Avant-propos
p. 7-8
Texte intégral
1La fenêtre, d’où le regard glisse vers un paysage ou vers autrui, par laquelle entre où sort la lumière du soleil ou des cierges, lieu vertical croisant et délimitant l’espace horizontal du spectateur, lieu élevé, lieu d’échange, de passage, d’envol ou de chute, la fenêtre mérite qu’on s’y attarde et qu’on l’observe dans la réalité de la vie, dans les jeux de l’imagination et les cheminements de la pensée, dans la peinture et la littérature médiévales. Les auteurs des trente-quatre contributions données au 27e colloque du CUER MA, qui s’est tenu à Aix-en-Provence les 21, 22 et 23 février 2002, et qu’on lira dans ce recueil nous offrent ce plaisir.
2Aller à la fenêtre, que ce soit de l’intérieur d’un espace clos vers l’extérieur, ou en sens inverse, se poster à son embrasure, c’est déjà franchir une frontière, étrange cependant puisqu’elle est faite d’air, comme inexistante, lorsqu’elle est ouverte, traversée par la lumière aussi lorsqu’elle est fermée par un treillis ou un verre dormant, coloré ou non. Fermée ou ouverte, elle est dessinée par son cadre et ses croisées. C’est dire sa faiblesse dans la béance d’un mur.
3Les textes juridiques montrent qu’elle est un lieu de l’ambiguïté. Le mauvais œil y exerce-t-il ses pouvoirs ? A partir d’elle naît et se répand la rumeur. En temps de peste, il faut apprendre à la fermer aux vents mauvais ou à l’ouvrir à l’air vivifiant.
4Ces réalités et ces pratiques alimentent l’imaginaire. A la fenestrelle du reclusoir guette le Malin comme aux fenêtres du corps. Mais le Bien triomphe, que le miracle survienne et restitue au reclus son appartenance au sacré ou qu’il offre aux vierges martyres l’accès à Dieu. Au delà de la fenêtre-cadre se dessine le Paradis, se présente la voie du Salut ; par le vitrail se dispense un enseignement.
5Dans la littérature épique et romanesque, l’espace de la fenêtre devient un motif riche de « possibles » narratifs et descriptifs. Le spectateur y observe des combats ou les prévoit, y attend l’aventure chevaleresque ou y découvre l’amour de la dame. Une « reverdie » s’y chante souvent, présidant à l’enamourement. Il arrive aussi qu’on y trouve la mort : Didon regarde partir Eneas, le félon Godoïne y reçoit la flèche mortelle de Tristan. Béroul laisserait-il donc aux amants le loisir de s’aimer ? L’auteur de l’Eneas abandonne Didon à son bûcher pour célébrer à la fenêtre le jeune amour de Lavine, plein de promesses. Les valeurs symboliques de la fenêtre relèvent alors d’une vision optimiste de l’aventure humaine. Toutefois, comme dans la littérature du Graal, on ne voit par l’embrasure d’une fenêtre que par ses yeux de chair et ne s’y célèbre que la beauté du « semblant » et le désir qu’elle suscite. Il n’est plus besoin de fenêtre pour dire la visibilité de Dieu et le désir qu’il inspire.
6Le motif de la vue par la fenêtre engendre de multiples variations textuelles. Les personnages, placés dans cet espace de l’« entre-deux », rentrent en eux-mêmes, se livrent à des monologues qui les ramènent vers les profondeurs de leur mémoire ou les font basculer vers l’abîme de leur avenir. Cette exploration devient emblématique d’un point de vue de l’auteur sur le mélange des genres épique, romanesque et lyrique. Elle témoigne d’une littérature qui réfléchit sur ses moyens. Elle donne le temps et le lieu de voir une œuvre en train de se construire. La fenêtre se fait ainsi ouverture sur le récit ; elle en révèle la cohérence et le sens.
7A la fenêtre on voit d’étonnants paysages : y naît le désir d’un ailleurs, hors de soi ou en soi, d’un Autre monde ou de l’Au-delà, celui parfois d’un autrefois à s’approprier ou à retrouver, le désir d’un autre ou d’autre chose qui nous rendra à nous-même, à notre façon de vivre et de traduire en images ou en mots notre mode d’existence, celui aussi dont nous rêvons, celui que nous tentons de construire avec notre sensibilité et notre réflexion.
8C. C.-B.
Le texte seul est utilisable sous licence Licence OpenEdition Books. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.
Fantasmagories du Moyen Âge
Entre médiéval et moyen-âgeux
Élodie Burle-Errecade et Valérie Naudet (dir.)
2010
Par la fenestre
Études de littérature et de civilisation médiévales
Chantal Connochie-Bourgne (dir.)
2003