La bien-aimée à la fenêtre : un motif dans les romancéros carolingien et épico-national du siècle d’or
p. 221-239
Texte intégral
« Ya cabalga Calaínos1 »
1Quand le roi sarrasin Calaínos arrive à Sansueña pour rendre visite à la princesse maure Sebilla, il tombe sur un vieux Maure qui est chargé de la garder et lui demande le chemin du palais de Sebilla. La princesse a écouté leur entretien et en attendant s’est déjà rendue à la fenêtre. Quand Calaínos la voit, il lui déclare vouloir lui transmettre une lettre de son père le roi Almanzor. Sebilla descend vite à la rencontre de Calaínos, et après qu’il l’a saluée révérencieusement, elle se renseigne sur son nom. Il se présente à elle, énumère les pays qui lui appartiennent et nomme les princes qui sont ses hommes liges. Il assure être volontairement devenu le vassal d’Almanzor, lorsqu’il a appris la beauté incomparable de sa fille. A la gloire d’elle seule, il l’a servi pendant de longues années et a renoncé à toute récompense. Alors il a traversé la mer, afin qu’elle devienne son amante. Cependant, Sebilla n’est prête à lui donner son amour qu’après qu’il aura vaincu au combat Oliveros, Roldán et Reinaldos de Montalbán et qu’il lui aura présenté en hommage les têtes de ces trois pairs de France. Par la suite, ce romance jongleresque du groupe carolingien raconte comment Calaínos perd la vie en s’efforçant de remplir la condition que Sebilla a posée.
2En reprenant une suggestion de Menéndez Pidal, nous avons démontré ailleurs que le début du romance de Calaínos, dont fait partie la rencontre du protagoniste avec sa bien-aimée que nous venons de rapporter, est issu de la fusion de deux épisodes de la Chanson des Saisnes2, à savoir de celui de Cahanin avec celui de Justamont3. Les circonstances dans lesquelles Calaínos arrange sa première et seule rencontre avec Sebilla, sont toutefois étrangères à cette épopée française et à coup sûr également à son remaniement espagnol que nous pouvons inférer des romances tradicionales sur Baldovinos. Car dans la chanson de geste, la reine saxonne Sebile demeure dans le camp de Guiteclin, de telle façon que les nobles saxons qui y sont aussi réunis peuvent sans détours se présenter chez elle. En outre, Cahanin lui-même y fonctionne comme le gardien de Sebile. La mise en scène de la rencontre dans une ville où Calaínos doit arriver de loin et où il doit d’abord trouver Sebilla avant de pouvoir lui présenter sa requête, constitue donc une addition propre au romance juglaresco. Il ne s’agit pas pour autant d’une invention libre, mais elle trouve son parallèle dans un romance qui appartient au même groupe ainsi qu’à la même classe.
« Asentado está gaiferos4 »
3Quand Gaiferos apprend que les Maures ont déporté son épouse Melisenda à Sansuena, il part pour la libérer, incité par son beau-père l’empereur Charles qui l’exhorte avec insistance à obéir aux ordres de l’amour et à risquer sa vie pour mettre fin à sa détention comme otage. Arrivé à Sansuena, il croise sur son chemin un esclave chrétien, à qui il demande s’il sait quelque chose sur le séjour d’une prisonnière chrétienne de descendance noble. Sur le conseil de l’esclave, il se rend au palais du roi Almanzor, à la fenêtre duquel il voit en effet Melisenda entourée d’autres chrétiennes. Quand elle le remarque, sans pourtant reconnaître à qui elle a vraiment affaire, elle l’implore d’informer son époux en France de ce qu’elle est devenue, pour qu’il la sauve enfin des mains de ses ravisseurs. Sur cela, Gaiferos lui révèle son identité en lui indiquant son nom, son fief et ses consanguins, en ajoutant qu’il est venu pour l’amour d’elle. Sans perdre de temps, Melisenda se rend en courant sur la place devant le château. Au moment où Gaiferos l’accueille, son gardien maure donne l’alerte. Mais Almanzor rassemble en vain ses guerriers : le couple échappe à ses poursuivants et se réfugie en France.
4On ne saurait méconnaître que dans leurs grandes lignes, les deux scènes sont construites de façon parallèle. Chaque fois, le lieu de l’action est la ville maure de Sansuena. Un chevalier qui y arrive a fait un long voyage pour rencontrer la femme qu’il aime. Pour la découvrir, il a besoin de l’aide d’un habitant de la ville. La femme se trouve sous la garde d’un Maure. Le chevalier la voit de la place devant le palais, quand elle regarde par la fenêtre de cet édifice. Leur conversation commence, alors qu’elle se trouve encore à la fenêtre ; plus tard, elle descend à sa rencontre. De manière circonstanciée, le chevalier se présente à elle qui ne le (re) connaît pas, et lui explique son arrivée par l’amour qui l’a poussé vers elle. Elle l’envoie en France avec une mission et, pourvu qu’il la remplisse, lui fait entrevoir une récompense. Le déroulement du dialogue est conçu de façon inversement analogue : tandis que dans W./H. 193, le chevalier s’adresse à la femme pour lui transmettre un message, dans W./H. 173 la femme appelle le chevalier pour lui confier un message pour quelqu’un qui n’est nul autre que lui-même, et tandis que dans W./H. 193, le chevalier révèle son identité au début de l’entretien, dans W./H. 173 il ne le fait qu’à la fin.
5Le parallèle devient encore plus étroit quand on tient compte de versions de W./H. 173 puisées dans la tradition orale moderne, où Gaiferos, tout comme Calaínos, se renseigne auprès d’un Maure pour savoir comment il pourra entrer en contact avec Melisenda et où, toujours tout comme Calaínos, il atteint Sansueña par la mer. La coïncidence avec le romance sur Calaínos peut être considérée comme un indice additionnel que le romance sur Gaiferos a conservé ces traits plus fidèlement dans ses versions transmises oralement au cours des xixe et xxe siècles que dans sa version jongleresque imprimée au cours des xvie et xviie siècles5. On observe une autre analogie inverse quand on considère en outre les versiones tradicionales de la complainte de Melisenda détachées du romance juglaresco. Dans celles-ci, la fille de l’empereur déportée annonce sa mort imminente au cas où elle serait forcée d’être encore plus longtemps séparée de son époux. Dans W./H. 193, au contraire, c’est le chevalier qui craint ne pas pouvoir continuer à vivre sans sa bien-aimée. Comme il répète même plusieurs fois penser mourir d’amour, il souligne cela avec une telle emphase que l’absence complète de cette pensée dans le message formulé par Melisenda dans W./H. 173 semble être suspecte. Là-dedans aussi, le motif devrait avoir été originellement à sa place, de façon que les traces qui s’en trouvent encore dans les versiones tradicionales extrapolées de W./H. 173, peuvent avoir subsisté de ce stade antérieur de la tradition6.
