Quand l’Ailleurs devient l’autre : topographie scénique du voisinage
Entre puertas y paredes de Gracia Morales
p. 197-206
Résumés
Gracia Morales écrit pour le programme Fabrec (Culture 2007) une pièce de théâtre sur le voisinage. Il s’agit pour elle de mettre en scène l’Ailleurs et sa problématique présence lorsque cet Ailleurs s’incarne dans un autre tout proche de soi. Que signifie mettre en scène cette relation duelle ? Comment montrer au théâtre celui qu’habituellement on ne voit pas ou peu, celui qui est distancié, loin de nous, même s’il est proche (le proche voisin) ? Comment donner à ressentir, à penser une relation particulière, celle du voisinage : pour s’incarner, elle doit s’inscrire dans un espace unifié et synthétique, celui de la scène, alors que la séparation est ce qui la définit (mon voisin n’est pas dans mon espace) ? Que permet de dire le théâtre que ne permet pas de dire le cinéma, la danse, la musique ou le design ? Comment utiliser toutes les potentialités de l’art théâtral, de cet objet artistique qui se construit toujours dans l’espace-temps de la représentation, de cette image vivante qui suppose avant tout une rencontre entre la scène et la salle ?
Gracia Morales escribe para el programa Fabrec (Cultura 2007) una obra de teatro sobre la vecindad. Se trata para ella de escenificar « l’Ailleurs » y su problemática presencia cuando aquel « Ailleurs » se encarna en algún « otro », muy cercano a uno mismo. ¿Qué significa escenificar aquella doble relación ? ¿Cómo se puede dar a ver a alguien a quien no se ve o poco, aquél que está distanciado, lejos de nosotros, aunque esté cerca (el vecino más cercano) ? ¿Cómo dar a percibir, a pensar una relación peculiar, la de la vecindad ? Para encarnarse, tiene que inscribirse en un espacio unificado y sintético, el del escenario, mientras que la separación es la que la define (mi vecino no está en mi espacio) ¿Qué permite el teatro que no permite el cine, el baile, la danza, la música o el diseño ? ¿Cómo utilizar todas aquellas potencialidades del arte teatral, de aquel objeto artístico que se construye siempre en el espacio-tiempo de la representación, de aquella imagen viva que supone ante todo un encuentro entre escena y sala ?
Texte intégral
Merci aux Anachroniques pour ce qu’ils sont et à Hegoa pour ce moment de complicité.
1Gracia Morales1 écrit pour le programme Fabrec (Culture 2007) une pièce de théâtre sur le voisinage. Des universités roumaines, polonaises et françaises réfléchissent pendant deux ans sur une des thématiques clefs de la construction de l’espace européen, à partir de l’intersection entre théâtre, design et musique (trois workshop mêlant les trois arts se sont déroulés dans les trois pays et ont donné lieu à des livrables, dont le spectacle de la compagnie Les Anachroniques au théâtre Daniel Sorano, à partir de la commande faite à l’auteur2).
2Pour Gracia Morales, il s’agissait de mettre en scène l’Ailleurs et sa problématique présence lorsque cet Ailleurs s’incarne dans un autre tout proche de soi, le voisin. Or cette thématique de l’Ailleurs passait avant tout par une réflexion sur l’espace, dans la mesure où la pièce maîtresse du dispositif était une œuvre… à jouer. C’est ainsi que naît la pièce de théâtre Entre puertas y paredes, publiée dans la collection Nouvelles Scènes, sous le titre français Histoires de murs et de portes et traduite en anglais, roumain et polonais.
3Les voisins réunis dans un édifice qui leur a été assigné sont caractérisés par des signes contradictoires dès les premiers moments : si les sœurs arrivent, vêtues de façon printanière, l’homme est habillé comme si c’était l’automne. La femme de quarante ans porte un manteau, alors que le jeune couple est habillé d’été. Ils témoignent de leurs différents espaces temps et de leur singularité, mais de façon épurée, sans un quelconque ancrage dans un territoire si ce n’est celui de leur passé (on ne saura jamais d’où ils viennent). Ils sont de quelque part et ce quelque part est en eux.
