Senefiances
p. 71-128
Texte intégral
LA ROSE : Des amours enfantines aux amours triomphantes
1Floire et Blancheflor est d'abord une histoire d'amour. Histoire d'amours enfantines contrariées qui, au terme d'une quête, se transforment en un amour triomphant et sensuel avant de devenir l'amour fondateur que nous annonce le prologue.
2"L'Art d'aimer au jardin". Ainsi pourrions-nous résumer l'éducation sentimentale de Floire et de Blancheflor. Les deux enfants sont élevés ensemble ; s'ils n'ont pas la même nourrice c'est que la mère de Blancheflor n'ayant pas renié sa religion elle ne peut allaiter Floire :
Une paiienne l'alaitoit,
Car lor lois l'autre refusoit.
(v. 183-184).
3mais c'est aussi parce que, frère et sœur de lait, leur mariage aurait été considéré comme incestueux après le baptême de Floire1. Cependant, ils dorment, mangent et boivent ensemble nous dit le texte :
Ensamble en un lit les couçoit,
Andeus paissoit et abevroit.
(v. 195-196).
4Lorsqu'est venu, dès l'âge de cinq ans, le temps des études, ils étudient de conserve ; Floire ne supporte pas d'être séparé de Blancheflor :
Li rois commande son enfant
Qu'il aprenge, et cil en plourant
Li respont : "Sire, que fera
Blanceflors ?
Et dont n'aprendra ?
Sans li ne puis jou pas aprendre
Ne ne saroie lechon rendre."
Li rois respont : "Por vostre amor
Ferai aprendre Blanceflor."
(v. 209-216).
5et ainsi s'esquisse l'idée d'une égalité du garçon et de la fille vis-à-vis des études, égalité aussi du jeune prince et de la fille de l'esclave dans et par le savoir.
6Cependant s'ils apprennent avec assiduité et joie c'est que "Cascuns d'aus.II. tant aprendoit/pour l'autre (...)."2 et bientôt leurs lectures vont se mettre au service de leur amour et vont contribuer à le transformer :
Livres lisoient paienors
U ooient parler d'amors.
En çou forment se delitoient,
Es engiens d'amor qu'il trovoient.
Cius lires les fist molt haster
En autre sens d'aus entramer
Que de l'amor de noureture
Qui lor avoit esté a cure.
Ensamle lisent et aprendent,
A la joie d'amor entendent.
(v. 231-240).
7Cette peinture de la naissance d'un amour charnel et sensuel s'éloigne doublement de la peinture habituelle des prémices amoureuses dans les romans contemporains. D'une part, dans ces romans, l'amour ne naît pas entre deux enfants, d'autre part l'amour y est peint comme une maladie que seul le commerce charnel peut guérir3. Ici rien de tel : s'il y a prédestination, elle n'est pas placée sous le signe de la fatalité, mais sous celui de la joie et de l'innocence :
Ensamble vont, ensamble vienent,
Et lor joie d'amor maintienent.
(v. 241/a-242/b).
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Quant ont mangié, si s'en revont,
Molt grant joie par voie font.
(v. 255-256).
8Plus qu'un locus amoenus traditionnel, le verger du roi Félis apparaît comme une sorte d'Eden avant la chute :
Un vergier a li peres Floire
U plantee est li mandegloire,
Toutes les herbes et les flours
qui sont de diverses coulours.
Flouri i sont li arbrissel,
D'amors i cantent li oisel.
La vont li enfant deporter
Cascun matin et por disner.
(v. 243-250).
9Des fleurs, des arbrisseaux, des chants d'oiseaux suffisent à donner une tonalité idyllique à ce verger et le narrateur adapte le topos du locus amoenus à son propos ; une telle évocation donne un certain ton au récit qui, à ce moment de la narration, n'est que l'histoire charmante de vertes amours enfantines nourries de lectures et fruit de cette éducation toute cléricale. Ils s'écrivent des lettres d'amour, des poèmes et usent du latin comme d'une langue secrète ; de la langue savante des clercs, ils font la langue privilégiée de l'amour :
En seul.V. ans et.XV. dis
Furent andoi si bien apris
Que bien sorent parler latin
Et bien escrire en parkemin,
Et consillier oiant la gent
En latin, que nus nes entent.
(v. 267-272).
10Langage secret, signe d'une complicité privilégiée qui les rapproche encore.
11Floire rappelle cette connivence dans son planctus :
Bele, forment nos entramiens
Et en escrivant consilliens ;
L'uns a l'autre son bon disoit
En latin, nus ne Tentendoit.
(v. 747-750).
12Cet amour profondément marqué par l'influence de la littérature, de la clergie, se caractérise à la fois par la chasteté des enfants et par leur connaissance théorique des choses de l'amour.
13Il faudra la séparation et le choc de l'annonce de la mort de Blancheflor pour que Floire comprenne combien leur amour est essentiel à leur vie, combien il leur est, au sens propre de l'adjectif, vital.
14Cependant les enfants ne sont pas les seuls à comprendre la nature des tendres sentiments qui les unissent. Le père de Floire s'en inquiète et l'on sait avec quelles difficultés la mère du jeune homme parvient à sauver la vie de Blancheflor.
15La mère de Floire l'éloigne en prétextant la poursuite de ses études et espère qu'il rencontrera, à l'école de Montoire, une jeune fille qui lui fera oublier son amie. Ainsi, l'éducation de Floire apparaît comme un motif suffisant pour justifier son éloignement mais il s'agit de son éducation intellectuelle, jamais il n'est question de lui enseigner le métier des armes alors que par sa naissance Floire est un chevalier. De plus, l'école dont il est question est, de fait, ouverte aux jeunes filles :
Aprendre l'en maine Sebile
O les puceles de la vile,
Savoir se il l'oublieroit
Et en l'escole autre ameroit.
Mais nul oïr ne nul veoir
Ne li puet faire joie avoir.
Il ot assés, mais poi aprent,
Car grant doel a u il s'entent.
(v. 369-376).
16Clergie et "féminisme" semblent faire bon ménage.
17Mais on le sait, le stratagème imaginé par la femme du roi Félis échoue et Floire revient chez ses parents inquiet de ne pas voir Blancheflor le rejoindre. Là on lui apprend la (fausse) mort de son amie et pour conforter ses dires sa mère le conduit près du cénotaphe. Or, sur ce faux tombeau, les deux enfants sont représentés et cette effigie concrétise en quelque sorte l'amour qui les unit. Ainsi, paradoxalement et malgré leur opposition, les parents de Floire reconnaissent ostensiblement la force de l'amour qui unit leur fils à Blancheflor.
18Les deux statues qui les figurent s'animent sous l'effet du vent pour se manifester leur amour par des gestes tendres :
Quant li vens les enfans toucoit,
L'un baisoit l'autre et acoloit,
(v. 597-598).
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Tant com li vent les atoucoient
Et li enfant s'entrebaisoient,
Et quant il laissent le venter,
Dont se reposent de parler.
Tant doucement s'entresgardoient
Que c'ert avis que il rioient.
(v. 604 a-608).
19et par des paroles d'amour, souvenir de leur passé, ou par des déclarations qui prennent ici un caractère intemporel :
Si disoient par ingremance
Trestout lor bon et lor enfance.
Ce dist Flores a Blanceflor :
"Basiés moi, bele, par amor."
Blanceflor respont en baisant :
"Je vos aim plus que riens vivant."
(v. 599-604).
20Le chant des oiseaux qui nichent dans les arbres entourant le cénotaphe a des effets magiques sur tous ceux qui s'aiment :
Tel melodie demenoient
Li oisel qui illoec cantoient,
Se damoisiaux les escoutast
Ne pucele, por qu'ele amast,
De ces dous cans que il oïssent
D'amors si tres fort espresissent
Qu'il se courussent embracier,
L'uns l'autre doucement baisier.
(v. 635-642).
21Quant à l'inscription funéraire, elle proclame l'amour de Floire pour la défunte comme si c'était là la meilleure façon de caractériser Blancheflor :
Les letres de fin or estoient,
Et en lisant çou racontoient :
"Ci gist la bele Blanceflor,
A cui Flores ot grant amor."
(v. 663-666).
22Enfin, nous avons déjà vu comment se retrouve ici le motif des fleurs qui signifie la pérennité de la réunion des enfants.
23Ainsi le cénotaphe témoigne aux yeux de tous du caractère indéfectible de leur amour alors qu'il devrait être le signe irréfutable d'une séparation éternelle.
24De même, si les propos de la mère de Blancheflor sont ambigus, elle n'en lie pas moins la "mort" de sa fille à l'amour qu'elle éprouvait pour Floire :
Que si est morte Blanceflour,
Voire, sire, por vostre amor."
(v. 687-688).
25En fait, la séparation, loin de détourner Floire de Blancheflor, lui fait prendre conscience de la force de son amour pour la jeune captive.
26Ce que comprend Floire c'est le caractère essentiel de son attachement pour Blancheflor et à partir de cet instant va revenir comme un leitmotiv l'expression de sa volonté de mourir s'il doit être séparé de son amie. Déjà, à Montoire, ne voyant pas arriver Blancheflor, il avait refusé de s'alimenter et le sénéchal de son père dû avertir ses parents ; revenu chez lui, l'annonce de la mort de Blancheflor a pour seul effet d'exacerber ce désir de se suicider. Il en appelle à la Mort dès qu'il connaît la nouvelle :
"La mors, fait il, por coi m'oublie,
Quant perdu ai ensi m'aimie ?
(v. 703-704).
27De même, lors du planctus, Floire invective la mort et proclame son désir de ne pas se soumettre à ses volontés ; elle peut être "contralieuse", il saura la faire céder : ce discours par sa violence est assez neuf et renouvelle le topos de l'adresse à l'allégorie de la Mort. Tous les verbes sont au présent ou au futur et l'emploi de ces temps souligne la détermination de Floire :
Quant tu m'amie me tolis
Qui vivre voloit, tort feïs ;
Or refais tort, quant voel morir
Et jou t'apel, ne veus venir.
Mors, tu me fuis, jou te sivrai ;
Se te repons, jou te querrai :
Par Diu, qui de cuer veut morir,
Ne li pués pas longes guencir.
(v. 769-776)
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Par foi, mais ne te proierai,
Ains qu'il soit vespres m'ocirrai.
Des or mais haie jou ceste vie
Quant j'ai perdu ma douce amie.
(v.781-784)
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Molt hastivement le sivrai
Et au plus tost, com ains porrai.
Ele m'ara proçainement
En Cam Flori u el matent."
(v. 789-792)
28De fait, suivent deux tentatives de suicide, du moins dans le manuscrit A, puisque le manuscrit B ignore le jeu de Barbarin et la tentative de suicide dans la fosse aux lions. Cette longue addition de A (205 vers) s'ouvre sur le récit d'une fête profane au cours de laquelle se met en place une opposition que nous allons retrouver lors du récit des étapes du voyage de Floire : la joie des convives et la douleur du jeune homme qui ne peut partager l'allégresse générale parce qu'il pense à Blancheflor.
A grant mervele lor plaisoit.
Flores nul point ni entendoit.
Trestout mainent joie et baudor.
Flores ne puet ; por Blanceflor
Le ju ne pooit esgarder.
Hors du palais s'en va ester.
(v. 873-878).
29Lassé par cette fête Floire quitte la salle ; aussi n'est-il pas victime du dernier enchantement de Barbarin qui plonge tous les assistants dans un sommeil profond ; libre de ses mouvements, il va tenter de mettre à exécution ses projets suicidaires et se jette dans la fosse aux lions, mais les félins se prosternent devant lui et refusent de le dévorer. Cette scène rappelle aussi bien les légendes des martyres qui, comme Blandine, furent jetés, le plus souvent sans succès, aux fauves, que l'épisode biblique très frèquemment représenté dans l'iconographie romane et particulièrement dans la sculpture : Daniel jeté dans la fosse aux lions. Comme le dit J.L.LECLANCHE : "la scène de fête profane accentue le caractère dramatique de l'épisode aux résonnances bibliques de la fosse aux lions ; aux enchantements "païens" de Barbarin répond le miracle qui sauve Floire d'une mort certaine ; aux terreurs vaines des "victimes" de Barbarin s'oppose l'assurance tranquille du "martyr" Floire devant un danger pourtant bien réel, mais qu'il a cherché, animé par la certitude de gagner un autre monde favorable aux amants"4. Et, de fait, le choix de cette tentative de suicide n'est pas sans rapport avec le thème de la conversion de Floire : il veut mourir pour Blancheflor, comme il se convertira "por Blanceflor s'amie". Cependant, les discours de Floire prêtent un peu à sourire : aussi bien sa prière pour obtenir de Dieu une faveur qui serait un péché mortel, que ses injonctions aux lions qui refusent, obstinément, de le tuer ; mais ce mélange des genres n'est pas rare dans les romans du xiie siècle et une certaine ironie ne nuit pas à la signification profonde du passage. Sauvé, il ne songe qu'à trouver un autre moyen pour mourir : un stylet fera l'affaire. Cependant cet objet n'est pas n'importe lequel :
Un grafe trait de son grafier,
D'argent estoit, molt l'avoit cier
Por Blanceflor qui li dona
Le darrain jor k'a lui parla,
Quant il en ala a Montoire.
(v. 999-1003).
30De plus, le choix de Floire rappelle qu'il est un jeune lettré avant d'être un chevalier. Il s'adresse à son stylet comme à une épée, mais le décalage n'en est que plus sensible : nous aurons l'occasion d'y revenir.
31Cependant, pour Floire, le suicide est moins l'expression du désespoir que celle de la volonté de retrouver, à tout prix, Blancheflor. C'est ainsi que ces manifestations de détresse se transforment en hymnes à l'amour.
32Le planctus est l'occasion d'évoquer les moments de bonheur qu'ils ont connus :
Nouri avons esté ensamble :
Bien deüssons, si com moi samble,
Ens en un jor issir de vie
Se la mors fust a droit partie.
(v. 721-724).
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Bele, forment nos entramiens
Et en escrivant consilliens ;
L'uns a l'autre son bon disoit
En latin, nus ne l'entendoit.
(v. 747-750).
33et d'exprimer son admiration pour la beauté de la jeune fille, une admiration teintée de sensualité :
Morte estes, precïeuse jeme !
Ja mais nen ert plus bele feme.
Bele, nus ne porroit descrire
Vostre biauté, ne bouce dire
(v. 729-732).
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Sa crigne, son cief, son visage,
Quel descriroit molt seroit sage.
Ha ! tenre face couloree,
Desor vos ne fu onques nee
qui portast si bien caasté,
S'aviés la forme de biauté.
(v. 735-740).
