Par la fenêtre du toit : l’union mystique à l’époux animal, à partir du lai de Yonec de Marie de France et de récits mythologiques celtes et japonais
p. 57-65
Texte intégral
1Cette expression de « fenêtre du toit » désigne une ouverture particulière. Une ouverture que l’on pourrait apparenter à ces majestueux vitraux positionnés en hauteur dans les églises pour laisser passer la lumière, sans que l’on puisse voir au travers. Une ouverture qui laisse entrer le divin, la créature divine, ne laissant sortir que les plaintes et les prières. Elle induit une forme de communication particulière entre deux mondes dont elle rend possible la superposition, temporairement.
Le basculement de l’espace : introduction de la verticalité
2Le lai de Yonec ne fait aucune allusion précise à une quelconque « fenêtre du toit », à peine savons-nous que l’autour est apparu « Par mi une estreite fenestre », autrement dit « dans l’embrasure d’une étroite fenêtre1 ».
3Pourtant, le motif transparaît en filigrane, tout d’abord à travers les détails de la séquestration de la mal-mariée. Notre dame était séquestrée dans une tour, dans une grande chambre pavée, gardée par sa belle-sœur car le vieux jaloux voulait son épouse pour lui seul.
4Le texte insiste : la dame est restée enfermée, sans jamais sortir de la tour pour voir qui que ce soit, ni même pour se rendre à la messe, durant sept ans. La tour signale l’étroitesse de l’espace, renforce l’idée de confinement, et place la chambre de la dame en hauteur. Elle se retrouve donc coupée physiquement du monde terrestre de par cette hauteur qui justement lui barre la route de l’évasion. Mais alors que cette ouverture ne lui permet pas de voir ses semblables, la fenêtre de la chambre perchée devient une voie aérienne, celle de la rêverie, par laquelle s’élèvent les aspirations du cœur meurtri.
5La dame entre, après une période hautement symbolique de sept ans, en communication avec une créature céleste, et cette créature, l’homme-oiseau vient à elle par les airs. Cette rencontre semble teintée de chamanisme car la dame adresse une incantation à Dieu qui a pour réponse la descente des cieux de la créature divine masculine.
6Ce point n’est pas sans évoquer la pratique de la réclusion qui connaît un succès conséquent à partir du xiie siècle, dans laquelle les reclus, en grande partie des femmes se font enfermer à perpétuité. Or on considère que la sanctification de ces femmes dans la pureté sexuelle peut libérer une étonnante volonté de puissance et que « de la fenestrelle du reclusoir ou du fond du monastère, la femme peut faire des miracles et des exorcismes, ce que l’Eglise normalement lui interdit2. »
7La puissance de l’invocation de la dame pourrait bien revêtir cet aspect de puissance et de communication particulière avec l’Autre Monde, celui des créatures divines. En poussant plus loin cette réflexion, il se pourrait que l’apparition de l’Ange Gabriel auprès de la Vierge s’apparente à cette scène, procède de la même tradition. Muldumarec, à l’instar de l’ange emprunte la voie des airs et la forme de l’oiseau pour annoncer à une jeune femme une naissance particulière.
8Plusieurs critiques ont relevé les incontestables sources mythiques de ce lai. Pour notre part, nous avons retenu la source celte du cycle légendaire de Conary Môr et en particulier deux passages.
9Le premier concerne les amours de Midir et d’Etain : Midir a gagné le roi Eochy aux échecs et demande comme récompense un baiser de Etain, l’épouse du roi. Le jour où Midir vient quérir sa récompense, Eochy fait entourer le Palais de gardes armés pour qu’ils empêchent Midir de rentrer. Les gardes échouent et Midir se saisit d’Etain. Le couple s’élève dans les airs et disparaît à travers « a roof-window in the palace », la fenêtre du toit du palais.
10Par la suite, Eochy part à la recherche de son épouse et trouve le tertre ou monticule qui abritait le royaume de Midir, il s’acharne alors à le détruire3. Il importe de retenir que Midir est une créature de l’Autre Monde.