4S’ils parlent des langues différentes comme en témoigne leur incompréhension du discours de l’autre, le spectateur, quant à lui, n’entend qu’une langue identique et de toutes façons le problème très vite se résout au fil des scènes : les mots ne les empêchent pas de communiquer. L’obstacle n’est pas culturel mais spatial : comment co-habiter dans un même lieu, dans l’ici et maintenant d’une nouvelle vie qui s’offre à tous3.
5Certes chacun évoque quelquefois l’Ailleurs d’où il vient, mais cet Ailleurs est objet du dialogue, distancié dans le récit, même s’il a laissé des traces indélébiles (la souffrance, le traumatisme) ou s’il redevient objet de désir en cas de crise. Dans la scène deux de la première partie, tandis que la plus jeune des sœurs guette par le judas les signes de vie à l’extérieur, la plus agée des deux est attirée par le passé nostalgique symbolisée par la photo de famille qu’elle extrait des bagages. Marquée par « son » histoire, elle aura du mal à accepter de recommencer à vivre une « autre » histoire.
La Hermana mayor saca de la maleta un marco grande con una fotografía. Una foto de boda, antigua. Se la queda mirando.
Hermana menor: ¿No quieres echar un vistazo?
Hermana mayor: No.
La Hermana menor sigue observando por la mirilla, mientras la Hermana mayor limpia el polvo de la foto. (p. 34)
Dans ce nouveau départ qui rend possible le partage d’un lieu, ce qui importe c’est l’espace du présent, à investir dans le processus vital du rapprochement avec l’autre et de la construction différents d’une nouvelle histoire collective. C’est le sens du dîner organisé par l’homme à la tortue : chacun y trouvera, parmi les mets variés qu’il a préparés, le repas de son choix, adapté à la diversité qui caractérise cette nouvelle communauté. L’Ailleurs est bien Ailleurs4 et tout comme la tortue compagnon de Samuel promène sur son dos son territoire, il s’agit pour chacun avec sa mémoire d’arriver à s’enraciner dans un nouvel espace à contruire ensemble.
La scène éclatée
6Toute représentation du voisinage s’inscrit, inévitablement, dans l’aire de jeu de la scène, elle-même inclus dans un espace plus ample qui est le lieu scénographique, celui de l’édifice du théâtre lui-même. La topographie du voisinage sera à décrypter dans l’espace de la scène, occupée par des comédiens et vue par des spectateurs.
7Pour représenter le voisinage, le metteur en scène ne peut que penser à une fragmentation du plateau. La scène est par essence homogène et ne traduit le plus souvent qu’un seul et même espace temps. Or le voisinage implique une frontière, même invisible mais perçue comme telle : chacun a son espace qui n’est pas celui de l’autre et qui institue un rapport de proximité sans abolir la distance5. L’unité de la scène doit être brisée, divisée afin qu’apparaissent simultanément ou successivement les parties en faction : par le dispositif théâtral on peut voir à la fois tous les territoires ou voir s’activer un territoire après l’autre selon la localisation des situations dans les sous-espaces de la scène6.
8C’est le choix fait par Gracia Morales qui pense un espace frontal et utilise au fil des différentes scènes soit l’espace commun du centre (le hall) soit les espaces privés de l’intérieur des appartements :
Primera parte: La llegada
Escena 1. En el vestíbulo.
Tres paredes forman un rectángulo abierto por delante: una frontal y dos en los lados. En ellas, cuatro puertas, dos en la pared del fondo y una en cada pared lateral; cada una tiene un número y una letra: 25-A; 25-B; 25-C; 25-D. Todas tienen mirilla. El centro del escenario, acotado por dichas paredes, es un espacio vacío.
Oímos las voces de dos mujeres que se acercan.
Hermana mayor del 25-C (Desde fuera.) : Está un poco lejos, ¿no ?
Hermana menor del 25-C (Desde fuera.) : ¿Lejos ?
