Nguyễn Văn Huyên (1905-1975), un chercheur en situation coloniale
p. 147-148
Texte intégral
1Dans l’histoire de l’École française d’Extrême-Orient, Nguyễn Văn Huyên mérite une place particulière du fait qu’il a été le premier membre scientifique non européen. Propulsé sur la scène politique d’un Vietnam qui a proclamé son indépendance le 2 septembre 1945, il a été nommé directeur de l’enseignement supérieur en novembre de la même année, puis ministre de l’Éducation nationale à partir de novembre 1946 jusqu’à son décès en 1975. Sa vie est dès lors souvent représentée comme coupée en deux : une vie de chercheur et une vie de gestionnaire dont on voit mal les relations qui les relient. Au Vietnam, les activités du ministre ont même tendance à faire oublier les recherches du premier membre permanent vietnamien de l’EFEO.
2Ce n’est que dans les années 1990 que son œuvre a été (re)découverte au Vietnam, en particulier grâce à l’organisation de deux colloques. À l’occasion de son 85e anniversaire, un premier colloque a été organisé à Hanoi en 1993, suivi d’un autre en 1995. Une partie de ses textes est traduite en vietnamien et publiée en 1995 dans un recueil sous le titre de Contribution à l’étude de la civilisation vietnamienne1. Grâce à cette publication, les chercheurs vietnamiens ont pu avoir une première approche d’une œuvre jusqu’alors quasiment inaccessible. Écrite principalement en français, elle n’était pratiquement lue que par quelques personnes. Vũ Ngọc Khánh, en résumant les recherches Nguyễn Văn Huyên sur le culte des génies tutélaires, a émis ce vœu :
Si nous avons la chance de pouvoir traduire en vietnamien l’étude sur Li Phuc Man, sa publication sera certainement d’une grande utilité pour la recherche en général et pour l’élaboration de monographies en particulier (Vũ Ngọc Khánh 1978, 202).
3Le chantier d’une édition complète en vietnamien de l’œuvre de Nguyễn Văn Huyên sous le titre de La Culture et l’Enseignement du Vietnam composée des textes scientifiques publiés et inédits (1934-1945), ainsi que des écrits et des discours (1946- 1975) a commencé en 2000 avec le soutien de la Toyota Foundation2. La préface de l’éditeur précise qu’il est important de faire connaître ce travail à un large public non seulement pour la compréhension de la culture vietnamienne, mais aussi pour l’histoire des idées et des sciences au Vietnam. Suite à ces colloques et ces publications, l’œuvre scientifique de Nguyễn Văn Huyên a fait l’objet d’une reconnaissance officielle avec l’obtention en 2000 du Prix Ho Chi Minh, la plus haute distinction décernée par l’État vietnamien3. Quant aux chercheurs vietnamiens, en reconnaissant la valeur documentaire des recherches de Nguyễn Văn Huyên, ils soulignent l’apport méthodologique, l’interdisciplinarité et l’utilisation des outils tels que questionnaires, cartes, plans et documents photographiques (Phạm Minh Hạc et Hà Văn Tấn 2000).
4En dehors du Vietnam, Georges Condominas est sans doute un des rares chercheurs qui connaissent en profondeur le travail de Nguyễn Văn Huyên qu’il cite plusieurs fois dans L’Espace social, L’Ethnologie régionale et L’Ethnologie de l’Union française. Le numéro V de la revue ASEMI publie en 1974 un dossier spécial sur l’habitation sur pilotis en Asie du Sud-Est dans lequel on trouve un résumé et une lecture critique de la thèse de Nguyễn Văn Huyên. Cependant, son nom ne devient familier aux chercheurs francophones qu’en 1996 quand le centre EFEO à Hanoi publie son étude inédite sur la province de Bắc Ninh.
5Le parcours et le travail scientifique de Nguyễn Văn Huyên offrent un cas d’étude exemplaire. Il s’agit ici de comprendre les conditions qui ont rendu possible une carrière inédite, celle du chercheur professionnel, dans un contexte colonial. Avant d’étudier les relations qu’entretiennent ses textes scientifiques avec le discours orientaliste de son époque, essayons d’éclairer la vie d’un homme.
Notes de bas de page
1 Góp phần nghiên cứu văn hoá Việt Nam (Những công trình nghiên cứu của Giáo sư Tiến sĩ Nguyễn Văn Huyên en deux volumes sous la direction du Professeur Hà Văn Tấn aux éditions des Sciences Sociales à Hanoi. Le premier volume comprend 28 textes (803 pages) et le deuxième comprend 19 textes (762 pages).
2 Văn hoá và giáo dục Việt Nam aux éditions Éducation à Hanoi. Le premier volume est paru en 2000 (935 pages), le deuxième volume en 2001 (1008 pages) et le troisième volume en 2005.
3 Son nom a été donné à des rues de Hanoi (la rue du Musée d’Ethnographie du Vietnam) et à Ho-Chi-Minh-Ville.
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