11Le deuxième passage raconte comment Mesbuachalla a reçu la visite de son amant-oiseau. Cette jeune femme est la petite-fille d’Etain, abandonnée et recueillie par un père adoptif qui cacha la jeune fille dans une maison d’osier qui comportait seulement une ouverture, dans le toit. Un proche du roi Eterskel aperçoit la jeune fille de l’arbre sur lequel il était monté et en parle à son roi. Or ce roi attendait l’accomplissement d’une prophétie : un Druide lui avait annoncé qu’il aurait un fils d’une femme de race inconnue. Avant de quitter sa hutte, la jeune fille reçoit la visite d’un citoyen du Pays de la Jeunesse, un grand oiseau qui arriva par cette « roof-window ». Sur le sol de la hutte les plumes se répandent découvrant un beau jeune homme. Mesbuachalla donne son amour à ce dieu et avant son départ il lui annonce qu’elle sera l’épouse du roi mais qu’elle portera un fils de son amant féérique, qui devra s’appeler Conary et qui ne devra pas chasser les oiseaux c’est là son « geis ». Ce roi Conary Môr resplendit dans les légendes irlandaises comme le type suprême de la splendeur royale, du pouvoir, de la bienfaisance. Il venge aussi le Peuple de Dana de la dévastation de leur résidence sacrée par Eochy4.
12Marie de France s’est certainement largement inspirée de ces légendes lors de la composition de Yonec. Si son texte ne stipule pas « fenêtre du toit », il n’en demeure pas moins que l’homme-oiseau qui affirme avoir toujours aimé sa dame et l’avoir désirée ardemment et n’attendait que son appel pour accourir, l’a observée à son insu et par ce qui pourrait bien être une « ouverture du toit », du moins symboliquement. De même il est venu du ciel, en volant sous la forme d’un oiseau comme l’amant de Mesbuachalla.
13Le point intéressant est que si Muldumarec n’est pas blâmé pour avoir ainsi épié la dame à son insu, cette dernière le sera par contre pour s’être donnée en spectacle. Le rapport entre celui qui est vu par la fenêtre du toit et celui qui voit renverse les normes habituelles qui voudraient que la transgression se situe du côté de l’homme, à l’instar de ces scènes où il observe la femme oiseau au bain. Ici, au contraire, à partir du moment où elle se sait épiée, la dame se donne en spectacle, devient impudique, exhibitionniste ce qui cause la perte du couple, la mort de l’amant, la séparation.
14Le texte japonais est en regard intéressant. Il s’agit de la mythologie fondatrice retranscrite par les anciennes chroniques telles que le Kojiki, Recueil des choses anciennes, compilé en 712 et qui rapporte les événements des origines à 628 ; ainsi que le Nihongi ou Nihon-shoki, Chroniques du Japon, compilées en 720, relatant les événements des origines à 697.
15Pour résumer brièvement l’épisode qui nous intéresse5, le petit-fils de la déesse solaire Amaterasu s’est uni à la Princesse, la fille du roi-dragon, dont le palais se trouve sous la mer. Notre héros a pu retrouver sa belle, et s’unir à elle sous l’eau, mais la route sous-marine lui est par la suite barrée. Peu avant d’accoucher, la princesse rejoint son époux sur la rive et lui demande de lui faire construire une hutte pour qu’elle donne dignement naissance à leur enfant. Il se sert de plumes de cormoran pour construire cette hutte, mais l’heure de la délivrance arrive plus tôt que prévu, et le toit n’est pas terminé. La princesse se réfugie toutefois dans la hutte en interdisant à son époux de la regarder car elle va reprendre sa forme initiale pour accoucher. L’époux transgresse l’interdit et l’épie, à travers l’ouverture du toit, et s’aperçoit avec effroi qu’elle s’est transformée en crocodile, ou en monstre marin. De honte, la belle s’en retourne à jamais en son royaume abandonnant l’enfant à son père en lui recommandant d’en prendre soin puisqu’il est promis à un avenir exemplaire.
16L’on retrouve bien entendu le motif mélusinien. Cette mention du toit incomplet, qui va même donner son nom à l’enfant est significative [il est nommé : « Echelle du ciel-Echelle vaillante de la Plage – Cormoran – chaume – incomplètement6 »] : on peut penser que l’époux pour parvenir à cette ouverture s’est envolé, ce que confirme le détail concernant les plumes de cormoran.
17La fenêtre joue un rôle crucial dans l’organisation de l’espace : constituant une frontière entre un intérieur féminisé, espace confiné, limité, lieu de l’emprisonnement et de la protection, lieu de l’inaction, de l’attente. Et un extérieur masculin, un espace illimité, lieu de toutes les aventures et de tous les dangers, lieu de pérégrination, du mouvement. Avec cette mention de la fenêtre dans le toit, se rajouterait une nouvelle dimension, verticale cette fois, la verticalité permettant la juxtaposition de deux modalités d’existence, de traduire leur simultanéité.
18Le divin et le terrestre communiquent par la fenêtre du toit, l’homme-oiseau, peut communiquer avec notre monde. Cette verticalité pose également la question de la hiérarchisation des relations : la femme épiée est au-dessous, elle est ancrée dans la matière, dans son temps, le quotidien humain. Au-dessus, l’être féerique, divin observe. Dans une certaine mesure, la fenêtre du toit fonctionne comme un révélateur, un indice, de l’essence divine de la créature qui passe à travers.