34Quant à l'évocation finale, outre son originalité que nous avons déjà relevée, elle s'apparente à une sorte de chant célébrant l'amour et la joie d'une réunion éternelle :
M'ame le m'amie sivra,
En Camp Flori le trovera
U el keut encontre moi flors,
Car molt se fie en nos amours. Molt hastivement le sivrai
Et au plus tost, com ains porrai.
Ele m'ara proçainement
En Camp Flori u el matent."
(v. 785-792).
35Le ton de la plainte se fait ici celui du lyrisme amoureux.
36De même, alors qu'il a quitté la fête donnée pour le distraire, il se prend à se souvenir de Blancheflor :
S'amie ne puet oublier,
En son cuer prent a porpenser
Com el disoit : "Dous amis Floire,
Aler en devés a Montoire."
Çou raconte Flores sovent,
Son cuer avoit triste et dolent,
Sovent le veïssiés pasmer,
Quant revient durement crier :
"Amie bele Blanceflor,
Por vos morra a grant dolor Flores !" (...)
(v. 893-903).
37Puis il termine sa prière en demandant à Dieu de lui permettre de retrouver son amie :
Moi et m'amie Blanceflor
Metés ensanle en Camp Flori,
Biax sire Diex, je vos en pri."
(v. 930-932).
38Ainsi ces lamentations sont autant, voire plus, l'expression des sentiments indéfectibles de Floire pour son amie que celle d'une intense détresse.
39Dès qu'il apprend la vérité, il part à la recherche de Blancheflor. Au cours du voyage son amour s'exprime par ses pensées et par son attitude aux étapes. Il ne mange pas, ne boit pas et ne partage pas la joie de ses compagnons :
Cil se deduisent lïement,
Flores a Blanceflor entent,
Por le boin vin pas ne l'oublie,
Sans li ne prise rien sa vie.
Por li sovent s'entroublioit
Et parfondement souspiroit,
Et ne donoit garde a sa main
Se il prendoit u car u pain.
(v. 1273-1280).
40jusqu'à ce qu'il apprenne des nouvelles de son amie :
Flores une coupe d'or fin
A fait emplir de molt bon vin,
Tous liés a la dame le tent :
"Iceste, fait il, vos present
Por çou que m'avés dit novele
De Blanceflor la damoisele.
Por li est çou que jou pensoie
A cest mangier et souspiroie,
Et por içou que ne savoie
Quel part jou querre le devoie.
Or le sivrai en Babiloine,
Ne le lairai por nul essoine."
(v. 1325-1336).
41La scène se renouvelle deux fois :
A mangier ont molt ricement,
Si mangierent molt lïement.
Mais Flores molt petit manga
Por s'amie dont il pensa.
(v. 1449-1452).
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Li lons mangiers l'a bien grevé.
La dame l'a bien es gardé
K'en son corage a grant estrif.
Tristre le voit, morne et pensif ;
Aval la face clere et tendre
Voit les larmes del cuer descendre.
(v. 1707-1712).
42mais à chaque fois Floire reprend confiance et poursuit sa quête.
43Cependant, avant le dernier repas chez Daire, Floire doute un instant de la pertinence de son choix. Le narrateur exprime les pensées de Floire par une délibération intérieure qui est l'occasion d'un débat entre Savoir et Amors. Ainsi le monologue prend l'aspect d'un dialogue puisqu'une véritable discussion s'instaure entre ces deux voix intérieures, l'une hostile à son amour pour Blancheflor, l'autre favorable. La littérature médiévale ignore le monologue intérieur au sens moderne du terme c'est-à-dire en tant qu'expression spontanée des pensées d'un je qui se laisse aller sans souci de cohérence rationnelle. Dans les romans du xiie siècle, et même si cette forme d'expression concourt à la modernité et à la spécificité de l'écriture romanesque, le monologue intérieur n'est pas là pour explorer le "moi" dans une perspective psychologique ou psychanalytique ; il permet de faire le point sur les sentiments, sur la situation des personnages ; il peut aussi, comme c'est le cas ici, avoir un rôle délibératif : à l'issue de cet affrontement entre Savoir et Amors, Floire va choisir entre ses devoirs filiaux et féodaux et son amour pour Blancheflor puisqu'il ignore encore qu'ils ne sont pas incompatibles.
44Les trois premiers vers rapportent les propos de Savoir au style indirect puis Savoir apostrophe directement Floire "Tu... Flores... Fai Les arguments de Savoir sont ceux de la raison ; d'une part Savoir rappelle à Floire son lignage et ses obligations à l'égard de sa famille ; d'autre part, il insiste sur le fait que Floire est en pays étranger et que sa situation est périlleuse. Remarquons que le discours de Savoir est parfaitement construit puisque le rappel de sa famille et de ses devoirs encadre des arguments d'ordre plus pratique, évoqués pour inquiéter Floire. Cependant nous nous intéresserons davantage au discours tenu par Amors qui lui aussi s'adresse directement à Floire. Alors que Savoir s'exprimait surtout par des phrases affirmatives, Amors joue sur le pathétique et son discours est principalement composé de phrases interrogatives et de phrases exclamatives. En revanche, les arguments se répondent. A l'évocation du "lignage" répond le rappel du désespoir de Floire et de son désir de mourir lorsqu'il était "sans li... en (ta) terre". Certains vers se répondent terme à terme : Fai que sages, arriere va/Remain ci, que sage feras. Enfin, habilement, Amors évoque la possibilité d'une ruse qui permettra que les amants soient réunis. Aux propos défaitiste de Savoir répondent les paroles d'espoir d'Amors.
45De tels débats appartiennent à la rhétorique habituelle propre aux romans, que ce soit les romans "antiques" ou les romans "courtois" ; l'originalité, ici, réside dans le fait que la conclusion est retardée par l'arrivée de Daire et que c'est la contemplation de la coupe donnée pour prix de Blancheflor qui permet à Floire de trancher :
Flores a le coupe esgardee
Qui por Blanceflor fu donee,
Qui devant lui fu tote plaine
De plus cler vin que n'est fontaine :
Helaine i ert, comment Paris
Le tint par le main, ses amis.
El regarder qu'il fist l'ymage,
Amors ralume son corage,
Se li dist : "Or aies envie :
Ci en maine Paris s'amie.
(Ha ! Diex ! verrai jou ja le jor
K'ensi en maigne Blanceflor ?)
Diva, Floires ! aprés mangier
Te doit tes ostes consillier."
(v. 1693-1706).
46De fait, la décoration de la coupe préfigure l'histoire des amours de Floire et de Biancheflor. Sur le pourtour de la coupe, des scènes de la guerre de Troie sont peintes. Ce qui frappe, c'est l'ordre dans lequel ces scènes sont évoquées ; il n'a aucun rapport avec l'ordre chronologique puisque le narrateur parle d'abord du siège de Troie, puis de l'enlèvement d'Hélène, puis de l'embarquement d'Agamemnon à la tête de son armée. Est-ce volontaire ? Il est difficile de le dire. Toutefois, à l'évocation première du siège de Troie, répondent en écho le "siège" de Floire devant la tour de l'Emir et la ruse qui lui permettra d'y pénétrer. Pour ce qui est de l'enlèvement d'Hélène, le motif est traditionnel. D'une part, l'histoire, bien connue au xiie siècle, est souvent racontée ; d'autre part le couple Pâris-Hélène figure parmi les couples d'amoureux exemplaires. Aussi le choix de décrire longuement la représentation du "Jugement de Pâris" est-il peut-être plus significatif même si, de fait, c'est la contemplation de Pâris tenant Hélène par la main qui va convaincre Floire de donner raison à Amors.
47Le jugement de Pâris orne le couvercle de la coupe ; le récit qu'en fait l'auteur n'est pas original, mais il semble vouloir faire un rapprochement entre le choix de Pâris et celui du Floire. Junon offre à Pâris "plenté de grant avoir" et Pallas "prouesce et savoir", or il dédaigne l'une et l'autre comme Floire qui renonce aux richesses de son père et à ses études pour partir à la recherche de Blancheflor. Le choix de Pâris, comme celui de Floire, est l'amour. Il est à noter que dans ce passage "feme" rime avec "geme", or à plusieurs reprises Blancheflor sera comparée à une précieuse "geme"5.
48Quant à l'écrin de la coupe, il est surmonté d'une escarboucle qui rappelle celle qui brille au dessus de la statue représentant Floire sur le cénotaphe et annonce celle qui brille au sommet de la tour de l'Emir. Nous aurons occasion de revenir sur ces correspondances, mais dès à présent nous pouvons noter que cette escarboucle semble guider Floire dans sa quête et que celle qui luit au sommet de la tour de l'Emir, tout en représentant un danger pour le jeune homme, est aussi comme le signe de la présence de Blancheflor dans la tour aux Pucelles. Quant à l'oiseau qui tient entre ses pattes une pierre précieuse, il annonce par certaines de ses caractéristiques, l'oiseau automate placé sur le mur du jardin de l'Emir. Blancheflor n'est-elle pas retenue prisonnière par l'Emir, comme la "geme" entre les pattes de l'oiseau ?
49Ainsi la description de la décoration de la coupe joue dans l'histoire de l'amour de Floire et Blancheflor un rôle similaire à celui que joue la description de certains éléments du cénotaphe. C'est, là encore, le choix d'une écriture sur lequel nous aurons occasion de revenir ultérieurement.
50Au terme de sa quête, la résolution de Floire annonce le triomphe de l'amour.
51Lorsque Floire aura pénétré dans la tour aux Pucelles, les deux jeunes gens, après des aveux réciproques vont consommer un amour jusqu'alors resté chaste :
Et Blanceflor adont l'en maine
En la soie cambre demaine.
En un arvol d'une cortine
De soie u gisoit la meschine
Se sont assis priveement.
(v. 2451-2455).
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Aprés a l'uns l'autre conté
Confaitement il ont erré
Des icel jour qu'il departirent
Dusqu'a celui qu'il s'entrevirent.
Quince jors entiers iloec furent,
Ensanle mangierent et burent
Et orent joie a lor talent, Si se deduisent lïement.
(v. 2480-2486).
52Lorsque Gloris rappelle à Blancheflor ses devoirs à l'égard de l'Emir, elle lui répond à peine et, toute aux joies de l'amour, joue les belles endormies dans les bras de son ami :
El respont : "Alés, g'irai ja."
En dormillant li respondi,
Eneslepas se rendormi.
(v. 2528-2530).
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Atant ses amis le racole
Et ele lui, si fait que fole,
Et puis l'a baisié et il li.
En baisant se sont rendormi.
(v. 2551-2554).
53La peinture faite par le narrateur est toute empreinte de sensualité :
Ensanle dorment bouce a bouce,
Que l'une face a l'autre touce.
(v. 2555-2556).
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Li enfant doucement dormoient,
Estroit acolé se tenoient ;
Bouce a bouce ert cascuns dormans.
(v. 2625-2627).
54Et c'est alors que se trouve parachevée la ressemblance des deux enfants ; on se souvient que l'hôte de Floire à Baudas, comme le passeur de Montfélis ont noté la similitude de leurs gestes et de leurs attitudes ; de plus, la femme de Richier, dès la première étape du voyage de Floire a remarqué leur troublante ressemblance ; enfin, l'épouse de Daire les a pris pour des jumeaux. Ainsi, il y a une progression dans la notation de leur ressemblance et celle-ci va trouver son aboutissement dans la confusion qui est faite par le chambellan de l'Emir ; envoyé par son maître pour savoir ce que fait Blancheflor, il prend Floire pour une femme :
Por coi ne li fus il avis ?
K'a face n'a menton n'avoit
Barbe, ne grenons n'i paroit :
En la tor n'avoit damoisele
Qui de visage fust plus bele.
(v. 2584-2588).
55Alors, de l'idée de gémellité nous passons à celle d'angrogynie, comme si leur réunion finale participait d'une réunion primordiale et nécessaire6.
56Cependant lorsque le chambellan dit à son maître qu'il a vu Blancheflor couchée près de Gloris, l'Emir sait qu'il est trompé puisque Gloris est auprès de lui ; aussi va-t-il lui même surprendre les amants ; cependant, les vers 2585 à 2588 sont repris et l'Emir doit ordonner :
"Descoevre, fait il, les poitrines,
Au cambrelenc, des.II. mescines ;
Les mameles primes verrons
Et puis si les esvillerons."
(v. 2647-2650).
57pour que la vérité éclate. Fou de colère, il décide de les tuer sur le champ, mais sur les conseils de son sénéchal il accepte qu'ils soient jugés.
58Cette nouvelle épreuve va être l'occasion pour les deux enfants de se prouver la réciprocité de leur amour.
59En effet, lorsque l'Emir décide de les faire périr par le feu, Floire veut donner son anneau à Blancheflor qui refuse car elle préfère mourir avec son ami. Les deux jeunes gens s'affrontent dans un faux dialogue qui se réduit, en fait, à l'affirmation mutuelle de leur amour. L'un et l'autre se disent responsables de leur sort commun et expriment ainsi la réciprocité et la force de leur amour. Or leur conversation a été surprise par un des familiers de l'Emir qui a ramassé l'anneau lorsque Blancheflor l'a jeté loin d'elle. Au moment du verdict, il ira le leur redonner, mais leur attitude reste la même et elle attendrit l'Emir qui accepte de les entendre :
Li dus qui lor anel trova
Quant la pucelle le jeta,
Rendre lor va, molt fist que ber.
Onques nel vaut avant porter,
Tant forment pleure de pitié.
Envers le roi s'a aproismié.
Le dolousement qu'il oï
Li a isnelement jehi.
Li rois les ra fait apeler
Por çou quis veut oïr parler.
(v. 2935-2944).
60Cependant, lorsque leur juge leur demande de s'expliquer, ils renouvellent leur profession de foi amoureuse et disent à tour de rôle qu'ils veulent mourir pour sauver l'autre :
Par droit doit vivre et jou morir,
Sire, s'il vos vient a plaisir."
Flores li dist : "Nel creés mie !
Ocïés moi, laissiés m'amie !"
(v. 2969-2972).
61L'Emir reste inflexible et tire son épée nue pour les tuer ; alors chacun cherche à protéger l'autre :
Blanceflor saut, avant s'est mise,
Et Flores le reboute arriere :
"N'i morrés pas, fait il, premiere.
Hom sui, si ne doi pas soffrir
Que devant moi doiés morir."
Devant se met, le col estent.
Blanceflor par le main le prent :
"Grant tort avés !" Met soi avant,
Son col estent tot en plorant.
Cascuns voloit avant morir
Et l'anel ne pooit soffrir.
(v. 2978-2988).