6A cela s’ajoute que les personnages mentionnés en sus du couple amoureux sont presque identiques dans les deux scènes de rencontre. D’abord, un roi maure nommé Almanzor joue un rôle respectivement, dans W./H. 193 celui du père de la princesse courtisée, dans W./H. 173 celui du ravisseur de la fille de l’empereur, laquelle, au dire de l’esclave chrétien, est traitée par lui comme sa propre fille et laquelle, selon le témoignage de celui-là ainsi que d’elle-même, est courtisée par plusieurs princes maures. Puis, les noms des pairs dont Calaínos doit montrer les têtes à Sebilla en preuve de sa vaillance, sont également présents dans la scène qui réunit Melisenda à Gaiferos. Melisenda demande au soi-disant inconnu de transmettre son appel au secours à Oliveros et Roldán, au cas où Gaiferos n’y donnerait pas suite, et ce sont ces deux personnes que Gaiferos choisit parmi sa parenté quand il se révèle à Melisenda. La hardiesse et la valeur de Gaiferos ébahissent Almanzor à un tel degré qu’il croit avoir comme adversaire Roldán, Reinaldos de Montalbán ou Urgel de la Marcha. Certes, dans W./H. 173, Oliveros, Roldán et Reinaldos ne forment pas de triade héroïque et dans W./H. 193, Sebilla ne mentionne pas Urgel. Mais quant aux personnages mentionnés dans les deux scènes sans y apparaître, la coïncidence partielle reste frappante. En tout cas, il est sûr que ces noms n’appartiennent pas originellement au romance sur Calaínos. Car selon la Chanson des Saisnes, la guerre de Saxe se déroule après la campagne menée par Charlemagne contre l’Espagne, et il n’y a pas lieu de supposer que le Cantar de Sansueña ait rien changé à cette donnée, de façon que cette chronologie épique resterait valable aussi pour les romances qui en dérivent7. Dans ces conditions, cependant, Sebilla ne peut pas à l’origine avoir demandé à Calaínos de lui apporter les têtes d’Oliveros, de Roldán et de Reinaldos, d’autant plus que la tradition espagnole ne compte pas parmi les héros tombés à Roncesvalles seulement les deux premiers, en s’accordant à cet égard avec la tradition française, mais aussi, en la contredisant nettement, celui cité en dernier lieu8. Dans un stade plus ancien de la tradition, l’épreuve imposée à Calaínos doit donc l’avoir fait se mesurer avec d’autres chevaliers francs.
7Les analogies entre les deux romances jongleresques du groupe carolingien que nous avons mis en évidence se traduisent de plus en ressemblances et en coïncidences littérales :
8– la recherche d’un connaisseur des lieux par le chevalier
Mirando estaba a Sansueña, (...),
por ver si vena algún moro a quien preguntar podría.
(W./H. 193, p. 386, 1.5, 7-8)
Cuando allegó Gaiferos a Sansueña, esa ciudad,
miraba si vería alguno a quien pudiese demandar :
(W./H. 173, p. 235, 1. 31 – p. 236, 1. 3)
9– la découverte du connaisseur des lieux
vido estar un moro viejo (...).
Calaínos que lo vido (...) ; (W./H. 193, p. 386, 1. 11, 13)
vido un cativo cristiano (...) ;
desque lo vido Gaiferos (...) : (W./H. 173, p. 236, 1. 4, 6)
10– la salutation du connaisseur des lieux
Por Alá te ruego, moro9 (...), (W./H. 193, p. 386, 1. 17)
Dios te salve, el cristiano (...), (W./H. 173, p. 236, 1. 8)
11– la préparation de l’entretien entre le chevalier et la femme aimée
Calaínos que la vido (...) :
(W./H. 193, p. 387, 1. 22)
Melisenda que lo vido (...),
(W./H. 173, p. 237, 1. 14)
12– la présentation du chevalier
Calaínos soy, señora, Calaínos el de Arabia,
señor de los Montes Claros, (...) (W./H. 193, p. 388, 1. 6-8)
Yo soy el infante Gaiferos señor de París la grande,
(W./H. 173, p. 239, 1. 13-14)
13– la réponse de l’interlocuteur
Cuando Sevilla esto oyera esta respuesta le daba : (W./H. 193, p. 389, 1. 2-3)
Gaiferos que esto oyera tal respuesta le fue a dar : (W./H. 173, p. 239, 1. 5-6)
14Au vu de parallèles aussi nombreux et marqués, au niveau du contenu ainsi que de la forme, entre la rencontre de Calaínos avec Sebilla, d’une part, et la réunion de Gaiferos avec Melisenda, d’autre part, ce serait un hasard extraordinaire, si les deux scènes avaient été conçues indépendamment l’une de l’autre. Naturellement il pourrait s’agir d’un motif courant et par conséquent utilisable à volonté, de sorte que l’apparition d’une telle scène ne serait pas liée à un texte en particulier. Mais on ne pourrait se contenter de cette explication qu’au cas où W./H. 193 et W./H. 173 raconteraient des histoires librement inventées d’un bout à l’autre et qui n’auraient aucun rapport visible avec des textes qui les précèdent. Or, d’une part, le début du romance sur Calaínos dérive d’un épisode du Cantar de Sansueña, où les circonstances dans lesquelles le chevalier s’approche de la femme convoitée, sont essentiellement différentes. Cet état des choses soulève inévitablement la question de savoir où l’auteur du romance juglaresco pourrait s’être inspiré pour donner de leur rencontre un récit tout à fait différent des romances tradicionales qui ont sans aucun doute dérivé du texte d’origine susdit. D’autre part, nous avons démontré que la base matérielle des retrouvailles et de la libération de Melisenda par Gaiferos consiste en l’épisode de Bueve de Hantone10 où le héros éponyme, après plusieurs années de séparation, repère sa bien-aimée Josiane à Monbranc et la délivre du mariage forcé avec le roi sarrasin Yvorin11. Alors, en ce cas, la rencontre des amants dans le romance juglaresco n’est pas seulement conçue de manière identique à cette épopée-là dans ses traits fondamentaux, mais le romance conserve avec une fidélité étonnante un grand nombre de détails de la scène épique, jusqu’à la teneur approximative de quelques-uns de ses vers. La rencontre du chevalier avec sa bien-aimée, comme elle se produit dans W./H. 193 et W./H. 173, a donc son modèle dans Bueve de Hantone. Il en résulte que dans le romancéro, le récit de l’arrivée du chevalier et de la façon d’entamer la conversation n’appartient pas de prime abord au réservoir de clichés de contenu qui sont tenus prêts, afin que les poètes au besoin puissent y avoir recours et n’aient qu’à les adapter aux exigences du contexte de leurs œuvres, mais que ce récit fait d’abord partie exclusive du romance sur Gaiferos, qui se fonde sur différents passages du remaniement espagnol perdu de Bueve, et de celui-là a évidemment passé au romance sur Calaínos12, où il remplace la scène héritée du Cantar de Sansueña qui raconte comment le soupirant sarrasin de Sebilla lui rend visite.