Hermana mayor del 25-C (Desde fuera.) : De la ciudad.
Hermana menor del 25-C (Desde fuera.) : Pero está bien comunicado.
Entran las dos. La mayor tiene alrededor de treinta años ; la otra unos veinte. Sus ropas son ligeras, primaverales. Vienen arrastrando algunas maletas. Contemplan un momento el lugar.
Hermana menor del25-C : Cuatro puertas. Pensé que seríamos muchos más. (Frente a la puerta 25-C.) : Esta es la nuestra. ¿Habrá llegado alguien más ?
Hermana mayor del 25-C (Abre la puerta y se quedan un momento detenidas ante ella.) : Esperemos que haya electricidad. (p. 28)
[…]
Escena2. En el espacio25-C.
Las dos hermanas frente a la puerta 25-C, en la misma posición que en la escena anterior, justo antes de acceder a su espacio.
Hermana mayor : Esperemos que haya electricidad.
Entran.
Hermana menor : Aquí hay un interruptor.
La luz se hace sobre esa zona del escenario. (p. 32)
Bien évidemment dans l’organisation de la scène chez Gracia Morales, on peut lire la relation entre les pôles en présence, des rapports hiérarchiques ou égalitaires, selon la place occupée par l’un et l’autre et sa configuration. Certains appartements sont plus grands que d’autres, plus ensoleillés, plus ou mieux meublés. Ces différences sont moteurs dans le conflit dramatique, dans la mesure où la répartition ne correspond pas à des critères objectifs et équitables : la femme qui ne sort jamais a l’appartement le plus agréable, alors qu’elle est seule et n’ouvre jamais les volets. On a attribué en revanche au petit couple un lieu sans soleil, froid et peu accueillant. Les sœurs ont un appartement vide, avec une seule chambre.
9Il n’y a pas en revanche de distinction entre des pôles « fort », dominant (qui pourrait se traduire par une occupation supérieure de l’espace) et des pôles faibles (se retrouvant cantonnés au reste de la scène). La topographie ne dévoile pas le caractère ancillaire, dépendant voire dominé des uns par rapport aux autres. Chaque sous espace a sa place dans le dispositif : ils signifient a priori que la relation entre voisins est égalitaire et pensée en fonction d’un centre. Chacun a sa place dans la co-propriété.
10L’attention du metteur en scène portera donc plus sur l’interaction des parties que sur leur subordination topographique : les uns valent les autres et les autres valent les uns d’un point de vue dramaturgique7.
Les liens entre les espaces de jeu
11La frontière entre les espaces devra donc se penser en fonction des modalités d’interférence.
12Elle pourra être étanche : chaque espace est alors clos sur lui-même, signifiant l’exclusion de l’autre, du voisin différent, du voisin étranger. Ces espaces ne peuvent communiquer que par le biais de signes auditifs ou olfactifs (nous y reviendrons plus tard), ou être des sujets d’échanges conversationnels : on parle du voisin sans le voir, sans avoir de contact. Il est présence muette, fantasmée, rêvée, dénigrée, repoussée, etc.
13La frontière pourra être perméable, être une « division ouverte ». Elle permet les mouvements de part et d’autre de la frontière et donc peut-être les échanges, le dialogue, la meilleure connaissance de l’autre, l’enrichissement mutuel ou au contraire la pénétration envahissante, irrespectueuse, le « viol » de l’espace et de ses occupants.
14Les modalités de communication entre les deux sous espaces sont des enjeux dramaturgiques forts, dans la mesure où elles déterminent des types de relations ou de conflits, typiques ou atypiques, clichés ou non marqués, rituels ou s’écartant de la norme.
15C’est à la première configuration que correspondent les espaces du début de la pièce : chaque voisin dans son monde et chacun chez soi. Au fur et à mesure que se construit la communauté spatiale des voisins, les frontières se diluent : il y a une porte maintenant entre les deux appartements les plus conflictuels, celui de la femme enfermée et du jeune couple sans soleil. L’homme à la tortue est installé à la fin dans l’appartement des sœurs et tous maintenant entrent chez tous. C’est une question de flux et il n’est pas anodin que le premier lien passe par l’électricité, que les sœurs partagent avec l’homme à la tortue, Samuel.
