Apprendre à pêcher ou pêcher pour apprendre ?
Dynamique des communautés de pratique sur les rivages de l’Est indonésien
p. 53-78
Texte intégral
1Ce chapitre trouve sa source dans un paradoxe apparent1. Les travaux dans le cadre de la Convention des Nations Unies sur la diversité biologique, entrée en vigueur le 29 décembre 19932, ont conduit à définir le processus de transmission des savoirs (écologiques) traditionnels comme suit : « les savoirs [écologiques] traditionnels sont transmis oralement d’une génération à l’autre » (ma traduction). Au cours de mon enquête ethnographique parmi les pêcheurs du sud de l’île de Buton (Célèbes, Indonésie), des entretiens structurés avec les pêcheurs m’ont permis de mettre en évidence des savoirs approfondis concernant les poissons et, plus largement, concernant l’environnement marin. Pourtant, au cours de deux années d’observation participante auprès de ces pêcheurs locaux, j’ai rarement été témoin de scènes de transmission orale de savoirs ou de techniques. Cette contradiction avec l’affirmation de la Convention m’a conduit à m’intéresser de plus près à la nature des savoirs écologiques traditionnels, notamment : d’où viennent les savoirs des pêcheurs ? Résultent-ils d’une transmission quelconque et, si c’est le cas, quel serait ce processus de transmission ?
2Outre l’instruction orale, un autre processus de transmission sociale est régulièrement mis en avant au sein du courant des « savoirs écologiques traditionnels » : l’imitation (Ellen et Harris 2000 : 4). Toutefois, ceci ne répond pas de manière satisfaisante à la question de la transmission des savoirs écologiques traditionnels (que je désignerai dans la suite du texte par l’acronyme SET). En effet, ajouter l’imitation à la transmission orale comme processus de transmission des SET conduit plutôt à s’interroger sur la nature des SET et à la relation entre les savoirs et la pratique. Si l’on considère que les SET sont transmis via un processus d’instruction orale, on répond comme suit aux questions qui précèdent : les savoirs sont de nature discursive et la pratique consiste à appliquer ces savoirs discursifs ; si l’imitation est également un processus de transmission des SET, le présupposé qui précède est remis en cause et il s’agit alors de s’intéresser de plus près au processus d’apprentissage.
3 Richerson et Boyd (2005) proposent un modèle élaboré de la transmission culturelle qui prend en compte à la fois l’enseignement et l’imitation. Leur modèle est basé sur la distinction entre apprentissage social (par enseignement et imitation) et apprentissage individuel (par essai et erreur). Ils abordent l’apprentissage en termes d’« adoption » ou d’« acquisition » – par des individus – de « traits » ou d’« éléments » : des croyances, des idées, des valeurs et des attitudes. Par exemple, « des savoirs spécialisés sont nécessaires pour vivre en Arctique : comment fabriquer des vêtements imperméables, comment s’éclairer et cuisiner les aliments, comment construire des kayaks et des umiak (type d’embarcation locale, ouverte et de plus grande taille), comment chasser les phoques à travers des trous dans la glace » (Richerson et Boyd 2005 : 128-9, ma traduction). Ces savoirs sont considérés comme des contenus, comme de l’infomation stockée dans la tête des individus. Ainsi, dans ce modèle de transmission, l’imitation et l’enseignement sont des voies différentes qui mènent à un résultat identique, l’acquisition d’informations nécessaires à la pratique et, en conséquence, les savoirs écologiques traditionnels peuvent être considérés comme un corpus d’information qui passe d’une génération à l’autre.
4Ces présupposés inhérents au modèle de Richerson et Boyd sont contestés par d’autres études et développements théoriques abordant la question des savoirs, de la pratique, de la perception et de l’apprentissage (Bourdieu 2000, 1994 ; Merleau-Ponty 1999 ; Gibson 1979 ; Delbos et Jorion 1984 ; Ingold 2000, 2001 ; Lave et Wenger 1991 ; Wenger 1999 ; Rogoff et al. 2003 ; Lave 1988 ; Chevalier 1991 ; Martinelli 1996). Ces travaux contestent plus spécifiquement les présupposés suivants : (1) les individus et l’environnement constituent des entités préexistantes et séparées ; (2) les savoirs sont des informations à propos de l’environnement ; (3) les savoirs sont des contenus individuels qui sont stockés dans la tête des individus ; (4) la pratique est l’application de savoirs et l’acquisition de ces savoirs précède nécessairement la pratique.
5Des modèles alternatifs du processus d’apprentissage existent. Ingold (2000 : 36-7, 157-71, 243-87, 373-91) élabore un modèle alternatif en s’appuyant principalement sur la théorie de la pratique de Bourdieu (2000, 1994) et sur les travaux relatifs à la perception de Merleau-Ponty (1999) et de Gibson (1979)3. Il aborde l’apprentissage non pas comme acquisition de contenus (ou d’informations) mais comme le développement d’habiletés (« skills »), processus qui engage l’organisme-dans-l’environnement comme « totalité indivisible » (Ingold 2000 : 19). En effet, le monde/l’environnement n’est pas en face de nous ; nous sommes plutôt « dans le monde » : je forme avec le monde une seule et même entité, une entité dynamique, un « être-au-monde » (dans le sens de Merleau-Ponty 1999). L’organisme et le monde émergent ensemble progressivement à mesure que l’on s’engage dans le monde. L’expertise n’est pas une accumulation d’informations mais une capacité à percevoir et une « habilité à coordonner la perception et l’action » (Ingold 2000 : 356). Dans cette perspective, la transmission consiste avant tout à offrir un contexte et une supervision dans le cadre d’une « éducation de l’attention » (Gibson 1979 : 254).
6 Un autre courant, adoptant une approche méthodologique fondée sur l’ethnographie, met l’accent sur le rôle de la participation à la pratique dans le processus d’apprentissage. Il s’agit du courant de l’« apprentissage situé » (« situated learning », p.ex. Rogoff et al. 2003, Lave et Wenger 1991). Ce modèle aborde l’apprentissage comme produit d’une participation à la pratique. Dans cette optique, l’apprentissage ne constitue donc pas une activité indépendante de la pratique ; il ne constitue pas non plus un objectif explicite des participants à la pratique. Quant aux savoirs, il n’est pas nécessaire de les acquérir préalablement à la pratique. La participation fournit à la fois la motivation à apprendre et l’accès aux ressources nécessaires. Le concept de « participation légitime à la pratique » (Lave et Wenger 1991) a pour but de mettre l’accent sur la dimension sociale de l’apprentissage. Dans cette perspective, l’apprentissage est nécessairement un processus d’intégration progressive à une communauté de pratiquants, de la périphérie vers le centre. Selon Lave et Wenger (1991), les savoirs ne sont pas acquis et stockés dans la tête des individus mais développés et reproduits au sein de communautés de pratique (CdP). Wenger (1999) développe plus avant ce concept de communauté de pratique, ce qui le conduit à mettre l’accent sur la relation entre la participation à la pratique, la construction de l’identité et l’élaboration de sens4.
7Ces développements théoriques invitent à une redéfinition de la question de la transmission des SET. Nous ne pouvons pas nous limiter à la seule compréhension en termes de transmission d’un corpus de savoirs (ou d’informations) parce que la constitution des SET en corpus est elle-même le produit de la méthode d’enquête. En effet, des entretiens conduisent nécessairement à enregistrer des savoirs sous forme propositionnelle. Cela n’a pas de sens ensuite de s’interroger sur la manière dont ce corpus est transmis, puisque le corpus lui-même est justement le produit de la méthode d’enquête. Cependant, les savoirs élicités peuvent servir de porte d’entrée pour accéder au monde du pêcheur. De plus, les avancées théoriques présentées plus haut invitent aussi à s’interroger sur la relation entre les savoirs et l’expertise : on ne peut pas réduire le développement et la reproduction de l’expertise à l’acquisition individuelle de connaissances. Il s’agit d’explorer comment l’expertise se développe et se reproduit au sein d’un contexte social et écologique donné. Pour comprendre le processus de transmission, il faut s’intéresser non plus aux contenus, mais aux configurations de la pratique, aux interactions et aux trajectoires au sein de communautés de pratique, ainsi qu’à la transformation « structurelle » de la personne-dans-son-environnement qui forme un tout.
8 Dans cet article, j’explore ces questions à travers l’analyse d’un exemple ethnographique spécifique : celui des activités de pêche dans le sud de Buton. Je m’intéresse successivement à trois types d’activités de pêche : la pêche à la nasse, la pêche à la ligne et la pêche au requin (pour l’exploitation des ailerons).
Méthodologie
9Buton est la vingtième plus grande île de l’archipel indonésien. Elle est située dans la province de Célèbes Sud-Est, à la porte des Moluques – ces dernières sont connues aussi sous le qualificatif d’« îles aux épices ». Une langue unique est parlée dans le sud de l’île de Buton : le cia-cia (fig. 1). Pendant vingt-quatre mois, entre 1999 et 2002, j’ai mené un terrain ethnographique à Buton, principalement dans le village de Bahari, mais pas uniquement puisque j’ai également effectué des visites plus courtes (d’une durée de quelques heures à trois semaines) dans les autres villages côtiers du sud de Buton et au sein de deux communautés de migrants butonais hors de Buton sur l’île de Wawoni (au nord de l’île de Buton) et sur l’île de Taliabu, aux Moluques. Au cours de mon enquête, j’ai combiné observation participante et entretiens. J’ai focalisé mes recherches sur les activités associées à la mer, à savoir non seulement la pêche, mais aussi la construction navale et la navigation.