62Tant de dévouement réciproque et d'abnégation touchent les barons rassemblés à l'occasion du procès et gagnent l'indulgence de l'Emir qui les grâcie à condition que Floire lui raconte leur histoire. Au terme du récit du jeune homme, l'Emir décide de célébrer leur mariage.
63A partir de ce moment, l'amour des jeunes gens est reconnu par tous et il va pouvoir assumer sa fonction d'amour fondateur de dynastie.
64En fait, comment le définir ? Quelle est son originalité par rapport aux peintures contemporaines de l'amour ?
65L'amour dépeint dans Floire et Blancheflor ne peut être comparé à celui qui est évoqué dans les romans antiques. Aimé PETIT dans sa thèse, Naissance du Roman, écrit, excluant le Roman de Thèbes : "Sous l'influence d'Ovide, l'amour, dans Enéas et Troie, qu'il soit finalement partagé ou non, fait souffrir ceux qui l'éprouvent. Il peut du reste les décevoir et un certain anti-féminisme se manifeste à cette occasion - et même, revêtant un caractère tragique, se révéler funeste et conduire à la mort"7. Or il n'en est rien dans Floire et Blancheflor où seule l'annonce de mort et la séparation engendrent le malheur et le désir de mourir. L'amour n'est pas lié nécessairement à la souffrance ou à la déchéance ; ce n'est pas un amour coupable et les héros ne subissent pas "le martyre d'amour".
66De même, l'amour qu'éprouvent Floire et Blancheflor diffère profondément du modèle proposé par la fin 'amors dont l'idéal est bien connu à la cour de Champagne tant par les troubadours que Marie devait fréquenter que par les chansons d'un trouvère tel que Grâce Brûlé qui écrit pour la comtesse de Champagne8.
67L'amour de Floire et Blancheflor n'est pas un amour sublimé où l'homme doit à la dame aimée un service qui se pense ou du moins se dit sur le modèle du service féodal. Loin d'être inaccessible par la distance, par son rang ou au nom de la morale, Blancheflor vit aux côtés de son ami, est de rang inférieur (ce qui crée l'obstacle) et n'est pas mariée. Jamais elle ne se montre rebelle et l'amour est immédiatement partagé entre les deux enfants. Enfin, pas de lauzengiers, ni de gardador, ni de gilos, alors que la vie dans la "tors as puceles" se prêtait à l'évocation de tels personnages. Certes, l'Emir se comporte en gilos, mais à cet instant même c'est Floire qui est, de fait, l'époux de Blancheflor. L'amour des deux enfants n'est pas vécu dans la tension du désir qui caractérise la fin amors, au contraire leur relation est empreinte d'une sorte de simplicité et de naturel.
68Lorsque la fin'amors devient, en langue d'oil, la "matière" d'un roman et que Marie de Champagne donne à Chrétien de Troyes le sens de son "livre", amour et prouesse sont intimement liés et le service d'amour requiert du chevalier des qualités de patience, d'humilité, de discrétion qui seules feront de lui un fin 'amant. Lancelot doit aimer la reine en silence, son obéissance est sans limite comme l'accomplissement parfait du service d'amour pour lequel il monte dans la charrette d'infamie ou accepte de se battre "au pis". Encore Lancelot sera-t-il cruellement puni d'avoir hésité avant de monter dans la fameuse charrette. Pour la reine, Lancelot accomplit des exploits surhumains que seule la pensée de sa "dame"et la perfection de son amour lui permettent de réussir9.
69Deux différences fondamentales se font donc jour entre l'amour tel qu'il est peint dans le Chevalier de la Charrette et Floire et Blancheflor ; il n'y a aucun lien entre amour et prouesse dans notre roman et l'amour des deux héros n'est pas un amour adultère. Peut-on alors rapprocher Floire et Blancheflor des romans dans lesquels Chrétien de Troyes peint des amours accomplies dans le mariage ?
70Il n'y a aucun point commun entre Floire et Yvain, ni entre Laudine et Blancheflor. Les enjeux du Chevalier au Lion et ceux de Floire et Blancheflor sont radicalement différents même si le héros, dans l'un et l'autre cas, atteint à la souveraineté par l'amour.
71L'histoire la plus proche serait sans doute celle des amours de Cligès et de Fénice dans la mesure où dans Cligès, Chrétien s'attache à la peinture de l'amour naissant. Cependant, cet amour se dit dans l'inquiétude, dans l'angoisse et l'analyse des sentiments donne lieu à une véritable casuistique sentimentale. Chrétien s'inspire d'Ovide et comme le dit Jean FRAPPIER "pousse le jeu métaphorique jusqu'à la préciosité"10 ; il multiplie les monologues dans lesquels l'analyse des effets de l'amour le dispute à un véritable jeu rhétorique. Rien de semblable dans Floire et Blancheflor puisque l'amour des enfants est donné comme inéluctable. S'ils lisent Ovide, ils ne s'en inspirent guère pour réfléchir sur leur amour ; en fait, ils ne pensent pas leur amour, ils le vivent et le disent.
72Une comparaison avec Erec et Enide fait apparaître un autre aspect de l'originalité de Floire et Blancheflor.
73On le sait Erec, marié avec Enide, devient "recreant". Devant les accusations portées par ses compagnons, il lui faut prouver qu'il n'y a pas d'opposition fondamentale entre amour conjugal et aventure, entre mariage et prouesse. Suit alors le récit des multiples aventures qu'Erec va affronter accompagné d'Enide et cela jusqu'à ce qu'il atteigne le sommet de la gloire chevaleresque. Alors, son père étant mort, il est, avec Enide, couronné à Nantes, le jour de la Nativité. Amour, mariage, couronnement, mais une différence fondamentale : pour parvenir à cet état de "joie", la nécessité de s'accomplir par des prouesses chevaleresques, nécessité inconnue de Floire.
74En fait, Floire et Blancheflor peint un amour dont la naissance est inscrite dans le destin des deux enfants. Il n'y a ni déclaration d'amour, ni interrogation sur la réciprocité de l'amour parce qu'il croît simultanément dans leurs cœurs. L'amour n'est ni souffrance ni maladie parce qu'il est partagé et qu'il met les enfants sur un plan d'égalité malgré la condition de Blancheflor ; Floire ne dit-il pas lors du planctues :
Onques feme de vostre eage
Ne vi plus bele ne plus sage,
De coi qui fuissiés de parage.
(v. 726-728).
75Mais l'amour heureux n'a pas d'histoire et il faut l'opposition des parents de Floire et l'éloignement de Blancheflor pour que le roman existe. Pourtant cette quête de la femme et donc de l'amour se fait dans la confiance : jamais Floire ne doute de l'amour de son amie et, malgré sa tristesse et l'hésitation qu'il manifeste arrivé à Babylone, jamais il ne semble douter de l'heureuse issue de son entreprise. Enfin et surtout, pas de combats pour sauver Blancheflor, pas d'aventures à mener contre quelques monstres, symboles du mal, ou contre quelques obstacles appartenant au monde de la merveille, pas d'exploits à accomplir. Amour et chevalerie ne sont pas liés : les prouesses de Floire sont d'un autre ordre et conduisent le narrateur à inventer, pour les raconter, une écriture nouvelle, une écriture qui innove. Avant d'étudier ce "vers novel" et de s'interroger sur la cohérence qu'il y a entre sen, matière et écriture dans notre roman, il est temps d'étudier ce que sont les épreuves surmontées par Floire.
LE LYS : du Locus amoenus au verger royal
76Dans Floire et Blancheflor, histoire d'amour et conquête du pouvoir sont intimement liées. En partant à la quête de Blancheflor, Floire part également en quête de la royauté. Cependant cette conquête ne se fait pas par les armes, en surmontant des épreuves ou en gagnant des batailles. Les seuls "combats" que Floire mènera seront celui qui va l'opposer au portier, sur un jeu d'échecs, et celui qui va l'opposer, directement, à l'Emir au moment de son procès. C'est par les descriptions des lieux et des objets que le narrateur suggère la progression de Floire vers l'accomplissement de son destin. Chaque description a une valeur signifiante dans la mesure où les architectures sont symboles d'épreuves et de puissance à vaincre, les objets, symboles des pouvoirs conquis par Floire.
I LES ASSAUTS MENES PAR FLOIRE
A. Un combat euphémisé : La partie d'échecs
77Lorsque Daire prend conscience que rien n'ébranlcra la détermination de Floire, il lui expose un plan qui lui permettra de s'allier le gardien de la tour ; il s'agit de le prendre au piège d'une parole inconsidérée afin qu'il trouve une ruse pour faire entrer Floire dans la tour aux Pucelles. Or le portier est cupide et aime jouer aux échecs ; Daire suggère donc à Floire d'attirer son attention par des paroles qui suggèreront qu'il est un homme riche, puis d'accepter de jouer aux échecs avec lui mais de lui remettre, en cas de victoire, son gain et la mise. Daire prévoit trois parties : la mise sera de plus en plus importante et surtout, lors de la dernière partie, Floire mettra sa coupe en jeu ; s'il gagne, il procédera comme précédemment à l'exclusion de la coupe qu'il refusera de donner. Le portier souhaitant vivement obtenir la coupe, emménera Floire chez lui, l'invitera à manger et lui proposera d'acheter la coupe, alors Floire la lui donnera ; plein de reconnaissance, le portier lui offrira son hommage ; Floire acceptera et, après seulement, lui découvrira la vérité : son désir de pénétrer dans la tour de l'Emir.
78Dès le lendemain, Floire exécute le plan proposé par Daire. Cependant le récit de l'exécution du plan est traité différemment dans les manuscrits A et B. Le manuscrit A abrège considérablement la narration et ne retient que certains points sur lesquels nous allons revenir alors que, dans le manuscrit B, nous lisons le récit détaillé de la rencontre de Floire et du portier, des trois parties d'échecs et de la réalisation du projet. B ne reprend pas terme à terme le discours de Daire et, comme le dit Jean-Luc LECLANCHE, "les différences sont courantes, mais savamment atténuées par des procédés de rappel (reprises de mots, de rimes), en sorte que les discordances soulignent le passage du virtuel (Daire parle) au réel (Floire agit), (...) Les procédés employés relèvent donc d'une recherche savante.
79L'effet esthétique produit est celui de l'écho - l'écho n'est jamais identique au bruit qui l'a provoqué - plutôt que celui de la répétition."11
80Ce sont les éléments dissymétriques qui vont nous intéresser. En effet, dans un premier temps, on pourrait penser que le discours de Daire est, plus que l'exposé d'un plan, une prédiction. Certes, Daire emploie des tournures conditionnelles et les verbes sont au futur mais ce qui frappe à une première lecture c'est la conformité qu'il y a entre ses prévisions et l'exécution du plan. Cependant, le récit fait dans le manuscrit B introduit des indications précieuses quant au rôle joué par Floire. Grâce à cette narration, il n'apparaît pas comme soumis à la volonté de Daire ; au contraire, il fait preuve d'initiative.
81La rencontre elle-même se fait comme Daire l'avait prévue, mais ensuite une conversation s'engage entre Floire et le portier et c'est Floire qui propose le montant de la mise :
Floires li dist qu'il joëroit
Se grand avoir en geu metoit :
"Qu'i metriez ? -.c. onces d'or.
(v. 2210-a-b-c).
82Dès la fin de la première partie et non après la deuxième comme l'avait pensé Daire, le portier prie Floire de revenir jouer :
Moult le pria du reperier
Joer au geu de l'eschequier.
(v. 2215-2216).
83(ces deux derniers vers sont communs aux manuscrits A et B).
84Comme prévu, à l'issue de la troisième partie Floire remet au portier la mise et son gain mais ne lui donne pas la coupe et, malgré la requête du portier, il refuse vivement de la jouer, or sa réponse est reproduite au style direct : "Non, ferai, voir ! (...)" (Là encore le vers est commun aux deux versions).
85Vient alors la scène chez le portier. Tout se déroule comme Daire l'avait dit jusqu'à ce que Floire prenne la parole et, par là, modifie la nature du pacte qui va être passé entre lui et son interlocuteur : il lui donne la coupe, mais sous réserve que le portier s'engage à lui rendre service s'il avait besoin de lui.
Quant Flores voit sa covoitise,
Es poins li a la coupe mise,
Et dist : "Pas ne la vos vendrai,
Mais par amor le vos donrai,
Por çou qu'il m'ert gerredonés
Se mon besoing ja mais veés."
(v. 2232 a-b - 2236).
86(seuls les deux premiers vers sont propres à la version B).
87Le portier accepte le marché et prête serment :
Cil prent la coupe et puis li jure
K'en lui servir metra sa cure.
(v. 2237-2238).
88(ces vers sont communs aux deux versions).
89Or Daire n'avait pas prévu que Floire exigerait une telle contrepartie ; il avait espéré que la joie du portier et sa reconnaissance le feraient immédiatement s'engager à servir Floire comme son seigneur.
Dont par ert il si deceüs
Et de vostre amor embeûs
Que de joie a vos piés karra
Et homage vos offerra.
Et vos en prendés bien l'omage
Et la fiance s'estes sage.
Lors vos tenra il a amor
Com li hom liges son signor.
(v. 2177-2184).
90En fait, le jeune homme prend l'initiative d'une précaution supplémentaire sous forme de don contraignant ; en effet, le portier ignore ce que Floire entend par : "Se mon besoing ja mais vées'.
91Sous l'effet de la joie, le portier va même au-delà de cette promesse et offre son "omage" à Floire :
De s'amor est tous embeüs
Et de l'avoir tous deceüs.
(v. 2239-2240).
-----------------------------------
As piés li ciet, offre s'oumage ;
Flores le prent, si fait que sage.
Cil fiance que par amor
Le servira comme signor,
De çou soit il seürs et fis
Que j'à n'en iert fais contredis.
(v. 2243-2248).
92Ces vers, communs aux deux versions, assurent cette fonction d'écho dont parlait J.L. LECLANCHE ; en effet, le serment du portier est rapporté au style indirect et donc le lecteur en connaît les termes exacts (v. 2245-2248) ; or, il ne laisse aucunement place au manquement à la parole donnée puisqu'il ne comporte aucune restriction ; au contraire, la rime "amor/signor", le redoublement "seiirs et fis", et la rime "fis/(ne) contredis" soulignent la solennité de l'engagement pris délibérément par le portier. Et, de fait, il faut faire une distinction entre le premier serment prononcé par le portier et le second : le premier est la conclusion d'un marché qui lui permet d'obtenir la coupe, le second est un acte gratuit et volontaire.
93Cependant, avant de conclure, deux vers retiendront notre attention :
Il l'en maine sans atargier
Esbanoier ens el vergier.
(v. 2241-2242).