16Les points d’intersection dans une telle configuration prennent ainsi tout leur sens : les portes sont autant d’éléments signifiant les frontières matérielles qui divisent l’espace, protègent, mettent l’autre à distance, excluent ou au contraire ouvrent, accueillent, intègrent… On sonne à la porte, on glisse une invitation sous la porte, on parle devant la porte, on franchit la porte, on ouvre des portes. On repousse violemment les murs.
Hombre: Anna. Lo siento. Sí, lo siento. Pero es que te veo así y… Quisiera hacer algo. ¡Joder! No puedo dejar de pensar que nosotros nos merecíamos esa casa. ¡Nosotros tres! (Se va hacia la pared y empieza a empujarla con todas sus fuerzas.) ¡Si pudiera moverla! ¡Si pudiera…! (La golpea con los puños.)
Mujer: ¡Estate quieto!
Hombre (Sigue golpeando.): ¡Siempre con las ventanas cerradas! ¡Maldita loca! ¡Nosotros deberíamos tener el sol que ella no disfruta!
Mujer: ¡Vas a hacerte daño!
El Hombre poco a poco deja de golpear. Se queda mirando la pared. (p. 86)
Mais on peut aussi caresser le mur, de part et d’autre, dans une étreinte muette qui relie les voisins amoureux pour mieux signifier la séparation.
En un momento específico, ambos se acercan a la pared que les separa. Juegan a pasar los dedos por su superficie, siguiendo el ritmo de la música. El baile se va convirtiendo en una caricia lenta, dulce, silenciosa. Ninguno de los dos tiene la certeza de que el otro se encuentra también ahí, pero sus movimientos están sincronizados, de tal forma que parece que pudieran tocarse.
Poco a poco, en el espacio 25-C, la Hermana mayor se separa.
En el 25-D, el Hombre parece intuir que ella ya no está participando de la caricia y se va deteniendo también.
Ambos se quedan quietos, cada uno en su espacio, mirando hacia el lugar en el que se encuentra el otro, como si la pared se hubiera vuelto transparente.
Oscuro. (p. 80)
Dans ce type de dispositif, l’exploitation du regard peut être fondamentale8 : la perception de l’autre peut passer par une fragmentation de la vision, un cadrage, une captation. Elle est donc tributaire du moment de la perception, de son contexte spatio-temporel, obéissant au principe de la physique quantique selon lequel « l’observateur modifie l’objet observé ». L’autre est une entité spatialisée par la distance et par l’ouverture. Il devient image et représentation, il est une réalité liée à la subjectivité de celui qui le perçoit. Il n’est pas anodin que toutes les portes aient des judas, qui offrent la possibilité d’épier l’autre et qu’ils soient partie intégrante du décor :
Se escucha, viniendo desde fuera, un tintineo de metales.
Hermana menor: Eso, ¿lo has oído? Alguien ha llegado. (Se acerca a la puerta y observa por la mirilla.)
Hermana mayor: No deberías espiar.
Hermana menor: Es un hombre. Va hacia la puerta 25-D. (p. 34)
Une des variantes de ce dispositif est le trou que le jeune père perce dans le mur qui relie son appartement avec celui, convoité, de la femme solitaire. Il nourrit son phantasme paranoïaque en faisant le voyeur, dans une relation masochiste à l’Ailleurs de l’autre jusqu’à ce que le regardé regarde aussi par le trou et le contemple : la vision se fige alors dans un processus d’auto-alimentation, où la vision de l’œil n’est que l’œil lui même, l’œil de la culpabilité, l’œil de la contemplation de l’autre, hypnotique et paralysant.
Mientras, en el 25-A, la Mujer ha encontrado el agujero y se dispone a asomarse por él. En el 25-B, el Hombre se acerca a la pared, parece que va a meter una esquina del pañuelo en el hueco, pero finalmente se asoma.
