Du corps entraîné aux boxeurs entraînants. La question de la transmission dans la boxe thaïlandaise
p. 105-125
Texte intégral
1La littérature scientifique sur l’apprentissage des savoirs en Thaïlande, en insistant à juste titre sur la relation maître-élève, ritualisée et très personnalisée, a largement favorisé l’idée d’une transmission à caractère unilinéaire et unidirectionnel de l’enseignant vers son disciple. L’apprentissage prend alors la forme de la perpétuation d’un « savoir » (wi’chaa1), à l’image du modèle retenu par les commentateurs scientifiques, tant locaux qu’étrangers, et fourni par l’enseignement des textes dans les temples bouddhistes2. La règle y est simple, le message du Bouddha est immuable, il doit être transmis de génération en génération par les moines. La transmission du savoir dans le monde de la boxe thaïlandaise, ou muay thaï, n’échappe pas à ce schéma relationnel hiérarchique.
2Parallèlement, la boxe thaïlandaise a été très peu étudiée dans son pays d’origine par les ethnologues en regard de l’engouement populaire qu’elle y suscite3. Les combats où sont autorisées, sans aucune protection, les percussions avec les poings fermés – recouvert de gants –, les coudes, les genoux, les tibias et les pieds d’une part, les prises de lutte debout et les projections au sol de l’adversaire qui peuvent s’ensuivre d’autre part, s’insèrent parfaitement dans un contexte socioculturel structuré sur la philosophie de l’impermanence du bouddhisme. Comme système de mises en contact physiques, empiriquement violentes et codifiées, le muay thaï représente en effet un dispositif remarquable pour éprouver les qualités morales des individus. Par le corps à corps violent sur lequel elle repose, la pratique de la boxe thaïlandaise permet d’éprouver certaines valeurs fondamentales autour desquelles se structurent la sociabilité dans la société thaïlandaise, ce que suggèrent quelques travaux académiques (Tai Banathikan et Nai Khaya 1989 ; Kawi Buathong 1983 ; Catherine Choron-Baix 1995 ; Pattana Kitiarsa 2005 ; Rennesson 2005, 2006 et 2007 ; Amnat Saichalat 1994 ; Peter Thomas Vail 1998).
3Fort des questionnements récents de la linéarité des phénomènes de transmission4, je m’attacherai ici à mettre en lumière les ressorts les plus implicites des processus pédagogiques mis en œuvre dans les camps de boxe dans l’optique de former à la fois des citoyens exemplaires et des sportifs prêts à affronter l’épreuve du ring. Il s’agira notamment de rendre pleinement justice au rôle joué par le « corps en action » comme matériau et outil principal de la formation des pugilistes en favorisant le point de vue de ces derniers et en mettant en regard l’activité du camp de muay thaï avec d’autres lieux de formation tels l’école et le temple bouddhiste. Aussi, en mettant à profit un terrain ethnographique de deux ans dans des camps de boxe thaïlandaise – principalement dans le nord-est de la Thaïlande –, je propose d’entrer progressivement, au fil de l’écriture, dans une méthodologie propre à l’anthropologie de l’action afin de mettre au jour le processus original de socialisation qui caractérise ces modes d’instruction singuliers. Pour ce faire, il faudra tout d’abord appliquer au muay thaï une démarche qui ne préjuge pas d’une hiérarchie entre les objets, les savoirs, les idées et les humains, suivant ainsi des chercheurs ayant questionné l’innovation technique (notamment Christian Bromberger et Denis Chevallier 1998 ; Bruno Latour et Pierre Lemonnier 1994) et la création artistique (Howard Becker 1988) sous l’angle de la mise en relation de ces différents éléments. Ensuite, c’est en empruntant une perspective empirique telle qu’elle est proposée par la cognition située (Edwin Hutchins 1995), que je compte porter toute mon attention sur les interactions que les boxeurs nourrissent non seulement avec leurs formateurs, mais aussi avec d’autres agents, comme les autres pugilistes ainsi que certains artefacts, dans lesquels les instructeurs délèguent une grande part de l’instruction. Comment et par qui la fonction pédagogique est-elle partagée ? Comment est-elle distribuée dans le camp ? En répondant à ces questions, j’entends rendre compte dans les pages qui suivent de la manière particulière dont circulent et émergent dans la pratique des boxeurs des savoir-faire et des savoir-agir, un processus que l’on ne peut pas réduire à la transmission de savoirs formels.
Apprendre par corps
4Nombreux sont les Thaïlandais qui mettent en avant la valeur éducative de l’apprentissage du muay thaï. C’est par ailleurs un argument prisé des défenseurs du monde de la boxe thaïlandaise contemporaine pour légitimer la pratique de ce sport éprouvant pour les organismes de jeunes garçons, dès six ou sept ans. Par ailleurs, bien que le muay thaï s’inscrive dans une longue tradition martiale, il prend principalement la forme d’un sport de combat largement professionnalisé dont la pratique ne vise pas l’acquisition de techniques d’autodéfense5. Plus prosaïquement cela signifie que le boxeur s’entraîne pour monter sur le ring où il gagne une somme d’argent négociée à l’avance entre son « chef de camp » (hua’ naa khay muay) et le promoteur de la compétition. Dans les nombreuses structures qui abondent sur tout le territoire thaïlandais, des garçons, essentiellement d’origine rurale, s’entraînent quotidiennement jusqu’à la fin de leur carrière, laquelle se situe aux alentours de trente ans pour les plus persévérants.
5Un premier constat s’impose à l’observateur de ces camps : les lourds entraînements quotidiens qui préparent les boxeurs à l’expérience redoutable du combat. Une séance d’entraînement de muay thaï se compose de plusieurs ateliers, dans l’ordre idéal suivant :
- On débute par un travail de renforcement physique avec un footing de 6 à 10 kilomètres suivi d’une vingtaine de minutes de saut à la corde, de 100 à 200 sauts de grenouille et, pour les débutants, d’une reprise – 4 ou 5 minutes selon les camps – de sauts sur le rebord d’un pneu de camion couché sur le sol.
- Ensuite, on enchaîne sur des séquences de travail technique avec une ou deux reprises de « shadow boxing » (tööy ngao, litt. « [com]battre l’ombre ») où l’on répète des enchaînements de toutes les techniques contre un adversaire imaginaire, cinq à dix rounds de « frappe de sacs » (tööy kra’söp) pendus – un ou deux de poings et de coudes, les autres de coups de tibias et de genoux –, deux à trois reprises de « travail du style » (leen choeng, litt. « jouer-style » ou « jouer-habilité ») où l’on travaille plus la vitesse d’exécution et le style que la force bâtie dans la « frappe des sacs », un contre un avec des protections en mousse sur les tibias, 30 ou 40 minutes de « lutte » (phlaam) en un contre un, deux à huit reprises de « frappe des cibles » (te’ pao) où le boxeur travaille les enchaînements avec son entraîneur dans des conditions d’exécution proches du combat à la différence près que le boxeur porte des protège-tibias tandis que l’entraîneur, en plus de ces derniers, est paré de cibles, à savoir un bouclier autour de la ceinture et deux coussins rectangulaires molletonnés recouverts de cuir épais, et, enfin, parfois un ou deux rounds de « jouer à être K.O. » (leen mao, litt. « jouer [à être] soûl ») où les deux boxeurs, protégés par des casques molletonnés, échangent des coups de poing gantés6.
- Enfin, on exécute des séries d’exercices qui ont pour vocation le développement de zones musculaires spécifiques, pompes, abdominaux et soulèvement de poids avec les bras, mais aussi le cou pour travailler les masses musculaires sollicitées pendant les séquences de lutte. La teneur de chaque entraînement est fonction de plusieurs facteurs : niveau pugilistique des boxeurs en question, période de préparation par rapport à une échéance compétitive connue ou non, blessure, etc.
