et même parfois la vie embryonnaire (Despeux 2003). Le néoconfucianisme de la dynastie Song (960-1279), notamment, leur a accordé un rôle central. Thomas Lee (2000 : 284-287) estime d’ailleurs que cette période correspond à une véritable découverte de l’enfance en Chine, similaire à celle des xvi-xviie siècles européens, évoquée par la thèse de Philippe Ariès (1973). Dans les deux cas, les enfants deviennent alors le principal sujet de peintures. En Chine, les livres de médecine spécialisés en pédiatrie apparaissent. Les lettrés néo-confucéens, comme Zhu Xi, réfléchissent à de nouvelles théories éducatives et de nouveaux manuels d’apprentissage sont publiés. Les efforts engagés par l’État ou bien par des particuliers, à partir de cette période, pour transmettre à la population une éducation et une culture commune se manifestent aussi par la multiplication d’écoles d’enseignement élémentaire publiques ou privées à travers le pays (Lee 2000 : 77-86).
10Ces pédagogues néo-confucéens, qui réinterprétaient les écrits de l’antiquité, prônaient l’éducation par les rites et la musique, expressions même de l’harmonie recherchée par le sage16. Cela constituait pour eux l’enseignement le plus important et celui par lequel tous les enfants devaient commencer leur éducation, suivi par l’apprentissage de la lecture et de l’écriture (Gernet 1994 : 99-125 et 2003).
Dans l’Antiquité, l’éducation se faisait au moyen de règles [de comportement] relatives aux relations sociales. De nos jours le plus important dans l’éducation des enfants serait de leur apprendre la piété filiale, l’obéissance aux aînés, la loyauté, la bonne foi, la politesse, les devoirs, la probité et le sens de l’honneur. Et le moyen de les élever […] est de les y inciter par le chant de poèmes, afin de faire naître leur désir de bien faire ; de les y amener par l’exercice des rites, afin de donner plus de gravité à leur maintien.
(Wang Yangming (1472-1529),
Xunmeng jiaoyue dans Yangzheng yigui, bubian,
17 a-b ; cité et traduit par J. Gernet 2003 : 23).
11Il s’agissait simultanément de transmettre aux enfants les comportements rituels relatifs aux relations sociales ainsi que les principes moraux dont ils étaient la représentation pour que le confucianisme, qui était alors l’idéologie d’État, soit diffusé à l’ensemble de la population. Les pédagogues préconisaient par exemple « l’imitation des rites » (xili 戏礼) comme le mariage, l’imposition du bonnet viril, ou le sacrifice aux ancêtres (Gernet 1994 : 102-103). Les enfants devaient « apprendre en actes », c’est-à-dire savoir effectuer les rites formels adéquats, avant même de comprendre l’idéologie qui les sous-tendait, et c’est finalement à travers cette incorporation qu’ils étaient censés atteindre la sincérité chère à Confucius, mais dans un second temps. Selon Jacques Gernet, cet entraînement aux salutations et prosternations rituelles représentait même, dans certains cas, le seul exercice physique permis aux enfants, tel un substitut à la gymnastique. De plus, pour les pédagogues, la pratique des rites formels intervenait littéralement dans la construction du corps :
Les guider par l’exercice des rites n’a pas seulement pour effet de donner plus de gravité à leur maintien : c’est aussi le moyen de mettre en mouvement leur sang grâce aux actes qui consistent à se prosterner et se relever, se courber et s’étendre ; de raffermir et lier ensemble leurs muscles et leurs os.
(Wang Yangming,
Xunmeng jiaoyue dans Yangzheng yigui, bubian,
17 b ; cité et traduit par J. Gernet 2003 : 24).
12L’éducation, telle que les pédagogues néo-confucéens la concevaient, passait donc avant tout par la transmission de pratiques corporelles, de gestes et d’attitudes, et non par une transmission purement discursive, littéraire ou académique. Les individus étant au départ inachevés et encore très malléables, ils pouvaient acquérir ces comportements exactement définis et un parfait contrôle de soi. Les fautes de conduite étaient d’ailleurs très souvent réprimandées plus sévèrement que les fautes d’instruction, même si les allusions à des punitions corporelles sont relativement rares dans les textes anciens (Mather 1995 : 117).
13Pour décrire cette éducation, J. Gernet emploie le terme de « morale du comportement », là où Marcel Granet ([1934] 1999 : 328) avait parlé de « morale de l’attitude ». Cette insistance sur la transmission de comportements particuliers peut rappeler les théories béhavioristes de l’apprentissage. Néanmoins, les pédagogues chinois n’analysaient pas les comportements, leur objectif était de créer un sujet social par l’intégration de l’orthopraxie. Il s’agissait d’inscrire dans le corps des gestes qui devaient devenir « naturels » ou « spontanés » au sens chinois du terme. Le poète de la dynastie Han, Jia Yi (200-168 av. J.-C.), en prétextant citer Confucius, affirmait : « Ce qui s’est formé dans l’enfance est pareil à la nature innée ; l’habitude est semblable à la nature. », (you cheng ruo tian xing, xiguan ru ziran 幼成若天性, 习惯如自然17). Le premier terme traduit par « nature innée », tianxing, renvoie en réalité à « la nature du ciel ». Le caractère « nature » (xing) est formé de deux éléments : la clé du cœur et la vie. La « nature du ciel » est ce qui est donné ou « ce qui est ainsi » de par le « ciel », c’est-à-dire selon le principe garant de l’ordre rituel et de l’harmonie cosmique. Le second terme, que l’on traduit aussi généralement par « nature » (ziran 自然), signifie littéralement « ce qui est ainsi par soi-même ». C’est également, au sens taoïste, la « spontanéité » que le sage doit atteindre. Celle-ci ne s’acquiert bien évidemment que par un long travail sur soi. L’anecdote du cuisinier Ding dépeçant un bœuf, tirée du Zhuangzi, en est un exemple éloquent. Ding provoque l’admiration de son prince en découpant un bœuf avec une aisance naturelle remarquable. Il explique alors comment un long apprentissage, dont il détaille les phases, permet désormais à ses gestes de s’accorder parfaitement à la situation telle qu’elle se présente. Dorénavant, son couteau « suit de lui-même les linéaments du bœuf18 ». La « spontanéité » (ziran) qualifie un geste qui, à force d’avoir été pratiqué et répété, atteint une forme de perfection en suivant le cours des choses et dans « l’oubli de la conscience » (Billeter 2002 : 17). C’est-à-dire qu’il a rejoint ou exprime la « nature du ciel ». Selon ces conceptions, il n’existe pas d’opposition entre l’inné et l’acquis. Ce que nous appellerions l’acquis est une recherche de l’inné, de la nature, du spontané. C’est cette spontanéité dans le comportement quotidien qui est l’objectif fondamental de tout apprentissage.