Los dos, cada uno a su lado, se quedan un momento observándose, pupila frente a pupila. (p. 78)
L’univocité du point de vue
17Dans la mise en scène du voisinage, le point de vue a une importance fondamentale dans la mesure où le mouvement de l’autre vers l’un ne pourra être que centripète : le voisin appartiendra à un espace autre. Lorsqu’il apparaîtra, ce sera dans un lieu considéré comme celui de référence. Le voisin sera toujours la pièce rapportée, l’élément étranger, pénétrant dans l’intimité du lieu qui est donné à voir.
18C’est la raison pour laquelle dans la pièce le voisin n’apparaît pas au début dans le lieu de l’autre mais dans un lieu neutre, qui n’est ni de l’un ni de l’autre mais qui est de tous, à habiter, à construire : c’est le centre de la scène. Son investissement collectif constitue l’étape préalable à la pénétration dans l’espace de l’autre et préfigure les aléas des interactions : chacun reste dans son coin, chacun se méfie de l’autre, chacun juge mais peu à peu le centre devient un véritable lieu de relation avec l’autre. Le personnage de l’Homme sans maison est à cet égard significatif : locataire clandestin du hall, tout juste « toléré », il arrivera à la fin à entrer dans le groupe… en mettant à disposition de tous ses compétences à colmater les brèches, c’est-à-dire à stabiliser la structure commune qui seule permet à l’individu de continuer à vivre.
La scène et le hors scène
19Dans le dispositif théâtral, l’appréhension de l’autre peut se faire exclusivement par l’ouïe et non par la vue. Le voisin est « localisé » hors du cadre de l’espace scénique, dans le hors-scène. Il est donc perçu depuis la salle par des bruits, des sons, de la musique autour du plateau ou autour de l’espace du public lui-même. Ces signes acoustiques peuvent être autonomes par rapport à la scène et constituer un « tableau sonore » qui suggère un univers, une action qui n’interfèrent en rien avec ce qui est vu par le spectateur. Il peut représenter l’attraction vers l’intime, l’inconnu, l’étranger, l’exotisme et fonctionner comme l’embrayeur de relations toujours possibles dans le voisinage à partir du moment où on s’en donne la peine9.
20Mais il se peut que les bruits interfèrent avec l’espace scénique de façon violente et déterminent un mouvement centripète ou centrifuge des signes théâtraux par rapport à ce qui est vu. Interjections, interpellations, réponse agressive à des bruits qui dérangent par d’autres bruits encore plus bruyants, surenchère de signes de mauvais voisinage (cris, insultes, hystérie, etc…). Ce sera le cas le plus fréquent car conflictuel. Et le théâtre bien évidemment se nourrit de conflits ! Dans la pièce de théâtre de Gracia Morales, le bruit de la machine à coudre de la voisine d’à côté déclenche une fureur qui n’a d’égale que la jalousie de l’espace usurpé.
21Mais les bruits sont aussi de façon insaisissable pour les êtres humains des vecteurs de liens : la ronde montre que la chaîne de sons identiques qui se continue dans chaque espace construit une communauté où ce qui prime est la ressemblance et non la différence.
Tercera parte : La ronda
Escena 1. En los cuatro espacios y el vestíbulo.
La luz, que sube o baja de intensidad, nos permite ir pasando rápidamente de uno a otro lugar, como en una ronda.
Se ilumina el espacio 25-D. El hombre está en pijama y se está afeitando. Mientras lo hace está silbando una música (tal vez el Vals No 1, op. 18 de Chopin – « Gran vals brillante ».)
Se oscurece ese espacio e inmediatamente se ilumina el 25-C.
Allí la Hermana mayor tararea el mismo tema que el Hombrede là 25-D, retomándolo por el momento exacto donde hemos dejado de escucharle a él. (p. 52)
L’odeur peut constituer aussi sur la scène le vecteur de l’émergence de l’autre, au-delà de l’espace privé qui est le sien et qu’il ne partage pas avec son voisin. L’odeur est tout aussi attractive que répulsive, induisant une relation d’ouverture ou de rejet d’une culture ou d’une réalité qui est proche.