6Dans les moments les plus durs des entraînements ou des combats, l’ultime argument afin de pousser le boxeur au-delà de ses forces est de faire appel à ses obligations morales envers ses « aînés » (phii) et ses « supérieurs » (luuk phii) qu’il ne doit ni décevoir, ni frustrer ou encore moins offenser et dont il ne doit pas écorner la réputation, autant de sentiments négatifs à ne pas susciter en « prenant garde de ne pas leur causer de soucis » (kreng djay)7. Le « maître » (khruu baa aadjaan) et « chef de camp » (hua’ naa khaay muay) ainsi que ses assesseurs, les « entraîneurs » (phuu fük söön), tous ceux qui organisent et supervisent l’entraînement, veillent à rappeler régulièrement aux pugilistes, surtout dans les moments où ils flanchent, qu’ils doivent faire preuve d’application et de « reconnaissance » (ka’tanyuu), être « consciencieux, industrieux » (kha’yan), « patients, endurants » (ootthon), c’est-à-dire se montrer tolérants envers les autres et faire preuve de retenue, ne pas trop manifester leur ego, être « obéissants » (chüa fang), « respectueux » (nap thüü, khaorop), et, enfin, « indépendants » (chuay tua eeng)8. Tout ceci en vertu des soins qu’ils leur apportent, de leur protection bienveillante et/ou de leur hospitalité. Par rapport à cela, ce n’est pas la seule transmission du savoir de maître à élève, mais toute la richesse d’une relation d’obligations réciproques qui se cristallise dans la réalisation par les boxeurs d’une « danse rituelle d’hommage à leur(s) maître(s) » (raam muay way khruü) au moment de l’entrée en apprentissage, puis chaque année à cette date anniversaire, mais aussi et surtout en préambule à chacun de leurs combats.
7D’un point de vue foucaldien, l’élément commun à tous les ateliers qui composent l’entraînement est le pouvoir du maître et des entraîneurs sur leurs boxeurs par le biais de l’activité corporelle de ces derniers. Les premiers sollicitent le sens moral des seconds, lequel sens moral s’exprime dans le cadre de relations fortement hiérarchisées. Lorsqu’il leur est demandé de « se donner à fond », « sans réserve », il s’agit d’une exigence qui représente un levier considérable dans la formation des jeunes hommes, aussi bien en tant que boxeur qu’en tant que citoyen, à tel point que parfois une séance d’entraînement ressemble à un cours d’éducation civique. À ce titre, la pratique du sport en général est présentée dans la société thaïlandaise comme un instrument de socialisation et d’éducation des élèves. Ce constat pourrait s’appliquer à bon nombre de pays, mais prend un sens particulier en Thaïlande. Sur directive ministérielle, il est fait une grande place aux activités sportives dans les établissements scolaires (tous publics à quelques exceptions près) et universitaires. Les enseignants louent les valeurs pédagogiques de l’activité physique. Celle-ci fournit visiblement un prolongement pratique à l’assimilation des valeurs cardinales de l’État-nation, répétées dans les différents programmes, d’histoire-géographie, de littérature et d’éducation civique, notamment.
8Le boxeur est placé dans une relation de subordination, faite d’obligations, non seulement par rapport à son maître, à ses parents, mais aussi par rapport à son promoteur et, par extension, au roi, ultime et suprême référent moral de la nation thaïlandaise. Ce sont les mêmes valeurs qui, selon Niels Mulder, sont rappelées très régulièrement dans le contenu des programmes scolaires (1997 : 30, 34, 37). Cet auteur considère que la société est présentée aux élèves comme une « construction morale9 » dont l’ordre et le bon fonctionnement dépendent de la vertu de ses membres, à savoir l’observance de « règles comportementales » strictes par chacun. Il leur est expliqué, quelle que soit la matière abordée, que pour être un homme honnête, un bon citoyen, il faut savoir faire siennes les obligations éthiques et relationnelles citées ci-dessus. Au prix de cet effort, en s’assurant que personne ne « perd la face » (sia naa) et que les groupes sociaux auxquels ils participent – l’école, la famille, la communauté villageoise, etc. – gardent leur « prestige » (kiat), la « société » (sangkhom) dans son ensemble connaîtra la « paix » (khwaam sa’gnop). Comme le remarque N. Mulder, l’enseignement dispensé à l’école vise non pas à accompagner les élèves dans un mouvement d’analyse et de compréhension du monde – ce que nous entendons communément par « connaissance » –, mais à transmettre une vision idéale du monde et un savoir-agir, ou savoir-être, sous la forme d’un « modèle de présentation de soi » (op. cit. : 60-61). À l’école comme au camp, à travers leur répétition incessante, les préceptes et autres règles de comportement sont censés devenir les « acquis précieux » (sombat) des élèves. Par une attitude adéquate, notamment, les élèves, les enfants, les citoyens en général, retournent la « bonté » (bunkhun) dont leurs maîtres, parents, représentants politiques, les moines bouddhistes, et en dernière instance, le roi, ne manquent pas de faire preuve en les guidant et en les protégeant tous les jours. C’est donc aussi bien par la récitation des leçons pendant les heures de cours que dans l’action – dans les interactions quotidiennes avec leurs enseignants ou lors de séances d’activités physiques – que les valeurs cardinales de la société leur sont inculquées10.
9Cette absence de différenciation entre les deux procédés pédagogiques, par l’exercice de l’intellect d’un côté, par la pratique physique de l’autre, est explicitée dans une expression qui permet d’ailleurs d’y référer indistinctement, « say tua » (litt. « mettre dans le corps », « incorporation »). Le « corps » dont il s’agit ici (tua) pour les locuteurs thaïlandais ne représente pas le corps physique, mais une forme, à laquelle il faut donner un contenu, qu’il faut animer par une activité qui n’est conçue ni comme spécifiquement mentale ni comme spécifiquement physique.
Boxeurs et moines errants
10Les exercices proposés ont donc une dimension éducatrice et socialisatrice évidente qui est explicitée par les cadres du camp et les parents des boxeurs. Par ailleurs, tous justifient ce rythme intense et continu de l’activité afin de préparer les boxeurs à supporter l’expérience redoutable du ring, donc à améliorer leur résistance. En ce sens – tout au moins en ce qui concerne le Nord-Est thaïlandais –, j’avance que l’apprentissage par expérience corporelle que propose le muay thaï fait écho à la pratique méditative des moines bouddhistes de forêt, aujourd’hui tombée dans une certaine mesure en désuétude dans la « communauté des bonzes bouddhistes » (sangkha’). Dans la « communauté des laïcs », le reste de la « société » (sangkhom) du point de vue thaïlandais, ces techniques de méditation sont aujourd’hui adoptées par certaines élites urbaines, mais pratiquement absentes en Thaïlande rurale. Selon Kamala Tiyavanich (1997), il existe une opposition marquée à propos de l’apprentissage de la « doctrine bouddhique » (Thamma, thaï ; dharma, sanskrit) entre moines urbains et moines de forêt (phra’ tu dong). Parmi les premiers, qui évoluent sous l’influence de l’appareil religieux national centralisé et dont la pratique a été fortement marquée par la réforme Thammayut au milieu du xixe siècle, prévaut une approche intellectuelle de la doctrine bouddhique, qui passe principalement par l’étude des écritures. La pratique des seconds, au contraire, fait la part belle à l’expérience personnelle, à la découverte individuelle de la vacuité de l’être et des sentiments. Les moines de forêt s’imposent une discipline extrême qui leur permet de maîtriser leurs passions, de se défaire de l’illusion des sensations en séjournant dans les coins les plus reculés du pays, les forêts, pour y affronter la douleur et la peur face aux « esprits errants » (phii dip ou samphaweesii) et aux animaux sauvages potentiellement dangereux. De même, et cela ne sera pas sans nous rappeler le credo de la boxe que j’esquisse pas à pas, ils s’astreignent à méditer devant des cadavres en décomposition pour s’imprégner du principe d’impermanence et mieux apprécier toute l’illusion que représente l’existence.