14Tous les enfants de la Chine classique ne recevaient bien évidemment pas une éducation de la part de parents ou de maîtres d’école éclairés par la lecture de ces pédagogues. Cependant J. Gernet (1994 : 98) souligne que les « efforts déployés par les hautes classes pour l’endoctrinement de l’ensemble de la société […] expliquent pourquoi la culture populaire, quand elle nous est connue, apparaît si souvent contaminée par les traditions des milieux lettrés ». Ainsi l’expression « l’habitude est semblable à la nature », souvent légèrement modifiée en « l’habitude devient la nature » (xiguan cheng ziran 习惯成自然) est toujours connue de tout un chacun, elle est très souvent évoquée comme un dicton populaire, ou bien faussement attribuée à Confucius. En conséquence, l’importance accordée aux habitudes gestuelles dépassait largement le milieu lettré. Quelles que soient les disciplines, l’apprentissage à partir de l’imitation de mouvements sans cesse répétés jusqu’à ce qu’ils soient véritablement incorporés et deviennent « naturels » ou « spontanés » a souvent été favorisé par rapport à l’explication orale et continue de l’être dans de nombreux domaines en Chine.
Façonner le corps pour apprendre
Éducation physique et musique
15Dans la Chine urbaine, les enfants ont dès l’école primaire plusieurs professeurs, en général sept : un pour enseigner la « langue » chinoise (yuwen 语文) et la matière intitulée « pensée (ou idéologie) et morale » (sixiang pinde 思想 品德) laquelle se transforme en leçon de « société » (shehui 社会) à partir de la quatrième année19), un pour les mathématiques (shuxue 数学), un pour les sciences naturelles (ziran 自然), un pour les beaux-arts (meishu 美术), un pour l’informatique (weiji 微机), parfois un seul professeur qui enseigne à la fois l’éducation physique (tiyu huodong 体育活动) et la musique (yinyue 音乐), parfois il en existe un pour chacune des deux disciplines. Parmi ces différents professeurs, bien souvent celui qui enseigne la langue chinoise et la morale, mais parfois aussi celui qui enseigne les mathématiques, est le responsable de classe (banzhuren 班主任). Il a le rôle de nos professeurs principaux de collèges ou de lycées. La valorisation de ces deux matières n’est pas pour nous surprendre, elle est habituelle en Occident. Cependant, dans l’école primaire n° 12 de Langfang, il existe aussi un responsable de l’ensemble des classes de première et deuxième années : le professeur de musique et d’éducation physique. Au regard des conceptions déjà évoquées, cette attribution est finalement des plus traditionnelles. Nous avons vu que les pédagogues – depuis le xie siècle – préconisaient la pratique des rites formels et la musique pour la formation des enfants les plus jeunes. Par ailleurs, le rôle accordé au chant autrefois et aux professeurs de musique aujourd’hui s’explique peut-être également par le fait que la langue chinoise est une langue tonale, se tromper de ton dans la prononciation d’un mot rend la compréhension beaucoup plus difficile et engendre souvent des quiproquos plus ou moins plaisants. L’éducation de l’oreille est donc particulièrement importante pour l’acquisition de la langue, et le passage par la musique incontournable.
16Le façonnage du corps en général, et de l’oreille en particulier, est le préalable à toute transmission de savoir. Le professeur enseignant la « musique », et littéralement l’« éducation corporelle et le mouvement » (tiyu huodong 体育活动), est donc particulièrement bien placé pour être responsable des enfants les plus jeunes.
Préparation du corps pour l’apprentissage
17Afin de montrer de quelle manière le corps intervient en classe, je vais relater ici le déroulement d’une leçon assez typique parmi celles auxquelles j’ai assisté. Il s’agit d’une leçon de « langue » (yuwen 语文) chinoise qui a eu lieu en septembre 2001, durant la deuxième séquence du matin, de 9h50 à 10h35. Le professeur était une jeune femme âgée d’une trentaine d’années. Elle faisait face à soixante-deux enfants de troisième année de primaire, qui avaient donc entre neuf et dix ans pour la plupart.
189h50 : la sonnerie annonce le début de la leçon, les élèves se précipitent en classe. Certains s’assoient, d’autres restent debout. Je suis assise à côté de la porte face aux élèves. Le professeur entre dans la classe monte sur la petite estrade sur laquelle se trouve son bureau, tous les élèves se lèvent et disent en cœur : « Bonjour professeur » elle répond : « Bonjour camarades Asseyez-vous s’il vous plaît. » Elle appelle un élève au tableau puis se dirige vers la fenêtre. L’élève monte sur l’estrade et, face à ses camarades, commence à exécuter des mouvements de massage sur son propre visage, suivi par tous les élèves qui, assis à leur place, font de même en fermant les yeux : pincement du nez entre les deux yeux, mouvements circulaires dans les deux sens sur les pommettes, mouvement linéaire de l’intérieur vers l’extérieur sous les sourcils et sur le front.
199h55 : l’enfant se rassoit, l’institutrice monte sur l’estrade, elle rappelle ma présence aux enfants en les engageant à bien se comporter « hao hao biaoyan ». Elle utilise le terme qui signifie « représenter, jouer (une pièce de théâtre) ».
20Elle annonce le titre de la leçon du jour : « Le petit photographe ».
21Les enfants lisent tous ensemble à haute voix le texte de la leçon 3, page 15 du manuel qui porte sur Gorki20.
22Deuxième lecture collective, mais ceux de gauche lisent les passages sensés être dits par Gorki et le jeune photographe, ceux de droite lisent les propos du narrateur. Les élèves se lèvent quand c’est leur tour de lire.
23Le professeur écrit au tableau le résumé de l’intrigue. Elle explique qui est Gorki. Puis écrit la phrase : « Les livres sont l’échelle qui permet à l’humanité de progresser. »
2410h10 : Elle pose des questions sur la leçon, les élèves qui savent répondre lèvent le bras droit. Ils se mettent debout quand ils sont interrogés et en général lisent un passage du texte apportant la réponse à la question posée.