94L'emploi de l'article défini le contracté dans el semble renvoyer à un verger connu, or le seul dont nous ayons entendu parler est celui de l'Emir. Le serment serait donc prêté dans le jardin de l'Emir. Dans ce cas, cette scène prendrait une signification particulière ; en effet, pour la première fois, quelqu'un reconnaît Floire comme son seigneur et cette reconnaissance aurait lieu dans un endroit qui, comme nous allons le voir, représente la toute puissance de l'Emir. Aussi, outre le fait que Floire est reconnu pour ce qu'il est, un grand seigneur, n'est-ce pas annoncer le succès de son entreprise et son triomphe final sur l'Emir jusqu'alors réputé invincible (qu'on se souvienne de la mise en garde de Daire aux vers 1763 à 1786) ? L'attitude du portier ne correspond plus à un simple geste de gratitude et, par son cadre, la scène prend une valeur symbolique.
95Ainsi la reprise du discours de Daire sous forme de récit n'est pas une simple répétition et nous avons pu constater que les moments les plus importants étaient communs aux deux versions ; elle permet, en effet, de faire avancer l'action dans la mesure où cette narration a valeur d'annonce et dans la mesure où nous sommes témoins de l'évolution intérieure de Floire matérialisée par le geste délibéré du portier qui reconnaît en lui un suzerain.
96Reste que Floire ne s'est pas comporté comme un chevalier et qu'il n'a pas obtenu cet hommage à l'issue d'un combat difficile et périlleux comme peuvent le faire les chevaliers épiques ou ceux d'Arthur dans les chansons de geste ou les romans contemporains.
97Floire a gagné la confiance du portier, car cet hommage n'est rien d'autre qu'une promesse de service et n'est donc pas contradictoire, dans l'esprit du portier, avec ses fonctions au service de l'Emir, par la parole et le jeu. Floire maîtrise le langage et, sans mentir, il a piégé son interlocuteur en parlant par omission puisqu'il savait, lui, ce que recouvrait l'expression "se mon besoing ja mais veés". Quant au combat, il s'est joué aux échecs.
98La littérature médiévale ne manque pas de textes dans lesquels une partie d'échecs est le moyen utilisé pour résoudre un problème délicat souvent d'ordre passionnel ou moral quand ce n'est pas les deux à la fois. Cependant il faut distinguer dans ces textes les cas où le jeu sert de révélateur et l'échiquier d'arme et les cas où, par l'intermédiaire des échecs, se jouent des enjeux disproportionnés à l'enjeu concret et avoué, la mise en argent, en monnaie sonnante et trébuchante. Nous trouvons des exemples dans un certain nombre d'épopées telles que Le Chevalerie Ogier, Parise la Duchesse, Les quatre fils Aymon, Huon de Bordeaux, Garin de Monglade. De même des chroniques nous racontent que l'issue de certains conflits armés qui semblaient ne jamais devoir cesser a été jouée aux échecs. Pierre JONIN cite un récit extrait de l'Histoire des Almoades, chronique arabe composée vers 1224, qui raconte comment Ibn'Ammär gagna ainsi une guerre sur Alphonse VI d'Espagne.12 En effet, le jeu d'échecs est d'abord un jeu oriental qui fut importé en Occident lors des croisades. Cependant, ce n'est certainement pas par souci de couleur locale que l'auteur de Floire et Blancheflor imagine cette solution pour résoudre le problème de Floire, du moins pas uniquement.
99Seul le manuscrit B raconte en détail les trois parties jouées par les adversaires. Comme nous l'avons vu, Floire a l'initiative de la mise, mais cet enjeu financier n'est là que pour appâter le portier et aiguiser son envie ; l'enjeu réel est infiniment plus important : il s'agit de tromper le portier afin qu'il devienne, malgré lui, un allié. Ainsi les mises de cent onces d'or, puis de deux cents, puis enfin de quatre cents ne sont que la représentation tangible du bien inestimable que joue Floire : retrouver Blancheflor. Pierre JONIN écrit : "il arrive aussi qu'on voie dans les échecs autre chose qu'un simple jeu et qu'on se fie assez à eux pour leur confier le soin de trouver la solution d'un problème. Dans ce cas, l'enjeu peut être moral, social ou politique et la partie d'échecs apparaît comme un moyen supérieur et quelque peu mystérieux de décision et d'arbitrage"13. C'est ce qui se passe ici. Le damier est le champ d'une bataille euphémisée qui oppose, bien réellement, Floire au gardien du pouvoir de l'Emir dont Daire disait d'abord :
De cel portier vos dirai voir :
Il a en lui molt grant savoir ;
Li rois l'aime molt de son cuer,
Mais s'il seùst çou a nul fuer
Que cil eüst vers lui boisié,
Ne l'eüst pas laiens laissié !
(v. 1923-1928)
100L'homme est habile aux échecs et le narrateur de la version B le souligne : "Cil joua mielz qui plus en sot"14 ; la victoire de Floire en est d'autant plus méritoire et, de plus, cette phrase semble indiquer que Floire ménage son adversaire et ne montre pas immédiatement sa force au jeu. Lorsqu'il gagne, le narrateur insiste sur le gain : "Ce fu Floires qui l'avoir ot",15 un gain qui va lui permettre de rejouer jusqu'à ce qu'il obtienne ce qu'il veut vraiment. Le récit de la seconde partie est fait en deux vers qui, cette fois, soulignent la rapidité de la victoire de Floire et donc son habileté au jeu :
Floires du gaaignier n'est lenz ;
tout gaaingna et tot li donne.
(v. 2216-e).
101cependant, de la même manière, le narrateur insiste sur le prix obtenu par la répétition de "gaaignier" et sur la duplicité de Floire qui joue, en fait, deux jeux à la fois ; il gagne les parties d'échecs et joue à "qui gagne perd" en donnant tous ses gains à son adversaire afin d'attiser son désir de recommencer. Cette partie là est un jeu subtil qui fait du portier la dupe de Floire.
102La dernière partie est racontée plus longuement et les deux derniers vers du récit sont communs aux deux versions :
Puis a assis chaucuns sa gent.
Li huissiers a sa gent assise
Et moult l'a bien en ordre mise.
Au roc em prent un grant tropel
(v. 2216- p-q-r- 2217).
103Les termes employés dans ce passage sont particulièrement intéressants puisqu'ils renvoient au vocabulaire militaire. Les mots "gent" et "tropel" désignent une troupe armée et derrière la disposition correcte des pièces du jeu se profile l'image de la mise en place des "échelles" avant une véritable bataille. C'est que les échecs sont effectivement pensés comme la représentation ludique d'un combat entre deux camps et que, distraction chevaleresque par excellence, ils permettent aux chevaliers de retrouver des situations analogues à celles de la guerre. Aussi la narration du coup qui permet à Floire de gagner a-t-elle une valeur symbolique certaine ; Floire prend la tour et :
Quant li huissier est perceüz,
Bien set que ses geuz est perduz ;
(v. 2219-2220).
104Quelques jours plus tard Floire "prendra la tour" en pénétrant dans la tour de l'Emir et cette violation de l'interdit menacera la puissance de l'Emir en mettant en cause son pouvoir sur les jeunes filles, signe de sa toute puissance, et le caractère imprenable de son domaine, raison pour laquelle il exigera de Floire le nom de ses complices et l'explication de la ruse.
105Si cette dernière partie est plus longuement décrite dans la version B et si la version A note le coup prometteur de Floire c'est que, cette fois, ce n'est pas seulement de l'argent qui est en cause mais la coupe. On le sait, Floire ne la donnera pas au portier et c'est pour l'avoir que celui-ci s'engagera à aider le jeune homme en cas de nécessité. En effet, la coupe n'est pas seulement un objet précieux, richement décoré de scènes qui, comme nous l'avons dit, préfigurent l'amour des deux enfants ; elle est aussi le prix de Blancheflor et dans cette mesure elle se substitue en quelque sorte à la jeune fille, aussi est-il nécessaire que Floire l'abandonne pour retrouver son amie. Donnée par les marchands au moment de la vente de la jeune esclave, la coupe est maintenant donnée par Floire pour "racheter" Blancheflor, c'est-à-dire pour aller la rejoindre. La coupe représente métaphoriquement Blancheflor, même si elle est aussi, comme nous le verrons, signe du pouvoir qui revient à Floire. En fait, ce pouvoir ne peut être accordé à Floire que par l'intercession de la jeune fille, raison pour laquelle, il faut qu'ils soient réunis pour que Floire puisse racheter au portier la coupe qu'il lui avait donnée.
106Nous reviendrons sur cette fonction royale de la coupe ; ce qui importe ici c'est que Floire ne livre pas un combat armé pour pénétrer dans la tour ; il ne tue pas le portier, il le bat par son intelligence et sa réflexion. De plus, jouer ainsi son avenir, c'est interroger le sort, pour ne pas dire le tenter. La part de hasard que comporte le jeu appartient au destin ou à Dieu. D'une certaine manière le fait que Floire gagne les trois parties d'échecs est un nouveau signe que son union avec Blancheflor est prédestinée : il doit réussir et pénétrer dans la tour.
B. Un ultime affrontement : Le procès
107Lorsque les deux amants sont découverts par l'Emir, son sénéchal obtient de lui qu'il les juge au lieu de les tuer immédiatement comme c'était son intention.
108L'Emir convoque ses barons et présente son réquisitoire, insistant sur le fait qu'il a acheté chèrement Blancheflor, qu'elle appartenait à son harem et qu'il lui réservait un sort privilégié puisqu'il voulait la prendre prochainement pour épouse.16 Or Floire, en la rejoignant, a, d'une part, bouleversé l'ordre qui régnait dans la "tour aux Pucelles" et donc compromis le pouvoir de l'Emir ; d'autre part il a porté atteinte à l'honneur du souverain.17
109La scène du conseil se déroule selon le schéma des scènes de conseil racontées dans les épopées. Deux barons prennent la parole pour avancer des arguments contradictioires et dans un premier temps c'est la thèse la plus catégorique qui l'emporte : il faut tuer immédiatement les coupables sans les entendre.
110Lorsque l'Emir décide de les faire périr par le feu, Floire veut donner son anneau à Blancheflor qui refuse leur conversation est alors surprise par un des familiers de l'Emir qui ramasse l'anneau lorsque Blancheflor le jette loin d'elle18.
111Les enfants sont ensuite conduits devant l'Emir pour être tués, et tous les spectateurs sont fascinés par leur beauté :
De lor biauté tot s'esbahirent
Quant u palais entrer les virent.
N'a si felon home en la cort
Qui de pitié por eus ne plort.
(v. 2913-2916).
112Tous sont attendris et voudraient demander leur grâce à l'Emir :
Quant li baron loier les virent,
De totes pars grant duel en firent ;
Par grant pitié et par douçor
Pleurent el palais li pluisor,
Et dient tot tant mal i furent
Quant sifaitement morir durent.
Se il peüssent et osaissent,
De grant avoir les racataissent.
(v. 2927-2934)
113C'est alors que le duc va leur rendre l'anneau magique, mais leur attitude reste la même, ils refusent à nouveau de le porter, et une telle constance attendrit l'Emir qui accepte de les entendre :
Li dus qui lor anal trova
Quant la pucele le jeta,
Rendre lor va, molt fist que ber.
Onques nel vaut avant porter,
Tant forment pleure de pitié.
Envers le roi s'a aproismié.
Le dolousement qu'il oï
Li a isnelement jehi.
Li rois les ra fait apeler
Por çou quis veut oïr parler.
(v. 2935-2944).
114Le roi se décide à interroger Floire sur son identité sans toutefois revenir sur sa décision. Alors, les deux jeunes gens s'offrent, en premier, à son épée nue :
Cascuns voloit avant morir
Et l'anel ne pooit soffrir.
(v. 2987-2988).
115Devant de telles manifestations de fidélité, les barons implorent la grâce de l'Emir qui accepte de l'accorder si Floire lui dit comment il a pénétré dans la tour. Car c'est bien là qu'est le danger : si Floire a pu s'introduire dans la tour aux Pucelles, d'autres le peuvent et le pouvoir de l'Emir est compromis. Or Floire refuse de parler s'il n'est pas certain que ses complices seront pardonnés et il faut l'intervention d'un "évêque" pour que l'Emir cède enfin :
Et quant li rois les a oï,
Nes vaut pas contredire tous,
Pardone lor, si fait que prous.
Tot li baron l'en mercïerent
Et de cel fait molt le loerent.
Moit s'en sont fait li enfant lié.
(v. 3076-3081).
116Alors Floire raconte son histoire à l'Emir devant l'assemblée des barons.
117Ce qui ressort de cette analyse c'est que jamais ni Floire ni Blancheflor ne plaident leur cause directement. C'est leur beauté qui, dans un premier temps, fléchit les spectateurs. Puis c'est leur dialogue qui attendrit le duc qui va, en leur remettant l'anneau, relancer le débat, rendant ainsi publique leur attitude et leur volonté de ne pas se sauver l'un sans l'autre. Lorsque l'Emir demande à Floire de se présenter, il insiste sur son impossibilité à vivre sans son amie et demande à être considéré comme le seul coupable ; à quoi Blancheflor répond qu'elle est seule responsable. Ce ne sont donc pas des plaidoiries, mais à nouveau l'affirmation de leur amour réciproque.19
118Ainsi Floire n'affronte pas l'Emir. Jamais il ne prononce à son adresse un discours perlocutoire. En fait, les "arguments" des deux enfants sont d'un ordre autre que juridique. Ils gagnent la sympathie de tous par leur beauté, par le caractère pathétique de leurs attitudes et par la sincérité et la profondeur de leur amour. Ils ne prononcent pas un plaidoyer, ils disent et redisent leur amour et son histoire. Ils ne se défendent pas, ils sont justifiés par leur beauté et leur attachement réciproque. Parler serait s'expliquer ; or, au regard de la loi de l'Emir, ils sont condamnables alors que leur amour réciproque les innocente ; ce sont deux systèmes de valeur qui s'opposent et deux vérités, celle de la logique de l'Emir et celle de la prédestination qui président au destin des enfants. Parce que la parole est impuissante à résoudre un tel dilemme, l'auteur lui substitue cette "apparition" des jeunes gens.
119Cependant, Floire sort vainqueur du procès, comme de l'affrontement avec le portier ; mais ces victoires sont d'un autre ordre que celles qui sont gagnées par la prouesse. Ici pas d'aventures, sinon au sens étymologique, pas d'exploits héroïques, mais des épreuves ; il s'agit pour Floire de dominer et de dépasser des situations qui sont autant de degrés vers un but qui lui est assigné et chacune de ses étapes est signifiée par la description d'un lieu ou d'un objet qui a valeur de symbole.