19La juxtaposition des deux modalités d’existence est problématique, surtout pour les créatures du monde terrestre, car la femme se retrouve alors avec deux époux.
Polyandrie/enfant unique
20L’attitude de la dame dans le lai de Yonec est ambiguë : elle se doit de respecter l’union légitime et reconnue par la société qui la lie à un homme qu’elle n’a pas choisi et qu’elle n’aime pas. D’autre part, elle contracte une union mystique avec une créature divine, féerique qu’elle n’a pas choisie non plus, puisqu’elle lui était auparavant invisible, mais dont pourtant elle s’accommode bien mieux.
21L’homme-oiseau, il faut bien le dire, est paré de qualités plus enviables, il est beau, noble, il promet à la dame un amour exclusif et sans limite, ni temporelle, ni spatiale. De plus, il possède le don de la prédiction : soit qu’il devine ce qui va découler de sa visite à l’élue de son cœur, soit qu’il connaissait d’emblée les conséquences de la rencontre. Dans la plupart des récits de ce type d’ailleurs, il possède la dame, lui annonce qu’elle aura de lui un enfant dont elle devra prendre grand soin et qui est promis à un avenir brillant (fondation de dynastie ou de lignée...).
22La dame qui a ainsi été choisie par l’homme-oiseau pour cette union mystique a un enfant, un seul enfant, un unique enfant, un fils. Cet enfant ne résout pas la dualité entre ses deux pères, le père biologique divin et le père éducateur humain, mais la concentre.
23Dans les récits mythologiques traditionnels, une femme pourvue de deux maris, dont l’un d’essence divine, donne naissance à des jumeaux. Il s’agirait d’ailleurs d’une superstition dont rend compte le lai du Frêne. Il est fort intéressant de noter l’unicité qui souligne quelque part la supériorité du procréateur divin : la dame aura beau passer sa vie auprès de son époux humain, elle n’aura pas d’autre enfant, ce qui prouve que l’enfant ne peut être que de l’amant féerique.
24L’enfant du mythe japonais n’a qu’un seul père, il aura par contre deux mères. D’une part, sa mère dragonne qui lui donne le jour avant de disparaître à jamais. Toutefois, comme les rumeurs qui lui parviennent sur son fils sont flatteuses, elle ne peut se résoudre à l’abandonner et envoie sa jeune sœur le nourrir et l’élever. Il est donc fils unique, et nous ne pensons pas nous tromper en affirmant que ce cas de figure est extrêmement rare, voire justement unique : les autres récits présentent des naissances multiples systématiquement, avec une préférence pour le nombre huit (qui désigne l’indénombrable, le divin). Ce fils est bien entendu promis à un destin plus que particulier : il va ensuite épouser sa tante et avoir plusieurs enfants d’elle, dont le premier Empereur, le fondateur de la lignée impériale.
25La situation est donc inversée dans le récit nippon car l’être hybride est à première vue la femme ; or son époux pourrait bien être un homme-oiseau et le sens du regard à travers la fenêtre du toit prend une autre valeur : l’homme a vu sa femme accoucher. Dans le lai et les récits celtes que nous avons cités, l’on pourrait dire que le regard enfante, féconde une femme en mal d’amour. Sa part d’animalité se concentre alors dans sa seule féminité, et ces hommes-oiseaux révélent à la femme sa nature maternelle, qui correspond à l’animalité masculine. Pour illustrer cette accointance entre animalité et féminité, il suffit d’observer les métamorphoses de Muldumarec : il parvient auprès de la dame sous la forme d’un autour, puis se transforme en beau jeune homme. Pour apaiser les craintes de sa douce à son sujet, il lui propose de prendre son apparence et de recevoir le corps de Dieu : il se transforme donc en femme. Puis il reprend son apparence de chevalier et pour s’en aller redevient autour.
26Mais cette supériorité, cette suprématie de l’amant divin est temporaire et partielle car le mari humain malgré tout l’emporte dans la mesure où même s’il n’est pas le père biologique de son insigne rejeton, il l’élève, c’est lui qui vit auprès de la mère, de l’épouse. L’époux surnaturel est soit terrassé, tué, soit il se retire dans son monde : la fenêtre du toit est une voie de passage temporaire pour la créature de l’Autre Monde.
Nature de l’époux féerique
27Cet époux de l’Autre Monde, du Pays de la Jeunesse Eternelle revêt en fait un aspect inquiétant qui peut justifier pourquoi on le tient à l’écart et pourquoi il se tient lui-même à distance ensuite. Certes, il est beau.