15Nous pouvons reconstruire les traits principaux de cette scène telle qu’elle devrait s’être déroulée originellement dans le romance de Calaínos, en nous appuyant sur l’épisode de Justamont dans la Chanson des Saisnes, épisode auquel s’est amalgamé, après la dissolution du Cantar de Sansueña en romances isolés, l’épisode de Cahanin, qui dans son contenu coïncide largement avec lui. Selon la chanson de geste, après avoir obtenu la permission du roi des Saxons Guiteclin de livrer le combat contre Baudouin, neveu de l’empereur Charles, qui a pénétré dans le camp saxon, Justamont sur son destrier galope vers la tente de Sebile. La reine est en train de la quitter en compagnie de ses femmes de chambre pour se promener, lorsqu’elle voit Justamont s’approcher d’elle. Elle fait quelques pas à sa rencontre et devant l’entrée de sa tente engage la conversation en lui demandant où il veut aller (LT, v. 3594-3602). En principe, l’action se développe donc exactement comme dans la version conservée du romance de Calaínos : à cheval, le chevalier se rend au lieu où se trouve sa bien-aimée. L’image de la chevauchée rapide de Justamont survit peut-être dans les deux vers initiaux du romance sur Calaínos qui montrent également le protagoniste chevauchant plein d’allant en direction de Sansueña. C’est d’autant plus probable, que le romance sur Gaiferos ne contient rien qui corresponde à cette exposition. D’autres moments où le cours des événements dans W./H. 193 se distingue de celui dans W./H. 173, pourraient s’expliquer aussi par la conception originelle de la scène qui transparaît à ces endroits. Par exemple, Calaínos n’a pas du tout besoin d’apprendre de la bouche du Maure où il pourra trouver Sebilla, parce qu’à cause de l’apparition de la princesse à la fenêtre sa question a perdu son intérêt. Dans la Chanson des Saisnes, il est dès le début superflu pour Justamont de se renseigner sur la demeure de Sebile. En outre, Sebilla quitte son palais même avant de savoir ce qui amène Calaínos, de façon que pendant l’entretien, tous deux se trouvent devant l’édifice, de même que Justamont et Sebile s’accordent sur leur arrangement devant la tente de la reine saxonne. Enfin, Calaínos ne se révèle pas immédiatement à son interlocutrice, mais seulement après que Sebilla l’y a invité par sa question. Pareillement dans la Chanson des Saisnes, une question que Sebile adresse à Justamont donne à celui-ci l’occasion de lui expliquer son désir.
16Comme on le voit, dans la scène de la rencontre, sous la forme qu’elle a dans le romance de Gaiferos et celle qu’elle a probablement eue dans une version du romance de Calaínos encore plus proche du Cantar de Sansueña que celle qui nous est parvenue, il ne manque pas de traits communs qui font comprendre le transfert de son schéma de construction du romance sur Gaiferos vers celui sur Calaínos. Il est difficile de porter un jugement sur la question de savoir s’il s’agit là d’une contamination au cours de la tradition ou bien d’un calque fait à dessein par l’auteur du romance juglaresco sur Calaínos. Afin de pouvoir étayer cette dernière manière de voir, il faudrait être en mesure de montrer la raison qui aurait pu décider l’auteur à remanier la scène où Calaínos et Sebilla lient connaissance, d’après celle où Gaiferos et Melisenda se revoient. Il est pourtant impossible d’en discerner une, ce qui ne s’explique certainement pas en dernier lieu par le fait que la seule version connue du romance sur Calafnos est contaminée dans sa deuxième partie par le romance sur Bramante, en conséquence de quoi son contenu authentique faisant suite à la scène de la rencontre est fort déformé13.
« Helo, helo, por do viene el moro por la calzada »
17Le roi maure – il s’agit du célèbre Búcar de la légende du Cid, dont le romance ne mentionne cependant pas le nom – a débarqué sur la côte près de Valence pour reconquérir cette ville que le Cid lui a arrachée. Tout en armes, il chevauche en direction de la forteresse, s’arrête devant ses murs et se plaint de sa perte. Dans son discours, il annonce son intention de se venger après la reprise de Valence, en humiliant le Cid, en faisant prisonnière son épouse et en prenant sa fille comme maîtresse, seulement pour la céder à ses guerriers, dès qu’il se sera lassé d’elle. Le Cid perçoit cette menace, fait mettre à sa fille sa robe la plus somptueuse et lui fait lier conversation avec le Maure, jusqu’à ce que lui-même soit prêt à imposer le combat au provocateur. La demoiselle se dirige tout de suite vers une fenêtre, de sorte que le Maure la voit et la salue poliment. Alors la fille du Cid lui souhaite la bienvenue et lui déclare inopinément l’aimer depuis sept ans. Il n’hésite pas à répondre qu’il a des sentiments tendres pour elle depuis tout aussi longtemps. A cet endroit, ils doivent arrêter leur entretien, parce que le Cid s’approche et le Maure prend hâtivement la fuite. Il s’échappe de justesse sur son bateau.
18De ce romance, trois versions nous sont parvenues du siècle d’or : l’une, imprimée dans divers recueils de romances et sur des pliegos sueltos14, d’après laquelle nous avons fait le compte rendu qui précède ; l’autre, intégrée dans le dialogue scénique de la Comedia de las hazañas del Cid y su muerte, con la tomada de Valencia (Lisbon, 1603 ; Madrid, 1603) attribuée à Lope Félix de Vega Carpio15, et qui se distingue à plusieurs égards de la première dans la scène de l’entretien qui nous intéresse principalement : elle ne note pas l’apparition de la fille du Cid à la fenêtre, elle impose à la fille du Cid la tâche d’ouvrir la conversation en souhaitant la bienvenue au Maure, et elle fait avertir le Maure de l’attaque du Cid par la fille de celui-ci, après quoi le Maure, sans se presser, prend congé d’elle et s’en va ; une autre enfin, incomplète celle-ci, qui est chantée dans l’Auto da Lusitânia écrit par Gil Vicente en 153216 et que nous pouvons ici laisser de côté, parce qu’elle se borne entièrement à la complainte du roi maure pour Valence.
19Au contraire de W./H. 173 et W./H. 193, le romance sur la fuite du roi maure devant le Cid n’est pas un romance juglaresco complet en lui-même, mais un romance tradicional détaché d’un ample contexte narratif et dont l’action s’ouvre in medias res et se termine au moment où la poursuite de l’envahisseur doit être abandonnée, ce qui marque bien une césure, mais laisse néanmoins en suspens la continuation de sa campagne. Cela n’enlève rien à l’intelligibilité de ce fragment, parce que la tentative avortée de Búcar de reprendre Valence constitue de tout temps un épisode de la légende du Cid, et cet arrière-plan était encore en somme familier au public du siècle d’or. Si donc l’événement guerrier que chante le romance est étroitement lié aux cantares de gesta médiévaux sur le Cid, on ne trouve pas là-dedans la moindre trace de la ruse utilisée par le Cid ni de l’entretien entre sa fille et le roi maure qui en découle17. Or, si la scène à la fenêtre ne peut être dérivée d’aucun des témoignages antérieurs de la légende du Cid que nous connaissions, il faut supposer qu’elle n’a été interpolée dans l’épisode qu’après que celui-ci s’était constitué en romance autonome. Ses modèles possibles seraient les romances sur Gaiferos et sur Calaínos18. L’hypothèse que la scène à la fenêtre a été prise dans ces romances jongleresques du groupe carolingien se révèle être moins arbitraire qu’elle ne le semble éventuellement à première vue, quand on se rend compte du fait qu’originairement le romance du Cid contient en effet des traits communs avec le schéma narratif de W./H. 173 et W./H. 193. C’est que dans ce texte, un chevalier à cheval s’approche aussi d’un bâtiment où séjourne sa bien-aimée, et quand il s’en éloigne, il se voit également exposé à un danger qui menace sa vie.