II. LES LIEUX DE L'EPREUVE
A. Le cénotaphe
120La première épreuve que Floire doit surmonter est celle du doute et de l'absence. Comme nous l'avons vu, lorsqu'il revient de Montoire, ses parents veulent lui faire croire à la mort de Blancheflor et pour cela sa mère a fait construire un magnifique tombeau censé contenir le corps de la jeune fille.
121Les descriptions d'architecture sont fréquentes dans les romans antiques et l'on peut s'interroger pour savoir si le narrateur de Floire et Blancheflor reprend un topos ou du moins suit des modèles. Le premier rapprochement qui vient à l'esprit est celui que l'on peut faire avec la description du tombeau de Camille dans l'Enéas. Le narrateur décrit ce tombeau avec un luxe impressionnant de détails techniques. L'architecture est peinte avec précision ; les sculptures sont évoquées aussi bien sur le plan de la qualité du travail effectué, que sur celui de la richesse des matériaux travaillés. Tous les éléments de la description concourent à donner l'impression d'un monument grandiose. Des hyperboles portent sur la qualité exceptionnelle du travail des bâtisseurs, mais le monument lui-même n'est remarquable que par son aspect majestueux et imposant.20
122Il n'en est pas de même pour le cénotaphe de Blancheflor dans la mesure où la plupart des éléments de la description prennent une valeur symbolique et signifiante en rapport avec la trame narrative et la senefiance du conte.
123Certes le narrateur souligne la richesse des matériaux employés et la beauté du travail :
La tombe fu molt bien ovree,
D'or et d'argent iert neelles.
(v. 555-556)
Une piere ont desus assise
Que orfevre fisent de Frise.
Cele piere qui sus gisoit
De tres fin marbre faite estoit,
Inde, vert et gausne, vermel ;
Molt reluisoit contre solel,
Si fu entaillie environ
De la trifoire Salemon.
Entremis i sont a cristal
D'or et d'argent tot li esmal.
(v. 563-572).
124La sculpture, quant à elle, tend à représenter une véritable somme des connaissances animalières de l'époque, et en cela la description du cénotaphe rejoint celles d'autres monuments ou d'autres objets tels que la tente d'Adraste ou le char d'Amphiaraüs.
N'a soussiel beste ne oisel
Ne soit escrit en cel tomblel,
Ne serpent c'on sace nomer,
Poisson de douce aige et de mer.
(v. 557-560).
125Mais l'essentiel des éléments iconographiques qui oment le tombeau est la représentation des deux enfants sous forme de statues animées. Ces automates sont plus que des mécaniques compliquées faites uniquement pour le décor tel que l'archer ou les lampes qui brûlent continuellement sur le tombeau de Camille, ils sont les images de Floire et de Blancheflor et leur attitude prend une valeur allégorique.
126La rose que tient "Blancheflor" symbolise l'amour charnel et la passion ; quant au lys, qui est, depuis le règne de Louis VII, l'emblème de la royauté capétienne, il symbolise également l'abandon à la volonté de Dieu. Ainsi la fleur que "Floire" tient devant son visage nous renvoie au prologue et à l'épilogue du roman qui nous présentent le jeune homme comme l'ancêtre de Charlemagne ; mais ce lys est aussi emblématique de la Providence qui fera de Floire un chrétien.
127Ainsi les deux statues portent, allégoriquement, les deux senefiances du conte puisque, au travers du symbolisme de ces deux fleurs, amour et pouvoir sont réunis.
128Sur la tête de Floire brille une escarboucle. Or cette pierre se retrouve sur la coupe et sur la tour aux Pucelles.
Li coupiers ert ciers et vaillans,
D'un escarboucle reluisans ;
N'est soussiel si orbes celiers,
S'il i estoit, li boutilliers
Ne peüst sans autre clarté
Cler vin connoistre d'ysopé.
(v. 491-496).
129nous dit-on à propos de l'écrin contenant la coupe "troyenne" ; quant à la tour aux Pucelles :
Deseur siet par encantement
Uns escarboucles qui resplent ;
Assis i est par grant consel,
Par nuit reluist comme solel.
(v. 1823-1826).
130Certes, l'une est décorative alors que l'autre a une fonction plus pratique :
Tot environ par la cité
Par nuit obscure a tel clarté
Que il n'estuet a nul garçon
Porter lanterne ne brandon.
(v. 1827-1830).
131mais l'une et l'autre entretiennent un rapport avec Floire. Nous verrons comment la coupe est étroitement liée à la prise de pouvoir du jeune homme ; quant à l'escarboucle qui illumine Babylone, elle représente un danger pour lui et un obstacle qu'il devra vaincre, en même temps qu'elle signale la tour où est enfermée Blancheflor et se transforme en phare pour celui qui l'aime et la recherche.
132Ambivalence des symboles que nous retrouvons à propos de l'escarboucle placée au-dessus de la tête de la statue qui, sur le cénotaphe, représente Floire. L'escarboucle est tout à la fois le symbole de l'intensité de la vie et celui du désir amoureux qui va conduire à la quête de Blancheflor.
133Cependant les statues sont animées par les quatre vents qui les font, par ingremance, bouger et parler :
Quant li vens les enfants toucoit,
L'un baisoit l'autre et acoloit,
Si disoient par ingremance
Trestout lor bon et lor enfance.
Ce dist Flores a Blancheflor :
"Basiés moi, bele, par amor."
Blancheflor respont en baisant :
"Je vos aim plus que riens vivant."
(v. 597-604).
134Ainsi le cénotaphe est plus qu'un somptueux monument funéraire, comme nous l'avons vu il témoigne du lien indéfectible qui unit Floire et Blancheflor et il est, paradoxalement, plus un témoignage de leur union indestructible que de leur séparation éternelle.
135Nous nous souvenons que, quatre arbres, placés aux quatre points cardinaux, entourent le faux tombeau. Deux d'entre eux se caractérisent non seulement par la beauté de leur floraison éternelle mais aussi par leur couleur :
Au cief desus de cel tomblel
Avoit planté un arbrisel ;
Molt estoit biax et bien foillis
Et de flors ert adés garnis ;
Totes sont cargies les brances
Et les flors noveles et blances.
Cix arbres a a non benus ;
Ja un seul point n'en ardra fus.
As piés par devers le solel
Avoit un turabim vermel ;
Soussiel nen a plus bele cose,
Plus ert bele que flors de rose.
(v. 609-620).
136Ainsi, le blanc et le rouge sont présents autour du cénotaphe, blanc et rouge qui sont deux des couleurs de la beauté et du pouvoir.
137En fait, le jardin qui entoure le tombeau de Blancheflor rappelle la métaphore de l'arbre d'amour planté au coeur de Floire et annonce par le détail des essences et les caractéristiques de la végétation la description de la "tour aux Pucelles" et celle du jardin de l'Emir. Nous retrouvons donc dans cette description les motifs qui scandent le roman : les arbres éternellement fleuris, le symbolisme des fleurs et la présence des oiseaux. Le chant de ceux qui logent autour du cénotaphe a des vertus quasi-magiques ; il fait s'aimer ceux qui aspirent à l'amour et s'endormir les autres comme le magicien Barbarin endormira tous les habitants du château sauf Floire :
Tel melodie demenoient
Li oisel qui illoec cantoient,
Se damoisiaus les escoutast
Ne pucele, por qu'ele amast,
De ces dous cans que il oïssent
D'amors si tres fort espresissent
Qu'il se courussent embracier,
L'uns l'autre doucement baisier.
(v. 635-642).
138Enfin, les pierres incrustées dans le cénotaphe n'ont pas seulement une valeur ornementale, le narrateur précise :
Pieres i a qui vertus ont
Et molt grans miracles i font
(v. 653-654).
139et la plupart d'entre elles se retrouve dans les ruisseaux qui coulent dans le jardin de l'Emir.
140Certaines comme l'émeraude, le jaspe, la perle, le diamant ont une valeur symbolique liée à l'amour : l'émeraude est connue pour ses vertus de fertilité, le jaspe est une pierre lunaire liée à la fécondité, la perle est le symbole de la féminité et de la fécondité, le diamant est la pierre de l'union, d'autres symbolisent la liberté, l'espérance, c'est le cas par exemple du saphir ; le diamant, pour revenir à lui, est également symbole de la fermeté et de la souveraineté ; quant au corail, arbre des eaux, il participe du symbolisme de l'arbre, axe du monde, et de celui des eaux profondes, origine du monde.
141Ainsi le cénotaphe apparaît comme un monument à la gloire de l'amour. La vie est présente aussi bien par les statues animées et parlantes des enfants que par la végétation qui entoure le tombeau, ces arbres fleuris et couverts d'oiseaux qui attirent les amoureux et leur font découvrir les plaisirs charnels. Le cénotaphe, placé au centre de cette architecture végétale et animale, tient en quelque sorte la place de la fontaine de vie dans les représentations du paradis, alors même que l'arbre est lui aussi symbole de vie. Ces faisceaux de symboles laissent donc plus une impression de vie que de mort et, ne serait-ce l'épitaphe finale, nous aurions oublié aux vers 655-656 que cet édifice est un tombeau.
142Toute la description concourt à la composition d'un hymne à l'amour, à la jeunesse, à la vie. Le cénotaphe va servir de révélateur et son rôle sera exactement inverse de celui que lui avaient attribué les parents de Floire. En effet, le jeune homme va puiser dans sa contemplation le courage de tenter de mourir et provoquer ainsi les révélations de sa mère à la suite desquelles il part à la recherche de Blanche flor.
B. La ville, la tour et le jardin
1) Un discours de mise en garde
143Au terme de sa quête Floire rencontre Daire qui lui décrit les obstacles qu'il va devoir franchir pour retrouver son amie : ce sont les murailles de Babylone, la tour où est enfermée Blancheflor et le jardin de l'Emir, symboles de sa puissance.
144Il est important de noter que ces descriptions se font sur le mode du discours ; elles ne sont pas le fait d'une narration objective soucieuse de camper un décor, elles sont d'abord des paroles de mise en garde ; aussi, aux éléments descriptifs vont se mêler des indications précises concernant l'efficacité de la surveillance, le personnage du portier et la cruauté des gardiens.
145Ajoutons que le discours de Daire est particulièrement long : il ne compte pas moins de 341 vers dans la version A et n'est interrompu par Floire ni dans la version A, ni dans la version B. Il s'agit donc d'un exposé très long au cours duquel le lecteur tend à oublier que le je qui parle est celui de Daire et non celui du narrateur, et ceci bien que l'auteur ait pris soin de ponctuer le discours de tournures qui soulignent le fait que Daire s'adresse à Floire.
146Certaines de ces tournures relancent le dialogue et ne laissent aucun doute quant au mode d'expression :
"Flores, dist il, ne te soit grief,
De cel portier bien te voel dire
(v. 1940-1941).
147Cette nouvelle apostrophe à Floire arrive, comme nous le verrons, après une intervention de l'auteur.
148C'est également le cas aux vers 1979-1980 :
Or devés del vergier oïr,
Por coi les fait illuec venir.
149Le "or" marque une liaison entre deux moments du discours : Daire vient de décrire la tour et s'apprête maintenant à faire la description du jardin de l'Emir ; de plus, dans les vers précédents, il a exposé à Floire la coutume maritale de l'Emir, or celle-ci est étroitement liée au verger dans lequel se trouve "l'arbre d'amors" et la tournure "devés oïr", comme le vers 1980, soulignent le rôle explicatif de la description du jardin.
150A d'autres moments, le discours de Daire est ponctué de formules plus ou moins stéréotypées qui toutefois font intervenir le je du locuteur et rappellent donc au lecteur que ces descriptions sont faites pour mettre Floire en garde contre la puissance de l'Emir : vers 1913 : "Içou vos d'i je sans fauser" ; vers 1923 : "De cel portier vos dirai voir" ; vers 1959 : "De ces gaites vo di por voir". Lorsque Daire décrit le jardin de l'Emir, il emploie des expressions telles que "ce m'est avis" (v.20007), "car pas oï nomer nes ai" (v. 2020), "mon essïent" (v. 2033), "Si com j'espoir" (v. 2054) qui soulignent le fait que le jardin est si bien protégé que nul ne le connaît parfaitement ; Daire le décrit avec quelques réserves car ce verger, domaine réservé de l'Emir, garde bien des secrets.
151Enfin, au vers 2087, la tournure "que jou ai dit", en renvoyant à des paroles prononcées antérieurement par Daire du vers 1965 au vers 1968, nous rappelle, s'il en était besoin, que l'ensemble de ce passage est un discours.
152Dans la version A le narrateur interrompt le discours en introduisant un commentaire concernant le portier. On peut discuter pour savoir où commence exactement cette intervention ; Jean-Luc LECLANCHE le fait assez longuement dans sa thèse en comparant les manuscrits A et B21 ; pour ma part, il me semble que l'intervention du narrateur commence au vers 1929 et non au vers 1923. En effet, la tournure "vos dirai voir" employée au vers 1923 semble bien renvoyer à Floire, d'autant plus que les vers qui suivent sont une mise en garde : le portier est aimé du roi qui a toute confiance en lui ; alors que, à partir du vers 1929, le texte annonce ce qui va suivre et comment le portier sera trompé par Floire ; or, d'une certaine manière, ces propos sont contradictoires et ne peuvent donc pas être tenus par leur même locuteur. De plus, la plupart des verbes sont au futur et les "vos" employés aux vers 1931, 1932, 1934, 1936 renvoient aux lecteurs et non à Floire. Enfin, ces vers n'ont aucun rapport avec la description de la demeure de l'Emir puisque, comme nous venons de le voir, ils jouent le rôle de prolepse narrative.
153Certes, un certain nombre d'indications, dans le discours de Daire, ne relèvent pas directement de la description des lieux, mais elles participent de la volonté de l'auteur d'inclure les descriptions de la forteresse, de la tour et du jardin dans ce discours de mise en garde afin de leur donner leur véritable signification.
154Daire clôt sa description de Babylone par ces paroles :
Par force nus hom ne par guerre
Ne porroit Blanceflor conquerre ;
Encontre engien rest si gardee
Par larron ne puet estre emblee.
(v. 1807-1810).
155Ainsi l'évocation de la ville perd le caractère gratuit qu'elle pouvait avoir et se rattache directement à l'action.
156De même lorsqu'il décrit la "Tors as Puceles" qui est aussi celle de l'Emir, il insiste sur le nombre des gardes et sur leur efficacité :
Les gardes qui en la tor sont
Les genitaires pas nen ont.
.III. en a en cascun estage,
Estre le maistre, le plus sage,
A cui cascuns des.IX. apent,
Par lui les servent humlement
Et del mangier et del lit faire.
Li maistre est fel et deputaire
Et si garde l'uis de la tour
Set bien quant il est nuis u jour.