28Un premier signe inquiétant est celui de sa métamorphose, de sa composante animale, et ses premiers propos consistent à rassurer la dame. Dans l’épisode du lai de Yonec auquel nous faisions à l’instant allusion, la dame redoute à la vue du prodige de l’autour, de sa métamorphose et de son arrivée par la fenêtre, qu’il ne s’agisse d’une incarnation diabolique.
La dame a merveille le tint ;
Li sans li remut e fremi,
Gant poür ot, sun chief covri7. (vers 116-118)
29Elle se rassure bien vite, malgré la contradiction entre christianisme, le fait que son amant reçoive le sacrement, et paganisme, le fait qu’il se soit pour ce faire métamorphosé. Toute à l’insouciance de son bonheur, elle ne cherche même pas à savoir d’où vient son amant et où il se rend lorsqu’il la quitte.
30Car l’animalité n’explique pas tout. Le récit celte situait le royaume de Midir dans un tertre, un monticule, un tumulus, à savoir un lieu aux connotations funéraires, qui rappelle les pratiques des sépultures des nobles.
31Cette idée transparaît dans Yonec à travers une insistance sur la présence obsessionnelle du sang répandu par l’infortuné amant. A neuf reprises le texte en fait état. Du sang sur les draps (à connotation initiatique, et évocatrice d’une défloration symbolique), puis une piste de sang que va suivre la dame à la suite de son amant blessé. Relevons dès à présent quelques détails significatifs sur cette fuite éperdue de Muldumarec : le piège, à savoir des broches en travers de la fenêtre, a été tendu par le mari de la dame. Or, il est étrange que ce dernier ne soit pas resté à l’affût, afin d’achever son rival. Par-dessus tout, l’homme-oiseau semble repartir sans rencontrer d’obstacle majeur : il repart par la fenêtre, or les broches n’y sont plus. A sa suite, la dame se jette par la fenêtre, et malgré la hauteur ne se tue pas.
32De plus, le royaume de Muldumarec se situe à l’intérieur d’un tertre, la dame traverse à sa suite une cité qui présente les indices matériels d’une intense activité (de multiples bateaux) sans pourtant croiser âme qui vive. Elle traversera plusieurs chambres avant de parvenir à celle de Muldumarec, dans lesquelles dorment des chevaliers. Des cierges y brûlent jour et nuit. Cet étrange royaume présente d’indéniables parentés avec celui de Midir et de la tradition celtique, séjour des dieux de l’Autre Monde, des morts et des revenants.
33Nos hommes-oiseaux se comportent donc comme des revenants. Leur séjour dans le monde des hommes ne peut pas s’éterniser, il ne peut s’effectuer qu’à certains moments-clés, en-dehors desquels la fenêtre se hérisse de broches pour les détruire.
34Pour le mari officiel de la dame, il ne s’agit pas seulement de se débarrasser d’un rival, mais aussi d’empêcher le revenant d’effectuer des allées et venues à sa guise. Il s’agit donc de lui obstruer l’accès : la fenêtre du toit.
35Dans une certaine mesure, le texte japonais ne déroge pas à cette logique à savoir que, d’une part la princesse-dragonne s’en retourne dans son royaume marin définitivement ; et que d’autre part, les mythes japonais désignent la mer comme « le lieu de contact entre ce monde et l’au-delà, cet au-delà que semble fermer les rochers de la grève8. »
36Gérard Martzel qui a analysé les fêtes japonaises traditionnelles nous rappelle que certaines divinités étaient censées à certains moments de l’année, entreprendre un long voyage qui, à partir d’un pays lointain et merveilleux, leur avait fait traverser les mers. Ce pays lointain est le pays de tokoyo ; toko signifiant « qui ne change pas » et yo « le monde » ; c’est donc l’anti-monde de l’éphémère devenu, par la suite, le monde de l’abondance et de la jeunesse inépuisable9.
37Cette mention commune aux traditions que nous venons d’évoquer, à un pays de la jeunesse éternelle nous renseigne sur l’aspect régénérateur et fécondant des revenants qui en procèdent, et qui se manifestent selon une certaine périodicité. Le paradoxe n’est qu’apparent, à savoir que les créatures de l’Autre Monde, les revenants, ne revêtent d’aspect diaboliques ou infernaux qu’en vertu d’un effort de rationalisation chrétienne ultérieure à leur apparition dans une mythologie païenne. De même au Japon, le Bouddhisme fera des visiteurs divins des créatures inquiétantes, faisant fi de leur aspect régénérateur.