25À droite du tableau les seize nouveaux caractères de la leçon sont écrits dans des carrés, avec les clés21 en rouge.
26Par colonne, chacun leur tour, les élèves choisissent un nouveau caractère et doivent donner deux mots composés formés à partir de celui-ci.
2710h15 : Les élèves font avec leur bras les gestes dans l’espace permettant d’écrire chacun des nouveaux caractères. Puis ils les recopient sur leur cahier. Quand certains ont un doute sur l’écriture ils posent une question, l’enseignante écrit alors le caractère au tableau en accentuant les gestes. Ceux qui ont terminé couchent leurs têtes dans leurs bras croisés sur la table.
2810h25 : « Vous savez écrire, on relit tout maintenant » Lecture collective à haute voix.
29« Maintenant on va jouer l’histoire » Grand brouhaha dans la classe. Elle : « Je suis le metteur en scène » Elle demande qui veut jouer, appelle quatre élèves parmi tous ceux qui lèvent le bras et indique à chacun son rôle. Ils jouent le texte avec les manuels sous les yeux.
30Applaudissements, ils retournent s’asseoir.
31Elle en appelle quatre autres, mais cette fois sans le manuel, ils récitent et jouent la leçon. Applaudissements.
3210h35 : Dernière lecture collective, interrompue par la sonnerie.
33Les massages faciaux par lesquels la leçon débute s’appellent en chinois « gymnastique pour conserver la santé des yeux » (yan bao jian cao 眼保健操). Cette pratique a été diffusée dans les écoles au début des années 1960 afin d’améliorer le niveau général de vue de la population (« pour faire la révolution il faut avoir une bonne vue ») de manière similaire à la « gymnastique radiodiffusée » évoquée en début d’article22. Nous avons vu que l’éducation traditionnelle ne faisait pas appel à la gymnastique. Celle-ci a commencé à être introduite entre la fin du xixe siècle et le début du xxe siècle par des pédagogues se réclamant de la modernité et inspirés de méthodes occidentales. Le Parti communiste en a ensuite généralisé la pratique dans toutes les écoles afin de créer « un homme nouveau » avec de meilleures capacités physiques. Toutefois, la pratique des massages faciaux ou celle de la gymnastique radiodiffusée ne jouent pas tout à fait le même rôle aujourd’hui que durant l’époque maoïste.
34D’après les enseignants qui pratiquent les massages faciaux, ils permettent aux élèves de se mettre en condition d’apprentissage, tout en étant « bons pour la santé », « bons pour les yeux ». De nombreux articles de presse ou internet rappellent maintenant qu’il s’agit d’une pratique ancienne de la médecine chinoise, dont on trouve même des mentions chez Zhuangzi (ive siècle av. J.-C.), ou dans le traité du célèbre médecin Sun Simiao (581-682) Mille remèdes précieux contre les maladies aiguës, (Beiji qianjin yaofang 备急千金要放). Par ailleurs, certains enchaînements de « gymnastique radiodiffusée », mais aussi des cours d’éducation physique à proprement parler évoquent également des pratiques thérapeutiques ou d’arts martiaux anciennes, notamment à travers l’imitation très courante d’attitudes ou de comportements animaux23.
35Les références et le rôle attribué à ces « gymnastiques » ont changé depuis l’époque maoïste. Il ne s’agit plus de façonner un « homme nouveau ». Elles sont maintenant considérées comme étant avant tout bonnes pour le corps et donc pour l’apprentissage. Les nouveaux programmes mis en place en 2003 conservent pour cette raison les dix minutes de « gymnastique radiodiffusée » et de nombreux enseignants continuent de pratiquer la « gymnastique pour conserver la santé des yeux ». Au travers de pratiques relativement récentes qui trouvent partiellement leur origine dans une influence occidentale, mais que les discours relient désormais ouvertement à des traditions chinoises anciennes, santé physique et apprentissage continuent d’interagir mutuellement l’un sur l’autre.
36Par ailleurs, en dehors des moments de récréation, les enfants sont toujours en rang, alignés ou en colonne. Ceci débute dès l’échauffement matinal, et il en est de même en classe : tous les bureaux sont alignés les uns derrière les autres et la posture des enfants est régulièrement reprise par les enseignants. Il existe une position appropriée à chaque activité : lecture, écriture, communication orale et même repos. Pour lire, les enfants doivent se tenir assis bien droit, le dos appuyé sur le dossier de leur chaise s’ils en ont une, ou comme s’ils en avaient une (en général les enfants sont assis sur des tabourets en bois), les avant-bras posés sur la table tenant le livre relevé. Pour écrire, ils peuvent se pencher davantage vers le cahier posé sur la table droit face à eux ; écrire sur une feuille de travers est absolument inconcevable et provoque une réaction immédiate de l’enseignant. Pour demander la parole, il faut lever le bras droit, et celui-ci uniquement, tout en gardant le coude posé sur la table. L’enfant interrogé doit se mettre debout les bras le long du corps, en général à droite de son siège. Lorsque certains élèves ont achevé leur travail avant le reste de leurs camarades, ils doivent se reposer, comme nous l’avons vu, en posant la tête dans leurs bras repliés sur la table. Ces positions font partie des premiers apprentissages dès l’entrée en classe préparatoire et sont représentées sur les illustrations des premières pages de tous les manuels de première année.