En son puing tient cascuns une arme,
U misericorde u gisarme.
Li maistre maint en un arvol.
De l'uis garder nel tien por fol,
Car n'est oisiaus, trestout sans gas,
Qui par son vol i peüst pas
Entrer, por cose qu'il fesist,
Puis que cil li contredesist.
(v. 1903-1922).
157Il présente le portier comme un homme de confiance de l'Emir et comme un être sans pitié :
De cel portier vos dirai voir :
Il a en lui molt grant savoir ;
Li rois l'aime molt de son cuer,
Mais s'il seüst çou a nul fuer
Que cil eüst vers lui boisié,
Ne l'eüst pas laiens laissié !
(v. 1923-1928).
De cel portier bien te voel dire
Qui si garde l'uis et remire :
Se nisun home voit garder
Sus en la tor por espïer,
Par si que il n'en ait congié
De l'amirail, est tout jugié :
Ains qu'il se parte de la place,
Tot sans parole et sans manace,
Se il veut, tot le reubera
Et sans amende le batra,
Car de l'amirail a congié,
Por çou est si outrecuidié.
Et il molt bien garde se prent,
Que nus hom en la tor laiens
Ne puet metre le pié sans li,
Por çou est il si signori.
(v. 1941-1956).
158Cette insistance sur le personnage du portier n'est pas étonnante quand on sait le rôle qu'il va jouer par la suite ; de plus, la longueur de ce développement explique l'intervention de l'auteur : le lecteur pourrait s'étonner que Daire parle de manière aussi détaillée d'un personnage apparemment secondaire.
159Ainsi les descriptions des lieux qui vont signifier autant d'épreuves pour Floire échappent à l'aspect scolaire et un peu pédant que pouvaient avoir celles des romans antiques.
2) Babylone
160La description de Babylone par Daire comprend la description de la ville proprement dite et celle de la tour de l'Emir liée à celle du jardin.
161La description de Babylone rappelle celles de Carthage et de Troie : elle est présentée comme une cité imprenable et riche22.
162Comme Troie et Carthage, elle est ceinte de murailles :
Li murs qui le clot n'est pas bas ;
Tot entor est fais a compas
Et est fais trestous d'un mortier
Qui ne doute pikois d'acier,
Si a XV. toises de haut ;
De nule part ne crient assaut.
(v. 1789-1794).
163dont les portes sont surmontées de tours :
Et tot entor a.VIIxx. portes :
Tors a desus larges et fortes.
(v. 1795-1796).
164Mais alors que l'auteur du roman d'Eneas et que Benoît de Sainte Maure évoquent les riches demeures construites à l'intérieur des murs, Daire parle de tours érigées par et pour les notables ce qui nous fait irrésistiblement penser aux villes du sud de l'Italie qui, à la fin du xiie siècle, érigent des tours, symboles de la puissance commerciale de leurs habitants :
En Babiloine ça dedens
A tors faites plus de.VII. cens
U mainent li baron casé,
Qui enforcent molt la cité.
La plus faible ne la menor
Ne doute roi ne aumaçor ;
Neïs l'empereres de Rome
N'i feroit vaillant une pome.
165(v. 1799-1806).
166La description de Daire se clôt sur l'affirmation de l'invincibilité de Babylone, lieu commun certes, mais ici rattaché à l'action :
Par force nus hom ne par guerre
Ne porroit Blanceflor conquerre ;
Encontre engien rest si gardee
Par larron ne puet estre emblee.
(v. 1807-1810).
167Puis Daire en vient à l'évocation de la plus haute tour de la cité. Les premiers vers rappellent la description d'Ilion, mais alors que Priam l'a fait bâtir à l'écart de Troie, la tour de l'Emir se dresse au centre même de Babylone. L'une et l'autre permettent de surveiller les environs, mais la coupole de la tour de l'Emir est surmontée d'une escarboucle qui, la nuit, reluit (par "encantement") comme un soleil. Cette lumière est, certes, une sécurité pour ceux qui vont et viennent dans la cité ou dans ses environs, c'est aussi une protection contre les intrus donc un obstacle pour Floire, mais ce rayonnement comparé à celui d'un soleil a également une valeur symbolique. L'escarboucle qui surmonte la tour de l'Emir signifie à tous son autorité et, dans la mesure où cette tour est aussi celle où sont enfermées les jeunes filles destinées à l'Emir, elle symbolise également la fonction génératrice du souverain.
168La description d'une ville orientale est un motif romanesque à la mode dans les romans du xiie siècle, aussi n'est-il pas étonnant que l'évocation de Babylone n'échappe pas à certains topoï narratifs, mais l'auteur de Floire et Blancheflor fait de telle sorte que Daire insiste sur les éléments de la construction qui seront des obstacles au projet précis de Floire : pénétrer dans la ville et enlever Blancheflor. De plus, certains éléments tel que celui de l'escarboucle annoncent ou reprennent des motifs signifiants du roman.
3) La tour aux Pucelles ou tour de l'Emir
169L'écart entre la description de la ville de Babylone et les descriptions des villes de Cartilage et de Troie se creuse encore pour ce qui concerne l'intérieur du "château". En effet, Benoît de Sainte Maure a le souci d'insister sur le luxe et le confort qui caractérisent la grande salle d'apparat et les chambres situées dans la tour d'Ilion. La visée de la description de la tour aux Pucelles qui est aussi le siège du pouvoir de l'Emir est bien différente et nous comprenons alors que, de toutes façons, Daire n'est que le porte parole du narrateur qui veut faire de ce lieu un lieu signifiant.
170Seuls éléments communs, la richesse des matériaux et celle des décorations : l'emploi de marbre et de bois précieux, les peintures faites "a or et a azur". Cependant l'évocation des éléments décoratifs reste rapide, voire elliptique ; en effet, ce qui exprime la fonction de cette tour et, par conséquent le sens de sa description, c'est son architecture.
171La construction s'organise autour d'un pilier central qui sert à la fois de soutènement et de colonne d'eau alimentant les trois étages de la tour.
172Au rez de chausée se situe la chambre de l'Emir, à l'étage supérieur sont logées les jeunes filles qui lui sont destinées, quant à l'étage médian il semble n'être qu'un lieu de passage entre ces deux mondes.
173Contrairement à ce qui se passe dans le Roman de Troie, ce n'est pas la salle d'apparat qui est longuement décrite, mais les appartements privés, c'est-à-dire les pièces réservées aux jeunes filles. Or, toute une tradition littéraire, présente dans les romans comme dans les épopées, veut que l'affirmation du pouvoir passe par la description de la grande salle où siège le prince qu'il soit païen, chrétien ou sarrasin23. Dès lors pourquoi ce choix dans Floire et Blancheflor, quelle est sa signification et comment s'affirme la puissance de l'Emir ?
174La description des chambres met en évidence la richesse des matériaux utilisés pour leur construction :
Li piler sont trestout de marbre
Et de plailoine est la closure,
D'un arbre cier qui tostans dure ;
De myrre cl aussi de benus Sont les fenestres tot li plus.
(v. 1862-1866).
175et insiste sur leur décoration :
Molt a apris de l'escriture
Qui puet savoir de la pointure :
Li fait i sont des ancissours,
Les proueces et les estours.
(v. 1873-1866).
176Cependant, malgré les apparences, cette description s'écarte de la topique hatibuelle du luxe et de la beauté.
177En effet, les éléments de cette description renvoient à l'Emir. C'est lui qui a choisi les bois "a grant travail" pour assurer la solidité du palais :
178Tot çou fist querre a grant travail Por metre en sa tor l'amirail, Car la u est, serpens ne wivre N'autre vermine n'i puet vivre.
(v. 1867-1870).
179Et cette solidité du palais est le symbole de la pérennité du pouvoir royal. Quant aux peintures, elles sont là pour enseigner aux jeunes filles la valeur guerrière du lignage de l'Emir24.
180Reste l'indication concernant les plafonds des chambres :
Li ciex desus qui ferme au mur
Est pains a or et a azur.
181(v. 1871-1872).
182Il ne s'agit plus d'une simple décoration : la voûte de la tour est à l'image de la voûte céleste où brillent les étoiles.
183Or, le pilier central, nous dit-on, "sort du fondement" et "dusqu'a l'aguille en haut s'estent". Il est donc l'axe qui relie architecturalement et symboliquement la chambre de l'Emir aux chambres des "pucelles".
184Ce pilier est associé à la pierre, mais il entretient aussi un lien étroit avec l'eau :
Li pilers sort du fondement,
Dusqu'a l'aguille en haut s'estent.
U marbre cler comme cristal
Dedens a un bien fait canal
Par quoi sus monte une fontaine,
Dont l'eve est molt clere et molt saine,
Desi c'amont el tierc estage.
Li engignieres fu molt sage :
El tierc fait l'eve retorner
De l'autre part par le piler,
En cascun estage se trait
L'eve par le conduit et vait.
(v. 1845-1856).
185Dans son étude sur L'Architecture des palais et des jardins dans les chansons de geste, Alain LABBE montre comment la présentation du "roi sous l'arbre" est une manière d'affirmer la puissance royale, comment ce motif participe de l'iconographie du roi en majesté et comment il relève d'une conception cosmocratique du pouvoir. A. LABBE écrit : "Symbole chthonien majeur de par ses racines profondément enfoncées dans le sol et son contact intime avec les forces de l'ombre, qu'elles soient associées à la fécondité des entrailles de la terre ou aux ténèbres d'un autre monde souterain, l'arbre est également susceptible de revêtir une signification ouranienne de par sa haute ramure, qui paraît se confondre avec le ciel, dont la voûte végétale évoque l'image."25
186Dans Floire et Blancheflor, comme dans la Prise d'Orange, le pilier central remplace l'arbre et la voûte et son symbolisme rejoint celui de l'arbre. Il est l'axe vertical qui relie la terre au ciel, axe cosmique à dominante chthonienne, mais dont la dimension ouranienne se réalise lorsqu'il atteint la voûte, voûte du palais et voûte céleste. Ce pilier exprime le rôle de l'Emir comme soutien et protecteur de la tour ; il désigne l'Emir comme garant de l'ordre et de l'équilibre. Enfin, en raison de l'eau qui circule dans le "tronc" de la colonne, il participe au même symbolisme de la fécondité que l'arbre placé au centre du jardin royal et il devient emblématique de la fonction nourricière du roi, garant de la fertilité.
187Cependant, un escalier relie les chambres des jeunes filles à la chambre de l'Emir et cet escalier a pour fonction première de leur permettre de répondre à la moindre de ses demandes :
De l'un estage en l'autre vont
Par les degrés qui fait i sont.
El moien estage a un huis
En une loge qui vait juis ;
Par celui vait on contreval
Droit en le cambre l'amiral.
Par icel huis vienent et vont
Les puceles que il semont,
Qui doivent l'amiral servir
Ensi com li vient a plaisir.
(v. 1881-1888).
188Deux axes verticaux donc ; l'un est l'axe ascendant qui symbolise le pouvoir royal, l'autre est l'axe descendant qui met au service de l'Emir les étages supérieurs qui sont une sorte de réserve de fécondité. Ainsi l'architecture se fait emblématique de la puissance de l'Emir, de son autorité absolue sur ceux qu'il gouverne comme sur les jeunes filles enfermées dans la tour et en ce sens le pilier central est, aussi, un symbole phallique.
189C'est ce pouvoir que Floire doit affronter et dont il transgressera les lois en pénétrant dans la "tour aux Pucelles".
4) Le verger de l'Emir
190Cependant, le pilier de la tour n'est pas le seul indice du pouvoir cosmocrator du roi. Il est en quelque sorte confirmé par l'évocation de la coutume qui préside au choix de l'épouse de l'Emir, par la description de l'arbre d'amour et par celle du jardin.
191Daire explique à Floire que l'Emir se choisit une femme pour un an ; au terme de cette année il la tue afin qu'elle ne soit l'épouse d'aucun autre homme, puis il choisit une autre femme et tout un cérémonial entoure ce choix. Il fait descendre toutes les jeunes filles dans un verger ; là elles traversent un ruisseau dont l'eau se trouble si elles ne sont plus vierges, puis elle passent sous un arbre appelé "arbre d'amors" qui laisse tomber une fleur sur celle qui est destinée à être la nouvelle épouse ; l'arbre est un arbre magique mais son rôle est cependant limité puisque, si l'Emir a une préférence, il peut faire tomber la fleur sur celle qu'il a préalablement choisie :
Et se il a o soi pucele
Que il miex aime et soit plus bele,
Sor li fait par encantement
La flor caïr a son talent.
(v. 2089-2092).
192Le récit de ce rituel matrimonial encadre une longue description du verger qui s'étend du vers 1979 au vers 2059, soit 80 vers.
193Ce verger, compte tenu de l'architecture générale, est un verger intérieur au château. On nous dit qu'il est bordé d'un côté par un mur "De l'une part est clos de mur/tot peint a or et a asur"26, et de l'autre côté par l'Eufrates : "De l'autre part, ce m'est avis/court uns flueves de paradis/qui Eufrates est apelés".27 Les bornes du jardin sont donc la voûte céleste évoquée par le mur peint d'or et d'azur et un des fleuves mythiques de la création ; ainsi, d'emblée, ce jardin royal est présenté comme un microcosme, ce qui présuppose la toute-puissance de son possesseur.
194Les limites du verger sont infranchissables : "issi que riens n'i puet passer/se par desus ne peut voler",28 pour ne pas dire inviolables.
195L'eau du fleuve charrie des pierres précieuses : saphir, calcédoine, hyacinthe, sardoine, rubis, jaspes et cristaux, topaze et émaux. La plupart de ces pierres sont les mêmes que celles énumérées lors de la description du cénotaphe, mais ici elles sont présentées comme les fruits de la terre et de l'eau ; aussi signifient-elles moins la richesse de l'Emir que la dimension chthonienne de son pouvoir.
196Le jardin est peuplé d'oiseaux dont certains sont des automates. C'est le cas en particulier d'un oiseau d'airain qui chante si doucement sous l'effet du vent qu'il charme les animaux les plus féroces : léopards, tigres et lions. Or cet oiseau fut fabriqué à la demande de l'Emir et ses vertus sont emblématiques des pouvoirs du roi. L'harmonie qu'il fait régner est le signe de l'autorité qu'exerce le souverain sur la faune et la flore. Par l'intermédiaire de cet automate, l'Emir s'affirme comme le garant de l'ordre du monde.29
197De plus, nous savons ainsi que le verger abrite des animaux sauvages. Or selon une tradition qui remonte au paradisus de la Perse achéménide, un parc avec des animaux est un des symboles de la puissance royale.30
198Vient ensuite l'énumération des nombreuses essences végétales qui se trouvent dans ce jardin : des arbres précieux, des arbres fruitiers, des épices. Le bois d'ébène comme les épices indiquent la richesse de l'Emir alors que les arbres fruitiers représentent la fertilité du verger et par extension celle du royaume. Chacune de ces énumérations se termine par deux vers où s'exprime l'impossibilité du locuteur à tout nommer :
N'autre cier arbre qui fruit port,
Dont il n'ait assés en cel ort.