11Avec la disparition des forêts, mais aussi avec l’intensification des relations de ces moines avec le centre du pays et le gouvernement à partir des années 1950, la tradition de forêt et ses pratiques spécifiques de purification spirituelle, qui concernaient principalement des personnes originaires du Nord-Est rural, se sont raréfiées. Les carrières se font désormais presque exclusivement par la voie de l’érudition scripturaire et des examens pour gravir les échelons dans la communauté hiérarchisée des moines. La voie d’apprentissage local – qui passe notamment par l’expérience et l’accomplissement de soi dans un certain rapport au « sauvage » (paathüan), la « forêt vierge » (paa dong dip) étant la meilleure incarnation de ce dernier – semble trouver dans le corps pugilistique un nouvel espace d’expression et de conquête.
12Pour les jeunes hommes aujourd’hui, la boxe n’est certes pas la seule façon de « questionner son destin » (siang bun siang kam, ou thaam wen), une formule aussi utilisée par les moines de forêt (op. cit. : 116). Le service militaire ou la recherche d’un salaire loin de chez soi dans un contexte perçu comme dangereux, voire hostile, comme les pêcheries du sud du royaume ou les sites de construction dans les pays du Golfe, permettent également aux jeunes gens de s’aguerrir11. Toutefois, le muay thaï se distingue de ces différentes voies. Comme construction morale, par l’épreuve qu’il impose aux boxeurs, il constitue un prolongement extrême, comme l’est la discipline des moines dans un autre registre, d’une méthode locale pour discipliner par le corps. La comparaison avec les bonzes s’arrête là, car la pratique de la boxe, qui appartient à la sphère mondaine, ne permet pas de poursuivre le même objectif que l’entrée dans les ordres. Boxer ne procure pas la même quantité de mérites pour gérer avec efficacité son « destin » (wen) dans le temps long des réincarnations. Au final, la socialisation du pugiliste est un moyen original explicitement « corporéisé » qui organise une confrontation avec une part de sauvagerie, d’altérité, de danger, qu’il faut surmonter.
Les contacts corporels en Thaïlande
13Les situations de contacts corporels recherchées dans un but compétitif posent des problèmes de gestion des convenances dans tous les contextes culturels. En Thaïlande, où l’économie quotidienne des contacts physiques fait l’objet d’une codification particulièrement stricte, cela revêt toutefois un tour particulier. Aussi, avant de se replonger dans les activités du camp de boxe, je vais d’abord envisager succinctement la manière dont les Thaïlandais gèrent leurs interactions du point de vue de la mise en présence des corps humains.
14Comme l’a montré Bernard Formoso (1994), le corps humain est conçu en Thaïlande selon une opposition tête-pieds, axe vertical et hiérarchisé dans le sens indiqué. La tête, la partie du corps la plus valorisée, est à la fois le siège d’une grande concentration des 32 « esprits vitaux » (khwan)12 – le sommet du crâne étant la porte d’entrée et de sortie de ceux-ci – et celui de l’intimité de la personne. Les pieds, ouverture sur l’extérieur de par leur fonctionnalité locomotrice, sont conçus comme la partie la moins intime. Il est ainsi délicat de toucher intentionnellement la tête de quelqu’un avec les mains par exemple, un acte qui pourrait provoquer une fuite des esprits vitaux. Cela est néanmoins plus facile s’il s’agit d’un « aîné » (phii) vers un « cadet » (nöng) – ces deux catégories permettent d’identifier et de marquer aussi bien des différences d’âge que de statut dans tous les contextes. Encore faut-il que les deux protagonistes soient plus ou moins « intimes » (sa’nitkan), ce qui assure d’une bonne intention. Toutefois, d’après mes observations, les contacts d’aînés à cadets dans la vie quotidienne se bornent le plus souvent à ce que les premiers attrapent le bras des seconds comme pour signifier l’initiation d’une hiérarchie en actes et des implications en termes d’obligations réciproques. À l’inverse, il est impensable qu’un cadet entre délibérément en contact de la main avec la partie supérieure du corps d’un aîné – au-dessus des hanches –, du moins sans avoir demandé son autorisation au préalable, et ce dans des contextes particuliers comme celui des soins corporels13.
15La hiérarchisation du corps a des conséquences qui dépassent la gestion des contacts. Plus précisément, ce qui relève de la mise en présence de personnes répond à des normes précises. Il s’agit notamment d’éviter de pointer du pied une personne quelle qu’elle soit, encore moins de la toucher avec ; plus on se rapproche de la tête plus cela est jugé « sans savoir-vivre » (may mii maara’yaat) et « violent » (run raeng), a fortiori à l’adresse d’un aîné. Un cadet doit ainsi faire l’effort en présence d’aînés de se placer en courbant l’échine, de telle sorte que, lorsqu’il est proche de ces derniers, sa tête soit plus basse que la leur, ou, si cela est impossible, si les aînés sont couchés alors que le cadet est debout, qu’il fasse ostensiblement l’effort de baisser la tête ainsi que le centre de gravité.
16Les restrictions de mise en présence et de contact sont a priori plus souples en ce qui concerne les « amis » et, par extension, les « personnes d’âge ou de rang équivalent » (phüan kan, thaïlandais ; siao kan, issane) ; mais là aussi, les protagonistes sont d’autant plus détendus qu’ils sont « intimes » (sa’nitkan) ou encore de « vrais amis » (phüan rak, litt. « égaux amour ») qui peuvent se compter parmi des aînés ou des cadets, si l’on en reste toutefois au seul critère d’âge et non à des différences de statut qui dressent des barrières plus importantes. Les contacts physiques répondent à des principes suffisamment prégnants pour que tout un chacun soit très attentif et circonspect avant de bien connaître une personne et de régler la teneur de l’interaction par ajustements réciproques jusqu’à déroger aux règles, ce qui constituerait un baromètre de qualité de la relation. Ces comportements sont bien sûr très bien intériorisés et ne font l’objet d’une explicitation que dans certaines circonstances particulières. En fonction de ces conceptions, les attitudes corporelles participent de façon poussée et presque « naturellement » à la validation circonstancielle des hiérarchies de statut qui organisent la société.
17Comment joue-t-on de ces conventions entre boxeurs dans une pratique où tous les coups ou presque sont permis, où toutes les parties du corps, à l’exception des parties génitales, sont des cibles potentielles pour des coups de poing, de coude, de genou, de tibia, de pied, pour des prises de lutte au-dessus de la ceinture et autour du cou ? Dans le cadre de la vie quotidienne au camp de boxe, pendant les entraînements, mais en dehors également, les boxeurs entrent en contact physique continuellement, en tout cas bien plus que les Thaïlandais en général. De surcroît, comme nous le verrons, leurs interactions se caractérisent par une transgression permanente des codes de mise en contact des corps dans la société. Quels genres originaux de confrontation physique la vie dans un camp de muay thaï propose-t-elle ? En quoi contreviennent-ils aux habitudes ? Quelle nouvelle codification et quelles nouvelles limites s’imposent aux boxeurs ? J’utiliserai principalement dans la suite de cette analyse des données recueillies dans un camp rural du Nord-Est, le Sit Je Jum, dirigé par Aadjaan Klaew, « Maître Klaew ».
Corps à corps codifiés dans la boxe : entre coopération et compétition
18Les boxeurs sont conscients que la pratique de la boxe entraîne inéluctablement des transgressions aux règles de savoir-vivre. Aussi s’excusent-ils, en préliminaire à chaque exercice à accomplir, en se fendant d’un way, le salut traditionnel, à l’adresse de leur partenaire : un entraîneur, un boxeur, mais aussi un sac de frappe. Vis-à-vis de leurs partenaires « humains », les boxeurs signifient qu’ils entendent user de leur force à bon escient sans avoir l’intention de leur faire mal, de leur porter préjudice. De la même façon, avant chaque entraînement, les pugilistes rendent hommage à la « déesse de la terre » (naang thoranii)14 et/ou, selon les lieux, au « génie protecteur du lieu (ici du camp) » (djao thii). À travers le geste de salut, ils préviennent et s’excusent à l’avance de troubler la quiétude et d’outrepasser certaines règles de conduite, de se « comporter de manière violente » (pra’phrüt run raeng), ce qui se traduit par la simple débauche d’énergie et le bruit, lesquels peuvent perturber les mânes, mais aussi par les gestes qui ne peuvent se faire dans la vie courante : donner des coups et toucher des parties du corps intimes comme la tête.