Voisiner avec le spectateur
22Enfin le voisin toujours présent au théâtre est le spectateur : il est l’autre de la scène, tout comme la scène est autre, par ce phénomène de dénégation propre à la scène. Le spectateur sait bien que ce qu’il voit n’est pas sa réalité, son univers (que c’est un monde factice, en représentation) mais qu’il va coexister avec ce microcosme-là pendant toute la durée de la représentation10. Il est dans une relation neutre, de « bon voisinage », mais sa présence muette interfère toujours avec le spectacle, de façon insaisissable mais réelle. C’est le voisin parfait mais exigeant, celui qu’on veut séduire et convaincre, celui que l’on veut mobiliser ou pousser à la prise de conscience quelquefois. Il oblige la scène à se remettre sans cesse en question et participe activement à la création d’un espace commun, qui transgresse les limites du quatrième mur.
Notes de bas de page
1 http://fabrec.wordpress.com/2009/08/17/gracia-morales/
2 http://fabrec.wordpress.com/author/fabrec/
3 Pour le spectacle présenté par Fabrec, l’altérité n’a pas été un principe structurant pour la construction des personnages. Ceux-ci ont été travaillés plus par différenciation psychologique, biographique ou culturelle qu’à partir de l’altérité ethnique, religieuse ou sexuelle. La femme seule dans la mise en scène de Matthieu Pouget est enfermée, emplie d’angoisse, dans l’attente de quelque chose. C’est un personnage de tragédie, écrasé par un destin trop lourd pour elle, par une faute qui est celle de la soumission. Lorsqu’elle prend conscience enfin de son aliénation, la tragédie bascule dans un happy end mélodramatique. Samuel est construit également à partir de la figure de l’auguste, du voyageur, drôle, touchant, très « fleur bleue ». Les couples forment un bloc homogène : les acteurs jouant le rôle de la femme et du mari ont été choisis à cause de leur ressemblance physique (ils sont frère et sœur), de leur accent argentin : ils sont obsédés par le soleil et le froid, car ils viennent du sud. Si l’homme est violent et traître, la femme est fatiguée, lasse et socialement déchue. Enfin, les deux sœurs sont des exemples de différentes réactions face à une tragédie sous-jacente (nourrie de morts et d’exterminations). Celle qui étudie est dans le rêve et la reconstruction, celle qui travaille, plus pragmatique, a peur de l’avenir, de l’amour… et c’est elle bien sûr qui va tomber amoureuse de celui qui précisément a le plus peur aussi de se fixer, Samuel. C’est ainsi que les costumes répondent aux choix de différenciation et de constitution des paires : la femme seule est élégante, porte des talons vernis, elle est coquette et précieuse. Son investissement de l’espace est traduit par la manipulation d’objets, lorsqu’elle entre ou sort de son appartement : sa voilette, son châle, ses chaussures, son sac. Elle ne parle jamais. Samuel, avec son pantalon court renvoie au code du voyageur, avec son sac à dos, à l’auguste itinérant, de mauvaise fortune, avec son pantalon court, aussi touchant que Charlie Chaplin. C’est un artiste, qui récupère et fixe tous les rôles (il est photographe). Les couples sont traités de façon identique : les deux sœurs ont des robes à fleurs bleues, taillées années 1950, tout comme les chaussures. La femme et le mari sont maquillés en blanc, et assortis d’un point de vue des couleurs.
4 Cet Ailleurs est traduit dans le spectacle par la scénographie numérique réalisée par les étudiants roumains. L’écran sur lequel sont projetées les images disent ce qui ne peut pas être dit par les personnages, la nostalgie, le passé (les photos), le temps qui passe (l’horloge qui rythme le déroulement de l’action), l’enjeu que repésente le voisinage (la bille qui passe dans les différents espaces).