20De surcroît, le romance du Cid est en relation avec celui de Gaiferos en tant que le roi maure, tout comme Gaiferos, après être demeuré un moment devant le domicile de sa bien-aimée, est forcé de s’enfuir, tout en étant poursuivi par le seigneur de la ville. De même que Gaiferos échappe au roi maure Almanzor, le roi maure Búcar se soustrait au Cid, une analogie inverse additionnelle consistant dans le fait que Gaiferos reste vainqueur dans le combat au cours de la poursuite, parce qu’il réussit à reconduire Melisenda, une fois qu’il l’a libérée, à l’abri dans son pays, alors que Búcar succombe en tant qu’il évite par crainte le combat par lequel il devrait revendiquer Valence et manque ainsi à son but. Gaiferos et Búcar doivent le succès de leur fuite à la même circonstance favorable : le premier surmonte le mur fortifié de Sansuena, parce que « el caballo era lijero » (W./H. 173, p. 241, 1. 24), le dernier revient à son bateau grâce à « la yegua que era lijera » (W./H. 55, p. 177, 1. 21). Avant que les protagonistes ne puissent de cette façon se mettre en lieu sûr, les récits de leur fuite contiennent un parallèle ultérieur, bien que les deux romances décrivent avec des mots semblables des actions toutes différentes. En cherchant vainement une issue de Sansuena, « siete veces la [sc. la ciudad] rodea Gaiferos » (W./H. 173, p. 240, 1. 3), et Babieca, destrier du Cid, qui s’efforce en vain de barrer le passage à la jument de Bûcar, « siete vueltas la [sc. la yegua] rodea19 » (W./H. 55, p. 177, 1. 19).
21Le romance du Cid montre des coïncidences encore plus claires avec celui de Calaínos, en ce qui concerne la préparation et la conception de la scène à la fenêtre. Dans les deux cas, le chevalier amoureux est un prince maure et l’objet de son désir érotique une demoiselle noble. L’exposition présente respectivement le Maure à cheval, chevauchant vers la ville où demeure sa bien-aimée. Comme il apparaît plus tard, le Maure a auparavant franchi la mer. Arrivé devant la ville, il la regarde d’abord longuement et ensuite parle avec une autre personne ou avec lui-même de la demoiselle noble, dont il voudrait gagner l’amour. Pendant qu’il s’occupe ainsi en pensée avec sa bien-aimée, elle paraît à une fenêtre au-dessus de lui. Les deux romances soulignent en ce moment la beauté incomparable et la parure précieuse de la demoiselle. Aussitôt que le Maure la voit, il entame la conversation, au cours de laquelle il lui révèle son amour qui dure déjà depuis de longues années20. La relation du Maure amoureux envers le père de la demoiselle est inversement analogue : Calaínos est le vassal fidèle d’Almanzor, Bûcar cependant l’ennemi juré du Cid. De plus, le personnage du père est impliqué dans les événements de façon inversement analogue. Dans W./H. 193, la princesse entend les paroles de son soupirant et pour cette raison est déterminée à regarder par la fenêtre, après quoi le Maure prétend avoir été envoyé par le père de la princesse pour lui remettre une lettre. Dans le romance du Cid, le père écoute le discours du Maure et convainc sa fille de se montrer à la fenêtre et de s’entretenir avec lui21. Ici encore, les analogies du contenu sont exprimées par des tournures identiques :
22– le regard du chevalier sur la ville
Mirando estaba a Sansueña, (...), (W./H. 193, p. 386, 1. 5)
Mirando estaba a Valencia, (...) : (W./H. 55, p. 175, 1. 9)
Viene mirando a Valencia (Catalán 1969, p. 153-155, 1. 11)
23– l’apparition de la bien-aimée à la fenêtre
púsose a una ventana, hermosa a maravilla, (W./H. 193, p. 387, 1. 16-17)
La doncella muy hermosa se paró a una ventana : (W./H. 55, p. 176, 1. 26-27)
24– la préparation de l’entretien entre le chevalier et la bien-aimée
Calaínos que la vido de esta suerte le decía : (W./H. 193, p. 387, 1. 22-23)
el moro desque la vido de esta suerte le hablara : (W./H. 55, p. 176, 1. 28-29)
25Et Sebilla et la fille du Cid sont appelées par leur soupirant maure son » enamorada « (W./H. 193, p. 389, 1. 1 ; W./H. 55, p. 176, 1. 13, p. 177, 1. 10 ; Catalan 1969, p. 153-155, 1. 26) et se désignent ainsi elles-mêmes (W./H. 193, p. 389, 1. 15, 29, p. 390, 1. 4 ; W./H. 55, p. 177, 1. 4 ; Catalan 1969, p. 153-155, 1. 42).
26Du fait de la proximité frappante qui existe entre le romance du Cid et ceux de Gaiferos et de Calaínos, il est peu vraisemblable que celui-là ne soit pas influencé par ceux-ci. Il en est probablement comme suit. La tradition romanciste a d’abord développé l’épisode, hérité des cantares de gesta, de l’échec subi par Bûcar en essayant de reconquérir Valence : d’une part, elle a remplacé le motif en usage dans l’épopée, de l’ambassade d’un messager qui remet la demande de rendre la forteresse et qui annonce les représailles auxquelles il faut s’attendre en cas de refus, par une chevauchée de reconnaissance qu’entreprend le roi maure lui-même et lors de laquelle il prédit la chute de la forteresse et détaille les mesures punitives contre les défenseurs ; d’autre part, la tradition romanciste raconte, au lieu d’une défaite de Búcar en bataille rangée, l’expulsion du roi maure qui, en surestimation démesurée de lui-même, a paru devant la ville sans escorte, par le Cid qui en sort fougueusement, décidé à relever le gant. En utilisant un schéma préexistant dans les romances juglarescos carolingiens mentionnés ci-dessus, cet incident a plus tard été interprété de telle façon que le Cid, avec l’aide de sa fille, tend un piège au Maure vantard et met en fuite son adversaire par une attaque surprise. Une transformation aussi profonde du combat épique entre chrétiens et Maures en une rixe burlesque entre leurs chefs présuppose que cet épisode a mené une vie autonome déjà assez longue et que son détachement de la tradition des cantares de gesta s’est achevé depuis longtemps.
27On peut de surcroît exclure que sa conception modifiée résulte de la pénétration incontrôlée de morceaux étrangers dans le romance du Cid par la voie de la tradition orale. Plusieurs arguments corroborent l’hypothèse qu’elle est plutôt née de la volonté délibérée d’un poète. Premièrement, le remaniement est trop complexe pour une simple contamination. Car la fuite de Búcar n’est pas sans plus précédée d’un passage qui raconte la rencontre du roi maure avec sa bien-aimée selon un schéma emprunté à d’autres romances. Au contraire, la poursuite, reste de la poésie épique médiévale sur le Cid, est reliée organiquement avec la scène interpolée de l’entretien moyennant le fait que le Cid, furieux d’avoir laissé échapper le Maure, se soulage en l’appelant, avec une ironie mordante, son gendre. Cette désignation se justifie uniquement par la déclaration d’amour que la fille du Cid et le roi maure viennent de se faire l’un à l’autre. La scène du dialogue est donc indispensable pour la pointe finale du romance. Deuxièmement, dans le récit de la rencontre du chevalier avec sa bien-aimée, le romance du Cid ne reprend pas le modèle des romances juglarescos carolingiens en imitateur, mais en créateur. Car les sentiments dont la fille du Cid et le Maure s’assurent mutuellement, ne sont aucunement sincères, mais feints. Sur ordre de son père, la fille du Cid fait semblant d’aimer le Maure, et les paroles tendres de celui-ci apparaissent d’un cynisme insolent en raison du traitement dédaigneux qu’il a destiné à la demoiselle. Sous cette forme dérivée, la scène a l’air d’une parodie. Bien sûr une telle stylisation se trouve déjà en germe dans le romance sur Calaínos, pourvu qu’on y considère la scène du dialogue en relation avec son texte d’origine. Car Sebile n’aime pas Justamont, et elle n’est pas seulement une spectatrice entièrement impassible de la précipitation avec laquelle il court à sa perte, mais elle l’y incite même par le baiser qu’elle lui promet en récompense de la victoire sur Baudouin, tout en n’ayant pas le moindre doute qu’il ne remportera pas ce combat. Il reste incertain que cette ambiguïté du personnage féminin se perpétue dans la version du romance de Calaínos qui nous est transmise. La condition à laquelle Sebilla est prête à accepter l’amour de Calaínos, n’est-elle qu’un prétexte pour se débarrasser de lui ? La seule version de ce romance juglaresco que nous possédions nous laisse dans l’incertitude, parce que les événements qu’il raconte à la suite de la rencontre des amants sont dans leur plus grande partie calqués sur le romance de Bramante. Il est toutefois possible que le poète à qui nous devons la réinterprétation du romance sur le Cid, ait connu le récit authentique du romance de Calaínos et y ait puisé l’idée de faire tromper le chevalier amoureux par la femme aimée, mais qu’il ait cherché à surenchérir sur ce modèle en faisant en même temps mentir le chevalier à la femme. L’insincérité de l’aveu d’amour fait par le roi maure pourrait cependant être un trait particulier à W./H. 55, puisque la version Catalán 1969, p. 153-155 ne connaît pas le vers où Búcar déclare ne pas envisager de se lier durablement avec la fille du Cid, mais se contenter de la posséder pour quelque temps comme concubine22.