(v. 2027-2028).
--------------------------------
Et autres espisses assés
I a, qui flairent molt soués.
(v. 2031-2032).
199Les vers 2033 à 2040 font une sorte de synthèse des éléments énumérés précédemment et cette synthèse s'ouvre par deux vers hyperboliques dans lesquels Orient et Occident sont réunis. En effet, Daire conclut ainsi son énumération :
Il n'en a tant, mon essïent,
Entre Orient et Occident.
(v. 2033-2034).
200Le verger de l'Emir est donc présenté comme le lieu du cumul des richesses orientales et des richesses occidentales.
201En fait, ce jardin royal est une sorte de microcosme sur lequel règne l'Emir. A l'abri des hauts murs du parc, le roi détient en son pouvoir la flore et la faune de son royaume tout entier, mieux du monde entier et cette domination symbolise son rôle de gardien des forces vitales de la terre, de garant de l'harmonie et de la fécondité du monde qui est le sien.
202Enfin, ce verger ne semble soumis ni au rythme des saisons ni aux intempéries. Le vent n'est là que pour animer les automates et de sa force dépend la qualité du chant des oiseaux :
Quant li oisiaus a grignor vent,
Adont cante plus doucement,
Et el vergier, au tans seri,
Des oisiaus i a si douc cri,
(v. 1195-1998).
203La végétation est sans cesse à maturité :
Li vergiers est tostans floris
(v. 2021).
---------------------------------
Il n'a soussiel (...)
N'autre cier arbre qui fruit port
Dont il n'ait assés en cel ort.
(v. 2027-2028).
---------------------------------
Et autres espisses assés I a, qui flairent molt soués.
(v. 2031-2032).
204D'autres textes contemporains nous présentent des souverains orientaux maîtres des éléments qu'ils déchaînent, parfois, à volonté. Cette maîtrise des forces de la nature renforce alors le caractère sacré et cosmocrator du pouvoir de ces monarques.31 De même ici tous les éléments de la description du verger tendent à donner de l'Emir l'image d'un potentat.
205Au centre du jardin jaillit une source dont l'eau s'écoule par un canal "de blanc argent et de cristal" et c'est au dessus de cette source qu'est situé l'"arbre d'amour" qui se trouve donc, lui aussi, au centre du jardin.
206Ainsi nous retrouvons, à la fin de la description du verger, la triade : arbre, pierre, source et l'aspect sacré du pouvoir royal s'affirme grâce à cet arbre magique qui s'apparente d'autant plus à l'arbre sacré et à l'arbre de vie qu'il permet par son mécanisme de choisir la future épouse de l'Emir.
207En fait, l'"arbre d'amour" et le "pilier" de la tour ont la même fonction : ils signifient l'omnipotence du pouvoir de l'Emir, ici caractérisée plus particulièrement par la domination qu'il exerce sur les jeunes filles du harem ; or, en rejoignant Blancheflor, c'est ce pouvoir que Floire va déstabiliser.
208En effet, le verger n'est pas à strictement parler un lieu d'épreuve pour Floire ; nous verrons qu'il apparaît même comme un des lieux où se manifeste la victoire du jeune homme, mais sa description met en évidence la nature du pouvoir de l'Emir, pouvoir que Floire doit vaincre s'il veut retrouver Blancheflor.
209Cependant ces descriptions font plus ; en faisant de l'Emir un roi cosmocrator, elles suggèrent qu'il ne peut être vaincu par les armes. Seule une force de même nature peut s'opposer à lui ; or, Floire n'est pas à la tête d'une armée, mais il détient la coupe "troyenne", objet d'origine divine qui va lui ouvrir les portes de Babylone.
III UN TALISMAN : la coupe
210Les marchands qui achètent Blancheflor au père de Floire lui remettent en échange de la jeune fille de nombreuses richesses :
.XXX. mars d'or et.XX. d'argent
Et.XX. pailes de Bonivent,
Et.XX. mantiax vairs osterins,
Et.XX. bliaus indes porprins,
(v. 437-440).
211et une coupe d'or qui est longuement décrite.
212Sa nature et sa signification nous sont indiquées dans la description qui en est faite ; de plus, elle joue un rôle primordial dans la narration.
213Certes la coupe est présentée comme un objet précieux :
Et une ciere coupe d'or (v. 441).
----------------------------
Ainc a plus ciere ne but hom, (v. 444).
214mais ce qui fait d'elle un objet inestimable, ce ne sont pas les matériaux employés, mais son origine et son histoire.
215La coupe est d'origine divine puisqu'elle fut faite et décorée par Vulcain :
A grant mervelle fu bien faite
Et molt fu soutiument portraite
Par menue neeleüre ;
Vulcans le fist, s'i mist sa cure.
(v. 447-450).
216Enée, fils de Vénus, la détenait lorsque sur l'ordre des dieux il quitte Troie et, selon le Roman de l'Enéas, lorsqu'il aborde les côtes de Lombardie, il la remet à Latinus, le père de Lavine avec une couronne, un manteau, un sceptre et un anneau ; or ces objets appartenant au trésor de Troie symbolisent tous, à l'exception de l'anneau, le pouvoir troyen. En les offrant à Latinus, Enéas transfère donc les insignes du pouvoir troyen en Lombardie, la contrepartie de ce don étant celui de Lavine par Latinus.
217Dans Floire et Blancheflor ce schéma est modifié ; Enéas est censé avoir donné la coupe à Lavine elle-même :
Li rois Eneas l'emporta
De Troies quant il s'en ala,
Si le dona en Lombardie
A Lavine, qui fu s'amie.
(v. 503-506).
218et nous retrouvons ici l'importance accordée aux femmes dans notre conte.
219Puis la coupe est transmise aux descendants du couple, jusqu'à César, sans doute César Auguste, cité le dernier dans la généalogie révélée à Enéas lors de sa descente aux Enfers :
Puis l'orent tot li ancissour
Qui de Rome furent signor
Dusqu'à Cesar (...)
(v. 507-509).
220Ensuite, la coupe est volée au trésor de Rome, ce que nous annonçaient déjà les trois premiers vers de la description. Ce vol de la coupe n'est pas sans évoquer le rapt de Blancheflor, enlevée à Floire par ses parents, autre élément qui associe étroitement la coupe et la jeune fille.
221Des marchands l'achètent et la donnent ensuite pour prix de Blancheflor :
(...), a cui l'embla
Uns leres, qui la l'aporta
U li marceant l'acaterent
Et por Blanceflor le donerent.
(v. 509-512).
222La coupe revient alors au père de Floire qui, comme nous l'avons vu, la remet à son fils lorsque celui-ci part en quête de son amie.
223L'évocation du sort de la coupe, sa description et sa fonction dans la narration font d'elle un objet symbolisant tout à la fois l'amour et le pouvoir. Nous avons vu quel est son rôle lors de la quête menée par Floire et comment elle se substitue en quelque sorte à Blancheflor dont elle devient le symbole.
224Cependant, lorsque Floire remet la coupe au portier c'est non seulement comme objet d'échange en contrepartie de ses retrouvailles avec Blancheflor, mais encore pour que la coupe recouvre pleinement les attributs qui font d'elle un objet de pouvoir. Depuis qu'elle a été dérobée au trésor de Rome, elle est devenue un objet commercial, or ce rôle s'accorde mal avec la fonction royale qui lui est attachée. En s'en dépossédant temporairement et surtout en la rachetant cent marcs d'or alors qu'il l'avait donnée au portier, Floire lui permet de perdre le caractère mercantile qui lui avait été attribué et qui l'avait quelque peu détournée de sa fonction première d'objet emblématique du pouvoir royal.
225Aussi lorsque le jeune homme entre à nouveau en possession de la coupe, y apparaît-il comme le légataire d'Enée et la coupe assure symboliquement la translatio imperii qui aboutit à Floire, c'est-à-dire à l'ancêtre de Charlemagne. On songe, bien sûr, à la légende de l'origine troyenne des Francs ; et bien que l'allusion soit implicite, elle conforte Floire dans sa mission lignagère : héritier de Troie, il a pour destin d'engendrer celle qui donnera le jour au grand empereur franc d'Occident, Charlemagne.
226Cependant, traditionnellement, la translatio imperii se fait de Grèce à Rome et non de Troie à Rome comme c'est le cas dans Floire et Blancheflor. Y a-t-il dans notre texte confusion entre Troyens et Grecs ? Ce ne serait pas impossible si la source n'était pas l'Enéas, seul roman où une coupe est un objet distinctif de pouvoir. Or, comment, connaissant YEnéas voire l'Enéide, notre auteur aurait-il pû confondre Grecs et Troyens ? On aurait pu penser à une erreur volontaire reflétant le désir d'escamoter le monde grec contemporain si souvent décrié dans les récits de croisade, mais on le sait, Henri Ier fut adoubé par l'empereur de Constantinople, lors de sa participation à la seconde croisade ; de plus, des liens durables s'établirent entre la maison de Blois-Champagne et la capitale byzantine si bien qu'en 1180 l'empereur grec paya la rançon du comte de Champagne tombé entre les mains des Turcs. S'il y a erreur volontaire, il faut y voir le souci littéraire de faire de Floire le digne héritier d'Enée.32
227Depuis le roman de l’Enéas, le destin d'Enée est assimilé à celui d'un héros en quête d'une terre et d'une femme ; il incarne le mythe du héros fondateur de cité et de civilisation, celui dont naît une lignée prestigieuse.33 Or, Floire est, lui aussi, prédestiné à devenir un bâtisseur d'Empire et, en christianisant son royaume, à devenir un monarque civilisateur. Comme pour Enée, l'accomplissement de son destin passe par une femme et de leurs amours fécondes naîtra un lignage non moins prestigieux, celui de Charlemagne.
228Il n'est pas étonnant dès lors que la coupe joue un tel rôle dans l'accomplissement du destin de Floire puisque, sans la convoitise qu'elle inspire au portier, Floire n'aurait sans doute pas pu mener à bien son entreprise et pénétrer par ruse dans la tour de l'Emir. Revenons un instant à la partie d'échecs, la coupe est le seul enjeu qui soit un bien précieux sans être de l'argent. Lors de la troisième partie d'échecs, Floire la mise avec les quatre cents onces d'or ; on sait quelles sont ses intentions, mais au delà du stratagème qu'il emploie, il est évident que la coupe représente un enjeu inestimable ; elle symbolise Blancheflor, donc la possibilité de l'amour retrouvé et, ce dont Floire n'est peut-être pas encore conscient, elle est l'emblème d'un pouvoir qui, parce qu'il en est investi, va permettre à Floire de déstalibliser celui de l'Emir.
229En effet, comme nous l'avons vu, ce n'est pas de haute lutte que Floire triomphe de l'Emir. Cette conquête de la femme et du pouvoir s'est réalisée sans que Floire ait eu à combattre. La victoire n'est pas le fruit d'une conquête, elle s'est accomplie et son accomplissement est lui aussi signifié par des scènes dont l'importance est symbolique, et des paroles qui ont valeur d'actes.
IV. QUAND FLOIRE CUEILLE LA ROSE ET LE LYS
230Daire disait de Blancheflor : "es.VII. vins n'a si bele flor" ; convaincu, Floire la cueille avant l'Emir. Cependant, la consommation de cet amour ne prend tout son sens que lorsque l'Emir décide de marier les deux jeunes gens. Le mariage devient tout à la fois une cérémonie de réconciliation et de reconnaissance. C'est l'Emir qui prend la décision et l'initiative du mariage :
Li rois (...)
Mener les fait a un mostier,
S'aime li fait espouser.
(v. 3123-3125).
231Le narrateur évoque assez longuement les festivités qui s'en suivent (du vers 3147 au vers 3158, puis de vers 3175 au vers 3198 - soit 34 vers). La description fait intervenir des éléments traditionnels et n'aurait pas d'intérêt particulier si, dans le roman, elle ne faisait écho à la fête organisée par les parents de Floire pour le distraire de sa tristesse et lui faire oublier la (fausse) mort de Blancheflor. Cette fois, le jeune homme n'a nulle envie de quitter le spectacle et il fête volontiers sa réunion avec son amie :
Flores s'assiet joste sa drue ;
Tel joie en a quant l'a reüe,
Por estre ocis dont nel laissast
Que voiant tous ne le baisaist.
Par le palais auquant s'en rient
Et en riant içou li dient :
"Flores, a cel més vos tenés !
Bien vos fera se vos l'amés !"
(v. 3167-3174).
232Cependant, avant de marier Floire, l'Emir a tenu à l'adouber ; de telles mentions sont rares dans les textes littéraires avant la fin du xiie siècle.34 De plus, comme nous l'avons vu, Floire et Blancheflor n'a rien d'un roman de chevalerie, cette scène se charge donc d'une signification particulière et c'est sans doute en partie pour cela qu'elle a été développée dans la version B du conte.
Ms. A.
Li rois les a fait redrecier,
Flore veut faire chevalier.
Des millors armes que il ot
Le conrea au miex qu'il pot.
Ms.B.
Et il les en fet redrecier,
Floires velt fere chevalier.
Des meilleurs conroiz que il ot
Le conroia au mielz qu'il pot.
Onques Prians, li rois de Troie,
Ne fu adoubiez a tel joie.
Uns esperons d'or et d'amor
Li rois, quant l'ot fait chevalier,
Mener les fait a un mostier,
S'amie li fait espouser.
(v. 3119-3125).
Li chauça bele Blancheflor.
Li amiranz li ceint l'espee
Qui de fin or fu enheudee,
Puis li afuble un tel mantel
Nus hom de char ne vit tant bel :
La penne en ert de marmorins
Et li pailes outremarins,
Et la liste en fu a orfrés,
Plus bele ne verrez ja més.
Et quant il l'ot fet chevalier,
Mener le fet en un moustier,
Blancheflor li fet espouser.
(v. 2876-2894
233Incontestablement le narrateur de la version B sacrifie à un topos à la mode, mais il a sans doute compris l'importance de cet épisode au cours duquel Floire est reconnu comme chevalier par un roi étranger qui, encore peu de temps auparavant, était son ennemi ; de plus, Floire quitte alors son statut d"'enfant" pour devenir un "bacheler", jeune chevalier non chasé, ce qu'il ne restera pas longtemps puisqu'immédiatement après il épouse Blancheflor et que c'est au cours des festivités qu'il apprend la mort (opportune) de ses parents.