10Pour chaque technique de pêche, j’ai établi un fichier reprenant les informations suivantes : nom vernaculaire, étymologie du terme, instruments utilisés (y compris l’origine des matériaux et le processus de fabrication), les produits exploités (avec leur nom vernaculaire), les variantes de la technique le cas échéant, le moment de la pêche (en référence au moment de la journée, à la marée, à la phase lunaire et à la saison), les lieux (y compris les éventuels changements au cours de l’année), l’équipe (nombre minimum, habituel et maximum de participants, organisation de l’équipe, sexe des participants et éventail des âges), la durée (à la fois dans le cadre d’une pratique de subsistance et d’une pratique commerciale), l’histoire (profondeur historique et transformations), la popularité de la technique (autrefois et aujourd’hui), et la séquence de mise en œuvre. J’ai rassemblé un total d’une centaine de fiches5. Pour récolter les informations, outre les entretiens structurés et non structurés que j’ai menés avec des pêcheurs experts (trente-cinq personnes au total), j’ai réalisé des enregistrements vidéo et visionné ensuite ces vidéos avec les participants à la pêche. J’ai aussi observé directement les techniques et y ai participé personnellement (dans la frange côtière et au large)6. Enfin, j’ai recueilli douze biographies de pêcheurs de différentes générations au cours de mes entretiens.
11En ce qui concerne l’exploration des savoirs des pêcheurs relatifs à la faune marine, j’ai d’abord utilisé des illustrations afin de collecter les noms vernaculaires des poissons (y compris les raies et les requins) ainsi que leur identification. J’ai montré une série d’illustrations (Allen 1997) à six pêcheurs issus de trois villages différents ainsi qu’à un groupe de pêcheurs de Bahari7. Au cours de ces séances, j’étais attentif également au processus d’identification lui-même (attention à des éléments particuliers de l’illustration, information complémentaire demandée par le pêcheur ou encore remarques du pêcheur, par exemple). Parfois, en travaillant avec le groupe de pêcheurs, le processus d’identification débouchait sur une discussion entre les différentes personnes présentes. Le cas échéant, je prenais note des arguments des uns et des autres en faveur de leur identification. J’ai ensuite comparé les listes et identifié les différences avant de conduire des entretiens complémentaires pour explorer plus avant leur nature (problèmes d’identification, de synonymie, de stade de développement, par exemple). J’ai en outre établi une liste des noms vernaculaires des poissons qui m’a servi de base de travail pour explorer les connaissances des pêcheurs pour chaque espèce : technique utilisée pour la capture, lieu et profondeur, moment (journée, phase lunaire, saison), comportement du poisson, classification vernaculaire (et critère sur lequel cette classification est basée) et remarques additionnelles éventuelles (goût, dangerosité, par exemple). Tout ceci m’a permis d’acquérir une compréhension approfondie des savoirs des pêcheurs concernant les poissons et des techniques utilisées pour les capturer.
Les activités de pêche dans le sud de Buton
12Dans le sud de Buton, les habitants des villages côtiers combinent traditionnellement culture et pêche vivrières. Chaque ménage entretient un ou plusieurs jardins au sein du territoire villageois. Les deux principales cultures de subsistance sont le maïs et le manioc, auxquelles viennent s’ajouter des cultures commerciales comme la tomate, les oignons, les bananes et les noix de cajou. La productivité des jardins est limitée à cause de sols calcaires (particulièrement dans les villages du sud-est de l’île) et de la longue saison sèche associée à la mousson du Sud-Est.
13Le produit de la pêche constitue la principale source de protéines et offre également une source de revenu pour les ménages. Les techniques de pêche sont très variées : pêche à la ligne, pêche à la nasse (avec des nasses fixes, des nasses portables et des barrages à marée), collecte (y compris de coquillages), pêche au poison, pêche au filet, pêche à la canne, pêche à la traîne, pêche à la lance et même pêche au cerf-volant. Parmi ces techniques, certaines sont très largement distribuées au sein des communautés (comme la collecte diurne et nocturne sur le récif ou la pêche à la ligne avec appât), tandis que d’autres ont une distribution bien plus limitée. Les particularités environnementales expliquent en partie la distribution des techniques de pêche. Par exemple, les plateformes de pêche8 qui exploitent les poissons pélagiques (anchois et sardines, par exemple) sont localisées dans la baie de Sampolawa, où une rivière se jette dans la mer. Toutefois, la distribution des techniques de pêche ne peut s’expliquer exclusivement sur la base des caractéristiques de l’environnement naturel : des facteurs historiques et sociaux influencent également leur distribution.
14Ainsi, la pêche au cerf-volant dans le sud de Buton est pratiquée exclusivement par des pêcheurs de Wawoangi. Le rivage de Bahari est un des meilleurs spots pour pratiquer cette technique. Pourtant, en dépit du fait que les pêcheurs de Wawoangi pratiquent cette pêche à quelques dizaines de mètres de la plage de Bahari, fournissant ainsi aux habitants du village de fréquentes occasions d’observer la façon de procéder, les pêcheurs de Bahari ne l’ont pas « adoptée ». Un villageois m’a confié qu’il avait une fois essayé cette technique alors qu’il se trouvait aux Moluques pour une expédition de pêche à la nasse, mais que « c’était juste pour essayer ».
15En effet, aucun habitant de Bahari ne s’est engagé dans une pratique sérieuse de la pêche au cerf-volant, car ils considèrent qu’ils manquent de légitimité pour la pratiquer et pour se spécialiser dans cette activité : « ce n’est pas une de nos techniques », disent-ils. L’acquisition d’une certaine expertise dans cette technique nécessiterait d’avoir accès aux pêcheurs de Wawoangi, qui en sont les spécialistes. Mais, pour ceux-ci, cette expertise est un patrimoine et un élément de définition de leur identité. Ils n’ont aucune raison de laisser les pêcheurs de Bahari accéder à cette expertise. Par ailleurs, si ces derniers demandaient d’accéder à cette expertise, ils se placeraient d’eux-mêmes dans une position d’infériorité, à la périphérie d’une communauté de pratique (CdP) dont le centre se trouve à Wawoangi, ce qui serait néfaste à leur propre identité. Cet exemple montre bien que la pratique n’est pas séparée de l’identité sociale, conformément au modèle de transmission défendu par Lave et Wenger (1991 : 34-7). L’opportunité d’observer une technique ne conduit pas automatiquement à son adoption ; la légitimité de l’accès entre aussi en jeu.
16Les hommes et les femmes pratiquent des techniques différentes dans le sud de Buton. Les femmes sont moins spécialisées que les hommes et exploitent uniquement le platier. La gamme de techniques de pêche disponible aux hommes est plus étendue, mais chaque pêcheur se spécialise dans un nombre limité de techniques. Son but est de fournir à sa famille un apport régulier de poissons et, pour le pêcheur « professionnel », de gagner sa vie.
17Bien que des CdP existent pour tous les types de techniques de pêche, je me focalise ici sur trois cas particuliers : la pêche à la nasse portable, la pêche à la ligne et la pêche au requin. Chacune de ces techniques apporte des éléments importants de compréhension du processus de transmission de la connaissance associée à la pêche.
La pêche à la nasse portable
18Différents types de nasses sont fabriquées et utilisées dans le sud de Buton. Les techniques mises en oeuvre sont différentes aussi en fonction de la nasse utilisée. Une petite nasse, appelée kukulu, est boëttée et posée sur le platier par les femmes pour capturer des poissons demoiselles (Pomacentridae), des petits labres (Labridae) et des petits empereurs (Lethrinidae). Les nasses ngkalolobu, plus grandes et semi-sphériques, sont également équipées d’appâts. Elles sont utilisées pour capturer des balistes (Balistidae) et des sigans (Siganidae) sur la pente récifale. Une nasse conique, appelée kadhepe, sert à capturer les poissons qui se cachent sous les pierres au niveau du platier. Et finalement, il y a les nasses quadrangulaires auxquelles je m’intéresse plus spécifiquement ici.
19Les nasses quadrangulaires se déclinent en différents types et en différentes tailles (fig. 2) : nasses à maille rectangulaire (kampi) ou polygonale (salamata), petites nasses katambuni (quelques dizaines de centimètres de côté) et grandes nasses kantano (jusqu’à plus de deux mètres de côté). Les katambuni sont posées sur le platier et entourées de pierres. Cette technique de pêche s’inscrit dans un cadre vivrier. Les nasses kantano sont par contre utilisées dans un cadre commercial. Elles sont déposées au niveau de la pente récifale et de la terrasse sous-marine, jusqu’à une profondeur maximale de 35 mètres.
