Conclusion
p. 161-162
Texte intégral
1L"'histoire" de Floire et Blancheflor comme la "légende" de Tristan et Yseut est un canevas narratif qui donne la trame d'une écriture sans cesse renouvelée. C'est dans cette écriture que le "conte" puise son originalité et par elle qu'il prend sa signification.
2L'auteur du manuscrit A inscrit l'histoire de ces amours naïves et contrariées dans une temporalité et une historicité devenues légendaires : celle de Charlemagne. Alors que l'univers romanesque contemporain a pour contexte narratif l'antiquité ou la cour d'Arthur, l'auteur du conte s'écarte de ces modèles et trouve ainsi une originalité encore confortée par la destinée providentielle assignée à ces amours enfantines, faussement ingénues. A la fiction de la royauté arthurienne régnant sur un monde figé, a-temporel et stérile correspond ici le mythe d'une souveraineté en devenir, inscrite dans la durée, et féconde. A l'idéalisation d'un amour de cour et de chevalerie répond l'affirmation d'un amour puéril prédestiné à assurer le triomphe de la vrai foi et à engendrer un lignage illustre. Histoire de dames et histoire de rois ; de la gémellité mythique à l'androgynie primordiale, un destin de mères, de femme en femme ; d'un jeune lettré empreint de clergie à un souverain tout-puissant pour un empereur d'Occident.
3Cependant le conte n'est ni un roman de "geste", ni un roman de chevalerie. Exploits, aventures, fééries ne sont pas les constituants de l'histoire, ils sont l'histoire elle-même quand elle se dit et quand elle s'écrit. Naissance mythique pour un destin de roi aux manières de clerc ; amour de "noreture" aux jeux subtils et libertins pour une enfant. Femme, plus sainte que fée ; trompettes du verbe contre un autre Jéricho, merveilles de l'Orient à soumettre pacifiquement au nom d'autres merveilles, celles de l'amour et du pouvoir, pour la conquête de la femme et de la terre promises.
4La parole se dit par l'image. Arbre d'amour planté au cœur de Floire comme un nouvel arbre de Jessé ; faux-tombeau célébrant le triomphe de la vie et de l'amour ; verger royal, lieu du pouvoir, entre parasidus et locus amoenus ; colonne aulique, axe du monde, pilier phallique, érigé au centre de la forteresse imprenable à la tour abolie par une corbeille d'étranges fleurs ; descriptions qui sont autant de gloses, écriture de symboles, écriture et symboles.
5La parole se dit et se redit en jeux d'échos et de miroirs qui nous donnent à entendre le conte, comme autant de voix plurielles, en un kaléidoscope d'interprétations. Bouquet d'artifices polysémiques au service d'une écriture qui se cherche dans une floraison de formes.
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