38L’enfant permet à l’être surnaturel de s’incarner dans le monde humain. Par le truchement de cette descendance l’homme-oiseau retrouve une certaine dignité, puisque le fils fonde une lignée ou plus simplement est amené à régner. Le nom de l’enfant japonais est à ce titre hautement symbolique : il est l’échelle qui permet à son père de s’élever.
39La fenêtre du toit constitue donc le premier révélateur du caractère divin de l’homme-oiseau qui va et vient au travers : un être ordinaire n’aurait pu voir la belle séquestrée, ni s’immiscer auprès d’elle. Alors que cette voie voue l’amant à la clandestinité, elle révèle également son altérité extrême, sa composante animale.
40La fenêtre du toit est une ouverture provisoire entre les deux mondes que la créature divine ne peut traverser à sa guise, ni sans subir de modifications. La créature vient du ciel, du Pays de la Jeunesse Eternelle, de fait localisée dans un tertre, régénère la société, fonde une dynastie et s’en retourne. L’ouverture entre les deux mondes doit être temporaire sous peine de mettre en danger l’enfant, censé être le fils du mari de la mère. Ce danger est latent et s’exprime avec violence à l’encontre du géniteur divin.
41Le sort de Muldumarec est sur ce point exemplaire, puisqu’il termine embroché comme une volaille. Par ailleurs, avant de pouvoir régner, Yonec doit décapiter (rituellement) le mari de sa mère, il n’aura pas accompli son destin avant que ne soit perpétrée cette vengeance qui le met hors de danger (une vengeance bien injuste si l’on considère que l’infortuné beau-père ne se souvenait de rien). Midir voit son royaume dévasté et la tradition nippone comprend des récits d’amants blessés et des versions de l’épisode que nous avons cité où la mère, plutôt que de dépêcher sa sœur pour nourrir l’enfant, se mutile, en s’arrachant les yeux et les laissant en pâture au nourrisson. La consécration du fils est alors double : divine par son géniteur dissimulé, sociale par le père éducateur, qui lui conférera une légitimité, une reconnaissance que la mère seule n’aurait pu assurée.
Bibliographie
NOTES BIBLIOGRAPHIQUES
Concernant les ouvrages de référence qui ont constitué le corpus de cette réflexion :
— Marie de France, Lais, édition bilingue de Philippe Walter, Paris, Gallimard, « Folio Classique », 2000.
— Nihongi, Chronicles of Japan from the Earliest Times to A.D. 697, Translated from the original Chinese and Japanese by William George Aston, Rutland, Vermont and Tokyo, Charles E. Tuttle Company, 1998, « The Age of the Gods », II.44, 45.
— Kojiki, Translated with an Introduction and Notes by Donald L. Philippi, University of Tokyo Press, Tokyo, 1968, Book One, Chapter 45.
— T. W. Rolleston, Celtic Myths and Legends, London, Senate, 1997, Chapter IV, « The Early Milesian Kings », « Legend-cycle of Conary Mōr », p. 155 à 177.
Notes de bas de page
1 Marie de France, Lais, Yonec, v. 107, p. 228.
2 Sous la direction de Georges Duby et de Michelle Perrot, Histoire des Femmes en Occident, vol. 2, Christiane Klapisch-Zuber, Le Moyen âge, Paris, Plon, 1991, 2e partie : « Les femmes dans les stratégies familiales et sociales », chap. 7, Paulette L’hermite-Leclercq, « L’ordre féodal, xie-xiie siècles », p. 257.
3 T. W. Rolleston, Celtic Myths and Legends, London, Senate, 1997, p. 162.
4 Ibid, p. 166.
5 Nihongi, Chronicles of Japan from the Earliest Times to A.D. 697, « The Age of the Gods », II.44, 45, p. 103-104.
Kojiki, Translated with an Introduction and Notes by Donald L. Philippi, University of Tokyo Press, Tokyo, 1968, Book One, chapter 45, p. 156-158.
6 Kojiki, chapter 45, note n° 11, p. 157.
7 Marie de France, Lais, Yonec, p. 228.
Traduction : « La dame considéra cela comme un prodige. Son sang s’agita en elle et frémit. Elle eut grand-peur et se couvrit le visage. »
8 François Macé, La Mort et les funérailles dans le Japon ancien, Paris, pof, coll. « Bibliothèque japonaise », 1986, p. 137.
9 Gérard Martzel, Le Dieu masqué, Fêtes et Théâtre au Japon, Paris, pof, coll. « Bibliothèque japonaise », 1982, p. 32.
Auteur
Université Stendhal – Grenoble III
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