37Cette importance accordée à l’alignement et à la correction des postures du corps est à mettre en relation avec une volonté de normalisation encouragée par le Parti Communiste. Tous les enfants font les mêmes gestes, de la même manière, au même moment. Leur individualité ne doit a priori pas ressortir du groupe dans lequel ils doivent se fondre. Ces gestes sont par ailleurs l’expression d’un statut, celui de l’élève face à son professeur ou parmi ses camarades et dont le manquement peut être interprété comme une faute de respect par les uns ou les autres. Cette importance fondamentale du maintien correct existait également dans les écoles françaises jusque dans les années 1970 environ et s’expliquait aussi par une volonté de normalisation et de « domestication » de la nature encore un peu sauvage des enfants. Dans Éducation et sociologie, Émile Durkheim ([1922] 1985) utilise le terme de « dressage ». Michel Foucault ([1975] 2004 : notamment p. 159-199) a analysé la naissance au xviiie siècle de ce « contrôle disciplinaire » sur les corps dans les écoles, mais aussi à l’armée, dans un but d’efficacité et de vélocité. On peut penser qu’un esprit similaire animait les premiers pédagogues communistes chinois dans leur volonté de développer rapidement un système éducatif de masse. Néanmoins aujourd’hui, lorsque j’ai interrogé les enseignants sur les raisons de ces pratiques, ils m’ont tous donné comme première explication le fait que cette maîtrise des positions appropriées était « bonne pour le corps » (dui shenti hao 对身体好), de la même manière que les « gymnastiques » évoquées plus haut. L’utilisation de cette expression peut être analysée sur plusieurs niveaux. Elle renvoie au rôle joué dans l’éducation confucéenne classique par la maîtrise de soi et les comportements rituels qui façonnent le corps humain. Elle peut aussi faire référence aux vertus thérapeutiques qui sont reconnues à certaines postures du corps, et plus généralement aux conceptions selon lesquelles l’ordonnancement du monde et celui du corps sont en étroite correspondance. Dans tous les cas, cela explique pourquoi la posture correcte est la condition même d’un apprentissage réussi. Certains enseignants de première année rappellent à leurs élèves que le fait de « bien s’asseoir est bon pour la mémoire » (zuohao dui jiyili hao 坐 好对记忆力好). Ce qui distingue ici la Chine de l’Occident est la conscience, et le rappel constant aux enfants, de l’engagement corporel dans une activité, telle que la mémoire par exemple, que nous aurions aujourd’hui tendance à considérer comme étant d’ordre intellectuel.
L’apprentissage de l’écriture ou l’incorporation des caractères
« À l’école on apprend à lire et à écrire des caractères ! »
38En Chine comme en France, à la question « Qu’apprend-on à l’école ? », tout le monde répondra en premier lieu : à lire, à écrire puis à compter. La tâche principale de l’école élémentaire est de transmettre la maîtrise de l’écriture. Or, l’écriture chinoise, composée de milliers de caractères, entraîne un apprentissage nécessairement différent de celui d’une écriture alphabétique et nous verrons que, là encore, le corps joue un rôle fondamental24.
39Un caractère est formé d’un certain nombre de traits qui se tracent dans un ordre et un sens précis. Les traits de base sont en nombre limité (de sept à une quinzaine sont généralement reconnus) et portent un nom, mais ils n’ont pas de signification. En chinois classique, les caractères correspondent chacun à un mot d’une syllabe. Aujourd’hui ils correspondent toujours à une syllabe et à un morphème, c’est-à-dire une unité de sens minimale, mais de nombreux mots sont composés de plusieurs caractères. La prononciation d’un caractère varie selon les lieux et les époques, de même que les différents sens qui y sont attachés peuvent évoluer ou se diversifier, mais le caractère lui-même ne change pas, hormis par les simplifications25. L’écriture en caractères permet donc d’écrire toutes les langues chinoises qui ont une structure syntaxique commune. Un Pékinois, un Cantonais et un Shanghaïen peuvent lire le même texte, ils ne le prononceront pas de la même manière, mais tous trois accèderont au sens identiquement. Cette indépendance par rapport aux prononciations locales a permis à l’écriture chinoise de devenir, selon le terme de M. Granet, « une écriture de civilisation » ([1934] 1999 : 44). Elle sert encore de nos jours de facteur d’unification et de moyen de communication entre des gens parlant des langues différentes à l’intérieur du pays et hors de celui-ci, à travers la diaspora.
40En un semestre de première année de l’école primaire, les enfants doivent apprendre à tracer toutes les lettres de l’alphabet latin qui composent la transcription phonétique du chinois, pinyin26, et cent quarante caractères, réduits à cent depuis septembre 2003. À la fin de l’année, ils doivent en maîtriser quatre cent quarante au total (quatre cent cinquante depuis septembre 2003). En deuxième année, sept cent quarante nouveaux caractères sont introduits. Par la suite, il y en a chaque année un nombre de plus en plus réduit (jusqu’à n’atteindre que cent vingt nouveaux caractères pour la sixième année), mais le total est malgré tout de deux mille cinq cents caractères à acquérir en six ans. Les écoliers doivent, de plus, être capables d’associer à ces caractères un son – celui de la langue officielle, qui n’est pas nécessairement celui de leur langue maternelle – et du sens. Comment, en trois ans environ, un enfant peut-il apprendre à reconnaître et à tracer, c’est-à-dire être capable de reproduire sans modèle, des assemblages de traits plus ou moins nombreux et compliqués formant quasiment deux mille caractères différents ?
41Le premier élément qui simplifie ce dur apprentissage est la structure même des caractères. En effet, on ne peut les considérer comme un tout inanalysable ; j’ai déjà évoqué les traits de base, et les « clés » ou « radicaux ». En général, la partie haute ou gauche de chaque caractère est elle-même un caractère simple qui, lorsqu’il est associé à d’autres, forme des caractères composés tout en donnant une indication d’ordre sémantique sur ceux-ci. Les clés sont enseignées aux enfants au fur et à mesure qu’elles apparaissent dans les nouveaux caractères et facilitent bien évidemment la mémorisation.
Apprendre par le geste
42Néanmoins dans la pratique de l’écriture, l’essentiel est ailleurs. Si les enfants peuvent mémoriser si rapidement des centaines de caractères, c’est qu’ils utilisent, pour ce faire, la mémoire motrice avant tout. Pour reconnaître et lire des milliers de caractères, la mémoire visuelle est bien évidemment très sollicitée, mais pour celui qui écrit, le caractère est d’abord un geste en trois dimensions que l’on effectue en suivant un certain nombre de règles, avant d’être sur le papier une forme en deux dimensions. J.-F. Billeter (1989) montre que l’écriture chinoise, dans son exécution, peut être comparée à la danse. Le danseur mémorise également dans son corps des pas ou des gestes et peut ainsi en intérioriser des milliers. Les enfants apprennent donc à tracer des caractères comme ils apprendraient des pas de danse. À l’école, ils commencent en effet par tracer les caractères dans le vide, comme cela est décrit plus haut, avant de les écrire sur le papier. L’enseignant trace le caractère au tableau, et les enfants doivent reproduire tous ensemble les mêmes mouvements dans l’espace avec leur doigt. Cette méthode est utilisée dès l’apprentissage du pinyin pour tracer les lettres latines. Comme un professeur de danse qui, en regardant l’ensemble de ses élèves, voit immédiatement celui qui n’exécute pas le mouvement correctement, l’instituteur chinois peut, de la même façon, vérifier que tous les enfants mémorisent le bon geste, c’est-à-dire qu’ils tracent les traits des caractères dans le bon sens et dans le bon ordre. Ainsi, les enfants mémorisent dans leur corps un caractère avant de l’écrire sur papier. Même s’ils ont la représentation du caractère écrit au tableau face à eux, ils l’apprennent avant tout comme un geste. Les enseignants s’efforcent de développer chez les enfants une mémoire gestuelle, de leur faire intégrer des habitudes corporelles, celles du tracé des caractères, qui deviendront naturelles de la même manière que les comportements ou gestes de la vie en société déjà évoqués. Écrire dans le vide est aussi une manière de s’entraîner à tracer les caractères avant de réellement laisser une marque écrite qui risquerait de ne pas être correcte. Le caractère doit en quelque sorte se perfectionner avant d’être matérialisé. Ce n’est que lorsque le geste est suffisamment sûr pour paraître naturel et spontané (au sens chinois du terme), que l’élève peut se préoccuper de l’apparence visuelle de son caractère en imitant un modèle particulier.