20Autrefois, la pêche à la nasse collective était une activité commerciale majeure dans le sud de Buton. Bien qu’elle continue d’être pratiquée, elle a connu un net déclin car des activités alternatives de pêche, présentant un meilleur potentiel de profit, sont progressivement apparues depuis la seconde moitié du xxe siècle. La pêche collective à la nasse mobilise une équipe de trois ou quatre pêcheurs dirigée par un spécialiste, le parika. Les équipes sont généralement composées de membres d’une même famille, avec une préférence pour les frères et les beaux-frères du parika (ceux-ci sont d’ailleurs le plus souvent aussi des parents du parika, du fait de la pratique de l’endogamie). Une équipe de pêche fabrique entre vingt et trente nasses de type kantano, mêlant celles de type kampi et celles de type salamata. Ces nasses sont ensuite posées au niveau de la pente récifale et de la terrasse récifale et relevées tous les deux ou trois jours.
21Le parika est responsable du succès de la pêche et son expertise est évaluée sur ce critère. Il décide du moment de la mise en œuvre de la pêche elle-même et de chacune des étapes de la fabrication des nasses (à savoir abattre les troncs de bambou, préparer les lattes, les tisser, et finalement assembler les nasses). Avant d’entamer chacune de ces étapes, le parika veille à choisir un moment faste. En mer, il décide de l’endroit précis où la nasse doit être mouillée. Après avoir relevé les nasses, c’est lui qui, sur la plage, partage les prises entre les membres de l’équipe (dans le cas où le poisson n’est pas écoulé sur le marché). Le parika s’occupe également des relations avec les êtres invisibles, les « gardiens de la mer » (ompuno tai), qui possèdent et contrôlent les ressources de la mer. Chaque année, il leur offre de la nourriture sur la plage et en mer, en sollicitant leur bienveillance. Enfin, le parika est chargé de l’interprétation d’une éventuelle mauvaise fortune de la pêche. Le cas échéant, il s’agit pour lui d’en trouver l’origine et d’y remédier.
22Parika n’est pas seulement une fonction au sein de l’équipe de pêche ; occuper cette fonction participe également à la définition de l’identité de la personne et à sa position sociale au sein de la communauté villageoise. En effet, nous venons de le voir, l’activité de pêche inclut la gestion d’une relation avec des entités non visibles et non humaines. Ainsi, la capacité du parika à assurer le succès de la pêche atteste simultanément de sa maîtrise du monde et des entités invisibles qui le peuplent ainsi que de sa capacité à maintenir de bonnes relations avec ces êtres.
23Comme il n’existe de parika que pour les techniques de pêche les plus importantes, il semble bien qu’il existe une corrélation entre l’existence d’une expertise socialement reconnue et l’importance d’assurer le succès de l’activité. Outre le cas de la pêche à la nasse, il existe des spécialistes parika pour la pêche au barrage à marée et pour le « blocage de la marée » avec des filets. Cette dernière peut mobiliser l’ensemble des habitants du village, particulièrement à l’occasion des grandes marées annuelles. Dans ce cas, la réussite de la pêche est importante du fait du nombre élevé de personnes mobilisées et du nombre limité d’opportunités de mettre en œuvre cette technique au cours de l’année. Dans le cas des barrages à marée et de la pêche à la nasse, c’est plutôt le temps passé à la fabrication des instruments et l’effort fourni à cette occasion qui importent. Pour ces trois techniques de pêche, un échec peut avoir de graves conséquences. On peut donc considérer que la mobilisation d’experts socialement reconnus est un moyen de réduire ce risque.
24Le prestige associé à l’expertise du parika dépend de l’importance relative de l’activité au sein de la communauté locale. Ainsi, le statut de parika pour la pêche à la nasse était plus prestigieux à l’époque où la pêche à la nasse collective était encore la principale activité de pêche commerciale du village qu’il ne l’est aujourd’hui, car de nouvelles opportunités avec un meilleur potentiel de profit sont désormais disponibles (la pêche aux requins à la palangre par exemple, voir ci-dessous). En conséquence, devenir parika n’est plus aujourd’hui, pour les jeunes, l’aboutissement escompté d’une carrière de pêcheur. Parallèlement, comme le nombre de personnes qui s’engagent dans la pratique de la pêche à la nasse diminue et que la pratique de cette pêche est moins intensive que par le passé, la reproduction de l’expertise parika n’est plus assurée.
25Quand j’ai demandé comment on devenait parika et, plus particulièrement, comment se transmettait l’expertise associée, la réponse a été la suivante : le parika ne transmet son savoir qu’à l’aube de sa mort, et le plus souvent, à un seul parent. Sans surprise, je n’ai pas eu accès aux informations qui sont transmises à cette occasion ; il s’agit d’un secret bien gardé. Néanmoins, si l’on veut comprendre le processus de transmission, il faut prendre en considération le fait que la personne choisie par le parika est aussi celle qui l’accompagne le plus souvent à la pêche et qui s’intéresse de plus près à son expertise. Dans ces conditions, il semble que la transmission d’informations évoquée précédemment constitue plutôt le point d’orgue d’un long processus de ce qu’Ingold appelle « enskilment », processus que j’explore ici.
26L’engagement dans la pêche à la nasse ne débute pas avec l’apprentissage de la fabrication des nasses. Le processus d’apprentissage ne suit donc pas la même séquence que la chaîne opératoire de la technique (préparation des matériaux et assemblage des nasses puis installation sur le récif, et enfin relevage des nasses). Dès l’âge de six ans, les enfants commencent à accompagner leur père ou un frère aîné pour relever les nasses katambuni sur le platier. Vers l’âge de 8 ans, ils sont capables de faire ce travail de manière autonome et deviennent donc déjà des acteurs à part entière de l’activité de pêche. À cette occasion, ils apprennent progressivement comment manipuler les nasses. Ils s’engagent dans un processus d’appropriation de la nasse comme instrument de pêche tandis qu’ils découvrent progressivement l’univers de la côte et celui des poissons. La participation à l’activité de pêche conduit ainsi à une « éducation de l’attention » (Gibson 1979 : 254) des novices. Ils observent par exemple l’interdiction stricte de passer une main ou un bras à travers l’entrée ou la fenêtre de la nasse. Si cette précaution n’est pas respectée, aucun poisson ne va entrer dans la nasse « à cause de l’odeur ». De plus, en examinant les poissons capturés par les nasses kampi et salamata, ils apprennent d’eux-mêmes la différence entre ces deux types de nasses.
27L’étape suivante de participation à la pêche à la nasse est l’apprentissage de la fabrication des nasses. Les enfants n’apprennent à fabriquer des nasses qu’à l’adolescence. Mais, à ce moment-là, il n’est plus nécessaire de leur expliquer le processus à suivre car ils ont déjà observé leur fabrication de nombreuses fois. Les nasses sont fabriquées à l’extérieur, devant les maisons, ou sur la plage pour les plus grandes, et les enfants peuvent librement assister à la scène que l’on peut considérer comme une externalisation de la connaissance. Toutefois, l’observation de la fabrication des nasses ne conduit pas à une simple internalisation d’un programme que le novice n’aurait ensuite qu’à mettre en œuvre. Quand il s’agit de s’engager concrètement dans la fabrication des nasses, le novice rencontre généralement des difficultés qu’il n’avait pas anticipées. J’ai ainsi observé un novice qui, au moment de l’assemblage, attacha la dernière maille d’une pani, l’« aile » de la nasse (fig. 3). Un pêcheur plus expérimenté corrigea immédiatement cette erreur. L’expert sert donc de ressource pour aider le novice en cas de besoin et pour lui éviter de faire des erreurs qui lui poseraient problème ensuite, dans la suite du processus de fabrication. Dans ces conditions, l’engagement dans la pêche à la nasse doit plutôt être considéré comme une « découverte guidée » (Ingold 2000 : 356) à l’occasion de laquelle l’attention du novice est attirée sur des éléments spécifiques qu’il n’avait pas remarqués par lui-même. Parmi ces éléments, on peut mentionner la manière de déterminer les différentes longueurs de lattes de bambou et leur orientation lors de l’assemblage. Au cours du processus, la perception de la nasse se transforme.
28Il arrive que le novice demande des explications à propos d’éléments spécifiques de la fabrication. Si nous revenons à la scène qui précède, pourquoi le novice ne doit-il pas attacher la dernière maille ? On peut penser que cela se justifie pour des raisons de solidité de la nasse. Toutefois, l’explication fournie par le pêcheur expérimenté fut différente : « Si on attache la dernière maille, la nasse ne va plus être capable d’entendre l’appel du poisson. » En effet, quand il arrive devant l’entrée de la nasse, le poisson demande : « Est-ce que je peux entrer ? » et la nasse répond : « Oui, entre donc. »
29Doit-on considérer cette affirmation comme une croyance et en conclure alors que les fabricants de nasses expérimentés ignorent le danger de faiblesse structurelle ? La notion de croyance présente au moins deux problèmes : 1) elle exige une distinction claire entre ce qui relève de la technique et ce qui relève du non-technique, et 2) elle tend à isoler les idées du contexte de la pratique. Je défends plutôt l’idée qu’il n’est pas nécessaire de choisir entre technique et non-technique. En effet, on peut parfaitement considérer la justification qui précède comme étant à la fois un moyen d’attirer l’attention sur l’importance de ne pas attacher la dernière maille, et comme une contribution à une « poésie du lieu » (Ingold 2000 : 26) : le poisson s’annonce devant la nasse, comme les humains devant une maison. Il n’est pas demandé au novice de « croire » en cela, mais simplement d’éviter d’attacher la dernière maille.