19Qu’en est-il plus spécifiquement de la gestion de la violence dans les différents exercices ? Lorsque les boxeurs travaillent avec leurs formateurs – leur maître ou l’un de ses assesseurs « entraîneurs » (phuu phük sön), voire tout simplement un boxeur plus expérimenté –, lors de la « frappe des cibles » (te’ pao) notamment, la configuration relève des relations hiérarchiques « aînés-cadets » (phii nöng). En revanche, pendant les ateliers de « lutte » (phlaam), de « travail du style » (leen choeng) et de « boxe anglaise » (muay mao), les boxeurs se mettent habituellement avec le même « sparring partner » (khuu phlaam, litt. « paire de lutte »). Les entraîneurs assemblent les boxeurs entre eux de façon à les rapprocher le plus possible des conditions normales de combat, c’est-à-dire entre pugilistes de même poids et si possible de même niveau15. C’est à cette condition que ces exercices sont productifs. Car, à l’opposé des ateliers de « frappe des cibles », le travail ne se fait pas à sens unique, c’est-à-dire sous la forme du service rendu par un pratiquant plus âgé, très souvent plus expert également, pour un boxeur plus jeune. Ici, les deux membres du binôme sont censés se faire progresser mutuellement, entre « égaux » (phüan, thaï ; siao, issane), suivant la terminologie locale.
20Ces exercices de confrontation un contre un placent donc en relation de coopération/compétition des boxeurs à peu près de la même classe d’âge dans le cadre de relations de type horizontal. Des accrochages surviennent régulièrement dans ce contexte d’opposition alors qu’ils sont bien plus rares entre boxeurs de taille, de poids et de niveau différents lors des ateliers de « frappe de cibles ». En effet, les écarts sont alors suffisamment importants pour que ces séquences de travail entre aînés et cadets n’inspirent pas aux pugilistes le besoin de se comparer, et donc de pousser la confrontation trop loin.
21Les relations conflictuelles entre « égaux » sont productives, comme le montre l’exemple de Jaek et Thuy, deux boxeurs du camp Sit Je Jum, qui sont des partenaires habituels pour les ateliers de confrontation un contre un. Leurs débats suscitent bien souvent l’intervention d’un entraîneur. Ils étaient pourtant très amis. Ils se connaissaient déjà pour s’être fréquentés dans un autre petit camp de la région deux ans auparavant. La rivalité s’est faite de plus en plus évidente à mesure que Thuy progressait, qu’il rattrapait son retard technique et tactique sur Jaek et qu’il retenait l’attention des promoteurs. Dans la vie quotidienne comme sur le ring, les deux compères en sont venus à se détester cordialement. Il n’est pas rare que l’un d’eux valse malencontreusement par-dessus les cordes du ring lorsque qu’ils luttent. Parfois des larmes coulent et il n’est pas si rare non plus que la séance soit écourtée à cause d’une blessure handicapant au moins l’un des deux. Autant de signes qui trahissent une maîtrise quelque peu erratique de leur engagement dans l’exercice. Tout se passe par escalade, progressivement, l’un surenchérissant sur l’autre alternativement, dans un jeu autour des limites de déploiement de la force. Petit à petit le seuil de tolérance s’élève jusqu’à ce que l’irréparable arrive, que le chef du camp, Aadjaan Klaew, soit obligé d’intervenir pour les sermonner et leur intimer de poursuivre le travail normalement.
22Néanmoins, Aadjaan Klaew entretient avec science cette rivalité. Il réprime ce qu’il estime être une altercation. Dans le même temps, il fait des remarques à l’un et à l’autre, en montrant comment l’un surpasse ou domine l’autre dans tel domaine et vice-versa. Comme il me l’explique, il se sert de cette compétition ouverte entre les deux pour les faire progresser plus rapidement. À ses yeux, l’arrivée de Thuy est visiblement une aubaine pour Jaek. Cela lui permet d’avoir un objectif plus concret lors des séances d’entraînement alors qu’il ne rencontre que peu de résistance sur les rings de province.
Vers la maîtrise de la posture
23Dans les oppositions spécifiques de la pratique de la boxe thaïlandaise, lors des entraînements et des combats proprement dits, les rivaux se soucient toujours de marquer leur supériorité et leur indépendance ou au contraire leur infériorité et leur soumission par un jeu de postures qui se développe essentiellement, ici aussi, le long d’un axe vertical.
24Une bonne partie des conseils verbaux instillés aux boxeurs par les formateurs, lors des entraînements, concerne peu ou prou des attitudes corporelles générales. Nous pouvons traduire celles-ci par « postures » que les Thaïlandais regroupent sous les syntagmes thaa ou ruup. Tout au long des différents types d’exercices, on leur demande de surveiller, de « conserver-maintenir » (raksaa) leur contenance, c’est-à-dire, plus spécifiquement en matière de boxe, leur « garde » (thaa muay, ruup muay ou fom muay [de l’anglais form], litt. « forme pugilistique ») quelle que soit l’épreuve à laquelle les soumet leur adversaire. Cette position se caractérise par des jambes écartées avec une jambe avant et une jambe arrière, le buste de trois-quarts par rapport à l’adversaire et le tronc légèrement incliné en avant. Le plus difficile est de la maintenir dans les cas d’opposition les plus déstabilisants, lorsque la cible bouge de façon moins prévisible que l’opposant imaginaire des shadow ou que les sacs de frappe. Je pense particulièrement à la « frappe de cibles », aux différents ateliers de confrontation entre boxeurs « égaux » à l’entraînement et, a fortiori, au combat. La posture est la première chose que l’on apprend aux boxeurs débutants. Ils sont placés seuls en shadow boxing afin de travailler leur position. Ils se voient sommés de « se tenir bien » (yün dii dii) afin d’éviter de « perdre leur garde » (sia ruup muay).
25Pendant les sessions de lutte, les boxeurs doivent conserver leur posture d’une manière distincte. Le corps est en effet sollicité différemment lors de ces phases. Les recommandations sont exprimées explicitement en termes de verticalité, le but étant pour les boxeurs de se grandir le plus possible en se tenant en permanence sur la pointe des pieds, surtout pendant le bref moment d’entrée en lutte, instant crucial où il faut prendre l’avantage dès la première prise. Par la suite, il faut trouver un compromis entre cette nécessité de dominer l’autre dans la verticalité et l’impératif de stabilité : afin de garantir un meilleur aplomb et d’éviter de se faire projeter au sol par son opposant, il faut trouver l’écart optimal entre les pieds tout en s’accrochant au cou et aux épaules de ce dernier afin de lui faire plier l’échine en premier. La position verticale et le fait de se situer plus haut, afin de peser de tout son poids sur son opposant, permet ici de prendre l’ascendant et de donner plus de latitude de mouvement.
26L’idée de verticalité qui se dégage de la règle de « conservation de la posture pugilistique » (kaan raksaa ruup muay) correspond à celle qui régit les interactions au quotidien. Nous sentons bien que les mises en contact entre égaux, celles que la pratique de la boxe thaïlandaise organise notamment, nécessitent potentiellement une gestion plus attentive que celles qui relèvent des relations entre aînés/cadets. En effet, en prenant un ascendant de manière posturale sur un égal, on établit déjà les prémices d’une hiérarchie immanente, mais encore non manifeste. Il ne faut pas grand-chose pour que l’un prenne l’avantage sur l’autre, aussi bien dans les rixes de jeunes hommes que sur le ring et à l’entraînement.