28On pourrait objecter que notre hypothèse sur l’origine du romance du Cid sous sa forme conservée ne s’applique qu’à la version W./H. 55 de celui-ci et est moins évidente quant à la version utilisée par le drame, parce qu’il y manque la plupart des correspondances littérales avec le romance de Gaiferos ainsi qu’avec celui de Calaínos et qu’en particulier il n’y existe aucune trace du vers remarquablement proche de ce dernier et qui présente la demoiselle, éblouissante de beauté et somptueusement parée, à la fenêtre. On pourrait avancer que cette version a conservé un texte plus originel, qui est indépendant de ces romances juglarescos carolingiens, alors que ceux-ci, en conséquence de certains parallèles du contenu, ont contaminé W./H. 55 et que cette contamination se montre surtout dans la scène à la fenêtre. Pourtant, un tel raisonnement négligerait le contexte qui nous transmet Catalán 1969, p. 153-155. Nous ne connaissons cette version que dans le cadre du dialogue dramatique. Cela explique pourquoi, en comparaison avec W./H. 55, les vers au discours direct ont été adoptés intégralement, tandis que ceux qui contiennent le récit du narrateur ne sont reproduits qu’exceptionnellement : les vers narratifs, à moins qu’ils ne puissent pas sans peine être mis dans la bouche d’une personne dramatique, comme cela peut se faire avec l’apostrophe, dans laquelle est contenue la description du Maure qui s’approche, ou qu’ils ne deviennent automatiquement superflus, comme les introductions au discours direct, devaient être supprimés, parce qu’ils ne faisaient aucun sens dans le dialogue23. Pour cette raison, la description de la poursuite, par exemple, a presque entièrement disparu, de sorte qu’il manque à cette version justement le passage dont la tradition remonte assurément le plus loin dans le passé et qui, par conséquent, constitue le noyau du romance24. Ainsi, ce n’est point un argument en faveur de l’originalité de cette version qu’elle soit dépourvue du vers qui indique l’apparition de la fille du Cid à la fenêtre et qui appartient également au récit du narrateur.
29Notre opinion que cette description est dès le départ comprise dans le romance remanié sur la fuite de Bûcar et n’y a pas été interpolée sous l’influence de scènes semblables dans d’autres textes, se trouve confirmée par un romance artistique dans le Cancionero de Pedro de Rojas, manuscrit achevé en 158225. Ce romance recompose librement l’épisode, mais en recourant à des modèles antérieurs26. Ici le Maure aperçoit la fille du Cid, qui se trouve en haut d’une saillie crénelée du mur ou d’une tour de Valence. Le souvenir que le poète garde de l’image de la demoiselle à la fenêtre semble être troublé sous l’influence d’un autre romance du Cid, lequel s’ouvre avec la présentation d’une sœur du roi Alphonse qui, noblement habillée, regarde du haut des créneaux de la forteresse de Toro27. Mais le fait que le romance artistique décrit la position élevée de la demoiselle, indique clairement qu’il se réfère par là à un élément analogue dans le vieux romance. D’ailleurs, il fournit un indice du fait que la structure de l’entretien amoureux a été conservée plus fidèlement par W./H. 55 que par l’autre version, car c’est ici de nouveau le Maure qui le premier adresse la parole à la fille du Cid. Dans la version arrangée pour la scène, il est plus logique que la demoiselle prenne l’initiative, parce qu’ici ses propos sont immédiatement précédés par la demande du Cid d’empêcher le Maure de se retirer, car il manque l’intercalation narrative où le Maure aperçoit la demoiselle parue à la fenêtre. Ainsi l’anticipation du premier des deux vers qui dans W./H. 55 constituent la réponse de la fille du Cid à la salutation de la part du Maure, pourrait être un artifice destiné à faciliter la transition28. Quant à la sincérité de la déclaration d’amour que fait Bûcar, le romance artificioso, par contre, s’accorde plutôt avec Catalan 1969, p. 153-155. Car, si dans cette version du romance viejo, il n’existe déjà aucune contradiction insurmontable entre la passion que Bûcar ressent pour la fille du Cid et l’humiliation qu’il veut infliger à la famille de son ennemi vaincu29, dans la version artistique, le roi maure ne nourrit point de desseins de vengeance. Ici il est clairement la dupe de sa prétendue bien-aimée à la fenêtre30.
Notes de bas de page
1 Nous citons d’après l’édition de Fernando José Wolf et Conrado Hofmann, Primavera y Flor de romances o colección de los más viejos y más populares romances castellanos, publicada con una introducción y notas, 2 t., Berlin, Asher, 1856, t. 2, p. 386-400, n° 193, et nous nous y référons par l’abréviation W./H. 193.
2 Nous citons d’après l’édition d’Annette Brasseur, Jehan Bodel, La Chanson des Saisnes. Edition critique, 2 t. (Textes littéraires français, 369), Genève, Droz, 1989.
3 Heintze, Michael, « Des traces du Cantar de Sansueña dans le romancéro en dehors du cycle sur Baldovinos », sous presse.
4 Nous citons d’après l’édition de Wolf et Hofmann, op. cit., t. 2, p. 229-248, n° 173, et nous nous y référons par l’abréviation W./H. 173.
5 Voir à ce sujet Heintze, Michael, « Bueve de Hantone et la tradition moderne du romance sur la libération de Melisenda », in Boutet, Dominique, Castellani, Marie-Madeleine, Ferrand, Françoise, Petit, Aimé (éd.), Plaist vos oïr bone cançon vallant ? Mélanges de langue et de littérature médiévales offerts à François Suard, 2 t., Lille, Université Charles de Gaulle, 1999, t. 1, p. 400.
6 Voir à ce sujet Heintze, Michael, « Melisenda am Fenster von Almanzors Palast in Sansueña », sous presse.
7 Voir à ce sujet Heintze, Michael, « La mort de Baldovinos : un épisode du Cantar de Sansueña à la lumière d’un romance méconnu sur Baldovinos », in Quaderni di filologia romanza della Facoltà di Lettere e Filosofia dell’Università di Bologna 11 (1994), p. 80.