30En fabriquant des nasses, l’objectif du pêcheur n’est pas simplement de transformer un matériau, du bambou, en un objet technique ; il s’agit plutôt de fabriquer un « quasi-objet » (Latour 1997), c’est-à-dire une nasse qui va être capable d’attirer des poissons. L’attention prêtée à l’orientation des lattes, aux mesures, ainsi que l’usage d’incantations au cours de la fabrication sont autant de stratégies pour optimiser le succès de la pêche. En s’engageant dans la fabrication de nasses, le novice est introduit à ces stratégies et, par là, il accède au monde des relations entre humains et non-humains et en devient un acteur à part entière. Par exemple, la mesure de base pour les lattes de bambou est prise sur le corps de l’artisan ou, mieux encore, sur le corps de sa femme, car les femmes sont considérées comme les récipiendaires de la bonne fortune du ménage. Cette idée est liée à la conception locale du processus de procréation. La semence masculine contient déjà tous les éléments nécessaires au futur bébé. Le rôle de la femme consiste à nourrir cette semence masculine afin de la transformer en un enfant. L’association entre le corps féminin et la bonne fortune trouve son origine dans cette conception de la procréation. Utiliser des mesures tirées du corps féminin permet de transférer à l’objet cette bonne fortune associée à la femme.
31Enfin, l’engagement dans la fabrication de nasses stimule une autre transformation : celle du corps du pêcheur. Les mailles de la première nasse du novice ne sont généralement pas uniformes car il ne maîtrise pas encore suffisamment le toucher nécessaire pour déterminer l’épaisseur correcte des lattes avec les doigts, pour tisser les lattes entre elles et pour homogénéiser les mailles avec le marteau pointu kacikia. Il développe et incorpore ces habiletés progressivement, à travers la pratique répétée tout au long de sa carrière de pêcheur à la nasse.
32À l’image de la scène de fabrication des nasses, le parika expose son expertise aux membres de l’équipe de pêche lors des sorties de pêche. En effet, chaque membre de l’équipe peut observer où les nasses sont mouillées aux différents moments de l’année et quelle quantité de poisson est récoltée. Dans cette perspective, le savoir du pêcheur est le résultat d’une accumulation d’expériences. Les savoirs ne sont pas des pré-requis à la participation à l’activité mais un produit de cette participation. Le développement de l’expertise repose avant tout sur l’observation attentive de la pratique à laquelle l’on participe.
33La participation à la pratique influence les connaissances relatives aux poissons. Ceci apparaît clairement dans le cadre du travail d’acquisition des connaissances des pêcheurs (noms vernaculaires des poissons et caractéristiques de ces poissons). Tout d’abord, les techniques de pêche pratiquées délimitent un répertoire de poissons qui intéressent le pêcheur. Les nasses, par exemple, ne capturent qu’une partie seulement des espèces de poissons présentes dans les eaux du sud de Buton. Quand j’ai présenté à La Mala – un spécialiste de la pêche à la nasse9 – une planche rassemblant des illustrations de harengs et poissons apparentés (Allen 1997 : 51) qui ne sont pas capturés par les nasses, il m’a simplement répondu : « Je ne connais pas ces poissons. », sans même essayer de les examiner. Pourtant, il avait très certainement déjà vu certains de ces poissons, au moins sur les étals du marché local. Sa réaction atteste d’un manque d’intérêt pour cette catégorie de poissons. Ensuite, quand je lui ai présenté la planche de poissons cardinaux (Allen 1997 : 100-1), qui ne sont pas non plus capturés par les nasses quadrangulaires utilisées par les hommes, il m’a seulement fourni le terme isa pikadhepea, littéralement « les poissons capturés en pêchant avec la nasse kadhepe ». Cette pêche est une activité exclusivement féminine. Une nouvelle fois, il ne chercha pas à opérer de distinction plus détaillée, bien que des termes plus spécifiques existent dans la langue vernaculaire pour désigner ces différents poissons. Fournir un nom générique pour les poissons cardinaux constitue une autre manière de marquer son désintérêt pour eux. Ce comportement indique également que l’expertise ne consiste pas à essayer de maîtriser le répertoire le plus étendu de poissons, mais plutôt à se concentrer sur les poissons avec lesquels le pêcheur interagit, comme si la délimitation de ce répertoire participait à la construction de l’identité du pêcheur.
34La spécialisation du pêcheur n’influence pas seulement le répertoire de poissons qui l’intéresse, elle oriente également l’information accessible pour chaque poisson. Les pêcheurs à la nasse fournissent les informations suivantes pour chaque poisson : s’il est capturé ou non par les nasses, par quel type de nasse précisément (katambuni ou kantano, kampi ou salamata), et sur quelle zone du récif. Mais, contrairement aux pêcheurs à la ligne, les pêcheurs à la nasse sont incapables de fournir la moindre information concernant le comportement alimentaire des poissons. En outre, la manière dont est fournie l’information diffère également entre les deux types de spécialistes. Les pêcheurs à la nasse désignent les lieux où vivent les poissons en utilisant les termes vernaculaires de subdivisions du récif qui associent lieu et profondeur : nambo (platier), mpanga-mpanga (pente récifale), rumara (terrasse récifale sous-marine), et kito (pente externe et au-delà). Les poissons vivants au-delà du récif, et qui ne sont donc pas capturés par les nasses, sont localisés par le terme générique kondalo qui désigne la zone au-delà de la pente récifale (kito), sans précision concernant la profondeur. L’information fournie par les pêcheurs à la ligne se distingue doublement. Premièrement, la localisation des poissons n’est pas limitée à une zone du récif : ils précisent des environnements spécifiques, naturels (à proximité de la falaise, dans la baie de Sampolawa), artificiels (dispositifs de concentration de poisson, DCP10), ou encore des zones géographiques de la côte (Wacu Mondawu « Le rocher qui est tombé », Matano Tai « L’œil de la mer »). Ils précisent aussi une amplitude de profondeur de capture du poisson, exprimée en brasses. Le tableau 1 présente la différence entre les informations fournies par les deux types de pêcheurs pour quatre espèces de poissons. Ceci montre clairement que l’outil du pêcheur opère comme un médiateur de son savoir. Mais nous pouvons également formuler ceci autrement. Merleau-Ponty (1999 : 20-33, 318-20, 343-4) soutient que la perception d’un objet mobilise toute l’histoire de l’interaction avec cet objet. Dans cette perspective, le même poisson existe différemment pour les spécialistes des différentes techniques de pêche et, de manière plus générale, on peut affirmer que ces spécialistes vivent en fait dans des environnements différents.
Type de poisson | Localisation fournie par les pêcheurs à la nasse | Localisation fournie par les pêcheurs à la ligne |
Sogo lala (Sargocentron spp.) | Extrémité du récif (mpanga-mpanga), terrasse sous-marine (rumara) | Entre 3 et 5 brasses |
Pogo bulanci (Rhinecanthus rectangulus) | Extrémité du récif (mpanga-mpanga), pente externe du récif (kito) | Entre 20 et 30 brasses |
Mbungawao (Lutjanus spp.) | Platier (nambo), pente externe du récif (kito) | Du platier (nambo) à 40 brasses |
La Ngoa (Caranx sp.) | Au-delà du récif (kondalo) | De 3 à 30 brasses |
35La participation à l’activité ne conduit pas seulement à la reproduction des savoirs liés aux poissons. Elle conduit aussi les membres de l’équipe de pêche à apprendre comment ils doivent se comporter au sein du monde local au fil de leur découverte de ce monde. Ainsi, chaque membre de l’équipe fabrique au moins une nasse complète. Ceci facilite ensuite l’identification de la source d’une éventuelle mauvaise fortune. Si une nasse reste anormalement vide, celui qui l’a fabriquée doit s’interroger sur la source du problème. Le parika peut le guider dans sa recherche, en lui suggérant différentes possibilités, par exemple un manque d’harmonie entre le pêcheur et son épouse.
36Si l’on revient maintenant au moment proche du décès du parika, à l’occasion duquel il transmet, dit-on, son savoir, on comprend mieux désormais qu’à ce moment, la plupart, voir l’intégralité de l’expertise du parika a déjà été transmise. Des dizaines d’années de mise en œuvre commune de la pêche ont permis aux membres de l’équipe de développer leur propre expertise à travers l’observation attentive de la pratique. Même s’il est possible que le parika transmette à ce moment-clé quelque chose d’important à son successeur, aucune transmission orale ne pourrait remplacer des années de pratique commune.