27En combat rapproché (situation travaillée dans les ateliers de lutte) comme en combat à distance (conjoncture répétée dans ceux de shadow et de « frappe des cibles »), garder la posture pugilistique en faisant perdre la sienne à l’opposant est la garantie d’« une prise d’avantage » (day priap) qui fait pendant à la « perte d’avantage » (sia priap) de l’opposant. Lors des combats, le maintien de la posture compte pour beaucoup dans l’appréciation de la prestation des deux adversaires par les trois juges-arbitres en cas de décision aux points. Toute perte de la garde se paye au prix fort, car, quand bien même l’opposant ne profiterait pas des ouvertures gracieusement offertes, les juges-arbitres l’interprètent comme la manifestation d’une faiblesse due au travail de sape subi jusqu’alors. Aussi, les boxeurs sont exhortés à frapper leur opposant quelle que soit la situation, même s’ils sont la victime ou l’acteur d’une immobilisation, situation extrême de prise d’avantage, s’il en est. Lorsqu’un boxeur est bloqué, l’entraîneur lui suggère de frapper autant de coups que possible (ti way, litt. « frapper de façon continue »). Il faut montrer aux juges comme à l’opposant que son cas n’est pas désespéré. Symétriquement, dès qu’un boxeur réussit à faire plier son opposant dans une séance de lutte, on lui demande d’en profiter pour le frapper le plus possible comme pour enfoncer le clou. L’idéal est de placer son opposant dans une situation telle que l’on est le seul à pouvoir continuer à donner des coups – ici de genou puisque l’on est en corps à corps et que les bras sont utilisés pour l’immobilisation. On peu douter de la capacité de nuisance quant à la résistance de l’opposant avec des coups échangés en corps à corps, dont la plupart sont donnés avec peu de force d’un côté comme de l’autre. L’essentiel est ailleurs. Le bénéficiaire de la prise d’avantage doit produire une image la plus flagrante possible de son avantage tandis que celui qui la subit se doit de suggérer par son attitude que la situation est plus ambiguë.
28Le même souci de présentation se retrouve dans l’exigence martelée tout au long des entraînements, quel que soit l’exercice de confrontation en cours, de répondre immédiatement à chaque coup reçu par un autre coup encore plus puissant et mieux placé. En outre, les boxeurs doivent se garder de manifester des signes pouvant être interprétés comme de la faiblesse physique ou morale – rictus de douleur, mouvement de fléchissement laissant croire à une atteinte à l’intégrité physique comme un boitillement, une absence de réaction, etc. Les boxeurs prennent, dès les premiers entraînements, l’habitude de sourire en permanence, et d’accentuer l’effet lorsque les observateurs et l’opposant pourraient penser qu’ils sont touchés. Nous voyons donc maintenant que la gestion de leur apparence se développe aussi bien sur un axe horizontal que sur un axe vertical. La posture, son maintien plus exactement, jusque dans les traits du visage, est synonyme d’une maîtrise de ses « sensations » et de ses « affects » (khwaam ruusük).
29Lors des séances de frappe de cibles, les entraîneurs fustigent régulièrement le boxeur avec lequel ils travaillent avec la phrase « yaa öök aakaan » (litt. « ne sors pas de symptômes ») qui peut être traduite, selon les circonstances, par « ne montre pas que tu es touché » ou « … que tu es énervé », ou encore « … que tu es fatigué ». La maîtrise de soi, de ses émotions, à la fois objets et outils centraux de la socialisation des boxeurs, font écho à la valorisation du détachement et de la recherche du progrès spirituel dans l’oubli de soi que véhicule le bouddhisme populaire thaïlandais de façon diffuse au quotidien, comme cela est évoqué un peu plus haut. Cet attachement au comportement extérieur se construit autour de la notion de naa, la « face », ici « la posture » (thaa ou ruup muay), son avatar pugilistique, cette première définissant à la fois l’essence d’une personne ainsi que son prestige. La « face » est donc soumise à la validation par le regard des autres et fait envisager toute relation sociale comme une remise en jeu de son image. Sur le ring, comme à l’entraînement, le boxeur se doit d’afficher, à travers le maintien de sa posture pugilistique, un « détachement » constant (khwaam choey), face au déroulement du combat, car, comme nous l’avons vu ci-dessus, c’est sur ce critère que le verdict de l’arbitre est principalement pris lors des décisions aux points.
30Les formateurs de muay thaï font tous passer à leurs disciples le message : sur le ring, encore plus qu’ailleurs, il faut « rester serein » (djay yen, litt. cœur froid), c’est-à-dire ne pas se laisser envahir par les « émotions et les sentiments, les ressentiments et autres sensations » (khwaam ruusük) qui enrayent les capacités à « décider » (tat sin djay) et à « agir » (kra’tham). Une trop grande compassion – laisser passer un instant de faiblesse de l’opposant sans en profiter pour prendre définitivement l’avantage –, la colère aussi – qui emporte et fait prendre des risques inutiles – ou encore une trop grande importance prêtée à une sensation de fatigue ou de douleur, peuvent engendrer une issue fatale. Aussi est-il valorisé dans toutes les circonstances possibles de garder son calme, de montrer du « détachement » et de se « concentrer » (sa’maathi’). Il s’agit de savoir gérer les apparences, de ne rien laisser transparaître.
31La pratique du muay thaï constitue, de par la confrontation physique qu’elle implique, un cas extrême pour tester les individus, les classer de façon plus ou moins formelle et durable. La pratique du muay thaï a en effet pour horizon d’action le corps à corps quasiment total entre deux boxeurs lors des compétitions, sans aucune médiation instrumentale tangible. En cela, la boxe thaïlandaise constitue en Thaïlande un cas à part dans les pratiques corporelles, les sports en particulier, comme support de socialisation. Les contextes variés d’opposition qui nourrissent la pratique du muay thaï, les différents ateliers d’entraînement et, bien sûr, le combat, offrent pour ainsi dire autant de protocoles d’expérimentation à l’instar d’un laboratoire où l’on modélise cet idéal de détachement total et sa manifestation par la gestion de la présentation de soi.
32Notons enfin que le maintien postural garantit auprès des observateurs l’intégrité du boxeur, aussi bien dans ce que l’on nomme par convention les registres mental, émotionnel, physique. En effet, comme nous venons de le voir, ces notions peuvent être évoquées par le même terme vernaculaire khwaam ruusük. Cette polysémie ainsi que l’acception large de l’expression choey (détachement) qui s’applique à l’idée de négation de ce que nous identifions de façon spontanée comme des sensations, des affects et des pensées montrent que les trois registres ne souffrent aucune discontinuité dans la pensée de nos interlocuteurs. Quelqu’un qui fait souvent part de ses interrogations, par exemple, est considéré comme quelqu’un de perturbé. Par ailleurs, les Thaïlandais ne manquent pas de faire remarquer qu’il n’est pas de très bon ton d’adopter des attitudes trahissant le fait de « se soucier » (khit maak, litt. « penser beaucoup »), comme celle de s’asseoir au sol en pliant ses jambes les genoux en l’air que l’on serre contre sa poitrine et les talons ramenés près des fesses. On « manifeste des symptômes d’agitation mentale » (öök aakaan sa’mong wun waay, litt. « manifester des symptômes de cerveau agité » ou öök aakaan wun waay djay, litt. « manifester des symptômes de cœur agité »). C’est la preuve d’un désordre intérieur, et de surcroît une marque de désintérêt pour les interlocuteurs. Un tel manquement à la gestion de la présentation de soi représente un manque de maîtrise de soi patent. C’est finalement la valorisation de l’étouffement de ces différents phénomènes intérieurs qui les fait appartenir à la même catégorie phénoménologique.
33Nous comprenons ainsi à quel point le monde de la boxe, organisé autour d’un dispositif de confrontation violente entre deux individus, représente un contexte fécond pour mettre en jeu des qualités morales de la personne, pour la constitution et la validation de cette dernière.