43Le scripteur confirmé du chinois peut ne pas visualiser un caractère avant de l’écrire, et le découvrir à mesure qu’il prend corps sous ses yeux, tout comme le danseur ne visualise pas forcément son pas de danse avant de se mettre à danser. Inversement en danse comme en calligraphie, il existe des techniques de visualisation intérieure précédant la mise en mouvement. La seule différence réside dans la trace que laisse parfois l’écriture, qui n’existe généralement pas en danse. L’habitude de tracer des caractères dans le vide est toujours conservée par la suite, si une personne a oublié ou n’est plus tout à fait sûre d’un caractère par exemple, elle commencera par le tracer dans l’espace avant de l’écrire sur le papier dans le but de se remémorer le geste intériorisé plutôt que de chercher à se souvenir directement de l’image. Il faut se mettre en mouvement, comme en danse, pour se souvenir d’un caractère. De même, dans une conversation de tous les jours, il peut y avoir ambiguïté sur un mot de par le très grand nombre d’homophones qui existent en chinois. Dans ce cas, seul le recours à l’écrit permettra de faire comprendre à son interlocuteur de quel mot il est en réalité question. La plupart des Chinois font alors le geste de tracer dans la paume de leur main le caractère qui représente ce mot prêtant à confusion. En observant le mouvement effectué, l’interlocuteur comprendra immédiatement de quoi il s’agit. Cette méthode est couramment utilisée entre des Chinois gênés par leur différence d’accent régional ou même de langue. Le geste donne ici réellement corps à l’écriture27.
44Afin d’intérioriser davantage les gestes permettant d’écrire chaque caractère, de nombreuses heures, scolaires et extrascolaires, sont ensuite accordées à la copie. Les enfants font des lignes du même caractère, en général une ligne de dix en classe et une autre à la maison. Ce système a quelque peu été perturbé en 2000 par l’interdiction émanant du ministère de l’Éducation des devoirs à la maison pour les classes de première et deuxième années de primaire, alors que ce sont celles où le plus de caractères doivent être acquis. Néanmoins, cette interdiction n’est finalement quasiment jamais respectée, les lignes de copie sont toujours demandées par les professeurs. De plus, une partie de l’après-midi est de toute façon consacrée aux exercices, et plus particulièrement à la copie, alors que l’explication des leçons importantes et des nouveaux caractères a généralement lieu le matin.
45D’après J.-F. Billeter, les écritures alphabétiques fonctionnent selon un tout autre principe :
Nous écrivons au moyen de petits gestes machinaux. La main seule travaille sans que le reste du corps soit mis en mouvement, de sorte que notre écriture se réduit presque entièrement à une activité cérébrale presque entièrement coupée de son soubassement gestuel. L’écriture chinoise doit au contraire être prise à bras le corps, elle doit s’apprendre par le geste.
(Billeter 1989 : 85)
46L’opposition entre les deux formes d’écriture est ici un peu exagérée, le maniement de la plume autrefois demandait certainement un apprentissage gestuel comparable à celui qu’exige le pinceau. Par ailleurs, l’apprentissage de l’écriture occidentale faisait tout autant recours à la copie. Tous ceux qui ont effectué leur scolarité élémentaire jusque dans les années 1970 se souviennent encore des lignes répétitives pour s’exercer à tracer chacune des lettres de l’alphabet. Celles-ci ont été négligées par la suite, néanmoins, dans les écoles maternelles françaises, un entraînement de la motricité prépare toujours les élèves à l’apprentissage de l’écriture. Les enfants commencent par tracer dans l’espace des ronds et des barres qui permettront ensuite de former les lettres de l’alphabet. La méthode du pédagogue tchèque Ladislav Havranek (1999), suivie par quelques enseignants, prépare aussi à l’activité graphique par des jeux corporels : l’enfant doit par exemple imiter le poisson qui nage dans la mer, la souris qui fuit devant le chat, le renard qui cherche son terrier, ou la feuille qui s’envole au vent, reproduire ensuite le mouvement avec le bras uniquement, puis avec le doigt pour s’adapter progressivement à un espace plus restreint. Par ailleurs, depuis quelques années, un retour à l’importance du geste dans l’écriture semble véritablement voir le jour28. La mémoire gestuelle joue donc également un rôle important dans nos écritures, tout au moins au début de l’apprentissage. Mais par la suite, nombre d’enseignants considèrent que la mémoire visuelle est primordiale. Ils ne comprennent pas pourquoi un enfant qui lit beaucoup – et donc « voit » beaucoup de mots – peut, par ailleurs, faire énormément de fautes d’orthographe. Beaucoup considèrent qu’à partir du moment où l’enfant a vu un mot un certain nombre de fois, il doit savoir l’écrire, sans imaginer que pour certains le recours à la copie, et donc à la mémoire gestuelle, est aussi nécessaire.