37À ce stade, j’ai mis l’accent sur les interactions au sein d’une même équipe de pêche. Cependant, l’observation de la pratique des autres équipes de pêche pratiquant la même activité au sein d’une zone de pêche constitue aussi une ressource pour nourrir son expertise. Ceci est particulièrement vrai pour une variante de la pêche à la nasse appelée « bhamohora ». Elle consiste à installer très précisément la nasse en enlevant ou en déplaçant des pierres sur le fond. Cette variante vise plus spécifiquement les bancs de fusiliers (andou, Caesionidae spp.). Il s’agit de repérer une patate de corail à une profondeur située entre 4 et 6 brasses et autour de laquelle se rassemblent, la nuit, des bancs de fusiliers. Les pêcheurs plongent à proximité des patates de corail le matin et le soir pour repérer des bancs. Quand ils en trouvent un, ils installent une nasse à côté de la patate de corail. Pour que les fusiliers pénètrent dans la nasse, il faut que cette dernière soit positionnée de manière très précise et il est donc parfois nécessaire de modifier plusieurs fois l’assise de la nasse avant de trouver la position adéquate. Une fois parfaitement positionnée, elle peut récolter plusieurs centaines de poissons. Les équipes de pêche exploitant une même zone sur la côte sont en compétition et leurs membres se gardent donc bien de diffuser les informations relatives aux bancs de fusiliers. Cependant, ceci n’empêche pas d’avoir tout de même accès à l’information, en observant directement les autres équipes. Dans ce cas, d’autres équipes de pêche viennent aussi positionner des nasses à proximité de celle de la première.
38Enfin, la participation à la pêche à la nasse ne conduit pas uniquement, d’une génération à l’autre, à la seule reproduction des savoirs et de l’expertise des prédécesseurs. Savoirs et expertise se développent avec le temps. L’un de ces développements est la combinaison, dans les années 1960, des nasses et des dispositifs de concentration de poissons (DCP), rompo en cia-cia. Il semble que l’usage de DCP soit une technique importée des Moluques. Par contre, les acteurs présentent la combinaison des DCP et des nasses comme une innovation locale. Cette nouvelle technique consiste à suspendre une nasse de type kantano à une plateforme maintenue en place par une ancre. Les pêcheurs expliquent le principe de fonctionnement comme suit : « les feuilles de palmier sont attachées à proximité de la nasse et attirent les petits poissons, alors les gros poissons entrent dans la nasse pour se nourrir de ces petits poissons et ils sont pris au piège ». Ceci constitue un développement important de la pêche à la nasse car il permet de s’affranchir de la limite traditionnelle d’exploitation de la zone de pêche à la nasse autrefois située au niveau de la pente récifale. Néanmoins, l’utilisation de DCP avec des nasses est limitée à la communauté de La Kaliba, car cette technique est considérée comme leur appartenant, un peu comme s’ils en possédaient le brevet. Soulignons enfin que cette technique offre une nouvelle perspective sur l’environnement, une nouvelle manière de l’explorer. Sa mise en œuvre conduit à la constitution de nouveaux savoirs et d’une nouvelle expertise ou, en d’autres termes, à la constitution d’une nouvelle communauté de pratique (voir Ellen et al. 2000, pour un autre exemple de développement des savoirs suite à la mise en œuvre de nouvelles activités productives).
La pêche à la ligne
39Le processus d’apprentissage de la pêche à la ligne diffère sensiblement de celui de la pêche à la nasse. « Pêche à la ligne » est une catégorie générale qui inclut une trentaine de techniques différentes. On peut distinguer deux processus simultanés dans l’apprentissage de cette pêche : la pratique de la pêche à la ligne avec d’autres enfants du même âge et la participation périphérique à la pratique des adultes. Parmi la gamme de techniques de pêche à la ligne pratiquée dans le sud de Buton, certaines ne sont mises en œuvre que par les enfants. Ces techniques exploitent plus particulièrement la zone du platier, avec ou sans pirogue. Les enfants commencent par pêcher dans la zone la plus proche de la plage, notamment avec une technique appelée hohokolo. À marée haute, l’enfant tire une ligne de pêche équipée d’un petit hameçon le long de la plage, dans une vingtaine de centimètres d’eau. À mesure qu’il grandit, il met en œuvre d’autres techniques plus loin sur le platier. Bien qu’à cette occasion chaque enfant manipule sa propre ligne, la pratique des autres enfants autour constitue une ressource pour améliorer sa propre pratique, (1) en copiant des éléments de la pratique de ses congénères (moment de la pêche, lieu exact, geste, choix de l’appât, taille de l’hameçon, par exemple) et (2) en évaluant ses propres prises par rapport aux autres.
40Les enfants ont également la possibilité de participer aux activités de pêche à la ligne des adultes au-delà du récif bien avant qu’ils aient l’âge de pratiquer ces techniques de manière autonome. La Sidu, un spécialiste de pêche à la ligne, a accompagné régulièrement son frère aîné à partir de l’âge de six ans. Aujourd’hui, son plus jeune fils, âgé de huit ans au moment de l’enquête, l’accompagne régulièrement pour des sorties de pêche au-delà du récif. Ceci lui donne l’occasion non seulement d’observer la pratique de son père mais aussi d’y participer puisque La Sidu le laisse manipuler les lignes. Comme dans le cas de la pêche à la nasse, l’apprentissage ne suit donc pas la même séquence que la chaîne opératoire : les enfants manipulent les lignes en mer avant de pouvoir les préparer de manière autonome. La participation périphérique permet à l’enfant de découvrir et de participer à des techniques de pêche sans qu’il soit nécessaire qu’il apprenne quoi que ce soit au préalable (comme la préparation des lignes, le choix du bon moment de la sortie et du lieu de pêche, etc.). C’est justement le contexte de la pratique qui permet au novice d’apprendre par lui-même ces éléments et, par là, la technique elle-même. Quand le moment est venu pour lui de préparer ses propres lignes, aucune explication n’est plus nécessaire sur le choix de la taille des hameçons, des appâts, etc. Ces éléments ont déjà été acquis dans le contexte de la participation périphérique.
41Ainsi, l’apprentissage se présente clairement comme un sous-produit de l’engagement dans la pratique. Il n’y a pas de cadre spécifique de la pratique au sein duquel l’objectif serait exclusivement d’apprendre. Quand l’enfant pratique la pêche à la ligne sur le platier, il capture des poissons qui sont consommés ensuite par les membres de la maisonnée et ceci participe, au moins partiellement, à le motiver. Quand il accompagne son père en mer, les rôles ne s’inscrivent pas dans une relation maître-élève, car le but premier de l’activité est de ramener du poisson11.
42Combinant pratique de la pêche à la ligne sur le récif entouré d’autres enfants et participation aux activités de pêche à la ligne des adultes, les novices découvrent progressivement un monde et modèlent leur propre « être-au-monde ». La pratique de la pêche à la ligne façonne leur interaction avec le poisson en mettant l’accent sur ses habitudes alimentaires et sur son comportement au moment de mordre à l’hameçon. La Sidu, un pêcheur à la ligne, m’a fourni les informations suivantes à propos des poissons qu’il attrapait régulièrement : la technique permettant de les capturer et, le cas échéant, avec quel appât, le lieu de pêche et la profondeur ainsi que le moment (en relation avec la journée, la phase de la lune et la saison). Ces informations mises en évidence à travers des entretiens formels peuvent être stockées dans une base de données, mais il n’en découle pas que les connaissances du pêcheur sont organisées de cette manière. En fait, comme je l’ai déjà évoqué plus haut et dans le sillage de l’approche merleau-pontienne de la perception (Merleau-Ponty 1999 : 20-33, 318-20, 343-4), toutes ces informations sont présentes dans la perception du pêcheur à la ligne. Pratiquer la pêche à la ligne, c’est explorer le monde de la mer par l’intermédiaire des hameçons ; pour le pêcheur, le poisson existe comme résultat de cette exploration. De la pratique de la pêche à la ligne émerge une nouvelle entité : le pêcheur-à-la-ligne-dans-le-monde. Ce processus inclut également le développement d’habiletés comme la capacité à sentir le toucher du poisson dans la ligne, toucher qui devient une dimension de l’existence de ce poisson pour le pêcheur à la ligne.
43Les pêcheurs à la ligne se spécialisent habituellement dans un nombre limité de techniques qui leur plaisent plus particulièrement et qu’ils appellent leur hobi (de l’anglais « hobby », via l’indonésien « hobi12 »). Ils pratiquent alors ces techniques de manière intensive. En se spécialisant, le pêcheur bénéficie de l’accumulation d’expériences, ce qui constitue un élément majeur de développement d’une expertise. Le hobi de La Sidu est la pêche au thon à la traîne avec leurre (hokolo). Hokolo (littéralement « suivre » en cia-cia) consiste à repérer un banc de thons et à le traverser en traînant une ligne équipée d’un gros hameçon dissimulé derrière un leurre constitué de fils de différentes couleurs. Après avoir repéré le banc de thons, le succès de la pêche dépend de l’habileté du pêcheur à faire correspondre au mieux les couleurs du leurre au goût du thon à ce moment-là. Jusque récemment, La Sidu était considéré au sein du village de Bahari comme le meilleur expert de cette technique. En effet, c’est lui qui ramenait habituellement la plus grande quantité de poissons.
44Au cours des années 1980, le prix du thon a connu une augmentation significative et hokolo devint une activité particulièrement attractive pour les pêcheurs locaux. En conséquence, les pêcheurs sont devenus très intéressés par l’expertise de La Sidu, mais il n’avait pas l’intention d’en offrir l’accès à n’importe qui. L’expertise dans une technique de pêche est un actif du pêcheur et il n’est pas prêt à la partager indifféremment, d’autant plus que cette reconnaissance comme expert participe à définir l’identité sociale de l’individu au sein de la communauté villageoise. Ainsi, La Sidu est fier d’être sollicité en tant que meilleur pêcheur de la pêche au thon à la traîne : « C’est à moi que les gens demandaient de les fournir en thons à l’occasion des mariages au village ».