Un apprentissage par la performance du mouvement : du shadow au combat
34Toujours dans le sens d’un élargissement de notre perspective, nous devons nous demander quelles sont les implications pédagogiques de la « posture » comme élément-clé de la formation pugilistique « par corps ». Je questionnerai ici particulièrement la notion de transmission. Il s’agit d’évaluer notamment le degré de contrôle de l’équipe d’instructeurs sur les boxeurs.
35Notons tout d’abord que la parole explicative tient assez peu de place dans la formation des boxeurs. Elle est reléguée au second plan derrière la pratique. Elle accompagne le plus souvent une démonstration de l’instructeur, ou encore des corrections qu’il apporte en observant les pugilistes pratiquer cette science du mouvement. Lorsqu’il s’agit de corriger ponctuellement une mauvaise habitude prise par un boxeur, Aadjaan Klaew fait une démonstration devant le pugiliste en lui montrant d’abord ce qu’il fait (mal) et les risques qui s’ensuivent sur le ring. Aadjaan Klaew fait semblant de tomber ou de prendre un coup, de traîner la jambe et, ensuite, il accomplit ce que son élève devrait faire avant de l’inviter à l’imiter.
36Lors des entraînements, l’essentiel du discours des formateurs se résume à des encouragements, à des exhortations tonitruantes aux boxeurs à redoubler d’effort, à soigner leur posture. Sur chaque atelier, lors des premières séances d’entraînement des débutants par exemple, Aadjaan Klaew s’assure que ses élèves effectuent le bon geste, celui qui est efficace pour la constitution de leur corps pugilistique. Afin de corriger leur geste, notamment les « coups donnés avec les tibias » (te), véritable marque de fabrique du muay thaï et qui sont les premiers à être appris et travaillés, il sert de cible immobile et attrape la jambe que les néophytes projettent au moment où celle-ci le touche pour suspendre quelques instants le mouvement. En remontant à partir du membre, il tord, il déplace chaque segment du corps un à un, change les appuis des débutants au sol et modifie leur pose tel un sculpteur. Puis, il leur demande de revenir à leur position initiale de garde, la travaille de la même façon jusqu’à obtenir l’attitude du boxeur, la « posture pugilistique » adéquate. On dit que « l’entraîneur plante la position/l’attitude (du boxeur) » (phuu fük sööm pen khon pluk pan ruup muay). C’est au boxeur de la faire évoluer, de l’affiner dans la pratique. Il fait répéter le coup aux néophytes un par un devant lui, inlassablement, jusqu’à ce qu’il soit complètement satisfait. Le mouvement de boxe est ainsi décomposé grâce à trois pauses/poses, dont deux qui l’encadrent, soit les deux positions de garde que sont les postures de départ et d’arrivée, la garde donc, et une position intermédiaire qui correspond au moment de l’impact sur la cible.
37Puis, rapidement, dès le deuxième ou troisième entraînement, ces ébauches de fixation du mouvement disparaissent. Celui-ci sera désormais traité dans sa continuité, c’est-à-dire sa répétition par le boxeur, souvent sur un sac de frappe jusqu’à ce qu’il ressente l’efficacité du mouvement, parfois à la suite du maître ou d’un autre boxeur que ce dernier a sollicité et qui s’exécute afin d’incarner le geste recherché. Ce n’est qu’après plusieurs séances, jusqu’à ce que le chef de camp juge que les débutants maîtrisent les coups de base du muay thaï, qu’il leur permet de monter sur le ring d’entraînement pour passer à l’exercice de « frappe des cibles », atelier-clé de l’entraînement s’il en est, puisque c’est celui qui se rapproche le plus des conditions de combat sur le ring. Dans un premier temps il demande à l’un des boxeurs confirmés du camp, de leur tenir les cibles pour effectuer des séries de coups par reprises : une de poings et deux ou trois de tibias. Les « armes courtes », genoux et coudes, sont alors provisoirement travaillées exclusivement sur les sacs de frappe. Il leur demande aussi de ne pas être trop mobiles. Il les charge de gérer eux-mêmes la distance à la place des jeunes boxeurs, afin que ceux-ci n’aient pas trop à se déplacer pour atteindre les cibles, facilitant ainsi énormément leur travail, surtout en ce qui concerne les coups de tibia qui font perdre l’équilibre facilement si l’on manque l’objectif. Les cibles doivent être placées à peu près toujours au même endroit et au même niveau. C’est au fur et à mesure des séances que, accumulant repères et confiance, les néophytes prennent progressivement le contrôle de l’interaction et finissent par régler eux-mêmes l’écart par rapport à l’entraîneur par leurs déplacements. Constatant leurs progrès, le chef de camp ne tarde pas à demander à ses assesseurs de devenir des partenaires se mouvant de façon beaucoup moins consensuelle quant à la gestion de la distance et à la façon de placer les cibles. Ils ont désormais soit à casser l’écart – à se rapprocher de leurs élèves « agressivement » –, ou au contraire à l’augmenter soudainement de manière à user de feintes pour éviter les coups, et enfin, éventuellement sanctionner les fautes de placement par des coups de tibia modérés dans le dos, une humiliation caractérisée sur le ring. Afin de guider les néophytes, les assesseurs doivent appeler les coups de ces premiers en positionnant adéquatement les boucliers de frappe attachés à leurs bras, ce qui permet de travailler des enchaînements de techniques tels que deux coups de poing à hauteur du visage, un ou deux coups de tibia à mi-hauteur, puis une série de coups de genou au ventre, de laquelle on sort en relançant un ou deux coups de tibia et ainsi de suite. Non seulement les techniques ne sont plus isolées les unes par rapport aux autres, mais elles sont enchaînées dans des situations proches du combat où la « cible » est également agressive. En quelques semaines, les débutants en arrivent à une façon plus dynamique de ressentir l’action pugilistique.
38La suite de leur apprentissage consiste essentiellement dans une recherche à deux – lors des séances de « frappe de cibles » avec leur entraîneur qui prend désormais le relais – de nouvelles tactiques, de nouvelles combinaisons prêtes à être utilisées sur le ring. Les explications verbales de l’entraîneur se font à l’adresse du boxeur lorsque le premier décide d’étoffer la gamme de son pugiliste. À chaque fois qu’une modification est apportée dans la routine, les étapes d’apprentissage décrites pour les débutants sont utilisées. On travaille d’abord le nouveau coup ou la nouvelle combinaison de façon isolée, puis on le répète au milieu d’un enchaînement plus important de manière moins explicitée en plein milieu d’un exercice de frappe des cibles. Le fait que la nouvelle technique soit accomplie sans qu’aucun des deux protagonistes n’y ait fait allusion auparavant est un signe de son appropriation par le boxeur dont l’instructeur dit qu’« il sait faire dorénavant » (pen lew, litt. « être déjà »).
39Les explications verbales lors de l’entraînement éclairent donc essentiellement des points de détails, telle façon de placer le pied ou les hanches dans telle situation. Elles ne laissent pas entrevoir l’action dans sa continuité avec tous ses tenants et ses aboutissants. Ces derniers ne sont appréciés que par l’expérience de la chair dans les gestes mille fois répétés jusqu’à ce que le maître exprime sa satisfaction. Lors des séances de « frappe de cibles », le boxeur est mis dans une position où ce sont ses sensations qui, foncièrement, peuvent le guider sur la tactique à suivre : chaque erreur de placement est corrigée par l’entraîneur qui envoie, pour punir le boxeur, un coup de « cible » sur la partie de son corps qu’il ne protège pas suffisamment tout en le tançant vertement et en l’invitant à faire attention à sa « posture ». Le ballet qu’ils se livrent prend la forme d’une négociation permanente quant à savoir qui aura le dessus, qui impose son rythme et prend la main en dirigeant les débats. C’est ici que se mesure la compétence de l’entraîneur à cet exercice, à l’aune de son expérience en tant que boxeur. Il faut être capable d’imposer un rythme suffisant tout en obligeant le boxeur à faire de la surenchère et s’imposer régulièrement comme maître de la manœuvre pour que la séance soit productive. C’est d’autant plus délicat avec les débutants. Il faut faire en sorte que ceux-ci ne s’épuisent pas complètement, au point de ne plus avoir la lucidité nécessaire de prendre le jeu à leur compte ou, plus grave, de ne plus pouvoir continuer à se protéger efficacement. Une séance ratée se perçoit assez rapidement, même pour un entraîneur qui supervise en même temps plusieurs binômes. Le bruit des frappes sur les cibles, leur intensité, leur tonalité et leur fréquence renseignent le connaisseur. L’affaiblissement des coups, jusqu’à devenir des frôlements sur le cuir des cibles rendu glissant par la sueur, trahit immanquablement un manque d’application de la part du boxeur.