5 Dans la mise en scène présentée par Matthieu Pouget pour Fabrec, l’espace scénique a été conçu comme un grand appartement dont les murs imaginaires acquièrent consistance et contours selon les situations ou jouent le rôle de passerelles entre les différents sous-espaces. Dans certains cas l’espace global se rétrécit, lorsque par exemple un personnage regarde à travers un judas ou frappe à la porte. Dans d’autres, les frontières deviennent extensibles et des personnages présents dans plusieurs lieux partagent en réalité un même espace (la scène du petit déjeuner par exemple dans la séquence nommée la ronde qui est contruite autour du pivot qu’est la table et qui rend les frontières mouvantes). Enfin l’espace devient fusionnel et les personnages vont et viennent sans tenir compte de ces murs qui cloisonnent et séparent.
6 Dans la mise en scène présentée au Théâtre Daniel Sorano, l’éclairage fonctionne comme un embrayeur d’activation et de désactivation des sous-espaces. Le code couleur prévoyait un bleu/gris pour les espaces inanimés et une ou plusieurs lumières blanches frontales pour mettre en relief l’action ou les actions simultanées. Deux personnes sont traitées différemment : il s’agit de la femme seule et de Samuel qui peuvent s’activer dans la lumière bleue, tandis que les autres personnages se figent. Construits comme un duo opposé émotionnellement et scéniquement, ils réactivent la figure du clown blanc et de l’auguste dans une complicité continue : ce rythme fluide rompt avec l’irrégularité des actions des autres personnes qui, en surgissant, déclenchent l’action.
7 C’est bien l’option choisie par Matthieu Pouget : il traite l’espace de façon indifférenciée, sans introduire de signes hiérarchiques et en mettant en avant simplement l’identité des lieux par les objets. L’espace de Samuel est caractérisé par des cartons (signifiant le caractère nomade de ce personnage), le téléviseur et la machine à coudre occupent l’espace de la FEMME, le lit est l’accessoire central du couple, archétype du couple originel permettant la procréation d’une nouvelle espèce, etc…
8 Il est intéressant de voir comment le regard a été intégré, de façon originale, dans le spectacle des Anachroniques. Le geste qui sert de visuel à l’affiche (un des personnages regardant droit devant elle quelque chose, à travers ses doigts dessinant un cercle brisé est repris, comme un « clin d’œil », au fil des spectacles. Lié au langage des signes intégré dans le montage comme une modalité de surtitrage créatif (mais ne correspondant à aucun mot), ce geste renvoie à la curiosité, au voyeurisme mais aussi à la découverte de l’autre et à sa confrontation.
9 Le décor sonore de la pièce jouée au Théâtre Sorano répondait à cette problématique en la doublant d’une autre dimension : les bruits étaient effectués en live pendant le spectacle : le déplacement des personnages par exemple dans les parties communes était accompagné par l’onomatopée tata-ta, toujours à la même vitesse et par la même voix, ce qui créait un effet « marionnettes » des déplacements. Mais la prégnance de cette voix off qui faisait irruption dans l’action scénique renvoyait aussi à cette présence occulte, à ce démiurge caché qui lit le règlement de la co-propriété et orchestre la représentation. Ce Big Boss qui régit la destinée de tous est bien là, tapi dans l’ombre de ces vies qui se construisent et qu’il a aidé à mettre en espace. La musique en live par les étudiants polonais joue également un rôle intéressant d’un point de vue dramaturgique : à chaque espace correspond un univers acoustique, un instrument qui changeait tous les soirs, laissant libre cours à l’improvisation.
10 L’intégration du public est particulièrement intéressante dans la mise en scène de Matthieu Pouget.
La scène divisée en quatre espaces avec, comme pivot central, la table où les personnages se rejoignent intègre le proscenium où se situe la figure du mendiant, qui entre et sort toujours par l’espace du public, qui représente l’extérieur. Le vrai public est donc fictionnalisé et devient l’outsider, qui n’est pas autorisé à entrer dans l’immeuble et qui est témoin de l’histoire. Le mendiant devient le relais entre l’extérieur et l’intérieur, en se situant dans un espace médiant où tout est possible.
Auteur
Université de Toulouse
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