45La Sidu a partagé son expertise avec seulement deux personnes en dehors de ses propres enfants. Chacun a bénéficié d’un type d’accès différent à son expertise. Son beau-frère (qui est aussi un de ses voisins) avait pris pour habitude de lui rendre visite le soir après une journée de pêche à la traîne pour discuter des événements de la journée et, plus précisément, pour connaître le type de leurre que La Sidu avait utilisé au cours de la journée. La Sidu acceptait de partager son expérience avec lui, disant : « C’est mon beau-frère, je ne peux pas lui mentir. » Ainsi, le lien de parenté (par alliance) rendait légitime l’accès à l’expertise, mais ce dernier se limitait toutefois à des discussions et à un partage d’informations en dehors du contexte de la pratique en mer. Par contre, un des jeunes cousins de La Sidu a bénéficié d’un meilleur accès à son expertise puisqu’il a eu la possibilité d’accompagner La Sidu régulièrement à la pêche pendant plusieurs années. Ce cousin est maintenant devenu le meilleur spécialiste de la pêche hokolo du village, ce qui n’est certainement pas un hasard et ce qui atteste de l’efficacité du partage de la pratique pour le développement de l’expertise. L’élément-clé ici est l’accès offert à la pratique experte. Le cousin de La Sidu n’avait pas un statut officiel d’apprenti, mais l’accès à la pratique que La Sidu autorisait était une sorte de reconnaissance tacite de ce statut. À l’inverse, la limite de cet accès pour son beau-frère constituait une stratégie délibérée, selon La Sidu lui-même, de restreindre les chances de ce dernier de devenir lui-même un expert. Pour terminer, la pratique d’une même technique au sein d’une même zone offre, comme pour la pêche à la nasse, une ressource à l’ensemble des pêcheurs même s’ils n’interagissent pas directement entre eux. Dans le cas de la pêche hokolo, quand un pêcheur a repéré un banc de thons, il suffit aux autres de le suivre.
46La pêche à la ligne et la pêche à la nasse sont des activités pratiquées de longue date dans le sud de Buton. À l’inverse, la pêche au requin pour ses ailerons constitue une introduction récente dans cette zone. Elle permet d’aborder plus spécifiquement d’une part la question de l’élaboration d’une nouvelle expertise plutôt que celle de sa transmission d’une génération à l’autre et, d’autre part, la question de l’adaptation de l’expertise préexistant à une nouvelle technique.
La pêche au requin
47En 1991, une nouvelle technique de pêche est apparue à Bahari : la pêche au requin à l’aide de palangres flottantes, pour exploiter leurs ailerons. Cette activité a progressivement remplacé toutes les autres activités de pêche commerciale à Bahari. Ce type de pêche a été développé dans les années 1980 à Gamumu par une communauté expatriée de Bahari aux Moluques13, stimulée par une forte demande d’ailerons de requins. Les palangres étaient mouillées depuis des voiliers, le soir, à proximité de l’île de Gamumu, et relevées le matin. Elles étaient relativement courtes, composées d’environ trente hameçons, car, flottant à la surface de l’eau, elles risquaient d’être endommagées par le passage d’un navire. Les prises étaient limitées à deux ou trois requins par nuit au mieux. Ensuite, à partir de 1991, les pêcheurs ont commencé à utiliser un autre type de palangre pour cette pêche. Ce nouveau modèle était copié sur celui utilisé par les bateaux étrangers (appelés par les locaux « bateaux taïwanais ») pêchant aux Moluques. Ces palangres peuvent être beaucoup plus longues, car elles sont maintenues à une profondeur d’environ vingt-cinq mètres et autorisent donc sans danger le passage de navires.
48L’appropriation de la pêche à la palangre par les pêcheurs de Bahari a suivi le même processus que celui à l’œuvre pour les autres techniques de pêche : la participation à la pratique. Certains pêcheurs de Bahari sont allés à Gamumu et ont rejoint des équipages locaux. La légitimité de leur accès reposait sur leur lien de parenté avec les propriétaires de bateaux et les membres d’équipage. De retour à Bahari, ils ont mis en œuvre cette nouvelle technique avec les bateaux qu’ils utilisaient auparavant pour le transport maritime et le commerce. L’activité s’est développée rapidement. Les membres d’équipage ont rapidement accumulé suffisamment de capital pour posséder leur propre bateau et rassembler autour d’eux leur propre équipage, composé de cinq à huit personnes. Pour la constitution de l’équipage, la priorité est donnée aux parents proches (enfants, gendres, frères), mais aujourd’hui, les équipages incluent également des personnes de villages voisins, car plus d’une centaine de bateaux sont engagés dans la pêche au requin à Bahari (pour une population totale de seulement deux mille personnes).
49Bien que la pêche au requin soit une activité nouvelle, certains éléments préexistants continuent d’être mis en œuvre dans ce nouveau contexte pour favoriser le succès de la pêche. Par exemple, une attention particulière est portée aux mesures de la palangre, comme pour la maison et le bateau, pour accroître la capacité de l’objet à attirer la bonne fortune sur la base d’une relation entre l’objet et celui qui le fabrique (ou l’épouse de celui qui le fabrique). L’usage d’incantations constitue une autre technique employée pour améliorer la bonne fortune de l’instrument de pêche. Par exemple, pendant une campagne de pêche au requin dans les Moluques et après quinze jours en mer, le capitaine était préoccupé par la faible quantité de requins capturés. Pour renouveler la bonne fortune de la palangre, il versa sur celle-ci le contenu d’une bouteille d’eau avant de la mouiller14. En préalable à l’expédition, un ancien du village avait prononcé un vœu au-dessus de cette bouteille, transférant le pouvoir de la formule à l’eau qu’elle contenait. Une troisième technique consiste à mobiliser le « gardien de la mer » (ompuno tai). Avant de pêcher près d’une nouvelle île, le capitaine du bateau va sur le rivage, place de la nourriture et des cigarettes devant lui et s’adresse au gardien de la mer (invisible) pour lui demander la permission d’exploiter la zone autour de l’île.
50Le développement de la pêche au requin à Bahari a également bénéficié des connaissances et des techniques préexistantes relatives à la navigation et à la pêche au thon à la traîne (pour collecter des appâts). Il est également possible que certaines connaissances sur le comportement du requin aient préexisté. En effet, le bateau le plus rentable pour la pêche au requin appartient à un ancien pêcheur à la ligne connu pour son expertise pitambo, une technique de pêche à la ligne spéciale pour les gros poissons et les requins. Pitambo consiste à pêcher avec une ligne équipée d’un gros hameçon et un appât constitué d’un gros morceau de poisson. La pratique de pitambo n’était pas très populaire, car les prises étaient rares et le prix des ailerons sur le marché local peu attractif.
51Dans le cadre de cette nouvelle activité de pêche à la palangre flottante, des expérimentations ont permis d’explorer le comportement des requins, et donc de développer progressivement un savoir local. Ainsi, un pêcheur m’a déclaré qu’il avait pour habitude de jeter du sang de thon dans la mer pour attirer les requins. Un autre m’a confié qu’il utilisait des explosifs pour la même raison. Les pêcheurs expérimentent également le choix des appâts. Comme pour les autres techniques, ils continuent d’apprendre dans le cadre de leur pratique, en observant les relations entre les caractéristiques de l’environnement et la quantité de requins capturés. Lors de la campagne de pêche aux requins à laquelle j’ai participé, j’ai noté les remarques suivantes de La Sini, le capitaine du bateau : « La mer est trop calme ici. Dans ces conditions, le requin ne mange pas, il est continuellement repu. » ou encore « Dans la zone de Nusa Tenggara, les requins mangent près de la côte quand la lune brille dans le ciel. Ici, ils mangent également à la pleine lune, mais pas nécessairement près de la côte. » Il est important de noter que j’ai obtenu ces informations lors de ma participation à cette activité et non dans le cadre d’un entretien.
52Connaître les endroits productifs constitue également un élément important pour la réussite de la pêche. Aucune connaissance ne préexistait localement : la pêche pitambo était uniquement pratiquée près des côtes dans le sud de Buton et la pêche au requin à Gamumu ne s’étendait pas très loin au-delà de l’île. Les pêcheurs de Bahari, eux, s’aventurent beaucoup plus loin : leur zone de pêche s’étend de l’est de Kalimantan15 à l’est des Moluques et, au sud, à la frontière australienne. La connaissance des meilleurs endroits pour capturer des requins résulte de leur pratique de l’activité de pêche. De nouvelles zones sont constamment explorées, dans l’espoir d’être le premier à découvrir un nouveau spot et, par conséquent, de pêcher de très nombreux requins. Par exemple, La Rawali a fait le tour de l’île de Célèbes avec pour seule aide à la navigation une carte tirée d’un livre scolaire. Les informations générales sur la quantité de requins capturés et les lieux de pêche circulent dans le village, mais les informations relatives au lieu sont volontairement imprécises. Bien qu’elles puissent permettre à un capitaine de choisir sa prochaine destination, il aura besoin d’avoir un accès légitime à ces informations s’il veut plus de précisions.