234L'annonce de cette nouvelle est invraisemblable dans la mesure où nul ne sait où est allé Floire, à moins de supposer que les messagers ont refait le parcours du jeune homme. Cet élément du dénouement participe d'une esthétique peu soucieuse de vérité et reposant sur les "coups de théâtre". Ce qui importe c'est moins la nouvelle et les lamentations de Floire que les décisions qu'il va prendre après l'annonce de cet événement. Le monologue de Floire est propre à la version A du conte et Floire y regrette peu la mort de ses parents ; c'est plutôt, pour lui, l'occasion de revenir à nouveau sur son aventure.
235Ensuite sa première résolution consiste à refuser l'offre de l'Emir et à accepter d'assumer la charge de roi qui est maintenant la sienne. Floire préfère donc l'indépendance et le retour sur ses terres à un sort brillant, mais qui ferait de lui le vassal et le conseiller de l'Emir :
(...) "Se volés remanoir,
Vos arés bien vostre voloir.
Je vos feroie coroner
Et riche roiame doner.
Riche roiame vos donroie
Et d'or fin vos coroneroie.
Ahi ! dist il, Flores amis,
Car remanés en cest païs !
Vos serés mes confanoniers
Et mes plus privés consilliers."
Flores dist pas ne ramanroit
(v. 3239-3249).
236C'est aussi une manière de rompre avec la conception orientale du pouvoir incamée par l'Emir au profit d'une conception plus humaine de la royauté, celle-là même dont la coupe est emblématique. Or, Floire décide de la racheter au portier :
Sa ciere coupe k'aporta,
Et dist qu'il le racatera,
Qu'il l'avoit au portier donee.
De.C. mars d'or l'a racatee.
237(v. 3251-3254).
238Puis Floire exerce sa fonction de largesse et comble ses hôtes de cadeaux. Contrairement aux dons qu'il a pu faire lors de son voyage, ces présents ne sont pas la récompense offerte pour un service rendu ; ils sont gratuits et c'est pourquoi nous pouvons dire que, pour la première fois, Floire se comporte en roi soucieux d'honorer les obligations liées à sa fonction.
239Si Floire est encore appelé "li enfes Flores" au vers 3273, pour la première fois le narrateur le qualifie de "sages et prous" au vers 3278.
240Son refus de demeurer à Babylone lui a ouvert les portes de son propre royaume et dès son retour il est couronné roi :
Or est Flores en son païs
A grant joie entre ses amis.
Sa corone li aporterent,
Par la flor d'or li presenterent.
(v. 3297-3300).
241Enfin, il parachève sa destinée en se faisant baptiser. Cependant cette décision a été préparée par l'attitude qu'il a adoptée à Babylone lorsque Blancheflor a demandé à l'Emir la suppression de la coutume qui voulait qu'il change d'épouse tous les ans et qu'il tue celles qui avaient été ses femmes ; Floire s'est alors associé à la prière de Blancheflor :"Et Flores ausi l'em prie". Or la réaction prêtée à Blancheflor souligne ce que la démarche de Floire a d'insolite : "Blanceflor molt grant joie en a". En effet, Floire est lui aussi sarrasin et cette coutume de l'Emir, pour cruelle qu'elle soit, symbolise ici un type de société et de pouvoir. Certes, le père de Floire n'avait pas, semble-t-il, de telles habitudes, mais en demandant la suppression de cet usage, Floire s'inscrit en faux contre la manifestation, extrême sans doute, d'un trait prêté à sa propre civilisation. Ainsi dès cet instant, il s'éloigne des siens et adopte les critères moraux de Blancheflor, la chrétienne ; or, la coutume qui préside au choix de l'épouse de l'Emir n'a rien d'anecdotique : "l'arbres d'amors" par la nature de sa fonction symbolise, comme nous l'avons vu, la toute-puissance de l'Emir ; aussi, en lui demandant de renoncer à la cérémonie du choix de l'épouse, Blancheflor et Floire demandent à l'Emir de renoncer au principal signe tangible de son omnipotence. Dans une société où "signe" et "réalité" sont souvent confondus, c'est une manière de déstabiliser son pouvoir ou du moins de tendre à en modifier la nature. La scène du mariage de l'Emir avec Gloris annonce la scène du couronnement de Floire :
L'amirals par le main le prent,
Corone d'or li fait porter
Et comme s'oissor honerer.
Quant par la sale fu moustree,
Devant sa gent l'a coronee.
(v. 3140-3144).
242Cette victoire remportée par Blancheflor préfigure celle qu'elle va obtenir lorsque Floire décide de se convertir "por Blanceflor, la soie amie" ; ce vers fait écho au vers 20 du prologue et signifie l'accomplissement du destin de Floire.
243Floire est présenté comme un roi chrétien dont le pouvoir vient de Dieu et qui s'appuie sur les dignitaires de l'Eglise :
.III. archevesques ot o soi
Qui sont de crestiiene loi.
Sa corone li presignierent
Et saintement le baptisierent.
(v. 3305-3308).
244Il met son autorité au service de Dieu afin que s'accomplisse l'oeuvre providentielle :
Quant il se fu crestiienés,
Tos ses barons a apelés,
Si lor prie par boine amor
Qu'il croient Diu Nostre Signor
Et croient en sainte Marie,
Nel laissent pas, coi que nus die,
Et si prengent hasteement
Por l'amor Diu baptisement.
(v. 3309-3316).
245Et si certains refusent, il considère comme juste d'employer des moyens de persuasion plus énergiques :
A baptisier la gent vilaine
Dura bien plus d'une semaine.
Qui le baptesme refusoit
Ne en Diu croire ne voloit,
Flores les faisoit escorcier,
Ardoir en fu u detrencier.
(v. 3321-3326).
246Cette violence est excusable parce qu'elle est mise au service de la foi : les croisés ne pensaient pas autre chose.
247Ainsi, en quelques vers, le narrateur brosse un portrait du roi Floire fort différent de celui de l'Emir. Floire tient son pouvoir des évêques, donc de l'Eglise et va se mettre à son service en servant la foi alors que l'Emir est un monarque absolu à l'image des basileus de Constantinople ; en effet, la nature de son pouvoir telle qu'elle se trouve évoquée à travers les descriptions faites par Daire s'apparente plus à la conception byzantine de l'autorité impériale qu'à celle des princes arabes. L'Emir comme le basileus mériterait le titre d'autokratôr35 alorS que Floire est présenté comme un monarque féodal entouré de ses vassaux et champion de la chrétienté ; il est alors digne d'engendrer celle qui sera la mère de Charlemagne. Le roman se clôt sur la réparation du tort initial et sur une vision d'espoir qui rejoint l'annonce faite dans le prologue :
Estes le vos bone eüree ;
Molt l'a Fortune relevee !
Fortune qui l'ot mise jus
Tost lera relevee sus,
Quant sa fille voit coronee,
Ele rest ducoise apelee.
A Damlediu grasses en rent
Et sel mercie doucement.
(v. 3333-3340).
248Cependant, il n'y a pas eu conquête de la femme et du pouvoir. Floire n'a pas gagné la royauté par sa "chevalerie"36 ; il apparaît plus comme un jeune clerc que comme un "bacheler" plein de passion guerrière et prêt à de beaux coups d'épée pour conquérir du prix et un royaume. Le Conte de Floire et Blancheflor fait la part belle à la clergie et son écriture tend à souligner que le destin de Floire s'accomplit parce qu'il est prédestiné à devenir roi ; ses armes ne sont ni l'épée, ni la lance, mais la parole, et le conte, lui aussi, se dit dans une structure en miroir qui fait se correspondre la voix du narrateur et la voix (e) du héros.
Notes de bas de page
1 A. GUERREAU-JALABERT, "Sur les structures de parenté dans l'Europe médiévale", Annales E.S.C., nov. -déc. 1981, pp. 1 028-1049.
2 Le sens de "pour l'autre" n'est pas clair et le sens de cette tournure fut longuement et souvent débattue à propos du leitmotiv de Béroul "car l'un por l'autre ne sert mal".
3 A. PETIT, Naissances du roman... op. cit. pp. 364-417. Ce qui est dit des romans antiques est vrai des romans de Chrétien de Troyes pour lesquels J. FRAPPIER a pu écrire : "Le point capital reste à nos yeux la transformation que subissent les thèmes ovidiens dans un "climat" où se mêlent l'humanisme et la courtoisie. A cet Ovide dont s'empare la "clergie" vers le milieu du xiie siècle on prêta scolastiquement une tendance dogmatique propre à bâtir une idéologie cohérente et codifiée de l'amour. L'Ovide médiéval résulte en partie d'un malentendu". Dans le même article, J. FRAPPIER écrit : "Moins lyriques et plus psychologues (ce qui tient en partie à la différence des genres), les romanciers d'oïl s'attachent davantage à l'analyse du sentiment, surtout à celle de l'amour puissant. Ils décrivent en effet avec prédilection le trouble des cœurs encore ingénus. Ces atteintes de la passion chez les jeunes filles et les jeunes gens ressemblent le plus souvent à une fièvre soudaine, une violente maladie. Les symptômes en sont notés méthodiquement, avec une application scolaire (mais non sans quelques traits d'humour). Cette séméiologie de l'amour donne à sa peinture un aspect objectif et quasi médical. (...) Les victimes de l'amour cherchent à surmonter leur désarroi, à trouver dans leur conscience une règle de conduite, à sauvegarder leur volonté et leur liberté menacées. D'œuvre en œuvre, des romans "antiques", Thèbes, Enêas, Troie, au Tristan de Thomas d'Angleterre, aux Lais de Maire de France, aux romans de Chrétien de Troyes et Gautier d'Arras, cet examen intérieur enrichit, étoffe, affine la connaissance du cœur humain. Un besoin de lucidité guide les romanciers courtois qui jamais non plus ne renoncent à juger l'amour en moraliste, même quand on les sent complices de leurs héroïnes et de leurs héros", "Vues sur les conceptions courtoises dans les littératures d'Oc et d'Oïl au xiie siècle", dans Amour courtois et Table ronde, Genève, Droz, 1973, p. 21 et p. 13.
4 J.L. LECLANCHE, op. cit., t. II, p. 187.
5 Sur le jugement de Pâris, voir l'analyse de J. Ch. HUCHET, Le roman médiéval, PUF, 1984, pp. 43-59.
6 Remarquons dans les contes arabes que les hommes et les femmes sont décrits de la même manière. Cf. p. 42 sq et p. 52, Arts Asiatiques, art. cit.
7 Op. cit. p. 386.
8 Reto BEZZOLA, op. cit. pp. 374 sq.
9 J. FRAPPIER, "Le concept de l'Amour dans les romans arthuriens", op. cit. pp. 43-56.
10 J. FRAPPIER, Chrétien de Troyes, Hatier. 1968, p 111.
11 J.L. LECLANCHE, op. cit., t. II, pp. 159-166 ; citation pages 160 et 166.
12 P. JONIN, "La partie d'échecs dans l'épopée médiévale", in Mélanges de langue et de littérature du Moyen-Age offerts à Jean FRAPPIER, 2 VOL., Genève, Droz, 1970, t. I, pp.483-497.
13 Ibid. p. 492.
14 ed. cit. vers 2 210 f.
15 Ibid. vers 2 210 g.
16 ibid. vers 20713-20748.
17 Ibid. "Signor, oï avés mon conte/Par jugement vengiés ma honte", (vers 2 747-2 748).
18 Ibid. vers 2 779-2 816.
19 Ibid. vers 2 949-2 972.
20 Le roman de l'Enéas, de. J.J. Salverda de Grave, Paris, Champion, C.F.M.A., t. II, vers 7 531-7 718.
21 J.L. LECLANCHE, op. cit., t. II, pp. 188-192.
22 Le Roman de Troie, ed. L. Constant, Paris, S.A.T.F., 6 v., vers 2863-3186.
23 Traditionnellement, de fait, la salle de réception est le lieu de l'affirmation du pouvoir. Voir A. LABBE, L'architecture des palais et des jardins dans les chansons de geste, Champion-slaktine, 1987, pp. 172-228 sq ; 258-263 ; 341-sq.
24 Les représentations humaines sont interdites dans l'art musulman, cependant on trouve dans les palais arabes d'Andalousie quelques représentations d'exploits guerriers.
25 A. LABBE, op. cit. pp. 57-58.
26 ed. cit. vers 1983-1984.
27 Ibid. vers 2007-2008.
28 Ibid. vers 2011-2012.
29 Sur la signification des automates dans les textes du xiie siècle et le rapport entre leur description et l'idée de pouvoir, voir H. LEGROS, "Les automates, attirance, répulsion de l'étrange", in Actes du colloque De l'étranger à l'étranger ou la conjointure de la merveille, Senefiance n°25, CUERMA, 1988, pp. 297-314 et "Connaissance, réceptions et perceptions des automates orientaux au xiie siècle", à paraître, Actes du colloque du CERMEIL, Le merveilleux et la magie dans la littérature, Caen, 31 Août-2 sept 1989.
30 Sur cette question, on trouvera une abondante bibliographie dans l'ouvrage, déjà cité, d'Alain LABBE.
31 H. LEGROS, "Les automates, attirance, répulsion de l'étrange", art. cit. ; P. TRANNOY, "De la technique à la magie : les enjeux des automates dans le Voyage de Charlemagne à Jérusalem et à Constantinople", à paraître dans les Actes du colloque du CERMEIL cités note 63.
32 E. BAUMGARTNER, "Troie et Constantinople dans quelques textes du xiie siècles : fiction et histoire", dans La ville, histoires et mythes, Université de Paris X, 1982, pp. 2-16.
33 D. POIRION, "De l’Enéide à l'Enéas : mythologie et moralisation" dans Cahiers de Civilisation Médiévale, XIX, 1976, pp. 213-229.
34 J. FLORI, "Sémantique et société médiévale : le verbe "adouber" et son évolution au xiie siècle", in Annales E.S.C., n°31, 1976, pp. 915-940 ; "Pour une histoire de la chevalerie : l'adoublement dans les romans de Chrétien de Troyes" in Romania, n°100, 1979, pp. 21-53 ; "Du nouveau sur l'adoubement des chevaliers xi-xiie siècles", in Le Moyen-Age, t. 2, 1985, pp. 210-206.
35 L. BREHIER, Le monde byzantin, t. II, les institutions de l'Empire byzantin, Paris Albin Michel, 1950.
36 J. BATANY, "L'apologue de Punyavanta en Occident", in Mélanges de langue et de littérature du Moyen-Age et de la Renaissance offerts à J. FRAPPIER, Genève, Droz, 1970, t. I, pp. 53-64.
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