Introduction
p. 5-8
Texte intégral
1Floire et Blancheflor sont, dès la seconde moitié du xiie siècle, un couple d'amants célèbres au même titre que Tristan et Yseult, Hélène et Paris ou encore Pyramus et Thisbé. Il nous est parvenu deux versions bien distinctes de leur histoire ; la première, celle qui nous intéressera, est connue sous le titre de Conte de Floire et Blancheflor, la seconde, postérieure, est communément appelée Roman de Floire et Blanchefleur1.
2Le Conte nous est parvenu par quatre manuscrits étudiés et édités par J.L. LECLANCHE : le manuscrit V, Vatican, Bibliothèque palatine, latinus 1971 ; le manuscrit A, Paris, Bibliothèque Nationale, f. fr. 375, le manuscrit C, Paris, Bibliothèque Nationale, f. fr. 12 562 (il s'agit selon J.L. LECLANCHE d'une copie apographe du manuscrit A) ; le manuscrit B, Paris, Bibliothèque Nationale, f. fr. 1 4472. Le Roman ne nous est conservé que par un seul manuscrit, le manuscrit 19 152 du fonds français de la Bibliothèque Nationale de Paris3.
3Le Conte de Floire et Blancheflor qui a connu une postérité considérable jusqu'au début du xixe siècle a peu retenu les critiques modernes qui ne se sont le plus souvent penchés que sur la question de ses origines4 ou encore sur la place qu'il occupe dans l'histoire de l'écriture romanesque au xiie siècle, le classant tantôt parmi les romans "antiques" dont il se rapproche, certes, par certains éléments narratifs, tantôt comme un roman "idyllique", sans que cette terminologie soit précisée ; insistant parfois sur la place qu'occupe, dans le récit, l'imaginaire oriental5. Certains jugements rapides et sévères en font un conte "charmant et délicat", mais "scolaire" et dont "la composition (...) ne manifeste aucune subtilité, aucune habileté même"6. Yves LEFEVRE dit de Floire et Blancheflor que "ce roman a été conçu par son auteur comme un prétexte pour accumuler les morceaux de bravoure". Le Conte ne serait qu'un roman d'aventure, teinté d'orientalisme ; roman idyllique et naïf. En fait, n'est-ce pas là le jugement d'esprits modernes sur une écriture certes fort éloignée de nos critères esthétiques contemporains, mais qui a ses règles, ses lois, sa beauté et sa finalité.
4Je me propose d'étudier la version du Conte qui est donnée par le manuscrit A7. Cette étude littéraire permettra d'analyser sa structure et son écriture afin de dégager ce qui, au-delà de l'emploi ou du ré-emploi de topoï narratifs ou thématiques, fait son originalité. Cette étude nous conduira à nous interroger sur la senefiance du récit : n'est-il que l'histoire légère et charmante de vertes amours enfantines ? Les descriptions ne sont-elles que des exercices d'école permettant l'étalage de connaissances littéraires et techniques ? N'ont-elles pas une fonction narrative plus subtile qui en font des éléments constructifs du Conte et concourrent, avec d'autres, à lui donner une signification plus complexe, en harmonie avec les goûts et les préoccupations de l'époque. Enfin, l'auteur de Floire et Blancheflor ne participe-t-il pas, en inventant une écriture-miroir qui n'est pas une écriture de la simple répétition, à ce mouvement d'efflorescence des formes romanesques qui caractérise la seconde moitié du xiie siècle ?
5Nous nous efforcerons de mettre en lumière ce qui fait la beauté et la richesse de ce Conte d'amour, de pouvoir et de lignage où le destin apparaît vite comme le grand ordonnateur des choses de la vie et de l'amour.
Notes de bas de page
1 Ecrit selon J.L. LECLANCHE à la fin du xiie siècle, il a été édité par E. FARAL, E.M. ROBINSON, M. PELAN, cf. J.L. LECLANCHE, Contribution à l'étude de la transmission des plus anciennes œuvres romanesques françaises, un cas privilégié : "Floire et Blancheflor", Service de reproduction des thèses, Lille, 1980, t. II, p. 367 ; une traduction en a été faite en 1973 par H.F. WILLIAMS et M. GUILLET-REYDEKK, Flore et Blanchefleur, University Mississipi, Romance monograhs, inc., n°4.
2 J.L. LECLANCHE, op., t. II, pp . 3 à 44 bis.
3 Ibid. pp . 46-55.
4 Citons : R. BASSET, "Les sources arabes de F. et B1. dans Revue des traditions populaires, n°22, 1907, pp. 241-245 ; M. CACCIAGLIA, "Appunti sul problema dei fonti del romanzo di Floire et Blancheflor", dans, Zeitschrift fûr romanische Philologie, n°80, 1964, pp. 241-255 ; E. FARAL, Recherches sur les sources latines des contes et romans courtois du Moyen-Age, Paris, Champion, 1913 (2e ed. 1967) ; G. HUET, "Sur l'origine de Floire et Blancheflor" dans Romania, n°28, 1899, pp. 348-359 et "Encore Floire et Blancheflor", dans Romania, n°35, 1906, pp . 95-100 ; J. REINHOLD, "Quelques remarques sur les sources de Floire et Blancheflor", dans Revue de Philologie française et de littérature, n°19, 1905, pp. 155-175. Cette liste n'est pas exhaustive.
5 Citons : M. DELBOUILLE, "Apollonius de Tyr et les débuts du roman français" in Mélanges Rita Lejeune, Gembloux, 1969, t. II, pp. 1171-1204 ; C. FRANÇOIS, "Avec Florimont sur les traces de Floire", dans Marche Romane, n°21, 1971, pp. 5-19 ; M. LOT-BORODINE, Le roman idyllique au Moyen-Age, Paris, Picard, 1913. Nous aurons occasion de compléter cette bibliographie.
6 Grundriss der romanischen literaturen des Mittelalters, t. IV, 1, pp . 265-267 Ibid. p. 268.
7 Toutes les citations renvoient à l'édition de J.L. LECLANCHE, Le Conte de Floire et Blancheflor, Paris, Champion, C.F.M.A., 1980.
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