53Au cours de mon terrain ethnographique, La Dami est revenu d’une campagne de pêche longue de deux mois avec une quantité d’ailerons de requins d’une valeur de 70 millions de roupies indonésiennes. Le père de La Dami et La Sidu étaient copropriétaires du bateau. Ils étaient également copropriétaires d’un autre bateau dont le capitaine, La Nali, était le gendre de La Sidu. Par conséquent, les copropriétaires ont décidé que La Nali devait suivre La Dami lors de la prochaine campagne de pêche. De la même façon, La Baru, un pêcheur de requins expérimenté et prospère – il possède quatre bateaux – organise des campagnes de pêche rassemblant tous ses bateaux. Ce faisant, il partage son expertise, mais il en tire le bénéfice au final puisqu’il obtient plus de revenus lors du partage des profits de la pêche.
54Par ailleurs, une analyse des noms des requins et de leur identification fait apparaître deux changements supplémentaires concernant la relation entre les pêcheurs et les requins. Ces changements sont (1) le développement de la taxinomie relative aux requins et (2) l’accent mis sur les ailerons dans le processus d’identification. Le développement de la nomenclature est un élément d’un processus plus vaste caractéristique du développement des communautés de pratiques : la réification (Wenger 1999 : 57-62)16. Si l’on compare la taxinomie des requins dans le village de Pogalampa, où la pêche au requin n’est pas pratiquée, avec celle au sein de Bahari, la différence est marquante. Six distinctions lexicales existent à Pogalampa alors qu’il en existe vingt à Bahari (tableau 2).
55Parmi les quatorze distinctions lexicales supplémentaires existant à Bahari, certaines se réfèrent aux espèces qui, selon les pêcheurs locaux, ne sont pas observées localement (mongiwa mina, mongiwa antuga, mongiwa ntongori et mongiwa tombi). Mais certains autres termes spécifiques mettent en exergue des distinctions entre des espèces qui étaient connues avant le développement de cette nouvelle activité. Les pêcheurs de Pogalampa admettent avoir observé au moins quelques Carcharhinus spp., mais ils ne font aucune distinction lexicale entre eux, les désignant par le terme mongiwa ou mongiwa mosega (littéralement « requin féroce »). À Bahari, six noms spécifiques servent à les distinguer.
56L’activité de pêche au requin stimule le développement de la nomenclature vernaculaire des requins de deux manières. Premièrement, la pêche au requin offre une nouvelle opportunité d’observer les requins, augmentant à la fois la fréquence et la qualité de l’observation. Auparavant, les requins étaient rarement pêchés et l’observation se limitait à remarquer leurs nageoires caudale et dorsale à la surface de la mer. Deuxièmement, l’activité de pêche au requin incite les pêcheurs à discuter des requins quand ils relatent leurs expériences entre eux. Les requins sont ainsi devenus un sujet de conversation courant et le nom des requins est un outil pour raconter leur expérience. Pour les nouveaux venus, ces noms sont des outils pour façonner leur perception puisqu’ils mettent en évidence les distinctions entre les différents types de requins. En effet, l’utilisation de termes différents pour une famille de requins est une invitation à différencier des entités plus spécifiques (voir également Waxman 1999). Un lexique détaillé est un actif des communautés de pratique (CdP) et constitue un instrument de reproduction d’une perception. Les théories qui postulent une perception de la nature identique pour tout le monde sont nécessairement incapables de prendre en compte cette dimension du processus terminologique. C’est le cas, par exemple, de la théorie de Berlin relative à la « taxinomie populaire » (1992). Désigner, pour Berlin, relève juste de l’étiquetage d’objets qui existent préalablement comme des entités distinctes, car la perception est présupposée plutôt que considérée comme le résultat d’un processus où acteur et monde sont tous deux actifs (Merleau-Ponty 1999).
57L’accent mis sur les ailerons est également le résultat de l’intérêt croissant pour les requins et de la fréquence des contacts avec eux. Lors des sessions d’identification, les pêcheurs de requins défendaient et justifiaient leur identification en se référant aux caractéristiques des ailerons. Les remarques concernant les différentes espèces se focalisaient également sur les ailerons. Ainsi, mongiwa antuga (Carcharhinus sp.) se caractérise par ses « ailerons larges et épais », et qui ont par conséquent une « grande valeur ». Les ailerons de mongiwa hone (Carcharhinus sp.) sont « larges mais fins » alors que mongiwa kabhea (Prionace glauca) est caractérisé par ses quatre ailerons. Quand les requins n’ont pas de noms spécifiques, ils sont désignés en utilisant la classification commerciale basée sur la taille des ailerons : « super » pour les gros ailerons, « korea », classe 2, etc. Plus l’aileron est long, plus son prix au kilogramme est élevé.
58Ainsi, le développement de la pêche au requin à Bahari a conduit au renforcement collectif des connaissances relatives aux requins. Il a également orienté et affiné la perception des requins par les pêcheurs. L’enrichissement de la nomenclature peut être perçu simultanément comme la réification de cette évolution de la perception et comme un actif de la communauté de pratique de Bahari facilitant le développement de la perception des nouveaux venus dans l’activité.
Analyse
59L’analyse de trois activités différentes de pêche dans le sud de Buton nous conduit à distinguer deux types de CdP : celles au sein desquelles les membres collaborent à une entreprise commune d’une part, et les pratiquants d’une même technique de pêche au sein d’une communauté locale d’autre part. Au sein des premières, le processus à l’œuvre est précisément la participation légitime périphérique (PLP) décrite par Lave et Wenger (1991). La pratique est configurée de manière à permettre aux novices de découvrir progressivement l’activité tout en y participant. Il n’est pas nécessaire de maîtriser des savoirs préalablement à la participation ; les connaissances sont plutôt le produit de la participation. Dans le cas de la pêche à la nasse, l’enfant participe d’abord à l’activité en relevant les nasses sur le platier ; ensuite il prend part à la fabrication des nasses ; à l’âge adulte il devient membre à part entière d’une équipe de pêche et, finalement, il parvient éventuellement au sommet de l’expertise en occupant la position de parika au sein de l’équipe. Dans le cas de la pêche à la ligne, j’ai présenté deux exemples de participation légitime à la pratique : le fils de La Sidu accompagnant son père pour des sorties au-delà du récif, et La Sidu autorisant son cousin à l’accompagner pour la pêche au thon à la traîne. Grâce à la présence de l’expert, il n’est pas nécessaire au novice de maîtriser tous les aspects de l’activité au préalable. Le cas de la pêche au requin a permis de mettre en évidence deux sortes de communautés de pratique : (1) le novice rejoignant une équipe de pêche et découvrant la pratique à cette occasion et (2) plusieurs bateaux appartenant au même propriétaire et pêchant ensemble dans une même zone.
60Dans toutes ces situations, les participants partagent la même motivation : le succès de l’activité de pêche. Les experts veillent sur les novices car leurs erreurs éventuelles peuvent être néfastes à l’ensemble de l’équipe. De la même manière, le développement de la maîtrise du novice est profitable à l’ensemble de l’équipe. Par ailleurs, la participation du novice à la pratique est aussi un processus d’intégration sociale, de transformation de lui-même et d’ouverture à un monde (y compris à ses entités invisibles) ou, en d’autres termes, un processus d’émergence d’une nouvelle entité : pêcheur-dans-le-monde (Merleau-Ponty 1999, Ingold 2000).
61Le second type de CdP comprend les pratiquants d’une même technique de pêche au sein d’une communauté locale, par exemple les équipes de pêche à la nasse – et particulièrement celles qui pratiquent la technique bhamohora qui vise spécifiquement les bancs de fusiliers à proximité des patates de corail –, les enfants pratiquant la pêche à la ligne sur le platier, les adultes pratiquant la pêche du thon à la traîne au sein d’une même zone, La Sidu partageant son expérience avec son beau-frère au terme des journées de pêche, et enfin les habitants de Bahari développant leur propre pratique de pêche au requin. Dans toutes ces situations, une comparaison des prises permet à chacun d’évaluer sa propre expertise. Sur la base de cette information, la pratique des autres peut servir de ressource pour améliorer sa propre technique. Cependant, dans ce cas, l’accès à l’expertise de l’autre est restreint pour au moins deux raisons. Premièrement, les individus ou les équipes ne partagent pas le produit de l’activité, pas plus qu’ils ne partagent le risque d’un échec. Deuxièmement, les pêcheurs sont en compétition entre eux car l’expertise associée à une activité particulière participe à l’élaboration du statut social au sein de la communauté. Néanmoins, il est possible d’obtenir des informations via l’observation de la pratique des autres pêcheurs et via le partage, volontaire ou non, de leur expérience. Ceci conduit à la constitution d’une communauté d’expertise pour chaque activité, avec son répertoire propre et, par là, à la spécialisation des communautés locales en termes de pêche.