Du crayon au pinceau
47Malgré ces quelques exemples qui montrent que le corps joue aussi un rôle dans les écritures alphabétiques, cela n’est pas tout à fait comparable avec celui qu’il joue dans l’écriture chinoise. En effet, la calligraphie est considérée en Chine comme l’un des arts les plus nobles et, au même titre que les arts martiaux par exemple, c’est une activité qui permet de « nourrir le principe vital » (yangs-heng 养生) et donc de conserver la santé, de prolonger la vie. La pratique de la calligraphie nécessite effectivement l’apprentissage d’une position particulière et un travail sur le souffle. Il s’agit d’un véritable entraînement corporel conscient pour lequel certaines techniques spécifiques doivent être transmises. Le rapport entre écriture et santé va même au-delà de cela. Ainsi un médecin du xive siècle, Huang Kuangsuo, a pu dire : « L’homme de bien prend plaisir à la calligraphie parce qu’elle nourrit l’esprit et guérit les maladies29». En Chine, la santé et la longévité sont des signes tangibles dans l’art d’être humain, ce sont des preuves de maîtrise, de sagesse et d’intelligence. Alors que, selon la dichotomie classique occidentale, la maîtrise, la sagesse et l’intelligence sont des qualités morales associées à l’esprit et la santé ou la longévité des qualités propres au corps. En Chine, où cette opposition n’existe pas, santé et longévité sont le résultat d’une vie juste, et donc la preuve d’une supériorité intellectuelle et morale. Et, selon les conceptions chinoises, l’artiste accroît en lui sa puissance de vie en pratiquant son art.
48Or, après l’écriture dans l’espace, tous les enfants commencent par apprendre à tracer les caractères au crayon noir, ce qui permet de tout gommer et de recommencer dès la moindre erreur de mouvement. Puis vient ensuite, dans beaucoup d’écoles, l’enseignement de l’utilisation du pinceau. Celui-ci intervient souvent à partir de la quatrième année, lorsque la majorité des caractères ont été introduits. La grande attention portée aux positions des enfants, précédemment évoquée, est par conséquent aussi à mettre en relation avec ce passage au pinceau, c’est-à-dire à l’écriture calligraphique proprement dite. Pour écrire au pinceau, il faut acquérir une posture très particulière, à laquelle les enfants ont été entraînés indirectement depuis leur entrée à l’école. Ainsi l’enseignement scolaire de l’écriture n’est pas dissociable de la calligraphie. Les lignes de copie, outre la mémorisation, ont également pour objet d’entraîner l’enfant à faire de « beaux caractères », d’atteindre par imitation un modèle esthétique. Le professeur, qui trace le modèle au tableau dans un carré subdivisé en quatre petits carrés afin de montrer les proportions exactes, semble même réussir, avec une craie, à faire les « pleins et déliés » du pinceau. Dès qu’une personne écrit un caractère, que ce soit au stylo, au crayon à papier ou au pinceau, elle peut s’attendre à recevoir des commentaires apparemment d’ordre esthétique sur son écriture. Cependant, comme l’explique Simon Leys (2004 : 24-26), à travers la beauté d’une œuvre d’écriture, ce sont les « qualités éthiques » de son auteur qui sont recherchées. Il cite notamment une phrase du peintre-calligraphe Zhang Geng (1685-1760) : « Ce qu’écrit un homme fournit une image de son cœur, et on peut y déchiffrer ses vices et ses vertus. » (ibid. : 25). Le calligraphe transmet quelque chose de sa propre essence à son écriture, qui conserve ainsi une part de la personnalité de son auteur. C’est pourquoi l’apprenti calligraphe doit commencer par s’entraîner à copier des modèles célèbres afin d’incorporer les qualités de leurs auteurs avant de pouvoir lui-même prétendre à l’expression de sa propre personnalité et à la création. De même que, dans le bouddhisme, la copie de textes sacrés est un moyen d’acquérir des mérites spirituels, dès les bancs de l’école, les enfants s’exercent à la copie pour mémoriser les caractères, intérioriser les gestes permettant de les reproduire, mais également dans le but d’atteindre un certain modèle esthétique, c’est-à-dire éthique ou moral.
Conclusion : Les nouvelles directives ministérielles, entre traditions chinoises et influences occidentales
49L’enseignement scolaire chinois contemporain passe toujours par un véritable modelage du corps qui peut paraître parfois exagérément disciplinaire. Il s’appuie cependant sur des conceptions éducatives anciennes selon lesquelles l’incorporation de certains comportements qui deviennent « naturels » permet de former complètement des êtres humains encore « inachevés ». L’importance accordée au corps et à la mise en condition de celui-ci pour l’apprentissage (la « gymnastique radiodiffusée », la « gymnastique pour conserver la santé des yeux », les postures correctes, le rôle du professeur d’éducation physique et de musique, etc.) repose toujours sur ce principe. De plus, l’apprentissage de l’écriture nécessite également une participation active du corps en raison de la spécificité des caractères chinois, lesquels font avant tout appel à la mémoire motrice pour leur exécution.
50La dernière réforme, publiée par le ministère de l’Éducation en 2001 et appliquée depuis 2003 à Langfang, bien qu’influencée par certains courants pédagogiques occidentaux, ne désavoue pas cette prégnance du corps dans l’apprentissage. En effet, les pédagogues chinois modernes considèrent maintenant que le problème fondamental du système scolaire, qui utilise des méthodes qualifiées littéralement de « trop mortes » (tai si 太死), est de ne pas favoriser les « capacités d’indépendance » (zili nengli 自立能力) des enfants. Nous avons vu que beaucoup de temps était effectivement consacré à la copie, à l’imitation : quelle que soit la matière, les élèves apprennent à imiter un modèle sans que leurs propres capacités de réflexion ne soient sollicitées. Or, les conditions sociales et politiques ne sont plus tout à fait les mêmes qu’autrefois, les enfants uniques sont désormais majoritaires en ville, et les pédagogues estiment que l’attention permanente dont ils sont l’objet de la part de leurs familles ne leur permet pas non plus d’acquérir en dehors de l’école une certaine forme d’autonomie. Or selon les nouvelles tendances pédagogiques, cela risque d’avoir de graves conséquences pour la société chinoise d’aujourd’hui et de demain. L’enjeu n’est plus seulement de réformer les mœurs par l’éducation et de former de futurs lettrés-fonctionnaires capables de représenter et de diffuser l’idéologie impériale confucéenne. Il ne s’agit plus non plus de façonner de bons révolutionnaires communistes, prêts à se sacrifier pour le Parti. Il faut désormais former de futurs entrepreneurs capitalistes ou des scientifiques innovants capables de prendre des décisions individuelles risquées pour assurer à la Chine son rôle de grande puissance mondiale. C’est pour remédier à ce problème que deux nouveaux mots d’ordre ont été lancés : « bouger » (huodong 活动), et « agir de son propre chef » (zhudong 主动).