8 C’est le cas peut-être pour la première fois dans le Cantar de Roncesvalles, dont le fragment conservé contient la complainte funèbre de son père (v. 83-96 ; cité d’après l’édition de Ramón Menéndez Pidal, « Roncesvalles, un nuevo cantar de gesta español del siglo xiii », in Revista de filología española 4 (1917), p. 114-117 ; réimprimé in id.. Textos medievales españoles. Ediciones críticas y estudios (Obras completas de Ramón Menéndez Pidal, 12), Madrid, Espasa-Calpe, 1976, p. 17-20.
9 La variante dans la troisième version de la Floresta de varios romances sacados de las historias antiguas de los hechos de los doze pares de Francia par Damián López de Tortajada : « Por Dios te mego, moro, (...) » est plus proche de la leçon du romance sur Gaiferos. Pour des raisons de fait, il est exclu qu’elle soit originelle, mais peut-être le rapprochement s’est-il opéré sous l’influence de W./H. 173.
10 Nous citons d’après l’édition d’Albert Stimming, Der festländische Bueve de Hantone, nach allen Handschriften mit Einleitung, Anmerkungen und Glossar zum ersten Male herausgegeben, 5 t. (Gesellschaft für romanische Literatur, 25, 30, 34, 41, 42), Dresden, Gesellschaft für romanische Literatur, 1911, 1912, 1914, 1918, 1920, et nous nous y référons par les abréviations FI, FII et FIII.
11 Heintze, Michael, « Bueve de Hantone en Espagne. A propos des romances sur Gaiferos », in Quaderni di filologia romanza della Facoltà di Lettere e Filosofia dell’Università di Bologna 14 (1999-2000), p. 349-355.
12 Il est possible que dans le romance de Calaínos se soient conservés quelques traits du motif dont le romance de Gaiferos, dans sa version que nous possédons, ne se souvient plus. Ainsi, les souffrances auxquelles Calaínos se sent exposé à cause de son amour inassouvi pour Sebilla et auxquelles il fait allusion au cours de son entretien avec le gardien maure, pourraient dériver de la douleur dont Bueve se plaint au moment de son arrivée à Monbranc, quand il se croit oublié par Josiane, parce qu’il suppose qu’elle mène une vie joyeuse aux côtés d’Yvorin (FI, v. 3214-19, 3227-33). Gaiferos, par contre, ne montre pas la moindre émotion, quand l’esclave chrétien lui dit que plusieurs Maures de haut rang convoitent Melisenda pour épouse. La beauté de Sebilla et sa parure élégante correspondent à celles de Josiane, quand elle se languit de Bueve à sa fenêtre à Monbranc (FII, v. 3736-40, FIII, v. 3299-3302, 3314-18). Melisenda n’est pas distinguée par de pareils attributs, quand elle se montre à la fenêtre du palais d’Almanzor.
13 Voir à ce sujet Heintze, Michael, « Des traces du Cantar de Sansueña dans le romancéro en dehors du cycle sur Baldovinos », sous presse.
14 Nous citons d’après l’édition de Wolf et Hofmann, op. cit., t. 1, p. 175-178, n° 55, et nous nous y référons par l’abréviation W./H. 55. Elle se trouve dans le Cancionero de romances, en que están recopilados la mayor parte de los romances castellanos que fasta agora se an compuesto. En Enveres, en casa de Martín Nucio (vers 1547) (Menéndez Pidal, Ramón (éd.), Cancionero de romances impreso en Amberes sin año. Edición facsímil con una introducción, Madrid, Junta para Ampliación de Estudios, Centro de Estudios Históricos, 1914, Consejo Superior de Investigaciones Científicas, 21945, f° 179r°-180v° ; Rodríguez-Moñino, Antonio, Askins, Arthur L.-E, Manual bibliográfico de cancioneros y romanceros impresos durante el siglo xvi, 2 t., Madrid, Castalia, 1973, XXIV, 51, n° 57) et dans sa réimpression parue à Medina del Campo en 1550 (Rodríguez-Moñino, Askins, op. cit., XXIV, 52, n° 57), dans la Primera parte de la Silva de varios romances, en que están recopilados la mayor parte de los romances castellanos que hasta agora se han compuesto. Hay al fin algunas canciones y coplas graciosas y sentidas. Impressa en Çaragoça por Stevan G. de Nágera, en este año de 1550, et dans le remaniement de celle-ci exécuté à Barcelone en 1550 et 1552 (Rodríguez-Moñino, Antonio (éd.), Silva de romances (Zaragoza, 1550-1551). Ahora por vez primera reimpresa desde el siglo xvi en presencia de todas las ediciones. Estudio, bibliografía e índices, Zaragoza, Publicaciones de la Cátedra Zaragoza, 1970, p. 175 sq. ; Rodríguez-Moñino, Askins, op. cit., XXVII, 83, n° 62 ; XXVII, 84, n° 66 ; XXVII, 85, n° 66), dans le Cancionero de romances, en que están recopilados la mayor parte de los romances castellanos que fasta agora se an compuesto, nuevamente corregido, emendado y añadido en muchas partes. En Envers, en casa de Martín Nucio, 1550, et ses tirages postérieurs (Rodríguez-Moñino, Antonio (éd.), Cancionero de romances (Anvers, 1550). Edición, estudio, bibliografía e índices (Colección de romanceros de los siglos de oro, 1), Madrid, Castalia, 1967, p. 243b-244b ; Rodríguez-Moñino, Askins, op. cit., XXIV, 53, n° 68 ; XXIV, 54, n° 68 ; XXIV, 55, n° 68 ; XXIV, 56, n° 68), dans la Silva de varios romances. Agora nuevamente recopilados los mejores romances de los tres libros de la Silva y añadidas ciertas canciones y chistes nuevos. Impreso en Barcelona, en casa de Jayme Cortey, 1561, et tous ses réimpressions et remaniements (Rodríguez-Moñino, Antonio (éd.), Si/va de varios romances (Barcelona, 1561), por vez primera reimpresa del único ejemplar conocido, con un estudio preliminar (Floresta. Joyas poéticas españolas, 1), Valencia, Castalia, 1953, f° 139 v°-141 r° ; Rodríguez-Moñino, Askins, op. cit., XXXIV, 98, n° 31 ; XXXIV, 99, n° 31 ; XXXIV, 100, n° 31 ; XXXIV, 101, n° 32 ; XXXIV, 102, n° 32 ; XXXIV, 103, n° 29 ; XXXIV, 105, n° 29 ; XXXIV, 106, n° 27 ; XXXIV, 108, n°29 ;XXXIV, 109, n° 28 ;XXXIV, 111, n° 28 ;XXXIV 113, n° 28 ; XXXIV, 115, n° 28 ; XXXIV, 116, n° 27 ; XXXIV, 117, n° 27 ; XXXIV, 118, n° 28 ; XXXIV, 120, n° 27 ; XXXIV, 122-125, n° 28 ; XXXIV, 127, n° 28 ; XXXIV, 129, n° 28), dans la Rosa española. Segunda parte de romances de Joan Timoneda, que tratan de historias de España, dirigidos al prudente lector. Impressos con licencia, año 1573 (Devoto, Daniel, Rodríguez-Moñino, Antonio (éd.), Rosas de romances por Juan Timoneda (Valencia, 1573) (Floresta. Joyas poéticas españolas, 8), Valencia, Castalia, 1963, part 2, f° 44 r°-45 v° ; Rodríguez-Moñino, Askins, op. cit., LIV, 171, n° 35), dans la Segunda parte de la Sylva de varios romances, en el qual se contienen muchos y diversos romances de hystorias nuevas, recopilado por Juan de Mendaño, estudiante natural de Salamanca. Impressa en Granada, en casa de Hugo de Mena, año de 1588, et dans le remaniement de celle-ci exécuté à Cádiz en 1646 (Rodríguez-Moñino, Antonio (éd.), Silva de varios romances recopilados por Juan de Mendaño (Granada, 1588), reimpresa del ejemplar único con una advertencia (Floresta. Joyas poéticas españolas, 9), Madrid, Castalia, 1966, part 2, f° 61 r°-63 v° ; Rodríguez-Moñino, Askins, op. cit., LXV, 203, n° 32 ; LXV, 204, n° 64), dans la troisième version de la Floresta de varios romances sacados de las historias antiguas de los hechos famosos de los doze pares de Francia, agora nuevamente corregidos por Damián López de Tortajada. Con privilegio real dado a Vicente Montes en Valencia, en la imprenta de Antonio Bordazar (première moitié du xviiie siècle), et ses tirages postérieurs (Rodríguez-Moñino, Antonio, Askins, Arthur L.