40Lorsque l’on ne s’arrête pas ponctuellement sur une nouvelle technique, les séances de frappe de cibles pour les boxeurs confirmés ne sont donc pas l’occasion de grandes élocutions à caractère explicatif. Les sons, articulés ou non, émis par l’entraîneur et son élève, sont essentiellement redondants par rapport à l’action, mais participent néanmoins d’une explicitation de leur propre vécu de l’interaction. Ces manifestations sonores ont une valeur pédagogique indéniable même si elles ont peu de contenu réflexif, elles constituent un protocole de communication entre le boxeur et son enseignant et s’ajoutent dans le même mouvement à l’expérience corporelle active.
41L’apprentissage par la mise en action a déjà été mis en lumière grâce à l’utilisation de l’outil bourdieusien qu’est le « sens pratique incorporé ». Je pense à Loïc Wacquant (2000) qui a su en tirer toute la prégnance épistémologique pour son analyse de la boxe anglaise dans un gym de Chicago. Les postures, les coups frappés, les déplacements, les appuis, les esquives, les parades, les blocages de coups, toutes les ficelles du métier s’apprennent par l’expérience du corps et les stimuli qui le traversent et lui donnent vie. Véritable savoir en mouvement, les techniques s’affinent dans l’action. Toutes ces remarques s’appliquent à l’entraînement de boxe thaïlandaise. En shadow, aux sacs, en lutte comme en « frappe de cibles », le corps sert en boxant et non à boxer16.
42L’oral, l’écrit a fortiori, ne permettent pas de rendre le mouvement, ou plutôt le corps en mouvement, qui ne se laisse finalement vraiment capter que par lui-même. Pour Marcel Mauss, « le corps est le premier et le plus naturel instrument de l’homme » (1989 : 372), une idée sur laquelle Maurice Bloch capitalise implicitement lorsqu’il relativise d’une part la prééminence cognitive du cerveau sur le corps, et qu’il regrette d’autre part l’imposition trop systématique d’une hiérarchie implicite des savoirs au détriment des savoir-faire, alors que ceux-ci sont bien plus nombreux et plus sollicités dans la vie quotidienne que les savoirs propositionnels ou logiques17.
43Dans cette perspective, on peut dire que le corps en mouvement – la pause n’étant qu’un moment rare de mouvement est donc pensée à partir du premier – constitue le meilleur outil pédagogique de la boxe. Il s’agit du corps de l’autre, plus expérimenté – celui des entraîneurs, des boxeurs aînés –, à imiter, à contrôler dans les moments de confrontation directe, mais aussi et surtout du sien. Le corps des boxeurs sert de support à la progression de la maîtrise des techniques pugilistiques. De même qu’il est outil et matériau de l’apprentissage des techniques du muay thaï, il est aussi partie récipiendaire et participative du corps collectif composé par tous les protagonistes de l’entraînement, c’est-à-dire une véritable expérience incarnée18. Chaque mouvement, chaque attitude incorporée représentent une marche sur laquelle s’appuyer pour monter vers la suivante, vers une autre technique plus complexe, plus efficace. L’accumulation est potentiellement sans fin, dépendamment de la volonté du boxeur, car chaque technique apprivoisée, faite sienne, est travaillée en permanence, est affinée vers l’optimisation d’une équation simple : réduire le plus possible la dépense énergétique, le temps d’exécution, tout en améliorant la force d’impact et l’acuité cinématique.
44Le savoir-faire qui est infusé au camp est avant tout pratique et il est le produit de la pratique plus que l’inverse. En ce sens, l’activité dans les camps de boxe correspond au processus de participation légitime périphérique décrit par Lave et Wenger (1991) et tel que présenté dans le texte de Daniel Vermonden. Il est par exemple rare que les entraîneurs en viennent à expliquer à un débutant qu’il est préférable de lâcher un cri lorsque l’on frappe afin de libérer plus d’énergie. L’habitude est généralement prise par le boxeur lui-même en se calant sur l’ambiance sonore des sessions d’entraînement, laquelle sert également de repère aux cadres, comme nous l’avons vu ci-dessus.
45Notons enfin, en resserrant la perspective chronologique de l’apprentissage sur une seule journée, que chaque séance d’entraînement pour tous les boxeurs, débutants ou confirmés, permet de refaire ce chemin vers la continuité du mouvement. Comme nous l’avons vu, les techniques sont en effet d’abord ressassées seules en « shadow », un exercice qui fait appel à l’imagination et commande la création d’un adversaire, à savoir la fiction d’une situation interactionnelle afin de s’échauffer et de retrouver sa boxe et, ensuite, contre une cible comme un sac de frappe dont on peut, par une habitude kinesthésique développée à la faveur de nombreuses heures de travail, anticiper et maîtriser le mouvement. Puis il faut s’opposer à ses pairs – les différents sparrings – et à son entraîneur dans une séance de « frappe des cibles » durant laquelle ce dernier sert de cible mouvante qui rend des coups. La dernière marche de cet apprentissage du mouvement par le mouvement est bien entendu l’expérience sur le ring, aboutissement de l’effort produit et summum de l’expérience sensible.
Conclusion
46Initiation permanente, l’entraînement, ou plutôt boxer au camp, pour prendre une formule performative qui sied mieux au cas étudié, se fait collectivement. Les instructeurs assument la plupart du temps un rôle de révélateurs et de coordonnateurs venant stimuler l’activité routinière et dispensant quelques explications quand le besoin s’en fait sentir.
47La stimulation et la motivation des boxeurs se font donc par voie verticale, de maître à élève, mais aussi par un jeu complexe et diffus d’émulation sous forme de coopération/compétition entre les boxeurs du camp en général, et surtout entre ceux de corpulence égale, notamment lors de la lutte et des sparrings. Même si deux boxeurs appartenant au même camp ne sont pas censés combattre l’un contre l’autre en compétition, leur relation au camp se construit essentiellement autour d’un aspect compétitif finement géré au gré des interactions entre les boxeurs, et dont l’inertie, au sens mécanique du terme, est recadrée par intermittence par les formateurs. Plus qu’une pédagogie de la boxe, l’activité dans le camp semble relever d’un processus (pugilistique) de socialisation (pugilistique)19. Les mises en relation d’individus et les enjeux moraux qui les nourrissent et les sous-tendent priment sur leurs termes, à savoir les boxeurs entre eux d’un côté, les pugilistes avec le maître et les entraîneurs de l’autre.
48Toute l’activité pugilistique tourne autour d’un corps à optimiser, que représentent les boxeurs séparément et collectivement. Tous les exercices, ceux à deux notamment, reposent sur une idée de la gestion et de la maîtrise de la violence. Il s’agit en fait d’un corps pétri de relations d’obligations réciproques qui lient les différents protagonistes : les boxeurs, leur équipement, leurs parents, leurs instructeurs, les esprits tutélaires de la terre, le roi, la communauté des moines bouddhistes, la nation, etc.