51Le premier, huodong signifie au départ « prendre du mouvement, agir, se remuer, prendre de l’exercice » ou bien les noms correspondants d’« activité, exercice physique, mouvement ». Il est très courant d’entendre dire que les enfants uniques manquent de cette « capacité de mouvement » (huodong nengli 活动能力). C’est donc le nouveau rôle du professeur que de guider ses élèves dans leurs « activités » ou leur « mouvement » huodong : « Les professeurs ne sont plus les porte-parole de la vérité, ils ne sont plus l’unique source de savoir et d’information des élèves, mais les guides, les inspirateurs des activités (ou mouvements) d’étude30. » Cette phrase tirée d’un livre de conseils destiné aux enseignants semble directement inspirée des pédagogies en vigueur dans nos Instituts de Formation des Maîtres. Pourtant l’utilisation du mot huodong inscrit aussi ces nouvelles directives dans la tradition chinoise d’enseignement par le mouvement. Dong signifie « bouger », et huo « vie », il s’agit littéralement du « mouvement de la vie », ce qui rappelle finalement le « naturel », ziran, fruit d’un long apprentissage auquel visait l’éducation confucéenne ou, plus généralement, traditionnelle.
52Dans le deuxième terme, désormais référentiel pour les professeurs désireux de ne pas être considérés comme « traditionalistes » ou carrément « arriérés » (luohuo 落后), « bouger » (dong) apparaît également. Zhu signifie « maître, propriétaire », donc littéralement « bouger en étant le maître de son mouvement », ou « agir de son propre chef ». Il s’agit de développer la capacité des enfants à penser et à agir par eux-mêmes, sans nécessairement répéter ou imiter ce que le maître aura pu dire ou faire. C’est donc finalement la capacité d’« entreprise », dans tous les sens du terme, qui est recherchée31. Mais là où nous parlons de « développer les capacités de réflexion personnelle », en Chine, l’accent est mis sur les capacités d’action individuelle, même si le mental et l’intellect sont bien évidemment compris dedans. Lorsque les pédagogues chinois affirment s’inspirer des méthodes occidentales, le corps dans son intégralité et son caractère actif conserve néanmoins pour eux son importance première.
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Notes de bas de page
1 Une première ébauche de cet article a été présentée dans le cadre du Deuxième Congrès International du Réseau Asie en septembre 2005. Cette communication intitulée « Corps, rites et écriture dans les écoles primaires chinoises » est disponible en ligne sur le site du Réseau Asie : http://www.reseau-asie.com
2 Sur la « gymnastique radiodiffusée », voir aussi Gladys Chicharro (2008a).
3 Mes recherches à Langfang ont abouti à la publication d’un livre : Le fardeau des petits empereurs. Une génération d’enfants uniques en Chine, 2010. Le chapitre 1 (p. 29-54) est plus particulièrement consacré à la ville et aux histoires de vie de ses habitants alors que le chapitre 4 (p. 119-144) concerne l’école primaire n° 12 et son organisation.
4 Pendant la période communiste, toute personne était rattachée à l’unité de travail (danwei 单位), dans laquelle elle exerçait sa profession. Chaque usine, entreprise, établissement d’enseignement ou de recherche était une unité de travail dépendant directement de l’État chinois. La danwei prenait en charge le logement, la santé, l’éducation, les loisirs, ou toutes sortes de besoins que ses membres étaient susceptibles d’éprouver.
5 Sur le développement, les différentes formes et appellations des écoles privées en Chine, cf. Christine Nguyen Tri (2001) et Lin Jing (1999).
6 La loi sur la scolarité obligatoire en république populaire de Chine d’après le décret n° 38 du président de la RPC, ratifié par l’Assemblée nationale populaire le 1er juillet 1986.
7 Cent yuans équivalaient à peu près à 10 euros en 2003 le salaire d’un instituteur à Langfang variait entre 800 et 1000 yuans par mois en fonction de ses diplômes et de son ancienneté.
8 Le système du hukou, mis en place depuis 1951, avait, et a toujours, pour objectif de contrôler les migrations interprovinciales et notamment l’afflux de migrants d’origine rurale dans les grandes villes. Toutes les familles chinoises sont ainsi rattachées à un lieu particulier, et leurs différents membres ne peuvent pas déménager dans une autre localité à leur guise. Il faut faire des démarches complexes et onéreuses auprès des autorités pour obtenir un transfert de hukou.
9 Quarante yuans de frais divers + 10 yuans de frais informatique + 50 yuans pour le sport et les sciences naturelles + 80 à 100 yuans selon les années pour les manuels + 40 yuans pour l’uniforme = environ 250 yuans (+ 200 yuans de « frais d’emprunt de scolarité » [jiedu fei 借读费] pour les enfants normalement rattachés à une autre école). Ces frais de scolarité sont tout à fait modestes en comparaison de ceux exigés dans de nombreuses écoles.
10 Deux systèmes coexistent en Chine, celui choisi par la municipalité de Langfang : six ans d’école élémentaire et trois ans de collège, ou bien celui choisi dans d’autres villes chinoises ou par la principale unité de travail de Langfang, le « bureau des pipelines » (guandao ju 管道局), cinq ans de primaire et quatre ans de collège.
11 Cf. Gladys Chicharro (2010 : 119-144).
12 Jean-François Billeter (1984 : 29-31) met en avant deux citations – l’une de saint Augustin, l’autre de Descartes – illustrant parfaitement cette représentation dichotomique corps/âme, traditionnelle en Occident :
« Le corps ne comprend, ni n’aide l’âme à comprendre ; lorsque celle-ci veut comprendre, elle s’abstrait du corps. Ce qui comprend en effet est toujours pareil à lui-même, ce qu’on ne saurait dire du corps. » saint Augustin, « L’immortalité de l’âme », in Œuvres, vol. 5 : Dialogues philosophiques, Paris, Desclée de Brouwer, 1948, p. 173.
« Je connus de là que j’étais une substance dont toute l’essence ou la nature n’est que de penser, et qui, pour être, n’a besoin d’aucun lieu ni ne dépend d’aucune chose matérielle ; en sorte que ce moi, c’est-à-dire l’âme, par laquelle je suis ce que je suis, est entièrement distincte du corps, et même qu’elle est plus aisée à connaître que lui… », René Descartes, Discours de la méthode, Paris, Éditions sociales, 1955, p. 5.