-F., Manual bibliográfico de cancioneros y romanceros impresos durante el siglo xvii, 2 t., Madrid, Castalia, 1977, 1978, XXXVIII, 236, n° 39 ; XXXVIII, 238, n° 39 ; XXXVIII, 239, n° 39 ; XXXVIII, 241, n° 39 ; XXXVIII, 242, n° 39) ainsi que, sous forme glosée et légèrement abrégée surtout vers la fin, sur un pliego suelto respectivement de la bibliothèque de Williams College à Williamstown (Massachusetts) (Rodríguez-Moñino, Antonio, Diccionario bibliográfico de pliegos sueltos poéticos (siglo XVI), Madrid, Castalia, 1970, n° 215 ; Infantes, Víctor, « Un volumen viajero de impresos españoles del siglo xvi : los pliegos góticos de J. J. De Bure », in Studi ispanici 6 (1981), p. 16, n° 7), de la Bibliothèque Nationale de Prague (Rodríguez-Moñino, op. cit., n° 314), de la Bibliothèque Jagiellonienne de Cracovie (Rodríguez-Moñino, op. cit., n° 316), de la Bibliothèque Nationale de Madrid (Rodríguez-Moñino, op. cit., n° 317), de la bibliothèque du Marquis de Morbecq à Madrid (Rodríguez-Moñino, op. cit., n° 1096) et un autre, disparu celui-ci, dans la bibliothèque de Fernando Colón (Rodríguez-Moñino, op. cit., n° 884).
15 Nous citons d’après Diego Catalán, « Importância da tradiçâo portuguesa para o roman-ceiro hispánico », in Revista da Faculdade de Letras da Universidade de Lisboa, serie II, 14 (1948), p. 106-108 ; réimprimé en version entièrement refondue in id., Siete siglos de romancero (Historia y poesía) (Biblioteca románica hispánica II. Estudios y ensayos, 134), Madrid, Gredos, 1969, p. 153-155, et nous nous y référons par l’abréviation Catalán 1969, p. 153-155.
16 Ce drame est imprimé dans l’édition des œuvres complètes de Vicente (Lisbon, 1562). Nous citons d’après l’édition d’Alvaro Julio Da Costa Pimpão, Gil Vicente, Obras completas, Porto, Livraria Civilização, 1962, p. 467b.
17 Voir à ce sujet Menéndez Pidal, Ramón, Romancero hispánico (hispano-portugués, americano y sefardí). Teoría e historia, 2 t. (Obras completas de Ramón Menéndez Pidal, 9, 10), Madrid, Espasa-Calpe, 1953, t. 1, p. 227-229, Di Stefano, Giuseppe, Sincronia e diacronia nel romanzero (Un esempio di lettura) (Istituto di Letteratura Spagnola e Ispano-Americana, 15), Pisa, Università di Pisa, 1967, p. 28-36, Benichou, Paul, Creación poética en el romancero tradicional (Biblioteca románica hispánica II. Estudios y ensayos, 108), Madrid, Gredos, 1968, p. 125-127, et Catalán, Diego, Siete siglos de romancero (Historia y poesía) (Biblioteca románica hispánica II. Estudios y ensayos, 134), Madrid, Gredos, 1969, p. 137-145. Un autre vieux romance, composé cependant d’après les chroniques (cité d’après WOLF et Hofmann, op. cit., t. 1, p. 178 sq., n° 56), qui raconte également comment Bucar s’enfuit de la mêlée et est poursuivi par le Cid, ne contient rien de pareil non plus.
18 Les pensées émises par la suite visent à expliquer comment franchir la distance qui sépare le romance des témoignages antérieurs de la légende du Cid, distance ressentie vivement par Benichou, op. cit., p. 130-132, et qu’admet aussi Catalán, op. cit., p. 145, bien qu’en accord avec Menéndez Pidal, op. cit., t. 1, p. 229, il soit incliné à présumer que le romance s’est formé à partir de l’épisode correspondant dans une version tardive du Cantar de mío Cid par la seule force créatrice d’une tradition orale continuelle.
19 La variante dans la Floresta de Tortajada : « siete veces la rodea » est parfaitement identique avec la leçon du romance sur Gaiferos. Dans une époque plus récente, la tradition établit d’autres liens entre les deux textes. Dans quelques versions orales du romance du Cid, la demoiselle envisage de sauter par la fenêtre et de se laisser enlever par le Maure ; dans d’autres, c’est au contraire le Maure qui lui fait cette proposition. Voir à ce sujet Di Stefano, op. cit., p. 75, Benichou, op. cit., p. 150 sq., Catalan, op. cit., p. 188-190. Dans quelques versions du romance de Gaiferos recueillies dans la tradition moderne, c’est justement de cette façon que le couple commence sa fuite de Sansueña. Voir à ce sujet Heintze, Michael, « Bueve de Hantone et la tradition moderne du romance sur la libération de Melisenda », in Boutet, Dominique, Castellani, Marie-Madeleine, Ferrand, Françoise, Petit, Aimé (éd.), Plaist vos oïr bone cançon vallant ? Mélanges de langue el de littérature médiévales offerts à François Suard, 2 t., Lille, Université Charles de Gaulle, 1999, t. 1, p. 402. Dans les versions répandues parmi les Séfarades marocains, la fille du Cid est entourée par cent demoiselles de sa suite, quand de la fenêtre elle adresse la parole au roi maure ; cf. Catalán, op. cit., p. 173-176 (v. 40). Et dans la vieille version jongleresque et dans quelques versions orales modernes du romance de Gaiferos, Melisenda se trouve aussi en compagnie de plusieurs dames chrétiennes qui partagent son sort, quand son époux la voit debout à la fenêtre du palais.
20 Bucar prétend avoir de l’affection pour la fille du Cid depuis sept ans, tandis que la durée du service amoureux que Calaínos rend à Sebilla varie selon les véhicules de tradition : selon les deux versions du Cancionero de Nucio, il lui est dévoué depuis cinq ans ; dans la Tercera parte de la Silva de varios romances. Lleva la misma orden que las otras. Impressa en Çaragoça por Stevan G. de Nágera, 1551 (Rodríguez-Moñino, Antonio (éd.), Silva de romances (Zaragoza, 1550-1551). Ahora por vez primera reimpresa desde el siglo xvi en presencia de todas las ediciones. Estudio, bibliografía e índices, Zaragoza, Publicaciones de la Cátedra Zaragoza, 1970, p. 501-506) et dans la Floresta de Tortajada, par contre, sa passion pour la princesse dure également déjà depuis sept ans.