49Le moteur pédagogique du camp ne peut ainsi être résumé ni par le savoir incontestable du maître et de ses assesseurs, ni par l’imitation par les nouvelles recrues des boxeurs les plus expérimentés, ni même par la somme des efforts déployés synchroniquement et diachroniquement par tous les participants. Ces différents procédés sont utilisés au camp, mais de façon ponctuelle. Ils sont enchâssés dans le réseau ténu des rapports qui s’établissent, essentiellement en corps à corps, entre les protagonistes du camp, entre ceux-ci et leur environnement au sens large.
50Dans le cas qui nous intéresse, les notions univoques, inverses et complémentaires de transmission et d’apprentissage se révèlent devoir être précisées à l’aune de concepts plus dynamiques tels que savoir-agir. Ceux-ci supposent la prise en compte d’une interaction emprunte d’une valeur et d’une intention pédagogique diffuse et souvent non explicitée verbalement. La pratique de la boxe thaïlandaise d’une part, c’est-à-dire boxer, au camp et sur le ring suivant un même processus, son apprentissage d’autre part, deux activités qui au final semblent bien proches, nous invitent à affiner nos outils conceptuels pour rendre compte de capacités qui produisent de l’agir. Avoir mis en lumière le type de pédagogie implicite à l’œuvre dans le muay thaï permet de révéler, entre l’entraînement et le combat, le continuum qui fait écho à l’évolution d’un boxeur tout au long de sa carrière. Ce qui se passe dans le camp de boxe thaïlandaise n’est pas seulement l’entraînement de boxeurs vers des objectifs qui dépassent le seul cadre sportif, mais aussi ce que les pugilistes en interaction entraînent avec eux dans leurs mouvements.
Bibliographie
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10.4000/tc.188 :Warnier Jean-Pierre, 2002, « Les jeux guerriers du Cameroun de l’Ouest. Quelques propos iconoclastes », Techniques et Culture, n° 39, « Sport et corps en jeu », p. 177-194.
Zago Marcel, 1972, Rites et cérémonies en milieu bouddhiste lao, Roma, Università Gregoriana Editrice.
Notes de bas de page
1 Il s’agit ici d’un mot thaïlandais, la langue nationale, comme pour la plupart des termes vernaculaires utilisés dans ce texte. Quand il s’agira de l’issane, la langue majoritaire du nord-est du pays, cela sera précisé à la suite de l’expression en question. J’ai choisi de transcrire ces deux langues dans un système que j’espère intuitif avec l’objectif de donner la priorité à la dimension phonétique (à l’exclusion des cinq tons toutefois) plutôt qu’à la complexité du système d’écriture (qui permet d’écrire certains sons selon des graphies différentes) comme le fait le dispositif officiel de l’Institut royal de Thaïlande. Ainsi, les consonnes initiales aspirées sont réalisées grâce à l’ajout d’un /h/ (kh, ph, th). Les voyelles longues sont doublées. Les voyelles courtes placées en finale pour former une syllabe fermée sont suivies d’une apostrophe (a’, i’, etc.). /ö/ correspond au son /o/ ouvert français. /ae/ correspond au son /è/ français. La voyelle API (alphabet phonétique international) /ա/ est réalisée par /ü/ (prononcée entre le e et le u français). La consonne/voyelle API /u/ est réalisée par /y/ (en tant que voyelle finale elle est prononcée comme dans ail ou encore portail). La consonne API /tCh/ est réalisée par /ch/ (prononcée /tch/ en français). La consonne API /tc/ est réalisée par /dj/ (prononcée /dj/ en français).
2 Le bouddhisme est très présent dans les schèmes interprétatifs des chercheurs puisqu’il constitue le principal creuset des valeurs dominantes de la société thaïlandaise.
3 Catherine Choron-Baix (1995) et Peter Thomas Vail (1998) sont, à ma connaissance, les seuls ethnologues à avoir étudié le muay thaï en Thaïlande et également en France pour la première, dans un camp du Nord-Est thaïlandais pour le second.
4 Sur ces questionnements cf. notamment le numéro d’Ethnologie française intitulé « Envers et revers de la transmission » coordonné par C. Choron-Baix (2000) qui se penche sur la part contingente du processus de transmission, c’est-à-dire ce qui échappe à l’intentionnalité.
5 En Thaïlande, la grande majorité des pratiquants de muay thaï boxent dans le cadre de sa version professionnelle (muay achiip). Seuls quelques habitants issus des couches aisées des principales villes du pays s’adonnent à la pratique d’une forme amateur (muai sa’mak leen) où se mêlent les aspirations à un sport de loisir, à l’acquisition de techniques d’autodéfense et à la perpétuation d’un héritage national.
6 Tous les exercices un contre un se font avec des gants.
7 La notion de kreng djay est très complexe à rendre en français. Elle renvoie à l’ensemble des efforts de discrétion auxquels tout un chacun est tenu et qui doit se traduire par une « crainte » (kreng) de perturber et d’ennuyer le « cœur » (djay) des autres avec ses propres tracas.
8 Cette notion d’indépendance n’est pas synonyme d’émancipation comme le résultat d’une formation de l’esprit critique et du libre arbitre de l’individu, mais plutôt d’obéissance, de conformité, autant de principes dont le respect par chacun assure le bon ordre de la société. Être indépendant ici, c’est donc subvenir à ses besoins et essayer de régler ses problèmes avant de faire appel aux autres, sans faire de vagues, comme l’écrit Niels Mulder (1997 : 34).
9 Morale se traduit en thaï par le mot sinla’tham.
10 Au camp comme à l’école, les procédés informels de transmission des règles comportementales prennent une certaine importance. Les interactions des jeunes hommes avec les autres membres du monde de la boxe participent du caractère multicentré et diffus de la socialisation des enfants caractéristique du milieu rural thaïlandais que Bernard Formoso a mis en lumière à l’aune d’une comparaison des éducations reçues dans les familles issanes et sino-thaïes du nord-est de la Thaïlande (2000 : 207-209).
11 Ces déplacements loin du giron familial fonctionnent comme un véritable rite de passage qui tombe sous l’appellation du « partir à l’aventure » (pay thiaw). Ils permettent l’acquisition d’une expérience et des moyens financiers nécessaires à la concrétisation de leur statut d’adulte (lequel passe principalement par la fondation d’un foyer), à savoir le paiement d’une dot à ses beaux-parents chez qui il résidera probablement et la construction d’une maison dont ces derniers profiteront sûrement.
12 Sur les conceptions et les pratiques liées aux « esprits vitaux » on peut consulter Zago (1972) et Heinze (1982).
13 À cet égard on peut consulter le travail d’Annabel Vallard (2003) sur les massages thérapeutiques en Thaïlande.
14 Ils font de même avant de monter sur le ring avant chaque combat.
15 Je référerai par la suite à une telle association en utilisant le terme de binôme.
16 J’ai emprunté cette formule à François Sigaut (1991).
17 Selon Maurice Bloch (1991), en s’appliquant à rendre compte de l’apprentissage des techniques et des savoirs sur nos terrains, nous devons et nous pouvons, par précaution méthodologique, mettre le corps et l’action sinon au premier plan si l’objet étudié l’exige, au moins les placer sur un pied d’égalité avec le média linguistique. Des travaux de neurophysiologie, tels ceux d’Alain Berthoz (1997), vont tout à fait dans ce sens.
18 Jean-Pierre Warnier parle du corps comme « synthèse sensori-affectivo-motrice » (2002 : 178).
19 Loïc Wacquant parle de pédagogie collective implicite (2000 : 99).
Auteur
Est chargé de recherches à l’Institut d’Anthropologie Interdisciplinaire du Contemporain – Laboratoire d’Anthropologie Urbaine, EHESS-CNRS (UMR 8177). S. Rennesson a pour objet de recherche les jeux compétitifs et les sports en Thaïlande. En s’intéressant notamment à la boxe thaïlandaise et à des concours agonistiques d’animaux, il développe une réflexion originale sur les implications ontologiques et épistémologiques des jeux qu’il décrit.
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