13 Cf. Marcel Granet [1934] 1999, notamment p. 101-126 et p. 281-296.
14 Cf. Lewis (2005), notamment p. 13-36.
15 Jacques Gernet (2003 : 10) souligne que jiao signifie à la fois « éduquer » et « instruire ».
16 Cf. Les Entretiens de Confucius : « Le Maître dit : “Un homme s’éveille à la lecture des Odes, s’affirme par la pratique du rituel, et s’accomplit dans l’harmonie de la musique”. » (viii, 8) [traduction d’Anne Cheng 1997, p. 69].
17 Hanshu, juan 48. Jia Yi était poète et fonctionnaire de la cour sous le règne de l’empereur Wen des Han. Celui-ci lui a également confié l’éducation de son plus jeune fils.
18 Traduction et commentaires de J.-F. Billeter 2002, p. 15-20.
19 Depuis septembre 2003, les cours de « pensée et morale » ont été rebaptisés, « morale et vie » (shenghuo yu pinde 生活与品德), ceux de « société », « morale et société » (pinde yu shehui 品德 与社会). Ces nouvelles appellations laissent entrevoir la volonté gouvernementale de revaloriser la morale, et plus particulièrement une morale fondée sur la pratique et les relations sociales, qui ne serait pas simplement théorique. Pour une analyse de ces nouvelles dénominations et des réformes pédagogiques qu’elles accompagnent, voir Chicharro (2010 : 182-219).
20 Un certain nombre de leçons des manuels scolaires chinois utilisent des anecdotes biographiques (plus ou moins réelles) de la vie de personnages importants sur les plans politique, artistique, littéraire ou scientifique présentés aux enfants comme des modèles par un trait de caractère particulier. Ces leçons donnent un aperçu des personnages que l’État chinois considère comme importants, mais également, à travers eux, apparaissent les valeurs données en exemple actuellement. Parmi tous ces personnages, Mao ou Zhou Enlai apparaissent naturellement très souvent, suivis de près par l’écrivain Lu Xun, mais aussi Confucius, Lénine, Galilée ou Gorki. Sur les « personnages modèles », voir Chicharro (2008b, 2010 : 207-210).
21 Les clés sont des éléments composés de plusieurs traits qui donnent généralement une indication d’ordre sémantique sur les caractères qu’elles permettent de former. Il s’agit souvent de la partie haute ou gauche de chaque caractère. Par exemple le caractère signifiant la matière « bois » ou « arbre » (mu 木) sert également de clé. Il permet d’écrire « bois » (la plantation, lin 林), « forêt » (sen 森), « déraciner » (du 杜) et un grand nombre de noms d’arbres comme le saule (liu 柳), le pêcher (tao 桃), etc. Il y a deux cent quatorze clés différentes, mais ce nombre a été réduit à cent quatre-vingt-sept en RPC à partir de 1956.
22 Concernant l’histoire de l’introduction de ces deux « gymnastiques » dans les années 1960 et leur évolution actuelle, se référer à Gladys Chicharro 2008a.
23 Catherine Despeux (2004 : 45-86) a montré que l’imitation d’attitudes ou de comportement animaux constituait une part importante de la gymnastique daoyin, qui est à l’origine de pratiques toujours en vigueur de nos jours comme le Taiji juan ou le Qigong.
24 Cf. aussi Chicharro (2001).
25 Les caractères ont été simplifiés tout au long de l’histoire chinoise par décret impérial. On remplace alors une graphie complexe par une autre plus simple, parfois dérivée de la cursive, comportant moins de traits. La dernière simplification date de 1956, elle a eu lieu en RPC mais n’est pas reconnue par le gouvernement de Taiwan.
26 Le pinyin, système de transcription phonétique du chinois en alphabet latin, est basé sur la prononciation officielle du chinois, le putong hua (« langue commune ») formé à partir de la prononciation pékinoise. Cette transcription a été adoptée en 1958 par la RPC, mais n’est pas non plus reconnue par Taiwan qui possède son propre système le zhuyin fuhao. Néanmoins dans les deux cas l’enseignement élémentaire commence toujours par la transmission d’un système de transcription car il permet d’introduire la « prononciation correcte », celle qui a été adoptée pour être la « langue nationale ». Cet enseignement dure normalement cinq semaines en RPC.
27 Pour les médiums de la tradition taoïste qui possèdent un « trésor d’écriture », les signes peuvent être écrits sur du papier, mais également dans l’espace. Là aussi, « les tracer suffit à leur donner corps » (Baptandier 1994 : 60).
28 Cf. le discours prononcé par le ministre de l’Éducation nationale Jack Lang le 23 janvier 2002 : « Pourquoi faut-il à nouveau valoriser l’écriture manuscrite à l’école ? […] Chaque enfant acquiert l’écriture manuscrite par l’observation et la maîtrise progressive du geste graphique. L’écriture est à la fois contrôle de la motricité et du geste, apprentissage d’un code, expression de soi par le sens de ce que l’on écrit et par la forme même des lettres que l’on trace, la graphie que l’on adopte. Alors, apprendre à écrire à l’école, c’est en même temps maîtriser son corps et exprimer une sensibilité, affirmer son originalité dans la manière de communiquer un message et former son goût esthétique. À partir d’une forte contrainte pour apprendre à dessiner des lettres selon un modèle choisi par d’autres, avec un instrument plus ou moins rudimentaire, l’enfant arrive petit à petit, jusqu’à l’âge adulte, à dépasser l’imitation d’un modèle pour affirmer ce qu’il est dans sa façon d’écrire. […] Il faut donc accompagner l’enfant dans l’accès à une personnalisation de son écriture, accorder, à l’école, une grande importance à l’acte d’écrire et au sens calligraphique. Un exercice régulier de copie d’un modèle est indispensable. » www.education.gouv.fr/discours/2002/ecriture.htm
29 Cité par J.-F. Billeter (1989 : 168).
30 Tao Chunping in Gao Xia 高峡 et Zhao Yafu 赵亚夫 (2003 : 160).
31 Pour une analyse plus approfondie de l’usage et du contexte entourant l’emploi de ce « nouveau » vocabulaire pédagogique, cf. Chicharro (2010 : 179-220).
Auteur
est maître de conférences au département de sciences de l’éducation de l’Université Paris VIII et membre du Centre de Recherche Interuniversitaire Expérience, Ressources culturelles, Éducation, (EXPERICE, EA 3971). Ethnologue de formation (doctorat à l’Université Paris X-Nanterre, rattachée au Laboratoire d’ethnologie et de sociologie comparative), ses recherches portent sur l’éducation, tant scolaire que familiale, l’enfance et les cultures enfantines – notamment les pratiques d’écriture numérique – en Chine.
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