21 Il découle un parallèle additionnel de versions oralement transmises du romance du Cid avec celui de Calaínos. Comme preuve de son amour, la fille du Cid y demande un cadeau au roi maure, ou bien il lui en offre un, sans qu’elle ne l’ait sollicité. Dans un cas comme dans l’autre, elle refuse cependant le présent qui lui est offert. Voir à ce sujet Di Stefano, op. cit., p. 74, Benichou, op. cit., p. 152, Catalán, op. cit., p. 190 sq. La princesse Sebilla attend également de Calaínos qu’il lui fasse un cadeau, avant qu’elle ne daigne accepter sa demande en mariage, et elle refuse tous les pays et trésors, par lesquels il voudrait la satisfaire. Ce motif pourrait de prime abord avoir fait partie du romance du Cid et n’être tombé en oubli que dans les versions du siècle d’or que nous connaissons. Car dans la strophe 23 de la glose, dans le cadre de laquelle les pliegos sueltos nous transmettent le romance, le Maure offre à la fille du Cid la couronne de ses royaumes. Cette strophe pourrait paraphraser un ou plusieurs vers du romance qui eux-mêmes ne sont pas glosés, comme le suppose Catalán, op. cit., p. 209. Toutefois, dans la tradition moderne, le motif n’est pas lié aux cadeaux que le roi maure envisage de faire à sa bien-aimée, mais à la disposition de celle-ci de se laisser enlever par lui.
22 Par là, on comprend mieux pourquoi la demoiselle le met en garde contre le Cid. Catalán, op. cit., p. 214, lui aussi explique l’introduction de ce motif par la revalorisation dont le caractère du roi maure bénéficie au cours de la tradition. Aux temps modernes, l’avertissement est un trait propre aux versions chantées à l’ouest de la Péninsule Ibérique, dont le stade antérieur de la tradition est représenté, selon toute probabilité, par la version mise à profit par l’auteur dramatique anonyme. Voir à ce sujet Di Stefano, op. cit., p. 75 sq., Benichou, op. cit., p. 153 sq., Catalán, op. cit., p. 192 sq., 211 sq.
23 Voir à ce sujet Di Stefano, op. cit., p. 83, Catalan, op. cit., p. 198.
24 S’il est vrai que l’auteur dramatique ait supprimé ce passage du romance pour répondre aux besoins de la scène et qu’il ait donc à dessein utilisé incomplètement la version qui lui était familière, comme le pense aussi Catalán, op. cit., p. 212, n. 105bis, par contre, dans beaucoup de versions consignées à des dates plus récentes, le décalage au seul profit des parties dialoguées résulte d’un développement graduel qui caractérise la tradition orale du romancéro en général. Voir à ce sujet Benichou, op. cit., p. 136 sq., 139-142, Catalán, op. cit., p. 198 sq., 201, 213 sq.
25 Nous citons d’après l’édition de José J. Labrador Herraiz, Ralph A. Difranco, María T. Cacho, Cancionero de Pedro de Rojas (Colección cancioneros castellanos, 1), Cleveland, Cleveland State University, 1988, p. 30 sq., n° 19.
26 Le fait que le Cid blesse le Maure au dernier moment, porte à croire que le poète ne s’est pas seulement inspiré du vieux romance, où le fuyard n’est pas touché par la lance projetée derrière lui, mais qu’il a aussi recouru aux chroniques. En outre, il révèle la connaissance de celles-ci, quand il fait se sauver le Maure « en un batel » (l. 29) et non sur une « barca », comme le navire est appelé dans W./H. 55 (p. 177, 1. 24, 28). Voir à ce sujet Menéndez Pidal, op. cit., t.1, p. 227, Benichou, op. cit., p. 127, Catalán, op. cit., p. 142 sq. On ne peut néanmoins pas exclure l’existence d’une version du romance viejo où la lance du Cid ne manquait pas non plus son but, car la tradition moderne en connaît quelques-unes qui se terminent par la blessure de Búcar, sans avoir été influencées par les chroniques ; voir à ce sujet Catalán, op. cit., p. 205 sq. Que les versions orales récentes sont indépendantes des textes érudits, cela s’observe par exemple dans leur manière de désigner le bateau où Búcar se réfugie : à condition que les textes communiqués par Catalán, op. cit., p. 136 sq., 156-176, mentionnent en effet ce détail, ils l’appellent sans exception « barca » et s’accordent donc dans leur choix lexical avec W./H. 55.
27 Nous citons d’après l’édition de Wolf et Hofmann, op. cit., t. 1, p. 174 sq., n° 54.
28 La même inversion se retrouve dans presque toutes les versions puisées récemment dans la tradition orale ; voir à ce sujet Di Stefano, op. cit., p. 73, Benichou, op. cit., p. 135, n. 22, Catalán, op. cit., p. 186. Par principe, Catalán tient cette disposition pour plus logique. Pourtant, notre opinion selon laquelle le choix de celui qui ouvre la conversation, est avant tout décidé par le contenu des vers auxquels le dialogue fait suite, est bien corroborée par les versions modernes, en tant que parmi celles publiées par Catalán, op. cit., p. 136 sq., 156-176, la fille du Cid a le premier mot principalement dans celles qui ne notent pas expressément comment la demoiselle se montre à la fenêtre, après avoir obéi aux instructions de son père. De cet état des choses il découle que ce n’est vraisemblablement pas que l’auteur dramatique qui a inversé l’ordre des interlocuteurs, mais que c’était une particularité du fil de la tradition où il prenait la version pour sa pièce, que de donner la parole d’abord à la fille du Cid. Autrement il faudrait soutenir que presque l’ensemble de la tradition moderne était influencée par la version mise en scène dans le drame. Catalán, op. cit., p. 211 sq., a sans doute mis en évidence qu’à maints égards, celle-ci est plus proche des versions consignées aux xixe et xxe siècles que W./H. 55. Nonobstant, pour les raisons expliquées par Catalan, op. cit., p. 212, n. 105bis, contre Di Stefano, op. cit., p. 86, il est hautement improbable que ces traits communs soient dus à des modifications appliquées par l’auteur dramatique au moment d’insérer le romance dans la pièce, et que les innovations introduites par cette version aient influencé toutes les branches de la tradition, sans qu’aucune des versions modernes ne dérive entièrement d’elle.
29 Tandis que Catalán, op. cit., p. 181, quant à l’avilissement dont la fille du Cid est menacée, refuse de reconnaître la moindre différence entre les deux versions, Benichou, op. cit., p. 143, concède que la version insérée dans la pièce de théâtre atténue la brutalité impitoyable du Maure, mais il ne voit là-dedans qu’une variante esthétiquement inférieure, parce qu’elle est contraire à l’intention véritable, à son avis, d’augmenter l’offense. Selon nous, cette variante envisage tout le contraire. Car, si on lui impute de vouloir pousser à l’extrême la brutalité du Maure, cela contredirait la tendance incomplètement développée qu’observent Di Stefano, op. cit., p. 67,75, et Benichou, op. cit., p. 150-154, de réinterpréter la relation entre Búcar et la fille de son ennemi sous le jour d’un amour secret, ainsi que l’ennoblissement moral du roi maure que constate Catalán, op. cit., p. 214 ; cf. ci-dessus, n. 22.
30 Je tiens à remercier mon collègue Christophe Schaumburg d’avoir surveillé la rédaction de cet article.
Auteur
Université de Provence
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