Conclusion
62Ce chapitre est parti d’une brève revue des théories associées à la transmission des « savoirs écologiques traditionnels (SET) » et, plus précisément, de la divergence entre le processus de transmission mis en avant dans la Convention pour la diversité biologique, à savoir l’instruction orale, et mes propres données concernant les activités de pêche dans le sud de Buton. Un autre processus de transmission des SET souvent identifié, l’imitation, correspondait mieux à mon expérience dans le sud de Buton, ce qui nous a incité à examiner de plus près la nature des SET, la relation entre les savoirs et la pratique et le processus d’apprentissage lui-même. Plusieurs développements théoriques cherchent à éviter de restreindre le processus à l’œuvre à une transmission de contenu – telle que le modèle de Richerson et Boyd (2005) conçoit ce processus – et nous encouragent à prendre en compte les trajectoires des nouveaux venus, la configuration de la pratique, les ressources proposées aux novices et les transformations structurelles associées à ce processus.
63Sur la base de ces développements théoriques, je me suis engagé dans l’exploration du processus de reproduction et de développement de l’expertise dans le cadre de trois activités de pêche dans le sud de Buton : la pêche à la nasse, la pêche à la ligne et la pêche au requin à la palangre. Dans ce contexte, l’apprentissage ne suit pas la même séquence que la chaîne opératoire de la technique. Les activités sont configurées de manière à permettre différents types de participation selon le niveau d’expertise et le type d’accès à la pratique des participants. J’ai proposé une distinction entre deux types de CdP, chacune autorisant différents types d’accès et différents types de ressources.
64Le processus d’apprentissage repose tout d’abord sur « l’imitation », comprise comme l’exploitation du contexte vivant accessible du fait de la participation. Il comprend aussi « l’instruction orale » ou « l’enseignement », mais seulement en complément de la participation à la pratique et pas de manière préalable. De plus, selon le modèle de Richerson et Boyd, l’imitation et l’enseignement sont catégorisés comme apprentissage social par opposition au processus d’« essai et erreur », classé lui comme apprentissage individuel. La présente analyse montre que le processus d’« essai et erreur » ne se déroule pas de manière isolée, mais plutôt au sein de communautés de pratique. Il en résulte qu’il ne devrait pas être considéré comme « apprentissage individuel ». Par ailleurs, la participation à la pratique au sein d’une CdP ne conduit pas à une accumulation d’informations, à propos d’un environnement, qui seraient systématiquement enregistrées dans la tête, mais conduit plutôt à forger un être-au-monde spécifique. Celui-ci inclut une perception particulière des poissons façonnée par l’interaction avec eux – et orientée par la technique –, un modelage du corps, ainsi qu’une attention à des entités invisibles. Enfin, j’ai montré ici que l’expertise n’est pas seulement individuelle ; elle se développe et se reproduit plutôt collectivement au sein de CdP.
65Arrivé au terme de cette analyse détaillée du processus d’apprentissage à l’œuvre parmi les communautés de pêcheurs du sud de Buton, il me paraît intéressant de revenir, de manière explicite, à la thématique développée par de Grave dans son introduction à ce volume : l’approche comparative des questions d’éducation. En effet, la capacité à porter un regard distancié constitue l’une des justifications de la démarche anthropologique. Dès lors, quels enseignements pourrait-on tirer du mode d’apprentissage analysé ici ? Voici quelques pistes. Le processus sur lequel repose le mode scolaire est linéaire dans le sens où il est nécessaire d’acquérir d’abord le savoir pour – dans l’idéal – le mettre ensuite en pratique. Ce rapport entre théorie et pratique constitue un présupposé majeur du mode scolaire. Pourtant, le processus d’apprentissage à l’œuvre à Buton infirme ce présupposé : une organisation bien pensée de l’activité permet au novice de participer à celle-ci – et par là d’y apporter sa contribution – sans qu’il lui soit nécessaire de maîtriser au préalable des connaissances particulières. De cette démarche découlent plusieurs corollaires importants. Le premier d’entre eux est que l’apprentissage est avant tout un sous-produit de la participation : participation et acquisition de l’expertise peuvent donc être simultanées. Le second est que l’apprentissage repose de manière privilégiée sur l’exploitation d’un contexte par le novice, les explications discursives ne viennent qu’en complément. Le troisième est que l’expert joue un rôle de modèle et de guide : il donne accès à sa pratique et supervise la participation du novice.
66Replacé dans un contexte scolaire, cela reviendrait à mettre en œuvre une démarche qui favorise la découverte par les élèves, l’exploration d’un problème, plutôt que la transmission d’un savoir déjà prêt et avant tout discursif. À l’instar de l’expert de pêche, le rôle de l’enseignant consisterait alors à accompagner la découverte des élèves et à leur montrer ce qu’ils n’ont pas réussi à découvrir seuls. Plus proche encore de la participation à la pratique, une pédagogie par projet, au niveau de la classe ou de l’école, permet de rassembler élèves et enseignants autour d’un objectif commun, partagé, et auquel chacun peut contribuer en fonction de ses compétences tout en tirant profit de l’accès à la pratique des autres, dont celles des enseignants. Cette démarche permet également d’offrir une alternative à la logique d’évaluation formelle puisqu’élèves et enseignants partagent un objectif commun, comme dans le cas de l’entreprise de pêche : le succès du projet lui-même, comme s’ils étaient embarqués dans un même bateau.
Bibliographie
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Notes de bas de page
1 Ce chapitre est une version légèrement adaptée d’un texte paru en anglais dans un livre collectif explorant les savoirs écologiques traditionnels (en anglais « Traditional Ecological Knowledge » ou TEK).
2 Dans le sillage du « Sommet de la Terre » à Rio en 1992.
3 Outre Ingold (2000), voir Varela et al. (1993) pour une discussion des approches de la perception de Gibson et de Merleau-Ponty.
4 Ce courant est un héritier des travaux de Vygotsky (1978, 1987), le célèbre psychologue russe du début du xxe siècle. Vygotsky a développé une approche originale de l’apprentissage. Elle met l’accent :
– sur la dimension écologique et culturelle de la cognition (les processus cognitifs ne sont pas situés exclusivement dans la tête mais sont abordés de manière écologique, c’est-à-dire que sa théorie prend en compte l’utilisation des outils culturels mis au point historiquement) et
– sur l’importance de la relation sociale dans le processus d’apprentissage (à travers notamment son concept de zone proximale de développement).
La pensée de Vygotsky a également influencé les travaux d’Ingold.
5 Leur nombre exact est variable car la distinction entre une variante et une technique n’est pas facile à établir.
6 Les pêcheurs avec lesquels j’ai travaillé pour rassembler et identifier les noms des poissons faisaient partie de ceux avec qui j’avais mené l’enquête sur les techniques de pêche.
7 J’ai accompagné un équipage de pêcheurs de Bahari pour une campagne de trois semaines de pêche aux Moluques.
8 Il y a deux types de plateformes de pêche : ngkuru-ngkuru et baga. La technique de pêche elle-même est similaire. Elle consiste à attirer les poissons sous la plateforme en utilisant des lampes et en capturant ensuite les poissons rassemblés avec un filet situé sous celle-ci. La plateforme ngkuru-ngkuru est composée de deux pirogues reliées entre elles. La plateforme baga est plus grande et elle est composée d’une grande coque centrale avec un balancier de chaque côté.
9 J’ai modifié les noms afin de protéger leur vie privée.
10 Les dispositifs de concentration de poissons sont des objets flottants artificiels ancrés sur le fond.
11 Cela importe d’un point de vue méthodologique, car la question « qui t’apprend ? » et d’autres du même type sont dénuées de sens dans ce contexte.
12 Le sens local du terme hobi est sensiblement différent du terme d’origine. En effet, si les idées de plaisir à pratiquer une activité et du caractère régulier de cette pratique sont conservées, le contexte de l’activité, par contre, n’est pas nécessairement extra-professionnel, comme dans le cas présent des pêcheurs.
13 À partir de la fin des années 1930, une activité de transport et de commerce maritime s’est développée dans le sud de Buton. Cette activité a facilité le processus de migration des villageois de Bahari vers les Moluques. Lors de leurs voyages aux Moluques, les équipages faisaient escale à différents endroits et y découvraient les possibilités d’ouvrir sur place leurs propres jardins pour cultiver des palmiers (pour le coprah) et des girofliers. Les relations entre les migrants et les habitants restés à Bahari restaient denses du fait des fréquentes escales des bateaux de Bahari dans les communautés expatriées.
14 Mouiller un engin de pêche signifie le mettre à l’eau.
15 Kalimantan est la partie indonésienne de l’île de Bornéo.
16 Wenger définit la réification comme « le processus qui consiste à donner forme à notre expérience en produisant des objets qui fixent cette expérience dans la matérialité (thingness) » (Wenger 1999 : 58, ma traduction).
Auteur
A obtenu son doctorat en anthropologie à l’Université Libre de Bruxelles en 2008. Il a effectué un long terrain ethnographique parmi les communautés côtières de l’île de Buton (Indonésie), focalisant son enquête plus particulièrement sur les activités maritimes : la pêche, la construction navale et la navigation. D’un point de vue théorique, il s’intéresse aux thématiques suivantes : l’apprentissage et la transmission, la structuration de la perception, l’expertise et le développement des activités, les ethnosciences, et les relations entre la pratique et la connaissance.
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